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26/03/2020 | CEDH | N°001-201895

CEDH | CEDH, AFFAIRE BILALOVA ET AUTRES c. POLOGNE, 2020, 001-201895


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BILALOVA ET AUTRES c. POLOGNE

(Requête no 23685/14)

ARRÊT

Art 5 § 1 f) • Expulsion • Prolongation irrégulière de la détention d’enfants après le rejet du statut de réfugié, assorti d’un ordre d’expulsion • Placement dans une structure semblable à une prison • Omission des autorités d’envisager des mesures alternatives • Absence de diligences nécessaires des autorités pour limiter au strict minimum la durée de l’enfermement des enfants

Cette version a été rectifiée le 9 juin 2020 conformément à l

’article 81 du règlement de la Cour.

STRASBOURG

26 mars 2020

DÉFINITIF

26/07/2020

Cet arrêt est devenu définitif...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BILALOVA ET AUTRES c. POLOGNE

(Requête no 23685/14)

ARRÊT

Art 5 § 1 f) • Expulsion • Prolongation irrégulière de la détention d’enfants après le rejet du statut de réfugié, assorti d’un ordre d’expulsion • Placement dans une structure semblable à une prison • Omission des autorités d’envisager des mesures alternatives • Absence de diligences nécessaires des autorités pour limiter au strict minimum la durée de l’enfermement des enfants

Cette version a été rectifiée le 9 juin 2020 conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

STRASBOURG

26 mars 2020

DÉFINITIF

26/07/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Bilalova et autres c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Pauliine Koskelo,
Jovan Ilievski,
Raffaele Sabato, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mars 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23685/14) dirigée contre la République de Pologne et dont des ressortissants russes, Mme Dagmara Bilalova et ses enfants (voir annexe) (« les requérants »), ont saisi la Cour le 25 mars 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me J. Białas, avocat de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme de Varsovie (« la Fondation Helsinki »). Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, d’abord Mme J. Chrzanowska puis M. J. Sobczak, du ministère des Affaires étrangères. Le gouvernement russe n’a pas usé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

3. Le 13 octobre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

4. Les ONG AIRE Centre (the Centre for Advice on Individual Rights in Europe), ECRE (the European Council on Refugees and Exiles) et ICJ (the International Commission of Jurists) (« des tiers intervenants ») ont été autorisées par le président à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement). Elles ont présenté conjointement des observations écrites.

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants, Mme Dagmara Bilalova (« la requérante »), née en 1982, et ses cinq enfants (« les enfants requérants »), nés respectivement en 2004, en 2006, en 2008, en 2009 et en 2010, sont des ressortissants russes d’origine tchétchène. Ils résident actuellement à Kurchaloi, en République tchétchène.

1. La première demande d’attribution du statut de réfugié

6. En juin 2013, l’époux de la requérante et père des enfants requérants déposa auprès de l’Office des étrangers une demande d’attribution du statut de réfugié concernant toute la famille, qui se trouvait alors sur le territoire polonais. Après avoir été suspendue en juillet 2013 en raison du départ de la famille pour l’Allemagne, l’instruction de la procédure afférente à cette demande fut reprise en août 2013 après le retour en Pologne du seul époux de la requérante.

7. Le 21 janvier 2014, le chef de l’Office des étrangers rejeta la demande susmentionnée, refusa d’accorder à la famille la protection subsidiaire (ochrona uzupełniająca) et ordonna son expulsion. Par une décision du 5 mars 2014, qui fut signifiée à la requérante cinq jours plus tard, un recours formé par l’époux de cette dernière fut rejeté, à la suite de quoi celui‑ci quitta la Pologne, apparemment pour la Tchétchénie.

2. La détention des requérants dans un centre fermé pour étrangers et la deuxième demande d’attribution du statut de réfugié

8. Le 26 novembre 2013, les requérants furent remis aux autorités polonaises par leurs homologues allemands, conformément à la procédure prévue par le règlement (CE) no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (dit « règlement Dublin II »).

9. Le 27 novembre 2013, au cours d’une audience à laquelle la requérante comparut en étant assistée par un interprète, le tribunal de district de Zgorzelec ordonna la détention des requérants dans un centre fermé pour étrangers pour une durée de soixante jours, soit jusqu’au 24 janvier 2014. Le tribunal fonda sa décision sur l’article 88 alinéa 1 de la loi relative à l’octroi de la protection aux étrangers sur le territoire de la République de Pologne (« la loi sur la protection des étrangers ») combiné aux articles 89 alinéa 1 et 87 alinéa 2 point 1 de la même loi (paragraphes 29‑31 ci‑dessous).

Prenant en compte le fait que les requérants s’étaient rendus en Allemagne de manière irrégulière, qu’ils n’avaient pas de domicile et qu’aucun proche ne pouvait les accueillir, le tribunal considéra que la requérante ne fournissait pas de garanties quant à sa comparution devant les autorités et que, par conséquent, seule la détention des requérants pouvait garantir le bon déroulement de la procédure afférente à leur demande d’attribution du statut de réfugié. Il estima en outre que les circonstances indiquées à l’article 88 alinéa 2 de la loi sur la protection des étrangers (paragraphe 30 ci-dessous) n’étaient pas présentes en l’espèce.

10. À l’issue de la même audience, le tribunal informa la requérante sur les voies et les délais de recours disponibles.

11. À une date non précisée dans la requête, les requérants furent placés dans le centre fermé pour étrangers de Kętrzyn.

12. Le 23 janvier 2014, le tribunal de district de Kętrzyn, statuant en application de l’article 89 alinéa 3 de la loi sur la protection des étrangers (paragraphe 31 ci-dessous), prolongea la détention des requérants jusqu’au 24 avril 2014, estimant que cette période supplémentaire était nécessaire à la mise en œuvre de la décision ordonnant leur expulsion.

13. Le 28 janvier 2014, la requérante déposa un recours contre cette décision. Elle alléguait, notamment, que, en ordonnant son maintien en détention, d’une part, le tribunal de district n’avait pas tenu compte du fait qu’elle était accompagnée de jeunes enfants et, d’autre part, il n’avait pas examiné si le séjour prolongé des mineurs dans le centre fermé de Kętrzyn était respectueux de leurs intérêts et avait de la sorte enfreint les dispositions pertinentes en l’espèce de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, de l’article 3 de la Convention et de la loi sur les étrangers. Se référant, notamment, à la jurisprudence Kanagaratnam c. Belgique (no15297/09, § 84, 13 décembre 2011), la requérante soutenait qu’un enfermement des enfants dans une structure de ce type était en soi préjudiciable pour eux et que leur intérêt supérieur devait prévaloir, y compris dans le contexte de l’expulsion. La requérante se plaignait enfin de la séparation d’avec son époux, alors placé dans le centre ouvert pour étrangers de Dębak, près de Varsovie.

14. Dans un document écrit venant compléter son recours, la requérante indiquait faire elle-même l’objet d’un suivi par un psychologue et un psychiatre en raison de la détresse que sa privation de liberté lui aurait occasionnée. Dans une attestation jointe à ce document, établie le 31 janvier 2014 par un psychiatre, il était noté que la requérante présentait des troubles d’anxiété typiques mais dépourvus de caractère psychotique, que ces troubles pouvaient être imputables à l’angoisse ressentie par l’intéressée et que le suivi de ceux-ci et un traitement médicamenteux étaient préconisés.

15. Le 21 février 2014, le tribunal régional d’Olsztyn rejeta le recours de la requérante. Dans les motifs de sa décision, ce tribunal observa que la mesure incriminée était respectueuse de la disposition de l’article 89 alinéa 3 de la loi sur la protection des étrangers (paragraphe 31 ci‑dessous) et justifiée, eu égard aux circonstances de l’espèce. Rappelant que les requérants s’étaient rendus en Allemagne de manière irrégulière, le tribunal estima que leur maintien en détention était nécessaire à la préservation du bon déroulement de la procédure relative à leur demande d’attribution du statut de réfugié et à la mise en œuvre adéquate de la mesure ordonnant leur expulsion.

Le tribunal considéra en outre que la détention des enfants requérants dans un centre fermé n’allait pas à l’encontre des intérêts respectifs de ces derniers dès lors que ceux-ci n’étaient pas séparés de leur mère et qu’aucune contre‑indication à l’application de cette mesure ne ressortait des certificats médicaux mis à sa disposition.

16. Le 13 mars 2014, la requérante formula une nouvelle demande d’attribution du statut de réfugié.

17. À une date non précisée dans la requête, elle soumit aux autorités une attestation dressée le 24 mars 2014 par le psychologue d’une association dispensant un soutien psychologique aux migrants. Ce document faisait état du vécu difficile et de la fragilité psychologique des requérants et mentionnait la survenue d’incidents de violence conjugale dont la requérante avait été victime. Il y était noté de plus que la détention prolongée des enfants requérants dans le centre fermé pourrait leur être préjudiciable et que l’incidence de cette mesure sur leur condition psychologique n’avait pas été examinée. L’attestation recommandait le placement des enfants requérants dans une structure non surveillée en permanence par un personnel en uniforme et la mise en place à leur égard d’une thérapie adaptée à leur situation particulière.

18. Le 25 mars 2014, la requérante saisit la Cour, en vertu de l’article 39 du règlement de celle-ci, d’une demande de suspension de la mesure d’expulsion vers la Fédération de Russie. Le 27 mars 2014, la Cour décida de ne pas faire droit à cette demande.

19. Dans l’intervalle, le 26 mars 2014, la Fondation Helsinki avait prié le commandant en chef de la police aux frontières de ne pas procéder à l’expulsion des requérants avant l’expiration du délai de recours – un mémoire étant alors en cours de rédaction – contre la décision du 5 mars 2014 (paragraphe 7 ci-dessus).

20. Le 28 mars 2014, la Fondation Helsinki fut informée par les autorités de l’expulsion des requérants intervenue la veille.

21. Le 4 avril 2014, le conseil de la requérante déposa devant le tribunal administratif de Varsovie un recours contre la décision du 5 mars 2014.

22. Le 1er novembre 2014, le chef de l’Office des étrangers abandonna la procédure afférente à la deuxième demande d’attribution du statut de réfugié des requérants, au motif que ceux-ci avaient entretemps été expulsés.

23. Le 16 mars 2015, le tribunal administratif régional de Varsovie rejeta le recours du 4 avril 2014, puis, le 17 février 2017, la Cour administrative suprême rejeta le pourvoi en cassation de la requérante.

3. Les conditions de séjour des requérants dans le centre fermé pour étrangers de Kętrzyn

24. Selon les informations ayant été communiquées à la Cour par le Gouvernement, à leur admission au centre fermé de Kętrzyn, les requérants ont subi un examen médical. Au cours de leur séjour subséquent dans ce centre, la requérante aurait à plusieurs occasions bénéficié de consultations médicales et se serait entretenue avec un psychologue, et les enfants requérants auraient été examinés par un pédiatre.

25. À plusieurs occasions, les requérants se seraient vu fournir des tenues vestimentaires par le personnel du centre.

26. Les deux enfants requérants les plus âgés auraient suivi des cours d’un niveau équivalant à celui des cours dispensés à l’école primaire, et l’un des trois autres enfants requérants, bien qu’ayant le droit d’assister à ces cours, ne l’aurait pas fait. Tous les enfants requérants auraient participé aux activités de loisirs et aux ateliers de musique et de théâtre proposés par le centre de rétention. Ils auraient eu à leur disposition des jouets et des livres adaptés à leurs âges respectifs.

27. Les requérants auraient eu la possibilité de rester en dehors des locaux fermés du centre mais dans l’enceinte de celui-ci de 9 heures à 21 heures.

28. Selon les témoignages des membres du personnel du centre, à leur arrivée dans cette structure, les enfants requérants étaient apeurés et peu enclins à nouer des contacts avec les autres résidents. Leur comportement aurait néanmoins évolué positivement par la suite.

2. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
1. Le droit et la pratique internes pertinents
1. La loi sur la protection des étrangers dans sa formulation applicable à l’époque des faits

29. L’article 87 alinéa 2 point 1 de la loi sur la protection des étrangers permet l’arrestation d’un étranger, entre autres, en cas de passage illégal d’une frontière ou de tentative en ce sens, sauf dans le cas où l’intéressé est originaire d’un pays dans lequel il risque d’être persécuté ou de subir des atteintes à sa vie ou à sa liberté, est en mesure de justifier son entrée irrégulière en Pologne et présente sans délai une demande d’attribution du statut de réfugié.

30. Selon l’article 88 alinéas 1 et 2 de ladite loi, dans les situations indiquées à l’article 87, le demandeur ou la personne représentée par celui‑ci sont placés dans un centre fermé pour étrangers ou en maison d’arrêt en vue de leur expulsion dès lors que l’autorité de la police aux frontières compétente établit que pareille mesure est nécessaire eu égard aux impératifs de défense, de sécurité nationale ou d’ordre public. Cette disposition ne concerne pas les mineurs non accompagnés ni les étrangers atteints d’une infirmité ou ceux dont l’état de santé révèle qu’ils ont subi des violences, sauf en cas de comportement de leur part contraire à la sécurité, à la santé ou à la vie des autres détenus ou des membres du personnel de l’établissement dans lequel ils sont détenus.

31. Selon l’article 89 alinéas 1 et 3 de la même loi, le placement en centre fermé ou en maison d’arrêt en vue d’une expulsion est décidé pour une durée comprise entre trente et soixante jours. Dans le cas où l’étranger concerné se voit signifier avant le terme de la période de placement la décision portant rejet de sa demande d’attribution du statut de réfugié assortie d’un ordre d’expulsion, sa détention peut être prolongée pour une durée déterminée, en l’occurrence celle jugée nécessaire à l’adoption d’une décision définitive en la matière et à la mise en œuvre de la mesure d’éloignement. La durée totale de l’application de la mesure de placement en centre fermé ou en maison d’arrêt en vue d’une expulsion ne peut dépasser un an.

2. La loi sur les étrangers (Ustawa o cudzoziemcach) du 13 juin 2003 dans sa formulation applicable à l’époque des faits

32. La loi sur les étrangers prévoit, en son article 108 alinéa 1, que l’étranger ayant fait l’objet d’une mesure manifestement injustifiée d’arrestation ou de placement dans un centre fermé en vue de son expulsion a droit à une indemnisation.

3. Les conditions d’accueil au centre fermé pour étrangers de Kętrzyn

33. S’agissant des conditions d’accueil au centre fermé pour étrangers de Kętrzyn au moment des faits, il est renvoyé aux paragraphes 11-16 de l’arrêt Bistieva c. Pologne (no 75157/14, 10 avril 2018).

2. Le droit international pertinent

34. Le droit international pertinent en l’espèce est présenté aux paragraphes 60-91 de l’arrêt A.B. et autres c. France (no 11593/12, 12 juillet 2016) et aux paragraphes 72 et 79 de l’arrêt G.B. et autres c. Turquie (no 4633/15, 17 octobre 2019).

EN DROIT

1. SUR LA RADIATION DU RÔLE DE LA PARTIE DE LA REQUÊTE CONCERNANT LE GRIEF TIRÉ DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

35. Les requérants se plaignent que leurs placement et maintien en détention dans le centre fermé pour étrangers aient violé l’article 8 de la Convention, dès lors que les autorités nationales n’auraient pas envisagé d’alternatives à ces mesures.

36. Le 5 septembre 2018, le Gouvernement a adressé à la Cour une lettre contenant une proposition de résolution des questions soulevées par la partie de la requête concernant le grief tiré de l’article 8 de la Convention, ainsi qu’une déclaration unilatérale relative à ce grief.

37. Par cette lettre, le Gouvernement a reconnu la violation des droits des requérants découlant de l’article 8 de la Convention et s’est engagé à verser à ces derniers la somme de 40 000 zlotys polonais ((PLN), environ 9 300 euros (EUR)). Selon ce document, ladite somme, appelée à couvrir tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens, sera exempte de toute taxe éventuellement applicable et sera versée dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision définitive[1] de la Cour. À défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s’est engagé à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage. Par ailleurs, le Gouvernement a prié la Cour de rayer du rôle la partie de la requête concernant le grief susmentionné.

38. Le 10 octobre 2018, la Cour a reçu de la partie requérante une lettre l’informant que celle-ci acceptait les termes de la déclaration du Gouvernement.

39. Eu égard au grief soulevé sur le terrain de l’article 8 de la Convention, la Cour estime que, compte tenu de l’approbation expresse par la partie requérante des termes de la déclaration formulée par le Gouvernement, il convient de considérer qu’un règlement amiable est intervenu entre les parties.

40. Dès lors, la Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties pour ce qui concerne le grief susvisé. Elle estime que celui-ci s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses Protocoles, et elle n’aperçoit par ailleurs aucun motif justifiant de poursuivre l’examen de cette partie de la requête.

41. En conséquence, il convient de rayer l’affaire du rôle en vertu de l’article 39 de la Convention pour autant qu’elle porte sur le grief susvisé.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

42. Les requérants se plaignent que leurs placement et maintien en détention dans le centre fermé pour étrangers aient été contraires à l’article 3 de la Convention, eu égard à la mauvaise condition psychologique de la requérante, laquelle était selon eux imputable aux incidents de violence conjugale dont l’intéressée avait été victime. La disposition invoquée par les requérants est ainsi libellée :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

43. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que les requérants n’ont pas engagé d’action en indemnisation sur le fondement des articles 23 et 24 du code civil.

44. Concernant le fond du grief, il déclare ne pas vouloir se prononcer sur ce point.

45. Les requérants soutiennent que le recours suggéré par le Gouvernement n’aurait pas été effectif en l’espèce.

46. Quant au bien-fondé de leur grief, les requérants arguent que leur détention a été décidée en dépit de la détresse psychologique que la requérante aurait présentée. Selon eux, même si l’intéressée a attiré l’attention des autorités sur ce point dans le cadre d’un recours contre la prolongation de leur détention, ses allégations à ce propos n’ont pas été examinées.

47. Les requérants observent que les autorités amenées à statuer sur leur détention n’ont pas tenu compte ni des violences infligées à la requérante par son époux, qui l’auraient rendue vulnérable, ni de la détérioration, constatée par les psychologues et les psychiatres, de l’état de santé de celle‑ci. Ils indiquent dans leurs observations du 26 mars 2015 et du 3 octobre 2018, respectivement, que les enfants requérants n’ont pas bénéficié au centre de rétention d’un suivi adapté à leur situation, lequel aurait pourtant été recommandé par un psychologue, et qu’ils ont éprouvé du stress en raison de leurs contacts prolongés avec le personnel en uniforme de ce centre.

48. En l’occurrence, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur l’exception soulevée par le Gouvernement, le grief étant en tout état de cause irrecevable pour les motifs exposés ci-après.

49. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un traitement doit atteindre un minimum de gravité (McGlinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/00, § 45, CEDH 2003-V). L’appréciation de ce minimum dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi autres, Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001-III, Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, § 94, et Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000-XI).

50. En l’espèce, la Cour observe que les requérants se plaignent d’avoir été détenus dans un centre fermé en dépit de la prétendue mauvaise condition psychologique de la requérante et d’avoir subi de ce fait un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Selon les éléments dont la Cour dispose, l’incompatibilité alléguée de la condition psychologique de la requérante avec sa détention a, pour la première fois, été signalée aux autorités dans un document écrit venant compléter le recours que l’intéressée avait exercé contre la décision portant prolongation de la détention (paragraphe 14 ci-dessus). S’il n’apparaît pas que les assertions formulées par la requérante sur ce point aient fait l’objet d’un examen en profondeur du tribunal régional d’Olsztyn (paragraphe 15 ci-dessus), il ne ressort pas non plus des conclusions de l’attestation jointe audit recours que l’état de santé de l’intéressée constituait une contre‑indication à la détention de celle-ci dans le centre fermé ni qu’il était imputable aux violences infligées à la requérante par son époux. La Cour note de plus qu’il ressort du libellé du recours en question que l’intéressée elle-même a demandé aux autorités nationales à être réunie avec son époux (paragraphe 13). La Cour observe en outre que les conclusions de l’attestation du 24 mars 2014 ont été dressées sur la base des seules déclarations de la requérante à propos des incidents de violence conjugale dont celle-ci disait avoir été victime, lesquelles déclarations n’avaient été corroborées par aucun document médical. En tout état de cause, la Cour n’est pas convaincue que les autorités nationales aient eu une occasion suffisante de réagir aux conclusions de cette attestation, laquelle fut dressée trois jours avant l’expulsion des requérants (paragraphe 17 ci‑dessus).

51. La Cour observe que les déclarations du Gouvernement à propos de de la prise en charge médicale des requérants par le personnel du centre de rétention n’ont pas été réfutées. Du reste, la requérante ne formule aucune objection quant à la qualité des soins dispensés dans ce centre.

52. La Cour observe que les griefs qui lui ont été soumis relativement à l’absence d’un suivi psychologique des enfants requérants et au stress occasionné à ces derniers en raison de leurs contacts prolongés avec le personnel en uniforme du centre fermé ont été soulevés, pour la première fois, dans les observations présentées par les requérants respectivement le 26 mars 2015 et le 3 octobre 2018 (paragraphe 47 ci-dessus), soit après l’expiration du délai de six mois.

53. Par conséquent, la Cour rejette cette partie de la requête comme étant tardive, en application de l’article 35 § 1 de la Convention.

54. Concédant que les épreuves liées à leur situation familiale et au séjour à l’étranger que les requérants disent avoir subies ont pu être source de détresse, la Cour considère que les intéressés n’ont pas démontré que la situation dénoncée par eux était imputable aux autorités nationales ou qu’elle leur a occasionné des souffrances d’une intensité ayant dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.

55. Partant, elle rejette cette partie du grief tiré de l’article 3 de la Convention pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

56. La requérante se plaint que le placement et le maintien des enfants requérants en centre fermé aient été irréguliers.

La Cour note que le grief concerne principalement le maintien des enfants requérants en centre fermé après le 23 janvier 2014. Sur ce point, elle observe que la décision portant prolongation de la détention des enfants requérants dans le centre fermé pour étrangers de Kętrzyn a été adoptée deux jours après le rejet de leur demande d’attribution du statut de réfugié, assorti d’un ordre d’expulsion et ultérieurement confirmé par une instance d’appel (paragraphe 7 ci-dessus). Elle estime dès lors que la situation des enfants requérants relève du paragraphe f) de l’article 5 de la Convention, qui permet l’arrestation ou la détention « régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion (...) est en cours ». La disposition susvisée de la Convention est ainsi libellée en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...) »

1. Sur la recevabilité

57. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Il expose que les voies de droit dont les intéressés auraient dû faire usage sont les suivantes : premièrement, un recours contre leur arrestation, le 26 novembre 2013, par la police aux frontières ; deuxièmement, une contestation contre la décision ayant ordonné leur placement en centre fermé ; troisièmement, une action en indemnisation sur le fondement de l’article 108 de la loi sur les étrangers (paragraphe 32 ci‑dessus).

58. Les requérants contestent les dires du Gouvernement : ils estiment en effet que, en exerçant un recours contre leur maintien en détention, ils ont satisfait à l’exigence d’épuisement des voies de recours internes.

Ils soutiennent que, en l’espèce, le fait qu’ils ne sont pas plaints de leurs arrestation et placement en centre fermé ne peut jouer en leur défaveur au motif que, à l’époque de la mise en œuvre de ces mesures, ils venaient d’arriver en Pologne, ne maîtrisaient pas la langue du pays et n’étaient pas non plus au courant de sa législation. Ils ajoutent que, à la suite de leur privation de liberté et en raison de leur situation financière, qu’ils qualifient de mauvaise, ils ont éprouvé des difficultés à trouver un avocat susceptible de les assister dans leurs démarches devant les autorités polonaises. Selon eux, ce n’est que le 19 décembre 2013 qu’ils ont bénéficié, pour la toute première fois, des conseils d’un juriste d’une organisation non gouvernementale (ONG). Enfin, d’après eux, les délais de recours contre les mesures incriminées ont été très brefs.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’action en indemnisation prévue par l’article 108 de la loi sur les étrangers, les requérants soutiennent que l’exercice de cette voie de droit n’aurait pu déboucher ni sur leur libération ni sur leur transfèrement à bref délai dans une structure plus adaptée à leur situation particulière et que ce recours aurait donc été ineffectif en l’espèce.

59. La Cour rappelle que, aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. À cet égard, elle souligne que tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes d’un État contractant l’occasion d’éviter ou redresser les violations alléguées contre lui (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Cette règle se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999‑V).

60. La Cour rappelle également avoir dit à maintes occasions que, lorsqu’est en jeu la légalité de la privation de liberté, le recours le plus adéquat à cet égard est celui qui permet l’obtention d’un contrôle juridictionnel à bref délai de la détention et, le cas échéant, l’élargissement de l’intéressé.

1. Sur la décision initiale de placement

61. En l’espèce, la Cour observe que les requérants n’ont pas formé un recours contre la décision du tribunal de district de Zgorzelec ayant ordonné leur placement dans un centre fermé pour étrangers, en date du 27 novembre 2013. Elle estime que les circonstances invoquées ci‑dessus au paragraphe 60 ne sont pas exceptionnelles au point de les relever de l’obligation leur incombant d’exercer ce recours (voir, a contrario, Conka c. Belgique, no51564/99, § 44, CEDH 2002-I). Elle constate, plus particulièrement, que la requérante, assistée par un interprète, a comparu à l’audience à l’issue de laquelle cette décision a été adoptée et qu’elle a été informée par le tribunal sur les modalités d’introduction d’un recours contre cette dernière (paragraphes 9-10 ci-dessus). La Cour note de plus qu’il ne ressort pas du dossier de la présente affaire que la requérante ait demandé l’assistance gratuite d’un avocat, même si elle en avait la possibilité.

62. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’en l’occurrence il y a lieu d’accueillir l’exception du Gouvernement pour autant qu’elle concerne la partie du grief portant sur le placement des enfants requérants dans un centre fermé pour étrangers. Il s’ensuit que cette partie du grief est irrecevable et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Sur la prolongation de la détention

63. La Cour, poursuivant l’examen du grief en sa partie relative à prolongation de la détention des enfants requérants après le 23 janvier 2014 (paragraphe 12 ci‑dessus), observe que, le 28 janvier 2014, les requérants ont, sans succès, introduit un recours contre cette mesure (paragraphes 13‑14 ci-dessus). Dès lors, la Cour estime que les voies de recours internes ont été épuisées en ce qui concerne cette partie du grief.

64. Ensuite, s’agissant de l’action en indemnisation prévue par l’article 108 de la loi sur les étrangers, la Cour rappelle avoir dit que l’obligation pour un requérant d’épuiser les voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant elle (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001‑V (extraits)) et qu’un recours visant la légalité d’une privation de liberté en cours doit, pour être effectif, offrir à son auteur une perspective de cessation de la privation de liberté contestée (Gavril Yossifov c. Bulgarie, no 74012/01, § 40, 6 novembre 2008, et Mustafa Avci c. Turquie, no 39322/12, § 60, 23 mai 2017). En l’espèce, à la date d’introduction de leur requête devant la Cour, les requérants étaient détenus dans le centre fermé pour étrangers. Or, le recours suggéré étant de nature purement compensatoire, il n’apparaît pas que son exercice aurait pu déboucher sur la libération des intéressés en cas de constat d’illégalité de la détention de ces derniers (mutatis mutandis G.B. et autres, précité, § 136).

65. Enfin, pour autant que le Gouvernement excipe du non‑épuisement par les requérants d’un recours contre leur appréhension par la police des frontières, la Cour note que les intéressés se plaignent du placement et maintien des enfants requérants dans un centre fermé pour étrangers, et non de leur arrestation. Il s’ensuit que le recours cité par le Gouvernement n’est pas pertinent en l’espèce.

66. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement en ce qu’elle porte sur le grief concernant le maintien des enfants requérants en détention dans le centre fermé pour étrangers.

67. Constatant que cette partie du grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Arguments des parties

68. Les requérants soutiennent que le maintien des enfants requérants en centre fermé était irrégulier au motif que les autorités nationales n’ont pas examiné si cette mesure était une solution de dernier ressort et si elle était respectueuse de l’intérêt supérieur de ceux-ci, et qu’elles ont de la sorte enfreint les dispositions de la législation nationale pertinentes en l’espèce.

69. Les requérants reprochent tout particulièrement aux autorités nationales de n’avoir pas envisagé d’alternatives à la détention des enfants requérants et de n’avoir pas non plus recherché si cette mesure pouvait être appliquée pendant un laps de temps plus court que la durée maximale autorisée par la législation interne.

70. Le Gouvernement ne se prononce pas sur le fond du grief.

2. Observations des tiers intervenants

71. Dans leurs observations présentées en leur qualité de tierces parties, les ONG AIRE Centre (the Centre for Advice on Individual Rights in Europe), ECRE (the European Council on Refugees and Exiles) et ICJ (the International Commission of Jurists) font observer que, s’agissant des enfants, en raison de leur grande vulnérabilité, leur privation de liberté va toujours à l’encontre de leur intérêt supérieur, indépendamment du contexte dans lequel elle est appliquée. Elles ajoutent que ce constat vaut également pour les enfants accompagnant leurs parents. Selon elles, les institutions telles la Cour interaméricaine des droits de l’homme et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (voir, le droit international pertinent, paragraphe 34 ci-dessus) partagent cette approche.

72. Les tiers intervenants tiennent à préciser que, d’après les dispositions pertinentes en l’espèce de la directive 2008/115/EC du Parlement européen et du Conseil (ibidem), la détention ne doit être appliquée que sous réserve de l’impossibilité d’envisager des solutions alternatives moins coercitives. Ils disent par ailleurs que, lorsqu’il est question de la détention d’une personne vulnérable, tant la Convention que la législation de l’Union européenne et les instances des Nations unies (ibidem) exigent des autorités nationales qu’elles examinent scrupuleusement la possible incidence de cette mesure sur la personne concernée et qu’elles recherchent effectivement des solutions alternatives. Ils ajoutent que la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (ibidem) préconise que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale dans toute décision le concernant et que les autorités nationales démontrent qu’elles en ont effectivement tenu compte. Enfin, ils indiquent que, selon la même convention, les autorités nationales sont tenues de s’assurer que la détention des enfants soit prononcée et exécutée conformément à la loi, en dernier ressort et pour la période la plus courte possible.

3. Appréciation de la Cour

73. La Cour rappelle que, pour qu’une détention se concilie avec l’article 5 § 1 f) de la Convention, il suffit qu’une procédure d’expulsion soit en cours et que celle-ci soit effectuée aux fins de son application.

74. Elle rappelle ensuite que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions prévues aux alinéas a) à f), mais aussi être « régulière » (voir, parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996‑III, et Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000‑III). En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale, mais elle commande de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (Goussinski c. Russie, no 70276, CEDH 2004‑IV, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 47, CEDH 2003-IV, et Wassink c. Pays-Bas, 27 septembre 1990, § 24, série A no 185-A, G.B. et autres, précité, § 146).

75. La Cour rappelle en outre que le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés. Un lien doit exister entre, d’une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, d’autre part, le lieu et le régime de détention (Muskhadzhivyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, § 73, 19 janvier 2010, et Kanagaratnam, précité, § 84, G.B. et autres, précité, § 151). La Cour ne perd pas de vue à cet égard que les mesures de détention s’appliquent à des ressortissants étrangers qui, le cas échéant, n’ont commis d’autres infractions que celles liées au séjour (Riad et Idab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 100, 24 janvier 2008). De plus, la durée de la détention ne doit pas excéder un délai raisonnablement nécessaire pour atteindre le but poursuivi (ibidem).

76. La Cour rappelle encore qu’elle a égard à la situation particulière des personnes privées de liberté. Ainsi, par exception, quand un enfant est présent, elle estime que la privation de liberté doit être nécessaire pour atteindre le but poursuivi, à savoir pour assurer l’expulsion de la famille. Dans ce contexte, elle examine, notamment, si les autorités ont concrètement recherché si le placement en détention était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune autre alternative ne pouvait être substituée (Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, § 119, 19 janvier 2012, G.B. et autres précité, § 151).

77. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle-même peut examiner seulement la période de détention des enfants requérants d’une durée d’environ deux mois postérieure à la décision du tribunal de district de Kętrzyn du 23 janvier 2014 (paragraphes 12, 20 et 63 ci-dessus). Elle note que, pour maintenir les enfants requérants en détention, ce tribunal s’est fondé sur la disposition de l’article 89 alinéa 3 de la loi sur la protection des étrangers (paragraphes 12 et 31 ci-dessus). Eu égard à son observation au paragraphe 56 ci-dessus, la Cour considère que la détention des enfants requérants avait une base légale en droit interne. Il ressort des décisions respectives du tribunal de district de Kętrzyn et du tribunal régional d’Olsztyn, en date du 23 janvier 2014 et du 21 février 2014, que le maintien des requérants dans un centre fermé pour étrangers était nécessaire à la préservation du bon déroulement de la procédure relative à leur éloignement, eu égard, notamment, à leur antécédent de déplacement en Allemagne. Au vu des éléments du dossier, la Cour estime ne pas disposer d’éléments de nature à remettre en cause l’appréciation portée par les juridictions nationales sur ce point. Elle note en même temps que l’époux et père des requérants, qui se trouvait dans une situation similaire à celle de ses proches, a été placé dans une structure pour étrangers ouverte et n’a pas été privé de sa liberté (paragraphe 13 ci‑dessus).

78. La Cour observe qu’à l’époque où les autorités ont décidé de prolonger leur détention de trois mois consécutifs les enfants requérants étaient déjà détenus dans le même centre depuis presque deux mois. Si les conditions matérielles d’accueil des intéressés semblent avoir été correctes (paragraphes 24-28 et 33 ci-dessus), cette structure constituait, à n’en pas douter, un lieu d’enfermement semblable, à de nombreux égards, aux établissements pénitentiaires (Bistieva, précité, § 88). La Cour rappelle dans ce contexte que, dans le cadre d’affaires analogues à la présente dont elle a eu à connaître, elle a jugé contraires à la Convention des cas de rétention ‑ dans des structures similaires à celle dans laquelle les enfants requérants ont été détenus – de mineurs en bas âge accompagnés de leurs parents pendant des périodes d’une durée bien inférieure à celle critiquée en l’espèce (voir, par exemple, A.M. et autres, précité, §§ 48‑49, R.K et autres, précité, § 68-69, et A.B. et autres, précité, §§ 111-112).

79. La Cour note qu’il ressort de sa jurisprudence désormais bien établie en la matière que, par principe, l’enfermement de jeunes enfants dans de telles structures doit être évité et que seul un placement pour une brève durée dans des conditions adaptées pourrait être compatible avec la Convention, sous réserve toutefois que les autorités établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir concrètement vérifié qu’aucune autre mesure moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en place (A.B. et autres, précité, § 123).

80. En l’occurrence, tout en ayant égard aux motifs invoqués par les autorités nationales à l’appui de la mesure litigieuse, la Cour estime ne pas disposer des éléments suffisants pour se convaincre que celles-ci ont effectivement recherché si, dans les circonstances particulières de l’espèce, la détention des enfants requérants était une solution de dernier ressort à laquelle aucune mesure alternative ne pouvait se substituer (voir, mutatis mutandis, R.K. et autres, précité, § 86, Popov, précité, § 119, et, a contrario, A.M. et autres, précité, § 68, G.B. et autres précité, § 151).

81. La Cour note que, au moment de l’adoption de la décision portant prolongation de la détention des requérants, la procédure afférente à la demande d’attribution du statut de réfugié était pendante depuis plus de six mois, puis qu’elle a été prolongée de deux mois consécutifs (paragraphes 6‑7 ci-dessus). Eu égard à la durée de ces délais, la Cour n’est pas convaincue que les autorités nationales ayant instruit cette procédure ont mis en œuvre les diligences nécessaires pour limiter au strict minimum la durée de l’enfermement des enfants requérants.

82. Partant, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention dans le chef des enfants requérants.

4. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

83. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

84. Au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi, les requérants réclament une somme totale de 20 000 EUR.

85. Le Gouvernement estime que le montant réclamé est excessif.

86. Prenant en compte le montant proposé par le Gouvernement dans sa déclaration unilatérale concernant l’article 8 de la Convention (paragraphe 37 ci‑dessus) et le principe non ultra petita, la Cour considère que, eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue et à sa pratique en la matière, il y a lieu d’octroyer aux enfants requérants la somme globale de 10 700 EUR en réparation du préjudice moral subi du fait de la violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

2. Frais et dépens

87. Les requérants ne demandent aucune somme au titre des frais et dépens.

3. Intérêts moratoires

88. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de rayer la requête du rôle pour autant qu’elle concerne le grief tiré de l’article 8 de la Convention ;
2. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 1 f) de la Convention concernant le maintien du placement des enfants requérants en centre fermé, et irrecevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 f) de la Convention concernant la décision initiale de placement des enfants requérants en centre fermé;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention dans le chef des enfants requérants ;
4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux enfants requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme globale de 10 700 EUR (dix mille sept cent euros) pour dommage moral à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 mars 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Renata DegenerKsenija Turković
Greffière adjointe Président

ANNEXE

No

|

Prénom NOM

|

Année de naissance

|

Nationalité

---|---|---|---

1.
|

Dagmara Bilalova

|

19.03.1982

|

Russe

2.
|

Zalina Bilalova

|

03.02.2010

|

Russe

3.
|

Zukhra Bilalova

|

10.01.2009

|

Russe

4.
|

Akhiad Bilalov

|

15.01.2008

|

Russe

5.
|

Akhmed Bilalov

|

26.06.2006

|

Russe

6.
|

Liana Bilalova

|

02.12.2004

|

Russe

* * *

[1] Rectifié le 9 juin 2020 : le texte était le suivant : «ladite somme, .. sera versée dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour ».


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-201895
Date de la décision : 26/03/2020
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1-f - Expulsion)

Parties
Demandeurs : BILALOVA ET AUTRES
Défendeurs : POLOGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BIAŁAS J.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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