TROISIÈME SECTION
AFFAIRE T.B. c. SUISSE
(Requête no 1760/15)
ARRÊT
STRASBOURG
30 avril 2019
DÉFINITIF
30/07/2019
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire T.B. c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Vincent A. De Gaetano, président,
Branko Lubarda,
Helen Keller,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 avril 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 1760/15) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet État, M. T.B. (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 décembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).
2. Le requérant a été représenté par Me B. Meyer Löhrer, avocat à Zürich. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. A. Chablais, de l’Office fédéral de la justice.
3. Le requérant dénonçait une violation de l’article 5 § 1 de la Convention. Il alléguait que son placement à des fins d’assistance constituait une privation de liberté sans base légale et que l’établissement pénitentiaire où il était détenu n’était pas une institution appropriée.
4. La requête a été communiquée au Gouvernement le 29 septembre 2016.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La genèse de l’affaire
5. Le requérant, un ressortissant suisse né en 1990, était détenu au sein de l’établissement pénitentiaire destiné à la mise en œuvre des peines et des mesures judiciaires de Lenzbourg (Justizvollzugsanstalt ; « l’établissement pénitentiaire »).
6. Le 24 novembre 2011, le requérant fut condamné par le tribunal des mineurs de Lenzbourg à une peine de prison de quatre ans, la peine maximale prévue en Suisse par le droit pénal des mineurs, pour assassinat, viol aggravé et contrainte sexuelle aggravée. Il fut établi que, le 10 février 2008, le requérant avait tué – en faisant preuve d’une absence particulière de scrupules et d’une façon particulièrement odieuse – une prostituée après l’avoir violée deux fois, en l’étranglant avec un câble électrique. Le tribunal des mineurs accompagna cette condamnation d’une mesure de protection, fondée sur le droit pénal des mineurs, en la forme d’un placement en établissement spécialisé fermé, ainsi qu’un traitement ambulatoire des troubles psychiques présentés par le requérant.
7. Le requérant purgea sa peine au centre d’exécution des mesures pour adolescents et jeunes adultes délinquants de sexe masculin, âgés de 17 à 26 ans, à Uitikon.
8. Le 7 mai 2012, le procureur des mineurs (Jugendanwaltschaft) du canton d’Argovie demanda à l’office du district (Bezirksamt) de Lenzbourg de placer et de traiter le requérant lorsqu’il aurait 22 ans révolus, à savoir le 17 août 2012, dans un établissement approprié et, notamment, sécurisé.
9. Le 20 juin 2012, l’office du district ordonna le placement du requérant à des fins d’assistance, en vertu du premier alinéa de l’article 397a du code civil (paragraphe 38 ci-dessous), dans l’aile de sécurité II (Sicherheitstrakt II) de l’établissement pénitentiaire de Lenzbourg. Il fut demandé à la direction de cet établissement de faire en sorte que le requérant suivît un traitement pour les troubles d’ordre psychique dont il souffrait, à savoir que la psychothérapie judiciaire intensive centrée sur la personnalité de l’intéressé et l’infraction commise (persönlichkeits. und deliktsorientierte forensische Psychotherapie), déjà en cours dans le centre d’exécution des mesures de Uitikon, fût continuée.
10. Le 6 août 2012, le tribunal administratif du canton d’Argovie (« le tribunal administratif ») rejeta le recours du requérant formé contre cette décision.
11. Le requérant fut transféré à l’établissement pénitentiaire le 17 août 2012.
12. Par un arrêt du 5 septembre 2012, publié dans le Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (ATF) sous le numéro de référence 138 III 593, le Tribunal fédéral rejeta en dernière instance le recours en matière civile du requérant. L’arrêt, rédigé en langue allemande, était motivé comme suit (d’après la traduction proposée par le Journal des tribunaux (JdT) 2013 II, pages 233 et suivantes) :
« (...)
3. Une personne majeure ou interdite peut être placée ou retenue dans un établissement approprié lorsque, en raison de maladie mentale, de faiblesse d’esprit, d’alcoolisme, de toxicomanie ou de grave état d’abandon, l’assistance personnelle nécessaire ne peut lui être fournie d’une autre manière (art. 397a al. 1er [du Code civil ; ci-après : « CC »]). Le placement, [c’est-à-dire] le maintien dans un établissement en vertu de l’art. 397a CC exige que la personne concernée ait besoin en raison des états de faiblesse énoncés dans la loi d’une assistance personnelle qui ne peut lui être apportée que dans un établissement (...). L’énumération des états de faiblesse contenue à l’art. 397a al. 1er CC est exhaustive (...). En particulier, la loi ne prévoit pas une privation de liberté à des fins d’assistance pour le seul motif de la mise en danger d’autres personnes (...).
4.2 (...) Quant à l’exigence de l’état de faiblesse, le tribunal administratif explique ailleurs, en se fondant sur le dossier, en particulier le rapport d’expertise psychiatrique du Dr en médecine E. du 15 juillet 2010 et le rapport complémentaire du Dr en médecine F. du 29 septembre 2011, le rapport du centre de mesures pour jeunes adultes du 6 juin 2012 et les déclarations des thérapeutes qui assument le traitement, qu’il arrive à conclure en fait que le recourant souffre d’une maladie mentale, à savoir un sadisme sexuel (DSM-IV : 302.84 et ICD-10 : F65.5) ainsi que d’un trouble de la personnalité de type antisocial (DSM-IV : 301.6 et ICD-10 : F60-2). Selon le tribunal administratif, ce diagnostic est corroboré par les indications du recourant, d’après lesquelles il se montre après comme avant troublé par ses visions sadiques et désigne, en réponse à une question, le risque de récidive pour des actes comparables à ceux du 10 février 2008 à 40%. Le tribunal administratif tire de ces données de fait la conclusion, en droit, que le comportement du recourant doit être qualifié après comme avant comme aberrant et grossièrement étrange, de telle sorte qu’il faut admettre une maladie mentale au sens du code civil (...). Le recourant n’avance aucun argument qui remette en question les constatations de fait ou les conclusions juridiques de l’autorité cantonale. Ainsi, contrairement à l’affirmation du recourant, un état de faiblesse au sens de l’art. 397a al. 1 CC est établi. (...)
5.2 Il convient ici de renvoyer aux explications données dans le rapport actualisé du centre d’exécution des mesures sur les jeunes adultes, du 6 juin 2012, où le risque de récidive que présente le recourant en raison de sa maladie mentale est évalué comme « net à très élevé ». De fait, il résulte presque nécessairement du fait qu’un malade mental pourrait mettre en danger autrui un besoin d’aide et d’assistance. En effet, celui qui menace la sécurité d’autrui a besoin d’une assistance personnelle (...). Cette manière de voir doit être admise en tout cas en l’espèce, du moment que le recourant présente après comme avant un grave danger pour la vie et l’intégrité corporelle de tiers. Il ne résulte en principe rien d’autre de l’art. 426 [nouveau] CC, qui énonce les conditions d’un placement à des fins d’assistance en vigueur à partir du 1er janvier 2013. Cette disposition ne connaît pas non plus la mise en danger d’autrui comme motif de placement. La protection des tiers doit néanmoins être prise en compte dans l’appréciation, d’autant que le mandat de protection comprend aussi le soin de détourner une personne malade ou qui n’a plus tous ses esprits de commettre un crime grave (...). Dans cette mesure, l’opinion du tribunal administratif selon laquelle le recourant doit être traité dans un établissement approprié pour réduire le risque sérieux de récidive n’est pas contraire au droit fédéral. Comme il est établi qu’il subsiste un risque sérieux que le recourant commette une infraction contre la vie ou l’intégrité corporelle, il n’est pas dans son intérêt de le laisser à son propre sort sans traitement psychiatrique. Dans cette mesure, le besoin d’une assistance sous la forme d’un traitement de la maladie mentale est établi. (...)
9. En bref, il faut retenir que le recourant souffre d’une maladie mentale et présente ainsi un état de faiblesse au sens de l’art. 397a al. 1 CC. Le recourant a besoin en outre de soins sous la forme d’un traitement de sa maladie qui en raison de la situation à risque concrète ne peut être exécuté que dans un établissement. L’[établissement pénitentiaire] désigné par l’Office de district correspond actuellement encore aux exigences d’un établissement approprié au sens de l’art. 397a al. 1 CC, respectivement de l’art. 5 CEDH. »
13. Le 11 mars 2013, le requérant déposa une requête de libération auprès du tribunal de famille (tribunal de district) de Lenzbourg (Familiengericht ; « le tribunal de famille »). Par une décision du 18 juin 2013, celui-ci confirma le placement de l’intéressé et le prolongea jusqu’en décembre 2013.
14. Le 5 juillet 2013, le tribunal administratif rejeta le recours du requérant.
15. Dans l’arrêt 5A_614/2013 du 22 novembre 2013, le Tribunal fédéral confirma, entre autre, en se référant à son arrêt de principe (paragraphe 12 ci-dessus), que le nouvel article 426 du code civil constituait une base légale suffisante pour le placement à des fins d’assistance du requérant.
16. Le 27 janvier 2014, le placement à des fins d’assistance du requérant dans l’établissement pénitentiaire fut provisoirement prolongé par le tribunal de famille.
B. L’objet du litige : l’arrêt du Tribunal fédéral 5A_500/2014 du 8 juillet 2014
17. Par la suite, le requérant demanda de nouveau sa mise en liberté. Le 10 avril 2014, le tribunal de famille confirma son placement à des fins d’assistance dans l’établissement pénitentiaire jusqu’en avril 2015.
18. Le 2 mai 2014, le recours du requérant contre cette décision fut rejeté par le tribunal administratif.
19. Dans l’arrêt 5A_500/2014 du 8 juillet 2014, qui fait l’objet de la présente requête, le Tribunal fédéral rappela qu’il avait déjà jugé dans son arrêt de principe (paragraphe 12 ci-dessus) que les conditions de l’ancien article 397a du code civil étaient remplies en l’espèce, et estimé que le requérant représentait un risque élevé pour autrui et qu’il devait donc être soigné sur cette base. Par ailleurs, le Tribunal fédéral estima qu’il ne pouvait pas revenir sur son arrêt 5A_614/2013 du 22 novembre 2013 (paragraphe 15 ci-dessus), entré en force de chose jugée, dans lequel il avait statué que le nouvel article 426 du code civil constituait une base légale suffisante pour le placement à des fins d’assistance du requérant. Partant, il déclara le grief du requérant irrecevable.
20. Enfin, dans la mesure où le requérant se plaignait de ne pas avoir été placé dans une institution appropriée, comme l’imposait selon lui le premier alinéa de l’article 426 du code civil, la haute juridiction suisse estima que la loi ne définissait pas ce qu’il fallait entendre par « établissement approprié ». Elle indiqua cependant qu’il découlait du but de la disposition en question qu’une telle institution devait disposer de ressources personnelles et organisationnelles suffisantes afin de répondre de façon satisfaisante aux besoins essentiels de celui qui y était placé pour recevoir soins et assistance. Partant, elle considéra que le placement dans un établissement pénitentiaire n’était pas absolument exclu, mais qu’il ne pouvait être envisagé que dans des situations exceptionnelles, comme celles de l’espèce, et s’il remplissait les conditions précitées. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal fédéral conclut que, eu égard au risque toujours élevé posé par le requérant pour la sécurité d’autrui et à l’impossibilité de trouver une institution plus adaptée acceptant de prendre en charge l’intéressé, l’unité de sécurité de l’établissement pénitentiaire devait être considérée comme une « institution appropriée ».
C. Événements ultérieurs
21. Le 30 avril 2015, le tribunal de famille prolongea le placement du requérant jusqu’en avril 2016 et ordonna de le transférer le plus vite possible de l’aile de sécurité II à l’unité générale d’exécution des peines de l’établissement pénitentiaire (Normalvollzug im Zentralgefängnis der Justizvollzugsanstalt).
22. Le recours du requérant contre cette décision fut rejeté le 5 juin 2015 par le tribunal administratif.
23. Par l’arrêt 5A_692/2015 du 11 novembre 2015, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant. Il nota que, le 18 août 2015, le requérant avait été transféré à l’unité générale d’exécution des peines de l’établissement pénitentiaire, après avoir passé trois années dans l’aile de sécurité II.
24. La prolongation du placement à des fins d’assistance du requérant fut de nouveau confirmée, en dernière instance, par le Tribunal fédéral dans son arrêt 5A_617/2016 du 9 novembre 2016, où la cour suprême suisse rappela également que les conditions pour ordonner un placement à des fins d’assistance sont exclusivement énoncées à l’article 426 du code civil (« (...), dass sich aus Art. 19 JStG mit Bezug auf die fürsorgerische Unterbringung nichts gewinnen lässt, zumal deren Voraussetzungen ausschliesslich in Art. 426 ZGB geregelt [sind]. »).
25. Dans sa décision du 11 juin 2018, le tribunal de famille prolongea le placement du requérant jusqu’à fin septembre 2018 et décida que, après cette date, la mesure de placement serait mise en œuvre sous la forme d’un placement dans un logement externe.
26. Le 27 septembre 2018, le tribunal de famille ordonna la poursuite du traitement psychothérapeutique ambulatoire du requérant et décida que le placement, maintenu, serait désormais mis en œuvre sous la forme d’un placement dans un logement externe. Il indiqua que le requérant serait logé dans un appartement individuel avec sa nouvelle partenaire, ou, si cela n’était pas possible, dans un appartement qu’il partagerait avec d’autres hommes.
27. Le 28 septembre 2018, le requérant fut transféré vers le logement externe. Aucune partie ne forma de recours contre cette décision.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Loi fédérale du 20 juin 2003 régissant la condition pénale des mineurs (« Droit pénal des mineurs », « DPMin » ; Recueil systématique de la législation fédérale suisse – RS – 311.1)
28. Les dispositions pertinentes du droit interne, applicables à l’époque des faits, sont libellées comme suit :
Article 10 - Prononcé des mesures de protection
« 1 Si le mineur a commis un acte punissable et que l’enquête sur sa situation personnelle conclut à la nécessité d’une prise en charge éducative ou thérapeutique particulière, l’autorité de jugement ordonne les mesures de protection exigées par les circonstances, que le mineur ait agi de manière coupable ou non.
2 (...)
Article 14 - Traitement ambulatoire
1 Si le mineur souffre de troubles psychiques, de troubles du développement de sa personnalité, de toxicodépendance ou d’une autre addiction, l’autorité de jugement peut ordonner un traitement ambulatoire.
2 (...)
Article 15 - Placement – a. Contenu et conditions
1 Si l’éducation ou le traitement exigé par l’état du mineur ne peuvent être assurés autrement, l’autorité de jugement ordonne son placement. Ce placement s’effectue chez des particuliers ou dans un établissement d’éducation ou de traitement en mesure de fournir la prise en charge éducative ou thérapeutique requise.
2 L’autorité de jugement ne peut ordonner le placement en établissement fermé que :
a. si la protection personnelle ou le traitement du trouble psychique du mineur l’exigent impérativement ; ou
b. si l’état du mineur représente une grave menace pour des tiers et que cette mesure est nécessaire pour les protéger.
3-4 (...)
Article 19 - Fin des mesures
1 L’autorité d’exécution examine chaque année si et quand la mesure peut être levée. Elle la lève si son objectif est atteint ou s’il est établi qu’elle n’a plus d’effet éducatif ou thérapeutique.
2 Toutes les mesures prennent fin lorsque l’intéressé atteint l’âge de 22 ans.
3 Si la fin d’une mesure expose l’intéressé à des inconvénients majeurs ou compromet gravement la sécurité d’autrui et qu’il ne peut être paré d’une autre manière à ces risques, l’autorité d’exécution requiert en temps utile les mesures tutélaires appropriées.
4 (...)
Article 25 - Privation de liberté - a. Contenu et conditions
1 (...)
2 Est condamné à une privation de liberté de quatre ans au plus le mineur qui avait seize ans le jour de l’infraction:
a. (...) ;
b. s’il a commis une infraction (...) en faisant preuve d’une absence particulière de scrupules, notamment si son mobile, sa façon d’agir ou le but de l’acte révèlent des dispositions d’esprit hautement répréhensibles. »
29. Quant à l’article 19 al. 3 DPMin, le message du Conseil fédéral concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire ainsi qu’une loi fédérale régissant la condition des mineurs du 21 septembre 1998 (Feuille fédérale (FF) 1999 I 1787, 2047) est libellé comme suit :
« Lorsque les mesures de protection prévues par le droit pénal des mineurs n’ont pas encore porté leurs fruits, leur suppression qu’impose l’âge limite atteint par le jeune adulte peut comporter des inconvénients majeurs pour lui-même ou pour la sécurité d’autrui, à moins que des dispositions adéquates ne soient ordonnées à leur place. La poursuite des mesures relevant uniquement du droit civil, [l’art. 19 al. 3 DPMin] exige de l’autorité d’exécution qu’elle requière [...] les mesures tutélaires appropriées, voire l’internement aux fins d’assistance. »
30. Il est à noter que la limite d’âge de l’article 19 al. 2 DPMin a été portée à 25 ans à partir du 1er juillet 2016.
31. Dans son arrêt 5A_228/2016 du 11 juillet 2016, le Tribunal fédéral a constaté que ni le nouveau ni l’ancien droit ne contenait de base légale explicite permettant de détenir une personne ayant atteint l’âge de 22 ans (ou, selon le nouveau droit, 25 ans) et qui continuerait à être dangereuse pour autrui au terme de la mesure relevant du droit pénal des mineurs prise à son encontre (« Weder das neue noch das alte Recht enthält eine explizite gesetzliche Grundlage für die Zurückbehaltung eines nach Ende der jugendstrafrechtlichen Massnahme weiterhin fremdgefährlichen Straftäters über die Altersgrenze von 22 resp. nun 25 Jahren hinaus. »). L’article 19 alinéa 3 DPMin oblige seulement l’autorité d’exécution de requérir en temps utile les mesures tutélaires appropriées, parmi lesquelles le placement à des fins d’assistance, dont les conditions sont exclusivement énoncées à l’article 426 du code civil.
32. En mars 2016, la motion parlementaire 16.3142 (A. Caroni) a été déposée. Elle demandait au Conseil fédéral de proposer des modifications législatives afin que l’autorité compétente puisse ordonner les mesures nécessaires (ou la continuation de celles-ci) à l’encontre de jeunes qui compromettent gravement la sécurité de tiers lorsque des mesures de protection relevant du droit pénal des mineurs ordonnées à leur encontre prennent fin parce qu’ils ont atteint l’âge limite fixé par la loi. Le problème y est décrit de la façon suivante :
« Les mesures de protection relevant du DPMin comportent une dangereuse lacune lorsque les jeunes à l’encontre desquels des mesures ont été ordonnées représentent une grave menace pour la sécurité de tiers. Parmi les mesures de protection prévues par le DPMin, l’autorité peut ordonner le placement en établissement fermé « si la protection personnelle ou le traitement du trouble psychique » le requiert (art. 15 al. 2 let. a) ou si le mineur « représente une grave menace pour des tiers et que cette mesure est nécessaire pour les protéger » (art. 15 al. 2 let. b). Cependant, dès que le jeune a 22 ans (ou 25 ans selon le nouveau droit), toutes les mesures prennent fin (art. 19 al. 2 DPMin). L’autorité d’exécution peut certes requérir « les mesures tutélaires appropriées » si la menace subsiste (art. 19 al. 3 DPMin), mais ces mesures tutélaires ne sont conçues que pour les cas où le jeune a lui-même besoin de protection en raison de troubles psychiques, de déficience mentale ou de grave état d’abandon (art. 426 du code civil). Dès lors, si les mesures ordonnées en vertu de l’article 15 alinéa 2 lettre a DPMin (mise en danger de sa propre personne ou trouble psychique) peuvent être prolongées, celles ordonnées notamment en vertu de l’article 15 alinéa 2 lettre b DPMin (pure mise en danger de tiers, pas de trouble psychique) doivent impérativement prendre fin. Selon le Tribunal fédéral, on peut aussi voir un besoin de protection personnelle au sens de l’article 426 du code civil dans le simple fait de mettre un tiers en danger (cf. ATF 138 III 593, considérant 5.2). Cette jurisprudence a cependant été vivement critiquée par la doctrine (...). »
33. Le 4 mai 2016, le Conseil fédéral a proposé d’accepter la motion. Celle-ci a été adoptée par les deux chambres du Parlement fédéral en juin et en septembre 2016 respectivement.
34. Les travaux législatifs sont actuellement en cours (voir Chancellerie de la Confédération Suisse (éd.), Objectifs du Conseil fédéral 2019, vol. 2, Berne 2018, page 13 : «Le Conseil fédéral a ouvert la consultation sur une modification du code pénal visant à renforcer la sécurité concernant les criminels dangereux (en exécution des mo[tions] Rickli 11.3767, CAJ‑ CN 16.3002, Caroni 16.3142 et Guhl 17.3572). »)
B. Code de la procédure pénale du 5 octobre 2007 (« CPP » ; RS 312.0)
35. Le deuxième alinéa de l’article 221 CPP prévoit que la détention préventive peut aussi être ordonnée « s’il y a sérieusement lieu de craindre qu’une personne passe à l’acte après avoir menacé de commettre un crime grave. »
C. Constitution fédérale du 18 avril 1999 (« Cst.féd. » ; RS 101)
36. En vertu de la troisième phrase du premier alinéa de l’article 36 de la Constitution fédérale, la clause générale de police autorise le pouvoir exécutif ou législatif, dans des situations exceptionnelles et urgentes, à prendre des mesures indispensables pour protéger les biens de police, en particulier l’ordre public, d’un « danger grave, direct et imminent ». La clause générale de police supplée à l’absence d’une base légale formelle.
D. Code civil du 10 décembre 1907 (« CC » ; RS 210)
37. Jusqu’à l’entrée en vigueur de l’article 397a du code civil, la privation de liberté à des fins d’assistance des majeurs (pour les interdits, voir l’ancien article 406 du code civil), généralement désignée par le terme « internement administratif » (administrative Versorgung), était réglementée par les lois cantonales (voir l’aperçu dans le message du Conseil fédéral du 17 août 1977 concernant la modification du code civil suisse (privation de liberté à des fins d’assistance) et le retrait de la réserve apportée à l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; FF 1977 III 1, pages 9 et suivantes). La plupart des cantons ont réglementé l’internement administratif dans plusieurs lois, par exemple dans la loi sur l’hygiène publique, lorsqu’il s’agissait de maladie psychique, et dans la loi sur l’assistance publique ou l’assistance sociale en cas d’ivrognerie ou de vie déréglée et de fainéantise. Selon le message cité ci‑dessus, le champ d’application pour l’internement administratif était vaste et très variable, notamment « lorsque quelqu’un mettait en danger sa propre personne, des tiers, l’ordre et la sécurité publics, ou tombait à la charge de l’assistance publique. Dans certains cantons, il suffisait d’être dépourvu de ressources financières, de compromettre l’entretien de sa famille ou de provoquer des scandales publics. » Eu égard à de tels actes législatifs, la Suisse a dû, lors de la ratification de la Convention, le 28 novembre 1974, formuler une réserve au sujet de l’article 5 concernant les conditions auxquelles est subordonnée la privation de liberté et la procédure applicable en la matière. Avec l’entrée en vigueur des articles 397a et suivants du code civil (paragraphe 38 ci-dessous), qui ont restreint considérablement le champ d’application et les conditions pour ordonner une privation de liberté à des fins d’assistance et ont exclu l’internement administratif cantonal, la Suisse a retiré sa réserve en 1982.
38. L’ancien article 397a du code civil (voir également, à ce propos, H.M. c. Suisse, no 39187/98, § 28, CEDH 2002‑II) était libellé comme suit :
Chapitre VI : De la privation de liberté à des fins d’assistance
Article 397a - Conditions
« 1 Une personne majeure ou interdite peut être placée ou retenue dans un établissement approprié lorsque, en raison de maladie mentale, de faiblesse d’esprit, d’alcoolisme, de toxicomanie ou de grave état d’abandon, l’assistance personnelle nécessaire ne peut lui être fournie d’une autre manière.
2 En l’occurrence, il y a lieu de tenir compte aussi des charges que la personne impose à son entourage.
3 (...). »
39. Dans son message de 1977, cité ci-dessus, le Conseil fédéral a souligné (FF 1977 III 28) que :
« Le placement ou le maintien d’une personne dans un établissement doit permettre à celle-ci de recevoir l’assistance personnelle dont elle a besoin. Si cette assistance n’est pas indispensable, l’article 397 a n’est pas applicable. »
40. L’article 426 du code civil, qui a remplacé, au 1er janvier 2013, l’ancien article 397a du code civil, est libellé comme suit :
Chapitre III. Placement à des fins d’assistance ou de traitement
Article 426 – A. Mesures - I. Placement à des fins d’assistance ou de traitement
« 1 Une personne peut être placée dans une institution appropriée lorsque, en raison de troubles psychiques, d’une déficience mentale ou d’un grave état d’abandon, l’assistance ou le traitement nécessaires ne peuvent lui être fournis d’une autre manière.
2 La charge que la personne concernée représente pour ses proches et pour des tiers ainsi que leur protection sont prises en considération.
3 La personne concernée est libérée dès que les conditions du placement ne sont plus remplies.
4 La personne concernée ou l’un de ses proches peut demander sa libération en tout temps. La décision doit être prise sans délai. »
41. À l’égard du placement à des fins d’assistance au sens de l’article 426 du code civil, le Conseil fédéral exposa dans son message concernant la révision du code civil suisse (Protection de l’adulte, droit des personnes et droit de la filiation) du 28 juin 2006 (FF 2006 6635, 6695 s.) :
« Bien que le placement à des fins d’assistance soit destiné à protéger la personne concernée et non son entourage, il faudra tenir compte des intérêts en présence. (...) La protection des tiers est un facteur qui doit lui aussi être pris en compte lors de l’appréciation de la situation, même s’il n’est pas déterminant à lui seul. Empêcher une personne n’ayant plus tous ses esprits de commettre un crime grave fait partie du mandat qu’a l’autorité de protéger la personne concernée. (...) »
III. DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE
42. L’article 17 du chapitre I de la Recommandation Rec(2004)10 du Comité des Ministres aux États membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux énonce les critères pour mettre en œuvre la mesure de placement involontaire. Cet article se lit ainsi :
« 1. Sous réserve que les conditions suivantes sont réunies, une personne peut faire l’objet d’un placement involontaire :
i. la personne est atteinte d’un trouble mental ;
ii. l’état de la personne présente un risque réel de dommage grave pour sa santé ou pour autrui ;
iii. le placement a notamment un but thérapeutique ;
iv. aucun autre moyen moins restrictif de fournir des soins appropriés n’est disponible ;
v. l’avis de la personne concernée a été pris en considération. »
43. Le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) au Conseil fédéral suisse relatif à la visite du CPT en Suisse du 13 au 24 avril 2015 (CTP/Inf (2016) 18) est libellé comme suit :
« 135. Au moment de la visite, deux détenus soumis à un placement psychiatrique non volontaire à caractère civil – « placement à des fins d’assistance » – étaient incarcérés à la prison de Lenzburg et la délégation s’est vue confirmer que ces personnes pouvaient parfois aussi être détenues dans des établissements pénitentiaires ou d’autres établissements médico-légaux en Suisse, [...]. Les deux hommes détenus à Lenzburg avaient commis des crimes graves en tant que mineurs et avaient purgé leur peine, puis une mesure de placement en institution. La légalité de leur placement en vertu de la procédure civile, pour l’un d’eux dans un environnement carcéral, avait été confirmée par le Tribunal fédéral, qui avait également décidé que le détenu concerné devait bénéficier d’au moins une heure de thérapie par semaine. La délégation a été informée par le personnel et la direction de l’établissement que cette condition était strictement respectée dans la pratique.
Le CPT doute qu’il soit approprié de placer des personnes, une fois qu’elles ont purgé leur peine et/ou une mesure, dans une prison ou un établissement de psychiatrie légale en vertu de la procédure de placement non judiciaire.»[1]
EN DROIT
I. SUR L’OBJET DE L’AFFAIRE DEVANT LA COUR
44. La Cour estime nécessaire de préciser que l’objet de la présente requête porte uniquement sur les questions traitées dans l’arrêt 5A_500/2014 du Tribunal fédéral du 8 juillet 2014, c’est-à-dire la question de savoir si le placement à des fins d’assistance du requérant durant la période allant du mois d’avril 2014 au mois d’avril 2015, conformément à la décision du tribunal de famille confirmée en dernière instance par le Tribunal fédéral sur la base de l’article 426 du code civil, était conforme à l’article 5 § 1 de la Convention. Les jugements rendus par la cour suprême suisse avant et après cette date n’ont pas été attaqués par le requérant devant la Cour et sont entrés en force de chose jugée. Quoique ces arrêts définitifs, en tant que tels, puissent être utiles, voire nécessaires, afin d’obtenir une vision plus large du développement de l’affaire (« broader view » ; Lorenz c. Autriche, no 11537/11, § 42, 20 juillet 2017), ils ne constituent pas, contrairement à l’avis du requérant, l’objet du présent litige.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
45. Le requérant allègue que son placement à des fins d’assistance pendant la période du mois d’avril 2014 au mois d’avril 2015 ne reposait pas sur une base légale. De plus, il se plaint qu’il n’était pas détenu dans un établissement approprié au sens de la Convention. Il dénonce une violation de l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;
(...) »
46. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
47. Constatant que les griefs du requérant ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
48. Le requérant soutient que, selon la législation nationale, les conditions pour ordonner un placement à des fins d’assistance ne sont pas remplies en l’espèce. En premier lieu, il avance que le droit de la protection de l’adulte tel qu’il est inscrit dans le code civil ne relève pas du droit de la police. Il serait destiné à protéger des personnes qui, en raison de troubles psychiques, constituent une grave menace seulement pour eux-mêmes. Le requérant argue qu’il n’avait aucune intention de se faire du mal. Néanmoins, il aurait été placé à des fins d’assistance pour le seul motif qu’il aurait été dangereux pour autrui. Or, selon lui, l’article 426 du code civil ne prévoit justement pas un tel motif de placement.
49. En deuxième lieu, le requérant soutient que l’aile de sécurité II de l’établissement pénitentiaire dans laquelle il a été détenu du 17 août 2012 jusqu’au mois d’avril/mai 2015 était une institution inappropriée et inadaptée à son état de santé.
b) Le Gouvernement
50. Le Gouvernement indique en premier lieu que le placement du requérant à des fins d’assistance repose sur une base légale qui énonce clairement les conditions de mise en œuvre de cette mesure. Il ajoute que l’application de celle-ci à une personne constituant un risque important pour des tiers en raison de troubles psychiques était déjà prévue dans les travaux préparatoires du législateur et qu’elle a ensuite été confirmée par la jurisprudence. Selon le Gouvernement, à ces considérations s’ajoute le fait que l’application de l’article 426 du code civil est explicitement prévu par l’article 19 al. 3 DPMin.
51. Le Gouvernement expose qu’il découle de l’objectif du placement à des fins d’assistance que l’institution dans laquelle la personne est placée doit disposer des moyens organisationnels et personnels nécessaires pour répondre aux besoins essentiels de la personne concernée en matière d’assistance au traitement. Il indique qu’un établissement pénitentiaire n’est envisagé qu’à titre exceptionnel et uniquement s’il satisfait aux conditions précitées, ce qui serait le cas en l’espèce, où une importance particulière était accordée selon lui à la question de savoir si le requérant y bénéficierait d’un traitement approprié à son état. Le Gouvernement est d’avis que, en comparaison avec une institution psychiatrique ou une clinique, les thérapies offertes au requérant y étaient bonnes, voire plus étendues. Selon lui, les conditions concrètes de la détention du requérant correspondaient au but de la mesure, qui est de fournir à la personne concernée les traitements et l’assistance nécessaires pour lui permettre de retrouver la liberté, tout en garantissant sa sécurité et celle des tiers.
2. L’appréciation de la Cour
a) Récapitulatif des principes pertinents
52. La Cour rappelle que, pour respecter l’article 5 § 1 de la Convention, la détention doit avoir lieu « selon les voies légales » et « être régulière ». En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 de la Convention : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39 et 45, série A no 33, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 47-49, CEDH 2003‑IV, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 143, CEDH 2012, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 125, CEDH 2013, et S., V. et A. c. Danemark [GC], nos 35553/12 et 2 autres, § 74, 22 octobre 2018).
53. Les motifs de détention prévus aux lettres a) à f) de l’article 5 § 1 sont exhaustifs et appellent une interprétation étroite (voir notamment S., V. et A., précité, § 73).
54. Selon la jurisprudence de la Cour, la détention d’une personne souffrant de troubles mentaux en vertu de l’article 5 § 1 (e) de la Convention peut s’imposer non seulement lorsqu’elle a besoin, pour guérir ou pour voir son état s’améliorer, d’une thérapie, de médicaments ou de tout autre traitement clinique, mais également lorsqu’il s’avère nécessaire de la surveiller pour l’empêcher, par exemple, de se faire du mal ou de faire du mal à autrui (Stanev, précité, § 146, CEDH 2012, Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 133, 4 décembre 2018, et Hutchison Reid, précité, § 52). En d’autres termes, pourvu que les conditions soient clairement définies en droit interne (voir, à titre d’exemple, Del Río Prada, précité, § 125, et Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 120, 23 février 2012), la Convention n’interdit pas le placement involontaire pour des préoccupations sécuritaires, à savoir pour le seul motif que l’état de la personne, qui souffre d’un trouble mental, présente un risque réel de dommage grave pour la société (voir également l’article 17 du chapitre I (ii) de la Recommandation Rec(2004)10 du Comité des Ministres aux États membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux ; paragraphe 42 ci-dessus).
b) Application des principes susmentionnés
55. À titre liminaire, la Cour observe que le requérant a été placé à des fins d’assistance dans l’aile de sécurité de l’établissement pénitentiaire pour le seul motif qu’il représentait un danger pour autrui (reine Fremdgefährdung). De surcroît, au moins selon les documents fournis à la Cour, le requérant ne semble jamais avoir fait preuve d’un comportement agressif vis-à-vis du personnel de l’établissement pénitentiaire ni avoir exprimé de menace quelconque pendant sa détention.
56. Il convient d’examiner si la législation suisse prévoit une base légale pour ce motif de placement.
57. À cet égard, la Cour note que le droit pénal des mineurs, notamment le troisième alinéa de l’article 19 DPMin (paragraphe 28 ci-dessus), ne saurait servir de base légale pour la détention du requérant. En effet, cette thèse, soutenue par le Gouvernement, a été expressément rejetée par le Tribunal fédéral (paragraphe 31 ci-dessus). De même, la Cour observe que le requérant n’a pas exprimé de menaces sérieuses (article 221 CPP, paragraphe 35 ci-dessus) et qu’il ne représente pas de danger sérieux, direct et imminent (article 36 Cst.féd., paragraphe 36 ci-dessus) susceptible de légitimer une détention pénale ou une mesure basée sur la clause générale de police. En outre, elle note que d’autres bases légales relevant du droit pénal et du droit administratif de police n’entrent pas en ligne de compte en l’espèce.
58. La Cour note que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les conditions de placement à des fins d’assistance en tant que mesure de privation de liberté relevant du droit de la protection de l’adulte sont réglementées par le code civil de manière exhaustive (paragraphe 24 ci‑dessus). Selon l’article 426 du code civil (comme, déjà, dans l’ancien article 397a du code civil ; paragraphe 38 ci-dessus), le placement est prononcé, entre autres, lorsque la personne concernée souffre de troubles psychiques nécessitant une assistance personnelle ou un traitement qui ne peuvent lui être fournis que dans une institution appropriée. Ces conditions sont cumulatives.
59. En l’occurrence, quant à la première condition, la Cour constate qu’il a été médicalement établi, maintes fois et de manière probante, que le requérant présente des troubles psychiques, à savoir de graves troubles de la personnalité de type antisocial, et un sadisme sexuel (paragraphe 12 ci‑dessus). Par conséquent, rien ne permet à la Cour de douter que cette condition, énoncée à l’article 426 du code civil et qui correspond à sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1 e) de la Convention pour qualifier un individu d’« aliéné » (Winterwerp, précité, § 37), est remplie en l’espèce.
60. La Cour observe que la seconde condition, à savoir le besoin d’assistance personnelle ou de traitement, concerne le but thérapeutique qui est l’objectif principal et le fil conducteur de l’intervention des autorités : protéger la personne concernée et lui fournir l’aide dont elle a besoin, notamment si elle met sa propre personne en danger (Selbstgefährdung). Il doit exister un lien de causalité entre la cause du placement et la nécessité de ce dernier. De même, le critère du besoin d’assistance personnelle permet de distinguer le placement fondé sur l’article 426 du code civil d’autres formes de placement, imposées par une autorité pénale et administrative, qui constituent des mesures de police et poursuivent un autre but : protéger des intérêts publics, en particulier la sécurité des tiers (Fremdgefährdung).
61. La Cour note que, dans les régimes cantonaux de l’internement administratif (paragraphe 37 ci-dessus), il y avait parfois un chevauchement entre ces deux objectifs de protection que le législateur voulait clairement dissocier avec l’entrée en vigueur de l’ancien article 397a du code civil (paragraphe 38 ci-dessus). Elle observe également que l’article 426 du code civil, qui l’a remplacé, poursuit le même but.
62. Néanmoins, la Cour considère que les préoccupations relatives à l’assistance personnelle et les considérations concernant la sécurité sont en quelque sorte entremêlées dans le deuxième alinéa de l’article 426 du code civil, qui prévoit que l’autorité tient compte de la charge que la personne concernée représente pour ses proches et pour des tiers ainsi que la protection de ceux-ci.
63. Quant à cette disposition, la Cour note que le Conseil fédéral en a précisé la portée dans le sens que la protection des tiers peut constituer un élément supplémentaire dans l’appréciation de la situation, mais « n’est pas déterminant à lui seul » (paragraphe 41 ci-dessus). À cet égard, l’autorité compétente doit procéder pour chaque cas concret à une pesée des intérêts en présence : d’un côté, la liberté personnelle de la personne concernée dont l’état exige qu’une aide lui soit fournie (Selbstgefährdung), et de l’autre les droits de la personnalité des proches et des tiers (Fremdgefährdung). Cependant, le seul besoin de protéger la société de la personne concernée ne peut pas justifier un placement à des fins d’assistance. De même, la Cour note que le Tribunal fédéral a expressément souligné dans son arrêt de principe qu’une privation de liberté à des fins d’assistance pour le seul motif de la mise en danger d’autres personnes n’était pas prévu par la loi et ne constituait pas un motif de placement (paragraphe 12 ci-dessus). Il s’ensuit que le deuxième alinéa de l’article 426 du code civil ne saurait pas non plus justifier, en tant que base légale, la détention du requérant.
64. Ces éléments suffisent à la Cour pour constater que le requérant était détenu sans base légale et à titre purement préventif dans l’établissement pénitentiaire. Eu égard au fait que les motifs de détention prévus aux lettres a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention sont d’intérpetation stricte, la « solution » apportée par les autorités suisses, formulée de manière trop générale (voir paragraphe 12 ci-dessus : « celui qui menace la sécurité d’autrui a besoin d’une assistance personnelle ») et sans motivation approfondie, n’y change rien, même en présence de circonstances extraordinaires, comme en l’espèce.
65. La Cour note que le législateur suisse est soucieux de combler cette lacune et que des travaux législatifs sont en cours (paragraphes 32-34 ci‑dessus).
66. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le placement à des fins d’assistance de l’intéressé durant la période allant du mois d’avril 2014 au mois d’avril 2015 dans l’aile de sécurité de l’établissement pénitentiaire n’a pas été effectué selon les voies légales. Partant, elle juge qu’il n’est plus nécessaire de répondre à la question de savoir si l’institution susmentionnée était appropriée.
67. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
68. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
69. Le requérant réclame 616 277,70 euros (EUR), soit 738 112,90 francs suisses (CHF), au titre du dommage matériel qu’il estime avoir subi, ce montant correspondant selon lui aux frais de détention et de thérapie. Il demande en outre 83 622 EUR (soit 100 000 CHF) pour dommage moral.
70. Le Gouvernement indique que les frais de détention et de thérapie sont pris en charge par l’assistance sociale dans la mesure où le requérant ne dispose pas de patrimoine. Le remboursement ne pourrait être exigé que si l’intéressé venait à disposer de moyens suffisants. Ainsi, selon le Gouvernement, le requérant n’a pas réellement subi le préjudice allégué et aucune indemnité ne saurait lui être allouée à ce titre. Quant au tort moral, le Gouvernement, en se référant à la jurisprudence de la Cour, estime qu’un montant de 5 000 CHF, soit 4 182 EUR, serait approprié pour réparer le préjudice moral subi par le requérant.
71. La Cour estime que le requérant n’a pas subi de dommage matériel. En revanche, elle considère qu’il a droit à la réparation du préjudice moral certain qu’il a subi en raison de son maintien en détention sans base légale durant la période comprise entre le mois d’avril 2014 et le mois d’avril 2015. Partant, la Cour lui octroie 25 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
72. Le requérant demande également 43 923 EUR (soit 52 599,10 CHF) pour les frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant les juridictions internes et 7 447 EUR (soit 8 917 CHF), pour ceux qu’il aurait engagés devant la Cour.
73. Le Gouvernement observe qu’il ressort de l’ensemble des décisions internes que le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire, aussi bien pour les frais de procédure que pour ses frais de représentation. Partant, il n’aurait effectué aucune dépense à ce titre. Quant aux frais de représentation devant la Cour, le Gouvernement estime que, en comparaison avec d’autres affaires d’une complexité comparable, ceux-ci sont exagérés. À son avis, une indemnité de 4 000 CHF (soit 3 342 EUR) à ce titre serait appropriée.
74. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 7 000 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
75. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes au taux applicable à la date du règlement :
i. 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 avril 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stephen PhillipsVincent A. De Gaetano
GreffierPrésident
* * *
[1] À noter que les décisions de placement de l’autorité non judicaire, à savoir de l’autorité de protection de l’adulte, peuvent toujours faire l’objet d’un recours devant le juge compétent (cf. article 450 al. 1 du Code civil).