ANCIENNE TROISIÈME SECTION
AFFAIRE CHALDAYEV c. RUSSIE
(Requête no 33172/16)
ARRÊT
STRASBOURG
28 mai 2019
DÉFINITIF
28/08/2019
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Chaldayev c. Russie,
La Cour européenne des droits de l’homme (ancienne troisième section), siégeant en une Chambre composée de :
Vincent A. De Gaetano, président,
Branko Lubarda,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 mai 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33172/16) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Artur Rinatovich Chaldayev (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 février 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me M.V. Tolmacheva, avocat à Saransk. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, M. A. Fedorov, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. M. Galperine, son représentant actuel.
3. Le requérant alléguait que son droit au respect de sa vie privée et familiale n’avait pas été respecté en raison de diverses restrictions aux visites familiales qui lui auraient été imposées pendant sa détention et se plaignait d’avoir été victime d’un traitement discriminatoire dans l’exercice de ce droit.
4. Le 27 avril 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1986. Il est actuellement détenu à Ruzayevka.
6. Le 24 janvier 2013, le requérant, soupçonné d’avoir participé à un vol à main armée, fut mis en examen. Le même jour, une mesure préventive d’interdiction de quitter la ville fut prise à son encontre.
7. Le 29 mars 2013, une mesure de détention provisoire remplaça la mesure d’interdiction de quitter la ville qui lui avait été imposée.
8. Pendant la période du 29 mars 2013 au 4 décembre 2015, le requérant séjourna alternativement dans les maisons d’arrêt nos IZ‑13/1 et IZ‑13/2 de la ville de Saransk, ainsi que dans l’hôpital pénitentiaire no LPU‑21.
9. Par un jugement du 18 mai 2015, le tribunal de l’arrondissement Oktiabrski de la ville de Saransk (« le tribunal ») condamna le requérant à treize ans d’emprisonnement. Celui-ci interjeta appel de cette décision.
10. Le 1er juin 2015, les parents du requérant demandèrent l’autorisation de rendre visite à leur fils.
11. Par une lettre du 3 juin 2015, le juge P. du tribunal rejeta ladite demande au motif que les intéressés avaient déjà bénéficié d’une visite le 28 mai 2015. Le 8 juin 2015, les parents du requérant reçurent la lettre de rejet de leur demande de la part du juge P. Ils se plaignirent de cette décision devant le président du tribunal, soutenant que le rejet en question n’était pas motivé. Dans leur plainte, ils renouvelaient leur demande d’autorisation de rendre visite à leur fils.
12. Par une lettre du 29 juillet 2015, reçue par les parents du requérant le 4 août 2015, le président par intérim du tribunal rejeta leur plainte. Dans sa lettre, il indiquait que, conformément à l’article 18 § 3 de la loi no 103-FZ du 15 juillet 1995 sur la détention provisoire des personnes suspectées ou accusées d’infractions (« la loi no 103-FZ »), le requérant ne pouvait bénéficier que de deux visites courtes par mois à la condition d’avoir obtenu une autorisation en ce sens de la part du tribunal chargé de l’examen de l’affaire pénale le concernant. Soulignant que la limitation du nombre de visites familiales faisait partie des restrictions imposées par le régime de détention provisoire, le président du tribunal estimait qu’il n’y avait pas de raison d’octroyer une visite courte aux parents du requérant.
13. Le 10 août 2015, le requérant demanda l’autorisation de bénéficier d’une visite de ses parents.
14. Par une lettre du 12 août 2015, le président par intérim du tribunal rejeta la demande de l’intéressé sans motiver ce refus.
15. Le 5 octobre 2015, les parents du requérant adressèrent à la Cour suprême de la république de Mordovie (« la Cour suprême »), devant laquelle l’appel interjeté par leur fils contre sa condamnation était pendant, deux demandes d’autorisation de rendre visite à leur proche, l’une tendant au bénéfice d’une visite courte et l’autre au bénéfice d’une visite longue.
16. Par une lettre du 6 octobre 2015, la Cour suprême rejeta lesdites demandes. Dans cette lettre, elle indiquait que seule une personne dont la condamnation pénale était devenue définitive et qui était placée dans un établissement pénitentiaire afin de purger sa peine pouvait bénéficier d’une visite familiale longue. En outre, se fondant sur l’article 77‑1 du code de l’exécution des sanctions pénales et sur le fait que la condamnation du requérant n’était pas définitive, elle estimait que le type et le nombre de visites dont pouvait bénéficier l’intéressé devaient être établis conformément à l’article 18 § 3 de la loi relative à la détention provisoire. Elle concluait que le requérant n’avait pas droit à une visite longue et qu’il n’y avait pas lieu, de surcroît, de lui accorder l’autorisation de bénéficier d’une visite courte de ses parents.
17. Le 16 octobre 2015, l’administration de la maison d’arrêt no IZ‑13/1 refusa d’accorder une visite longue aux parents du requérant pour les mêmes motifs que ceux retenus par la Cour suprême dans sa lettre du 6 octobre 2015.
18. Entre-temps, le 11 octobre 2015, le requérant avait adressé au procureur de la république de Mordovie une plainte par laquelle il dénonçait le nombre et les modalités des visites courtes qu’il avait reçues jusque-là. Plus précisément, s’agissant du déroulement de ces visites, il alléguait que celles‑ci avaient eu lieu dans une salle dotée d’une paroi de séparation qui aurait empêché tout contact physique avec ses proches et, en outre, qu’il n’avait pu avoir de conversations avec ses parents que par le biais d’un dispositif téléphonique mis sur écoute par les agents pénitentiaires.
19. Le 29 octobre 2015, le procureur transmit ladite plainte au directeur de la maison d’arrêt no IZ‑13/1. Par une lettre du 13 novembre 2015, ce dernier répondit au requérant que les modalités des visites litigieuses étaient conformes à la section 16 des règles applicables au régime de détention dans les maisons d’arrêt. Dans ce document, il informait, en particulier, l’intéressé que, lors des visites qui lui étaient rendues à l’établissement pénitentiaire susmentionné, ses visiteurs devaient être séparés de lui par une paroi et ses conversations avec ses proches pouvaient être écoutées.
20. Le 29 octobre 2015, la condamnation du requérant fut maintenue par l’instance d’appel et, par conséquent, devint définitive.
21. Le 27 novembre 2015, le requérant fut transféré dans une colonie pénitentiaire pour purger sa peine d’emprisonnement.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Les modalités des visites aux détenus suspectés ou accusés d’infractions
1. La loi no 103-FZ du 15 juillet 1995 portant sur la détention provisoire des personnes suspectées ou accusées d’infractions
22. Les droits et obligations des personnes placées en détention provisoire sont régis par la loi no 103‑FZ.
23. Selon l’article 17 § 1 alinéa 5 de cette loi, un détenu a le droit de recevoir des visites de ses proches ou d’autres personnes énumérées à l’article 18 de la même loi.
24. Selon l’article 18 de la loi no 103‑FZ, un détenu peut obtenir, sur autorisation écrite de l’agent ou de l’organe chargé de l’affaire pénale le concernant, jusqu’à deux visites par mois de la part de ses proches ou d’autres personnes, d’une durée de trois heures au maximum chacune (paragraphe 3). Les visites s’effectuent sous la surveillance d’un gardien de l’établissement de détention. En cas de tentative de transmission d’objets, de substances ou de produits alimentaires interdits au détenu ou de communication de renseignements susceptibles de nuire à l’enquête pénale ou de contribuer à la commission d’infractions, la visite est interrompue avant terme (paragraphe 4).
2. Le règlement intérieur des maisons d’arrêt
25. Par un arrêté no 189 du 14 octobre 2005, le ministère de la Justice a entériné le règlement intérieur des maisons d’arrêt (« le règlement ») qui complète les dispositions de la loi no103-FZ.
26. Le paragraphe 139 du règlement prévoit qu’un détenu ne peut bénéficier que de deux visites par mois, d’une durée de trois heures au maximum chacune et limitée à deux visiteurs adultes par visite, et qu’une autorisation écrite spécifiant l’identité des visiteurs est nécessaire pour chaque visite. Selon cette disposition, un détenu dont la condamnation n’est pas définitive peut obtenir une autorisation de visite en s’adressant au juge présidant la formation judiciaire ayant prononcé la condamnation ou au président de la juridiction de première instance.
27. Le paragraphe 143 du règlement prévoit que les visites se déroulent en présence d’un gardien de la maison d’arrêt dans une pièce spécialement aménagée, les détenus et leur(s) visiteur(s) étant séparés par une paroi empêchant la transmission de tout objet mais n’empêchant pas le contact visuel et auditif. Cette disposition précise que les conversations entre les détenus et leur(s) visiteur(s) s’effectuent par le biais d’un dispositif de communication pouvant être mis sur écoute par les agents pénitentiaires.
3. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle
28. Par sa décision no 176‑O du 13 juin 2002, la Cour constitutionnelle a rejeté une plainte introduite par M. S., un détenu placé en détention provisoire qui contestait la constitutionnalité de l’article 18 § 3 de la loi no103-FZ. M. S. se plaignait que cette disposition avait permis au juge chargé d’examiner l’affaire pénale dirigée à son encontre de rejeter sa demande tendant à bénéficier d’une visite courte de son épouse. La Cour constitutionnelle a indiqué que la nécessité d’une réglementation législative des visites familiales reposait sur les dispositions de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, approuvé par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, en particulier de son principe 19, et découlait de la spécificité de l’action pénale ainsi que des buts poursuivis par la détention provisoire. Elle a estimé que les limitations apportées à la fréquence, à la durée et aux modalités des visites en prison étaient les conséquences inévitables de la détention provisoire qui consiste à isoler la personne détenue dans un lieu donné sous surveillance et que, de ce point de vue, les articles 17 § 1 alinéa 5 et 18 § 3 de la loi no103-FZ ne représentaient pas en soi des restrictions additionnelles à celles qui résultaient de l’essence même de cette mesure. Elle a néanmoins précisé que l’article 18 § 3 de la loi no103-FZ ne pouvait être interprété comme conférant à l’agent ou à l’organe chargé de l’affaire pénale dirigée à l’encontre de la personne concernée la discrétion de refuser une visite sans motiver ce refus. Selon la Cour constitutionnelle, une décision portant refus d’une visite devait être motivée et pouvait faire l’objet soit d’une contestation devant le procureur soit d’un recours devant un tribunal qui, tenant compte de tous les faits pertinents, devaient apprécier le bien‑fondé de chaque refus de visite opposé au détenu.
29. Par la suite, la Cour constitutionnelle a réitéré cette interprétation de l’article 18 § 3 de la loi no103-FZ à plusieurs reprises, notamment dans la décision no 351‑O du 16 octobre 2003 (qui concernait le cas de Ts., un détenu placé en détention provisoire dont la demande de bénéficier d’une visite longue de son épouse avait été rejetée tant par les autorités d’enquête que par les juridictions chargées d’examiner l’affaire pénale dirigée à son encontre), dans la décision no 1053‑O‑O du 1er octobre 2009 (qui concernait le cas de K., un détenu condamné par un tribunal de première instance et attendant l’examen de son appel, dont la demande tendant à bénéficier d’une visite courte de deux personnes ne relevant pas de la catégorie de ses proches avait été rejetée par la juridiction ayant prononcé sa condamnation), dans la décision no 807‑O‑O du 17 juin 2010 (qui concernait le cas de N., un détenu placé en détention provisoire dont la demande tendant à bénéficier d’une visite courte de sa concubine avait été rejetée par la juridiction chargée d’examiner l’affaire pénale dirigée à son encontre) et dans la décision no 1334‑O du 17 juillet 2012 (qui concernait le cas de B., un détenu condamné par un tribunal de première instance attendant l’examen de son appel et dont la demande tendant à bénéficier d’une visite familiale avait été rejetée par une lettre de la juridiction ayant prononcé sa condamnation).
B. Les modalités des visites aux détenus condamnés
30. Un certain nombre de dispositions du droit interne relatives aux modalités des visites aux détenus condamnés ont été résumées dans l’arrêt Khoroshenko c. Russie ([GC], no 41418/04, §§ 33‑57, CEDH 2015).
1. Dispositions générales
31. En vertu de l’article 89 §§ 1 et 2 du code de l’exécution des sanctions pénales du 8 janvier 1997 (« le CESP »), les détenus condamnés ont le droit de recevoir, dans l’enceinte de l’établissement pénitentiaire, des visites courtes d’une durée maximale de quatre heures et des visites longues de trois jours au plus. Les visites courtes sont l’occasion pour les détenus condamnés de rencontrer les membres de leur famille ou d’autres personnes. Elles durent quatre heures et se déroulent en présence d’un gardien. Les visites longues permettent aux détenus de rencontrer leurs conjoint, parents, enfants, beaux‑parents, gendres et brus, frères et sœurs, grands‑parents, petits‑enfants et, sur autorisation du directeur de l’établissement pénitentiaire, d’autres personnes. Dans un nombre limité de circonstances, les détenus condamnés peuvent être autorisés à recevoir une visite longue de cinq jours au maximum en dehors de l’enceinte de l’établissement pénitentiaire.
32. Selon l’article 77‑1 du CESP, un détenu condamné purgeant sa peine d’emprisonnement dans un établissement pénitentiaire peut être transféré dans une maison d’arrêt afin de participer à une mesure d’instruction en tant que témoin, victime, inculpé ou accusé sur demande de la personne chargée de l’investigation d’une enquête pénale (paragraphe 1) ou bien à un procès judiciaire en tant que témoin, victime ou accusé sur demande d’un juge ou sur décision d’un tribunal (paragraphe 2). D’après le paragraphe 3 de cet article, le régime de détention des détenus condamnés ayant fait l’objet d’un placement dans une maison d’arrêt dans les cas mentionnés aux paragraphes 1 et 2 dudit article est établi conformément à la loi no 103‑FZ et aux conditions de détention dans l’établissement pénitentiaire choisi par le tribunal lors de la fixation de la peine. Selon cette même disposition, un détenu condamné transféré dans une maison d’arrêt en tant qu’inculpé ou accusé bénéficie du droit de recevoir des visites selon les modalités prévues par la loi no 103‑FZ. Un détenu condamné qui est transféré dans une maison d’arrêt en tant que témoin ou victime ne peut pas bénéficier d’une visite longue : celle-ci est remplacée par une visite courte ou par un appel téléphonique.
2. Types de locaux et de régimes dans les établissements pénitentiaires
33. D’après l’article 58 du code pénal du 13 juin 1996 (CP), les détenus purgent leurs peines, selon la gravité des infractions dont ils ont été reconnus coupables, dans l’un ou l’autre des principaux types d’établissements pénitentiaires existants. Dans les différents types de colonies, les détenus condamnés sont soumis, en fonction de divers facteurs, notamment la gravité des infractions qu’ils ont commises et leur conduite en prison, à l’un ou l’autre des trois régimes pénitentiaires, à savoir le régime ordinaire, le régime assoupli ou le régime strict. Dans les prisons, deux types de régimes coexistent : le régime strict et le régime commun.
34. Conformément aux articles 120‑131 du CESP, le nombre de visites courtes et longues dont les détenus condamnés peuvent bénéficier dépend du type de l’établissement pénitentiaire et du régime applicable auquel ils sont soumis et varie entre deux et six visites courtes et longues par an. Conformément à l’article 89 du CESP, la durée maximale de visites courtes reste invariable, c’est‑à‑dire quatre heures, et ne dépend pas des facteurs susmentionnés. La seule exception quant au nombre de visites longues concerne les détenus condamnés à la réclusion à perpétuité soumis au régime strict au sein des colonies pénitentiaires à régime spécial qui ne peuvent pas en bénéficier durant les dix premières années de leur détention (voir, pour plus de détails, Khoroshenko, précité, §§ 42‑53).
III. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
35. Un certain nombre de documents internationaux relatifs au droit de visite des détenus ont été résumés dans l’arrêt Khoroshenko (précité, §§ 58‑80).
36. La Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006, se lit ainsi dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« Partie I
Principes fondamentaux
1. Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme.
2. Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par la décision les condamnant à une peine d’emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire.
3. Les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles ont été imposées.
4. Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme.
5. La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison.
6. Chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté.
(...)
Champ d’application
10.1. Les Règles pénitentiaires européennes s’appliquent aux personnes placées en détention provisoire par une autorité judiciaire ou privées de liberté à la suite d’une condamnation.
Partie II
Conditions de détention
(...)
Contacts avec le monde extérieur
24.1. Les détenus doivent être autorisés à communiquer aussi fréquemment que possible – par lettre, par téléphone ou par d’autres moyens de communication – avec leur famille, des tiers et des représentants d’organismes extérieurs, ainsi qu’à recevoir des visites desdites personnes.
24.2. Toute restriction ou surveillance des communications et des visites nécessaire à la poursuite et aux enquêtes pénales, au maintien du bon ordre, de la sécurité et de la sûreté, ainsi qu’à la prévention d’infractions pénales et à la protection des victimes – y compris à la suite d’une ordonnance spécifique délivrée par une autorité judiciaire ‑ doit néanmoins autoriser un niveau minimal acceptable de contact.
(...)
24.4. Les modalités des visites doivent permettre aux détenus de maintenir et de développer des relations familiales de façon aussi normale que possible.
(...)
Partie VII
Prévenus
Statut des prévenus
94.1. Dans les présentes règles, le terme « prévenus » désigne des détenus qui ont été placés en détention provisoire par une autorité judiciaire avant leur jugement ou leur condamnation.
94.2. Tout État est en outre libre de considérer comme prévenu un détenu ayant été reconnu coupable et condamné à une peine d’emprisonnement, mais dont les recours en appel n’ont pas encore été définitivement rejetés.
Approche applicable aux prévenus
95.1. Le régime carcéral des prévenus ne doit pas être influencé par la possibilité que les intéressés soient un jour reconnus coupables d’une infraction pénale.
95.2. Les règles répertoriées dans cette partie énoncent des garanties supplémentaires au profit des prévenus.
95.3. Dans leurs rapports avec les prévenus, les autorités doivent être guidées par les règles applicables à l’ensemble des détenus et permettre aux prévenus de participer aux activités prévues par lesdites règles.
(...)
Contacts avec le monde extérieur
99. À moins qu’une autorité judiciaire n’ait, dans un cas individuel, prononcé une interdiction spécifique pour une période donnée, les prévenus:
a. doivent pouvoir recevoir des visites et être autorisés à communiquer avec leur famille et d’autres personnes dans les mêmes conditions que les détenus condamnés;
b. peuvent recevoir des visites supplémentaires et aussi accéder plus facilement aux autres formes de communication; et
c. doivent avoir accès aux livres, journaux et autres moyens d’information. »
37. Le 17 décembre 2013, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») a publié son rapport relatif à sa visite effectuée en Russie du 21 mai au 3 juin 2012. Les passages pertinents en l’espèce de ce rapport sont ainsi libellés :
« c. Activités en dehors des cellules et contacts avec le monde extérieur
90. Le CPT est très préoccupé par le fait que, malgré la réforme en cours du système pénitentiaire de la Fédération de Russie, aucune amélioration notable n’a été apportée aux activités en dehors des cellules85 et aux possibilités pour les prévenus de maintenir des contacts avec le monde extérieur. Les prévenus adultes continuaient de passer 23 heures par jour dans leur cellule, avec fort peu de choses pour occuper leur temps, et n’avaient pas le droit de s’associer à d’autres détenus que ceux de leur cellule86 [Cette question était particulièrement préoccupante dans le cas des détenus hébergés seuls, notamment ceux accusés de crimes passibles d’une longue peine (y compris la perpétuité) (ainsi que dans le cas de détenus déjà condamnés qui attendaient le résultat de leur recours)] ; en outre, les appels téléphoniques n’étaient pas permis et les enquêteurs autorisaient rarement les visites. (...).
Le CPT a recommandé à de nombreuses reprises dans le passé de revoir de fond en comble le régime actuellement applicable aux prévenus, qui repose sur la notion erronée d’« isolement ». L’examen des régimes applicables aux prévenus doit prendre pour point de départ la présomption d’innocence et le principe selon lequel les détenus ne doivent pas faire l’objet de plus de restrictions que ce qui est strictement nécessaire pour assurer leur détention dans de bonnes conditions de sécurité et préserver l’intérêt de la justice. Toute restriction devrait être minimale et aussi brève que possible. L’absence quasi totale d’activités constructives pour les prévenus, combinée aux restrictions concernant les contacts avec le monde extérieur et les activités collectives, produit un régime qui est oppressif, abrutissant et menaçant pour la préservation de la santé physique et mentale.
91. Le CPT appelle une nouvelle fois les autorités russes à donner la plus haute priorité à une révision en profondeur du régime applicable aux prévenus, en tenant compte des éléments déjà identifiés par le Comité au paragraphe 66. (...)
Toute restriction/interdiction imposée aux prévenus au sujet des contacts avec les autres détenus et le monde extérieur (visites, appels téléphoniques et correspondance) doit être expressément justifiée par les besoins de l’enquête, approuvée par une autorité judiciaire et limitée dans le temps, avec indication des motifs. »
38. La réponse du gouvernement russe à ce dernier rapport, publié le 17 décembre 2013, renferme les informations suivantes :
« Paragraphes no 90 et 91 du rapport du CPT :
Les droits et libertés des citoyens de la Fédération de Russie sont garantis aux suspects et aux prévenus pendant leur détention avec des exceptions et des restrictions prévues par la loi pénale, la procédure pénale et les autres lois de la Fédération de Russie. Aucune autre restriction ou atteinte à leurs droits et libertés n’est autorisée. Dès lors, dans les centres de détention, toutes les conditions sont remplies pour donner aux suspects et aux prévenus la possibilité d’exercer leurs droits et de protéger leurs intérêts légitimes.
(...)
Les personnes placées en détention provisoire ont aussi le droit de recevoir des visites courtes de leurs proches ou d’autres personnes sur autorisation de l’agent ou de l’organe chargé de la procédure pénale les concernant. Ces visites ont lieu dans des locaux spécialement aménagés en dehors des quartiers sécurisés.
(...)
Sur autorisation écrite de l’agent ou de l’organe chargé de la procédure pénale les concernant, les suspects et les prévenus peuvent se voir accorder jusqu’à deux visites de leurs proches ou d’autres personnes par mois, de trois heures maximum chacune, qui doivent avoir lieu dans des locaux spécialement aménagés. Pour organiser les visites de proches, l’administration prend en compte la nécessité de préserver et de renforcer les liens familiaux, de parenté et sociaux des suspects et des prévenus placés en détention provisoire.
De plus, sur autorisation écrite de l’agent ou de l’organe chargé de la procédure pénale les concernant, les suspects et les prévenus peuvent se voir accorder le droit de passer des appels téléphoniques d’une durée maximale de 15 minutes.
(...)
Actuellement, le plan de développement du système pénal propose d’introduire de nouvelles formes de contact des suspects et des prévenus avec le monde extérieur (en donnant aux personnes placées en détention provisoire la possibilité technique d’utiliser le large éventail des services de télécommunications, dont la communication par vidéoconférence, par courriel, etc.).
Le projet de loi fédérale « portant modification de la loi fédérale « relative à la détention provisoire des suspects et des personnes accusées d’infractions pénales » et d’autres lois de la Fédération de Russie » a pour but de modifier les textes précités en prenant en compte, en particulier, des conclusions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Ananyev et autres c. Russie. L’une des modifications les plus importantes susceptibles d’être introduites dans la loi fédérale concerne la procédure autorisant les suspects et les prévenus à recevoir des visites de leurs proches : ces visites ne seraient plus soumises à la délivrance d’une autorisation spéciale par l’agent ou par l’organe chargé de la procédure pénale (...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
39. Le requérant se plaint d’une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale en raison du nombre limité de visites de ses parents qu’il a pu recevoir à la maison d’arrêt no IZ‑13/1 ainsi que des modalités des visites en question. À cet égard, il dénonce notamment l’impossibilité d’avoir des contacts physiques avec ses proches et la mise sur écoute du dispositif de communication utilisé pour converser avec eux. Il invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
40. Le Gouvernement soutient d’abord que la détention provisoire en tant que mesure restrictive de liberté imposée à une personne accusée d’une infraction pénale poursuit le but de prévenir la commission de nouvelles infractions et les risques de fuite, de collusion et de menaces aux témoins ou aux autres participants à la procédure pénale, et entraîne des restrictions au droit des détenus d’envoyer et de recevoir du courrier et des colis ainsi que de recevoir des visites. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, notamment sur ses décisions nos 176‑O du 13 juin 2002, 1053‑O‑O du 1er octobre 2009 et 1334‑O du 17 juillet 2012 (paragraphes 28‑29 ci‑dessus), le Gouvernement argue que les limitations à la fréquence, à la durée et aux modalités des visites en prison sont les conséquences inévitables de la détention provisoire et que toute décision portant refus d’une visite en prison peut faire l’objet d’une contestation devant le procureur ou d’un recours judiciaire.
41. S’agissant de l’installation de parois dans les parloirs, le Gouvernement expose que l’aménagement de parloirs s’effectue sur la base d’instructions internes et que les parois séparant les visiteurs des détenus servent à empêcher la transmission d’objets interdits lors des visites.
42. Quant à la situation du requérant, le Gouvernement indique que ce dernier a séjourné dans la maison d’arrêt no IZ‑13/1 pendant la période du 23 au 29 avril et du 11 au 17 octobre 2013, du 4 février 2014 au 19 janvier 2015 ainsi que du 12 février au 11 juin et du 20 juillet au 23 novembre 2015. Il soumet à l’appui de sa thèse diverses attestations établies le 7 juin 2017 par l’administration de cette maison d’arrêt. Il en ressort que le requérant a bénéficié de quatre visites familiales courtes de ses proches, les 19 février et 24 mars 2014 et les 2 juin et 3 novembre 2015, et que celles-ci ont duré environ une heure chacune. Le Gouvernement indique que les visites ont eu lieu dans des parloirs aménagés conformément à la réglementation en vigueur. Eu égard au nombre et aux conditions de visites dont le requérant aurait bénéficié, le Gouvernement estime qu’il n’y a pas eu atteinte au droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale.
2. Le requérant
43. Le requérant maintient ses griefs. Il ajoute que, quand bien même les restrictions au droit de visite seraient des conséquences inévitables de la détention, ces restrictions dans son chef ont été déraisonnables car il n’aurait bénéficié que de quatre visites pendant sa détention au sein de la maison d’arrêt no IZ‑13/1. Selon lui, les refus de visites qu’il s’est vu opposer n’étaient pas motivés et les voies de recours pour contester lesdits refus n’ont pas été effectives.
44. S’agissant des modalités des visites obtenues et, notamment, de l’installation de parois dans les parloirs, le requérant indique que le Gouvernement s’est référé à des instructions à usage interne sans cependant les soumettre à l’attention des parties à la procédure, ce qui rend selon lui impossible la vérification de leur compatibilité avec les caractéristiques des parois installées dans la maison d’arrêt no IZ‑13/1. Il soutient qu’il n’était pas nécessaire d’empêcher les contacts physiques avec ses proches pendant les visites de ceux-ci car, selon lui, ils étaient de toute façon surveillés par un gardien qui aurait pu mettre fin aux visites en question en cas de tentative de transmission d’un objet interdit.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
45. La Cour note d’emblée que, dans son formulaire de requête soumis le 3 février 2016, ainsi que dans ses observations sur la recevabilité et le fond de l’affaire soumises le 8 novembre 2017, le requérant n’a dénoncé que les restrictions imposées à son droit de visite pendant sa détention au sein de la maison d’arrêt no IZ‑13/l. Ni le Gouvernement ni le requérant ne se sont prononcés sur la possibilité de l’intéressé de recevoir des visites pendant sa détention au sein de la maison d’arrêt no IZ‑13/2 et de l’hôpital pénitentiaire no LPU‑21 (paragraphe 8 ci‑dessus). Compte tenu des allégations factuelles ainsi formulées par le requérant et eu égard aux principes en matière de délimitation de l’objet d’une affaire qui lui est « soumise » (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 101‑127, 20 mars 2018), la Cour estime que la portée du grief tiré de l’article 8 de la Convention ne concerne que les restrictions imposées au droit de visite du requérant lors de sa détention au sein de la maison d’arrêt no IZ‑13/l.
46. Bien que le Gouvernement n’ait pas argué d’une inobservation par le requérant de la règle des six mois, la Cour rappelle que rien ne l’empêche d’examiner proprio motu cette question, qui touche à sa compétence (Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, § 85, CEDH 2014 (extraits)).
47. La Cour rappelle que, en règle générale, le délai de six mois commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes. Toutefois, lorsqu’il est clair d’emblée que le requérant ne dispose d’aucun recours effectif, le délai de six mois prend naissance à la date des actes ou mesures dénoncés ou à la date à laquelle l’intéressé en prend connaissance ou en ressent les effets ou le préjudice (Svinarenko et Slyadnev, précité, § 86).
48. En l’espèce, elle note que le requérant se plaint tant des rejets de demandes de visites familiales qui avaient été opposés à ses parents les 3 juin, 29 juillet et 6 octobre 2015 et à lui‑même le 12 août 2015 que des modalités dans lesquelles se sont déroulées les visites des 19 février et 24 mars 2014 et des 2 juin et 3 novembre 2015.
49. S’agissant tout d’abord des refus d’accorder des visites opposés au requérant et à ses parents, la Cour estime qu’il s’agissait d’actes instantanés. Elle note que la demande du 1er juin 2015 a été rejetée par une lettre du juge P. du 3 juin 2015 et que les parents du requérant ont pris connaissance de son contenu le 8 juin 2015 (paragraphe 11 ci‑dessus). Estimant que les parents du requérant ont agi dans l’intérêt de leur fils, elle considère donc que c’est le 8 juin 2015 que les intéressés ont pris connaissance de la mesure dont le requérant s’est plaint par la suite devant elle.
50. La Cour note que, selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle russe, tout refus d’une visite peut faire l’objet d’une contestation devant le procureur ou d’un recours judiciaire devant un tribunal (paragraphe 28 ci‑dessus). Elle constate que ni le requérant ni ses parents n’ont saisi le procureur et qu’ils n’ont pas introduit de recours judiciaire pour contester la lettre du juge P. du 3 juin 2015. Toutefois, puisque le Gouvernement n’a pas excipé du non‑épuisement des voies de recours internes, elle estime qu’elle n’a pas à se prononcer sur cette question. Quant à la plainte introduite par les parents de l’intéressé auprès du président du tribunal (paragraphe 12 ci‑dessus), la Cour considère qu’elle ne peut pas être assimilée à un recours judiciaire. Rien n’indique qu’en adressant ladite plainte, les intéressés pouvaient raisonnablement s’attendre à ce qu’elle entraîne un examen effectif de leurs doléances. En effet, dans son formulaire de requête du 3 février 2016, le requérant indiquait que les restrictions apportées à son droit de visite en prison découlaient de l’état du droit russe et notamment de la loi no 103-FZ, et qu’il n’existait donc pas de voies de recours effectives pour contester les restrictions précitées.
51. Il s’ensuit que, en ce qui concerne le rejet de la demande de visite du 1er juin 2015, le délai de six mois au sens de l’article 35 § 1 de la Convention a commencé à courir le 8 juin 2015, date à laquelle les parents du requérant ont pris connaissance de la lettre du juge P. portant rejet de ladite demande, et a pris fin le 8 décembre 2015. La requête ayant été introduite le 3 février 2016, la Cour considère que la partie du grief concernant le rejet de la demande de visite du 1er juin 2015 est tardive et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
52. S’agissant de la demande de visite du 27 juillet 2015 adressée par les parents du requérant au président du tribunal, la Cour note qu’elle a été rejetée par une lettre du 29 juillet 2015, cette dernière étant réceptionnée par les intéressés le 4 août 2015 (paragraphe 12 ci‑dessus). Constatant que le requérant a introduit sa requête dans le délai de six mois suivant la réception de ladite lettre, la Cour estime par conséquent qu’elle est compétente pour examiner la partie du grief concernant le rejet de la demande de visite du 27 juillet 2015.
53. En ce qui concerne les lettres des 12 août et 6 octobre 2015 portant rejet des demandes de visite du requérant et de ses parents respectivement, la Cour estime qu’il ne lui est pas nécessaire d’établir les dates auxquelles les intéressés en ont eu connaissance puisque, en tout état de cause, la présente requête a été introduite dans les six mois suivant la date de l’établissement desdites lettres.
54. S’agissant ensuite de la partie du grief concernant les modalités des visites ayant eu lieu les 19 février et 24 mars 2014 ainsi que les 2 juin et 3 novembre 2015, la Cour observe que, comme il ressort des observations du Gouvernement, les mesures litigieuses, notamment la séparation des visiteurs par une paroi et l’utilisation d’un dispositif de communication pour leurs conversations, s’appliquaient automatiquement à chaque suspect ou accusé en détention provisoire conformément à la législation en vigueur (paragraphe 42 ci‑dessus).
55. À cet égard, la Cour rappelle que, lorsque sont en cause des dispositions légales qui n’ont pas donné lieu à des décisions individuelles visant les requérants mais sont génératrices d’une situation continue, contre laquelle il n’existe pas de recours internes, le problème du délai de six mois de l’article 35 § 1 de la Convention ne peut surgir qu’après la disparition de cette situation ; dans cette hypothèse, tout se passe comme si la violation alléguée se répétait chaque jour, empêchant le délai de courir (Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 83, CEDH 2011 (extraits)). Par ailleurs, la Cour a appliqué le principe d’une « situation continue » dans des affaires concernant les conditions de transfert d’un requérant entre son centre de détention et le tribunal (Fetisov et autres c. Russie, nos 43710/07, 6023/08, 11248/08, 27668/08, 31242/08 et 52133/08, § 75, 17 janvier 2012) ou bien l’enfermement de requérants dans une cage de métal à l’intérieur du prétoire chaque fois qu’ils étaient conduits de leur centre de détention au tribunal pour y suivre leur procès (Svinarenko et Slyadnev, précité, § 86). Elle a jugé notamment que, en cas de répétition des mêmes faits, l’absence de variations notables dans les conditions de détention litigieuses d’une fois à l’autre avait fait naître une « situation continue » propre à faire passer toute la période dénoncée sous sa compétence (ibidem).
56. En l’espèce, la Cour note que le Gouvernement n’a pas allégué qu’il existe un recours effectif contre les dispositions du droit interne qui prévoient l’utilisation de parois et de dispositifs de communication dans les parloirs. Elle ne relève pas non plus de variations notables dans les conditions de visite dont le requérant a bénéficié durant la période de sa détention au sein de la maison d’arrêt du 29 mars 2013 au 27 novembre 2015. Elle considère donc que la situation dénoncée par le requérant était continue et que le délai de six mois a commencé à courir à partir de la fin de celle-ci, c’est‑à‑dire à partir du 27 novembre 2015, date à laquelle l’intéressé a été transféré dans une colonie pénitentiaire pour purger sa peine d’emprisonnement (paragraphe 20 ci‑dessus). La requête ayant été introduite dans les six mois après cette date, la période dénoncée entre donc dans le champ de l’examen de la Cour.
57. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’elle est compétente pour examiner le grief tiré de l’article 8 de la Convention dans ses parties concernant les rejets des demandes de visite opposés au requérant et à ses parents les 29 juillet, 12 août et 6 octobre 2015 ainsi que concernant les modalités des visites ayant eu lieu les 19 février et 24 mars 2014 et les 2 juin et 3 novembre 2015.
58. Constatant que le grief ainsi retenu n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
59. La Cour rappelle que les restrictions apportées à la fréquence, à la durée et aux diverses modalités des visites familiales constituent une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale (Messina c. Italie (no 2), no 25498/94, §§ 61‑62, CEDH 2000-X, Moïsseïev c. Russie, no 62936/00, § 247, 9 octobre 2008, Bogusław Krawczak c. Pologne, no 24205/06, § 112, 31 mai 2011, et Andrey Smirnov c. Russie, no 43149/10, § 38, 13 février 2018).
60. Elle rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 8 de la Convention en raison de refus d’accorder une visite familiale opposé par les autorités russes aux personnes placées en détention provisoire (Moïsseïev, précité, §§ 248‑251, Vlassov c. Russie, no 78146/01, §§ 123‑127, 12 juin 2008, Tereshchenko c. Russie, no 33761/05, §§ 119‑137, 5 juin 2014, Andrey Smirnov, précité, §§ 39‑43) ainsi qu’en raison de la séparation de visiteurs par une paroi (Moïsseïev, précité, §§ 257‑259, et Andrey Smirnov, précité, §§ 51‑56). Elle a notamment considéré que l’article 18 de la loi no 103‑FZ (paragraphe 24 ci‑dessus) ne remplissait pas les critères de « qualité » et de « prévisibilité » puisqu’il conférait aux autorités internes un pouvoir discrétionnaire illimité en matière de visites en prison et ne définissait pas les circonstances dans lesquelles celles-ci pouvaient être refusées (Andrey Smirnov, précité, § 42, et les affaires auxquelles il renvoie). La Cour a en outre jugé que la séparation de visiteurs par une paroi empêchant tout contact physique était injustifiée en l’absence d’éléments concrets démontrant la dangerosité du détenu ou l’existence d’un risque de sécurité ou de collusion (ibidem, § 55).
61. Eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour estime que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.
62. En effet, il n’est pas contesté entre les parties que, les 29 juillet, 12 août et 6 octobre 2015, les juridictions chargées du dossier pénal du requérant ont rejeté les demandes de visite introduites par l’intéressé et par ses parents (paragraphes 12, 14 et 17 ci‑dessus). La Cour constate que les décisions litigieuses, adoptées sous forme de lettres, ne contenaient aucun motif quant au rejet desdites demandes. Les autorités internes se sont simplement référées à l’article 18 § 3 de la loi no 103‑FZ sans démontrer en quoi consistait la nécessité d’empêcher le contact entre le requérant et ses parents. L’administration de la maison d’arrêt a adopté la même approche en réponse à la plainte du requérant transmise par le procureur (paragraphe 19 ci‑dessus).
63. En ce qui concerne les modalités des visites autorisées, la Cour note que le Gouvernement n’a pas contesté que, lors desdites visites, l’intéressé et ses parents étaient séparés par une paroi vitrée et ont communiqué par le biais d’un dispositif téléphonique sous la surveillance d’un gardien. Le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si les conversations échangées par les intéressés à l’aide ce dispositif ont été écoutées. Cependant, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer séparément sur cet aspect du grief car, en tout état de cause, l’intimité des conversations ne pouvait être respectée à cause de la présence d’un gardien.
64. La Cour relève que les restrictions apportées aux visites obtenues par le requérant étaient basées sur le paragraphe 143 du règlement intérieur des maisons d’arrêt et appliquées automatiquement à tout détenu (paragraphe 27 ci‑dessus). À cet égard, elle rappelle que, en matière de droits de visite, l’État ne peut avoir toute latitude pour introduire des restrictions générales sans prévoir une dose de flexibilité permettant de déterminer si les limitations apportées dans chaque cas particulier sont opportunes ou réellement nécessaires (Khoroshenko, précité, §§ 123 et 126). Cependant, elle constate qu’il n’y a eu, en l’espèce, aucun examen préalable de la question de savoir si la nature de l’infraction ou les éléments caractérisant la situation du requérant ou les impératifs de sécurité en vigueur au sein de l’établissement justifiaient la séparation physique entre l’intéressé et ses proches et la présence proche d’un gardien lors des visites de ceux‑ci tout au long de la détention du requérant.
65. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
66. Le requérant allègue avoir été victime d’un traitement discriminatoire dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il se plaint que la durée des visites courtes dont il a pu bénéficier était limitée à trois heures maximum et que, en pratique, elle n’a jamais dépassé une heure. Il se plaint également de ne pas avoir été autorisé, en tant que personne détenue dans une maison d’arrêt dont la condamnation n’était pas définitive, à recevoir une visite longue de ses parents. Il indique qu’un détenu qui a fait l’objet d’une condamnation définitive et qui purge une peine d’emprisonnement dans un établissement pénitentiaire bénéficie du droit de recevoir des visites longues et des visites courtes d’une durée maximale de quatre heures. Il invoque l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 de la Convention, ainsi libellés en leurs parties pertinentes en l’espèce :
Article 8
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
67. Le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur ce point.
A. Sur la recevabilité
68. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
69. La Cour examinera cet aspect de l’affaire à la lumière des principes applicables en matière d’interdiction de la discrimination réitérés dans son arrêt Fábián c. Hongrie ([GC], no 78117/13, §§ 112‑117, 5 septembre 2017).
1. Sur l’applicabilité de l’article 14 de la Convention aux faits de l’espèce
70. La Cour observe que le requérant se plaint de l’effet prétendument discriminatoire produit par les dispositions du droit interne relatives au droit de visite des détenus, notamment l’article 18 de la loi no 103-FZ (paragraphe 24 ci‑dessus) et l’article 89 du CESP (paragraphe 31 ci‑dessus). Elle note que, comme il a été rappelé aux paragraphes 60 et 64 ci‑dessus, les personnes privées de leur liberté ne perdent pas leur droit au respect de leur vie familiale, de sorte que toute restriction à ce droit doit être justifiée dans chaque cas (Khoroshenko, précité, § 117). Les restrictions apportées à la fréquence, à la durée et aux diverses modalités des visites en prison ont eu une incidence sur le droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention. La Cour admet donc que les faits de l’espèce tombent « sous l’empire » de l’article 8 de la Convention, aux fins de l’applicabilité de l’article 14 (voir, dans le même sens, Laduna c. Slovaquie, no 31827/02, § 54, CEDH 2011, Varnas c. Lituanie, no 42615/06, § 111, 9 juillet 2013, Costel Gaciu c. Roumanie, no 39633/10, § 51, 23 juin 2015, et Alexandru Enache c. Roumanie, no 16986/12, §§ 54‑58, 3 octobre 2017).
2. Sur le point de savoir si le requérant se trouvait dans une « autre situation »
71. La Cour a établi dans sa jurisprudence que seules les différences de traitement fondées sur une caractéristique identifiable, ou « situation », sont susceptibles de revêtir un caractère discriminatoire aux fins de l’article 14. L’expression « toute autre situation » a généralement reçu une interprétation large ne se limitant pas aux caractéristiques qui présentent un caractère personnel en ce sens qu’elles sont innées ou inhérentes à la personne (Khamtokhu et Aksenchik c. Russie [GC], nos 60367/08 et 961/11, § 61, 24 janvier 2017).
72. Elle rappelle que la détention provisoire d’une personne peut être considérée comme plaçant l’intéressé dans une situation juridique distincte qui, même si elle peut être imposée contre le gré de l’intéressé et si elle est généralement temporaire, est indissociable de la situation personnelle et de l’existence de l’individu (Costel Gaciu, précité, § 52, Laduna, précité, § 55). En l’espèce, elle note que le requérant était placé en détention provisoire jusqu’à la confirmation de sa condamnation par l’instance d’appel, c’est‑à‑dire jusqu’au 29 octobre 2015 (paragraphe 20 ci‑dessus). Étant donné que les restrictions au droit de visite du requérant étaient liées à son statut de prévenu placé dans une maison d’arrêt, elle considère que la détention provisoire de l’intéressé relève de la notion d’« autre situation » au sens de l’article 14 de la Convention.
3. Sur le point de savoir si la situation du requérant était comparable à celle d’un détenu condamné
73. Les griefs du requérant qui font l’objet de l’examen de la Cour se rapportent aux dispositions juridiques régissant les droits en matière de visite. Le requérant, en tant que personne détenue dans une maison d’arrêt et dont la condamnation n’était pas définitive, pouvait bénéficier de visites courtes d’une durée maximale de trois heures et ne pouvait pas bénéficier de visites longues, conformément à l’article 18 § 3 de la loi no 103-FZ, alors qu’un détenu condamné purgeant sa peine d’emprisonnement dans un établissement pénitentiaire avait droit à une visite courte de quatre heures au maximum et à une visite longue de trois jours au maximum, conformément à l’article 89 du CESP (paragraphes 24 et 31 et ci‑dessus).
74. Il s’agit donc de groupes de personnes privées de leur liberté à différents stades d’une procédure pénale : d’un côté, celles dont la condamnation n’est pas définitive et, de l’autre, celles dont la condamnation a acquis force de chose jugée. Cependant, la Cour estime que le fait que la situation du requérant, qui faisait partie du premier groupe, n’est pas totalement analogue à celle d’un détenu condamné, relevant du second, et que l’existence entre les divers groupes de différences fondées sur le but de la privation de liberté n’exclut pas l’application de l’article 14 de la Convention (Laduna, précité, §§ 56‑58, Varnas, précité, §§ 111‑114, et Costel Gaciu, précité, §§ 53‑55 ; comparer également avec Clift c. Royaume‑Uni, no 7205/07, §§ 66‑68, 13 juillet 2010). En d’autres termes, si les détenus placés en détention provisoire ne se trouvent pas dans une situation identique à celle de détenus condamnés à une peine d’emprisonnement en ce qui concerne les buts respectifs de leur détention, leurs situations peuvent néanmoins être comparables en ce qui concerne leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Dans ce contexte, la Cour tient compte des règles pénitentiaires européennes dont le champ d’application, conformément à la règle 10.1, inclut tous les détenus, c’est‑à‑dire autant les personnes placées en détention provisoire par une autorité judiciaire que celles privées de liberté à la suite d’une condamnation (paragraphe 36 ci‑dessus).
75. En effet, en tant que personnes privées de leur liberté, tant les détenus dont la condamnation n’est pas définitive que ceux dont la condamnation a acquis force de chose jugée continuent de bénéficier de leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Les dispositions de la loi no 103‑FZ et du CESP, mises en cause par le requérant, délimitent ainsi l’étendue des restrictions à la vie privée et familiale inhérentes à la privation de liberté. La Cour estime donc que le requérant se trouvait dans une situation comparable à celle d’un détenu condamné.
4. Sur la question de savoir si la différence de traitement était justifiée
76. Une différence de traitement est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement. L’étendue de cette marge varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (Fábián, précité, §§ 114‑115). La Cour a admis qu’une vaste marge d’appréciation s’applique, en principe, aux questions concernant les détenus et la politique pénale (Clift, précité, § 73).
77. En l’espèce, la Cour constate que, conformément à l’article 18 § 3 de la loi no 103‑FZ (paragraphe 24 ci‑dessus), la durée des visites accordées aux détenus placés dans des maisons d’arrêt, y compris à ceux dont la condamnation n’est pas définitive, est d’une heure plus courte (trois heures) que celle que l’article 89 § 1 du CESP (paragraphe 31 ci‑dessus) réserve aux détenus condamnés (quatre heures). De même, la loi no 103‑FZ ne prévoit pas de possibilité pour les personnes détenues dans des maisons d’arrêt de bénéficier d’une visite longue alors que le CESP, par la combinaison de ses articles 89 et 120‑131, prévoit le droit des détenus condamnés de recevoir au moins deux visites longues par an (paragraphes 33‑34 ci‑dessus). Lesdites restrictions aux droits des prévenus en matière de visites sont applicables de manière générale, indépendamment des raisons du placement des intéressés en détention provisoire, du stade de la procédure pénale dirigée à leur encontre et des considérations liées à la sécurité.
78. En l’absence d’arguments pertinents formulés par le Gouvernement, la Cour ne voit aucune justification objective à une telle différence de traitement en ce qui concerne tant la durée de visites courtes que l’accès au bénéfice de visites longues (voir, dans le même sens, Laduna, précité, §§ 59‑73, Varnas, précité, §§ 115‑123, et Costel Gaciu, précité, §§ 56‑63).
79. S’agissant de l’impossibilité pour le requérant d’obtenir une visite longue de ses parents, la Cour estime que le régime de détention de l’intéressé en tant que détenu placé dans une maison d’arrêt équivalait, dans une large mesure, à celui de détenus condamnés à la réclusion à perpétuité et soumis au régime strict au sein d’une colonie pénitentiaire à régime spécial, c’est‑à‑dire des personnes condamnées pour des actes extrêmement répréhensibles et dangereux, dont la détention avait essentiellement pour but leur isolation (Khoroshenko, précité, §§ 131 et 144). Or, bien que cette catégorie de détenus condamnés ne puisse, tout comme le requérant, bénéficier d’une visite longue, la Cour estime que cette similitude de situations ne fait que démontrer, à plus forte raison, l’absence de justification objective et raisonnable pour soumettre le requérant au même type de restrictions que les détenus condamnés à une réclusion à vie. Si l’on ne saurait exclure, en principe, l’établissement d’une corrélation, au moins dans une certaine mesure, entre la gravité d’une peine et un certain type de régime pénitentiaire, la Cour n’en décèle aucune dans le cas des prévenus dont la condamnation, comme dans le cas du requérant, n’était pas définitive, et qui doivent bénéficier du principe de la présomption d’innocence.
80. Dans ce contexte, la Cour tient compte du point de vue exprimé par le CPT dans le paragraphe 90 de son rapport du 17 décembre 2013 sur sa visite en Russie, selon lequel le régime de détention des prévenus dans des maisons d’arrêt, y compris ceux dont la condamnation n’était pas définitive, en ce qui concernait notamment leur droit de recevoir des visites, était basé sur un concept erroné d’« isolation », et qu’il devait faire l’objet d’une « révision en profondeur » (paragraphe 37 ci‑dessus).
81. La Cour ne décèle pas non plus de justification à la limite de trois heures imposée pour la durée des visites courtes, qui semble découler du concept d’« isolation » mis en cause par le CPT. En effet, elle constate que l’attribution à une personne du statut de suspect ou d’accusé et la détention de celle‑ci dans une maison d’arrêt conformément à la loi no 103‑FZ entraîne, de manière automatique, la limitation à trois heures du temps de visites courtes dont ladite personne peut bénéficier. Par ailleurs, les détenus condamnés, qui sont transférés dans une maison d’arrêt conformément à l’article 77‑1 du CESP, perdent automatiquement le droit de bénéficier d’une visite longue et ceux parmi ces derniers qui sont transférés en tant que suspects ou accusés pour les besoins d’une enquête pénale se voient – à nouveau automatiquement – réduire la durée de leurs visites courtes de quatre à trois heures (paragraphes 32 ci‑dessus). Or la Cour vient de rappeler que toutes les restrictions au droit de visite des détenus doivent être justifiées dans chaque cas particulier par des motifs liés notamment au maintien de l’ordre, de la sécurité et de la sûreté ou par la nécessité de protéger les intérêts légitimes d’une enquête (paragraphes 60 et 64 ci‑dessus).
82. À cet égard, la Cour ne peut pas ignorer les instruments internationaux pertinents et notamment les règles pénitentiaires européennes. Ainsi, elle rappelle que la règle no 99 dispose que, à moins qu’une autorité judiciaire n’ait, dans un cas individuel, prononcé une interdiction spécifique pour une période donnée, les prévenus doivent pouvoir recevoir des visites et être autorisés à communiquer avec leur famille et d’autres personnes dans les mêmes conditions que les détenus condamnés. En outre, ils doivent pouvoir recevoir des visites supplémentaires et aussi accéder plus facilement aux autres formes de communication (paragraphe 36 ci-dessus).
83. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
84. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
85. Le requérant réclame 40 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.
86. Le Gouvernement estime que si la Cour était amenée à trouver une violation de la Convention dans le cas d’espèce, le montant de la satisfaction équitable devrait être établi conformément à sa jurisprudence.
87. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 10 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
88. Le requérant demande également 10 500 roubles russes (RUB) pour les frais et dépens engagés devant la Cour et 4 836,11 RUB pour frais postaux.
89. Le Gouvernement n’a pas formulé de commentaires sur ce point.
90. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 210 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
91. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention concernant les rejets des demandes de visite opposés au requérant et à ses parents les 29 juillet, 12 août et 6 octobre 2015 ainsi que concernant les modalités des visites ayant eu lieu les 19 février et 24 mars 2014 et les 2 juin et 3 novembre 2015 ainsi que quant au grief tiré l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 210 EUR (deux cent dix euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 mai 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stephen PhillipsVincent A. De Gaetano
GreffierPrésident