DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE HÜSEYİN KAPLAN c. TURQUIE
(Requête no 24508/09)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
Art 41 • Satisfaction équitable • Dommage matériel déjà réparé par les tribunaux internes • Préjudice moral
STRASBOURG
17 décembre 2019
DÉFINITIF
17/04/2020
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme..
En l’affaire Hüseyin Kaplan c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :
Robert Spano, président,
Marko Bošnjak,
Valeriu Griţco,
Egidijus Kūris,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen,
Saadet Yüksel, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 novembre 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 24508/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Hüseyin Kaplan (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 avril 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 1er octobre 2013 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’affectation, sur le plan d’urbanisme, du terrain du requérant à un service public depuis 1982 et l’absence d’indemnisation constituait une charge spéciale et exorbitante rompant le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au respect de ses biens (Hüseyin Kaplan c. Turquie, no 24508/09, §§ 34 à 48, 1er octobre 2013).
3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant a réclamé une satisfaction équitable de 120 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, 20 000 EUR pour le préjudice moral, 5 000 EUR pour les honoraires d’avocat et 2 000 EUR pour les autres frais.
4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 51, et point 3 b du dispositif).
5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.
6. Alors que la procédure devant la Cour était pendante, le 30 janvier 2012, le requérant a introduit une nouvelle action pour expropriation de fait.
7. Le 13 octobre 2014, le Président de la section a décidé d’ajourner l’examen de l’affaire pour deux ans.
8. Par un jugement du 18 décembre 2014, le tribunal de grande instance de Kırıkkale (le « TGI ») a donné gain de cause au requérant en lui octroyant une indemnité d’expropriation de plus de 181 683 livres turques (TRY), soit environ 62 000 EUR à cette date, assortis d’intérêts moratoires. Le TGI a par ailleurs mis les frais et dépens à la charge de l’administration défenderesse.
9. Le 18 février 2016, l’administration s’est acquittée des sommes dont elle était redevable.
EN DROIT
SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
10. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
11. Le requérant réclamait initialement 86 471 EUR au titre du dommage matériel, et 20 000 EUR au titre du dommage moral.
12. Dans ses observations du 7 mars 2014, il a soutenu que la valeur de son terrain était de 193 807 TRY et que si la Cour avait statué sur sa demande en même temps que sur le fond, elle lui aurait octroyé, compte tenu du taux de change de l’époque, la somme de 84 711 EUR. Il a toutefois maintenu sa demande initiale, sans fournir d’explications sur la différence entre les deux sommes relatives au dommage matériel.
13. Dans ses observations du 9 mai 2016, il a ramené ses prétentions, au titre du dommage matériel à 10 000 EUR, estimant, sans autre précision, que le préjudice qu’il avait subi n’avait pas été entièrement indemnisé.
14. Le Gouvernement conteste ces prétentions et souligne que le requérant a perçu une indemnité au niveau national.
15. La Cour observe que le requérant s’est effectivement vu octroyer des indemnités par les juridictions nationales après l’arrêt sur le fond.
16. Elle observe que la somme allouée a été fixée à l’issue d’une procédure contradictoire et n’aperçoit aucun élément pouvant lui permettre d’affirmer que le montant octroyé ne correspondait pas à la valeur actuelle du bien.
17. Dès lors, elle estime que le droit interne a offert au requérant un redressement approprié du préjudice matériel qu’il avait subi et considère qu’il n’y a pas lieu d’octroyer à l’intéressé d’autres indemnités au titre du préjudice matériel.
18. La Cour rejette en conséquence cette partie de la demande formulée au titre de l’article 41.
19. En revanche, la Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral certain, lequel n’a pas été indemnisé. Dès lors, elle estime raisonnable d’allouer au requérant 2 000 EUR (voir Hakan Arı c. Turquie, no 13331/07, § 62, 11 janvier 2011) à ce titre.
2. Frais et dépens
20. Le requérant réclame 5 000 EUR pour les honoraires de son avocat et 1 760 EUR pour les autres dépens. Il fournit un tableau présentant un décompte horaire du travail de son représentant, une convention d’honoraires ainsi que plusieurs reçus concernant divers frais de justice.
21. Le Gouvernement conteste ces prétentions qu’il estime excessives et insuffisamment étayées.
22. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de sa jurisprudence et des documents présentés, la Cour estime raisonnable d’allouer au requérant 1 500 EUR au titre des honoraires d’avocat et 830 EUR pour les autres dépens.
3. Intérêts moratoires
23. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû au titre d’impôt, pour préjudice moral et 2 330 EUR (deux mille trois cent trente euros), plus tout montant pouvant être dû au titre d’impôt par le requérant, pour les frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 décembre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident