PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE MAGOSSO ET BRINDANI c. ITALIE
(Requête no 59347/11)
ARRÊT
Art 10 • Liberté d’expression • Condamnation de journalistes pour la publication d’un article diffamatoire suggérant la passivité de gendarmes dans le cadre de l’assassinat d’un journaliste • Propos litigieux émanant d’une tierce personne et vérifiés sérieusement par les journalistes • Absence de motifs pertinents et suffisants des juridictions internes • Sévérité des sanctions
STRASBOURG
16 janvier 2020
DÉFINITIF
16/05/2020
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Magosso et Brindani c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Krzysztof Wojtyczek, président,
Aleš Pejchal,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Raffaele Sabato, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 décembre 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 59347/11) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet État (« les requérants »), M. Renzo Magosso (« le premier requérant ») et M. Umberto Brindani (« le deuxième requérant »), ont saisi la Cour le 16 septembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Me M.Z. Volpi, avocat à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son ancien agent, Mme E. Spatafora, et son coagent, Mme M. Aversano.
3. Les requérants alléguaient en particulier que leur condamnation pour diffamation prononcée par les tribunaux internes avait emporté violation de leur droit à la liberté d’expression.
4. Le 1er septembre 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1947 et en 1958 et résident à Milan. À l’époque des faits, le premier requérant était journaliste à l’hebdomadaire Gente, et le deuxième requérant était directeur responsable de ce journal.
A. Le contexte de l’affaire
6. Le 28 mai 1980, le journaliste Walter Tobagi fut tué par un groupe terroriste d’extrême gauche dénommé « Brigade 28 mars ». Le leader du groupe, M. B., fut arrêté vers la fin de septembre 1980. Quelques jours après son arrestation, il décida de collaborer avec les enquêteurs et passa aux aveux. Tous les membres du groupe furent arrêtés et condamnés.
7. En juin 1983, le président du Conseil de l’époque, Bettino Craxi, déclara publiquement que, quelques mois avant la mort de Walter Tobagi, les carabinieri avaient reçu de la part d’un informateur (informatore) des renseignements sur une action terroriste visant le journaliste. Quelques mois plus tard, le ministre de l’Intérieur de l’époque, en réponse à une question parlementaire, rendit public un rapport du 13 décembre 1979, rédigé par le brigadier D.C., dans lequel le projet de séquestrer ou d’assassiner Walter Tobagi était évoqué, et révéla le nom de l’informateur. Le ministre rappela que l’activité des carabinieri devait être considérée, dans ce contexte, de police judiciaire impliquant une subordination hiérarchique à l’égard de l’autorité judiciaire et l’obligation de l’informer du rapport.
B. La parution de l’article de presse litigieux et la procédure pénale diligentée contre les requérants
8. Le 17 juin 2004, le premier requérant signa un article portant sur l’assassinat de Walter Tobagi, intitulé « Tobagi pouvait être sauvé » et accompagné des sous-titres suivants : « Sur l’assassinat du journaliste, ils m’ont dit : « Taisez-vous ! » » ; « En exclusivité, le récit du sous-officier des carabinieri qui, six mois avant le crime, a dévoilé le plan et donné les noms des terroristes « J’ai expliqué au chef d’état-major ce que je savais, il n’a rien fait » » ; « « Même [le général Dalla Chiesa, chef de l’unité de coordination de la lutte contre le terrorisme à Milan et dans le nord de l’Italie à l’époque de l’assassinat de Walter Tobagi] est isolé » dit le général [N.B.] à Gente » ; « Le capitaine [A.] a choisi de s’en aller en démissionnant – il était un personnage de premier plan au sein de la section antiterroriste du général Dalla Chiesa. Le brigadier D.C. était à ses ordres : lorsque [A.] a démissionné, les ennuis ont commencé ».
9. Dans son article, le premier requérant rapportait tout d’abord les déclarations de D.C., ancien brigadier des carabinieri de la section antiterroriste de Milan. D’après ces déclarations, quelques mois avant le crime, D.C. avait obtenu de la part d’un informateur des renseignements sur un possible projet d’attentat ayant pour cible Walter Tobagi. Toujours selon ces déclarations, D.C. avait donné les noms des suspects à ses supérieurs et ces derniers lui avaient ordonné de rédiger un rapport anonyme.
10. Le premier requérant rapportait ensuite les affirmations d’un autre ancien officier du corps des carabinieri, le général N. B., adjudant du général Dalla Chiesa. Dans ses déclarations faites au premier requérant, le général N.B. avait indiqué avoir informé son supérieur que les capitaines A.R. et U.B. le tenaient à l’écart des activités d’investigation des carabinieri de Milan et en référaient directement à leurs supérieurs directs.
11. L’introduction de l’article était, en ses parties pertinentes, ainsi rédigée :
« Le journaliste Walter Tobagi a été tué alors qu’il se battait pour empêcher la prise de contrôle du Corriere della Sera [le quotidien où Walter Tobagi travaillait] par la loge maçonnique « P2 »[1] et faire la lumière sur les mystères de l’affaire « Aldo Moro » [tué par les « Brigades Rouges » le 9 mai 1978].
Grâce aux révélations de l’ancien brigadier des carabinieri [D.C.], nom de code « Ciondolo », maintenant nous savons que Tobagi aurait pu être sauvé. Après la mort du journaliste, la haute hiérarchie du corps [des carabinieri] a ordonné [à D.C.] de se taire.
Ensuite, les déclarations du général [N.B.] nous ont appris que le général Dalla Chiesa n’avait pas le contrôle de la section antiterroriste de Milan, alors que l’Italie entière voyait le général comme l’homme de la lutte antiterroriste. Au contraire, lui et le général [N.B.] ne recevaient plus les rapports d’opération [de la section de Milan], qui finissaient entre les mains d’officiers membres de [la loge] P2.
Cela ne veut pas dire que l’Arma des carabinieri était sous le contrôle de loges secrètes : des hommes de valeur comme Dalla Chiesa, le général [N.B.], le capitaine [A.] et « Ciondolo » portaient l’uniforme.
Aujourd’hui, plusieurs années après les événements, il est juste de reconnaître et de rétablir la vérité : l’autocritique est un remède utile, même dans un corps sain. Gente se limite à une simple constatation : dans les années soixante, on parlait d’un coup d’État raté, dans un scénario beaucoup moins abouti que celui décrit par le général [N.B.].
Aujourd’hui, il nous semble légitime de demander : que s’est-il vraiment passé dans l’Arma pendant « les années de plomb » ? »
12. Le texte de l’entretien s’ouvrait avec les propos de l’ancien brigadier D.C. :
« Le général [G.R.] m’a convoqué au commandement général de l’Arma et m’a dit, en présence des capitaines [A.R.] et [U.B.], que « ce que nous nous sommes dit ici sur l’assassinat de Walter Tobagi doit rester secret. C’est un ordre ».
(...) Quelques mois après, j’ai reçu un éloge solennel (encomio solenne) pour mon activité au sein de la section antiterroriste de Milan (...) ».
« L’ancien brigadier nous parle depuis une île perdue dans l’océan. Son nom de code, du temps de la section antiterroriste de Milan, était « Ciondolo ». Six mois avant l’assassinat de Tobagi, [D.C.] a donné à ses supérieurs directs, les capitaines [A.R.] et [U.B.], les noms et prénoms des personnes qui projetaient l’action. (...) il a ressenti le devoir de raconter à Gente ce qu’il savait, jusqu’au bout : « Je le fais par amour pour l’Arma, que j’ai eu l’honneur de servir, certainement pas pour de l’argent ou pour me mettre en lumière. Je parle par devoir de vérité, après avoir souffert de manière injuste pendant ces années ». « Ciondolo » nous révèle des faits bouleversants, à ce jour inconnus, sur l’affaire Tobagi : comme la dramatique confrontation avec le général [G.R.]. Il s’attendait l’ouverture d’une enquête judiciaire : à l’opposé, sur l’affaire Tobagi tomba le silence.
(...) L’assassinat [de Walter Tobagi] a été revendiqué par le groupe « Brigade 28 mars », qui comptait parmi ses membres [M.B].et [P.M.], condamnés puis rapidement libérés sur le fondement de la loi sur les « repentis » (pentiti) : leurs confessions ont permis l’arrestation et la condamnation de plus d’une centaine de terroristes.
Ce que « Ciondolo » nous révèle est en réalité la suite incroyable de la reconstitution des événements que l’ex-capitaine des carabinieri [A.] et moi-même avons décrits dans l’ouvrage Les cartes de Moro. Pourquoi Tobagi ? [paru en 2003]. En se fondant sur ce livre, Rai – Educational [une des chaînes de la télévision publique] a réalisé une émission qui a fait beaucoup de bruit. (...)
Mais continuons dans l’ordre. Nous sommes en janvier 1979, « Ciondolo » connaît un individu proche de la mouvance terroriste, R.R., nom de code « le Facteur », [actif dans la zone de Varèse]. Les révélations [de cet individu] ont contribué à l’arrestation de plusieurs terroristes, à l’identification de planques et à la saisie d’armes et d’explosifs.
[« Ciondolo »] raconte :
« Au fur et à mesure, [« le Facteur »] est devenu un informateur d’une importance et d’une crédibilité énormes. Puis, vers la fin de [l’année] 1979, il m’a dit qu’un projet d’assassinat de Walter Tobagi existait. Il m’a aussi donné les noms des exécuteurs. Nous étions informés d’un projet similaire prévu par « Prima Linea », mais « le Facteur » m’a parlé d’autres individus. Je pensais que [j’allais pouvoir transmettre] ces révélations très importantes à mon chef direct, le capitaine [A.], mais il venait de démissionner de l’Arma.
J’en ai parlé aux capitaines [A.R.] et [U.B.]. [Ces derniers] m’ont ordonné d’écrire un rapport anonyme : nous de l’Antiterrorisme ne pouvions pas signer les rapports pour éviter de devoir témoigner en tribunal. Je m’attendais à [devoir] intervenir d’un moment à l’autre. (...).
En mai 1980, le journaliste [G.P.] (...) s’est fait tirer dessus. J’ai cru que les hommes de l’Antiterrorisme allaient [lui] demander [d’établir] un portrait-robot des agresseurs, mais il n’en a rien été. Ils auraient pu identifier les membres de la « Brigade 28 mars ».
La preuve en est que, quelques jours après, le 28 mai, (...) les terroristes ont assassiné Walter Tobagi. À l’époque, je m’occupais d’écoutes téléphoniques ; c’est donc avec grande stupeur que je me suis aperçu, seulement une semaine après les faits, qu’ils avaient mis sur écoute les individus que j’avais signalés six mois auparavant (...). Donc, les noms (...) n’avaient pas été oubliés.
En septembre, [M.B].a été arrêté. Il a décidé de parler et a permis l’arrestation de centaines de terroristes. Entretemps, j’avais été transféré à la frontière avec la Suisse : « transfert de précaution », formule habile pour ne pas dire « punition ».
Trois ans après [en 1983], le procès à [M.B.] et complices désormais terminé, ma note est découverte : le ministre de l’Intérieur de l’époque a confirmé officiellement l’existence de ma note après que des extraits de celle-ci eurent paru dans le quotidien [du parti socialiste] L’Avanti !.
J’ai été convoqué en urgence à Rome, au commandement général de l’Arma. J’y ai retrouvé les capitaines [A.R.] et [U.B.]. Nous avons été reçus par le général [G.R.], qui m’a demandé : « C’est toi qui as donné ce document confidentiel sur Tobagi à L’Avanti !, n’est-ce pas ? », « Non, mon général ». Et puis : « Concrètement, ce rapport, tu l’as transmis à qui ? ». J’ai répondu : « Aux capitaines ici présents : j’ai communiqué les noms des terroristes que j’avais mentionnés dans mes notes réservées ». Le général m’a ordonné de maintenir le secret sur cette rencontre. »
À ce stade, Gente a pris contact avec le général [N.B.]. Nous lui avons montré les déclarations de « Ciondolo ». [Le général] n’a pas été surpris.
« J’ai dit clairement au général Dalla Chiesa, au début de [l’année] 1980, que nous avions été exclus du circuit de transmission des rapports de [la section] antiterroriste de Milan. Je m’étais aperçu que désormais les capitaines [A.R.] et [U.B.] répondaient uniquement aux colonels [M.] et [P.] (ces derniers appartenaient à la loge « P2 »).
C’était clair, [M.] et [P.] opéraient avec l’accord du commandement territorial et avec l’aval du commandement général de Rome.
Dalla Chiesa a répondu avec amertume : « Les politiques, le ministre [R.] en tête, m’ont nommé à la direction (...) La chose n’a pas plu au commandement général (...). Nous sommes dans un étau : à Milan, ils veulent diriger l’antiterrorisme avec les forces locales, c’est-à-dire avec des officiers qu’ils considèrent comme plus dignes de confiance que nous. Mes mains sont liées. J’ai les politiques de mon côté, mais j’ai contre moi beaucoup de monde dans l’Arma. Cher [N.B.], fais ton rapport si tu estimes cela opportun ». Je l’ai fait, j’ai dénoncé les officiers qui étaient soupçonnés d’appartenir à la loge P2.
Depuis, ma carrière a été bloquée. J’ai été puni et transféré (...) En 1992, j’ai appris (...) qui était l’auteur du rapport [qui avait été rédigé] contre moi : le général [G.R.]. ».
Le même qui avait ordonné à [D.C.] de se taire sur l’affaire Tobagi. »
13. À une date non précisée, le capitaine A.R. et la sœur d’U.B., ce dernier étant décédé en 2002, déposèrent une plainte contre D.C. et les deux requérants.
14. Le 22 mars 2006, le juge des investigations préliminaires renvoya les requérants devant le tribunal de Monza du chef de diffamation par voie de presse (diffamazione a mezzo stampa), aggravée par l’attribution de faits déterminés.
15. Quant à D.C., il fit l’objet de l’ouverture d’une procédure pénale distincte, et il fut condamné, par un jugement rendu le 22 septembre 2008 par le tribunal de Monza, à payer une amende de 1 000 euros (EUR) et à réparer le préjudice moral subi par A.R. et la sœur d’U.B.
16. Par un jugement du 20 septembre 2007 (déposé le 18 décembre 2007), le tribunal de Monza déclara les requérants coupables de diffamation et leur infligea une amende, d’un montant de 1 000 EUR pour le premier requérant et de 300 EUR pour le deuxième requérant. Il condamna conjointement les intéressés au règlement des frais de procédure et ordonna la publication d’un extrait du jugement dans l’hebdomadaire Gente et dans le quotidien Corriere della Sera. Les requérants furent également condamnés à verser 120 000 EUR au capitaine A.R. et 90 000 EUR à la sœur d’U.B., pour dommage moral, ainsi qu’à régler 20 000 EUR au titre des frais de procédure engagés par ces derniers.
17. Le tribunal de Monza motiva sa décision comme suit :
« (...) La gravité des infractions ne fait aucun doute et la portée diffamatoire de l’article est particulièrement grave compte tenu du rôle des deux officiers des carabinieri, serviteurs de l’État dont l’honnêteté et la moralité représentent des valeurs fondamentales.
En l’espèce, on ne saurait invoquer comme circonstance atténuante l’exercice du droit de chronique. (...) En particulier, les faits présentés : doivent avoir un intérêt objectif pour l’opinion publique (principio della pertinenza), doivent être exposés de manière correcte et objective (principio della continenza) et, surtout, doivent être vrais, c’est-à-dire rigoureusement correspondants à des faits réels (principio della verità).
Quant au principe de contenance (principio della continenza) (...), en l’espèce, le caractère volontairement « sensationnel » (scandalistico) de l’article, lequel commence par la photo du journaliste assassiné, le résumé brut de son contenu présenté dans le titre et les sous-titres, ainsi que la narration qui ne laisse pas de place à des hypothèses alternatives, constituent des éléments qui transcendent, certainement, les caractéristiques d’une information sereine et objective. En outre, le rapprochement (...) des officiers A.R. et U.B. (...) avec d’autres événements étrangers à « l’affaire Tobagi » et marqués dans le sentiment commun d’une valeur négative, tels que l’implication d’officiers des carabinieri dans la loge maçonnique « P2 », (...) est en soi doté d’une portée diffamatoire autonome.
Le journaliste n’a pas non plus respecté les limites de la vérité (principio della verità), en se référant à des faits qui ont été démentis par plusieurs éléments obtenus au cours du procès. Tout d’abord, la version donnée par D.C. est en contradiction avec les déclarations des diffamés (...). En outre, la version présentée par le journaliste est en contraste avec le rapport de D.C. de décembre 1979 (...), qui indiquait que « d’après « le Facteur », F. et les autres auraient abandonné le projet de commettre des actions à Varèse, mais ils auraient programmé une action à Milan (...) il s’agissait de reprendre un vieux projet des F.C.C. (Formazioni Comuniste Combattenti) (...) « Le Facteur » estimait qu’aurait été en préparation l’enlèvement de Walter Tobagi ou un attentat contre celui-ci (...), la zone où le groupe est actif devrait être celle (...) où Tobagi habitait. (...)».
Contrairement à ce que l’on peut lire dans l’article (...), dans son rapport, D.C. ne donnait pas les noms [des terroristes impliqués] (...) Le rapport a un contenu vague. (...) En tous cas, le fait bien connu à l’époque que Tobagi était une des cibles potentielles du mouvement terroriste réduit l’importance des révélations du rapport. (...)
Le caractère superficiel du rapport est reconnu par D.C. lui-même, qui a déclaré, [dans le cadre du procès pénal pour diffamation ouvert à son encontre], (...) que d’autres rapports, plus détaillés et précis, avaient été transmis à ses supérieurs. De ces rapports il n’y a aucune trace au dossier et D.C. lui-même a déclaré ne pas en posséder une copie.
La version des faits présentée dans l’article est également en contradiction avec ce qu’a déclaré l’informateur, « le Facteur » (...), et avec les déclarations faites par le responsable principal (...) au cours du procès sur l’assassinat de Tobagi.
(...) [il ressort] de la lecture de l’article que son auteur ne s’est pas limité à rapporter ce que D.C. lui avait appris, mais qu’il a au contraire adhéré à la thèse de l’inactivité volontaire des officiers. (...) Au cours de son interrogatoire lors de l’audience, l’accusé [le premier requérant] a confirmé la véracité de l’article, se référant à ses longues recherches menées préalablement à la publication de son ouvrage Les cartes de Moro. Pourquoi Tobagi ?. En l’espèce, le journaliste n’a procédé à aucune vérification de la fiabilité de sa source. D’ailleurs, on ne saurait considérer D.C. comme fiable (...) [le premier requérant] a par ailleurs admis ne pas avoir pris contact avec U.B. (décédé avant la publication de l’article) avant de publier son livre (...) Il a en outre admis ne pas avoir véritablement essayé de prendre contact avec A.R., et n’a pas sérieusement justifié cette omission (le fait de ne pas avoir pu le joindre au téléphone à son bureau au palais de justice n’est pas plausible) (...) »
18. Les requérants interjetèrent appel, en demandant aussi la réunion de leur procès et de celui ouvert contre D.C.. Dans leur recours, ils alléguaient, en invoquant l’exercice du droit de chronique (diritto di cronaca), que le tribunal avait ignoré les éléments prouvant que les déclarations de D.C. avaient été vérifiées. Ils soutenaient que, à la lumière des éléments objectifs examinés, ils avaient pu conclure en bonne foi que les déclarations de D.C. pouvaient être crédibles et correspondre à une « vérité putative » (verità putativa).
19. Les requérants énuméraient ensuite les vérifications effectuées, mettant en avant que le premier requérant, en tant que journaliste travaillant au sein du même groupe éditorial que Walter Tobagi, aurait été un témoin privilégié des événements, aussi le directeur du quotidien de Walter Tobagi lui aurait-il demandé, à la suite de l’assassinat, d’enquêter et de prendre contact avec ses sources parmi les carabinieri pour vérifier les confidences qu’il avait reçu du général Dalla Chiesa, selon lesquelles l’auteur de l’assassinat était déjà connu par les forces de l’ordre.
Grâce à ses contacts dans les carabinieri, il fut le seul journaliste, à la suite de l’arrestation de M.B. et quelques jours avant qu’il ne formule ses aveux, à publier un article désignant celui-ci comme probable auteur de l’assassinat et que l’activité d’investigation se poursuivait dans la zone de Varese, là où « le Facteur » était actif. À cet égard, les requérants ajoutaient que, selon la version officielle, les enquêteurs avaient déclaré que, avant les aveux de M.B., ils ne disposaient d’aucune preuve contre ce dernier.
Ils indiquaient ensuite qu’à quelques jours du crime, les carabinieri avaient demandé l’autorisation de mettre sur écoute quatre lignes téléphoniques, dont celle utilisée par M.B. et sa concubine et celles de deux autres membres du groupe terroriste « Brigade 28 mars ». À l’époque, le premier requérant avait rencontré le capitaine U.B., qui lui avait parlé de la « piste M.B. » et d’une expertise graphologique réalisée sur un document manuscrit rédigé par M.B. Encore, ils rappelaient qu’en 1978, M.B. et « le Facteur » faisaient partie du même groupe terroriste nommé « F.C.C. » (Formazioni Comuniste Combattenti) qui avait essayé d’enlever Walter Tobagi.
Selon les requérants, le fait que parmi les différentes groupes et organisations terroristes actives à l’époque, les carabinieri avaient pu cibler si rapidement leurs efforts sur M.B. et ses complices, faisait raisonnablement penser que la version de D.C. était crédible et que les carabinieri avaient pu disposer d’autres éléments inconnus au public.
20. Encore, en ce qui concernait la chronologie des faits, les requérants indiquaient que, s’il était vrai que le groupe terroriste avait choisi son nom à la suite d’un épisode qui avait eu lieu le 28 mars 1980, il était également vrai que M.B. et une partie du groupe était déjà actif en 1979 sous une autre appellation (Guerriglia Rossa). Enfin, quant aux déclarations du « Facteur » qui a nié d’avoir fait les noms à D.C., les requérants soutenaient que ce dernier ne voulait, après la déclaration du ministre de l’Intérieur le désignant publiquement comme l’informateur des carabinieri, ni s’exposer, sa collaboration avec les carabinieri étant encore active en 1983, ni courir le risque de subir des représailles de la part du milieu terroriste.
21. Par un arrêt du 3 novembre 2009 (déposé le 30 décembre 2009), la cour d’appel de Milan débouta les requérants et l’ancien brigadier D.C., la procédure concernant ce dernier ayant dans l’intervalle été jointe à celle visant les premiers. La cour d’appel jugea que :
« (...) l’article (...) est indiscutablement diffamatoire, (...) suggérant en substance aux lecteurs une inactivité volontaire de la part [de deux officiers] (...) il est à relever qu’en l’espèce le principe de vérité des faits relatés (principio di verità dei fatti narrati) a été enfreint. (...).
(...) Tobagi avait été identifié comme une des possibles cibles (...) et le rapport présenté le 13 décembre 1979 par Ciondolo était marqué de généricité (...) une conjecture du « Facteur » simplement hypothétique, tout comme il est également prouvé que l’assassinat fut projeté après mars 1980 (...). Cet élément est aussi prouvé par le jugement de la cour d’assises d’appel [rendu dans le cadre du procès sur l’assassinat de Tobagi] (...).
[D.C.] a donc présenté pour vrais des faits qui étaient faux (...).
Quant à l’article du [premier requérant], il convient de relever [son] défaut de véracité et le manque de vérification des éléments publiés, mais aussi le choix de ne pas informer les personnes concernées et la volonté manifeste de présenter sur un ton « sensationnel » (scandalistico) des faits et circonstances comme la seule vérité possible, la seule reconstitution possible des faits, sans indiquer aux lecteurs l’existence d’une autre vérité judiciairement établie de manière définitive, dont le journaliste était à connaissance. Le tout aggravé par l’insertion de commentaires personnels, de titres et sous-titres soulignés en gras.
(...) La circonstance atténuante [de l’exercice] du droit de chronique n’est pas applicable, d’autant [moins] que la volonté du journaliste est intentionnellement diffamatoire (...).
[Les deux requérants] n’ont opéré aucune vérification (...) »
22. La cour d’appel confirma ainsi la décision de première instance et condamna les requérants et D.C. à verser aux parties civiles la somme provisionnelle de 120 000 EUR, à titre de réparation partielle du préjudice causé, et la somme de 6 500 EUR pour les frais et dépens. Elle renvoya au juge civil la question de la détermination exacte du préjudice moral.
23. Les requérants se pourvurent en cassation. Dans le cadre de leur pourvoi, ils soutenaient avoir respecté leur obligation de vérifier la véridicité des affirmations de D.C. Ils affirmaient que les déclarations de D.C. présentaient des faits nouveaux, indiscutablement d’intérêt général et dignes d’être connus du public, qui n’avaient pas encore fait l’objet d’un procès.
Ensuite, ils critiquaient l’appréciation faite par la cour d’appel de Milan, en ce qu’elle aurait été fondée de manière erronée sur des faits censés avoir été établis au cours d’autres procès [le procès visant à identifier les responsabilités de« Tobagi » et celui, classé sans suite, visant à déterminer qui, en 1983, avait informé le président du Conseil Craxi du rapport de D.C.].
Puis, ils énuméraient les vérifications effectuées. Parmi les éléments fournis, il figurait en particulier un document qui décrivait les investigations effectuées par les carabinieri à la suite de l’assassinat de Walter Tobagi et qui avait été transmis au général N.B. Il était notamment indiqué qu’une semaine après l’assassinat de Tobagi, le 5 juin 1980, la filature de M.B. avait commencé.
24. Par un arrêt du 23 novembre 2010 (déposé au greffe le 28 mars 2011), la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants, confirmant ainsi la condamnation au paiement de la somme provisionnelle de 120 000 EUR, et les condamna, ensemble avec D.C., à verser aux parties civiles 7 000 EUR, pour frais et dépens. Elle se prononça comme suit :
« (...) Cette reconstitution des faits – intrinsèquement discréditant et immorale sur le plan humain, déloyale sur le plan institutionnel et criminelle sur le plan juridique – a puisé sa source première [dans les déclarations de] l’ancien brigadier [D.C.], a trouvé son instrument de diffusion dans [la personne du premier requérant], qui l’a partagée et mise en relief, et a été publiée dans l’hebdomadaire Gente, dont le directeur a omis de procéder au contrôle préventif prévu par la loi.
Les juges du fond sont parvenus à une série de conclusions (conclusioni processuali) qui réfutent la thèse de l’exceptionnelle capacité d’investigation de [D.C.] et de l’incapacité [d’investigation] des deux victimes de diffamation (...)
Le rapport [de D.C.] ne relevait rien de nouveau aux investigateurs (...) « le Facteur » a exclu d’avoir annoncé à D.C. l’assassinat de Tobagi (...) la source du « Facteur » a exclu d’avoir fait des déclarations sur l’assassinat (...).
(...) En ce qui concerne le journaliste, ce dernier a diffusé une information d’une portée diffamatoire évidente, préjudiciable à [A.R.] et à la mémoire de [U.B.], montrant sa volonté de nuire aux officiers de l’Arma par l’omission totale de contrôle de la véracité de ces graves accusations. Ce contrôle pouvait et devait être fait par [le premier requérant] en interpellant les intéressés et les sources institutionnelles (...), compte tenu du violent impact (...) [que pouvaient avoir] des affirmations faites au détriment d’officiers des forces de l’ordre, présentés aux citoyens comme coresponsables dans un assassinat d’origine terroriste (...) »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
25. L’article 57 du code pénal (CP), intitulé « Délits commis par voie de presse », prévoit ce qui suit :
« Sans préjudice de la responsabilité de l’auteur de la publication et en dehors des cas de complicité, tout directeur ou directeur adjoint responsable du contenu de la publication qui omet d’exercer le contrôle nécessaire à la prévention de la commission d’une infraction pénale par voie de presse est puni pour négligence, si l’infraction est commise, de la peine prévue pour ladite infraction réduite dans une proportion non supérieure à un tiers. »
26. En ses parties pertinentes en l’espèce, l’article 595 du CP se lit ainsi :
« 1. Quiconque (...) porte publiquement atteinte à la réputation d’autrui (offende l’altrui reputazione) est puni d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 1 032 EUR.
2. Si l’infraction consiste en l’attribution d’un fait déterminé, la peine d’emprisonnement peut aller jusqu’à deux ans et l’amende jusqu’à 2 065 EUR.
3. Si l’infraction est commise par voie de presse (...), la peine d’emprisonnement est de six mois à trois ans et l’amende non inférieure à 516 EUR.
4. Les peines sont augmentées si l’infraction est commise envers un corps politique, administratif ou judiciaire, ou envers l’un de ses représentants (o ad una sua rappresentanza) (...) »
27. L’article 13 de la loi sur la presse no 47 du 8 février 1948 (« la loi sur la presse »), publiée au Journal officiel no 43 du 20 février 1948, est ainsi libellé :
« Lorsque l’infraction de diffamation est commise par voie de presse et consiste en l’attribution d’un fait spécifique, l’auteur peut être puni d’une peine d’emprisonnement allant de un an à six ans et d’une amende non inférieure à cent mille lires [51,65 EUR] »
28. Dans son arrêt no 37140/2001 (publié le 16 octobre 2001), en chambres réunies, la Cour de cassation a fixé les principes en matière de responsabilité pénale des journalistes qui publient un entretien dans lequel des propos diffamatoires sont tenus par l’interviewé (voir aussi, parmi beaucoup d’autres, les arrêts nos 6911/16, 18889/16 et 2929/18).
Elle a dit que :
« (...) le fait d’avoir repris « à la lettre » les déclarations rendues par la personne interviewée, lorsque celles-ci ont un contenu objectivement offensif ou diffamatoire, n’implique pas l’application du droit de chronique.
Le journaliste peut toutefois invoquer le droit de chronique lorsque l’entretien répond en tant que telle, en relation à la qualité des sujets impliqués, au sujet de discussion ou au plus général contexte de l’entretien, à l’intérêt du public à recevoir l’information, l’emportant sur la position subjective individuelle. Dans ce cas, le journaliste pourra invoquer le droit de chronique même en cas de propos offensifs de l’interviewé, lorsque l’entretien assume le caractère d’un évènement d’intérêt public, par exemple lorsque la personne interviewée occupe une fonction publique de relief ou est bien connue dans un environnement précis (...) ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
29. Les requérants allèguent que les décisions internes prises contre eux ont entraîné une ingérence dans leur droit à la liberté d’expression qui, selon eux, n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Ils voient dans cette ingérence une violation de l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Sur la recevabilité
30. Le Gouvernement soulève une exception de tardiveté de la requête. Il soutient notamment que la décision interne définitive est datée du 28 mars 2011 et qu’il n’est pas établi que les requérants ont introduit leur requête le 16 septembre 2011.
31. Les requérants contestent cette thèse. Ils indiquent notamment qu’ils ont saisi la Cour le 16 septembre 2011, cette date correspondant d’après eux à la date d’envoi de leur requête. À l’appui de leurs dires, ils fournissent une copie des documents prouvant que la requête a été envoyée le 16 septembre 2011 et, selon le récépissé du recommandé avec accusé de réception, reçue le 22 septembre 2011 par le greffe de la Cour.
32. La Cour rappelle que le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention court à compter de la date de la décision interne définitive (dies a quo), à savoir la date à laquelle le requérant a effectivement pris connaissance de la décision en question (voir, parmi beaucoup d’autres, Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 60, 29 juin 2012). Elle rappelle également que la date à prendre en considération pour le calcul du respect du délai de six mois (dies ad quem) est celle de l’introduction de la requête ou celle de son envoi, le cachet de la poste faisant foi, conformément à l’article 47 § 6 a) de son règlement, et non pas celle du cachet de réception apposé sur la requête (Vasiliauskas c. Lituanie [GC], no 35343/05, § 117, CEDH 2015).
33. En l’occurrence, la Cour observe que la décision interne définitive est l’arrêt de la Cour de cassation, déposé le 28 mars 2011. Après examen des pièces produites par les intéressés, elle note que l’enveloppe contenant la requête a été expédiée le 16 septembre 2011, date du cachet de la poste italienne. Dès lors, la Cour estime que la requête a bien été introduite dans les six mois à compter de la date de la décision interne définitive.
34. Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement.
35. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
36. Les requérants rappellent que le but de la présente requête n’est pas celui d’établir si les déclarations de D.C. étaient vraies mais de déterminer si le journaliste avait le droit/devoir d’informer l’opinion publique et l’opinion publique le droit d’être informée, et si les raisons adoptées par les juges internes étaient pertinents et suffisants pour justifier leur condamnation.
Ils soutiennent que, au cours de la procédure interne, il n’a été tenu compte ni des vérifications effectuées, établissant à leurs yeux la crédibilité de leur source et de ses déclarations, ni de leur bonne foi dans la présentation d’une version des faits qu’ils disaient être crédible et alternative à celle que les tribunaux avaient établie en se rapportant essentiellement au « procès Tobagi » (notamment l’arrêt de la cour d’assises de Milan du 28 novembre 1983). De plus, ils se prévalent de la question d’intérêt général exposée dans l’article.
37. Les requérants indiquent ensuite que leur condamnation a été largement traitée au niveau national : une question parlementaire (interrogazione parlamentare) a été présentée au gouvernement ; deux communiqués de presse, l’un du Conseil national de l’ordre des journalistes et l’autre de la Fédération nationale de la presse italienne (« la FNSI »), ont déploré l’existence d’une atteinte à la liberté de la presse ; de nombreux journaux ont repris la version de l’article litigieux et ont amplement analysé le rôle de la presse. Les intéressés reproduisent en particulier un éditorial commentant l’arrêt de la Cour de cassation, signé par un magistrat expert en antiterrorisme. Aux dires des requérants, ce magistrat a en particulier relevé que la déclaration faite par D.C. lors du procès à propos de l’existence d’autres notes mentionnant les noms des terroristes aurait dû amener les juges ou le parquet à obtenir des carabinieri la communication du dossier complet relatif à « le Facteur » l’informateur de D.C. Toujours à leurs dires, d’après ce magistrat, leur condamnation était contraire à la jurisprudence interne consolidée selon laquelle, si un journaliste rapportait fidèlement les déclarations d’un individu et si l’histoire relatée était plausible et d’intérêt public et méritait d’être approfondie, le journaliste en question ne devait alors pas répondre de l’infraction de complicité de diffamation car il exerçait son droit de chronique.
38. Les requérants critiquent enfin l’effet combiné des amendes pénales, du montant de la provision sur les dommages-intérêts accordée aux parties civiles et de la somme à laquelle ils ont été condamnés au titre des frais de procédure en ce qu’il serait déraisonnablement disproportionné et contraire à la jurisprudence de la Cour. Ils indiquent que l’indemnité pour dommage moral était trop élevée par rapport à leur situation financière et qu’elle a donc été versée par l’hebdomadaire, mais qu’ils restent solidairement responsables et sont théoriquement redevables à l’égard de la société d’édition.
39. Le Gouvernement réplique que l’article avait une portée diffamatoire indiscutable et que la procédure interne a permis d’établir que les requérants avaient agi sans respecter le devoir qui aurait été le leur de présenter des informations précises et crédibles, d’agir de bonne foi et de respecter la déontologie de la profession de journaliste. Il dit en particulier que les juges internes ont apprécié avec diligence les faits à l’origine de l’affaire, dans le respect des principes découlant de la jurisprudence de la Cour en la matière.
40. Le Gouvernement soutient que les requérants ont présenté dans l’article litigieux une seule version des faits comme étant l’unique vérité possible. Selon le gouvernement défendeur, le récit des faits proposé par les intéressés, qui a aussi été critiqué pour le ton employé, a été contredit par l’établissement des faits auquel les tribunaux internes ont procédé en se fondant, en particulier, sur la reconstitution des faits effectuée au cours du procès relatif à l’assassinat de Walter Tobagi (le « procès Tobagi »), notamment par la cour d’assises de Milan dans son arrêt du 28 novembre 1983. En particulier, la version proposée par l’article aurait été contredite par M.B., auteur du crime, et par « le Facteur », informateur de D.C., et démentie par une série d’autres faits établis au cours du « procès Tobagi ». Enfin, d’après le gouvernement défendeur, les tribunaux ont établi que D.C. n’avait pas mentionné les noms des terroristes dans son rapport et que sa déclaration à propos de ses autres notes était simplement le fruit de sa stratégie procédurale.
41. En conséquence, le Gouvernement estime que le premier requérant a omis d’exercer un contrôle sur le bien-fondé des accusations diffamatoires litigieuses, en violation de son devoir de journaliste, et que le deuxième requérant a quant à lui omis, en tant que directeur de l’hebdomadaire, d’exercer un contrôle apte à prévenir la diffusion d’un article diffamatoire.
42. En ce qui concerne l’amende pénale et le montant de l’indemnité pour dommage moral, le Gouvernement indique que ces sommes sont proportionnées. Il rappelle que l’indemnité a été versée par l’hebdomadaire, et il considère qu’en tout état de cause cette condamnation est proportionnée au regard de la jurisprudence de la Cour et justifiée au vu des accusations contenues dans l’article, qu’il qualifie de hautement diffamatoires.
2. Appréciation de la Cour
43. La Cour note qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que la condamnation des requérants a constitué une ingérence dans le droit de ces derniers à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10 § 1 de la Convention (Kapsis et Danikas c. Grèce, no 52137/12, § 28, 19 janvier 2017, et Belpietro c. Italie, no 43612/10, § 43, 24 septembre 2013).
44. Elle relève que cette ingérence était « prévue par la loi », en l’occurrence les articles 57 et 595 du CP et l’article 13 de la loi sur la presse (paragraphes 25 et 26 ci-dessus), et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir la « protection des droits d’autrui » (Pedersen et Baadsgaard c. Danemark, no 49017/99, § 67, CEDH 2004-XI), et plus particulièrement la réputation de A.R. et U.B., anciens officiers des carabinieri.
45. La Cour se focalisera ainsi sur la question centrale en jeu dans la présente affaire, à savoir si l’ingérence litigieuse était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les juridictions internes pour la justifier apparaissent pertinents et suffisants (Kapsis et Danikas, précité, § 31).
a) Principes généraux
46. La Cour renvoie aux principes découlant de sa jurisprudence en matière de liberté d’expression, lesquels sont résumés notamment dans l’arrêt Bédat c. Suisse ([GC], no 56925/08, § 48, 29 mars 2016). Les principes généraux relatifs à l’article 10 de la Convention et la liberté de la presse ont été récemment résumés dans l’arrêt Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande ([GC], no 931/13, §§ 125-128, 27 juin 2017).
b) Appréciation de la Cour
47. La Cour observe tout d’abord que les faits relatés dans l’article litigieux portent assurément sur un sujet d’intérêt général (Thorgeir Thorgeirson c. Islande, 25 juin 1992, § 64, série A no 239) contribuant au débat public sur des faits controversés (Orban et autres c. France, no 20985/05, § 45, 15 janvier 2009) de l’histoire italienne contemporaine, à savoir l’assassinat d’un journaliste de renommée, Walter Tobagi, par un groupe terroriste pendant les « années de plomb » et l’influence de la loge maçonnique « P2 » sur les institutions. À la fonction de la presse qui consiste à diffuser des informations et des idées sur des questions d’intérêt public s’ajoute le droit pour le public d’en recevoir (voir, parmi d’autres, Observer et Guardian c. Royaume-Uni, 26 novembre 1991, § 59, série A no 216, et Dupuis et autres c. France, no 1914/02, § 41, 7 juin 2007). Cela étant, la Cour remarque qu’en l’espèce le raisonnement des tribunaux internes ne montre pas que cette considération ait été jugée comme pertinente ni qu’elle ait pesé dans leur appréciation de l’affaire. Les tribunaux ont insisté sur le caractère « sensationnel » (scandalistico) de l’article (paragraphes 17 et 21 ci-dessus) sans mettre suffisamment en balance les différents valeurs et intérêts en conflit.
48. La Cour note ensuite, en ce qui concerne le statut des personnes ciblées par les propos incriminés, qu’A.R. et U.B. étaient deux officiers des carabinieri de la section antiterroriste de Milan, directement impliquée dans l’enquête relative à la mort de Walter Tobagi. Les déclarations litigieuses portaient en particulier sur l’activité professionnelle des deux hommes, et non pas sur des aspects de leur vie privée. Or la Cour rappelle que, si l’on ne saurait dire que les fonctionnaires s’exposent sciemment à un contrôle attentif de leurs faits à l’instar des hommes politiques (Busuioc c. Moldova, no 61513/00, § 60, 21 décembre 2004, Mamère c. France, no 12697/03, § 27, CEDH 2006‑XIII), les limites de la critique à l’égard des fonctionnaires agissant en qualité de personnages publics dans l’exercice de leurs fonctions officielles sont plus larges que pour les simples particuliers (voir, parmi d’autres, Medžlis Islamske Zajednice Brčko et autres c. Bosnie‑Herzégovine [GC], no 17224/11, § 98, 27 juin 2017, Mariapori c. Finlande, no 37751/07, § 56, 6 juillet 2010). En l’espèce, la Cour observe que les tribunaux internes ont axé leur appréciation du préjudice sur la réputation des deux officiers (paragraphes 17 et 21 ci‑dessus) sans prendre en considération que les impératifs de protection des fonctionnaires doivent, le cas échéant, être mis en balance avec les intérêts de la liberté de la presse ou de la libre discussion de questions d’intérêt général (Mamère, précité, § 27).
49. En outre, la Cour estime que le ton général de l’article n’était pas offensant ou insultant (Radobuljac c. Croatie, no 51000/11, § 66, 28 juin 2016) et que son contenu ne consistait pas en des attaques personnelles visant spécifiquement les deux officiers mis en cause (voir, a contrario, Perna c. Italie [GC], no 48898/99, §§ 13 et 47, CEDH 2003‑V). À cet égard, on notera que les requérants ont pris soin d’indiquer que la réputation des carabinieri n’était pas en cause et que le but de l’article était de « rétablir la vérité » et de se questionner sur le fonctionnement du corps des carabinieri pendant les « années de plomb » (paragraphe 11 ci-dessus).
50. La Cour relève en outre, pour ce qui est de la structure de l’article contesté, que celui-ci portait principalement sur deux entretiens (paragraphe 12 ci-dessus) : le premier concernait les propos de D.C., ancien brigadier des carabinieri qui, à l’époque des faits relatés, faisait partie de la section antiterroriste de Milan ; le second visait les déclarations du général N.B., à l’époque proche collaborateur du général Dalla Chiesa, chef de la coordination de la lutte contre le terrorisme dans l’Italie du Nord. Le premier requérant avait rédigé le titre, les sous-titres, l’introduction et les éléments de liaison de l’article. La Cour constate que les passages dont le premier requérant est l’auteur sont pour la plupart des résumés des déclarations de D.C. et de N.B. (paragraphe 11 ci-dessus). Elle observe en revanche que le titre « Tobagi aurait pu être sauvé », le passage « (...) lorsque [A.] a démissionné, les ennuis ont commencé » de l’un des sous‑titres (paragraphe 8 ci‑dessus), ainsi que l’introduction de l’article, lue dans sa globalité, peuvent être assimilés à des jugements de valeur (Thorgeir Thorgeirson c. Islande, 25 juin 1992, § 65, série A no 239). La cour d’appel de Milan est d’ailleurs allée dans le même sens lorsqu’elle a indiqué que le premier requérant était l’auteur des titres, des sous-titres et des « commentaires personnels » (paragraphe 21 ci-dessus). Il convient également de noter que les déclarations de D.C. n’ont pas été réécrites par le premier requérant (voir, a contrario, Dyundin c. Russie, no 37406/03, § 37, 14 octobre 2008) ni remaniées (Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, §§ 145‑152, CEDH 2007‑V). Quant au ton des commentaires du premier requérant, la Cour ne voit pas d’éléments indiquant que ce dernier ait dépassé les bornes de la dose d’exagération généralement acceptée (Gawęda c. Pologne, no 26229/95, § 34 in fine, CEDH 2002‑II).
51. En ce qui concerne les reportages de presse fondés sur des entretiens, la Cour rappelle avoir déjà jugé qu’il convient de distinguer les déclarations qui émanent du journaliste lui-même de celles qui sont des citations de tiers. En effet, sanctionner un journaliste pour son aide à la diffusion de déclarations émises par un tiers lors d’un entretien entraverait gravement la contribution de la presse aux discussions de problèmes d’intérêt général et ne saurait se concevoir sans raisons particulièrement sérieuses (Novaya Gazeta et Milashina c. Russie, no 45083/06, § 71, 3 octobre 2017, Dyundin, précité, § 29, et Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 35, série A no 298). La Cour a également estimé que le fait d’exiger de manière générale que les journalistes se distancient systématiquement et formellement du contenu d’une citation qui pourrait insulter des tiers, les provoquer ou porter atteinte à leur honneur ne se concilie pas avec le rôle qu’a la presse d’informer sur des faits ou des opinions et des idées qui ont cours à un moment donné (voir, par exemple, Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, § 64, CEDH 2001‑III).
52. En l’espèce, la Cour considère que les tribunaux internes n’ont pas différencié les propos tenus par le premier requérant de ceux de D.C. (Ólafsson c. Islande, no 58493/13, § 59, 16 mars 2017). En particulier, les tribunaux ont retenu le caractère diffamatoire de l’article et jugé le premier requérant coresponsable du délit de diffamation aux motifs qu’il avait « adhéré à la thèse de l’inactivité volontaire des officiers » (paragraphe 17 ci-dessus), qu’il avait montré sa volonté de nuire à des officiers du corps des carabinieri et qu’il avait manqué à son devoir « de contrôle de la véracité de ces graves accusations » (paragraphe 24 ci-dessus). Quant au deuxième requérant, celui-ci a été jugé responsable d’omission pour ne pas avoir procédé à un contrôle préventif à la diffusion de propos potentiellement diffamatoires.
53. En premier lieu, si la Cour admet, à l’instar des tribunaux internes, que les allégations contenues dans l’article étaient de nature à porter atteinte à la réputation des parties civiles, il est cependant évident que les propos litigieux n’émanaient ni du premier ni du deuxième requérant, mais de D.C. (paragraphe 12 ci-dessus).
54. À cet égard, la Cour observe que, pour autant que la condamnation des requérants visait à la protection de l’intérêt légitime des parties civiles contre les propos diffamatoires formulés par D.C., cet intérêt se trouvait déjà largement préservé par le procès en diffamation intenté contre ce dernier, qui a par ailleurs mené à sa condamnation (paragraphe 15 ci-dessus) (Ólafsson c. Islande, no 58493/13, §§ 58-60, 16 mars 2017).
55. En deuxième lieu, la Cour rappelle que, lorsque les journalistes reprennent des déclarations faites par une tierce personne, le critère à appliquer ne consiste pas à se demander si ces journalistes peuvent prouver la véracité des déclarations, mais s’ils ont agi de bonne foi et se sont conformés à l’obligation leur incombant d’habitude de vérifier une déclaration factuelle en s’appuyant sur une base réelle suffisamment précise et fiable qui pût être tenue pour proportionnée à la nature et à la force de leur allégation (Dyundin, précité, § 35), sachant que plus l’allégation est sérieuse, plus la base factuelle doit être solide (Pedersen et Baadsgaard précité, § 78).
56. La Cour observe que les requérants ont fourni un nombre consistant de documents et d’éléments de fait prouvant les vérifications effectuées et permettant de considérer la version des faits relatée dans l’article comme étant crédible et la base factuelle comme étant solide (paragraphes 19 et 23 ci-dessus). Elle relève que ces vérifications ont trouvé ultérieurement, au cours du procès, un appui dans les déclarations faites sous serment par D.C. quant à l’existence d’autres notes transmises par celui-ci à ses supérieurs et mentionnant les noms des terroristes (paragraphe 19 ci-dessus), ainsi que dans le document transmis au général N.B. et produit par ce dernier (paragraphe 23 ci-dessus). La Cour rappelle avoir déjà jugé que le degré de précision requis pour établir le bien-fondé d’une accusation en matière pénale par un tribunal est difficilement comparable à celui qu’un journaliste devrait observer lorsqu’il s’exprime sur un sujet d’intérêt public (Cojocaru c. Roumanie, no 32104/06, § 29, 10 février 2015).
57. La Cour rappelle également qu’avec l’écoulement du temps non seulement il devient plus difficile pour les médias de prouver les faits sur lesquels ils se sont fondés, mais aussi le préjudice pour la personne prétendument diffamée par les éléments pertinents est amené à disparaître (Flux c. Moldova (no 1), no 28702/03, § 31, 20 novembre 2007). En l’espèce, elle constate que les déclarations de D.C. portaient sur des faits datant de la fin de l’année 1979 et que l’article a été publié vingt-cinq ans après, en 2004.
58. En conclusion, la Cour estime que les tribunaux internes, en considérant que les propos de D.C. étaient mensongers et en contradiction avec la « vérité judiciairement établie de manière définitive » sur l’assassinat de Walter Tobagi (paragraphe 21 ci-dessus), n’ont pas donné des motifs pertinents et suffisants pour écarter les informations fournies et les vérifications effectuées par les requérants, résultat d’un travail d’investigation sérieux et étoffé (Dyundin, précité, §§ 35 et 36).
59. Enfin, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont des éléments à prendre en compte. À ce sujet, le gouvernement défendeur soutient que les sanctions prises par les juridictions internes contre les requérants étaient clémentes. La Cour observe cependant que les intéressés ont été déclarés coupables de diffamation et condamnés chacun au paiement d’une amende pénale, ce qui confère à la mesure un degré élevé de gravité. Si le montant des amendes peut ne pas apparaître en soi comme excessif, une sanction pénale n’en reste pas moins une peine et, comme telle, risque d’avoir un effet particulièrement dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression (voir, avec la jurisprudence citée, Nadtoka c. Russie, no 38010/05, § 48, 31 mai 2016).
60. À cela il convient d’ajouter le fait que les juridictions compétentes ont condamné les deux requérants, et D.C., à verser aux parties civiles la somme provisionnelle de 120 000 EUR à titre de dommages-intérêts, outre les frais et dépens à 33 500 EUR pour trois degrés de juridiction, et renvoyé l’affaire devant le juge civil aux fins de la détermination exacte du préjudice moral subi par les parties civiles (paragraphe 22 ci-dessus)..
61. Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement dans ses observations (paragraphe 42 ci-dessus), le fait que la somme provisionnelle allouée aux parties civiles à titre de dommage-intérêts a été versée par la société d’édition de l’hebdomadaire n’est pas susceptible de modifier la situation (Kapsis et Danikas, précité, § 40). En effet, l’on ne saurait nier l’effet dissuasif de pareilles sanctions sur le rôle des journalistes (Narodni List D.D. c. Croatie, no 2782/12, § 71, 8 novembre 2018) de contribuer à la discussion publique de questions qui intéressent la vie de la collectivité.
62. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la condamnation des requérants s’analyse en une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté d’expression des intéressés, qui n’était donc pas « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 10 de la Convention.
63. Partant, il y a eu violation de cette disposition.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
64. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
65. Les requérants réclament 15 000 euros (EUR) chacun au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi.
66. Le Gouvernement conteste la demande, qu’il estime être mal-fondée et, en tout état de cause, excessive.
67. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer, à chaque requérant, l’intégralité de la somme réclamée.
B. Frais et dépens
68. Les requérants sollicitent également 9 920 EUR pour les seuls frais et dépens engagés devant la Cour.
69. Le Gouvernement conteste le bien-fondé de cette demande et, à titre subsidiaire, soutient que seuls les frais effectivement engagés, étayés par des documents, peuvent être pris en compte par la Cour.
70. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants la somme de 3 500 EUR pour la procédure devant elle.
C. Intérêts moratoires
71. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 15 000 EUR (quinze mille euros) à chacun des requérants, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme ;
ii. 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 janvier 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Abel CamposKrzysztof Wojtyczek
GreffierPrésident
* * *
[1]. La loge maçonnique « P2 » fut interdite en janvier 1982, à la suite de la loi n° 17/1982 ; à son apogée, elle était constituée d’un influent réseau d’hommes politiques, de magistrats, d’hommes d’affaires et de militaires.