TROISIÈME SECTION
AFFAIRE OMOREFE c. ESPAGNE
(Requête no 69339/16)
ARRÊT
Art 8 • Vie familiale • Carences du processus décisionnel privant une étrangère en difficulté de contact avec son bébé mis sous tutelle à sa demande puis adopté, six ans plus tard, malgré son opposition • Absence d’aide des services sociaux au développement des aptitudes parentales de la mère et à sa sortie de la pauvreté • Décisions prises avant le délai laissé à la mère pour réaliser ces objectifs • Consentement obligatoire de la mère non déchue de son autorité parentale pour l’adoption de l’enfant • Droit de visite retiré malgré l’opposition ferme de la mère et sans expertise psychologique • Absence d’efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de la requérante à garder le contact avec son enfant, en méconnaissance des décisions judiciaires en ce sens • Existence dès le début d’une intention de placer l’enfant en accueil familial préadoptif, sans envisager des mesures moins radicales • Prise en compte des intérêts de l’enfant attaché à sa famille d’accueil sans les mettre en balance avec ceux de sa mère biologique • Absence d’un examen adéquat et approfondi des arguments et de tous les facteurs et intérêts pertinents en jeu • Carences dans l’appréciation de l’évolution de la situation de la requérante et de ses aptitudes parentales
Art 46 • Exécution de l’arrêt • Autorités internes invitées à réexaminer, dans un bref délai, la situation de la requérante et de son fils mineur et d’envisager la possibilité d’établir un quelconque contact entre eux en tenant compte de la situation actuelle de l’enfant et de son intérêt supérieur
STRASBOURG
23 juin 2020
DÉFINITIF
23/09/2020
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Omorefe c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :
Paul Lemmens, président,
Georgios A. Serghides,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
María Elósegui,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,
Vu :
la requête susmentionnée (no 69339/16) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont une ressortissante nigériane, Mme Pat Omorefe (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 16 novembre 2016,
les observations des parties,
Notant que le 5 avril 2017, le grief concernant le droit à la vie privée et familiale de la requérante a été communiqué conformément à l’article 54 § 2 du règlement de la Cour,
Notant que le 28 janvier 2020 le président de la Section a informé les parents adoptifs de l’enfant biologique de la requérante de la présente affaire ainsi que des règles régissant l’intervention en tant que tierce partie devant la Cour (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement),
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juin 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
La requête concerne, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, le placement en famille d’accueil puis l’adoption du fils de la requérante.
EN FAIT
1. La requérante est née en 1976 et réside à Pampelune. Elle a été représentée par Me M. Ledesma Moreno, avocat.
2. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, R.A. León Cavero et A. Brezmes Martínez de Villareal, avocats de l’État.
1. Genèse de l’affaire et placement du mineur dans un centre d’accueil – PROCÉDURE ADMINISTRATIVE
3. Le 7 décembre 2008, la requérante donna naissance à un bébé prématuré. Le nouveau-né, qui pesait 1,2 kg, fut pris en charge par l’unité néonatale de l’hôpital Virgen del Camino de Pampelune.
4. Le 3 février 2009, la requérante demanda que son fils fût placé sous tutelle dans un centre d’accueil du gouvernement régional de Navarre.
5. Le 4 février 2009, l’enfant fut déclaré par la direction générale de la famille et de l’enfance (DGFE) du gouvernement régional de Navarre en situation légale d’abandon. Dans sa décision, le gouvernement régional mentionnait l’absence de ressources des parents, qui se trouvaient en situation irrégulière en Espagne et qui n’avaient ni emploi ni logement stable, la situation de crise et de conflit dans laquelle se serait trouvé le couple et le sentiment ambivalent de la mère à l’égard de son bébé. L’enfant fut placé dans un centre d’accueil géré par l’association Xilema et l’administration en assuma sa tutelle. L’autorité parentale de la requérante fut suspendue, mais le régime de visites fixé par les autorités et le droit des parents du mineur à être informés de sa situation sauf décision judiciaire a contrario furent toutefois maintenus.
6. Par une lettre reçue le 6 mars 2009, la requérante fut informée que son fils avait été déclaré en situation d’abandon et placé dans un centre d’accueil. La lettre indiquait que la mesure envisagée pour l’enfant était l’accueil familial et que celui-ci pourrait réintégrer sa famille biologique à moyen terme à condition que ses parents réalisent les objectifs suivants : 1) garantir que le parent (père ou mère) prenant en charge l’enfant soit en mesure de dispenser les soins nécessaires au développement normal de celui-ci ; 2) assurer que les conditions socio-économiques dans lesquelles ils se trouvent et leur mode de vie soient compatibles avec les soins requis par leur enfant, et 3) obtenir un emploi, des ressources et un logement stables, avec l’assistance, l’appui et l’encadrement du service social de base/unité de quartier (Servicio Social de Base/Unidad de Barrio). La lettre indiquait également que le processus de récupération de l’enfant par ses parents ferait l’objet d’un examen par le service de protection des mineurs dans un délai de six mois et que la réalisation des objectifs susmentionnés donnerait lieu à une évaluation positive en vue de la réunion de l’enfant avec sa famille biologique ; à l’inverse, selon les termes de la lettre, la non-réalisation des objectifs en question donnerait lieu à l’adoption d’une mesure de protection à plus long terme de l’enfant.
7. Le 25 mars 2009, la commission d’évaluation du gouvernement de Navarre proposa de mettre en œuvre une mesure d’accueil familial préadoptif de l’enfant au motif que la mère n’assistait pas à toutes les visites programmées avec son enfant, que, lorsqu’elle y assistait, elle faisait preuve de détachement à son égard, qu’elle s’était bornée à engager des démarches pour régulariser sa situation en Espagne, qu’elle se trouvait dans une situation personnelle très instable et qu’il n’était pas envisageable qu’elle réalisât les objectifs susmentionnés. Le rapport de la commission d’évaluation indiquait que la requérante ne s’opposerait pas à l’accueil familial du mineur mais qu’elle insistait toutefois pour que cette mesure ne la prive pas de contacts avec son fils.
8. Par une décision du 8 mai 2009, la DGFE du gouvernement de Navarre suspendit les visites de la mère à l’enfant.
9. Tenant compte, entre autres, du manque d’assiduité de la requérante aux visites programmées et de compréhension suffisante des besoins de l’enfant ainsi que de ses difficultés d’établir un lien affectif avec ce dernier, le 25 mai 2009, la DGFE du gouvernement de Navarre demanda au juge de première instance de Pampelune de placer provisoirement l’enfant en accueil familial préadoptif à compter du 18 mai 2009 et de déchoir la requérante de son autorité parentale. À une date qui ne ressort pas du dossier, le mineur fut effectivement placé en accueil familial par décision judiciaire. La requérante s’étant opposée à l’adoption de son fils, le service de protection des mineurs recommanda qu’elle forme une opposition devant le juge contre les mesures de suspension des visites et les mesures successives.
2. Procédure JUDICIAIRE en opposition à l’absence de consentement du parent pour l’adoption
10. Le 22 juillet 2009, la requérante s’opposa, par voie judiciaire, à la proposition de la DGFE selon laquelle son consentement à l’adoption n’était pas nécessaire au motif qu’elle aurait manqué à ses devoirs parentaux.
11. Dans son rapport daté du 22 septembre 2009, la DGFE estima, entre autres, qu’à supposer que la requérante parvînt à développer ses aptitudes parentales et à stabiliser sa situation personnelle et professionnelle jusqu’au niveau requis, le mineur se serait déjà enraciné dans sa famille d’accueil, avec laquelle il aurait créé des liens, et que le retour avec sa mère biologique ne serait donc plus possible, au risque de provoquer chez l’enfant un trauma psychologique ayant des conséquences émotionnelles très négatives pour son développement futur.
12. Par un jugement du 28 janvier 2010, le juge de première instance de Pampelune rejeta l’opposition de la requérante, estimant qu’il existait des motifs pour priver l’intéressée de l’autorité parentale et limitant par conséquent son intervention dans la procédure d’adoption à la simple participation à l’audience (paragraphe 14 ci-dessous).
13. La requérante interjeta appel de ce jugement.
14. Par un arrêt du 10 février 2012, l’Audiencia provincial de Navarre fit droit à l’appel de la requérante, concluant que l’adoption ne pouvait pas avoir lieu sans le consentement de la mère, cette dernière n’ayant pas été privée de l’autorité parentale et s’étant retrouvée dans l’impossibilité de se défendre eu égard aux conclusions du juge de première instance. Contrairement aux affirmations contenues dans le jugement de première instance, l’Audiencia provincial rappela que le seul cas dans lequel il serait possible de ne pas recueillir l’assentiment de la mère biologique pour l’adoption de son enfant serait l’existence d’un motif légal de déchéance de l’autorité parentale. Un tel motif « ne pourrait être apprécié que dans le cadre d’une procédure judiciaire contradictoire [menée conformément au code de procédure civile] » (paragraphe 26 ci-dessous).
L’Audiencia provincial fit référence à la jurisprudence de la Cour concernant la nécessité de ménager un juste équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et les droits que l’article 8 de la Convention reconnaissait à la requérante. Elle indiqua par ailleurs qu’il n’existait aucun rapport psychologique faisant état d’une absence d’affection de la mère pour son fils et que la pauvreté ne pouvait pas être le motif principal invoqué pour priver une mère de ses droits et obligations. L’Audiencia provincial estima que rien dans le dossier ne permettait de conclure à une attitude égoïste de la part de la mère et nota que, bien que la législation de protection des mineurs ait pour but la réintégration de ces derniers dans leur famille biologique, cette question prioritaire n’avait aucunement été examinée par l’autorité publique. Elle rappela qu’il y avait d’autres types d’accueil pour protéger les mineurs en dehors de l’accueil préadoptif et que, l’adoption ne pouvant pas avoir lieu sans l’assentiment de la requérante, il fallait adopter des mesures positives susceptibles de faciliter la réinsertion du mineur dans sa famille d’origine. Elle rejeta toutefois la demande de la requérante tendant à ce que la garde de son fils lui fût rendue.
15. La DGFE du gouvernement de Navarre forma un pourvoi en cassation devant la chambre civile du Tribunal suprême. Ce pourvoi fut déclaré irrecevable par une décision du 4 juin 2013.
16. Un rapport élaboré par une psychologue et une travailleuse sociale en date du 6 septembre 2013 fit état du manque d’aptitudes parentales de la requérante pour faire face aux besoins psychologiques du mineur ainsi que de l’absence de possibilités pour la requérante d’offrir à l’enfant un environnement familial. Le rapport nota que la requérante avait obtenu un titre de séjour temporaire et un permis de travail, qu’elle bénéficiait d’un programme d’aide à l’intégration sociale et de diverses formations et que, dans le contexte de ce programme, elle s’était vu proposer un contrat de six mois renouvelable dans le cadre duquel elle effectuait des travaux de couture.
17. Compte tenu de l’arrêt susmentionné, par une décision du 3 février 2014, le juge de première instance annula la mesure d’accueil familial préadoptif.
3. Procédure en demande DE droit de visite de l’enfant
18. À la suite de l’annulation de la mesure d’accueil familial préadoptif, les 6 et 7 mars 2014 et conformément à l’arrêt du 10 février 2012 (paragraphe 14 ci-dessus), la requérante demanda à l’administration de l’autoriser à rendre visite à son fils. Face au silence de l’administration, elle forma un recours judiciaire contre la non-reconnaissance de son droit de rendre visite à son fils.
19. Par un jugement du 15 juin 2015, le juge de première instance reconnut le droit de la requérante de rendre visite à son fils, une heure par mois, dans le cadre de rencontres supervisées dans un point de rassemblement familial géré par l’administration. Pour parvenir à cette conclusion, le juge prit en compte ce qui suit :
« (...) CINQUIÈMEMENT : (...) la dernière évaluation psycho-sociale de [la requérante] eut lieu en septembre 2013. Près de deux ans se sont donc écoulés, pendant lesquels les circonstances personnelles, psychologiques et sociales de [la requérante] ont pu changer, (...) selon le témoignage de Mme M.J.E., technicienne d’intégration sociale ayant accompagné la requérante dans son évolution de fin 2008 (...) à aujourd’hui. Mme M.J.E. a expliqué (...) que [la requérante] s’était vu octroyer un titre de séjour en Espagne, qu’elle avait suivi des formations professionnelles et académiques, qu’elle avait obtenu divers contrats de travail et qu’elle avait appris à parler, à lire et à écrire en espagnol. Partant, afin de pouvoir affirmer l’existence d’un pronostic négatif quant à la possibilité pour la requérante de récupérer son fils, il conviendrait de réaliser au moins un nouvel examen psycho-social de l’intéressée.
(...)
SIXIÈMEMENT : effets portant préjudice au développement du mineur.
(...) les faits que nous examinons aujourd’hui (...) découlent d’une façon de procéder peu diligente des services sociaux. Un processus de récupération [par la requérante] (...) d’une durée de six mois à compter du 19 février 2009 avait été établi. Toutefois, [trois mois plus tard], le processus de récupération fut abandonné et l’accueil préadoptif fut constitué.
(...) Mme M.J.E., technicienne d’intégration sociale ayant accompagné [la requérante] dans son évolution, indiqua que les services sociaux n’avaient pas contacté [la requérante] pour travailler avec elle (...).
(...) Nous ne pouvons pas refuser à une mère le droit de voir son enfant en raison d’un possible (et non probable) effet négatif pour le mineur, parce qu’il n’y a pas de motif suffisant dans cette affaire pour rompre ce lien affectif naturel, compte tenu du fait que c’était l’administration elle-même qui avait généré cette situation désagréable. Il faut en outre souligner que les effets négatifs éventuels mentionnés par les expertes relèvent de la pure spéculation et ne peuvent pas être soutenus fermement, dans la mesure où [ces expertes] n’ont pas examiné toutes les parties affectées : Mme C. [psychologue] n’a pas analysé le mineur et Mme P. [psychologue] n’a jamais rencontré la requérante. (...) ».
4. Procédure d’adoption
20. Entretemps, par des décisions des 26 juin et 2 juillet 2014, le juge de première instance rejeta de nouvelles demandes de la DGFE du gouvernement de Navarre tendant à l’accueil préadoptif du mineur par sa famille d’accueil et l’adoption de ce dernier au motif que la mère n’avait pas donné son consentement et que celui-ci était nécessaire pour mettre en œuvre lesdites mesures, conformément à l’arrêt rendu le 10 février 2012 par l’Audiencia provincial et confirmé par le Tribunal suprême.
21. L’administration fit appel de ces décisions.
22. Dans un rapport du 11 septembre 2014, la DGFE, tout en prenant note de l’amélioration de la situation d’exclusion sociale de la requérante, constata les liens du mineur avec sa famille d’accueil, avec laquelle il vivait depuis 5 ans, et qui permettait son développement adéquat et son évolution favorable. Un rapport psycho-évolutif du mineur daté du 1er décembre 2014 indiquait qu’un nouveau lien affectif du mineur avec sa mère biologique pourrait ne pas constituer un lien sûr et donner lieu, en raison de son instabilité, à des troubles émotionnels pouvant affecter le développement correct de l’enfant.
23. Par une décision du 28 octobre 2015, l’Audiencia provincial infirma son précédent arrêt et, interprétant l’article 177 du code civil (paragraphe 26 ci-dessous) autorisa l’adoption du fils de la requérante en dépit de l’absence de consentement de la mère biologique et de l’avis contraire du procureur. Se référant à la jurisprudence du Tribunal suprême et aux traités internationaux tels que la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, l’Audiencia provincial considéra que l’absence de consentement de la mère biologique n’était pas un obstacle à l’autorisation par le juge de l’adoption si celle-ci était conforme à l’intérêt du mineur. Elle estima que, dans cette affaire, l’adoption était dans l’intérêt de l’enfant pour deux raisons : 1) l’enfant, âgé de 7 ans, habitait dans sa famille d’accueil pratiquement depuis sa naissance ; 2) la mère n’avait pas toutes les compétences parentales requises. L’Audiencia provincial conclut ce qui suit :
« (...) la meilleure façon de protéger [le mineur] est de le maintenir dans [sa] famille [d’accueil] qui est la seule qu’il connaisse (dans la mesure où il n’a aucun lien avec sa mère biologique, qui est une étrangère pour lui, et qu’il ne connaît même pas), avec des parents avec lesquels il a des liens d’affectivité, et dont la séparation d’avec celle-ci pourrait avoir de graves conséquences sur son intégrité psychique ».
L’Audiencia provincial nota toutefois dans sa décision ce qui suit :
« Toutefois il est opportun de signaler la possibilité, conformément à l’article 178 du code civil, suite à la modification opérée par la loi nº 267/2015 du 28 juillet 2015 portant réforme du système de protection de l’enfance et de l’adolescence, d’adopter à l’avenir, s’il en est ainsi estimé souhaitable et si les conditions légales sont remplies, et toujours dans l’intérêt supérieur du mineur, une quelconque forme de relation ou de contact au travers de visites ou de communications avec la mère biologique. »
24. La requérante saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo, qui fut déclaré irrecevable le 12 septembre 2016 comme étant dépourvu de l’importance constitutionnelle spéciale requise par l’article 50 § 1 b) de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
25. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution disposent ce qui suit :
Article 10
« 1. La dignité de la personne, les droits inviolables qui lui sont inhérents, le libre développement de la personnalité, le respect de la loi et des droits d’autrui sont le fondement de l’ordre politique et de la paix sociale.
2. Les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que reconnaît la Constitution sont interprétées selon la Déclaration universelle des droits de l’homme et les traités et accords internationaux en la matière ratifiés par l’Espagne. »
Article 18 § 1
« 1. Le droit à l’honneur, à la vie privée et familiale et à l’image est garanti.
(...) »
26. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code civil disposent ce qui suit :
Article 170
« Le père ou la mère peuvent être privés totalement ou partiellement de leur autorité parentale par un jugement fondé sur le non-respect des devoirs inhérents à ladite autorité ou rendu dans une procédure pénale ou matrimoniale.
Les tribunaux peuvent, pour le bénéfice et dans l’intérêt de l’enfant, rendre l’autorité parentale lorsque la raison qui en a motivé la privation a cessé d’exister. »
Article 177
« 1. Le ou les adoptants et l’adopté de plus de douze ans doivent consentir à l’adoption en présence du juge.
2. Doivent consentir à l’adoption :
(...)
Les parents de l’adopté qui n’est pas émancipé, sauf s’ils ont été privés de l’autorité parentale par un jugement définitif ou si des motifs légaux [justifient] cette privation. Cette situation ne peut être évaluée que dans le cadre d’une procédure judiciaire contradictoire qui doit être menée conformément au code de procédure civile.
L’assentiment ne sera pas requis lorsque ceux qui doivent le fournir ne sont pas en mesure de le faire, ce qui sera apprécié de manière motivée dans la décision judiciaire constituant l’adoption.
L’assentiment des parents dont les droits parentaux ont été suspendus n’est pas non plus requis lorsque deux ans se sont écoulés depuis la notification de la déclaration d’abandon, aux termes de l’article 172 § 2, sans qu’il y ait eu opposition à celle-ci, ou lorsque [l’opposition] a été rejetée dans le délai imparti.
(...). »
Article 178
« 1. L’adoption entraîne l’extinction des liens juridiques entre l’adopté et sa famille d’origine.
(...)
4. Lorsque l’intérêt du mineur le justifie, en raison de sa situation familiale, de son âge ou de toute autre circonstance significative appréciée par l’entité publique, il peut être décidé de maintenir une quelconque forme de relation ou de contact au travers de visites ou de communications entre le mineur, des membres de sa famille d’origine et la famille adoptive, en favorisant notamment, lorsque cela est possible, la relation entre les frères et sœurs biologiques.
Dans ces cas, le juge, lors de la constitution de l’adoption, peut décider de maintenir cette relation, fixant sa périodicité, sa durée et ses conditions, sur proposition de l’entité publique ou du ministère public et avec le consentement de la famille adoptive et de l’adopté s’il est suffisamment mûr et dans tous les cas s’il a plus de douze ans. En tout état de cause, l’adopté de moins de douze ans est entendu en fonction de son âge et de sa maturité. Si nécessaire, cette relation sera mise en place par l’intermédiaire de l’entité publique ou des entités accréditées à cette fin. Le juge peut également accepter de modifier ou de mettre fin à l’adoption dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’entité publique enverra au juge des rapports périodiques sur le développement des visites et des communications, ainsi que des propositions pour leur maintien ou leur modification pendant les deux premières années, et, après cette période, à la demande du juge.
L’entité publique, la famille adoptive, la famille d’origine et l’enfant ont le droit de demander la suspension ou la suppression de ces visites ou communications si l’enfant est suffisamment mûr et, en tout cas, s’il a plus de douze ans.
Dans la déclaration d’aptitude, il doit être indiqué si les personnes qui souhaitent adopter accepteraient d’adopter un mineur qui maintiendrait une relation avec sa famille d’origine. »
27. Les parties pertinentes du Préambule de la loi no 267/2015 du 28 juillet 2015 portant réforme du système de protection de l’enfance et de l’adolescence disposent ce qui suit :
« (...) L’article 172 ter prévoit la priorité de l’accueil familial sur l’accueil résidentiel ainsi que la possibilité d’accorder, par les entités publiques, des séjours, des sorties le week-end ou des vacances avec des familles, qu’il s’agisse de familles biologiques ou de familles d’accueil,
(...)
L’article 178 inclut, comme nouveauté importante, la possibilité de maintenir, bien que les liens juridiques entre l’adopté et sa famille d’origine s’éteignent lors de la constitution de l’adoption, une certaine forme de relation ou de contact par le biais de visites ou de communications, ce qui peut s’appeler une adoption ouverte. Pour cela, il est nécessaire que, dans la décision de constitution de l’adoption, le juge en décide ainsi, sur proposition de l’entité publique, après une évaluation positive dans l’intérêt du mineur par les professionnels de l’entité publique, et avec le consentement de la famille adoptive et du mineur s’il est suffisamment mûr et dans tous les cas s’il a plus de douze ans (...).
Il s’agit d’une situation prévue avec une ampleur et un contenu différents dans la législation de divers pays, comme les États-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne, l’Autriche, le Canada ou la Nouvelle-Zélande. Dans certains cas, elle est configurée comme « un accord privé entre les parties », avec la supervision et le soutien des entités publiques et, dans d’autres, elle doit être confirmée par un juge, qui sera chargé de décider de son éventuelle modification ou résiliation. Ce dernier cas est le modèle prévu par la présente loi. »
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
28. La requérante reproche à l’administration de n’avoir pris aucune mesure pour favoriser la relation entre son fils et elle, sa mère biologique, lors de la décision de la prise en charge de l’enfant et tout au long de la procédure, et ce en méconnaissance des décisions des juridictions internes. Elle allègue une violation des obligations positives de l’État découlant de l’article 8 de la Convention. Cette disposition est libellée comme suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1. Sur la recevabilité
29. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies des recours internes, arguant que la requérante n’a pas attaqué la décision qui a déclaré légalement l’abandon de son fils. Il soutient que l’intéressée n’a pas non plus tenté de récupérer l’autorité parentale en démontrant devant le juge qu’elle remplissait les conditions demandées.
30. La requérante rappelle que la décision légale d’abandon de son enfant a résulté de ses propres actions lorsqu’elle a elle-même demandé à l’administration de subvenir à ses besoins et à ceux de son fils. Elle ajoute que la déclaration d’abandon n’a impliqué qu’une suspension et non la perte de l’autorité parentale. Il n’y a avait donc pas de raison, selon elle, d’attaquer la déclaration d’abandon ni la perte d’autorité parentale car, d’une part, elle ne l’aurait pas perdue et, d’autre part, il aurait appartenu à l’administration, et non à elle-même, de démontrer qu’il existait un motif justifiant la perte de l’autorité parentale.
31. La Cour relève que la requérante s’est plainte de la procédure d’adoption de son fils, arguant que celle-ci avait été entamée sans son consentement, et note que l’intéressée a obtenu gain de cause concernant la question de l’autorité parentale. L’Audiencia provincial a, en effet, confirmé dans son arrêt du 10 février 2012 (paragraphe 14 ci-dessus) que la requérante n’avait pas été déchue de son autorité parentale et que son consentement était légalement requis pour l’adoption. Concernant la déclaration légale d’abandon de son enfant, la Cour observe que c’est la requérante elle-même qui l’a voulue dans la mesure où elle ne pouvait pas subvenir aux besoins du nouveau-né, et qu’elle a demandé que l’administration en assume sa garde. Les arguments soulevés par le Gouvernement ne sauraient donc entrer en ligne de compte.
32. En conséquence, la Cour rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes formulée par le Gouvernement.
33. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Thèses des parties
34. La requérante estime que, si la mise sous tutelle de son fils par l’administration a pu être la meilleure solution en réponse à sa situation de détresse au moment de la naissance de l’enfant, aucun effort n’a toutefois été fait par l’administration de Navarre par la suite pour lui permettre de récupérer son fils. Elle soutient qu’elle n’a été interrogée par la DGFE du gouvernement de Navarre qu’en 2013, soit quatre ans après le placement de son fils en accueil préadoptif et suite à l’arrêt de l’Audiencia provincial. Ce dernier avait annulé la mesure au motif que le consentement de la requérante était requis pour l’adoption de son enfant. La requérante rappelle qu’elle avait obtenu une carte de séjour et un permis de travail, ce qui démontrerait qu’elle ne se trouvait plus dans la situation d’exclusion dans laquelle elle avait été au début de la procédure, lors de la naissance de son fils. Selon elle, cette amélioration importante de sa situation personnelle n’a toutefois pas été prise en compte. La requérante prie la Cour de conclure à la violation de l’article 8 de la Convention.
35. Le Gouvernement soutient, pour sa part, que le processus décisionnel interne a été équitable et propre à préserver le juste équilibre entre le droit à la vie familiale de la requérante et du mineur. Il estime que les autorités judiciaires internes sont mieux placées pour apprécier dans quelle mesure l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur celui des parents biologiques et qu’elles ont assuré le juste équilibre entre ces intérêts en jeu en permettant à la requérante de rester en contact avec son fils, et en octroyant au mineur une situation de sécurité juridique au sein de sa famille d’accueil, dont l’environnement aurait été favorable à ses besoins et à son développement. Le Gouvernement estime par conséquent qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention en l’espèce.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux relatifs aux obligations positives qui incombent à l’État défendeur en vertu de l’article 8 de la Convention
36. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (Buscemi c. Italie, no 29569/95, § 53, CEDH 1999‑VI, Saleck Bardi c. Espagne, no 66167/09, §§ 49 et 50, 24 mai 2011, et R.M.S. c. Espagne, no 28775/12, § 68, 18 juin 2013) et que des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 151, CEDH 2001‑VII, et Barnea et Caldararu c. Italie, no 37931/15, § 63, 22 juin 2017).
37. Comme la Cour l’a indiqué à plusieurs reprises, l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des autorités publiques ; il ne se contente toutefois pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences. En effet, si les décisions prises par l’autorité responsable aboutissant au placement d’un enfant dans un centre d’accueil s’analysent en des ingérences dans le droit d’un parent au respect de sa vie familiale (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 59, série A no 121), les obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie familiale jusque dans les relations des individus entre eux (X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 23, série A no 91, et Mincheva c. Bulgarie, no 21558/03, § 81, 2 septembre 2010). La Cour rappelle que les principes applicables à l’appréciation des obligations positives incombant à un État au titre de l’article 8 sont comparables à ceux régissant l’appréciation de ses obligations négatives. Dans un cas comme dans l’autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents – ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public (Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, § 65, CEDH 2014 ; Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 62, 6 décembre 2007), en attachant toutefois une importance déterminante à l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, dans ce sens, Strand Lobben et autres c. Norvège [GC], no 37283/13, § 206, 10 septembre 2019, Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, § 64, CEDH 2003‑VIII (extraits), qui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 66, CEDH 2003‑VIII, Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 169, CEDH 2000‑VIII, Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 50, CEDH 2000‑VIII). Dans les affaires dans lesquelles sont en jeu des questions de placement d’enfants et de restrictions du droit de visite, l’intérêt de l’enfant doit passer avant toute autre considération (Strand Lobben et autres, précité, § 204).
38. En même temps, il y a lieu de noter que la recherche de l’unité familiale et celle de la réunion de la famille en cas de séparation constituent des considérations inhérentes au droit au respect de la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention. Par conséquent, toute autorité publique qui ordonnerait une prise en charge ayant pour effet de restreindre la vie de famille est tenue par l’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible (Strand Lobben et autres, précité, § 205, et K. et T. c. Finlande, précité, § 178) mais cette obligation doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant (Strand Lobben et autres, précité, § 208). À cet égard et s’agissant de l’obligation pour l’État de prendre des mesures positives, la Cour a affirmé à maintes reprises que l’article 8 de la Convention implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, Eriksson c. Suède, 22 juin 1989, § 71, série A no 156, Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250, Haddad c. Espagne, no 16572/17, § 64, 18 juin 2019, et Zelikha Magomadova c. Russie, no 58724/14, § 107, 8 octobre 2019). Le point décisif consiste à savoir si, en l’espèce, les autorités nationales ont pris, pour faciliter les visites entre le parent et l’enfant, toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles (Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 128, CEDH 2000‑VIII).
39. L’obligation positive susmentionnée de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant Strand Lobben et autres, § 208 et Zelikha Magomadova, § 107, précités). Dans ce genre d’affaires, le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui (Maumousseau et Washington, précité, § 83, et S.H. c. Italie, no 52557/14, § 42, 13 octobre 2015). Les liens entre les membres d’une famille et les chances de regroupement réussi se trouveront par la force des choses certainement affaiblis si l’on dresse des obstacles empêchant des rencontres faciles et régulières des intéressés (Scozzari et Giunta, précité, § 174, et Olsson c. Suède (no 1), 24 mars 1988, § 81, série A no 130, Strand Lobben et autres, précité, § 208). La décision de prise en charge d’un enfant doit en principe être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant (K. et T. c. Finlande, précité, § 178, Saviny c. Ukraine, précité, § 52, et V.D. et autres c. Russie, précité, § 117). Lorsqu’une période de temps considérable s’est écoulée depuis que l’enfant a été placé pour la première fois sous assistance, l’intérêt qu’a l’enfant à ne pas voir sa situation familiale de facto changer de nouveau peut l’emporter sur l’intérêt des parents à la réunion de leur famille (K. et T. c. Finlande, précité, § 155). De plus, un retard dans la procédure risque toujours en pareil cas de trancher le litige par un fait accompli avant même que le tribunal ait entendu la cause. Or un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la seule base de l’ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du temps (W. c. Royaume-Uni, précité, § 65).
40. La Cour reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, mais cette marge n’est toutefois pas illimitée. Il faut exercer un contrôle plus rigoureux à la fois sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités aux droits et aux visites des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et enfants au respect de leur vie familiale (K. et T. c. Finlande, précité, § 155, Haddad, précité, § 54, et Strand Lobben et autres, précité, § 211).
41. La question de savoir si le processus décisionnel a suffisamment protégé les intérêts d’un parent dépend des circonstances propres à chaque affaire (W. c. Royaume-Uni, précité, § 64, Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 52, CEDH 2000‑VIII et Strand Lobben et autres, précité, § 213). Pour répondre à cette question, la Cour doit vérifier si les juridictions nationales se sont livrées à un examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale et de toute une série d’éléments, d’ordre factuel, affectif, psychologique, matériel et médical notamment, et si elles ont procédé à une appréciation équilibrée et raisonnable des intérêts respectifs (voir, mutatis mutandis, Neulinger et Shuruk, précité, § 139).
42. Il appartient à chaque État contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention et à la Cour de rechercher si, dans l’application et l’interprétation des dispositions légales applicables, les autorités internes ont respecté les garanties de l’article 8 de la Convention, en tenant notamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, mutatis mutandis, Neulinger et Shuruk, précité, § 141, K.A.B. c. Espagne, no 59819/08, § 115, 10 avril 2012, et R.M.S. c. Espagne, précité, § 72).
43. La Cour n’a toutefois pas pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités en matière de réglementation des questions de prise en charge d’enfants par l’autorité publique et des droits des parents dont les enfants ont été ainsi placés, mais de contrôler sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir, par exemple, K. et T. c. Finlande, précité, § 154).
b) Application en l’espèce des principes susmentionnés
44. Les parties ne contestent pas, et la Cour estime établi de manière non équivoque, que les décisions litigieuses prononcées au cours des procédures administratives et judiciaires ayant abouti à l’adoption de l’enfant de la requérante s’analysent en une ingérence dans l’exercice par cette dernière du droit au respect de la vie privée et familiale tant de la requérante que de son enfant biologique, tel que garanti par le paragraphe premier de l’article 8 de la Convention. Il n’est par ailleurs pas contesté non plus que cette ingérence était prévue par la loi, à savoir le code civil dans ses articles 170 et suivants (paragraphe 26 ci-dessus ; voir, toutefois, les paragraphes 12 à 14 ci-dessus quant à l’application de ces articles en l’espèce et à l’évolution de la jurisprudence à cet égard) et la loi nº 267/2015 du 28 juillet 2015 portant réforme du système de protection de l’enfance et de l’adolescence (dont référence est faite au paragraphe 23 ci-dessus), et qu’elles poursuivaient des buts légitimes, à savoir la « protection des droits et libertés » de l’enfant. Cette ingérence remplissait donc deux des trois conditions visées à l’article 8 § 2 de la Convention. Reste toutefois la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
45. La Cour relève que, le 4 février 2009, le fils de la requérante, âgé à l’époque d’un peu moins de deux mois, a été placé dans un centre d’accueil à Pampelune, à la demande de sa mère, et déclaré en situation légale d’abandon (paragraphes 4 et 5 ci-dessus). Il a ensuite été placé en accueil familial préadoptif dans une famille d’accueil.
46. Dans une affaire comme celle de l’espèce, le juge se trouve en présence d’intérêts souvent difficilement conciliables, à savoir ceux de l’enfant, ceux de ses parents biologiques et ceux de la famille d’accueil préadoptif et ultérieurement d’adoption. Dans la recherche de l’équilibre entre ces différents intérêts, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale (voir, entre autres, Moretti et Benedetti c. Italie, no 16318/07, § 67, 27 avril 2010).
47. La Cour observe que, en l’espèce, les autorités administratives ont motivé leurs décisions concluant à la nécessité de l’accueil familial préadoptif du fils de la requérante en se référant à l’absence de ressources des parents de l’enfant, qui se trouvaient en situation irrégulière et sans emploi ni logement stable, à la situation de crise et de conflit qui aurait existé entre la requérante et le père de l’enfant et au sentiment ambivalent de la mère à l’égard de son bébé (paragraphe 5 ci-dessus). La Cour note que, bien que l’autorité parentale de la requérante fût suspendue au moment de la mise sous tutelle de son enfant par l’administration, le régime des visites était toutefois maintenu.
48. La Cour observe également que les autorités administratives avaient envisagé que l’enfant puisse réintégrer sa famille biologique pour autant que le parent prenant en charge l’enfant réalise certains objectifs tendant à assurer les soins nécessaires au développement normal de l’enfant ainsi qu’à obtenir des conditions socio-économiques et un mode de vie compatible avec les soins requis par l’enfant, et cela avec l’assistance, l’appui et l’encadrement du service social de base/unité de quartier (paragraphe 6 ci-dessus). Elle note toutefois qu’à aucun moment de la procédure administrative avant l’arrêt rendu le 10 février 2012 par l’Audiencia provincial de Navarre (paragraphe 14 ci-dessus) n’a eu lieu une évaluation de l’assistance menée par ce service, laissant à la seule charge de la requérante les efforts à réaliser afin de parvenir à accomplir les objectifs mentionnés. Ce n’est que dans le rapport du 6 septembre 2013 que cette évaluation a été réalisée (paragraphe 16 ci-dessus), et cela après, comme la requérante elle-même le souligne, que l’arrêt susvisé empêchant l’adoption de l’enfant fût rendu.
49. La Cour observe en outre que la décision de la commission d’évaluation du gouvernement de Navarre de proposer la mise en œuvre de l’accueil familial préadoptif de l’enfant est intervenue le 25 mars 2009, à peine vingt jours après que la requérante ait été informée, par lettre du 6 mars 2009, que son fils serait placé dans une famille d’accueil et qu’elle se verrait octroyer un délai de six mois pour réaliser des objectifs tendant au retour de son enfant auprès d’elle (paragraphe 7 ci-dessus). La décision prenait note que la requérante insistait sur ce que l’accueil familial préadoptif de son enfant ne devait pas la priver de contacts avec lui. La Cour constate que l’intéressée en a toutefois été privée par la décision du 8 mai 2009 de la DGFE, qui a également décidé de proposer au juge, le 25 mai 2009, soit bien avant le délai de six mois fixé dans la lettre du 6 mars 2009, de la déchoir de son autorité parentale afin de pouvoir déclarer l’adoption du mineur sans le consentement de sa mère.
50. La Cour note que la requérante a maintenu, malgré ses défaillances personnelles et professionnelles et son manque d’aptitude parentale selon les rapports de la DGFE, tout au long des différentes procédures entamées par elle-même ou dont elle a fait l’objet, son opposition ferme à la privation, préconisée par la DGFE, tant de son droit de visite que de son autorité parentale. Elle constate que la DGFE a soutenu dans son rapport du 22 septembre 2009 qu’à supposer même que la requérante parvînt à remplir ces conditions, le retour de l’enfant auprès de sa mère biologique ne serait plus possible, en raison du passage du temps (paragraphe 11 ci-dessus).
51. La Cour note que le juge de première instance de Pampelune a rejeté l’opposition de la requérante et estimé que l’adoption pouvait avoir lieu malgré l’absence de consentement de celle-ci, alors que la requérante n’avait pas été déchue de son autorité parentale, seul motif pour lequel le consentement de la mère biologique pouvait être écarté dans la procédure d’adoption. La loi exige par ailleurs, pour que la déchéance d’autorité parentale puisse être décidée, une procédure judiciaire contradictoire, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce. Aucun motif grave n’avait par ailleurs été invoqué à cet égard (voir, à ce sujet, Zelikha Magomadova, précité, § 101). Le jugement de première instance a donc été annulé par l’arrêt rendu en appel (paragraphe 14 ci-dessus) et le juge de première instance s’est vu contraint d’annuler, par une décision du 3 février 2014, la mesure d’accueil familial préadoptif susmentionné. En effet, l’Audiencia provincial avait conclu que la requérante, n’ayant pas été déchue de son autorité parentale, devait nécessairement donner son accord pour que l’adoption puisse avoir lieu (paragraphes 14-17 ci-dessus).
52. La Cour relève que, en ce qui concerne l’aptitude parentale de la requérante, l’Audiencia provincial a indiqué dans son arrêt du 10 février 2012 qu’il n’existait aucun rapport psychologique faisant état d’une absence d’affection de la mère pour son fils et a souligné que la pauvreté ne pouvait pas être le motif principal invoqué pour priver une mère de ses droits et obligations. L’Audiencia provincial a estimé que, bien que la législation relative à la protection des mineurs ait pour but la réintégration de ces derniers dans leur famille biologique, cette question prioritaire n’avait aucunement été examinée par l’autorité publique (paragraphe 14 ci-dessus).
53. La Cour est pleinement consciente de l’intérêt prépondérant de l’enfant dans le processus décisionnel. Le processus qui a abouti à l’autorisation de l’adoption en l’espèce révèle toutefois que les autorités internes n’ont pas cherché à se livrer à un véritable exercice de mise en balance entre les intérêts de l’enfant et ceux de sa mère biologique mais qu’elles se sont concentrées sur les intérêts de l’enfant au lieu de s’efforcer de concilier les deux ensembles d’intérêts en jeu, et que, de surcroît, elles n’ont pas sérieusement envisagé la possibilité de réunion de l’enfant et de sa mère biologique malgré la teneur de la lettre reçue le 6 mars 2009 (paragraphe 6 ci-dessus) et l’insistance de la requérante tout au long des différentes procédures ayant finalement abouti à l’adoption de son fils. Dans ce contexte, la Cour n’est pas convaincue que les autorités internes compétentes aient dûment pris en compte les efforts entrepris par la requérante pour régulariser et stabiliser sa situation. À cet égard, la décision du juge de première instance (paragraphe 12 ci-dessus) s’appuyant dans une large mesure sur le manque d’aptitudes parentales de la requérante et la base factuelle à l’origine de cette appréciation font apparaitre plusieurs insuffisances dans le processus décisionnel, tel que l’a relevé l’Audiencia provincial aux paragraphes 14 ci-dessus et 56 ci-dessous. Par ailleurs, la requérante a peiné par son insistance et la cohérence de ses demandes pour que son droit à rendre visite à son fils soit finalement reconnu par le juge de première instance dans le cadre de rencontres supervisées, dans un point de rassemblement familial géré par l’administration malgré l’opposition de cette dernière (paragraphe 19 ci-dessus).
54. De plus, la Cour estime qu’il est significatif qu’aucune visite mère-fils n’ait eu lieu depuis l’accueil de l’enfant dans sa famille d’accueil le 18 mai 2009 alors que le droit de visite de la requérante lui avait été expressément reconnu par l’administration le 4 février 2009. Au contraire, ce droit lui fut retiré par cette dernière le 8 mai 2009 sans qu’aucune expertise psychologique de l’intéressée n’ait été produite pour démontrer le prétendu manque d’aptitude parentale de cette dernière. Pour la Cour, ceci a considérablement restreint l’appréciation factuelle de l’évolution de la situation de la requérante et de ses aptitudes parentales à l’époque considérée. Si des visites n’ont pas eu lieu au début du placement de l’enfant de la requérante, celles-ci n’ont pas non plus eu lieu par la suite, malgré le jugement du juge de première instance du 15 juin 2015 auquel référence est faite dans le paragraphe précédent qui se prononçait expressément sur cette question et auquel l’administration a passé outre.
55. La Cour rappelle que, dans les affaires touchant la vie familiale, la rupture du contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent (voir, entre autres, Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004‑V (extraits), et K.A.B. c. Espagne, précité, § 103). Il en va ainsi dans la présente affaire. Elle note qu’un rapport de la DGFE du 11 septembre 2014 a constaté les liens de l’enfant de la requérante avec sa famille d’accueil, avec laquelle il vivait depuis plus de 5 ans et qui permettait son développement adéquat et son évolution favorable (paragraphe 14 ci-dessus).
56. Le passage du temps a donc eu pour effet de rendre définitive une situation qui était censée être provisoire, compte tenu du très jeune âge de l’enfant lorsque la situation légale d’abandon a été constatée et que la mise sous tutelle est intervenue (paragraphes 4, 5 et, concernant les principes applicables en l’espèce, 39 ci-dessus). Le 28 octobre 2015, l’Audiencia provincial a ainsi autorisé l’adoption du fils de la requérante en dépit de l’absence de consentement de cette dernière et en raison de l’intérêt du mineur au motif que l’enfant habitait dans sa famille d’accueil pratiquement depuis sa naissance et que sa mère n’avait pas toutes les compétences parentales requises (paragraphe 23 ci-dessus). La Cour tient à souligner à cet égard que les juridictions internes ont repris et réitéré l’affirmation relative au prétendu manque de compétences parentales de la requérante sans toutefois procéder à des expertises indépendantes qui auraient pu faire état d’une éventuelle évolution à cet égard depuis le début de la procédure (voir, pour ce qui est du retrait du droit de visites de la requérante à son enfant, le paragraphe 54 ci-dessus).
57. Tout en reconnaissant qu’en l’espèce les juridictions internes se sont appliquées de bonne foi à préserver le bien-être du mineur, la Cour constate de graves manques de diligence dans la procédure menée par les autorités responsables de la tutelle, du placement de l’enfant et de son adoption (K.A.B. c. Espagne, précité, § 104) ainsi que par certaines juridictions de première instance à cet égard (paragraphe 12 ci-dessus), et notamment une inertie de ces dernières dans la prise en compte des conclusions des rapports élaborés et des décisions prises par les différents organes de l’administration intervenus tout au long de l’examen de affaire. La Cour note, en outre, que le Gouvernement n’a pas démontré que des suites aient été données à la décision de l’Audiencia provincial du 28 octobre 2015 selon laquelle une possibilité d’une « forme de relation ou de contact au travers de visites ou de communications avec la mère biologique » pouvait être explorée si cela devait correspondre à l’intérêt supérieur du mineur (paragraphe 23 ci-dessus).
58. Dans les circonstances de l’espèce, on peut certes comprendre que l’enfant de la requérante ait été placé sous tutelle de l’administration puisque c’était sa propre mère qui le demandait. Cela étant, cette décision aurait dû s’accompagner dans les meilleurs délais des mesures les plus appropriées permettant d’évaluer en profondeur la situation de l’enfant et ses rapports avec ses parents, au besoin avec le père et la mère séparément, le tout dans le respect du cadre légal en vigueur. Cette situation était particulièrement grave compte tenu de l’âge de l’enfant, qui avait à peine deux mois lors de son placement sous tutelle à Pampelune. La Cour n’est guère convaincue par les raisons que l’administration et les juridictions internes ont estimé suffisantes pour justifier le placement en accueil préadoptif du mineur puis son adoption, malgré l’opposition claire de la requérante qui n’a pu exercer son droit de visite que pendant trois mois, au début de la procédure, ce qui semble suggérer l’existence dès le début d’une intention de l’administration de placer l’enfant en accueil familial préadoptif.
59. La Cour constate que les autorités administratives n’ont pas envisagé d’autres mesures moins radicales prévues par la législation espagnole (paragraphes 23, 26 et 27 ci-dessus) telles que l’accueil temporaire ou accueil simple, non préadoptif, qui est également plus respectueux des parents d’accueil dans la mesure où il ne crée pas de faux espoirs. Le rôle des autorités de protection sociale est précisément d’aider les personnes en difficulté, en l’espèce notamment la mère de l’enfant, qui s’est vue contrainte de placer volontairement son fils compte tenu de la gravité de sa situation personnelle et familiale.
60. Eu égard à ces considérations et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, la Cour considère que le processus à l’origine de la décision ayant conclu à l’adoption du fils de la requérante n’a pas été conduit de manière à ce que tous les avis et les intérêts de cette dernière fussent dûment pris en compte (Strand Lobben et autres, précité, § 225). Elle estime donc que la procédure en cause n’a pas été entourée de garanties proportionnées à la gravité de l’ingérence et des intérêts en jeu et que les autorités espagnoles n’ont pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de la requérante à garder le contact avec son enfant, méconnaissant ainsi le droit de celle-ci au respect de sa vie privée et familiale.
61. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
2. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION
62. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
63. Aux termes de l’article 46 de la Convention :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.(...) »
(...)
5. Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre (...) ».
64 La requérante n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable (relative à des dommages ou à des frais et dépens quantifiables) dans le délai imparti, s’étant bornée à mentionner dans sa requête le montant estimé des honoraires de son avocat.
65. Le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur la demande de satisfaction équitable de la requérante.
66. Selon la pratique habituelle de la Cour fondée sur les dispositions ci‑dessus, les indications de souhaits en matière de réparation qu’un requérant fournit dans son formulaire de requête relativement aux violations alléguées ne sauraient compenser l’omission ultérieure de formuler clairement une « demande » de satisfaction équitable au stade de la communication. Aussi la Cour refuse-t-elle normalement de tenir compte aux fins de l’application de l’article 41 de la Convention de souhaits ainsi formulés (Nagmetov c. Russie [GC], no 35589/08, § 59, 30 mars 2017).
67. En conséquence, la Cour estime qu’aucun montant ne devrait être octroyé sous ce titre.
68. La requérante demande en outre à se voir restituer le contact avec son enfant biologique.
69. La Cour estime, dans les circonstances particulières de l’affaire, qu’il ne lui appartient pas de donner suite, en tant que telle, à cette prétention. Elle rappelle que l’État défendeur reste libre en principe, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 46 § 1 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 88, 30 juin 2009, Ferré Gisbert c. Espagne, no 39590/05, § 46, 13 octobre 2009, et Bondavalli c. Italie, no 35532/12, § 91, 17 novembre 2015). La Cour se réfère de toute manière aux exigences de rapidité mentionnées aux paragraphes 23, 39 et 56 ci-dessus.
70. Toutefois, eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire et au besoin urgent de mettre fin à la violation du droit de la requérante au respect de sa vie familiale, la Cour invite les autorités internes à réexaminer, dans un bref délai, la situation de la requérante et de son fils mineur à la lumière du présent arrêt et d’envisager la possibilité d’établir un quelconque contact entre eux en tenant compte de la situation actuelle de l’enfant et de son intérêt supérieur, et à prendre toute autre mesure appropriée conformément à ce dernier (Soares de Melo c. Portugal, no 72850/14, § 130, 16 février 2016, Ageyevy c. Russie, no 7075/10, § 244, 18 avril 2013, et Haddad, précité, § 79). Elle note à cet égard que, dans la décision du 28 octobre 2015, l’Audiencia provincial a elle-même précisé qu’il serait opportun « de signaler la possibilité [...] d’adopter à l’avenir, s’il en est ainsi estimé souhaitable et si les conditions légales sont remplies, et toujours dans l’intérêt supérieur du mineur, une quelconque forme de relation ou de contact au travers de visites ou de communications avec la mère biologique » (paragraphe 23 ci-dessus). La Cour relève qu’aucun contact n’a eu lieu entre la requérante et son enfant, ni avant ni à la suite de cette décision et estime que l’exécution du présent arrêt devrait donner suite à la décision interne citée (paragraphe 57 ci-dessus).
71. La Cour estime que la forme la plus appropriée de redressement pour une violation de l’article 8 de la Convention dans un cas comme celui de l’espèce, où le processus décisionnel mené par l’administration et les juridictions internes a conduit à l’adoption du fils de la requérante par sa famille d’accueil, consiste à faire en sorte que la requérante se retrouve autant que possible dans la situation qui aurait été la sienne si cette disposition n’avait pas été méconnue (Atutxa Mendiola et autres c. Espagne, no 41427/14, § 51, 13 juin 2017, et Otegi Mondragon c. Espagne, no 4184/15 et 4 autres, §§ 74 et 75, 6 novembre 2018). Elle note que le droit interne prévoit la possibilité de réviser les décisions définitives déclarées contraires aux droits reconnus dans la Convention par un arrêt de la Cour, en application des articles 510 et 511 du code de procédure civile « pourvu qu’elle ne porte pas préjudice aux droits acquis par des tiers de bonne foi » (Haddad, précité, § 80).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit qu’il est souhaitable, eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire et au besoin urgent de mettre fin à la violation du droit de la requérante au respect de sa vie familiale, que les autorités internes réexaminent, dans un bref délai, la situation de la requérante et de son fils mineur à la lumière du présent arrêt et de la décision de l’Audiencia provincial de Pampelune citée au paragraphe 23 ci-dessus et qu’elles prennent les mesures appropriées dans l’intérêt supérieur de l’enfant ;
4. Prend note de la procédure de révision conformément aux articles 510 et 511 du code de procédure civile.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juin 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Milan BlaškoPaul Lemmens
GreffierPrésident