La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/11/2020 | CEDH | N°001-205821

CEDH | CEDH, AFFAIRE VEGOTEX INTERNATIONAL S.A. c. BELGIQUE, 2020, 001-205821


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE VEGOTEX INTERNATIONAL S.A. c. BELGIQUE

(Requête no 49812/09)

ARRÊT


Art 6 § 1 (pénal) • Procès équitable • Dette fiscale éteinte par l’effet rétroactif d’une jurisprudence et ensuite rétablie, toujours en cours du litige et aux fins de la sécurité juridique, par une loi rétroactive mais prévisible • Motif impérieux d’intérêt général

Art 6 § 1 • Procédure contradictoire • Rejet d’un pourvoi par substitution de motif, opérée d’office • Possibilité suffisante de contester la substitutio

n annoncée

Art 6 § 1 • Délai raisonnable • Durée excessive d’une procédure fiscale

STRASBOURG

10 novembre 2020

Cet arrêt d...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE VEGOTEX INTERNATIONAL S.A. c. BELGIQUE

(Requête no 49812/09)

ARRÊT

Art 6 § 1 (pénal) • Procès équitable • Dette fiscale éteinte par l’effet rétroactif d’une jurisprudence et ensuite rétablie, toujours en cours du litige et aux fins de la sécurité juridique, par une loi rétroactive mais prévisible • Motif impérieux d’intérêt général

Art 6 § 1 • Procédure contradictoire • Rejet d’un pourvoi par substitution de motif, opérée d’office • Possibilité suffisante de contester la substitution annoncée

Art 6 § 1 • Délai raisonnable • Durée excessive d’une procédure fiscale

STRASBOURG

10 novembre 2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Vegotex International S.A. c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

Georgios A. Serghides, président,
Paul Lemmens,
Helen Keller,
Georges Ravarani,
María Elósegui,
Darian Pavli,
Peeter Roosma, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,

Vu :

la requête susmentionnée (no 49812/09) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont une société anonyme (S.A.) de droit belge, Vegotex International (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 10 septembre 2009,

les observations des parties,

Notant que le 14 mai 2018, les griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 octobre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne une procédure fiscale de recouvrement de l’impôt et la majoration d’impôt à laquelle la société requérante fut condamnée. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, elle se plaint de l’intervention décisive du législateur au cours de la procédure en violation du principe de sécurité juridique, de la méconnaissance du droit d’accès à un tribunal et du respect du principe du contradictoire du fait de la substitution de motifs opérée par la Cour de cassation, ainsi que du dépassement du délai raisonnable.

EN FAIT

2. La requérante est une société anonyme de droit belge dont le siège est établi à Anvers. Elle est représentée par Mes P. Wouters et D. Van Belle, avocats à Louvain et Anvers respectivement.

3. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

1. LA phase administrative

4. Le 5 octobre 1995, la société requérante fut informée de l’intention de l’administration fiscale de rectifier sa déclaration pour l’exercice d’imposition 1993 au motif que la déduction d’impôt de certains coûts liés à une transaction boursière postulée par la requérante n’était pas acceptée compte tenu du fait que ces coûts ne satisfaisaient pas aux conditions prévues par le code des impôts sur les revenus (« CIR »). La déduction d’investissement ne pouvait pas non plus être reconnue. Une majoration d’impôt de 50 % fut annoncée au motif que la requérante avait tenté de se soustraire à l’impôt.

5. Le 2 novembre 1995, la requérante marqua son désaccord.

6. Le 11 décembre 1995, le receveur des contributions directes enrôla à charge de la requérante l’impôt des sociétés pour un montant de 12 054 089 francs belges (« BEF » ; soit environ 298 813 euros « EUR ») ainsi qu’une majoration d’impôt de 50 %, correspondant à 6 027 045 BEF, (soit environ 149 405 EUR). L’imposition fut notifiée à la société requérante le 15 décembre 1995.

7. Le 22 février 1996, la société requérante introduisit devant le directeur régional des contributions directes d’Anvers une réclamation motivée des cotisations établies à sa charge et de la majoration d’impôt.

8. Le 19 septembre 2000, la réclamation fut rejetée par le directeur régional.

9. Le 24 octobre 2000, l’administration fiscale signifia à la requérante un commandement de payer interruptif de prescription (verjaringsstuitend bevel tot betaling ; paragraphe 30 ci-dessous). Il était précisé qu’il ne visait pas à mettre à exécution le paiement de la dette fiscale, celle-ci étant contestée par la requérante.

2. LA phase judiciaire

10. Le 14 décembre 2000, la requérante saisit le tribunal de première instance d’Anvers, notamment pour faire annuler la majoration d’impôt établie à sa charge pour l’exercice d’imposition 1993.

11. Le 8 mars 2004, le tribunal déclara l’action recevable et très partiellement fondée. Dans la mesure où la majoration concernait la déduction d’investissement, elle fut réduite à 10 %. Le reste de la demande fut rejetée.

12. Le 15 avril 2004, la requérante interjeta appel. Elle demanda notamment que soit reconnue la prescription du droit de l’État de recouvrer l’impôt pour l’exercice d’imposition 1993. Sur ce point, elle fit valoir que la prescription de ses dettes avait été acquise cinq ans après la date à laquelle elles devaient être payées. Selon la requérante, ce délai de cinq ans avait commencé à courir le 15 février 1996, deux mois après l’envoi de l’imposition du 15 décembre 1995, il n’avait pas été interrompu, et la prescription avait donc été acquise le 15 février 2001. La requérante se référa à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le commandement de payer signifié pour une dette d’impôt contestée ne constituait pas un mode interruptif de prescription de l’impôt (paragraphe 31 ci-dessous).

13. La loi-programme du 9 juillet 2004 entra en vigueur le 25 juillet 2004 (paragraphe 36 ci-dessous).

14. Le 6 février 2007, la cour d’appel d’Anvers confirma le jugement entrepris. Elle considéra que le commandement interruptif de prescription du 24 octobre 2000 n’avait certes pas interrompu la prescription, celui-ci ne constituant pas un « commandement » (bevel tot betaling) au sens de l’article 2244 du code civil. L’exploit d’huissier n’était pas fondé sur un titre exécutoire puisque l’avertissement extrait de rôle du 11 décembre 1995 était contesté par la requérante. Dès lors que le commandement de payer n’était pas un « commandement » (dwangbevel) au sens de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, cette disposition n’était pas pertinente en l’espèce. La cour d’appel considéra toutefois que la prescription était suspendue en vertu de l’article 2251 du code civil jusqu’à la décision définitive sur la dette fiscale contestée, et partant, que le droit de recouvrer l’impôt n’était pas prescrit. Quant au fond, elle rejeta tous les griefs dirigés contre le jugement entrepris.

15. Le 22 août 2007, la requérante se pourvut en cassation. Elle invoqua un moyen unique, qui concernait la suspension de la prescription retenue par la cour d’appel en vertu de l’article 2251 du code civil.

16. Le 19 novembre 2007, l’État se pourvut également en cassation. Il invoqua un moyen unique, qui concernait l’interruption de la prescription en vertu de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 qui n’avait pas été retenue par la cour d’appel.

17. Le 17 octobre 2008, l’avocat général à la Cour de cassation prit des conclusions écrites. Il conclut que le moyen invoqué par la requérante à l’appui de son pourvoi était irrecevable à défaut d’intérêt, dès lors que la décision attaquée demeurait en toute hypothèse légalement justifiée si la Cour de cassation substituait au motif de l’arrêt attaqué le motif selon lequel la prescription avait, conformément à l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, été interrompue par la signification du commandement de payer du 24 octobre 2000. L’avocat général se référa à la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêts du 17 janvier 2008) et de la Cour constitutionnelle (arrêts des 7 décembre 2005 et 1er février 2006) (paragraphes 38 et 39 ci‑dessous).

18. La requérante indique sans que cela ne soit contesté par le Gouvernement qu’elle réceptionna les conclusions de l’avocat général le 5 mars 2009.

19. Le 9 mars 2009, la requérante déposa une note en application de l’article 1107 du code judiciaire (paragraphe 41 ci-dessous). Elle fit valoir que si la Cour de cassation procédait à la substitution de motifs proposée par l’avocat général, elle méconnaitrait l’article 6 de la Convention en l’absence de possibilité pour la requérante de contester le motif proposé. Elle allégua également que les conditions pour procéder à une substitution de motifs n’étaient pas réunies. Elle conclut qu’il restait un certain nombre de contestations qui n’avaient pas été décidées par le juge du fond, en particulier le fait que l’application de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 constituerait une violation de l’article 6 de la Convention. Un tel débat devait avoir lieu devant les juridictions du fond.

20. Par un arrêt du 13 mars 2009 (F.07.0085.N-F.07.105.N), rendu conformément aux conclusions de l’avocat général, la Cour de cassation considéra que l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 prévoyait que le commandement de payer interrompait valablement la prescription, même en l’absence d’incontestablement dû. Elle poursuivit :

« L’article 49 de la loi-programme n’est [...] pas une disposition légale interprétative. Cette nouvelle disposition doit néanmoins se voir appliquer par le juge de manière rétroactive et ce conformément à la volonté du législateur. Il ressort clairement des travaux parlementaires relatifs à cette disposition que le législateur avait, en adoptant une mesure rétroactive, pour objectif de préserver les droits du Trésor dans le cadre des procédures encore pendantes où des impôts contestés sur pied de la position prise par la jurisprudence étaient sur le point de se prescrire ou encore avaient atteint la prescription. »

Elle en conclut que le commandement de payer signifié le 24 octobre 2000 avait interrompu la prescription et que la prescription n’était dès lors pas acquise. La décision critiquée par la requérante était légalement justifiée sur le fondement substitué par la Cour de cassation. Partant, elle déclara le moyen irrecevable pour défaut d’intérêt, et rejeta le pourvoi de la requérante.

La Cour de cassation déclara le pourvoi introduit par l’État irrecevable pour défaut d’intérêt, ce pourvoi étant dirigé contre une décision qui lui était favorable.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

21. Les éléments du droit et de la jurisprudence internes relatifs à l’établissement de l’impôt, aux voies de recours et à la prescription en matière fiscale ont été décrits de manière détaillée dans la décision Optim & Industerre c. Belgique ((déc.), no 23819/06, §§ 11-16, 11 septembre 2012). Pour faciliter la lecture du présent arrêt, ces éléments sont rappelés et complétés ci-dessous.

1. L’établissement de l’impôt et les voies de recours

22. L’impôt des sociétés est établi par voie d’enrôlement. Pour recouvrer l’impôt, l’administration doit disposer d’un titre contre le contribuable ; elle crée ce titre unilatéralement par l’établissement d’un acte authentique : le rôle. L’imposition est portée au rôle au nom du contribuable, lequel en est ensuite avisé par un « avertissement-extrait du rôle » aussitôt que le rôle est rendu exécutoire.

23. Le contribuable concerné peut « se pourvoir en réclamation, par écrit, contre le montant de l’imposition établie, y compris tous additionnels, accroissements et amendes, auprès du directeur des contributions » (article 366 du CIR).

24. Il a ensuite la possibilité de contester devant le tribunal de première instance la décision prise à l’issue de ce recours administratif (article 375 du même code). Depuis une loi entrée en vigueur le 6 avril 1999, le recours judiciaire peut également être introduit en cas d’absence prolongée de décision du directeur des contributions six mois après l’introduction du recours administratif (article 1385undecies du code judiciaire).

25. La réclamation, pas plus que l’action en justice, n’affecte le caractère exécutoire de l’enrôlement. L’imposition contestée peut dès lors faire l’objet pour le tout de saisies conservatoires, de voies d’exécution ou de toute autre mesure destinée à en garantir le recouvrement (article 409 du CIR).

26. Il résulte toutefois de l’article 410 du CIR qu’en cas de réclamation ou d’action en justice, l’imposition (en principal, additionnel et accroissements, augmentée des intérêts y afférents) n’est considérée comme une « dette liquide et certaine » pouvant « être recouvrée par voies d’exécution » que « dans la mesure où elle correspond au montant des revenus déclarés », ou bien, lorsqu’elle a été établie d’office (à défaut de déclaration), « dans la mesure où elle n’excède pas la dernière imposition définitivement établie à charge du redevable pour un exercice d’imposition antérieur ».

27. Seul cet « incontestablement dû » – selon la terminologie usuelle – peut faire l’objet de voies d’exécution dans l’attente de la décision qui doit intervenir sur la réclamation. Cela signifie notamment que, lorsqu’une imposition fait l’objet d’une réclamation dans le cadre de laquelle l’incontestablement dû est fixé à néant, le recouvrement forcé est impossible aussi longtemps qu’il n’a pas été statué sur le litige.

2. La prescription en matière fiscale

28. Conformément à l’article 145 de l’arrêté royal du 27 août 1993 d’exécution du CIR, les dettes fiscales se prescrivent par cinq ans à partir de la date à laquelle les impôts doivent être payés. Le délai de prescription peut être interrompu de la manière prévue par les articles 2244 et suivants du code civil ou par une renonciation au temps couru de la prescription. En cas d’interruption de la prescription, une nouvelle prescription susceptible d’être interrompue de la même manière, est acquise cinq ans après le dernier acte interruptif de la précédente prescription s’il n’y a pas instance en justice.

29. L’article 2244 du code civil prévoit que sont interruptifs de la prescription une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire.

30. Avant l’entrée en vigueur de la loi-programme du 22 décembre 2003 (paragraphe 33 ci-dessous), le dépôt d’une réclamation n’interrompait pas le délai de prescription de la dette fiscale. Afin de produire cet effet, l’administration avait adopté une pratique consistant à adresser un commandement de payer aux contribuables concernés (c’est la pratique qui a été suivie en l’espèce, voir paragraphe 9 ci-dessus).

31. Par un arrêt du 10 octobre 2002 (C.01.0157.F ; confirmé par des arrêts des 21 février 2003, C.01.0287.N, 27 février 2004, C.02.0024.F et 12 mars 2004, C.02.0596.F), la Cour de cassation a mis cette pratique en cause. Elle a en effet jugé que le commandement était un « acte de poursuite judiciaire qui suppose un titre exécutoire et prélude à une saisie-exécution », de sorte que, signifié par l’État en l’absence d’impôt incontestablement dû, il ne pouvait produire d’« effet interruptif ». Cette jurisprudence faisait obstacle à ce qu’un commandement interrompît la prescription en cas de contestation des impôts enrôlés.

32. Cette jurisprudence provoqua une réaction du législateur. Celui-ci estima son intervention indispensable « pour éviter qu’à défaut de possibilité pour l’administration de pouvoir valablement interrompre la prescription des cotisations contestées pour lesquelles il n’exist[ait] aucune quotité certaine et liquide immédiatement exigible, nombre d’entre elles ne soient déclarées prescrites », son intervention étant « d’autant plus impérieuse à l’examen des données de l’arriéré fiscal en matière d’impôt sur le revenu, qui révél[aient] que ce dernier [était] constitué à plus de quarante pour cent de cotisations contestées » (exposé des motifs du projet de loi ayant conduit à la loi-programme du 22 décembre 2003, Documents parlementaires, Chambre, 2003-2004, DOC 51-0473/001 et 51-0474/001, p. 148).

33. Il décida en conséquence de doter l’État d’un mécanisme d’interruption de la prescription. Ainsi, à l’occasion de l’adoption de la loi‑programme du 22 décembre 2003, il inséra de nouvelles dispositions dans le CIR, aux termes desquelles tout recours administratif ou judiciaire relatif à l’établissement ou au recouvrement des impôts et des précomptes suspend le cours de la prescription (nouveaux articles 443bis et 443ter du CIR).

34. Le ministre des Finances indiqua à cette occasion que ces dispositions « ne sont pas appliquées avec effet rétroactif car il s’agit d’un problème important de prescription qui concerne l’ordre public, ce qui pourrait avoir des conséquences très importantes pour le contribuable » (Documents parlementaires, Chambre, 2003-2004, DOC 51-0473/027, p. 20).

35. Dans son avis sur l’article 443ter du CIR en projet, le Conseil d’État avait émis des doutes quant à l’applicabilité de cette disposition à des impôts dont la prescription avait déjà été acquise avant l’entrée en vigueur de la loi en projet, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation susmentionnée. Il avait souligné à cet égard que, « si l’auteur de l’avant‑projet [voulait] prévenir le risque que des contribuables n’invoquent la prescription en pareil cas, une disposition transitoire explicite serait nécessaire » (avis des 7 et 12 novembre 2003, Documents parlementaires, Chambre, 2003-2004, DOC 51-0473/001 et 51-0474/001, p. 464).

36. Se fondant notamment sur cette observation, le législateur inséra ensuite dans la loi-programme du 9 juillet 2004, une « disposition légale interprétative applicable aux cas visés par les arrêts de la Cour de cassation des 10 octobre 2002 et 21 février 2003 » (justification de l’amendement no 7 du gouvernement, Documents parlementaires, Chambre, 2003-2004, DOC 51-1138/015, p. 2). Il s’agit de l’article 49 de cette loi, selon lequel « le commandement doit être interprété comme constituant également un acte interruptif de prescription au sens de l’article 2244 du code civil, même lorsque la dette d’impôt contestée n’a pas de caractère certain et liquide ».

37. Plusieurs contribuables, dont les requérantes dans l’affaire Optim & Industerre (décision précitée) introduisirent devant la Cour d’arbitrage (désormais Cour constitutionnelle) des requêtes en annulation de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004.

38. Par un arrêt du 7 décembre 2005 (no 177/2005 ; voir aussi l’arrêt no 20/2006 du 1er février 2006), la Cour constitutionnelle rejeta les recours. Elle s’exprima en ces termes :

« B.19.1. (...) la disposition entreprise était justifiée par le fait que la prescription d’impôts contestés avait toujours été interrompue par la signification d’un commandement et la validité de ce dernier a toujours été reconnue jusqu’à la date des arrêts de la Cour de cassation des 10 octobre 2002 et 21 février 2003 (...).

S’il existait une controverse sur la nature du commandement au sens de l’article 2244 du Code civil, rien ne permettait cependant, avant [ces] arrêts (...), de rejeter la thèse du double effet du commandement, avancée par l’administration, selon laquelle un commandement, irrégulier en tant qu’acte d’exécution, pouvait toutefois conserver ses effets en tant qu’acte interruptif de prescription.

En effet, lors de l’adoption du Code civil en 1804, le commandement n’était pas considéré comme un acte d’exécution, mais comme un acte préparatoire contenant la manifestation de la volonté du créancier d’obtenir paiement des sommes dues.

Après l’entrée en vigueur du Code judiciaire, plus précisément de ses articles 1494 et suivants, une controverse portant sur la nature du commandement est née, certains considérant que le commandement n’était plus un acte préparatoire mais un acte d’exécution. Si le commandement visé par les articles 148 et 149 de [l’arrêté royal du 27 août 1993 d’exécution du CIR] constitue un acte d’exécution dont la validité est subordonnée au caractère liquide et certain de la dette, les effets du commandement au sens de l’article 2244 du Code civil ne sont pas subordonnés à des conditions de validité légalement prévues.

Cependant, ni les dispositions précitées du Code judiciaire ni aucun arrêt de la Cour de cassation n’excluaient la validité du commandement en tant qu’acte interruptif de prescription, lorsque la dette n’est pas certaine et liquide.

Au contraire, certaines décisions des juridictions de fond reconnaissaient cet effet interruptif de prescription à un commandement, indépendamment de sa validité en tant qu’acte d’exécution.

B.19.2. Cette conception avait inspiré la pratique administrative en matière d’impôts sur les revenus et elle avait incité de nombreux contribuables à signer une renonciation au temps couru de la prescription.

B.19.3. En outre, par un arrêt du 28 octobre 1993, la Cour de cassation avait cassé un arrêt de la Cour d’appel de Liège parce que celle-ci n’avait pas répondu aux conclusions de l’État belge qui faisait valoir que le commandement avait « notamment pour but d’interrompre la prescription, conformément à l’article 194 de l’arrêté royal du Code des impôts sur les revenus [...] » et la Cour d’appel de Bruxelles, juridiction de renvoi, avait jugé, par un arrêt du 24 juin 1997, « que pareil commandement vaut comme acte interruptif au sens de l’article 2244 du Code civil et n’est pas énervé par la nullité de la saisie-exécution qui l’a suivi, l’effet interruptif de commandement étant indépendant des effets de l’acte exécutoire en tant que tel » (Bruxelles, 24 juin 1997, J.T., 1998, pp. 458-459).

B.19.4. Dès lors qu’il avait signifié un commandement, l’État pouvait donc légitimement estimer avoir valablement interrompu la prescription, même lorsque la dette d’impôt était contestée.

B.19.5. Par ailleurs, le ministre des Finances a fait observer ce qui suit au sujet de la disposition entreprise : « [Elle] permet d’éviter une discrimination arbitraire entre les contribuables qui ont souscrit une renonciation au temps couru de la prescription et ceux qui ont refusé de signer une telle renonciation et ont attendu la signification d’un commandement. Si aucune renonciation au temps couru de la prescription n’a été signée, la signification d’un commandement constitue la seule possibilité pour le receveur d’interrompre la prescription. Selon la récente jurisprudence de la Cour de cassation, cette possibilité disparaîtrait également de sorte que la prescription ne pourrait être évitée. Étant donné que les contribuables ont eux-mêmes contesté les impôts, ils ne pouvaient légalement escompter que la dette fiscale serait prescrite de ce fait. Il ne paraîtrait pas raisonnable pour un contribuable d’escompter se libérer en introduisant un recours tandis que l’État ne peut recouvrer l’imposition » (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-1138/015, pp. 2-3).

B.19.6. Bien que les arrêts de la Cour de cassation des 10 octobre 2002 et 21 février 2003 n’aient, juridiquement, qu’une autorité de chose jugée relative, ils ont, en ce qu’ils ont tranché la question de droit qui concerne la nature et les effets d’un commandement, une autorité de fait qui s’impose à toutes les juridictions puisque les décisions qui s’écarteraient de la réponse donnée par la Cour de cassation risqueraient d’être cassées pour violation de la loi, telle qu’elle est interprétée par la Cour de cassation. Il ressort d’ailleurs de la jurisprudence invoquée par les parties requérantes que les juridictions de fond se sont ralliées à la solution adoptée par les deux arrêts de la Cour de cassation précités.

B.19.7. Les arrêts des 10 octobre 2002 et 21 février 2003 ont donc eu pour conséquence de priver d’effet, de manière rétroactive, le mode d’interruption de la prescription communément utilisé en matière d’impôts sur les revenus (...). Une catégorie de contribuables s’est ainsi vue libérée d’une dette qu’ils avaient contestée mais dont il ne peut être présumé qu’elle n’était pas due. C’est pour neutraliser l’effet rétroactif de la règle jurisprudentielle dégagée par les arrêts précités que le législateur a lui-même adopté une disposition rétroactive.

B.19.8. Le recours à une disposition rétroactive peut également s’expliquer en l’espèce par l’absence d’une disposition permettant de demander à la Cour de cassation de limiter dans le temps les effets des positions de principe adoptées par ses arrêts, alors que tant la Cour de justice des Communautés européennes (article 231, deuxième alinéa, du Traité CE), que la Cour d’arbitrage (article 8, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage) et le Conseil d’État (article 14ter des lois sur le Conseil d’État coordonnées le 12 janvier 1973) peuvent maintenir les effets des actes qu’ils annulent.

B.19.9. La première réaction du législateur aux arrêts de la Cour de cassation précités dans la loi-programme du 22 décembre 2003 a entraîné l’insertion dans le C.I.R. des articles 443bis et 443ter sous un nouveau chapitre IXbis : « Prescription des droits du Trésor ».

La disposition attaquée de la loi-programme du 9 juillet 2004 a complété cette réaction du législateur.

Compte tenu du délai rapproché séparant leur adoption, ces dispositions doivent être considérées comme formant, ensemble, la réaction du législateur aux arrêts précités.

B.19.10. Par ailleurs, il a été constaté, au cours des travaux préparatoires, d’une part, que l’arriéré fiscal, en matière d’impôts sur les revenus, « est constitué à plus de quarante pour cent de cotisations contestées » (...) et, d’autre part, que certains dossiers qui allaient bénéficier de la position adoptée par la Cour de cassation « concernaient la grande fraude fiscale » (...). La mesure a pu être considérée comme répondant à des exigences d’intérêt général en ce que, sans préjuger des droits des contribuables, elle préservait les droits du Trésor à l’égard d’impositions contestées.

B.19.11. Enfin, l’effet rétroactif de la disposition entreprise ne restreint pas de manière disproportionnée les droits des contribuables, qui estimaient, jusqu’aux arrêts de la Cour de cassation, que le commandement qui leur avait été signifié, avait valablement interrompu la prescription. Le fait qu’ils ont pu, de manière inattendue, espérer bénéficier de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, ne peut priver de justification l’intervention du législateur.

B.20. Il apparaît donc que la mesure est justifiée par des circonstances particulières et exceptionnelles et qu’elle est dictée par des motifs impérieux d’intérêt général. »

39. Par deux arrêts du 17 janvier 2008 (F.06.0082.N et F.07.0057.N), la Cour de cassation confirma qu’il ressortait de l’article 49 de la loi‑programme du 9 juillet 2004 qu’un commandement signifié pour une dette d’impôt contestée constituait un acte interruptif de prescription valable même s’il n’y avait pas de partie incontestablement due. Dans le second de ces arrêts elle considéra en outre que l’article 49 ne constituait pas une disposition interprétative, mais qu’il devait néanmoins être appliqué avec un effet rétroactif, conformément à l’intention du législateur.

40. Par un arrêt du 21 novembre 2013 (F.11.0175.N), donc rendu postérieurement à son arrêt dans l’affaire de la requérante, la Cour de cassation considéra que l’article 49, « qui doit empêcher que certains contribuables bénéficient d’un avantage non envisagé par le législateur et qui est conforme à l’intérêt général et nécessaire pour assurer le paiement des impôts dont le législateur n’a nullement modifié les règles d’établissement, est compatible avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

3. éléments de la procédure de cassation

41. En vertu de l’article 1107, alinéa 2, du code judiciaire, lorsque le ministère public donne des conclusions écrites, les parties peuvent, au plus tard à l’audience et exclusivement en réponse aux conclusions du ministère public, déposer une note dans laquelle elles ne peuvent soulever de nouveaux moyens. Selon l’alinéa suivant de cette disposition, chaque partie peut demander à l’audience que l’affaire soit remise pour répondre verbalement ou par une note à ces conclusions écrites ou verbales du ministère public. La Cour de cassation fixe alors le délai dans lequel cette note doit être déposée.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE l’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

42. La société requérante se plaint de l’intervention de l’État au cours de la procédure devant les juridictions internes, en méconnaissance des principes de la prééminence du droit, de sécurité juridique et du droit à un procès équitable. Elle soutient également que la substitution de motifs opérée par la Cour de cassation en l’espèce l’a privée de son droit d’accès à un tribunal. Enfin, elle se plaint du dépassement du délai raisonnable. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

1. Sur la recevabilité
1. Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1

a) Thèses des parties

43. Le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité du volet pénal de l’article 6 de la Convention compte tenu de la majoration d’impôt infligée à la requérante. En revanche, il estime que l’article 6 n’est pas applicable dans son volet civil. Il considère en effet que la question de la prescription du droit de l’État à procéder à un recouvrement fiscal ne relève en tant que telle ni de la matière civile ni de la matière pénale, et qu’elle ne bénéficie des garanties de l’article 6 § 1 qu’indirectement, parce que la majoration d’impôt y est elle-même soumise. Le Gouvernement estime que la distinction que la requérante tente d’opérer entre l’établissement de l’impôt et le recouvrement de cet impôt ne trouve aucun appui dans la jurisprudence de la Cour. L’arrêt National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni (23 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VII) sur lequel se fonde la requérante n’est pas applicable en l’espèce puisque dans cette affaire, les requérantes réclamaient la restitution d’un impôt indu, plus précisément le paiement qu’elles avaient effectué en vertu d’une loi d’impôt qui avait été annulée pour excès de pouvoir. Or en l’espèce, il est incontestable pour le Gouvernement que la créance dont l’État belge poursuivait le recouvrement était une créance de nature fiscale fondée sur une législation fiscale valablement promulguée.

44. La requérante soutient que le litige constitue non seulement une contestation portant sur une accusation en matière pénale mais également une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil puisque l’objet de la procédure portait selon elle sur la prescription de l’action en recouvrement d’un impôt contesté, et non pas sur le droit de l’État d’imposer une charge fiscale à un citoyen. Dès lors que le litige portait en l’espèce sur le recouvrement d’une créance et non pas sur l’établissement de l’impôt, il n’existerait aucun motif pour soustraire le litige à l’application de l’article 6 § 1 de la Convention en son volet civil.

b) Appréciation de la Cour

45. La présente affaire a trait à une procédure relative à une décision prise par l’administration fiscale d’infliger à la requérante un redressement fiscal ainsi qu’une majoration d’impôt représentant 10 % des droits dont la requérante fut jugée redevable, en raison d’erreurs qu’elle avait commises dans sa déclaration fiscale relative à l’exercice d’imposition 1993.

46. En ce qui concerne le volet civil de l’article 6, la Cour a jugé à de nombreuses reprises qu’il n’est pas applicable à l’établissement de l’imposition et aux majorations d’impôt (voir, parmi d’autres, Ferrazzini c. Italie [GC], no 44759/98, § 29, CEDH 2001‑VII, Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, § 29, CEDH 2006‑XIV, et, plus récemment, Formela c. Pologne (déc.), no 31651/08, § 127, 5 février 2019).

47. La Cour est parvenue à la même conclusion dans l’affaire Optim et Industerre c. Belgique ((déc.), no 23819/06, §§ 24-26, 11 septembre 2012) qui concernait, à l’instar de la présente espèce, un recours engagé par les requérantes devant les juridictions de l’ordre judiciaire pour contester le redressement fiscal dont elles avaient fait l’objet. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de cette conclusion en l’espèce puisque la procédure menée par la requérante devant les juridictions internes visait à contester l’établissement de l’impôt. Le fait qu’était, en pratique, au cœur des débats, la question de la prescription de la dette d’impôt ne modifie pas cette conclusion.

48. L’affaire National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society (précitée) sur laquelle se fonde la requérante concernait une situation étrangère à la présente espèce en ce que la procédure devant les juridictions internes visait à obtenir la restitution d’un impôt indûment payé par les sociétés requérantes en vertu d’une loi d’impôt qui avait par la suite été annulée.

49. L’applicabilité du volet pénal de l’article 6 § 1 de la Convention n’est quant à elle pas contestée par le Gouvernement. Eu égard au fait que la majoration d’impôt à laquelle la requérante a été condamnée poursuivait un but à la fois préventif et répressif (Jussila, précité, §§ 29-39) et eu égard à la lourdeur de la sanction qui pouvait être imposée, à savoir une majoration représentant 10 % des droits dont la requérante a été jugée redevable (voir A.P., M.P. et T.P. c. Suisse, 29 août 1997, § 40, Recueil 1997‑V, et Janosevic c. Suède, no 34619/97, § 69, CEDH 2002‑VII), la Cour conclut que le volet pénal de la disposition invoquée est applicable.

50. La Cour tient à observer que la procédure litigieuse concernait à la fois le redressement fiscal, qui en tant que tel ne tombait pas sous l’application de l’article 6 § 1, et la majoration d’impôt, qui, elle, tombait sous l’application de cette disposition. La Cour doit procéder à l’examen de la procédure dans la mesure où elle a eu pour objet une « accusation en matière pénale » dirigée contre la requérante. À supposer même qu’il soit possible de distinguer les éléments de la procédure portant sur l’« accusation en matière pénale » de ceux qui avaient un autre objet, l’examen de la procédure concernant la majoration d’impôt amènera inévitablement la Cour à prendre en considération les éléments de procédure concernant le redressement fiscal (Jussila, précité, § 45 ; voir également Georgiou c. Royaume-Uni (déc.), no 40042/98, 16 mai 2000, Sträg Datatjänster AB c. Suède (déc.), no 50664/99, 21 juin 2005, et Chambaz c. Suisse, no 11663/04, § 42, 5 avril 2012).

2. Conclusion sur la recevabilité

51. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond

52. La Cour doit rechercher, en tenant dûment compte des circonstances de la cause, notamment des éléments pertinents du cadre fiscal dans lequel celle-ci s’inscrit, si la procédure de redressement et la majoration d’impôt dont la requérante a fait l’objet a respecté les exigences de l’article 6 (Jussila, précité, § 39).

53. Pour cela, elle procédera à l’examen successif des trois griefs invoqués par la requérante : l’intervention du législateur au cours de la procédure (1), la substitution de motifs opérée par la Cour de cassation (2), et enfin, le dépassement allégué du délai raisonnable (3).

1. Sur l’intervention du législateur par la loi-programme du 9 juillet 2004

a) Thèses des parties

1. La requérante

54. La requérante se plaint du fait qu’en appliquant l’article 49 de la loi‑programme de 2004 à sa cause, la Cour de cassation a donné effet à l’ingérence souhaitée par le législateur dans les procédures pendantes devant les tribunaux. Cette ingérence avait clairement pour objectif d’influencer le cours de procédures auxquelles l’État belge était partie, ce qui est contraire à la prééminence du droit, au principe de sécurité juridique et à l’article 6 § 1 de la Convention. Cela est d’autant plus vrai ici que l’intervention du législateur était due à l’arriéré dans le traitement des réclamations administratives contestant les cotisations enrôlées, situation qui ne saurait pénaliser les contribuables.

55. La loi-programme du 22 décembre 2003 prévoyait, pour le futur, la suspension de la prescription du recouvrement d’une dette fiscale dès que le titre d’impôt était contesté par une réclamation administrative. Les travaux parlementaires de cette loi faisaient clairement état du fait que cette règle ne s’appliquerait que pour le futur. L’ingérence opérée ensuite rétroactivement par l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 n’avait pour fondement aucun motif sérieux. Le législateur a tenté de couvrir l’effet rétroactif par l’affirmation qu’il s’agissait d’une loi interprétative. Toutefois, la Cour de cassation, après avoir considéré que la loi n’était en réalité pas interprétative, a admis qu’il s’agissait d’une disposition à effet rétroactif. Le Gouvernement n’est pas fondé à se référer aux arrêts de la Cour constitutionnelle (paragraphe 38 ci-dessus) dans la mesure où celle-ci n’est pas compétente pour vérifier la conformité de la loi avec la Convention. D’après la requérante, aucun des motifs invoqués par le Gouvernement ne pourrait être considéré comme un impérieux motif d’intérêt général pouvant justifier l’effet rétroactif de la loi.

56. En outre, contrairement à ce qu’allègue le Gouvernement, les arrêts de la Cour de cassation des 10 octobre 2002 et 21 février 2003 (paragraphe 31 ci-dessus) n’étaient pas imprévisibles, eu égard à un arrêt antérieur de cette même cour du 28 octobre 1993 dans lequel elle avait dit qu’aucun effet exécutoire ne pouvait être valablement attribué à un titre fiscal n’ayant lui-même pas de force exécutoire. Le législateur aurait donc pu prendre les éventuelles mesures nécessaires dès ce moment-là, au lieu d’opter pour la construction de la figure du commandement interruptif de prescription par des circulaires administratives.

2. Le Gouvernement

57. Le Gouvernement explique que l’application rétroactive de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 se justifie pleinement par d’impérieux motifs d’intérêt général, tel que l’a reconnu la Cour constitutionnelle (paragraphe 38 ci-dessus). Avant les arrêts de la Cour de cassation des 10 octobre 2002 et 21 février 2003 (paragraphe 31 ci-dessus), la jurisprudence et la pratique administrative étaient fixées en ce sens qu’un commandement signifié par l’administration interrompait la prescription même en ce qui concernait les dettes d’impôt contestées. La loi-programme du 9 juillet 2004 avait dû être dotée d’un effet rétroactif afin de contrecarrer l’effet lui-même rétroactif du revirement opéré par la Cour de cassation. Ainsi, l’effet rétroactif de ladite loi ne restreignait pas de manière disproportionnée les droits des contribuables qui estimaient, jusqu’aux arrêts précités de la Cour de cassation, que le commandement qui leur avait été signifié avait valablement interrompu la prescription. Cette rétroactivité était nécessaire puisque la Cour de cassation n’était pas légalement habilitée à limiter dans le temps les effets de ses arrêts. La disposition rétroactive permettait ainsi d’éviter une discrimination arbitraire entre les contribuables qui avaient souscrit une renonciation au temps couru de la prescription et ceux qui avaient refusé de signer une telle renonciation. De plus, l’arriéré fiscal en matière d’impôts sur les revenus était constitué à près de la moitié de cotisations contestées, pour lesquelles une interruption de la prescription aurait été impossible sans la rétroactivité de la disposition. Certains dossiers qui auraient bénéficié de la position adoptée par la Cour de cassation concernaient la grande fraude fiscale. Il ne saurait donc être conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

b) Appréciation de la Cour

1. Principes généraux applicables

58. Dans le cadre de différends civils, la Cour a jugé à maintes reprises que si le pouvoir législatif n’est, en principe, pas empêché de réglementer, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 49, série A no 301‑B, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 9 autres, § 57, CEDH 1999‑VII, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 126, CEDH 2006‑V, et, plus récemment, Dimopulos c. Turquie, no 37766/05, § 32, 2 avril 2019).

59. Ces principes, qui constituent des éléments essentiels des notions de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables, trouvent également à s’appliquer en matière pénale (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 132, 17 septembre 2009, et, dans le même sens, Biagioli c. Saint-Marin (déc.), no 8162/13, §§ 92-94, 8 juillet 2014, et Chim et Przywieczerski c. Pologne, nos 36661/07 et 38433/07, §§ 199-207, 12 avril 2018).

2. Application au cas d’espèce

60. La question se pose en l’espèce de savoir si l’intervention du législateur par la loi-programme du 9 juillet 2004 a porté atteinte au caractère équitable de la procédure en exerçant, en cours d’instance, une influence sur l’issue du litige opposant la requérante à l’État.

61. Pour ce faire, la Cour tiendra compte de toutes les circonstances de la cause et examinera de près les raisons que l’État défendeur a avancées pour justifier l’intervention qui s’est produite dans la procédure litigieuse par suite de l’effet rétroactif de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 (National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society, précité, § 107, et OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France, nos 42219/98 et 54563/00, § 63, 27 mai 2004). La Cour ne peut en effet pas perdre de vue l’effet produit par la loi litigieuse combiné avec la méthode et le moment de son adoption (Papageorgiou c. Grèce, 22 octobre 1997, § 38, Recueil 1997‑VI).

62. La Cour tiendra également compte du fait qu’est en cause en l’espèce une procédure fiscale. Dans cette matière, à la différence des amendes relevant de la matière pénale au sens strict, la somme due à titre de pénalité constitue en quelque sorte le prolongement de la dette fiscale puisqu’elle se calcule en fonction de cette dernière. En l’espèce, la majoration d’impôt était fixée à 10 % de l’impôt éludé (paragraphe 11 ci‑dessus). La majoration d’impôt entretient ainsi un lien étroit avec la dette fiscale. Dans la mesure où la procédure fiscale concerne la majoration d’impôt, elle est certes qualifiée d’« accusation en matière pénale » conformément au sens autonome donné par la Cour à cette notion par application des critères Engel (paragraphes 49 et 50 ci-dessus). Cela étant, les majorations d’impôt ne faisant pas partie du noyau dur du droit pénal, les garanties offertes par l’article 6 ne doivent pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur (Jussila, précité, § 43, et A et B c. Norvège [GC], nos 24130/11 et 29758/11, § 133, 15 novembre 2016).

63. D’emblée, la Cour observe que lorsqu’elle interjeta appel du jugement de première instance, le 15 avril 2004, la société requérante pouvait légitimement s’attendre à ce que sa dette fiscale se voie prescrite en application de la jurisprudence de la Cour de cassation inaugurée par l’arrêt de celle-ci du 10 octobre 2002 (paragraphe 31 ci-dessus ; voir pour une autre affaire dans laquelle la Cour a reconnu qu’une partie pouvait s’attendre à ce que la jurisprudence de la cour suprême soit suivie dans la procédure la concernant, Gil Sanjuan c. Espagne, no 48297/15, § 38, 26 mai 2020).

64. Toutefois, l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 entré en vigueur lorsque l’affaire était pendante devant la cour d’appel (paragraphe 13 ci-dessus) fixa en fait définitivement, et de manière rétroactive, la question de l’interruption de la prescription dans les instances fiscales en cours.

65. Cette intervention législative a eu pour conséquence la poursuite du recouvrement de l’impôt dû et de la majoration y afférente dans des affaires, telles que celle de l’espèce, qui avaient, en application de l’enseignement de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2002, atteint la prescription. En effet, la Cour constate qu’il n’a pas été contesté par le Gouvernement que, sans l’application rétroactive de la loi-programme de 2004, la dette fiscale de la requérante était prescrite, même si cela n’avait pas encore été constaté par une décision judiciaire. C’est donc uniquement du fait de l’application rétroactive de la disposition litigieuse que la dette fiscale de la requérante n’a pas été déclarée éteinte.

66. La Cour de cassation a d’ailleurs indiqué dans le cas d’espèce qu’il ressortait clairement des travaux parlementaires que le législateur avait eu « pour objectif de préserver les droits du Trésor dans le cadre de procédures pendantes où des impôts contestés sur pied de la position prise par la jurisprudence (...) avaient atteint la prescription » (paragraphe 20 ci-dessus).

67. Eu égard au fait que la dette fiscale de la requérante était prescrite au moment où l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 entra en vigueur, en réglant rétroactivement l’interruption de la prescription, le législateur est intervenu d’une manière décisive pour orienter en sa faveur le dénouement judiciaire du litige auquel l’État était partie.

68. Reste à vérifier si la rétroactivité de l’article 49 précité reposait sur d’impérieux motifs d’intérêt général.

69. À cet égard, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable impliquent que les raisons invoquées pour justifier de telles mesures soient traitées avec le plus grand degré de circonspection possible (National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society, précité, § 112, et Maggio et autres c. Italie, nos 46286/09 et 4 autres, § 45, 31 mai 2011).

70. La Cour a déjà jugé que le seul intérêt financier de l’État ne permet en principe pas de justifier l’intervention rétroactive d’une loi de validation (parmi d’autres, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres, précité, § 59, Scordino, précité, § 132, et Lilly France c. France (no 2), no 20429/07, § 51, 25 novembre 2010). La préservation des droits du Trésor invoquée par le Gouvernement ne saurait donc suffire à justifier l’intervention rétroactive litigieuse.

71. Le Gouvernement fait également valoir, à l’instar de la Cour constitutionnelle (paragraphe 38 ci-dessus) qui se référait aux travaux préparatoires, que certains des dossiers fiscaux pour lesquels il y avait un arriéré dans le règlement des litiges relevaient de la grande fraude fiscale.

72. La Cour ne conteste pas que la lutte contre la grande fraude fiscale constitue un motif d’intérêt général. Elle estime toutefois qu’il n’était pas suffisamment impérieux dans les circonstances de l’espèce. En effet, il n’y a aucune indication que le cas de la requérante relevait de la lutte contre la grande fraude fiscale, ce qui n’a d’ailleurs pas été allégué par le Gouvernement. De plus, il ne ressort ni des travaux parlementaires ni des observations du Gouvernement quel était le nombre de dossiers éventuellement concernés ni l’ampleur des sommes qui auraient été prescrites sans l’intervention législative litigieuse (voir, dans le même sens, mutatis mutandis, Arnolin et autres c. France, nos 20127/03 et 24 autres, § 76, 9 janvier 2007, et SCM Scanner de l’Ouest Lyonnais et autres c. France, no 12106/03, § 31, 21 juin 2007).

73. En revanche, la Cour est sensible à l’argument du Gouvernement selon lequel l’intervention du législateur était nécessaire pour rétablir la sécurité juridique mise à mal par l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2002. En adoptant la disposition rétroactive litigieuse, le législateur avait pour intention de neutraliser l’effet lui-même rétroactif de ladite jurisprudence de la Cour de cassation et de confirmer la légalité d’une pratique administrative qui avait été suivie jusqu’alors et dont la légitimité n’avait pas sérieusement été mise en cause (voir l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 décembre 2005, considérants B.19.1-B.19.4, paragraphe 38 ci-dessus). Le but de l’intervention législative était ainsi de réaffirmer l’intention initiale de l’administration. Celle-ci n’était donc pas imprévisible (voir, dans le même sens, mutatis mutandis, OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres, précité, § 72).

74. La Cour doit également tenir compte du fait qu’il ne s’agissait pas simplement de préserver les intérêts financiers de l’État (voir, a contrario, Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, série A no 332, affaire dans laquelle la responsabilité de l’État pouvait être engagée, et Maggio et autres, précité, affaire dans laquelle le législateur voulait rétablir l’équilibre dans le système de sécurité sociale). Il s’agissait en l’espèce également d’assurer que les impôts soient payés par ceux qui en étaient redevables (voir, dans ce sens, paragraphe 40 ci-dessus).

75. L’intervention du législateur visait à assurer la sécurité juridique (paragraphe 73 ci-dessus) et, comme il a été observé par la Cour constitutionnelle, à éviter une discrimination arbitraire entre différents contribuables (voir l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 décembre 2005, considérant B.19.5, cité au paragraphe 38 ci-dessus). Ces intentions du législateur sont à comprendre à la lumière de la chronologie de la présente affaire. Le 24 octobre 2000, le commandement de payer mentionnant explicitement qu’il visait à interrompre la prescription fut signifié à la requérante. La nouvelle jurisprudence litigieuse de la Cour de cassation intervint le 10 octobre 2002, alors que le recours de la requérante était pendant devant le tribunal de première instance. Il ne ressort pas du dossier que la requérante souleva une exception tirée de la prescription de sa dette devant le tribunal de première instance ce qui tend à indiquer, comme l’a fait remarquer la Cour constitutionnelle (arrêt précité, considérant B.19.11), qu’elle considérait, à l’instar des autres contribuables, que le commandement de payer avait interrompu la prescription. Ce n’est ensuite que dans son acte d’appel du 15 avril 2004 que la requérante se référa pour la première fois à la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation et en déduisit que la prescription était acquise le 15 février 2001, c’est-à-dire avant même qu’ait été rendu l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2002. L’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 entra ensuite en vigueur le 25 juillet 2004, avant que la cour d’appel se prononce.

76. Il semble donc que, jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2002, la requérante a elle aussi estimé que la prescription avait été interrompue par le commandement de payer du 24 octobre 2000. Espérant pouvoir bénéficier, de manière inattendue, de la jurisprudence nouvelle de la Cour de cassation (voir l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 décembre 2005, considérant B.19.11, cité au paragraphe 38 ci-dessus), elle ne pouvait dès lors pas être surprise par la réaction du législateur (dans ce sens également, OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres, précité, § 71).

77. Il en résulte que, dans les circonstances particulières de l’affaire, il y avait des motifs impérieux d’intérêt général : celui de rétablir l’interruption de la prescription par des commandements signifiés bien avant l’arrêt de la Cour de cassation de 2002, et de la sorte permettre la résolution des litiges pendants devant les tribunaux, sans pour autant préjuger des droits substantiels des contribuables (dans le même sens, National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society, précité, § 112, et OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres, précité, § 72).

78. Enfin, la Cour observe que la conclusion à laquelle elle parvient correspond à l’appréciation qui a été faite par la Cour constitutionnelle et par la Cour de cassation (paragraphes 38 et 40 ci-dessus). Ces dernières n’ont pas non plus jugé fallacieuse l’intervention du législateur (a contrario, Maggio et autres, précité, § 48).

79. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que l’intervention rétroactive du législateur par l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 était dictée par d’impérieux motifs d’intérêt général.

80. Partant, elle considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention de ce chef.

2. Sur la substitution de motifs opérée par la Cour de cassation

a) Thèses des parties

1. La requérante

81. La requérante se plaint de la substitution de motifs opérée par la Cour de cassation qui aurait abouti à la méconnaissance de son droit d’accès à un tribunal et aux principes de l’égalité des armes et du contradictoire. La requérante estime que la Cour de cassation, en se prononçant sur l’applicabilité de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, alors que la cour d’appel avait considéré cette disposition inapplicable et que cette décision n’était pas critiquée par la requérante dans son pourvoi, s’est prononcée sur une décision de la cour d’appel qui n’était pas régulièrement soumise à sa censure. En rejetant son pourvoi par l’application d’une barrière non prévisible, artificielle et illégale, la Cour de cassation a rendu impossible pour la requérante de faire valoir ses griefs non seulement devant la Cour de cassation mais aussi devant le juge du fond, suite à un renvoi de l’affaire à une autre cour d’appel. La requérante considère qu’elle n’a pas pu soulever la question de la compatibilité de l’article 49 de la loi‑programme de 2004 avec l’article 6 § 1 de la Convention, en raison de l’objet limité de l’instance en cassation. La Cour de cassation a décidé en contradiction avec sa jurisprudence constante selon laquelle elle ne peut pas appliquer la construction jurisprudentielle de la substitution de motifs à des motifs non critiqués en degré de cassation. De plus, la substitution de motifs n’est possible que lorsque les éléments de fait ont été constatés par le juge du fond dans la décision attaquée, quod non.

82. Quant à la procédure suivie, la requérante fait observer que les conclusions écrites de l’avocat général par lesquelles la substitution de motifs était proposée n’ont été réceptionnées par elle que le 5 mars 2009, soit quelques jours seulement avant l’audience du 13 mars 2009. Il aurait été inutile et impossible, dans le délai imparti de quelques jours, de porter un vrai débat devant la Cour de cassation sur la question de l’interruption de la prescription en vertu de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, question qui, au surplus, échappait à la compétence de la Cour de cassation. La requérante a dès lors concentré sa réponse dans la note soumise en vertu de l’article 1107 du code judiciaire à ce qui entrait dans la compétence de la Cour de cassation (ce qui excluait des questions de fait) et à ce qui faisait l’objet du litige devant la Cour de cassation (qui ne concernait que la question de la suspension de la prescription et ne s’étendait pas à l’interruption de celle-ci en vertu de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004).

2. Le Gouvernement

83. Le Gouvernement soutient que, les majorations d’impôt ne faisant pas partie du noyau dur du droit pénal, les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6 ne doivent pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur. Le respect de l’article 6 § 1 devrait donc être apprécié par la Cour avec plus de bienveillance. En l’espèce, la substitution de motifs à laquelle la Cour de cassation a procédé est intervenue après avoir mis la requérante pleinement en mesure de faire connaître les éléments nécessaires au succès de ses prétentions, ainsi que de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision et de la discuter. Quant à l’argument de la requérante selon lequel les conclusions de l’avocat général ne lui avaient été transmises que le 5 mars 2009, le Gouvernement soutient qu’elle aurait pu solliciter une remise de l’affaire pour disposer d’un délai complémentaire en vue de répondre à ces conclusions conformément à l’article 1107, alinéa 3, du code judiciaire. D’après lui, en se bornant, dans sa note du 9 mars 2009, à critiquer la possibilité de procéder à une substitution de motifs sans contester l’argumentation juridique développée par l’avocat général, la requérante aurait délibérément opté pour une stratégie procédurale dont elle était la seule responsable.

84. Le Gouvernement ne conteste pas que l’irrecevabilité du moyen soulevé par la requérante à l’appui de son pourvoi constitue une limitation au droit d’accès à un tribunal. Cela étant, cette limitation était justifiée. Elle poursuivait un but légitime, celui de la bonne administration de la justice, en évitant un report préjudiciable et inutile de l’issue de l’affaire aux parties. Elle était également proportionnée. La substitution de motifs est étroitement encadrée par la jurisprudence, elle ne peut porter que sur des motifs de pur droit critiqués par le moyen en cause et moyennant le respect des droits de la défense. En outre, la requérante n’aurait retiré aucun avantage d’une cassation prononcée sur la base de son pourvoi, puisque le juge de renvoi eût de toute façon jugé de la même manière que la Cour de cassation, sans quoi sa décision aurait été exposée à la censure de la Cour de cassation. Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, le Gouvernement fait valoir qu’il n’y a pas lieu de supposer que la Cour de cassation ait méconnu les règles de procédures relatives aux conditions dans lesquelles il est permis de procéder à une substitution de motifs, ce d’autant plus qu’en l’espèce, celle-ci n’a impliqué aucune modification des décisions de l’arrêt attaqué. Ainsi, il est manifeste pour le Gouvernement qu’aucune atteinte n’a été portée à la substance même du droit d’accès à un tribunal.

b) Appréciation de la Cour

85. D’emblée, la Cour n’aperçoit aucun problème au regard du principe de l’égalité des armes invoqué par la requérante. Ce principe requiert en effet que chaque partie à une procédure se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir, parmi d’autres, Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, § 23, Recueil 1997‑I, et Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, § 146, 19 septembre 2017). Or, en l’espèce, il ne ressort ni des éléments du dossier ni des arguments des parties qu’elles ont été placées dans des situations différentes à l’égard des conclusions écrites de l’avocat général ou de la substitution de motifs opérée par la Cour de cassation (voir, mutatis mutandis, Krčmář et autres c. République tchèque, no 35376/97, § 39, 3 mars 2000).

86. Cela étant, la notion de procès équitable comprend également le droit à un procès contradictoire qui implique le droit pour les parties de faire connaître les éléments nécessaires au succès de leurs prétentions, mais aussi de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (Lobo Machado c. Portugal, 20 février 1996, § 31, Recueil 1996‑I, et Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, § 33, Recueil 1996‑I).

87. Le juge doit lui-même respecter le principe du contradictoire, notamment lorsqu’il rejette un pourvoi ou tranche un litige sur la base d’un motif retenu d’office (Skondrianos c. Grèce, nos 63000/00, 74291/01 et 74292/01, §§ 29-30, 18 décembre 2003, Clinique des Acacias et autres c. France, nos 65399/01, 65406/01, 65405/01 et 65407/01, § 38, 13 octobre 2005, Amirov c. Arménie (déc.), no 25512/06, 18 janvier 2011, Čepek c. République tchèque, no 9815/10, § 45, 5 septembre 2013, et Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, nos 4696/11 et 4703/11, § 50, 27 octobre 2016). L’élément déterminant est alors de savoir si une partie a été « prise au dépourvu » par le fait que le tribunal a fondé sa décision sur un motif invoqué d’office (Villnow c. Belgique (déc.), no 16938/05, 29 janvier 2008, et Clinique des Acacias et autres, précité, § 43).

88. Une diligence particulière s’impose au tribunal lorsque le litige prend une tournure inattendue, d’autant plus s’il s’agit d’une question laissée à la discrétion du tribunal. Le principe du contradictoire commande que les tribunaux ne se fondent pas dans leurs décisions sur des éléments de fait ou de droit qui n’ont pas été discutés durant la procédure et qui donnent au litige une tournure que même une partie diligente n’aurait pas été en mesure d’anticiper (Čepek, précité, § 48).

89. La Cour de cassation a en l’espèce fait usage de son pouvoir de trancher l’affaire sur la base d’un motif soulevé d’office (dans le même sens, Clinique des Acacias et autres, précité, § 39). La Cour n’entend pas se prononcer sur la technique de substitution de motifs en tant que telle, mais sur le seul point de savoir si le recours à celle-ci par la Cour de cassation a porté atteinte au droit de la requérante à une procédure contradictoire (Les Authentiks et Supras Auteuil 91, précité, § 51).

90. En effet, il n’appartient pas à la Cour d’examiner si, en l’espèce, les conditions définies par la jurisprudence de la Cour de cassation pour procéder à une substitution de motifs étaient réunies puisqu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I, et López Ribalda et autres c. Espagne [GC], nos 1874/13 et 8567/13, § 149, 17 octobre 2019).

91. Dès lors, seule la non-communication éventuelle de la Cour de cassation aux parties de son intention de retenir d’office le motif litigieux pourrait poser problème au regard de la Convention (dans le même sens, Cimolino c. Italie, no 12532/05, § 45, 22 septembre 2009).

92. En l’espèce, la Cour constate que la question de l’application de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 n’a pas été soulevée par la requérante dans son pourvoi en cassation. En effet, la cour d’appel d’Anvers avait estimé que cette disposition n’était pas applicable (paragraphe 14 ci‑dessus). La requérante n’avait par conséquent pas d’intérêt à débattre de ce point dans son pourvoi en cassation.

93. Cela étant dit, il ne peut être considéré en l’espèce que la requérante a été « prise au dépourvu » (a contrario, parmi d’autres, Clinique des Acacias et autres, précité, § 43, et Liga Portuguesa de Futebol Profissional c. Portugal, no 4687/11, §§ 61-62, 17 mai 2016).

94. En effet, d’une part, la Cour relève que la décision de la cour d’appel concernant l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 faisait l’objet du pourvoi en cassation introduit par l’État (paragraphe 16 ci-dessus). Il ne peut donc pas être considéré que la question de l’applicabilité de cette disposition était en dehors du débat (voir, dans le même sens, Les Authentiks et Supras Auteuil 91, précité, § 52, et Ndayegamiye-Mporamazina c. Suisse, no 16874/12, § 39, 5 février 2019, et, a contrario, Prikyan et Angelova c. Bulgarie, no 44624/98, § 46, 16 février 2006), même si les deux pourvois n’étaient pas encore formellement joints.

95. D’autre part, et surtout, les parties ont reçu une copie des conclusions écrites de l’avocat général à la Cour de cassation dans lesquelles celui-ci invitait la Cour de cassation à procéder à la substitution de motifs litigieuse (paragraphe 17 ci-dessus). Même si le Gouvernement n’a pas contesté que la requérante a réceptionné les conclusions de l’avocat général quelques jours seulement avant l’audience prévue de la Cour de cassation (paragraphe 18 ci-dessus), il n’en demeure pas moins que la requérante avait la faculté, en vertu de l’article 1107 du code judiciaire, de déposer une note en réponse aux conclusions de l’avocat général et de demander la remise de l’audience afin de répondre verbalement ou par une note à ces conclusions (paragraphe 41 ci-dessus).

96. Dans ces circonstances, la Cour considère que la substitution de motifs opérée par la Cour de cassation n’a méconnu ni le droit à une procédure contradictoire ni le droit d’accès à un tribunal.

97. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention de ce chef.

3. Sur le respect du délai raisonnable

a) Thèses des parties

1. La requérante

98. La requérante estime que l’avis de rectification du 5 octobre 1995 par lequel l’administration a annoncé une majoration d’impôt doit être considéré comme le point de départ du calcul du délai à prendre en considération. C’est en effet à partir de ce moment-là qu’elle a été informée de l’accusation qui pesait contre elle. À tout le moins, la menace de la majoration doit être considérée comme réelle au moment de l’enrôlement de ces majorations dont elle a pris connaissance par l’avertissement extrait de rôle du 11 décembre 1995. Or sa réclamation, introduite le 26 février 1996, a été rejetée par le directeur régional le 19 septembre 2000, soit 4 ans et 7 mois après son introduction. À elle seule, la durée de la phase administrative était excessive. Pendant toute cette période, la requérante était dans l’impossibilité de faire accélérer la procédure. Ensuite, la phase judiciaire qui a commencé avec l’introduction du recours de la requérante le 14 décembre 2000 et qui s’est clôturée par l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mars 2009 a duré près de 9 ans. L’ensemble du litige a donc duré 14 ans, ce qui est contraire à l’article 6 § 1 de la Convention.

2. Le Gouvernement

99. Le Gouvernement indique que le délai à prendre en considération a commencé à courir le 14 décembre 2000 (date à laquelle la requérante a saisi le tribunal de première instance d’Anvers) et a pris fin le 13 mars 2009 (date de l’arrêt de la Cour de cassation). Or, eu égard à la complexité de l’affaire et aux enjeux du litige, cette durée apparaît raisonnable. L’imposition attaquée par la requérante était d’un montant de près de 450 000 EUR, ce qui représentait un litige fiscal d’un enjeu certain. De plus, de nombreuses écritures ont été déposées par la requérante en degré d’appel, notamment un troisième jeu de conclusions additionnelles et de synthèse de 54 pages, ce qui témoignerait de la complexité du litige et de la part de responsabilité qui incombe à la requérante dans la durée de mise en état de l’affaire. L’arrêt de la cour d’appel d’Anvers témoigne également de la complexité de l’affaire puisqu’il contient une analyse détaillée de la doctrine et de la jurisprudence sur la question de l’interruption ou de la suspension de la prescription. Aucun dépassement du délai raisonnable ne saurait donc être retenu en l’espèce.

b) Appréciation de la Cour

100. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le caractère raisonnable de la durée d’une procédure pénale doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire ainsi que le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999‑II, et J.R. c. Belgique, no 56367/09, § 59, 24 janvier 2017). En outre, seules les lenteurs imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 186, 22 mai 2012).

101. La Cour note que la réclamation auprès de l’administration est une phase préalable à tout contentieux fiscal devant le tribunal de première instance. La requérante ne pouvait dès lors pas introduire un recours devant les juridictions civiles avant d’avoir introduit ce recours administratif. Aussi, avant l’entrée en vigueur de l’article 1385undecies du code judiciaire, inséré par une loi du 23 mars 1999 et entré en vigueur le 6 avril 1999, le recours judiciaire ne pouvait pas être introduit avant l’issue de la procédure administrative (paragraphe 24 ci-dessus). En conséquence, dès lors que cette phase administrative a constitué une condition sine qua non pour déclencher la phase judiciaire proprement dite, elle doit également être prise en compte dans le calcul du délai raisonnable (voir, pour une affaire tombant sous le volet civil de l’article 6 § 1, König c. Allemagne, 28 juin 1978, § 98, série A no 27). Il y a toutefois lieu de prendre également en compte le fait qu’après le 6 avril 1999, la requérante avait la possibilité de saisir directement le tribunal sans attendre l’issue de sa réclamation administrative.

102. La Cour considère ainsi que la période à considérer a débuté le 5 octobre 1995 lorsque la requérante a été informée de l’intention de l’administration fiscale de rectifier sa déclaration d’impôt et de lui imposer une majoration d’impôt (voir, dans le même sens, Janosevic, précité, § 92). Elle s’est terminée par l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mars 2009. La procédure menée à l’égard de la requérante a dès lors duré 13 ans et 6 mois, pour un niveau de recours administratif et trois niveaux de recours judiciaire.

103. Le traitement de la réclamation par le directeur régional a duré 4 ans et 7 mois pour une seule instance sans que cette durée ne soit expliquée par d’autres motifs que l’arriéré de l’administration dans le traitement des réclamations fiscales. Il y a toutefois lieu de noter qu’à compter du 6 avril 1999, la requérante aurait pu introduire un recours judiciaire sans attendre l’issue de la procédure administrative (paragraphe 101 ci-dessus). Il y a donc lieu de déduire de la période prise en considération pour l’examen du caractère raisonnable de la longueur de la procédure la période entre le 6 avril 1999 et le 14 décembre 2000, date de l’introduction du recours judiciaire.

104. Ensuite, la phase judiciaire qui a commencé avec l’introduction du recours le 14 décembre 2000 et qui s’est clôturée par l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mars 2009 a duré 8 ans et 3 mois. Plus de 3 ans et 3 mois se sont écoulés entre la saisine du juge judiciaire et le jugement de première instance, puis près de 3 ans avant l’arrêt de la cour d’appel. L’arrêt de la Cour de cassation a quant à lui été prononcé près d’un an et 7 mois après l’introduction de son pourvoi par la requérante.

105. L’affaire revêtait certainement, comme le souligne le Gouvernement, une certaine complexité et présentait un enjeu financier d’une ampleur non négligeable. Il est également vrai que l’affaire soulevait des questions complexes relatives à la prescription et que la requérante avait déposé un troisième jeu de conclusions additionnelles et de synthèses devant la cour d’appel. La Cour considère toutefois que cela ne suffit pas à expliquer pourquoi la procédure a connu une telle durée qui, prise dans son ensemble, a été déraisonnablement longue.

106. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du dépassement du délai raisonnable.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

107. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

108. La requérante demande la réparation de son dommage matériel consistant en les impôts payés, les frais et intérêts de retard d’un montant total de 606 712,94 euros (EUR) à majorer des intérêts moratoires à partir du 1er mars 1997. Elle demande en outre 1 EUR par violation constatée au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi, à majorer des intérêts moratoires à partir du 15 février 2001.

109. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour. Il fait néanmoins remarquer que le dommage matériel allégué n’a aucun lien causal avec le dépassement du délai raisonnable et la substitution de motifs pratiquée par la Cour de cassation.

110. La Cour a conclu à l’absence de violation en ce qui concerne les griefs relatifs à l’intervention du législateur et à la substitution de motifs. Aucune satisfaction équitable ne saurait donc être octroyée à ce titre.

111. Seule une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du dépassement du délai raisonnable est constatée dans le présent arrêt. Ce n’est donc qu’à ce titre qu’une satisfaction équitable peut éventuellement être octroyée. À cet égard, la Cour ne distingue aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande formulée à ce titre.

112. En ce qui concerne le dommage moral, compte tenu du montant demandé par la requérante et de la pratique de la Cour à cet égard (voir, par exemple, Kovárová c. Slovaquie, no 46564/10, § 48, 23 juin 2015, et les références qui y sont citées), la Cour considère que le constat de ladite violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral subi par la requérante.

2. Frais et dépens

113. La requérante réclame 42 223,07 EUR au titre des frais et dépens qu’elle a engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes et 19 875 EUR au titre de ceux qu’elle a engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour, le tout à majorer des intérêts moratoires à compter de la date du paiement de ces frais.

114. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour en ce qui concerne le caractère raisonnable des frais et dépens réclamés au titre de la procédure devant la Cour. Pour ceux engagés devant les juridictions internes, il fait remarquer qu’ils n’ont pas de lien causal avec les griefs formulés par la requérante et que celle-ci aurait en toute hypothèse eu à les supporter.

115. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Cela ne comprend que les frais et dépens engagés dans la procédure interne pour prévenir ou faire corriger une violation de la Convention (dans ce sens, Associated Society of Locomotive Engineers and Firemen (ASLEF) c. Royaume-Uni, no 11002/05, § 58, 27 février 2007). Or, eu égard à la violation constatée, tel n’est pas le cas de la procédure interne pour laquelle la requérante réclame le remboursement de ses frais et dépens. La Cour rejette donc la demande présentée au titre des frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure interne.

116. En ce qui concerne la procédure menée devant elle, la Cour rappelle que les frais et dépens ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 134, 26 avril 2016, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 146, 25 septembre 2018, et les références qui y sont citées). À cet égard, la Cour note que les griefs de la requérante n’ont abouti que très partiellement et qu’une bonne partie des observations de celle-ci étaient consacrées à des volets de la requête ayant abouti à un constat de non‑violation. Ainsi, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 5 000 EUR pour la procédure menée devant elle.

3. Intérêts moratoires

117. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de l’intervention du législateur au cours de la procédure ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la substitution de motifs opérée par la Cour de cassation ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du dépassement du délai raisonnable ;
5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 novembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Milan BlaškoGeorgios A. Serghides
GreffierPrésident


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award