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23/07/2020 | CEDH | N°001-203839

CEDH | CEDH, AFFAIRE CHONG CORONADO c. ANDORRE, 2020, 001-203839


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE CHONG CORONADO c. ANDORRE

(Requête no 37368/15)

ARRÊT


Art 6 § 1 (pénal) et Art 6 § 3 c) • Procès équitable • Obligation de comparaître en personne pour faire appel de sa condamnation par défaut à une peine d’emprisonnement • Absence délibérée au procès de première instance • Condamné pouvant obtenir la suspension de l’exécution de la mesure de privation de liberté jusqu’à ce que le tribunal statue sur le recours • Absence d’obligation de se constituer prisonnier pour faire réexaminer sa cause en f

ait et en droit • Requérant s’étant volontairement soustrait à l’action de la justice et pouvant raisonnablement ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE CHONG CORONADO c. ANDORRE

(Requête no 37368/15)

ARRÊT

Art 6 § 1 (pénal) et Art 6 § 3 c) • Procès équitable • Obligation de comparaître en personne pour faire appel de sa condamnation par défaut à une peine d’emprisonnement • Absence délibérée au procès de première instance • Condamné pouvant obtenir la suspension de l’exécution de la mesure de privation de liberté jusqu’à ce que le tribunal statue sur le recours • Absence d’obligation de se constituer prisonnier pour faire réexaminer sa cause en fait et en droit • Requérant s’étant volontairement soustrait à l’action de la justice et pouvant raisonnablement prévoir les conséquences légales découlant de son comportement • Intérêt de l’État à s’assurer de la présence physique des accusés à leur procès pouvant l’emporter sur leur crainte d’être arrêtés à cette occasion • Juste équilibre entre les intérêts en cause

STRASBOURG

23 juillet 2020

DÉFINITIF

14/12/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Chong Coronado c. Andorre,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée (no 37368/15) dirigée contre la principauté d’Andorre et dont un ressortissant panaméen, M. Ernesto Emilio Chong Coronado (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 29 juillet 2015,

Notant que le 10 février 2016 la requête a été communiquée au Gouvernement,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 juin 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Le requérant expose qu’il a été condamné par défaut à une peine d’emprisonnement et qu’il aurait dû se rendre personnellement en Andorre pour pouvoir interjeter appel. Il affirme que, compte tenu de l’arrêt de condamnation rendu contre lui, il aurait été immédiatement mis en détention s’il avait comparu. Il y voit une atteinte à l’équité du procès.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1978 et réside au Panama. Il a été représenté par Me A. Clavera Arizti, avocat.

3. Le gouvernement andorran (« le Gouvernement ») a été représenté par Mme P. Quillacq, conseiller juridique et agent du Gouvernement auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

4. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

5. Par un jugement rendu le 2 avril 2014 par le Tribunal de Corts (juridiction de premier ressort), le requérant fut condamné par défaut pour blanchiment de capitaux impliquant un groupe criminel organisé à une peine de cinq ans d’emprisonnement (dont trois fermes), au paiement d’une amende de 600 000 euros, à l’expulsion de la principauté d’Andorre assortie d’une interdiction d’entrée en Andorre pendant une période de vingt ans, ainsi qu’au paiement des frais et dépens. Le requérant avait connaissance de la date de l’audience mais refusa de comparaître devant l’autorité judiciaire nationale. Dans le cadre du procès précédent, il déclina de faire une déclaration devant un juge panaméen en réponse à une commission rogatoire internationale émise par un juge d’instruction. Par ailleurs, aucun mandat d’arrêt international ne fut jamais délivré contre l’intéressé.

6. Le requérant interjeta appel devant le Tribunal supérieur de justice (chambre pénale), contestant la motivation du jugement de première instance.

7. Par une ordonnance rendue le 16 mai 2014, la chambre pénale du Tribunal supérieur de justice le débouta. Elle se déclara incompétente pour examiner l’appel à ce stade, étant donné que le requérant avait été condamné par défaut. Elle jugea que l’intéressé devait d’abord former un recours d’audience (recurs d’audiència) auprès du Tribunal de Corts qui l’avait condamné et qu’il pourrait ensuite, le cas échéant, interjeter appel devant elle.

8. Le requérant forma un recours en nullité contre ladite ordonnance, alléguant que l’obligation de comparaître en personne pour introduire un recours d’audience emportait violation de l’article 10 § 2 de la Constitution de la principauté d’Andorre, qui garantit le droit de se défendre et le droit à un recours en matière pénale. Il soutenait que s’il comparaissait en personne, il courrait le risque d’être immédiatement privé de sa liberté sur le fondement de sa condamnation en première instance. Il invitait également le Tribunal supérieur de justice à saisir le Tribunal constitutionnel d’une exception d’inconstitutionnalité en vue de faire trancher cette question.

9. Par une ordonnance rendue le 26 juin 2014, le Tribunal supérieur de justice rejeta ce recours. Il estima que l’exigence de comparution en personne dans le cadre du recours d’audience ne portait atteinte ni au droit du requérant de se défendre ni à son droit à un recours. Il considéra que le recours d’audience garantissait à l’intéressé le droit à bénéficier d’un procès contradictoire et le droit de présenter des preuves au cours d’une audience publique. Il indiqua ensuite que l’exercice de ce recours permettrait plus tard à l’intéressé d’interjeter appel contre une éventuelle condamnation. Il ajouta que le requérant pouvait contester l’hypothétique inconstitutionnalité de l’obligation de comparaître en personne dans le cadre dudit recours d’audience.

10. Le requérant forma alors un recours d’empara devant le Tribunal constitutionnel, se plaignant de la violation de ses droits fondamentaux découlant de l’article 10 § 2 de la Constitution.

11. Par un arrêt du 19 janvier 2015, porté à la connaissance du requérant le 29 janvier suivant, le Tribunal constitutionnel débouta le requérant. Il indiqua d’abord que c’était à la juridiction ordinaire qu’il appartenait d’appliquer et d’interpréter les dispositions législatives pénales et que l’affaire ne prenait une dimension constitutionnelle que si la décision de ladite juridiction apparaissait arbitraire, c’est-à-dire déraisonnable d’un point de vue logique ou juridique. Il estima qu’il ne pouvait être reproché au Tribunal supérieur de justice d’avoir appliqué la loi en déclarant l’appel irrecevable au motif qu’aucun recours d’audience n’avait été préalablement formé, car il ne pouvait pas agir contra legem. Il ajouta que le requérant ne pouvait pas se plaindre de l’ordonnance de placement en détention provisoire prise par le juge d’instruction, celui-ci ayant tenu compte de la conduite de l’intéressé, notamment de sa fuite au Panama au début du procès.

12. Pour autant que le requérant alléguait qu’il risquait de se voir privé de sa liberté s’il comparaissait devant le Tribunal de Corts, le Tribunal constitutionnel nota que ce risque n’était que potentiel, dès lors que dans le cadre d’un recours d’audience, l’organe judiciaire jouissait de la faculté de suspendre l’exécution de la condamnation jusqu’à ce que ce recours fût tranché. Il ajouta qu’il serait ensuite loisible au requérant de formuler des allégations de droit et de fait lors de l’audience publique qui serait tenue et précisa, à cet égard, que la procédure andorrane différait notablement de celle du pourvoi en cassation français, que la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà jugé emporter violation de la Convention. Enfin, le Tribunal constitutionnel nota que le requérant avait demandé en appel au Tribunal supérieur de justice de saisir le Tribunal constitutionnel d’une question de constitutionnalité, mais il releva qu’il ne pouvait pas faire droit à cette demande en raison de l’irrecevabilité de l’appel. Il indiqua que celle‑ci pourrait en revanche être accueillie dans le cadre d’un recours d’audience.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. La Constitution

13. Aux termes de l’article 10 § 2 de la Constitution,

« Toute personne a le droit de se défendre et à avoir l’assistance d’un avocat, à bénéficier d’un procès dans un délai raisonnable, à être présumée innocente, à être informée de l’accusation portée contre elle, à ne pas s’avouer coupable, à ne pas s’incriminer elle-même et, dans le cadre d’une procédure pénale, à exercer un recours ».

2. Le code de procédure pénale

14. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale relatives à la détention provisoire, à l’appel et au recours d’audience étaient ainsi libellées à l’époque des faits :

La détention provisoire

Article 103

« Le juge peut, dans le cadre de l’acte d’inculpation ou d’une décision postérieure, décider de placer la personne concernée en détention provisoire ou ordonner son arrestation provisoire en précisant les motifs de cette mesure exceptionnelle, ainsi que ceux qui sont à l’origine de l’imputation de l’infraction, dans les cas suivants :

(...)

2. S’il existe des motifs qui, compte tenu des circonstances, de la gravité de l’infraction et de la peine encourue, permettent de penser que l’inculpé tentera de se soustraire à l’action de la justice.

(...)

4. Si la détention est nécessaire à la protection de l’inculpé ou pour l’empêcher de récidiver.

5. Si l’inculpé ne se conforme pas à l’ordre de comparution dicté par le tribunal ou par le juge.

6. Si le maintien en liberté de l’inculpé peut porter préjudice au déroulement normal de l’instruction.

(...) »

Article 104

« La décision du juge faisant droit au placement en détention provisoire ou le refusant (...) est susceptible d’appel (...) »

L’appel

Article 195

« (...)

Les décisions rendues en première instance par le Tribunal de Corts et visées à l’article suivant (...) sont susceptibles d’appel devant la chambre pénale du Tribunal supérieur de justice d’Andorre. »

Article 196

« Sont susceptibles d’appel :

1. les arrêts (...) qui n’auront pas été rendus par défaut.

(...) »

Le recours d’audience

Article 247

« Une personne condamnée peut former un recours d’audience contre un jugement rendu par défaut, à condition que les exigences suivantes soient satisfaites :

1. qu’elle se présente ou qu’elle soit localisée en Andorre ;

2. que le recours soit introduit dans un délai de quinze jours à compter de la remise en mains propres de la copie du jugement.

Dans tous les cas, il convient d’informer la personne condamnée par défaut de son droit d’introduire un tel recours. »

Article 250

« Un jugement rendu par défaut est exécuté pendant l’examen du recours d’audience.

Cependant, eu égard aux circonstances, le tribunal peut accorder la suspension totale ou partielle de l’exécution du jugement. »

3. La pratique interne

15. Jusqu’à présent, les autorités andorranes ont refusé les demandes de suspension de l’exécution d’une condamnation introduites dans le cadre d’un recours d’audience, notamment lorsqu’il y avait un risque que la personne condamnée tentât de se soustraire à la justice. Pour conclure à l’existence d’un risque de fuite, elles ont pris en compte la nature et la gravité des faits, la peine de détention encourue et/ou l’absence de résidence en Andorre, ainsi que le point de savoir s’il y avait récidive et le casier judiciaire de l’inculpé (décision du 8 avril 2011, TC-167-3/00 ; décision du 10 mai 2013, TC-001-6/12 ; décision du 12 décembre 2013, TC-036-2/07).

16. Il ressort des éléments produits devant la Cour par le Gouvernement que les autorités nationales ont suspendu l’exécution de la condamnation dans environ 80 % des cas. Pour accorder la suspension, elles ont fondé leur décision principalement sur les circonstances familiales et personnelles des personnes condamnées par défaut, notamment un lieu de résidence voisin d’Andorre (à la Seu d’Urgell par exemple, localité espagnole frontalière), un emploi stable, des enfants à charge ou le décès récent d’un parent direct. Au vu de ces éléments, l’organe judiciaire a généralement conclu que la personne concernée ne présentait aucun danger pour la société et, surtout, qu’elle n’entendait pas se soustraire à l’action de la justice (décision du 12 avril 2007, TC-018-5/99 et TC-142-5/99 ; décision du 18 mai 2007, TC‑074-5/05 ; décision du 8 juin 2015, 3400013/2013).

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

17. Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit d’accès à un tribunal, exposant que pour faire appel de sa condamnation par défaut à cinq ans d’emprisonnement, le code de procédure pénale exigeait qu’il se présentât en personne devant la même juridiction que celle qui l’avait condamné. Il estime que son droit de se défendre et son droit à un recours ont ainsi été bafoués, considérant qu’il aurait été forcément privé de sa liberté s’il avait comparu devant l’organe judiciaire. À ses yeux, soit la juridiction interne n’aurait pas dû exiger sa comparution en personne, soit elle aurait dû lui garantir la liberté. Il y voit une violation de l’article 6 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce disposent :

«1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; (...) »

1. Sur la recevabilité

18. Le Gouvernement plaide le non-épuisement des voies de recours internes et invite la Cour à déclarer la requête irrecevable. Il expose que le requérant n’a pas introduit le recours d’audience obligatoire qui, selon lui, constitue un recours effectif et utile, contradictoire et oral, dont l’exercice aurait permis à l’intéressé de faire valoir ses griefs et lui aurait ensuite ouvert l’accès à la juridiction d’appel.

19. De son côté, le requérant indique que son grief porte précisément sur les exigences liées à ce premier recours, qu’il estime contraires aux garanties d’un procès équitable prévues à l’article 6 § 1 de la Convention. Il invite donc la Cour à rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

20. La Cour constate que le requérant a interjeté recours d’appel à l’encontre du jugement de condamnation sans se servir au préalable du recours d’audience, et que ce dernier aurait pu servir à soulever devant la juridiction interne les griefs soumis aujourd’hui devant la Cour. Cependant, il est constaté qu’en l’espèce, le grief tiré par le requérant concerne précisément les garanties associées au recours d’audience, lequel, selon ses dires, l’obligerait à se rendre physiquement en Andorre et donc à se constituer prisonnier, en empêchant son droit d’accès à un Tribunal.

21. Dans ces circonstances, il s’avèrerait déraisonnable de lui exiger l’utilisation d’un recours pour se plaindre d’une prétendue violation à l’équité de la procédure qui serait précisément causée par les conditions liées à ce même recours. La Cour constate, par ailleurs, que le Tribunal constitutionnel a bel et bien statué au fond sur le grief formulé par le requérant (paragraphes 11-12 ci‑dessus ; voir à cet égard Vladimir Romanov c. Russie, no 41461/02, § 52, 24 juillet 2008). Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par le Gouvernement.

22. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte, par ailleurs, à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

23. Le requérant soutient que l’obligation de comparaître en personne dans le cadre d’un recours d’audience, dont l’exercice, explique-t-il, est une condition préalable à la possibilité d’interjeter appel d’un arrêt de condamnation prononcé en première instance constitue une atteinte à son droit de se défendre et à son droit à un recours en matière pénale. Il estime qu’il aurait probablement été privé de sa liberté s’il avait comparu devant le Tribunal de Corts. Il y voit une charge disproportionnée qu’il aurait dû supporter pour pouvoir exercer son droit à un recours.

24. Le requérant affirme que la condition sine qua non de se présenter en personne devant le même tribunal que celui qui l’avait condamné n’est pas proportionnée. Il estime que cette condition revêt un caractère excessivement formaliste et porte atteinte à l’essence même du droit d’accès à un tribunal, notamment compte tenu de l’importance décisive que revêt la possibilité de former un appel pour une personne condamnée à une lourde peine privative de liberté. Il considère par conséquent que l’imposition d’une telle charge disproportionnée est de nature à rompre le juste équilibre qui doit exister selon lui entre, d’une part, la préoccupation légitime d’assurer l’exécution des décisions de justice et, d’autre part, le droit à un recours et l’exercice des droits de la défense.

25. Enfin, le requérant conclut que la justice nationale devrait garantir le droit à un recours sans exiger la comparution personnelle devant l’autorité judiciaire de la personne condamnée et, sinon, assurer à celle-ci qu’elle ne sera pas privée de sa liberté si elle comparaît. Il ajoute que la déclaration qu’il avait faite devant un notaire panaméen attestait sa volonté de coopérer avec la justice.

26. Le Gouvernement affirme que le requérant, en refusant systématiquement de collaborer avec la justice, a largement contribué à la situation dans laquelle il se trouve. Il indique que l’intéressé a refusé de faire la déclaration sur les faits de la cause dont le juge d’instruction avait demandé l’obtention au Panama par voie de commission rogatoire. Il expose que le requérant alléguait que le contenu de la commission rogatoire ne lui permettait pas de savoir quelles étaient les accusations portées contre lui, alors que, selon le Gouvernement, le contenu de la commission rogatoire ne laissait planer aucun doute sur l’infraction reprochée. Il ajoute que l’intéressé a préféré faire une déclaration devant un notaire panaméen, bien qu’une telle déclaration n’eût aucune validité au regard de la procédure pénale andorrane. Il indique que le requérant se prétendait de bonne foi et estime donc qu’il aurait pu se rendre en Andorre. Il expose que l’intéressé ne l’a toutefois pas fait, révélant ainsi, à ses yeux, une volonté de se soustraire à la justice. Il ajoute que les juges nationaux n’ont délivré aucun mandat d’arrêt international contre le requérant et qu’ils se sont bornés à le convoquer pour qu’il fît une déclaration et présentât ses éléments de défense.

27. D’après le Gouvernement, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’impossibilité de poursuivre une procédure pénale par contumace risque de paralyser l’exercice de l’action publique et de rendre inefficace le système judiciaire national. Le Gouvernement considère que l’une des garanties essentielles offertes par l’article 6 consiste précisément à garantir à l’accusé le droit de comparaître à son propre procès. Il soutient que la possibilité de mener une procédure pénale en l’absence de l’accusé a pour but de décourager les abstentions injustifiées et que la présence de l’accusé est essentielle pour lui garantir le droit d’être entendu, pour vérifier l’exactitude de ses déclarations et les comparer avec les dépositions des victimes ou témoins.

28. Le Gouvernement estime que les conditions posées pour l’introduction d’un recours d’audience sont pleinement compatibles avec les exigences d’un procès équitable. Il explique qu’il s’agit d’un recours oral qui, indique-t-il, nécessite la présence de l’accusé et permet à l’État de remplir son obligation positive qui est d’assurer la présence de l’accusé à son procès. Il ajoute que ce recours permet de réexaminer l’affaire en droit et en fait et qu’il n’est pas dans l’intérêt du tribunal de tenir une nouvelle audience à laquelle l’accusé ne comparaitrait pas. Il poursuit en exposant que l’autorité judiciaire doit expressément informer l’intéressé de cette voie de recours et qu’elle ne peut refuser l’ouverture d’un nouveau procès. Il plaide que la procédure était d’autant plus proportionnée que l’organe judiciaire pouvait décider de suspendre temporairement l’exécution de la condamnation précédente et indique qu’en fait, dans le cadre des recours d’audience ayant été formés à l’époque, l’autorité judiciaire avait pris cette décision dans la majorité des cas.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

29. En matière de condamnation pénale menée par contumace ou par défaut, il convient de prendre en compte les principes généraux établis dans l’arrêt Sejdovic c. Italie ([GC], no 56581/00, §§ 81‑95, CEDH 2006‑II). Un déni de justice est donc généralement constitué lorsqu’un individu condamné par défaut ne peut obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation qui pèse sur lui, en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi qu’il ait renoncé à son droit de comparaître et de se défendre (Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 29, série A no 89, Krombach c. France, no 29731/96, § 85, CEDH 2001‑II) ou qu’il ait eu l’intention de se soustraire à la justice (Medenica c. Suisse, no 20491/92, § 55, CEDH 2001‑VI, Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 67, CEDH 2004‑IV). En revanche, il ne saurait être question d’obliger un accusé à se constituer prisonnier pour bénéficier du droit à être rejugé dans des conditions conformes à l’article 6 de la Convention. Ce serait, en effet, subordonner l’exercice du droit à un procès équitable à une sorte de caution insupportable : la liberté physique de l’intéressé (Krombach, précité, § 87). En effet, l’imposition d’une telle charge serait alors jugée disproportionnée, du fait de la rupture du juste équilibre qui doit exister entre, d’une part, le souci légitime d’assurer l’exécution des décisions de justice et, d’autre part, le droit d’accès à un tribunal et l’exercice des droits de la défense (Omar c. France, 29 juillet 1998, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V).

30. En ce qui concerne la renonciation au droit de comparaître et de se défendre, la Cour a eu l’occasion de souligner qu’avant qu’un accusé puisse être considéré comme ayant implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important sous l’angle de l’article 6 de la Convention, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences du comportement en question (Sejdovic, précité, § 87). Quant à l’intention de l’accusé de se dérober à l’action de la justice, il est loisible aux autorités nationales d’évaluer si les excuses fournies par l’accusé pour justifier son absence sont valables ou si les éléments versés au dossier permettent de conclure que son absence était indépendante de sa volonté (Medenica, précité, § 57).

31. La comparution personnelle d’un prévenu revêt ainsi une importance capitale dans le procès pénal et, dès lors, le législateur est fondé à décourager les abstentions injustifiées, à condition que les sanctions ne se révèlent pas disproportionnées et que l’accusé ne soit pas privé du droit à l’assistance d’un défenseur (Krombach, précité, §§ 84 et 89‑90, Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 35, série A no 277‑A).

32. En ce qui concerne le droit d’accès au juge, il y a lieu de tenir compte des principes énoncés dans l’affaire Papon c. France (no 54210/00, §§ 90‑94, CEDH 2002‑VII). Les principes relatifs à l’accès à une juridiction supérieure sont énoncés dans l’affaire Zubac c. Croatie ([GC], no 40160/12, §§ 78‑79 et 80‑99, 5 avril 2018). Enfin, les principes relatifs à une protection adéquate des droits de la défense, tant en première instance qu’en appel, sont rappelés dans l’affaire Tolmachev c. Estonie (no 73748/13, §§ 47‑48, 9 juillet 2015).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

33. Les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention constituent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de ce même article. La Cour observe que les faits de l’espèce concernent tant le paragraphe 1 que le paragraphe 3 c) de l’article 6. Par conséquent, elle examinera les griefs du requérant sous l’angle de ces deux dispositions combinées (Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999‑I, Krombach, § 82, et Medenica, § 53, précités).

34. La Cour relève, en premier lieu, que la législation andorrane offre à toute personne condamnée par défaut en première instance la possibilité que le même tribunal statue à nouveau, après l’avoir entendue, sur le bien-fondé de l’accusation pesant sur elle, en fait comme en droit. Cette voie reste ouverte même si la personne condamnée par défaut a renoncé à son droit de comparaître et à son droit de se défendre ou si elle s’est soustraite volontairement à la justice. La comparution personnelle de l’intéressé constitue la seule condition pour être rejugé. Celui-ci doit simplement se présenter devant l’organe juridictionnel compétent (Tribunal de Corts) ou être localisé en Andorre pour pouvoir bénéficier d’une révision de son procès antérieur dans le cadre du recours dit d’audience. En ce sens, il convient de préciser que les principes découlant de la jurisprudence Sejdovic, précitée, s’appliquent au cas d’espèce dans la mesure où, selon la loi nationale, le requérant peut obtenir un réexamen de l’affaire bien qu’il se soit volontairement soustrait à l’action de la justice (voir, mutatis mutandis, Bivolaru c. Roumanie (no 2), no 66580/12, § 113, 2 octobre 2018 ; ainsi que le paragraphe 42, ci-dessous).

35. En l’espèce, la situation du requérant présente une certaine similitude avec les affaires Poitrimol, Van Geyseghem, Krombach, précitées, Lala c. Pays-Bas (22 septembre 1994, série A no 297‑A) et Pelladoah c. Pays-Bas (22 septembre 1994, série A no 297‑B), dans le sens où l’intéressé était pleinement au courant de la date de l’audience de son procès pénal mais a décidé, de son propre gré, de ne pas comparaître. Cependant, les faits de l’espèce se distinguent clairement des affaires susmentionnées en ce que le requérant n’a pas été pénalisé en raison de son absence au procès. En effet, lors des débats devant le Tribunal de Corts, sa défense a été assurée par un avocat de son choix, lequel a pu présenter tous les moyens nécessaires à sa défense (Arman Hasser c. Suisse (déc.), no 33050/96, 27 avril 2000 ; Medenica, précité, § 56 et, a contrario, Poitrimol, précité, § 28). D’ailleurs, le requérant ne soutient pas sérieusement que son procès en première instance était entaché d’irrégularité ni que l’ordonnance de détention provisoire adoptée à son égard n’était pas motivée par des « raisons pertinentes et suffisantes » (Sanader c. Croatie, no 66408/12, §§ 87‑88, 12 février 2015).

36. Le requérant affirme que s’il ne s’est pas rendu en Andorre, c’est parce qu’il craignait d’être privé de liberté à raison de la condamnation dont il avait fait l’objet en première instance. La Cour note que le requérant ne s’est jamais rendu en Andorre depuis l’ouverture de la procédure pénale. Elle observe aussi qu’il se plaint non pas de l’impossibilité de comparaître devant la juridiction pour plaider son innocence, mais de l’impossibilité de contester le jugement de première instance sans avoir la certitude de demeurer en liberté (paragraphe 25 ci-dessus).

37. La Cour rappelle que bien que le législateur soit fondé à décourager les absences injustifiées, les sanctions ne doivent pas se révéler disproportionnées. Le requérant ayant été assisté d’un avocat lors de l’audience de première instance, il appartient à la Cour de trancher si l’obligation de comparaître en personne, faite à une personne condamnée par défaut, dans le cadre d’un recours d’audience, constitue un fardeau disproportionné portant atteinte à la substance même du droit à un procès équitable.

38. À cet égard, la Cour a dit à maintes reprises (Krombach, § 87, et Omar, § 40, précités), qu’il ne pouvait être question d’obliger un accusé à se rendre à la police pour exercer son droit à un recours dans des conditions conformes à l’article 6 de la Convention. Toutefois, cela n’empêche pas, lors d’un nouveau procès, de s’assurer de la présence de l’accusé à l’audience par son placement en détention provisoire ou par l’application d’autres mesures prévues par le droit interne pertinent (Sanader, précité, §§ 87‑88).

39. La Cour a déjà eu l’opportunité de trancher dans le passé des griefs très similaires à ceux de l’espèce. En effet, bien que l’intéressé affirme ne pas s’être rendu en Andorre car sa liberté était en péril, la Cour estime que l’intérêt de l’État à s’assurer de la présence physique des accusés à leur procès peut l’emporter sur leur crainte d’être arrêtés à cette occasion (Eliazer c. Pays-Bas, no 38055/97, §§ 34‑36, CEDH 2001‑X). À ce titre, une réglementation imposant au condamné défaillant de relever le défaut pour obtenir un réexamen de pleine juridiction de sa cause, a été jugée conforme à l’article 6 de la Convention. Il en ressort que l’intérêt à un débat contradictoire devant un tribunal pénal de première instance l’emporte sur celui du condamné par contumace par ce tribunal à être dispensé de relever le défaut afin de ne pas encourir le risque d’être arrêté (Arman Hasser c. Suisse (déc.), précitée).

40. La Cour relève, par ailleurs, que dans le cadre d’un recours d’audience, la personne condamnée peut demander la suspension de l’exécution de la mesure de privation de liberté jusqu’à ce que le tribunal ait statué sur ce recours. Il ressort des éléments produits par le Gouvernement, non contestés par le requérant pour autant que l’application concrète de la disposition légale pertinente est concernée, que les autorités nationales ont octroyé ladite suspension dans de nombreux cas (80 % environ, paragraphe 16 ci-dessus ; voir aussi, a contrario, Sanader c. Croatie, précitée, §§ 86‑87). Cette pratique atteste, à elle seule, que le requérant n’était pas obligé de se constituer prisonnier pour faire réexaminer sa cause, tant en fait qu’en droit, à la suite de sa condamnation par défaut (voir, a contrario, Poitrimol, précité, § 37). En revanche, il est exigé au condamné de comparaître personnellement dans le but de relever le défaut et qu’un réexamen de pleine juridiction de la cause puisse avoir lieu. Qui plus est, la décision de priver de sa liberté la personne condamnée, qui ne pouvait être prise que par un tribunal (Tribunal de Corts), demeure susceptible d’un recours indépendant devant le Tribunal supérieur de justice (paragraphe 14 ci-dessus).

41. La Cour constate aussi que le juge d’instruction a ordonné la détention provisoire du requérant à la suite de sa fuite lors de l’ouverture de la procédure pénale (paragraphe 11 ci-dessus), ce que le requérant ne conteste pas. Elle note que, d’après les informations dont elle dispose, le requérant n’a pas introduit de recours contre la décision ordonnant sa détention provisoire, alors qu’elle était susceptible d’appel (paragraphe 14 ci‑dessus).

42. À cet égard, la Cour observe que le requérant a systématiquement refusé de comparaître devant l’autorité judiciaire nationale et que, ce faisant, il s’est volontairement soustrait à l’action de la justice. Le requérant a même refusé de faire une déclaration devant un juge panaméen à la suite de la commission rogatoire internationale émise par un juge d’instruction andorran. Ce fait est difficilement compatible avec la prétendue volonté de l’intéressé de coopérer pleinement avec la justice dans le cadre des poursuites pénales engagées contre lui. Étant donné qu’aucun mandat d’arrêt international n’a été décerné contre l’intéressé (aucune convention internationale d’extradition ne lie Andorre et le Panama), la Cour n’aperçoit aucune raison impérieuse ayant pu empêcher le requérant de se présenter devant l’autorité judiciaire panaméenne.

43. Dès lors, force est à la Cour de constater que le requérant n’entendait ni comparaître ni coopérer avec la justice andorrane et, de ce fait, qu’il s’est dérobé à la justice (voir, a contrario, Sanader, précité, § 77 ; dans cette affaire, le requérant n’avait pas été informé de l’existence d’une procédure dirigée contre lui et rien n’indiquait donc qu’il avait eu l’intention d’échapper à l’action de la justice ou qu’il avait renoncé, sans équivoque, à son droit à comparaître). Compte tenu de son comportement, le requérant pouvait raisonnablement prévoir les conséquences légales qui en découleraient pour lui (Sejdovic, précité, § 87, et Jones c. Royaume-Uni (déc.), no 30900/02, 9 septembre 2003), notamment l’obligation de se rendre en Andorre pour faire rejuger son affaire en raison de son absence délibérée au procès de première instance.

44. De plus et contrairement aux affaires Krombach, § 90, et Van Geyseghem, § 35, précitées, la Cour relève que le requérant en l’espèce entendait soulever en appel un moyen de défense qui concernait uniquement les circonstances de fait et l’appréciation des pièces à conviction réalisée par le tribunal de première instance, et non des points de droit. Ce type de contestation, fortement liée au principe d’immédiateté, risquait de s’avérer inutile sans la présence physique du requérant. Enfin, la Cour constate que le réexamen de l’affaire demeure toujours possible car le requérant ne s’est toujours pas rendu physiquement en Andorre pour se voir notifier le jugement de première instance (voir, a contrario, Tolmachev, précité, § 53).

45. Au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, et eu égard à la marge d’appréciation dont disposent les autorités nationales en la matière (Medenica, précité, § 59), la Cour ne saurait conclure que l’obligation faite au requérant de comparaître en personne dans le cadre d’un recours d’audience constitue une charge disproportionnée pouvant mettre en cause le juste équilibre qui doit exister entre, d’une part, le souci légitime d’assurer l’exécution des décisions de justice et, d’autre part, le droit d’accès au juge et l’exercice des droits de la défense (Omar, précité, §§ 40 et 42). Un pareil système cherche à ménager un juste équilibre entre les intérêts en cause et, dès lors, il ne revêt pas un caractère inéquitable (Eliazer c. Pays-Bas, précité, § 35).

46. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 en l’espèce.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juillet 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Renata DegenerKsenija Turković
Greffière adjointePrésidente


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