DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE DICKINSON c. TURQUIE
(Requête no 25200/11)
ARRÊT
Art 10 • Liberté d’expression • Condamnation pénale à une amende judiciaire pour un « collage » caricaturant le Premier ministre sous les traits d’un chien pour dénoncer sa politique étrangère • Sursis avec mise à l’épreuve de cinq ans • Critique politique s’inscrivant dans un débat d’intérêt général, jugement de valeur non dépourvu d’une base factuelle suffisante, forme artistique satirique • Effet dissuasif sur la volonté de l’intéressé de s’exprimer sur des sujets relevant de l’intérêt public • Défaut de mise en balance, adéquate et conforme aux critères établis par la jurisprudence de la Cour, des droits en jeu • Absence de proportionnalité
STRASBOURG
2 février 2021
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Dickinson c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :
Jon Fridrik Kjølbro, président,
Marko Bošnjak,
Valeriu Griţco,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen,
Saadet Yüksel,
Peeter Roosma, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25200/11) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant britannique, M. Michael Dickinson (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 février 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me V. Gültekin, avocat à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le requérant alléguait une atteinte à son droit à la liberté d’expression à raison de sa condamnation pénale du chef d’insulte au Premier ministre pour l’exposition par lui d’un travail de collage.
4. Le 12 octobre 2017, le grief concernant l’atteinte alléguée portée au droit à la liberté d’expression du requérant a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
5. Le 29 octobre 2020, le Gouvernement du Royaume-Uni a informé la Cour de ce qu’il n’entendait pas se prévaloir de son droit d’intervenir dans la procédure accordé par l’article 36 § 1 de la Convention.
EN FAIT
1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le requérant est né en 1950. À l’époque des faits, il résidait en Turquie depuis environ vingt ans et était enseignant dans deux universités à Istanbul. Il est également un artiste de collage.
1. L’exposition d’un travail de collage par le requérant
7. Le 16 mars 2006, un travail de collage réalisé par le requérant fut exposé dans une tente dressée dans le cadre de la « foire de la paix », une manifestation organisée sur le quai de Beşiktaş, à Kadıköy (Istanbul).
8. Ce travail, composé de photographies collées sur un carton de dimensions de 85 x 85 cm, représentait un personnage mi-homme mi‑animal dont la tête était celle du Premier ministre de l’époque, Recep Tayyip Erdoğan, et le corps celui d’un chien tenu par une laisse dont les motifs reprenaient ceux du drapeau américain. Ce personnage se tenait sur un sol couvert de dollars américains et il avait un billet de 20 dollars américains dans la bouche, des liasses de billets de livres turques devant lui, un missile à la place de la queue et un globe terrestre derrière lui. Il portait sur lui une couverture sur laquelle était inscrite la phrase suivante : « Nous ne serons pas le chien de Bush ».
9. Une procédure pénale fut engagée contre le responsable de cette manifestation pour insulte au Premier ministre à raison de l’exposition de ce travail de collage. Avant la tenue de l’audience prévue le 12 septembre 2006 dans le cadre de cette procédure pénale, le requérant informa la presse qu’il allait assister à cette audience et exposer son travail à cette occasion.
10. Le jour en question, l’intéressé présenta effectivement son travail aux personnes présentes dans les couloirs du palais de justice, avant de quitter le bâtiment en raison des réactions de certaines de ces personnes. Il réexposa ensuite son travail devant la caméra de deux journalistes ainsi que devant d’autres personnes présentes devant le palais de justice.
11. Par la suite, des policiers se trouvant dans le palais de justice intervinrent et procédèrent à l’arrestation du requérant. Le même jour, l’intéressé fut placé en garde à vue et en détention provisoire. Le 15 septembre 2006, il fut remis en liberté.
2. La procédure pénale diligentée contre le requérant
12. Le 13 septembre 2006, le procureur de la République de Kadıköy (« le procureur de la République ») engagea une action pénale contre le requérant, estimant que l’acte que celui-ci avait commis la veille, consistant en l’exposition de son travail de collage dans les couloirs du palais de justice et devant ce bâtiment, constituait l’infraction d’insulte au Premier ministre.
13. Le 25 septembre 2008, le tribunal d’instance pénal de Kadıköy (« le tribunal d’instance pénal ») décida d’acquitter le requérant de l’infraction reprochée. Il considéra d’abord que, compte tenu des jugements de valeur de la majorité des gens vivant en Turquie, l’acte reproché au requérant, qui avait indiqué être diplômé de théâtre et artiste de collage, contenait des éléments humiliants et insultants et était ainsi de nature choquante, offensante et blessante. Il estima toutefois que cet acte était un message comportant un avertissement et une critique politiques véhiculés par le biais de l’art du collage, que, eu égard à la personnalité politique et à la fonction de chef du gouvernement du destinataire de ce travail, il pouvait contenir des éléments choquants, offensants et blessants, que la sanction d’un tel acte irait à l’encontre de la Convention, et que l’élément intentionnel de l’infraction reprochée faisait défaut en l’espèce.
14. Le 25 mai 2009, la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi en cassation formé par le procureur de la République, infirma le jugement du tribunal d’instance pénal, estimant que l’acquittement du requérant, en ce qu’il était fondé sur des motifs selon lesquels le travail de collage en question contenait une critique et un message politiques et l’intéressé n’était pas mû par des desseins criminels, n’était pas légal. Elle considéra à cet égard : que le travail de collage exposé par le requérant au public et aux journalistes devant le palais de justice de Kadıköy était plus que grossier, acerbe, heurtant et blessant et atteignait un niveau insultant ; qu’il ne s’agissait pas d’une simple représentation du Premier ministre sous les traits d’un chien, mais qu’il était question, par la phrase « Nous ne serons pas le chien de Bush », de mettre l’accent avec ironie sur le fait de se comporter comme un chien ainsi que sur les connotations associées au mot « chien » dans la langue turque, utilisé pour désigner une personne « abjecte, mesquine, qui s’aplatit pour ses intérêts » ; et que ces jugements de valeur humiliants faits à l’égard de l’intéressé, qui remplissait une fonction publique, portaient ainsi atteinte à sa dignité, à son honneur et à sa réputation auprès du public et dépassaient les limites de la légalité. La haute juridiction ajouta que le requérant, qui était un ressortissant britannique qui vivait en Turquie et enseignait au sein de diverses institutions éducatives et universités turques depuis vingt ans, avait un mode de vie non éloigné des coutumes et traditions turques et était en mesure de connaître l’effet de son acte sur l’opinion publique du pays.
15. Le 9 mars 2010, le tribunal d’instance pénal, statuant à nouveau sur l’affaire après l’arrêt d’infirmation de la Cour de cassation, reconnut le requérant coupable de l’infraction reprochée et le condamna à une amende judiciaire de 7 080 livres turques (soit environ 3 043 euros (EUR) à cette date) en application de l’article 125 du code pénal, avant de surseoir au prononcé du jugement pour une période de cinq ans en vertu de l’article 231 du code de procédure pénale.
Dans la motivation de sa décision, le tribunal d’instance pénal nota d’abord que l’exposition dans les couloirs du palais de justice et dans la rue d’un travail de collage représentant le Premier ministre turc sous les traits d’un chien était de nature à humilier et insulter celui-ci et portait ainsi atteinte à son honneur et à sa réputation, que cet acte correspondait à l’élément consistant à porter atteinte à l’honneur et à la réputation prévu pour l’infraction d’insulte visée à l’article 125 du code pénal et qu’il était par conséquent indiscutable que les éléments essentiels à la constitution de cette infraction autres que l’élément légal étaient déjà réunis relativement à cet acte. Quant à l’élément légal de l’infraction, le tribunal poursuivit son raisonnement en exposant les principes relatifs à la liberté d’expression et à la mise en balance entre le droit à la liberté d’expression et le droit à la protection de la réputation, notamment ceux dégagés dans la jurisprudence de la Cour et de la Cour de cassation en la matière, et en s’exprimant comme suit :
« L’accusé déclare que le collage en question [était fondé] sur une base factuelle, que cette base factuelle était les protestations contre l’occupation de l’Irak par les États-Unis à l’époque des faits et le soutien du Premier ministre turc à cet égard et que c’est pour cette raison qu’il avait réalisé un tel collage. Lorsque l’on examine le collage en question, l’on voit très clairement que ce fait n’était pas reflété dans le dessin, que les symboles utilisés dans le dessin ne relataient pas ce fait, que l’auteur principal de ce fait, le président américain, n’était pas critiqué mais relativement glorifié et qu’il [le collage] était entièrement de nature à insulter le Premier ministre turc. La première perception d’une personne qui regarde ce dessin est l’humiliation d’un Premier ministre turc soumis à l’argent et au pouvoir de l’Amérique (...). La base factuelle alléguée ne peut être comprise qu’après avoir été expliquée (...). Même s’il peut être soutenu qu’il s’agit de la perspective propre à l’artiste, c’est là l’un des éléments essentiels pour évaluer un travail et une expression visant à l’information du public dans le cadre de la protection de la liberté d’expression : le travail doit être fait de manière à permettre au public ou au moins aux personnes visées de le comprendre. Sinon, il faudra accepter qu’un dessin au contenu insultant qui n’a aucun lien avec un quelconque fait soit arbitrairement fondé sur un fait [choisi] par son auteur, ce qui est inacceptable. Il en résulte donc que le dessin en question, qui ne reflète aucunement la base factuelle alléguée (...), dépasse la mesure et sort du champ d’application de la liberté d’expression.
L’accusé déclare avoir reflété sur le collage les sentiments et l’inspiration qu’il avait eus sur le moment en raison de l’occupation de l’Irak. Or la liberté d’expression n’est pas un droit qui protège les inspirations momentanées ni les délires des personnes, mais [c’est un droit qui] protège les efforts [faits pour forger] une opinion publique et l’information et l’orientation de l’opinion publique dans le sens d’une pensée. C’est la condition nécessaire pour le développement des personnes et de la société et pour la réalisation du but principal de la liberté d’expression. Il est clair que les expressions provocatrices, sources de querelles et de conflits et seulement destinées à insulter [autrui], n’aident pas à forger une opinion publique, ne contribuent pas au développement de la société et génèrent des querelles et des conflits ainsi que des sentiments haineux et hostiles réciproques dans la société. Il ressort clairement des informations et documents contenus dans le dossier que, bien que l’accusé ait commis son acte dans le palais de justice, [qui était] strictement protégé par les forces de l’ordre, un certain nombre de citoyens ont réagi à son acte et ont cherché à l’empêcher, et les forces de l’ordre présentes sont intervenues. Ainsi, l’acte de l’accusé était provocateur et de nature à causer des conflits et des querelles, les personnes sur place se sont agitées en raison de cet acte, et un danger clair et imminent de conflit est apparu.
L’accusé déclare qu’une telle infraction n’existe pas dans son pays ni dans d’autres pays membres de l’Union européenne et signataires de la Convention. Il est vrai que dans beaucoup de pays signataires de la Convention l’insulte est dépénalisée et dans certains d’entre eux elle est passible d’une amende ; cependant, dans beaucoup d’autres pays elle continue à [apparaître comme] une infraction. La Cour n’a pas jugé que l’infraction d’insulte était contraire à la Convention. Par conséquent, la pénalisation de tout acte au contenu insultant, considéré hors du champ d’application de la liberté d’expression, ne serait pas contraire à la Convention.
L’accusé déclare s’occuper de l’art de dessin appelé collage depuis longtemps et faire des critiques par ce biais. Toutefois, il est à constater que l’accusé n’avait jamais employé une telle méthode de critique dans aucun de ses précédents travaux (...) et qu’il avait plutôt travaillé sur des motifs religieux. Il est aussi à constater que l’accusé n’avait auparavant pas utilisé le style de la critique politique dans ses travaux (...). Ainsi, notre tribunal est arrivé à la conclusion que, en faisant les dessins du Premier ministre turc dans un style qu’il n’avait jamais emprunté auparavant, l’accusé n’avait pas agi (...) [en étant mû] par des sentiments innocents et par la bonne foi et que son acte n’avait pas pour seul but de critiquer.
Par ces motifs, il est conclu que :
1. Le dessin de l’accusé au contenu insultant n’a pas de base factuelle, il n’y a pas de lien entre la base factuelle alléguée et le dessin, et, partant, les limites de la liberté d’expression, telles que déterminées par la Cour et la Cour de cassation, ont été dépassées,
2. L’accusé, en utilisant une méthode de critique qu’il n’avait jamais adoptée et employée jusqu’à présent et en dessinant le Premier ministre turc comme étant le chien de Bush alors qu’il avait la possibilité de partager avec l’opinion publique ce qu’il voulait exprimer de plusieurs autres manières (...) dans un style critique avec la même méthode, a outrepassé la mesure,
3. L’acte de l’accusé était agressif, susceptible de causer une querelle, et, partant, il a créé un danger clair et imminent et a ainsi dépassé la mesure,
Par conséquent, il est jugé que les limites de la critique sont dépassées, que l’honneur et la réputation de l’intéressé sont atteints, que la sanction de l’accusé est nécessaire dans une société démocratique au nom de la protection de l’honneur et de la réputation, qui est un droit fondamental, que, partant, l’acte de l’accusé n’entre pas dans le champ d’application de la liberté d’expression, telle que définie dans la Convention et la Constitution, que l’élément légal de l’infraction d’insulte est caractérisé dans l’acte de l’accusé et que l’accusé a commis l’infraction d’insulte reprochée. »
16. Le 14 juillet 2010, le tribunal correctionnel de Kadıköy rejeta l’opposition formée par le requérant contre la décision de sursis au prononcé du jugement rendue par le tribunal d’instance pénal. Le 21 février 2011, la décision du tribunal correctionnel fut communiquée à l’avocat du requérant.
17. Le 23 décembre 2015, le tribunal correctionnel d’Istanbul Anadolu, constatant que le requérant n’avait pas commis de nouvelle infraction volontaire pendant la période de sursis de cinq ans et qu’il avait respecté les obligations liées à la mesure de liberté surveillée, annula le jugement dont le prononcé avait été différé et ordonna l’extinction de l’action pénale en application de l’article 231 § 10 du code de procédure pénale.
2. LE DROIT INTERNE et international PERTINENT
1. L’article 125 du code pénal
18. L’article 125 du code pénal (loi no 5237 du 26 septembre 2004, entrée en vigueur le 1er juin 2005), intitulé « insulte », se lit comme suit en sa partie pertinente en l’espèce :
« Quiconque attribue un acte ou un fait concret à autrui de manière à porter atteinte à son honneur, à sa dignité et à sa réputation ou attaque l’honneur, la dignité et la réputation d’autrui par des injures sera puni d’une peine d’emprisonnement allant de trois mois à deux ans ou d’une amende judiciaire.
Dans le cas où cet acte est commis par le biais d’un moyen de communication audiovisuel ou écrit, la peine prévue à l’alinéa susmentionné est infligée.
Le plancher de la peine ne sera pas inférieur à un an d’emprisonnement dans le cas où le délit d’insulte est commis :
a) contre un agent public en raison de sa fonction,
(...) »
2. L’article 231 du code de procédure pénale
19. Pour l’article 231 du code de procédure pénale (loi no 5271 du 4 décembre 2004, entrée en vigueur le 1er juin 2005), prévoyant la mesure de sursis au prononcé du jugement, il est renvoyé à l’arrêt Kerman c. Turquie (no 35132/05, § 25, 22 novembre 2016).
3. La Résolution no 1577 (2007) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
20. La Résolution no 1577 (2007) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, intitulée « Vers une dépénalisation de la diffamation », se lit comme suit en ses parties pertinentes en l’espèce :
« (...)
11. [L’Assemblée] constate avec une vive inquiétude que de nombreux États membres prévoient des peines d’emprisonnement en cas de diffamation et que certains persistent à y recourir en pratique, par exemple l’Azerbaïdjan et la Turquie.
(...)
13. Par conséquent, l’Assemblée considère que les peines carcérales pour diffamation devraient être abrogées sans plus de délai. Elle exhorte notamment les États dont les législations prévoient encore des peines de prison – bien que celles-ci ne soient pas infligées en pratique – à les abroger sans délai, pour ne donner aucune excuse, quoique injustifiée, à certains États qui continuent d’y recourir, entraînant ainsi une dégradation des libertés publiques.
(...)
17. En conséquence, l’Assemblée invite les États membres :
17. 1. à abolir sans attendre les peines d’emprisonnement pour diffamation ;
17. 2. à garantir qu’il n’y a pas de recours abusif aux poursuites pénales (...) ;
17. 3. à définir plus précisément dans leur législation le concept de diffamation, dans le but d’éviter une application arbitraire de la loi, et de garantir que le droit civil apporte une protection effective de la dignité de la personne affectée par la diffamation ;
(...)
17. 6. à bannir de leur législation relative à la diffamation toute protection renforcée des personnalités publiques, conformément à la jurisprudence de la Cour et invite en particulier ;
17. 6. 1. la Turquie à amender l’article 125.3 de son Code pénal en conséquence ;
(...) »
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
21. Le requérant allègue que la procédure pénale diligentée contre lui pour son travail artistique constitue une atteinte à son droit à la liberté d’expression, tel que prévu par l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
1. Sur la recevabilité
22. Le Gouvernement soulève deux exceptions d’irrecevabilité, l’une relative à la qualité de victime du requérant et l’autre au non-épuisement des voies de recours internes. En ce qui concerne la première exception, le Gouvernement indique qu’une décision de sursis au prononcé du jugement a été rendue à l’issue de la procédure pénale diligentée contre le requérant, que cette décision n’était accompagnée d’aucune mesure restrictive ni d’aucune obligation de surveillance et qu’après l’écoulement de la période de sursis de cinq ans elle a fait l’objet d’une annulation, avec toutes les conséquences en découlant. Dès lors, pour le Gouvernement, le requérant ne peut prétendre à la qualité de victime, aucune mention n’ayant été inscrite à son casier judiciaire et sa liberté d’expression n’ayant – d’après le gouvernement défendeur – pas été restreinte par la procédure pénale diligentée contre lui.
23. Pour ce qui est de la deuxième exception, le Gouvernement reproche au requérant de ne pas avoir exercé la voie de recours prévue à l’article 141 du code de procédure pénale, qui, selon lui, permettait à l’intéressé de présenter une demande d’indemnisation pour son placement en garde à vue et en détention provisoire.
24. Le requérant conteste les exceptions du Gouvernement.
25. S’agissant de l’exception relative à la qualité de victime du requérant, la Cour estime que la mesure de sursis au prononcé du jugement était inapte à prévenir ou réparer les conséquences de la procédure pénale dont l’intéressé a directement subi les dommages à raison de l’atteinte portée par celle-ci à sa liberté d’expression (voir, mutatis mutandis, Aslı Güneş c. Turquie (déc.), no 53916/00, 13 mai 2004, Yaşar Kaplan c. Turquie, no 56566/00, §§ 32-33, 24 janvier 2006, et Ergündoğan c. Turquie, no 48979/10, § 17, 17 avril 2018). Il convient donc de rejeter cette exception.
26. Quant à la deuxième exception, la Cour note que la voie de recours prévue à l’article 141 du code de procédure pénale, qui ouvre la possibilité pour un justiciable de demander réparation du préjudice découlant de l’application d’une mesure préventive à son égard (Demir c. Turquie (déc.), no 51770/07, § 13 et §§ 22-35, 16 octobre 2012), n’était pas effective et adéquate en l’espèce quant au grief du requérant dès lors que celui‑ci se plaint en l’occurrence d’une atteinte portée à son droit à la liberté d’expression par la procédure pénale diligentée contre lui, et non pas par son placement en garde à vue ou en détention. Il s’ensuit que cette exception doit également être rejetée.
27. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
28. Le requérant indique que son travail de collage représentait le Premier ministre turc comme une personne se pliant aux exigences du Royaume-Uni et des États-Unis relativement à l’occupation de l’Irak, puisque celui-ci aurait déployé des efforts en vue de l’envoi de forces militaires en Irak malgré le rejet par la Grande Assemblée nationale de Turquie d’une demande faite en ce sens. Il dit qu’il voulait par-là attirer l’attention de l’opinion publique sur la question de l’entrée en guerre.
29. Le requérant expose ensuite que, certes, son acte a eu lieu trois ans après l’adoption de la résolution du 1er mars 2003 de la Grande Assemblée nationale de Turquie portant rejet de l’autorisation d’envoi de troupes en Irak, mais que la guerre était toujours en cours en Irak à l’époque des faits et que le Gouvernement se livrait à des tentatives pour préparer l’opinion publique à l’envoi de troupes en Irak sans tolérer aucune critique à cet égard.
30. Par ailleurs, se référant aux arrêts Ezelin c. France (26 avril 1991, série A no 202), Oya Ataman c. Turquie (no 74552/01, CEDH 2006‑XIV), Gün et autres c. Turquie (no 8029/07, 18 juin 2013) et Yılmaz Yıldız et autres c. Turquie (no 4524/06, 14 octobre 2014) de la Cour et à un arrêt de la Cour constitutionnelle (Affaire Osman Erbil, recours no 2013/2394, 25 mars 2015), le requérant considère que, même s’il a été sursis au prononcé du jugement de sa condamnation, la menace de sanction pesant contre lui au cours de la période de sursis était susceptible de créer un effet dissuasif à son endroit.
31. Le requérant critique en outre la manière dont l’article 125 du code pénal a été appliqué par les juridictions nationales, plaidant à cet égard que la référence faite aux coutumes et traditions turques par celles-ci dans l’application de cette disposition apportait un élément d’imprévisibilité.
b) Le Gouvernement
32. Le Gouvernement argue que, dès lors qu’il a été sursis au prononcé du jugement de condamnation rendu contre le requérant et que cette décision a finalement fait l’objet d’une annulation, avec toutes les conséquences en découlant, à l’issue de la période de sursis, il n’y a pas eu d’effet dissuasif sur l’exercice par l’intéressé de son droit à la liberté d’expression ni d’ingérence à cet égard.
33. Pour le cas où l’existence d’une ingérence serait admise par la Cour, le Gouvernement soutient que cette ingérence était prévue par l’article 125 du code pénal et qu’elle poursuivait le but légitime de la protection de la réputation et des droits d’autrui.
34. Le Gouvernement estime par ailleurs, compte tenu de la marge d’appréciation des juridictions nationales, que celles-ci ont ménagé un juste équilibre entre le droit du requérant à la liberté d’expression et le droit de la partie adverse à la protection de la réputation, en prenant notamment en considération la méthode par laquelle le collage du requérant avait été exposé au public et la manière dont la partie adverse avait été représentée dans ce collage. Il avance ensuite, en reprenant les arguments exposés par le tribunal d’instance pénal dans son jugement, qu’il était impératif de sanctionner le requérant dans une société démocratique afin de protéger l’honneur et la réputation de la partie adverse.
35. Le Gouvernement indique en outre que, dès lors qu’elle avait eu lieu trois ans après l’invasion de l’Irak, l’exposition de l’œuvre du requérant n’était pas d’actualité et ne contribuait pas à un débat d’intérêt général. Il considère que, en assimilant le Premier ministre turc à un chien dans son travail de collage, le requérant a porté un jugement de valeur envers celui-ci de manière à l’avilir aux yeux de l’opinion publique – ce qui, pour le Gouvernement, en plus d’être impoli, sévère et offensant, était surtout grossier, humiliant, diffamatoire et contraire à l’objectif de l’art. Il ajoute à cet égard que, même si un politicien doit être plus tolérant aux critiques qu’un simple citoyen, cette obligation de tolérance n’est pas sans limites.
36. Le Gouvernement indique de surcroît que la diffamation des agents publics à raison de leurs fonctions est interdite dans la majorité des États membres du Conseil de l’Europe et que certains de ces États prévoient même une sanction de privation de liberté pour cette infraction.
37. Enfin, le Gouvernement est d’avis que, étant donné que le jugement rendu contre le requérant a finalement fait l’objet d’une annulation, avec toutes les conséquences en découlant, il n’y a pas eu d’effet dissuasif sur l’exercice par l’intéressé de son droit à la liberté d’expression et que l’ingérence litigieuse était proportionnée au but légitime poursuivi.
2. Appréciation de la Cour
38. La Cour considère que, compte tenu de l’effet dissuasif que la procédure pénale litigieuse, qui a duré environ trois ans et dix mois, la condamnation pénale du requérant et la décision de sursis au prononcé du jugement rendue à l’issue de cette procédure, qui a soumis l’intéressé à une période de sursis de cinq ans, ont pu provoquer, celles-ci s’analysent en une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression (Erdoğdu c. Turquie, no 25723/94, § 72, CEDH 2000‑VI, Dilipak c. Turquie, no 29680/05, § 51, 15 septembre 2015, Ergündoğan, précité, § 26, et Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 3), no 8732/11, § 26, 9 juillet 2019 ; voir aussi, a contrario, Otegi Mondragon c. Espagne, no 2034/07, § 60, CEDH 2011).
39. Elle observe ensuite qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que cette ingérence était prévue par la loi, à savoir l’article 125 du code pénal (paragraphe 18 ci-dessus), et qu’elle poursuivait le but légitime de la protection de la réputation ou des droits d’autrui.
40. Elle prend note, à ce sujet, de la réserve émise par le requérant quant à l’application de l’article 125 du code pénal par les juridictions nationales, selon laquelle la référence aux coutumes et traditions turques faites par les tribunaux internes dans l’application de cette disposition rendait cette dernière imprévisible. Cela étant, la Cour estime que cet argument relève de l’appréciation de la nécessité de l’ingérence et n’est de nature à remettre en cause ni la légalité ni le but légitime de ladite ingérence.
41. La Cour constate donc qu’en l’occurrence le différend porte sur la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
a) Les principes généraux
42. La Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence en matière de protection de la vie privée et de liberté d’expression, lesquels sont résumés, notamment, dans les arrêts Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France ([GC], no 40454/07, §§ 83-93, CEDH 2015 (extraits)) et Tarman c. Turquie (no 63903/10, §§ 36-38, 21 novembre 2017).
43. Elle rappelle ensuite que l’article 10 de la Convention englobe la liberté d’expression artistique – notamment dans la liberté de recevoir et communiquer des informations et des idées – qui permet de participer à l’échange public d’informations et d’idées culturelles, politiques et sociales de toutes sortes (Müller et autres c. Suisse, 24 mai 1988, § 27, série A no 133). Elle réaffirme toutefois que l’artiste et ceux qui promeuvent ses œuvres n’échappent pas aux possibilités de limitation que ménage le paragraphe 2 de l’article 10. Quiconque se prévaut de sa liberté d’expression assume en effet, selon les propres termes de ce paragraphe, des « devoirs et responsabilités », dont l’étendue dépend de la situation et du procédé utilisé ; la Cour ne saurait perdre cela de vue lorsqu’elle contrôle la nécessité de la sanction incriminée dans une société démocratique (Akdaş c. Turquie, no 41056/04, § 26, 16 février 2010).
44. La Cour rappelle en outre que, dans les arrêts Lingens c. Autriche (8 juillet 1986, § 46, série A no 10) et Oberschlick c. Autriche ((no 1), 23 mai 1991, § 63, série A no 204), elle a établi une distinction entre déclarations de fait et jugements de valeur. La matérialité des déclarations de fait peut se prouver ; en revanche, les jugements de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude, l’obligation de preuve est donc impossible à remplir et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10 de la Convention (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1997-I). Cependant, en cas de jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence dépend de l’existence d’une « base factuelle » suffisante sur laquelle reposent les propos litigieux : à défaut, ce jugement de valeur pourrait se révéler excessif (De Haes et Gijsels, précité, § 47, Oberschlick c. Autriche (no 2), 1er juillet 1997, § 33, Recueil 1997-IV, Brasilier c. France, no 71343/01, § 36, 11 avril 2006, et Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 55, CEDH 2007‑IV). Pour distinguer une imputation de fait d’un jugement de valeur, il faut tenir compte des circonstances de l’espèce et de la tonalité générale des propos (Brasilier, précité, § 37), étant entendu que des assertions sur des questions d’intérêt public peuvent constituer à ce titre des jugements de valeur plutôt que des déclarations de fait (Paturel c. France, no 54968/00, § 37, 22 décembre 2005).
45. Par ailleurs, la Cour souligne que, lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur un conflit entre deux droits également protégés par la Convention, elle doit effectuer une mise en balance des intérêts en jeu. L’issue de la requête ne saurait en principe varier selon qu’elle a été portée devant la Cour, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, par la personne faisant l’objet de l’article litigieux ou, sous l’angle de l’article 10, par l’auteur de cet article. En effet, ces droits méritent a priori un égal respect (Hachette Filipacchi Associés (ICI PARIS) c. France, no 12268/03, § 41, 23 juillet 2009, Timciuc c. Roumanie (déc.), no 28999/03, § 144, 12 octobre 2010, Mosley c. Royaume‑Uni, no 48009/08, § 111, 10 mai 2011, et Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 91). Dès lors, la marge d’appréciation devrait en principe être la même dans les deux cas (Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 106, 7 février 2012, Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, § 87, 7 février 2012, Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 91, et Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 52, CEDH 2016).
46. La Cour indique à cet égard avoir résumé dans plusieurs arrêts les critères pertinents pour la mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d’expression, qui sont les suivants : la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de l’espèce (Von Hannover (no 2), précité, §§ 108-113, CEDH 2012, Axel Springer AG, précité, §§ 89-95, et Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 93). Si la mise en balance entre ces deux droits s’est faite dans le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes (Palomo Sánchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06, § 57, CEDH 2011). Dans le cadre d’une requête introduite sous l’angle de l’article 10, la Cour vérifie en outre le mode d’obtention des informations et leur véracité ainsi que la gravité de la sanction imposée aux journalistes ou aux éditeurs (Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 93).
b) L’application de ces principes en l’espèce
47. Dans la présente affaire, la Cour note que le requérant se plaint de sa condamnation au pénal à une amende judiciaire du chef d’insulte au Premier ministre à raison de son exposition au public d’un travail de collage, condamnation dont il a été sursis au prononcé. Elle rappelle que son rôle en l’espèce consiste avant tout à vérifier que les instances nationales, dont le requérant conteste les décisions, ont procédé à une juste pondération, à l’aune des critères qu’elle a définis pour ce faire (paragraphe 46 ci-dessus), entre le droit de l’intéressé à la liberté d’expression et le droit de la personne visée dans le travail litigieux au respect de sa vie privée (Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 95).
48. La Cour observe que le requérant est un universitaire d’origine britannique qui vivait en Turquie et enseignait dans des universités turques depuis vingt ans à l’époque des faits (paragraphe 6 ci-dessus). Elle observe ensuite que l’intéressé a indiqué devant les autorités être un artiste de collage qui faisait des travaux dans ce domaine depuis plusieurs années, ce que ces dernières n’ont pas contesté (paragraphe 15 ci-dessus). Elle constate en outre qu’en l’espèce le requérant a fait l’objet de poursuites pénales du chef d’insulte au Premier ministre pour avoir exposé un de ses collages dans et devant un palais de justice à l’occasion d’une audience tenue dans le cadre d’une procédure pénale qui avait auparavant été engagée contre une autre personne à raison de l’exposition par celle-ci du même collage lors d’une manifestation (paragraphe 7-12 ci-dessus).
49. La Cour relève que le travail de collage en question représentait un corps de chien affublé de la tête du Premier ministre de l’époque et d’un missile en guise de queue, que ce chien était entouré des symboles des dollars américains et des livres turques, qu’il était tenu par une laisse dont les motifs reprenaient ceux du drapeau américain et qu’il portait une couverture sur laquelle était inscrite la phrase suivante : « Nous ne serons pas le chien de Bush ». Elle souligne à cet égard que le symbole du missile porté par le chien représenté dans le collage laisse à penser que ce travail faisait référence à des activités militaires entreprises par des personnages et des pays qu’il visait. Elle relève que ces activités étaient vraisemblablement en lien, entre autres, avec l’occupation de l’Irak par une coalition internationale menée par les États-Unis ainsi qu’avec une situation de conflits de faible intensité qui se poursuivait à l’époque des faits en Irak entre les forces d’occupation et certaines milices locales. Elle note aussi que la tête du Premier ministre turc de l’époque semble avoir été spécialement et symboliquement placée sur ce corps de chien au milieu de billets américains et turcs, d’un missile militaire et d’une laisse représentant le drapeau américain, et que le message principal du collage inscrit sur le corps du chien concernait de toute évidence et en premier lieu le Premier ministre.
50. Ainsi, la Cour considère que, dans le contexte de son exposition, le travail de collage du requérant visait essentiellement à la formulation d’une critique politique destinée, entre autres, au Premier ministre turc pour ses choix politiques sur la scène internationale relativement notamment aux activités militaires américaines, dont celles menées en Irak (voir, pour des formes similaires d’expression politique, Mătăsaru c. République de Moldova, nos 69714/16 et 71685/16, § 31, 15 janvier 2019 (sur l’exposition devant le bureau du procureur général des sculptures de nature obscène auxquelles étaient attachées les photos d’un politicien et de plusieurs procureurs de haut niveau afin d’attirer l’attention du public sur la corruption et sur le contrôle qui serait exercé par les politiciens sur le bureau du procureur général, et Tatár et Fáber c. Hongrie, nos 26005/08 et 26160/08, § 36, 12 juin 2012 (sur l’exposition à côté du Parlement pour une courte durée de plusieurs objets vestimentaires sales qui représenteraient « les linges sales de la nation »)). Elle estime donc que ce travail faisait partie incontestablement d’un débat d’intérêt général relatif à la politique étrangère du pays. Elle rappelle à cet égard que le paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général (Wingrove c. Royaume-Uni, 25 novembre 1996, § 58, Recueil 1996‑V).
51. La Cour rappelle en outre que, en ce qui concerne l’appréciation des limites de la critique admissible, il faut opérer une distinction entre les personnes privées et les personnes agissant dans un contexte public (Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, §§ 117 et suiv.). Elle observe qu’il est question en l’espèce d’une critique visant directement la personne du Premier ministre, un homme politique de premier plan (Tuşalp c. Turquie, nos 32131/08 et 41617/08, § 45, 21 février 2012). Elle rappelle à ce sujet que les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens, et il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (Uzan c. Turquie, no 30569/09, § 40, 20 mars 2018).
52. Procédant ensuite à une analyse du travail de collage incriminé, la Cour observe que celui-ci consistait en une critique acerbe visant le Premier ministre de l’époque, exprimée d’une façon crue et allusive par le biais de l’art de collage. Elle note à cet égard que ce travail de collage, dont le contenu a été décrit ci-dessus, essayait de représenter, au moyen de la métaphore d’un chien soumis à son maître, le Premier ministre turc comme un dirigeant politique soumis à la volonté d’un pays étranger. Elle constate donc que ce travail cherchait principalement à dénoncer l’existence alléguée d’une certaine allégeance du Premier ministre turc au président américain pour des intérêts politiques et financiers. Elle relève ainsi non seulement que ce travail critiquait la politique étrangère mise en œuvre par le Premier ministre, mais aussi qu’il mettait en cause la bonne foi et l’intégrité de ce dernier en insinuant qu’il était mené et soudoyé par des puissances étrangères.
53. La Cour considère que ce travail de collage revêtait ainsi le caractère de jugement de valeur dans le domaine de la critique politique. À ce propos, compte tenu des activités militaires américaines dans le monde, et en particulier en Irak, qui se poursuivaient et étaient, d’ailleurs, vivement critiquées dans l’opinion publique internationale à l’époque des faits, et compte tenu également du soutien politique à l’occupation de l’Irak qui aurait été précédemment affiché par le Premier ministre turc de l’époque (paragraphe 28 ci-dessus) – que le Gouvernement ne conteste pas –, la Cour estime que le jugement de valeur porté dans le travail du requérant ne peut être considéré comme dépourvu d’une base factuelle suffisante.
54. Par ailleurs, la Cour est prête à accorder foi à l’affirmation des autorités nationales selon laquelle le fait de représenter le Premier ministre sous les traits d’un chien dans un collage était susceptible d’être perçu comme dégradant et humiliant par une partie ou la majorité de la société turque et de créer un certain malaise parmi des citoyens (paragraphes 14 et 15 ci‑dessus). Elle rappelle cependant à cet égard que, si tout individu qui s’engage dans un débat public d’intérêt général est tenu de ne pas dépasser certaines limites notamment quant au respect de la réputation et des droits d’autrui, il lui est permis de recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation, c’est-à-dire d’être quelque peu immodéré dans ses propos (Kuliś c. Pologne, no 15601/02, § 47, 18 mars 2008). Elle rappelle en outre que ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et d’opinions indispensable à une société démocratique – d’où l’obligation, pour l’État, de ne pas empiéter indûment sur leur liberté d’expression (voir, entre autres, Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, no 68354/01, § 26, 25 janvier 2007, et Müller, précité, §§ 32-33) – et que les formes d’expression artistique et de commentaire social telles que la satire, de par l’exagération et la déformation de la réalité qui les caractérisent, et par l’emploi d’un ton ironique et sarcastique visent naturellement à provoquer et à agiter (voir, mutatis mutandis, Vereinigung Bildender Künstler, précité, § 33 et MAC TV s.r.o. c. Slovaquie, no 13466/12, § 50, 28 novembre 2017). Elle rappelle encore que des propos offensants peuvent sortir du champ de la protection de la liberté d’expression lorsqu’ils reviennent à dénigrer gratuitement, par exemple si l’insulte est leur seul but, et qu’en revanche l’utilisation de formules vulgaires n’est pas en elle-même déterminante dans l’appréciation d’un propos offensant, car elle peut fort bien avoir une visée strictement stylistique (Tuşalp, précité, § 48).
55. En l’espèce, la Cour estime que, eu égard à l’objet du travail artistique du requérant, au contexte de son exposition au public et à sa base factuelle (décrits ci-dessus), le style et le contenu provocateurs, incitant à l’agitation et quelque peu offensants de ce collage ne peuvent être considérés comme gratuitement insultants dans le cadre du débat public dans lequel celui-ci s’inscrivait (voir, mutatis mutandis, Eon c. France, no 26118/10, §§ 57 et 58, 14 mars 2013 (sur l’expression apposée sur un écriteau, « Casse toi pov’con », brandi par le requérant lors d’un cortège présidentiel sur la voie publique, pour viser le président de la République française) et Oberschlick (no 2), précité, § 33 (sur le mot « idiot » employé par un journaliste pour qualifier un homme politique)). En tout état de cause, elle rappelle qu’un homme politique doit faire preuve d’une plus grande tolérance à l’égard de la critique, surtout lorsque cette dernière prend la forme de la satire (Alves da Silva c. Portugal, no 41665/07, § 28, 20 octobre 2009).
56. Quant à la sanction pénale infligée au requérant dans le cadre de la procédure pénale diligentée contre lui pour insulte au Premier ministre, la Cour estime que, s’il est tout à fait légitime que les personnes représentant les institutions de l’État soient protégées par les autorités compétentes en leur qualité de garantes de l’ordre public institutionnel, la position dominante que ces institutions occupent commande aux autorités de faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale (Otegi Mondragon, précité, § 58).
57. De plus, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité d’une ingérence (Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 64, CEDH 1999-IV, Ceylan c. Turquie [GC], no 23556/94, § 37, CEDH 1999‑IV, Tammer c. Estonie, no 41205/98, § 69, CEDH 2001‑I, et Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 78, CEDH 2004-VI). Ainsi, l’appréciation de la proportionnalité d’une ingérence dans les droits protégés par l’article 10 dépendra dans bien des cas de la question de savoir si les autorités auraient pu faire usage d’un autre moyen qu’une sanction pénale, telles des mesures civiles (voir, mutatis mutandis, Raichinov c. Bulgarie, no 47579/99, § 50, 20 avril 2006 ; voir aussi, mutatis mutandis, Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 51, Recueil 1998-VII, et Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 115, CEDH 2004-XI). La Cour rappelle également que, même lorsque la sanction est la plus modérée possible, à l’instar d’une condamnation assortie d’une dispense de peine sur le plan pénal et d’une simple obligation de payer un « euro symbolique » à titre de dommages‑intérêts (Mor c. France, no 28198/09, § 61, 15 décembre 2011), elle n’en constitue pas moins une sanction pénale et, en tout état de cause, cela ne saurait suffire, en soi, à justifier l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression (Athanasios Makris c. Grèce, no 55135/10, § 38, 9 mars 2017). Elle a maintes fois souligné qu’une atteinte à la liberté d’expression peut avoir un effet dissuasif quant à l’exercice de cette liberté (voir, mutatis mutandis, Cumpănă et Mazăre, précité, § 114), risque que le caractère relativement modéré des amendes infligées ne saurait suffire à faire disparaître (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 176, CEDH 2015).
58. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que rien dans les circonstances de la présente affaire n’était de nature à justifier le placement en garde à vue et en détention en provisoire du requérant ni l’imposition d’une sanction pénale, même si, comme en l’espèce, il s’agissait d’une amende judiciaire. Par sa nature même, une telle sanction produit immanquablement un effet dissuasif, nonobstant son montant modéré, compte tenu notamment des effets de la condamnation (voir, mutatis mutandis, Artun et Güvener, précité, § 33, Martchenko c. Ukraine, no 4063/04, § 52, 19 février 2009, et Otegi Mondragon, précité, § 60). Par ailleurs, même s’il a été sursis au prononcé du jugement de condamnation du requérant et que ce jugement a finalement fait l’objet d’une annulation, avec toutes les conséquences en découlant, à l’issue de la période de sursis de cinq ans, la Cour est d’avis que le maintien pendant un laps de temps considérable des poursuites pénales contre le requérant sur le fondement d’une infraction pénale grave pour laquelle des peines d’emprisonnement pouvaient être requises a exercé un effet dissuasif sur la volonté de l’intéressé de s’exprimer sur des sujets relevant de l’intérêt public (Dilipak, précité, § 70, et Selahattin Demirtaş (no 3), précité, § 26).
59. La Cour en vient enfin aux décisions des juridictions internes, lesquelles ont estimé que l’acte du requérant avait constitué le délit d’insulte. Elle constate à cet égard que, le tribunal d’instance pénal, dans son premier jugement acquittant le requérant, avait fait prévaloir la liberté d’expression de ce dernier en estimant que les éléments choquants, offensants et blessants contenus dans le travail artistique de l’intéressé, qui visait à véhiculer une critique à l’égard d’une personnalité politique, devaient être tolérés (paragraphe 13 ci-dessous). En revanche, le même tribunal, dans son jugement de condamnation rendu après l’arrêt d’infirmation de la Cour de cassation, a considéré : que le travail de collage du requérant n’avait pas de base factuelle ; que l’intéressé, en assimilant, par son collage, le Premier ministre turc au chien de Bush, avait cherché à humilier ce dirigeant politique et outrepassé la mesure ; et que son acte était agressif et susceptible de causer une querelle, et avait créé un danger clair et imminent (paragraphe 15 ci-dessus). La Cour, tout en notant avec intérêt les références faites dans ce dernier jugement aux principes exposés dans sa propre jurisprudence ainsi que l’argumentation et la motivation assez étendues développées par le tribunal d’instance pénal, ne peut toutefois souscrire aux appréciations et conclusions contenues dans cette décision pour les raisons susmentionnées. Elle note en outre que faisaient notamment défaut dans ce jugement une analyse de la proportionnalité de la sanction de caractère pénal infligée au requérant ainsi qu’un examen de l’effet dissuasif que cette sanction pouvait créer sur la liberté d’expression de l’intéressé.
60. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce, les autorités nationales n’ont pas effectué une mise en balance adéquate et conforme aux critères établis par sa jurisprudence entre le droit du requérant à la liberté d’expression et le droit de la partie adverse au respect de sa vie privée. Elle estime que, en tout état de cause, il n’y avait pas de rapport de proportionnalité raisonnable entre l’ingérence dans l’exercice du droit du requérant à la liberté d’expression et le but légitime de la protection de la réputation de la personne concernée.
61. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention en l’espèce.
2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
62. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
63. Le requérant réclame l’indemnisation des préjudices matériel et moral qu’il dit avoir subis, sans chiffrer ses prétentions ni apporter aucun document ou précision à cet égard.
64. Le Gouvernement considère que le requérant n’a présenté aucune demande pour dommages matériel et moral.
65. Le requérant n’ayant fourni aucun élément de preuve ou document qui permettrait de quantifier le dommage matériel qu’il allègue avoir subi, la Cour rejette la demande présentée à cet égard. En revanche, elle estime que l’intéressé peut passer pour avoir éprouvé un certain désarroi en raison des circonstances de l’espèce, et elle considère qu’il y a lieu de lui octroyer 2 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral.
2. Frais et dépens
66. Le requérant n’a présenté aucune demande pour frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
3. Intérêts moratoires
67. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit, par six voix contre une,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 février 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
{signature_p_1} {signature_p_2}
Stanley NaismithJon Fridrik Kjølbro
GreffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Saadet Yüksel.
J.F.K.
S.H.N.
PARTLY CONCURRING AND PARTLY DISSENTING OPINION OF JUDGE YÜKSEL
1. While I agree with the finding of the judgment in the present case in so far as it concerns the applicant’s complaints under Article 10 of the Convention, I respectfully voted against awarding the applicant any sum in respect of non-pecuniary damages under Article 41 of the Convention. Here, I would like to explain my point of view, having regard to two aspects: the balancing exercise as set out in the Court’s case-law and the proportionality of the interference.
2. The first question to be decided is related to the balancing of two interests, specifically two rights: on the one hand, the Prime Minister’s right to protection of his reputation; on the other, the applicant’s right to freedom of expression. It is clear that the Convention does not protect gratuitous insults (see Palomo Sanchez and Others v. Spain [GC], nos. 28955/06 and 3 others, § 67, ECHR 2011; Janowski v. Poland [GC], no. 25716/94, §§ 33 and 34, ECHR 1999‑I; Lešník v. Slovakia, no. 35640/97, §§ 58-61, ECHR 2003‑IV; Vitrenko and Others v. Ukraine (dec.), no. [23510/02, 16 December 2008; Annen v. Germany (no. 6), no. 3779/11, §§ 27-31, 18 October 2018; and Prunea v. Romania, no. 47881/11, §§ 31-37, 8 January 2019). ](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2223510/02%22%5D%7D)Moreover, as an artist, the applicant does not escape the possibility that his rights might be restricted, as provided in Article 10 § 2. Anyone who avails himself of freedom of expression assumes, in the words of that paragraph, “duties and responsibilities”, the extent of which depends on the situation and the process used; the Court cannot lose sight of this when it reviews the necessity of the sanction in question in a democratic society (see Akdaş v. Turkey, no. 41056/04, § 26, 16 February 2010). It is also very important to reiterate that the national authorities are in principle better placed to pronounce on the precise content of the requirements as well as on the necessity of a restriction or sanction intended to meet them (see Akdaş, cited above, §§ 26, 27).
3. With regard to the balancing exercise in question in the present case, the national courts attempted carefully to balance the applicant’s right to freedom of expression with the right of a political leader, performing one of the highest public duties in the country, to protection of his reputation or to respect for his private life. Nevertheless, although the domestic courts’ conclusion may reflect the perception of the applicant’s collage within the national context, I accept that the Court’s conclusion may justifiably be different in this regard, if case-law criteria other than the national context are given precedence. In this respect, the national courts failed to take into account the case-law in which the Court has summarised the relevant criteria for reconciling the right to respect for private life and the right to freedom of expression, which are as follows: the contribution to a debate in the public interest, the reputation of the person concerned, the subject of the report, the previous conduct of the person concerned, the content, form and impact of the publication and, if applicable, the circumstances of the case (see Von Hannover v. Germany (no. 2) [GC], nos. 40660/08 and 60641/08, §§ 108-113, ECHR 2012; Axel Springer AG v. Germany [GC], no. 39954/08, §§ 89-95, 7 February 2012; Couderc and Hachette Filipacchi Associés v. France [GC], no. 40454/07, § 93, ECHR 2015 (extracts); and Palomo Sanchez and Others, cited above, § 57). In this respect, it could also be noted that, in accordance with the Court’s well-established case-law, the limits of acceptable criticism are wider with regard to politicians acting in a public capacity than with regard to a private individual (see Lingens v. Austria, 8 July 1986, § 42, Series A no. 103; Oberschlick v. Austria (no. 2), 1 July 1997, § 29, Reports of Judgments and Decisions 1997-IV; Mamère v. France, no. 12697/03, § 27, ECHR 2006-XIII; and Kwiecień v. Poland, no. 51744/99, § 47, 9 January 2007).
4. Secondly, according to the Court’s case-law, the nature and severity of the penalty imposed are factors to be taken into account when assessing the proportionality of the interference (see Cumpǎnǎ and Mazǎre v. Romania [GC], no. 33348/96, § 111, ECHR 2004-XI, and Jersild v. Denmark, 23 September 1994, Series A no. 298, § 35). In the present case, with regard to the seriousness of the interference, I note that no prison sentence was imposed but instead a judicial fine, which was subsequently suspended for five years. Although the use of criminal proceedings in defamation cases is not disproportionate in itself, I am aware of the current tendency in the Court’s case-law militating for the decriminalisation of defamation actions and considering criminal sanctions to be disproportionate in defamation cases (see Cumpănă and Mazăre v. Romania [GC], cited above, § 115; Morice v. France [GC], no. 29369/10, § 176, ECHR 2015; Lehideux and Isorni v. France, 23 September 1998, § 51, Reports 1998‑VII; Raichinov v. Bulgaria, no. 47579/99, § 50, 20 April 2006; Šabanović v. Montenegro and Serbia, no. 5995/06, § 43, 31 May 2011; Mor v. France, no. 28198/09, § 61, 15 December 2011; and Athanasios Makris v. Greece, no. 55135/10, § 38, 9 March 2017). Thus, I underline the fact that the institution of criminal proceedings against the applicant constituted an interference which could be considered disproportionate in view of the relevant case-law in this matter.
5. In sum, I consider that in the present case, the national courts attempted to perform an in-depth assessment of the relevant elements in order to expose how the applicant’s collage was perceived within the national context (see paragraph 59 of the judgment). However, as a Strasbourg judge I am bound by the case-law of the Court in this matter, which does not rely solely on the perception of such a work within the national context and may reasonably reach different conclusions from that of the national judges, where other criteria prevail with regard to the circumstances of the case. In addition, the proportionality of the interference could be seen as problematic, given the current trend in the Court’s case-law towards the decriminalisation of defamation actions.
6. Finally, I respectfully disagree with the decision to award the applicant any sum in respect of non-pecuniary damages under Article 41 of the Convention. I consider that the finding of a violation would constitute in itself sufficient just satisfaction for the damage claimed by the applicant.