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11/05/2021 | CEDH | N°001-209868

CEDH | CEDH, AFFAIRE PENATI c. ITALIE, 2021, 001-209868


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PENATI c. ITALIE

(Requête no 44166/15)

ARRÊT

Art 2 (procédural) • Procédure pénale efficace sur l’infanticide commis lors d’une rencontre entre père et enfant organisée par l’autorité publique

Art 34 • Qualité de victime de la mère au regard du volet procédural de l’art 2 en dépit de l’obtention d’une somme ayant réglé à l’amiable la procédure civile • Perte de la qualité de victime sous l’angle du volet matériel

STRASBOURG

11 mai 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans l

es conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Penati c. Italie,

La...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PENATI c. ITALIE

(Requête no 44166/15)

ARRÊT

Art 2 (procédural) • Procédure pénale efficace sur l’infanticide commis lors d’une rencontre entre père et enfant organisée par l’autorité publique

Art 34 • Qualité de victime de la mère au regard du volet procédural de l’art 2 en dépit de l’obtention d’une somme ayant réglé à l’amiable la procédure civile • Perte de la qualité de victime sous l’angle du volet matériel

STRASBOURG

11 mai 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Penati c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Pauliine Koskelo,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Renata Degener, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 17 décembre 2019, 8 septembre 2020 et 23 mars 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44166/15) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet État, Mme Antonella Penati (« la requérante »), a saisi la Cour le 3 septembre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me B. Nascimbene, avocat à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son ancien agent, Mme E. Spatafora, et par son ancien coagent, Mme M.G. Civinini.

3. La requérante se plaignait d’une violation de l’article 2 de la Convention à raison du décès de son fils, F., victime d’un infanticide commis par son père.

4. Le 9 novembre 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. Par ailleurs, l’association UDI (Unione Donne in Italia) a présenté des observations en qualité de tiers intervenant (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 du règlement de la Cour).

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. La requérante est née en 1963 et réside à San Donato Milanese.

7. En 1999, elle noua avec Y.B., un ressortissant égyptien, une relation sentimentale, de laquelle naquit un enfant, F., le 19 avril 2000.

8. Cette relation se détériora par la suite et prit fin au mois de mars 2005, après quoi Y.B. quitta le domicile familial.

1. Les événements antérieurs à l’infanticide de F.
1. Les doléances présentées par la requérante à la gendarmerie de San Donato Milanese (« la gendarmerie »)

a) Les déclarations du 10 avril 2005

9. Le 10 avril 2005, la requérante se rendit à la gendarmerie afin de l’informer qu’elle avait reçu plusieurs appels téléphoniques de Y.B., lors desquels celui-ci avait exigé de voir l’enfant seul.

10. Dans ses déclarations, elle indiquait qu’elle ne s’opposait pas à ce que Y.B. vît l’enfant, mais demandait à ce que le déroulement des rencontres eût lieu dans un environnement protégé parce qu’elle redoutait que Y.B. pût adopter des comportements allant à l’encontre de l’intérêt de F. Elle relatait avoir découvert, lors des démarches administratives entreprises aux fins de la reconnaissance de l’enfant, que Y.B. avait été condamné au pénal dans le passé et détenu pendant plus de huit ans. Elle précisait que Y.B. était un consommateur habituel de stupéfiants légers, qu’il ne souhaitait pas révéler son lieu de résidence, qu’il ne s’était jamais soucié des besoins matériels de l’enfant et qu’il avait exprimé à ce dernier son intention de l’emmener avec lui en Égypte.

11. Elle indiquait aussi qu’elle occupait un emploi d’assistante commerciale, qu’elle était propriétaire de son logement, et que F. était serein et fréquentait l’école maternelle.

12. La requérante réitéra ces déclarations devant le tribunal pour enfants le lendemain.

b) La plainte du 19 mai 2005

13. Le procès-verbal afférent cette plainte exposait que la requérante s’était présentée dans un état de forte agitation car elle craignait que Y.B. allait enlever F., qui se trouvait à ce moment-là avec sa grand-mère maternelle, pour l’emmener à l’étranger. D’après ce document, la requérante avait déclaré qu’elle avait appris que Y.B. vivait sous de fausses identités et qu’il avait commis plusieurs infractions pénales en Italie. À la suite de ce dépôt de plainte, la gendarmerie prit contact avec la patrouille de gendarmes territorialement compétente afin que cette dernière procédât à des contrôles à ce sujet.

14. En outre, la gendarmerie envoya au tribunal pour enfants une note signalant que Y.B. s’était livré à des comportements pénalement répréhensibles (di pessima condotta) et qu’il avait plusieurs antécédents judiciaires, parmi lesquels figuraient les infractions d’association criminelle, de recel et de vol, ainsi que des infractions à la législation sur les stupéfiants. La gendarmerie précisa que Y.B. n’avait pas pu être localisé.

c) Les plaintes des 2 et 11 août 2005 et la procédure pénale y relative

15. À l’occasion de ces plaintes, la requérante répéta avoir appris l’existence des antécédents judiciaires de Y.B. lors des démarches entreprises aux fins de la reconnaissance de l’enfant. Selon elle, les infractions pénales en cause concernaient le trafic de stupéfiants et avaient été commises en Italie et en Égypte, à une époque où Y.B. travaillait comme guide touristique dans ces deux pays.

16. La requérante exposa les jalons de son histoire familiale comme suit : à la suite des attentats du 11 septembre 2001, l’activité de Y.B. avait commencé à traverser une crise ; Y.B. avait alors fait une dépression nerveuse et avait été suivi pour celle-ci par le médecin généraliste de la famille ; son ex‑compagnon avait ensuite quitté le domicile familial, et, un jour, elle l’avait repéré dans un dortoir de Milan ; persuadée que la période de crise était liée à la dépression de Y.B., elle avait essayé de convaincre ce dernier de rentrer au domicile familial, pour le bien de l’enfant ; Y.B. était alors retourné vivre dans le logement familial en octobre 2004.

17. La requérante ajouta ce qui suit : après une période d’accalmie, Y.B. lui avait demandé 130 000 euros (EUR) pour l’ouverture d’un bar ; face au refus qu’elle lui avait opposé, il s’était alors renfermé sur lui-même et avait à nouveau quitté l’habitation familiale.

18. La requérante poursuivit son récit comme suit : Y.B. avait ensuite procuré un téléphone portable à l’enfant afin de pouvoir prendre contact avec lui à chaque fois qu’il en avait envie et uniquement sur cet appareil, notamment par des appels vidéo ; lorsque ce téléphone était éteint, Y.B. appelait avec insistance sur le téléphone de la requérante ou sur celui de sa mère, et il menaçait les deux femmes en leur disant que, s’il n’arrivait pas à joindre l’enfant, il « viendrait leur rendre visite » et en les avisant de « garder le numéro de la gendarmerie à portée de main ».

19. La requérante déclara aussi que, lors de ces appels, Y.B. lui avait adressé des propos très vulgaires et insultants (qu’elle détailla dans ses plaintes). Elle indiqua avoir toujours informé Y.B. de l’endroit où se trouvait l’enfant, mais avoir refusé qu’il le rencontrât seul.

20. La requérante relata également l’épisode du 19 avril 2005 (paragraphe 46 ci-dessous).

En outre, lors du dépôt de sa deuxième plainte, elle indiqua que, le 9 août 2005, elle avait reçu un appel téléphonique de la part de Y.B. et qu’à cette occasion, tout en proférant des grossièretés à son encontre, celui-ci avait prononcé la phrase suivante : « il vaut mieux que mon fils vive tout seul ; je te tue et ensuite je me tue moi aussi, mais mon fils ne doit plus vivre avec toi ». D’après la requérante, dix minutes avant cet appel téléphonique, Y.B. avait appelé F. et lui avait dit de ne pas s’inquiéter si un jour il devait rester seul et s’il ne voyait plus ni son père ni sa mère, car il irait vivre chez son cousin A. (le fils du frère de la requérante).

La requérante demanda par conséquent aux autorités judiciaires d’intervenir afin que Y.B. fût sanctionné pour ses agissements.

21. Le 13 août 2005, la gendarmerie transmit les éléments ainsi recueillis au parquet du tribunal de Milan (tribunale ordinario di Milano). Elle les communiqua également au parquet du tribunal pour enfants, pour information.

22. Une procédure pénale fut alors ouverte à l’encontre de Y.B.

23. Dans le cadre de cette procédure, G.B., mère de la requérante, fut entendue le 15 mars 2006. Elle relata que souvent, lorsqu’elle se rendait au domicile de sa fille pour s’occuper de F., elle avait trouvé Y.B. en train de dormir ou bien, si réveillé, très assommé, comme s’il avait excédé dans la consommation d’alcool. Elle fut mise au courant par l’enfant que son père se disputait souvent avec sa mère. L’enfant lui avait dit être effrayé car son père hurlait toujours avec sa mère et un jour il avait cassé la porte du placard avec un coup de poings.

24. Elle indiqua aussi que, dans les deux dernières années, sa fille lui avait raconté que, après son éloignement du domicile familial, Y.B. téléphonait souvent à sa fille et la menaçait, l’inculpant de lui avoir soustrait l’enfant. Il proférait des menaces de mort à l’encontre de la requérante. Au mois d’août 2005, Y.B. avait menacé d’amener en Égypte et que sa fille ne l’aurait plus revu. G.B. souligna que sa fille vivait dans la terreur à cause de ces menaces et que, souvent, Y.B. se présentait à l’improviste devant chez elle et parfois, il rentrait chez elle en exigeant de voir l’enfant et en la menaçant.

25. G.B. relata ensuite l’épisode ayant eu lieu en juin 2005 alors qu’elle était en vacances avec F. (voir paragraphe 60 ci-dessous) et celui de la visite à Y.B. à l’hôpital après le coma, circonstance dans laquelle sa fille trouva dans le portable de Y.B. des photos pornographiques. Elle reporta qu’après la sortie de l’hôpital, Y.B. avait continué de menacer sa fille de mort et avait tenu un comportement fluctuant, étant parfois tranquille et parfois extrêmement agressif. Y.B. avait aussi dit à l’enfant que sa mère était méchante et de ne pas craindre de rester tout seul, car il aurait pu aller vivre avec son oncle. Cette dernière conversation avait lieu au téléphone, par un appel-vidéo entre Y.B. et F., raison pour laquelle sa fille en était au courant. Pendant les fêtes, F. avait donc communiqué à sa mère ne pas souhaiter rendre visite à son oncle, car il avait peur qu’il l’amène avec lui. G.B. relata que, à cette époque, son petit-fils avait peur de son père, qu’il le refusait et que, lorsque son père appelait, elle et sa fille essayait de le convaincre de lui parler mais que l’enfant ne voulait rien savoir. Lorsque l’enfant refusait le contact, Y.B. se déchainait avec des hurlements furieux et des nouvelles menaces, proférées à l’encontre de la requérante par téléphone.

26. Une audience fut fixée au 23 mars 2009 et elle n’eut pas lieu, l’infanticide et le suicide de Y.B. s’étant consommés le 25 février 2009.

d) La plainte du 17 août 2005

27. À cette occasion, la requérante demanda aux forces de l’ordre de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour qu’elle pût vivre avec son enfant de manière sereine. Elle déclara qu’elle continuait à être menacée et insultée par téléphone, notamment à la suite de ses plaintes.

28. Elle présenta le texte de plusieurs SMS que Y.B. lui avait envoyés dans lesquels celui-ci exprimait, entre autres, des menaces, des grossièretés et des propos vulgaires à son encontre, en l’accusant de l’empêcher de voir l’enfant seul et en formulant notamment l’intimidation suivante : « si tu ne veux pas comprendre où est le problème, c’est moi qui te montrerai comment les problèmes peuvent être résolus pour toujours, tant pour toi que pour moi ».

e) La plainte du 8 mai 2006 et la procédure pénale y relative

29. Le 8 mai 2006, la requérante porta plainte contre Y.B. pour violence physique et verbale. Elle déclara qu’elle s’était présentée au domicile de Y.B. afin de trouver un accord pour qu’il voie l’enfant de manière sereine et qu’il évite de se présenter de manière inattendue au domicile de la requérante en tenant des comportements agressifs. Elle indiqua que Y.B. l’avait agressée, au départ verbalement et, ensuite, physiquement, en lui donnant des gifles, des coups de poing et des coups de pied, et qu’il s’était ensuite jeté sur elle en essayant de la prendre par le cou. Elle arriva à s’enfuir et se rendit aux urgences de San Donato. La requérante déclara aussi qu’entre 21 heures et 1 heure du matin, alors qu’elle était aux urgences, Y.B. s’était rendu plusieurs fois à son domicile effrayant la mère de la requérante et exigeant de savoir où la requérante se trouvait.

30. Elle indiqua aussi que le médecin urgentiste qui l’avait vue avait posé le diagnostic de traumatisme contusif du rachis cervical guérissable en sept jours.

31. À la suite de ce dépôt de plainte, Y.B. fut inculpé du délit de blessures volontaires légères. La procédure engagée devant le juge de paix de Milan se termina par une extinction d’instance, la requérante ayant décidé de retirer sa plainte.

f) La plainte du 20 décembre 2008

32. Dans l’intervalle, le 20 décembre 2008, la requérante déposa une plainte à la gendarmerie pour des faits de dégradation de la porte d’entrée de son habitation qui, selon elle, avaient été commis par des inconnus.

g) Les plaintes des 20 et 26 janvier 2009 et du 1er février 2009

33. Dans le cadre de ces plaintes, la requérante exposa que les menaces et le harcèlement qu’elle dénonçait se poursuivaient et que la situation était de plus en plus insoutenable pour sa propre sécurité ainsi que pour celle de F. Son ex-compagnon n’aurait pas arrêté de l’appeler au téléphone et de sonner à l’interphone, jour et nuit (la requérante donna des détails sur les jours et heures de chacun de ces faits), il aurait contrôlé ses mouvements et il l’aurait suivie en voiture.

34. La requérante déclara en particulier que Y.B., qui n’avait alors le droit de voir l’enfant que lors des rencontres en milieu protégé, insistait pour voir F. seul, tout en la menaçant si jamais elle s’avisait de l’en empêcher. Elle réitéra sa demande de mise en œuvre par les autorités de toutes les mesures nécessaires aptes à assurer la sécurité de son enfant.

35. Elle indiqua que, lors de ses innombrables appels téléphoniques, Y.B. l’avait menacée en lui adressant des propos vulgaires et insultants (qu’elle détailla dans ses plaintes) et en lui disant que, si elle ne faisait pas ce qu’il lui ordonnait dans un délai d’une semaine, il allait « faire enlever l’enfant ». Elle rappela que Y.B. faisait l’objet d’une procédure pénale pour menaces de mort proférées à son encontre.

36. La requérante relata aussi que, lors d’un appel téléphonique auquel une personne avait assisté (P.M., qui s’était d’ailleurs déclaré disposé à témoigner), Y.B. avait hurlé en disant qu’il voulait l’enfant et il lui avait demandé si elle avait « pris une décision ».

37. Devant les gendarmes, la requérante dénonça la situation comme étant devenue un véritable calvaire, en ce que, à ses dires, elle subissait « une pression exténuante et continue, des menaces et des contrôles entravant sa liberté et celle de son enfant ». Elle déclara par ailleurs que son habitation avait fait l’objet d’une tentative d’effraction par des inconnus, que sa voiture avait été endommagée, qu’elle avait été destinataire de dessins pornographiques et qu’elle avait reçu un appel téléphonique de la part d’une personne à la voix masquée qui lui aurait adressé des propos très vulgaires.

38. La requérante demanda par conséquent aux autorités de faire en sorte que Y.B. ne s’approchât plus de son domicile, qui était aussi celui de l’enfant, et de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires à la cessation de ces harcèlements, tout particulièrement aux fins de garantie de l’intérêt et de la protection de F.

2. La demande de déchéance de l’autorité parentale présentée par la requérante et son retrait

39. Le 12 mai 2005, la requérante déclara devant le tribunal pour enfants que Y.B. s’était comporté de manière agressive à son encontre, physiquement et verbalement, et qu’il souffrait de dépression nerveuse et d’un trouble bipolaire.

40. Elle indiqua que, lorsqu’il vivait encore chez elle, son ex‑compagnon passait son temps à boire et à consommer des drogues légères et des médicaments psychotropes, ne subvenait pas aux besoins de la famille ni ne s’occupait de l’enfant, et oubliait d’ailleurs d’aller chercher ce dernier à l’école.

41. Elle ajouta qu’elle avait tenté à plusieurs reprises d’aider son ex‑compagnon en essayant de le faire soigner, en le soutenant matériellement et en le mettant même en contact avec un conseiller juridique spécialisé dans les procédures de réhabilitation après condamnation pénale.

42. La requérante demanda au tribunal pour enfants de déclarer en urgence l’interdiction de sortie du territoire de F., au motif que Y.B. avait fait part à plusieurs reprises de son intention d’emmener l’enfant avec lui en Égypte, et elle sollicita dudit tribunal l’obtention de la garde exclusive du mineur ainsi que la déchéance de l’autorité parentale de Y.B.

43. Le même jour, le tribunal pour enfants transmit les éléments d’information fournis par la requérante aux services sociaux de la municipalité de San Donato Milanese, en leur indiquant que celle-ci considérait que Y.B. était quelqu’un de « perturbant et dangereux pour l’enfant » (soggetto ritenuto disturbante e pericoloso per il bambino). Il demanda aux services sociaux de lui communiquer les rapports d’évaluation psychosociale relatifs à la situation personnelle et familiale du mineur.

44. Le 10 janvier 2007, la requérante retira la demande de déchéance de l’autorité parentale qu’elle avait formulée à l’encontre de Y.B., indiquant à cet égard que l’enfant avait exprimé le souhait de rencontrer régulièrement son père.

45. En outre, elle déclara vouloir, en tout cas, protéger F. sur les plans physique et psychologique, compte tenu, d’une part, des problèmes de Y.B. avec l’alcool et, d’autre part, des menaces de ce dernier d’emmener l’enfant en Égypte et de l’existence de risques pour le mineur d’être exposé à des situations dangereuses, en lien notamment avec les photomontages à caractère pornographique (paragraphe 59 ci‑dessous).

3. Les doléances présentées devant le tribunal pour enfants de Milan (« le tribunal pour enfants »)

a) La lettre du 30 juin 2005

46. Dans le cadre de cette lettre, dont la requérante envoya une copie à E.T. et à N.C., respectivement psychologue et assistante sociale en charge du suivi de sa famille, la requérante relatait que, le 19 avril 2005, Y.B. s’était présenté à l’école de F. sans prévenir qui que ce fût et que, n’y ayant pas trouvé l’enfant, qui, selon ses indications, était chez sa propre mère, il avait proféré des menaces téléphoniques à son encontre. Elle ajoutait que son ex‑compagnon avait ensuite appelé et menacé sa mère pour l’obliger à lui communiquer l’adresse à laquelle le mineur se trouvait.

47. Par ailleurs, dans ce même document, la requérante signalait, entre autres, avoir découvert que son ex-compagnon organisait, via Internet, des rencontres sexuelles. Elle joignait à sa lettre des photographies qu’elle avait téléchargées, accompagnées de la description des services proposés par Y.B. Elle se disait très troublée et préoccupée par cette situation.

b) Le téléfax envoyé au juge C. du tribunal pour enfants

48. Le 12 septembre 2005, la requérante adressa un téléfax au juge C. afin de fixer un rendez-vous et de l’informer de sa situation, qui s’était fortement détériorée dans les deux derniers mois. La requérante relata que dans cette période elle avait subi des menaces de mort de la part de Y.B. Elle demanda donc de voir le juge C. urgemment, accompagnée par son avocat.

4. Les doléances déposées auprès des services sociaux et l’évaluation psychologique de la requérante

a) La doléance déposée le 19 octobre 2005

49. Entre-temps, le 19 octobre 2005, la requérante adressa une doléance écrite à E.T. et N.C. pour les informer des évènements suivants : le matin même, à 8 h 30, alors qu’elle sortait pour accompagner F. à l’école, Y.B. s’était présenté devant chez elle ; il s’était violemment emparé de l’enfant, et avait resserré son emprise lorsqu’elle avait essayé de s’approcher ; il avait eu une attitude agressive, et il lui avait hurlé de se tenir éloignée et de lui dire où le jeune garçon allait à l’école.

50. L’issue de ces évènements, telle que décrite par la requérante, était la suivante : Y.B. avait finalement laissé l’enfant ; la requérante avait tout de même rassuré ce dernier et l’avait emmené à l’école ; plus tard, elle avait retrouvé les pneus de sa voiture crevés.

51. Dans sa plainte, la requérante indiquait que la situation était extrêmement préoccupante, car, selon elle, Y.B. avait dit à l’enfant qu’il irait lui rendre visite à l’école. Elle demandait instamment aux autorités de prendre toutes les mesures jugées utiles pour la protection du mineur, exposant que le danger ne consistait pas uniquement dans le risque d’enlèvement, mais aussi dans l’inquiétude et la peur suscitées par Y.B. chez l’enfant.

52. Le 21 octobre 2005, la requérante réitéra ces déclarations devant la police à l’occasion d’un dépôt de plainte. Elle ajouta que, à la suite de l’épisode qu’elle avait relaté, Y.B. avait proféré à son encontre des menaces par téléphone du style « Conasse..., tôt ou tard, je vais te tuer et ensuite je me rendrai chez les carabiniers ». Ces menaces auraient été par ailleurs entendues par son conseil, dans le cabinet duquel elle se serait trouvée au moment de leur formulation, à travers le haut-parleur. Dans sa plainte, la requérante demandait en particulier la poursuite de la procédure pénale diligentée contre Y.B. et demanda que des mesures soient prises en vue de la protection de sa propre personne et de son enfant.

53. Le 17 novembre 2005, les policiers informèrent le procureur près le tribunal de Milan qu’ils avaient entendu la requérante et vérifié l’identité de Y.B. et qu’ils attendaient de nouvelles instructions.

b) Le rapport des services sociaux du 12 décembre 2005

54. À la suite des entretiens qu’elles eurent avec la requérante et avec Y.B., les travailleurs sociaux E.T. et N.C. rédigèrent un rapport, daté du 12 décembre 2005, qui fut transmis au tribunal pour enfants. Il en ressortait que l’intéressée craignait pour sa sécurité et pour celle de son fils.

55. De ce rapport, il ressortait également ce qui suit : Y.B. ne s’était présenté qu’une seule fois aux rendez-vous avec les travailleurs sociaux et avait ensuite été injoignable, ne montrant ainsi aucune volonté de collaborer avec ceux‑ci ; lors de l’entretien qu’il avait eu avec lesdits services, il avait exprimé le souhait, en tout cas, de remplir davantage son rôle de père ; il avait aussi accusé la requérante de ne plus vouloir le laisser rencontrer l’enfant seul et avait fait part de sa colère envers son ex‑compagne, soutenant que celle-ci l’avait utilisé uniquement dans le but d’avoir un enfant et que, par la suite, elle lui avait rendu la vie impossible.

56. Selon ce rapport, la tentative des services sociaux de trouver un terrain d’entente entre la requérante et Y.B. avait échoué et, après les rencontres, Y.B. avait continué de passer des appels à la requérante, en la menaçant plusieurs fois de lui « faire du mal ».

57. Pour ce qui était de l’enfant, le rapport indiquait qu’il était bien intégré à l’école et qu’il parlait de sa mère et de sa grand-mère, mais pas de son père.

58. Les services sociaux demandèrent une mesure d’interdiction de sortie du territoire de l’enfant. Quant à la demande tendant à la déchéance de l’autorité parentale du père, ils indiquèrent qu’il y avait lieu de mener d’autres investigations, notamment au sujet des infractions pénales commises par Y.B. dans le passé et de la détention à laquelle celui-ci aurait été soumis.

c) Le rapport complémentaire du 6 mars 2006

59. Le 6 mars 2006, E.T. et N.C. établirent un rapport complémentaire, qui fut transmis au tribunal pour enfants. Selon ce rapport, Y.B. avait été hospitalisé pour un problème cardiaque et avait été placé en coma artificiel. Également d’après ce document, la requérante s’était rendue à l’hôpital et, à cette occasion, elle avait vu des photographies de F. dans le téléphone portable de Y.B. sur lesquelles l’enfant était représenté, au moyen de photomontages, à côté de femmes nues et d’organes génitaux masculins.

60. Toujours selon ce rapport, la requérante avait été informée par l’une des deux personnes qui étaient au chevet de Y.B. et alléguaient vivre avec lui que ce dernier avait de nombreux contacts avec d’autres femmes à travers des « chats » et qu’il avait parlé d’un projet de se rendre en Suisse avec l’une d’entre elles et d’y emmener l’enfant. Le rapport indiquait aussi que la requérante avait exprimé une forte crainte que Y.B. pût lui faire du mal ou en faire à l’enfant ou bien qu’il tentât d’éloigner celui-ci du domicile familial.

d) La lettre aux services sociaux du 14 juin 2006

61. Le 14 juin 2006, la requérante écrivit à E.T. et N.C. au sujet de l’organisation des vacances d’été. Dans sa lettre, elle indiquait que Y.B. lui avait fait du chantage en lui disant que « si elle ne retirait pas ses plaintes contre lui, il allait commettre un acte fou », qu’elle était donc fortement préoccupée et que cette situation l’exposait à une pression psychologique constante.

e) Le rapport d’évaluation psychologique de Y.B. et de la requérante

62. Le 10 novembre 2006, un rapport d’évaluation psychologique fut établi. Il indiquait que Y.B. était affecté d’un trouble de la personnalité et que la requérante souffrait d’une névrose hystérique. Ledit rapport concluait à la nécessité d’un soutien psychologique pour les deux parents.

f) Les rapports des 30 novembre et 24 décembre 2007

63. Le 30 novembre 2007, l’éducateur M.S. [1], qui, à l’époque, était en charge du suivi des rencontres entre Y.B. et F., rédigea un rapport.

64. Il ressortait ce qui suit de ce document : Y.B. avait du mal à comprendre les exigences affectives du mineur et à établir une relation positive avec lui ; il continuait d’appeler F. par son prénom d’origine arabe, « S. », même si l’enfant avait à plusieurs reprises formulé son mécontentement à ce propos ; qui plus est, il avait tenu des propos agressifs envers les employés des services sociaux, à qui il reprochait d’être à l’origine des difficultés relationnelles qu’il avait avec son fils ; F. exprimait souvent son anxiété et son inquiétude au sujet de ses relations avec son père, qu’il ne vivait en tout cas pas de manière sereine.

65. Le 24 décembre 2007, E.T. et N.C. dressèrent également un rapport, selon lequel les relations entre F. et Y.B. s’étaient beaucoup détériorées. Le rapport indiquait ce qui suit : Y.B. avait appelé avec insistance un camping où F. et la requérante avaient passé les vacances d’été, afin de s’assurer de leur présence, et avait ainsi créé une situation de tension ; il avait aussi parlé à l’enfant d’une grossesse de sa mère, ce qui avait mis F. dans un état d’agitation ; il avait en outre parlé directement à l’enfant de ses soucis de santé, sans passer par les services sociaux, en lui demandant de venir lui rendre visite à l’hôpital ; cette situation avait beaucoup inquiété le mineur.

66. Il ressortait par ailleurs de ce rapport que Y.B. avait reconnu devant le tribunal de Milan avoir fait subir à la requérante les mauvais traitements qui lui étaient reprochés, mais qu’en revanche il avait nié devant les services sociaux avoir infligé ces traitements et s’était ainsi montré peu enclin à reconnaître ses responsabilités.

67. Il en résultait également que F. se montrait inquiet au sujet de son père, en particulier quant au fait que celui-ci avait démenti avoir sonné de nombreuses fois chez la requérante, et qu’il manifestait de plus en plus son manque d’envie de le rencontrer.

68. Les services sociaux conclurent qu’il n’y avait pas lieu d’augmenter la fréquence des rencontres et qu’il était en tout cas nécessaire de maintenir leur tenue dans un cadre protégé.

5. La décision de confier F. aux soins des services de l’assistance publique (affidamento al comune) et le recours de la requérante

69. Entre-temps, par une décision du 5 février 2007, le tribunal pour enfants confia F. aux soins des services de l’assistance publique de la municipalité de San Donato Milanese et établit sa résidence chez sa mère.

70. À l’appui de sa décision, il releva que Y.B. était affecté d’un trouble de la personnalité et que la requérante souffrait d’une névrose de type hystérique. Par ailleurs, le tribunal pour enfants chargea l’agence sanitaire locale (azienda sanitaria locale, « l’A.S.L. ») d’organiser des rencontres en milieu protégé entre le père et l’enfant et de mettre en place un suivi psychologique individuel pour le mineur et pour ses parents. Le tribunal souligna que l’échec éventuel de l’intervention des services sociaux, lorsqu’attribuable à l’un des parents, « aurait été évaluée aux fins de l’adoption de mesures plus drastiques sur l’autorité parentale, en vue de protéger le mineur ». Enfin, il prescrivit aux services sociaux de mettre en place « les contrôles nécessaires » et « de prendre contact avec le procureur de la République près le tribunal en cas de préjudice ».

71. Le 21 mars 2007, la requérante introduisit un recours devant la cour d’appel de Milan. Elle rappela d’abord que, à la suite de l’agression physique qu’elle avait subie et dénoncée au pénal et « à sa crainte que F. puisse être menacé par le comportement agressif de son père » elle avait demandé la déchéance de l’autorité parentale. Quant à la mesure prise par le tribunal, elle contesta que celle-ci fût fondée uniquement sur les indications figurant dans le rapport d’évaluation psychologique, selon lesquelles elle souffrait d’hystérie. Elle produisit à cet effet un autre rapport médical qui mettait en relief leur manque de fiabilité scientifique.

72. Elle alléguait aussi que la décision du tribunal aurait dû prendre en compte les rapports des services sociaux, selon lesquels elle avait offert à l’enfant un contexte positif pour son développement et pris à son encontre des décisions qui s’étaient toujours relevées positives pour son évolution. Elle demanda par conséquent l’obtention de la garde exclusive de l’enfant et la limitation de l’intervention des services sociaux à la seule réglementation, dans un environnement protégé, des relations entre le père et l’enfant.

73. La requérante faisait aussi valoir que la personnalité de Y.B. était ambiguë et complexe et que le rapport du 10 novembre 2006 concluait à un « trouble de la personnalité » sans toutefois spécifier de quelle typologie de trouble il était affecté. L’analyse psychologique de Y.B. aurait donc dû être plus approfondie.

74. Par une décision du 31 janvier 2008, la cour d’appel de Milan confirma la décision de première instance, compte tenu de l’existence de rapports conflictuels entre la requérante et son ex-compagnon et de la nécessité de garantir à l’enfant des relations équilibrées et paritaires avec ses deux parents. En outre, elle estima que la poursuite d’un suivi psychologique du mineur et des deux parents était nécessaire.

6. Les entretiens de la requérante avec les psychologues de la municipalité de San Donato Milanese

75. Le 12 décembre 2008, lors d’un entretien avec les psychologues de la municipalité de San Donato Milanese, la requérante rapporta que Y.B. avait eu des comportements agressifs et violents envers elle et lui avait fait subir des épisodes fréquents de harcèlement. Cet entretien fut suivi par quatre autres entrevues, avec lesdits psychologues, au début de l’année 2009.

76. Ainsi, le 9 janvier 2009, la requérante exprima ses inquiétudes pour son enfant et pour elle-même face aux comportements perturbants de Y.B. Elle indiqua qu’elle souhaitait se sentir davantage protégée, et fit part de son angoisse et de sa peur pour son fils et elle-même.

77. Le 23 janvier 2009, la requérante manifesta une grande appréhension à l’idée que les rencontres entre Y.B. et F. pussent se dérouler librement, hors milieu protégé, notamment en raison de la menace de Y.B. d’emmener l’enfant en Égypte, proférée à maintes reprises par le passé.

78. Le 12 février 2009, la requérante indiqua être sérieusement « en quête de protection et de sauvegarde (tutela) pour F. et être préoccupée que les services sociaux puissent libéraliser les rencontres de l’enfant avec son père ».

79. Le 25 février 2009, jour de l’infanticide de F., la requérante relata que Y.B. avait rôdé en bas de chez elle la veille au soir et elle déclara avoir très peur. Elle indiqua aussi avoir essayé de rassurer l’enfant à ce sujet.

2. L’infanticide

80. Le 25 février 2009, lors d’une rencontre en milieu protégé organisée par les services sociaux dans les locaux de l’A.S.L. de la municipalité de San Donato Milanese, Y.B. demanda à S.P., seul éducateur présent sur place, d’aller frapper à la porte du bureau d’un assistant social, prétextant qu’il devait parler à ce dernier, afin de l’éloigner.

81. Après que celui-ci se fut éloigné, Y.B. sortit un pistolet et tira à courte distance dans la nuque de l’enfant. Alerté par le bruit, S.P. revint immédiatement sur place. Le mineur n’ayant pas été touché mortellement (F. appuyait sur sa blessure avec ses mains), l’éducateur tenta, en vain, de le saisir par les bras pour l’éloigner de son père.

82. Y.B. menaça alors S.P., ainsi que les personnes qui étaient intervenues entre-temps, avec un couteau de vingt centimètres, puis il infligea plus de vingt coups de couteau[2] à F., avant de se donner la mort.

83. L’agression eut lieu vers 16 h 40 et l’enfant décéda de ses blessures à 17 h 37. L’autopsie exécutée sur le corps de l’enfant montra que, lors de son agression, le mineur avait tenté de se défendre, ce dont des blessures observées sur ses mains et ses bras témoignaient.

84. En outre, il ressortit de l’autopsie pratiquée sur le corps de Y.B. que, au moment des faits, celui-ci était sous l’effet de drogue (cannabis). En particulier, l’autopsie releva une quantité de cannabis dix fois supérieure à celle que la communauté scientifique considérait comme étant un indice de consommation chronique. L’autopsie concluait que Y.B. était un consommateur chronique de cannabis depuis les huit à dix mois précédant son décès.

3. La procédure pénale
1. La procédure en première instance

a) La plainte de la requérante

85. Le 24 mars 2009, la requérante saisit le tribunal de Milan d’une plainte pour homicide involontaire dirigée contre N.C., E.T. et S.P., auxquels elle reprochait de ne pas avoir mis en œuvre toutes les mesures aptes à assurer la protection de la vie de F. Elle demanda aussi audit tribunal de poursuivre tous ceux qui avaient pu avoir une responsabilité dans le décès de son enfant.

86. La requérante alléguait en particulier que les services sociaux avaient continué à favoriser la tenue des rencontres entre F. et Y.B. malgré les nombreuses plaintes qu’elle avait introduites et malgré les éléments attestant la dangerosité de Y.B. pour sa propre sécurité et celle de l’enfant. Elle se plaignait aussi de carences dans la prise en charge de Y.B., qui souffrait d’un trouble psychologique, et du fait que, bien que les services sociaux fussent à connaissance des problèmes de drogue de Y.B., ils n’aient pas estimé d’effectuer une quelconque expertise toxicologique à cet égard.

87. La requérante soulignait aussi une méconnaissance de ses obligations de protection par S.P., qui s’était éloigné, même si cela avait été pendant une courte durée, de F. et de Y.B. Elle déplorait également que Y.B. eût pu entrer dans les locaux de l’A.S.L. muni d’un pistolet et d’un couteau.

b) Les auditions de témoins

1. La requérante

88. La requérante fut entendue le 15 juin 2009. Elle indiqua que la mort tragique de son enfant aurait pu être évitée et rappela que quelques jours avant les faits, elle avait appelé les carabiniers car Y.B. l’avait suivie en voiture alors qu’elle était avec l’enfant. Une fois arrivée devant chez elle Y.B. avait arrêté la voiture au milieu de la rue et s’était approché de l’enfant. La requérante indiqua que Y.B. avait l’air « shooté », ses pupilles étant dilatées. L’enfant lui avait alors demandé pourquoi il se comportait ainsi, car il lui faisait peur. La requérante reporta qu’une fois arrivée au portail elle entra en fermant la porte derrière elle et appela tout de suite les carabiniers. Le même jour, Y.B. avait en effet essayé de rentrer au domicile de sa mère, en frappant la porte de manière insistante et en lui demandant de lui parler. Sa mère n’avait toutefois pas ouvert, effrayé par les menaces de mort qu’elle avait reçues auparavant.

89. La requérante relata les nombreux épisodes passés de menaces et indiqua que la personnalité et la dangerosité du père de son fils avaient été fortement sous-évaluées.

90. Elle signala aussi avoir été invitée par E.T. et la personne ayant effectué l’expertise à ne pas poursuivre sa demande de déchéance de l’autorité parentale car, d’après elles, cette demande aurait simplement augmenté la conflictualité avec Y.B.

2. Les autres témoins entendus à la demande du procureur

91. Le 16 juin 2009, le procureur demanda à la police de recueillir d’autres témoignages, en particulier du prêtre ayant suivi la requérante après le décès de son enfant, de la directrice de l’école de F. et de ses enseignantes, du père d’un camarade de F., du pédiatre de celui-ci, de M.S., ancien éducateur de l’enfant, et des psychologues ayant suivi la requérante.

92. La police rédigea un rapport le 23 octobre 2009 indiquant notamment que, d’après toutes les personnes entendues, la requérante avait toujours craint pour sa propre sécurité et que pour celle de son enfant, car Y.B. avait plusieurs fois menacé d’enlever le mineur et, dans la période antérieure aux faits, il avait dit à la requérante que « si l’enfant ne pouvait être avec lui, il n’aurait été avec elle non plus ». La requérante avait manifesté avec l’ensemble des témoins le sentiment de ne pas être réellement écoutée par E.T. et N.C., que celles-ci la traitaient avec superficialité et arrogance et ne l’écoutaient pas. Il rassortissait également que, d’après la requérante, E.T. et N.C. sous-estimaient fortement la dangerosité de Y.B.

93. En particulier, la directrice de l’école de F. et ses enseignantes reportèrent que la requérante craignait des violences de la part de Y.B. en particulier un possible enlèvement de l’enfant, et que la requérante avait demandé que celui-ci soit confié par l’école uniquement à elle-même ou à sa mère. En outre, ces témoins indiquèrent qu’aucune demande de contact n’avait été adressée à l’école par les services sociaux. Il ressortit aussi qu’à proximité des jours de rencontre avec son père, F. montrait systématiquement et clairement de l’angoisse et de la nervosité. La directrice remarqua notamment que les contacts avec les services sociaux avaient été inexistants, alors que, dans de situations d’enfants confiés à ces services, les contacts entre les services sociaux et l’école avaient lieu en règle générale trois fois par an.

94. Le père d’un camarade de F., témoigna de son côté avoir assisté à un appel téléphonique de Y.B. au domicile de la requérante quelques semaines avant l’infanticide, dans lequel celui-ci, de manière fortement altérée, lui disait « Je veux voir jusqu’où tu arrives, tu ne sais pas jusqu’où je peux arriver ». L’enfant avait été très effrayé et s’était ensuite approché de sa mère en la rassurant et en lui disant de ne pas s’inquiéter.

95. Le pédiatre de l’enfant avait référé que Y.B. était une présence passive, qu’il n’y avait pas d’après lui un vrai rapport père-enfant entre les deux. Il avait conseillé à la requérante de voir un psychologue car, d’après lui, la requérante n’était pas hystérique et les personnes qui s’occupaient de l’affaire n’étaient pas sur la bonne voie.

96. Les psychologues ayant suivi la requérante indiquèrent d’une part avoir signalé au tribunal pour enfants que les rencontres entre père et enfant devaient être espacées car Y.B. avait une attitude manipulatrice envers l’enfant et s’énervait à chaque fois qu’il nommait sa mère. L’enfant avait manifesté la crainte de voir son père, en particulier parce qu’il avait menacé de l’amener en Égypte. Les nuits suivantes les rencontres avec son père, l’enfant était agité, faisait des cauchemars et avait des épisodes d’énurésie nocturne. L’un des psychologues de la requérante tenta à plusieurs reprises de se mettre en contact avec les services sociaux concernant la situation de la requérante. Toutefois, un entretien lui fut nié car, d’après les services, en tant que thérapeute de la requérante, le psychologue « était de partie » et donc, pas objectif.

97. L’ancien éducateur de l’enfant référa de son côté que Y.B. était artificiel dans ses relations avec les services sociaux, qu’il n’était pas collaboratif et se relatait à lui de façon conflictuelle. Son but était en effet d’élargir les temps de visite avec F., circonstance que l’enfant même n’était pas prêt d’accepter, et ne supportait pas que cette possibilité lui fût niée. Il indiqua également n’avoir jamais reçu des consignes de sécurité particulières, malgré les menaces de Y.B. d’enlever F.

c) L’intégration de la plainte de la requérante

98. Le 19 novembre 2009, la requérante déposa une intégration de sa plainte. Elle demanda entre autres d’enquêter davantage sur l’absence de S.P., quoique temporaire, relativement au contrôle et à la protection de l’enfant et à son intervention effective au moment de l’agression. Elle demanda aussi que la lumière fût faite quant à l’opportunité de vérifier, avant la rencontre avec F., que Y.B. ne fût pas sous l’effet de stupéfiants, compte tenu des résultats de l’autopsie. Elle demanda donc l’acquisition du dossier médical de Y.B. près de l’hôpital et l’audition de douze témoins.

d) La demande de classement sans suite de l’affaire formulée par le procureur

99. Le 8 février 2011, le procureur spécifia que l’accusation était formulée à l’encontre de E.T., N.C. et S.P. et, le 16 février 2011, il demanda le classement sans suite de l’affaire. À cet égard, il indiqua que E.T et N.C. étaient responsables du suivi de la famille depuis 2005 et qu’elles s’étaient vu confier la mission de réglementer les relations entre F. et son père par la décision du tribunal pour enfants du 5 février 2007. En outre, il nota que l’éducateur S.P. avait remplacé l’éducateur M.S. au mois de mai 2008 et que son rôle avait consisté essentiellement dans l’encadrement des rencontres hebdomadaires entre le père et le fils.

100. Le procureur fit état d’une situation conflictuelle extrême entre les parents, tout en indiquant que cette situation n’avait toutefois pas donné lieu, de la part de la requérante, à un signalement d’un danger potentiel pour la sécurité physique (incolumità) de l’enfant lié à d’éventuels agissements du père.

101. Le procureur releva que E.T. et N.C. avaient certainement un rôle en matière de sûreté (garanzia), et de ce fait des obligations de protection et de contrôle, à l’endroit du mineur. Il précisa que, cela étant, les rencontres dont elles étaient responsables étaient « protégées » en ce sens que ces entrevues devaient permettre d’assurer la protection de l’enfant au regard de la situation conflictuelle qui existait entre les parents et non pas à raison d’une quelconque dangerosité du père envers son fils. Aussi, pour le procureur, la mort de l’enfant ne pouvait donc pas être considérée comme une matérialisation du risque que les mesures de protection étaient censées éviter.

102. Le procureur releva également qu’aucun élément survenu après la décision susmentionnée du tribunal pour enfants ne laissait présager un risque pour la sécurité de F. Selon lui, la conduite professionnelle de E.T. et N.C. n’était donc pas caractérisée par une négligence fautive (negligenza colposa) et, concernant S.P., il ressortait des faits que celui-ci avait entrepris tout ce qui était en son pouvoir pour éviter le décès de F.

103. Le 4 mars 2011, la requérante fit opposition à la demande du procureur. Elle releva notamment que celui-ci avait omis de prendre en compte les nombreux témoignages qui justifiaient un approfondissement de l’enquête (paragraphes 91 et suivants ci -dessus). En outre, le trouble mental de Y.B. et les possibles conséquences comportementales liées à sa pathologie n’avaient pas été pris suffisamment en compte. La requérante fit valoir aussi qu’une enquête supplémentaire aurait dû être menée quant au fait que M., psychologue ayant suivi la requérante et Y.B., ait tenté en vain de se mettre en contact avec les assistants sociaux, « ainsi portant atteinte au principe fondamental de l’échange d’informations ». En outre, plusieurs éléments prouvaient que Y.B. était un consommateur habituel de cannabis et sous l’effet d’une importante quantité de cannabis au moment des faits. Cette circonstance aurait nécessité aussi d’un approfondissement ultérieur en vue de déterminer les responsabilités découlant de faits de l’affaire.

e) Les témoignages recueillis par la défense de la requérante

104. Entre le 1er octobre 2010 et le 12 janvier 2012, plusieurs témoins furent entendus près du cabinet du conseil de la requérante afin de recueillir des informations, au sens de l’article 391-bis du code de procédure pénale.

105. E.G.B., l’une des psychologues ayant suivi la requérante, indiqua que la requérante était très angoissée en raison des comportements de Y.B. et qu’elle avait signalé que celui-ci avait des problèmes de drogue. Elle signala aussi qu’à la fin de la matinée du 25 février 2007, jour de l’infanticide de F., une rencontre avec le bureau « Protection des mineurs » ayant pour objet la situation de la requérante avait eu lieu, qu’elle transmit les informations concernant les angoisses de la requérante mais que, toutefois, ces informations n’engendrèrent aucune réponse ni réaction concrète. Elle se rappelait que la requérante était « terrorisée à l’idée que les rencontres entre père et enfant puissent être libéralisées ». Ayant eu accès aux pièces du dossier, elle avait appris que Y.B. était affecté par un trouble de la personnalité avec des traits antisociaux. Elle indiqua que « d’après l’expérience scientifique, [ce trouble] était généralement irrécupérable et, par rapport à celui-ci, un risque de dangerosité sociale était toujours présent ».

106. M.P., un ami de famille et père d’un enfant fréquentant la même école que F., référa que la requérante se plaignait de ce que les autorités interpellées n’avaient pas attribué assez de poids aux « messages qu’elle leur avait lancés ». Il signala aussi que la requérante était préoccupée car Y.B. apparaissait dangereux pour la santé de l’enfant, qu’il était affecté par des troubles psychologiques et qu’il avait des antécédents judiciaires pour drogue.

107. D.D., maréchal des carabiniers en fonction à l’époque des plaintes présentées par la requérante, indiqua qu’à la demande de cette dernière, le 20 janvier 2009, il avait essayé de joindre Y.B. par téléphone et ensuite sur le poste de travail, toutefois sans succès. Il fit remarquer que « puisque des procédures pénales étaient pendantes, il était du ressort de l’autorité judiciaire de prendre des mesures à l’encontre de Y.B. ». A la question de savoir s’il avait ensuite pris contact avec les services sociaux, D.D. indiqua que cela n’était pas le cas, car il ne connaissait pas les noms des opérateurs qui étaient en charge de l’affaire et qu’il n’était pas à connaissance des visites protégées.

108. S.M., conseil de la requérante jusqu’en 2009, signala que la requérante lui avait communiqué à plusieurs reprises le sentiment de ne pas être dûment écoutée et du danger existant pour elle et pour son enfant. Elle indiqua aussi avoir contacté E.T. entre la fin de janvier et le début de février 2009 pour lui signaler que le comportement de Y.B. s’était empiré, tel que la requérante l’avait signalé par une plainte le 20 janvier 2009. Y.B. avait en fait suivi la requérante et F. en voiture, il avait menacé la requérante en disant qu’« il lui aurait montré ce dont il était capable » et qu’il lui aurait fait enlever l’enfant. Selon les notes dont elle disposait encore, la phrase prononcée par Y.B. était la suivante : « si tu ne fais pas ce que je te dis ce sera la fin pour notre enfant ». En raison de ces propos, S.M. avait contacté E.T. Cette dernière l’invita toutefois à vérifier la crédibilité de la requérante et S.M. lui demanda donc de convoquer les deux parents pour une confrontation directe.

109. Elle indiqua aussi à E.T. que, dans son rôle de psychologue, elle aurait dû aller au-delà des apparences afin de comprendre quelle était la vraie personnalité des deux parents, tout particulièrement compte tenu de la position du mineur. E.T. lui avait alors demandé si elle était au courant que la requérante montrait F. à son père au-delà des rencontres protégées. S.M. signala alors que cela s’était passé uniquement une fois, dans une circonstance exceptionnelle, alors que Y.B. était hospitalisé pour un grave problème cardiaque et il avait exprimé le souhait de voir son fils.

110. E.T. indiqua aussi que la requérante l’« harcelait » (l’assillava) et qu’elle n’avait pas que cette affaire sur son bureau.

111. Au mois de décembre 2008, Y.B. avait présenté une demande pour changer les modalités de son droit de visite afin de pouvoir rencontrer F. en dehors de l’espace protégé. Cette circonstance avait fortement inquiété la requérante, qui avait contacté les services sociaux pour qu’ils interviennent afin que telle demande ne soit pas accueillie.

112. D.C., un ami et colocataire de Y.B. exposa avoir vécu avec Y.B. après qu’il avait quitté le domicile de la requérante. Y.B. lui avait confié que le sens de sa vie était d’amener l’enfant avec lui en Égypte et qu’afin de réaliser ce projet il avait besoin d’argent. Il travaillait donc le soir et il s’était aussi inscrit sur un site pornographique en proposant des prestations sexuelles. Il avait aussi trafiqué de la drogue pour recueillir la somme nécessaire. Il indiqua que, dans la période de leur cohabitation, Y.B. fumait du cannabis et haschich tous les jours, matin et soir, et qu’il consommait et trafiquait aussi d’autres substances.

113. D.C. communiqua aussi que, à la sortie de l’hôpital, en raison de sa relation plus proche avec la requérante, Y.B. avait changé d’attitude avec lui, il était agressif et l’avait menacé de mort, il était mauvais et avait sorti sa vraie personnalité. Après trois mois, il avait quitté l’appartement et lorsque D.C. le croisé il apparaissait maigri, pâle, sous l’effet de drogue ou alcool et dans un état altéré.

f) Le rejet de la demande de classement sans suite et le jugement d’acquittement

114. Par une ordonnance du 27 juillet 2011, le juge des investigations préliminaires (« G.I.P. ») près le tribunal de Milan rejeta la demande de classement sans suite et requit du procureur l’établissement d’un acte d’accusation à l’encontre de E.T., N.C. et S.P. pour complicité de meurtre par omission fautive (concorso omissivo colposo in omicidio doloso).

115. Ces derniers demandèrent à être jugés dans le cadre de la procédure abrégée (rito abbreviato). Une audience eut lieu le 3 février 2012, lors de laquelle la requérante se constitua partie civile.

116. Par un jugement du 10 février 2012, le juge des investigations préliminaires acquitta E.T., N.C. et S.P., au motif qu’ils n’avaient pas commis les faits reprochés. Pour se prononcer ainsi, il estima notamment que, s’il ne pouvait pas être contesté que les préoccupations de la requérante étaient bien fondées et qu’en l’occurrence les services sociaux avaient échoué dans leur mission, l’analyse de l’affaire devait se faire à l’aune de la prévisibilité de la matérialisation du risque.

117. Le juge considéra que la décision de confier F. à l’assistance publique ne découlait pas de la nécessité d’assurer la sécurité physique du mineur, mais plutôt de celle de garantir « un développement adéquat de l’enfant en présence de parents inadéquats ». Il nota par ailleurs que le besoin d’assurer la sécurité physique de l’enfant n’avait pas émergé pendant la procédure et que, bien que le comportement de Y.B. fût ambigu, il avait montré un attachement à l’enfant, émergeant notamment du témoignage de D.C., et n’avait jamais manifesté d’intentions violentes envers son fils.

118. De plus, le juge releva que la consommation habituelle de cannabis de la part de Y.B. n’avait jamais été signalée aux services sociaux et que le fait que celui-ci s’était trouvé sous l’effet d’une quantité importante de stupéfiants au moment des faits ne pouvait pas peser sur la situation de S.P. Quant au trouble de la personnalité de Y.B., le tribunal considéra qu’aucun détail n’avait été fourni dans l’expertise quant à la typologie de la pathologie en cause.

2. La procédure en appel

119. Le procureur général et la requérante interjetèrent appel, respectivement le 15 et le 21 mars 2012.

120. Dans son recours, la requérante souligna en particulier que le fait que Y.B. soit un consommateur habituel de cannabis était connu par les autorités et que de plus, celui-ci souffrait d’un trouble de la personnalité. Elle faisait valoir aussi le lien entre consommation de stupéfiant et maladie mentale en ce que la consommation de drogue aurait pu faciliter la perte de contrôle dans les comportements de Y.B., compte tenu de ses troubles.

121. Par un arrêt du 17 juillet 2013, la cour d’appel infligea une peine de quatre mois d’emprisonnement à E.T. En outre, elle condamna cette dernière à verser à la requérante un dédommagement de 50 000 EUR à de titre de provision (provvisionale).

122. La cour d’appel releva notamment que E.T. était responsable des décisions concrètes concernant les modalités de contrôle des rencontres et qu’en l’espèce elle avait omis de vérifier l’évolution des relations entre le père et le fils et de prendre les mesures nécessaires, au regard notamment de la consommation par Y.B. de cannabis, de son trouble de la personnalité, de ses violences envers son ex-compagne et de son comportement menaçant et agressif.

123. Quant à N.C. et S.P., elle considéra qu’ils avaient eu un simple rôle d’exécution des décisions prises par E.T., et, par conséquent, elle prononça leur acquittement.

3. La procédure en cassation

124. Le 28 novembre 2013, la requérante, E.T. et le procureur se pourvurent en cassation. Dans le cadre de leurs pourvois respectifs, la requérante et le procureur soutenaient notamment que N.C. et S.P. étaient aussi pénalement responsables dans l’affaire.

125. La requérante faisait valoir en particulier la dangerosité de Y.B. et la circonstance que celui-ci ait pu entrer armé dans le A.S.L.

126. Par un arrêt déposé au greffe le 6 mars 2015, la Cour de cassation fit droit au pourvoi de E.T., annula sans renvoi l’arrêt de la cour d’appel, prononça l’acquittement de E.T. au motif que les faits reprochés ne s’étaient pas produits (« perché il fatto non sussiste ») et confirma l’acquittement de N.C. et S.P. De l’avis de la Cour de cassation, l’élément constitutif de la culpabilité de E.T. faisait défaut en l’espèce. En particulier, la Cour suprême releva ce qui suit :

« L’application à la présente affaire des principes de droit rappelés ci-dessus fait apparaître que l’appréciation exprimée par la cour d’appel quant au rôle de garant (posizione di garanzia) assuré par [E.T.] à l’égard du mineur [F.], dans le cadre de la décision ayant infirmé l’acquittement prononcé en première instance, est entachée par la violation susmentionnée de la loi causée par une identification erronée des obligations d’empêcher un délit (obblighi impeditivi) mises à la charge de la psychologue en question. En fait, dans l’analyse de la source spécifique qui est à l’origine de l’obligation juridique d’empêcher l’évènement – à savoir la décision du tribunal pour enfants du 5 février 2007, qui a été confirmée en appel –, la [cour d’appel] est tombée dans un malentendu irrémédiable sur les objectifs spécifiques sous-jacents à la décision en vertu de laquelle l’enfant a été confié aux soins de la municipalité de San Donato Milanese.

Comme l’a bien justement souligné la juge des investigations préliminaires auprès du tribunal de Milan dans le jugement de première instance, il y a lieu de relever que la décision du tribunal pour enfants du 5 février 2007 découlait non pas de la nécessité de protéger la sécurité physique de l’enfant mais de la nécessité de garantir son développement adéquat en présence de parents inadéquats ; c’est dans ces limites que l’étendue du contrôle demandé à l’organisme public devait être interprétée.

À cet égard, les considérations suivantes, issues de l’analyse fort utile de la décision adoptée par le premier juge, sont éclairantes : le tribunal pour enfants, malgré une demande formée en ce sens par Antonella Penati, n’avait pas ordonné la déchéance de l’autorité parentale de [Y.B.] ; parmi les différentes modalités suivant lesquelles [F.] pouvait être confié aux soins de la municipalité de San Donato Milanese, le tribunal pour enfants avait retenu une solution consistant à mettre en œuvre des actions de soutien éducatif, scolaire et psychologique en faveur de l’enfant ; l’organisation des rencontres entre l’enfant et son père, dans un cadre protégé, avait été formalisée dans la perspective d’une « possibilité d’élargissement, éventuellement en dehors d’un cadre protégé », lorsque les conditions seraient remplies ; c’était le caractère conflictuel des rapports entre les parents qui avait amené le tribunal pour enfants à prévoir la mise en place, d’une part, d’un espace de soutien psychologique « individuel » pour chacun des parents et, d’autre part, d’un espace de médiation « entre les parents ».

Sur ce point, il y a donc lieu d’observer que le premier juge a affirmé à juste titre que le rôle de garant assuré par la psychologue [E.T.], qui découlait de la décision de confier l’enfant aux soins de la municipalité de San Donato Milanese, n’impliquait pas une obligation de protéger [F.] contre un risque d’agression physique de la part de son père.

Il convient à ce stade de souligner que l’on ne peut pas non plus considérer que [E.T.], employée [operatrice] des services sociaux de la municipalité de San Donato Milanese, ait omis d’assurer les contrôles ordonnés par le tribunal pour enfants dans la décision de confier l’enfant à la municipalité, c’est-à-dire que l’employée ait sous-estimé les indicateurs de la possible agressivité du père vis-à-vis de l’enfant. Il importe à cet égard de relever que, par sa décision du 31 janvier 2008 ayant confirmé la mesure de prise en charge adoptée par le tribunal pour enfants de Milan, la cour d’appel de Milan avait explicitement considéré : que la tâche de « vérifier » la qualité de la relation existant entre le père et l’enfant devait être effectuée par l’organisme auquel l’enfant avait été confié [l’Ente affidatario], en tant que « tiers » par rapport aux parents ; et que cette vérification avait pour objet d’éviter que l’organisation des rencontres entre le père et le fils fût influencée par les « besoins et l’état émotionnel de la mère, laquelle avait au départ engagé la procédure tendant à la déchéance de l’autorité parentale du père ».

En conclusion, la teneur globale des mesures judiciaires qui en l’espèce déterminent le contenu des obligations de protection ayant reposé spécifiquement sur les employés de l’organisme auquel l’enfant était confié [l’Ente affidatario] montre de façon indéniable que les objectifs de protection étaient orientés uniquement vers le soutien éducatif et psychologique de l’enfant, face à la situation conflictuelle exacerbée qui régnait entre les parents ».

4. La procédure civile

127. Dans l’intervalle, le 14 mars 2011, la requérante et sa mère, G.B., engagèrent une procédure civile devant le tribunal de Milan à l’encontre de E.T., N.C., S.P., de la coopérative sociale « Libera Compagnia di Arti e Mestieri Sociali » (ci-après, « la coopérative »), employeur de l’éducateur S.P., et de la municipalité de San Donato Milanese.

128. À la suite de la constitution de partie civile de la requérante dans la procédure pénale (paragraphe 115 ci-dessus), par une ordonnance du 26 juillet 2012, le tribunal de Milan déclara l’extinction de la procédure civile concernant E.T., N.C. et S.P. La procédure civile se poursuivit donc uniquement à l’encontre de la coopérative et de la municipalité.

129. Par un jugement du 21 juin 2016, le tribunal rejeta la demande des parties demanderesses. Celles-ci interjetèrent appel.

130. Par la suite, les parties demanderesses renoncèrent à leur action, une transaction étant intervenue entre les parties le 6 octobre 2017. Les parties pertinentes de cette transaction se lisent comme suit :

« Acte de transaction et renonciation simultanée à la procédure

Entre, d’une part, Mme Antonella Penati (...) et Mme G.B. [mère de la requérante] (...) et, de l’autre part, la coopérative, la Mairie de San Donato Milanese, parties défenderesses, et [deux compagnies d’assurance], tierces parties appelées à comparaître dans la cause.

Considérant que :

1. L’affaire R.G. no 3383/2016, ayant pour objet la responsabilité pour le décès de l’enfant [de la requérante], F.B., au sens des articles 2043, 2048 et 2049 du code civil, est pendante devant la cour d’appel de Milan ;

2. En première instance, N.C., E.T. et S.P. étaient parties dans ladite affaire ;

3. Ces parties défenderesses ont été par la suite exclues de la procédure par une décision du tribunal de Milan déclarant l’extinction de la procédure quant à celles-ci ;

4. Par un jugement du 21 juin 2016, le tribunal a rejeté les demandes des parties demanderesses ;

5. Une procédure en appel a été interjetée ;

6. Toutes les parties actuellement présentes dans l’affaire estiment qu’il y a lieu de clôturer le contentieux susmentionné par voie extra-judiciaire, sans qu’une quelconque admission de responsabilité concernant les faits faisant l’objet de la cause de la part de la Mairie de San Donato Milanese et de la coopérative puisse en être déduite, [les parties mentionnées] parviennent donc à un tel accord exclusivement dans une perspective pro bono pacis ;

7. Les parties estiment que, pour des raisons fonctionnelles l’accord susmentionné déploie ses effets également vis-à-vis des parties exclues (...).

Article 1 : Objet [de la transaction]

1.1 Les [deux compagnies d’assurance] s’engagent à verser la somme de 50 000 EUR en faveur de Mme Antonella Penati et, en même temps, renoncent à la répétition de la somme de 50 000 EUR qui a déjà été versée à celle-ci dans le cadre de l’exécution provisoire de l’arrêt de la cour d’appel pénale de Milan du 17 juillet 2013, par la suite annulé par la Cour de Cassation (...).

1.2 Mme Antonella Penati accepte cette offre de 50 000 EUR et la renonciation à la répétition de la provision de 50 000 EUR et déclare de n’avoir plus rien à prétendre à n’importe quel titre, raison ou cause, même qui n’aurait pas encore été invoqué, vis-à-vis de la Mairie, de la coopérative et des respectifs associés, administrateurs, employés ou collaborateurs, y compris N.C., E.T. et S.P., ainsi que de [deux compagnies d’assurance], toute prétention de sa part ayant été satisfaite et [clôturée]. En particulier, la partie demanderesse renonce à tout type d’action, demande, prétention et/ou droit, qui peut même être relié de manière occasionnelle à l’objet du contentieux et à tout autre type de demande rattachée ou reliée.

1.3 Par la souscription du présent contrat Mme Antonella Penati, la Mairie de San Donato Milanese, la coopérative et les [deux compagnies d’assurance], déclarent renoncer aux actes du contentieux en appel aux conditions suivantes.

Article 2 Fin de l’objet du litige (cessazione della materia del contendere)

La Mairie de San Donato Milanese, la coopérative (...) déclarent renoncer aux actes du contentieux aux conditions suivantes.

Article 3 Confidentialité

La Mairie de San Donato Milanese, la coopérative d’un côté et Mme Antonella Penati et Mme G.B. de l’autre côté s’engagent à ne pas révéler à des tierces personnes les termes et le contenu du présent accord, exception faite pour le cas de poursuite des objectifs fixés ou prévus par la loi ainsi que de l’exercice du droit de défense et de protection, aussi en relation avec les obligations prévues par l’article 3 sub 3.5.

3.2 La Mairie de San Donato Milanese, la coopérative d’un côté et Mme Antonella Penati et Mme G.B. de l’autre côté s’engagent à ne pas divulguer l’information concernant la transaction une fois qu’elle a eu lieu.

3.3 La Mairie de San Donato Milanese et la coopérative d’un côté et Mme Antonella Penati et Mme G.B. de l’autre, dans l’exercice de leur droit de parole et de critique, garantis par la Constitution, s’engagent a référer (dare atto) de la vérité des faits, telle qu’elle ressort de l’arrêt de la Cassation pénale ayant acquis force de chose jugée et du jugement de première instance, attaqué par Mme Penati et ayant acquis force de chose jugée à la suite de la renonciation à l’appel.

3.4 Mme Antonella Penati et Mme G.B. s’engagent à ne pas faire, publier ou distribuer quelconque déclaration ayant un contenu calomnieux (contenuto denigratorio) ou portant atteinte à l’honneur ou à l’image de la coopérative, de ses administrateurs, employés ou collaborateurs, y compris S.P., ainsi que de la Mairie de San Donato Milanese de ses administrateurs, employés ou collaborateurs, y compris N.C. et E.T., par rapport aux faits faisant l’objet de la cause.

3.5 En tout cas Mme Antonella Penati s’engage à ne pas prendre de initiatives portant préjudice à la réputation ou au parcours professionnel des individus indiqués à l’article 3.4 ou de tout autre employé ou collaborateur de la Mairie de San Donato Milanese qui soit impliqué, directement ou indirectement, dans les faits de la cause.

Article 4 Réserve d’action

Mme Antonella Penati se réserve tout droit [d’action] (ogni e qualsiasi facoltà) concernant les responsabilités éventuelles qui devaient émerger, aussi devant un juge différent du juge italien, imputables à des individus, entités ou institutions différentes par rapport à celles faisant partie ou nommées dans le présent accord.

Article 5 Renonciation à l’action

Mme G.B. (...) renonce à toute action envers N.C., E.T., S.P., la Marie de San Donato Milanese, la coopérative et des respectives associés, administrateurs, employés et collaborateurs afin de réclamer la réparation du dommage ou toute autre montant à titre contractuel, extracontractuel ou quasi-contractuel, en relation aux faits faisant l’objet de la cause et en particulier en relation avec le décès de son petit-fils, F.B., en réglementant directement avec sa fille toute question financière.

Article 6 Pénalité

Lorsque Mmes Antonella Penati et G.B. devaient ne pas respecter l’interdiction de communication et divulgation faite à l’article 3 sub 3.2, .3.3 et 3.4 ainsi que les obligations ultérieures prévues par l’article 3.5 elles devront verser aux parties auxquelles les informations se réfèrent (...) une pénalité de 5 % de la somme qui leur est attribuée au sens de l’article 1 du présent accord, pour chacune des violations (...).

Article 7 Acceptation des renonciations et compensation des frais

Toutes les parties déclarent d’accepter les renonciations des autres parties aux actes du contentieux et aux demandes faisant l’objet de la procédure actuellement pendante devant la cour d’appel de Milan, avec compensation intégrale des frais (...). »

2. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

131. Le droit et la pratique internes pertinents sont rappelés dans l’affaire Talpis c. Italie (no 41237/14, §§ 49-55, 2 mars 2017).

132. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code civil sont libellées comme suit :

Article 342 bis – Mesures de protection contre les abus familiaux

« Lorsque le comportement du conjoint ou du concubin cause un préjudice grave à l’intégrité physique ou morale ou à la liberté de l’autre conjoint ou concubin, le juge peut (...), par une ordonnance, adopter une ou plusieurs des mesures visées à l’article 342 ter. »

Article 342 ter – Contenu des mesures de protection

« Par l’ordonnance [adoptée en application de] l’article 342 bis, le juge ordonne au conjoint ou au concubin qui a eu le comportement préjudiciable de cesser ledit comportement, et décide [son] éloignement du domicile familial (...) [en lui faisant interdiction], si nécessaire, de s’approcher des lieux fréquentés habituellement par la partie demanderesse, en particulier du lieu de travail, du domicile de la famille d’origine, ainsi que du domicile d’autres parents ou d’autres personnes et [de s’approcher] des établissements d’éducation des enfants du couple, sauf si la personne doit fréquenter ces endroits pour des raisons professionnelles (...)

Par la même ordonnance, le juge (...) fixe la durée de la mesure de protection (...) qui, dans tous les cas, ne peut pas dépasser six mois et qui peut être prorogée, à la demande de la partie demanderesse, uniquement si les motifs graves persistent et pour le temps qui est strictement nécessaire.

(...) En cas de difficultés dans l’exécution de ladite mesure, le juge peut prendre une ordonnance prescrivant les mesures de mise en œuvre les plus appropriées, y compris [l’intervention] de la force publique et [des services sanitaires] »

133. Par ailleurs, en sa disposition pertinente en l’espèce, le code de procédure pénale se lit comme suit :

Article 391-bis du code de procédure pénale – Entretien, recueil de déclarations et d’informations de la part du conseil

(...)

2. Le conseil ou son remplaçant peuvent demander aux [personnes en mesure de fournir des informations utiles aux fins de l’activité d’investigation] (...) de rendre des informations qui seront documentées (...).

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

134. La requérante se plaint d’une méconnaissance par les autorités nationales de leur obligation positive découlant de l’article 2 de la Convention, en ce qu’elles auraient omis d’adopter toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie de son enfant. Elle dénonce notamment dans ce contexte les graves omissions des autorités auxquelles son enfant avait été confié, tout en mettant en cause de manière générale les comportements de l’État en tant que tel et dans son ensemble.

135. Sous l’angle du volet procédural de l’article 2 de la Convention, la requérante reproche aux autorités internes de ne pas avoir mené des investigations ayant pour vocation de faire la lumière sur toutes les circonstances entourant l’évènement tragique en cause, de déterminer tous les facteurs ayant contribué au décès de l’enfant et d’examiner l’importance de la défaillance du système à pourvoir une réaction prompte et appropriée au danger existant pour la santé et la vie de l’enfant F. La requérante se réfère notamment aux arguments soulevés dans le cadre de son opposition à la demande de classement sans suite de l’affaire (paragraphe 103 ci-dessus).

136. L’article 2 de la Convention est ainsi libellé en sa partie pertinente :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) »

1. Sur la recevabilité
1. Sur l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes

a) Thèse du Gouvernement

137. Se référant uniquement au volet matériel du grief de la requérante tiré de l’article 2 de la Convention, dans ses observations du 3 avril 2018, le Gouvernement observe ce qui suit :

« Si aujourd’hui la requérante voulait se plaindre des décisions adoptées ex article 336 du code civil par le tribunal pour enfants et la cour d’appel ou de la gestion des dénonciations pénales (...) par les carabiniers de San Donato Milanese, il faudrait constater qu’elle n’a jamais donné aux autorités internes la possibilité de redresser la violation, ni devant le juge civil ni devant le juge pénal, avant de saisir la Cour. L’affaire a donc pour objet exclusivement (ou surtout) les défaillances des services de support à la famille et aux enfants par l’administration locale (la Commune de San Donato Milanese) et par les services sociaux. »

138. Dans les mêmes observations, le Gouvernement poursuit en observant :

« Dans notre cas précis, trois autorités différentes internes sont intervenues entre mars 2005 et février 2008 : les juridictions, les forces de l’ordre, les services sociaux. L’action des juges et des carabiniers n’a jamais été mise en cause par la requérante dans les procédures internes. À cet égard il faut rappeler que ni le père ni la mère n’avaient été déchus de la responsabilité parentale (...) [qui] avait été limitée au sens de l’article 333 du code civil dans le sens que la Commune devait prédisposer un soutien (éducatif, scolaire, psychologique) pour l’enfant et avait la faculté de réglementer les rencontres père-fils initialement dans un espace protégé et observé, avec la possibilité par la suite d’élargir progressivement ces rencontres même sous forme non-protégées. (...) Hors de ce domaine spécifique aucune action (légitime) n’était forclose. Plus spécifiquement la mère aurait pu proposer un recours devant le tribunal pour enfants pour demander la modification des conditions ou même l’exclusion du droit de visite et d’autres mesures de protection (déchéance du père de la responsabilité parentale, placement de la mère et de l’enfant dans une structure protégée). (...) »

139. Dans ses observations complémentaires et sur la satisfaction équitable, déposées le 10 juillet 2018, se référant cette fois-ci à l’ensemble de la requête, donc aux deux volets, matériel et procédural, de l’article 2, le Gouvernement ajoute que la requérante n’a pas exercé d’action en indemnisation contre l’État, prétendument responsable des actes et des omissions des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions. La requérante aurait en outre omis d’actionner les juges et la gendarmerie pour homicide involontaire ou pour manquement aux devoirs relevant de leurs fonctions (omissione di atti d’ufficio) sur le fondement de l’article 328 du code pénal.

140. Dans ses commentaires du 10 janvier 2019, le Gouvernement indique que la demande par laquelle la requérante a sollicité du tribunal de Milan la poursuite de tous ceux qui avaient pu avoir une responsabilité dans le décès de son enfant, exprimée par l’intéressée dans sa plainte du 24 mars 2009, correspond à une simple formule de style et que, au plus tard au stade du renvoi en jugement, qui ne concernait que E.T., N.C. et S.P., il était évident que l’action pénale ne pouvait continuer à l’encontre d’autres personnes.

b) Thèse de la requérante

141. La requérante indique que la question de l’épuisement des voies de recours internes n’a été soulevée explicitement par le Gouvernement que dans le cadre de ses observations complémentaires et sur la satisfaction équitable du 10 juillet 2018. Elle considère qu’à ce stade le Gouvernement était forclos à formuler une telle exception.

142. En tout état de cause, elle dit avoir introduit sa plainte non seulement à l’encontre des agents des services sociaux, mais également à l’encontre de tous ceux qui pouvaient être responsables du décès de son enfant.

c) Appréciation de la Cour

143. En ce qui concerne les arguments du Gouvernement soulevés quant aux volets matériel et procédural de l’article 2 et ayant trait aux possibles actions à intenter contre l’État ainsi que contre les juges et la gendarmerie sur le fondement de l’article 328 du code pénal, la Cour constate qu’ils ont été exposés pour la première fois dans les observations complémentaires et sur la satisfaction équitable et dans les commentaires.

144. La Cour note en revanche que d’autres arguments, concernant uniquement le volet matériel de l’article 2 de la Convention, ont été soulevés dans les observations sur la recevabilité et sur le bien-fondé de l’affaire déposées le 3 avril 2018. La thèse de la forclusion avancée par la requérante doit donc être rejetée quant à cette partie des observations.

145. Le Gouvernement excipe, quoique de manière plutôt générale, que la requérante ne s’est pas plainte au niveau interne du comportement des juges et de la gendarmerie, qu’elle aurait pu utiliser les voies civiles ou pénales et introduire un recours afin de voir déclarer la déchéance de l’autorité parentale du père ou d’obtenir son propre placement et celui de l’enfant dans une structure protégée.

146. Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que les dispositions de l’article 35 § 1 ne prescrivent l’épuisement que des seuls recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, 25 mars 2014 et McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010). En particulier, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006‑II). En outre, il appartient au Gouvernement de justifier, en s’appuyant sur la jurisprudence interne, de l’évolution, de la disponibilité, de la portée et du champ d’application du recours qu’il invoque (Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, § 90, CEDH 2015).

147. Dans le cas d’espèce, la Cour constate que le Gouvernement n’a pas démontré quelles voies civiles ou pénales la requérante aurait pu concrètement utiliser ni dans quelle mesure les demandes auxquelles il fait référence (la déchéance de l’autorité parentale du père et la demande d’obtenir un placement) auraient pu remédier aux griefs de la requérante. De plus, le Gouvernement ne se réfère pas aux sources du droit national applicables ni fournit à la Cour des exemples de jurisprudence interne pertinente.

d) Conclusion quant à l’exception de non-épuisement des voies de recours internes

148. Dès lors, la Cour conclut que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement dans le cadre de ses observations sur la recevabilité et le fond de l’affaire uniquement quant au volet matériel de l’article 2 de la Convention doit être rejetée.

149. Elle constate aussi que le Gouvernement était forclos de soulever l’exception de non-épuisement, concernant les volets matériel et procédural de l’article 2, au stade de ses observations complémentaires et sur la satisfaction équitable et dans ses commentaires (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, §§ 51‑54, 15 décembre 2016).

2. Sur l’exception du Gouvernement tirée du défaut de la qualité de « victime » de la requérante

a) Thèse du Gouvernement

150. Dans ses observations du 3 avril 2018 sur la recevabilité et sur le bien-fondé de l’affaire, en se référant aux affaires Calvelli et Ciglio c. Italie ([GC], no 32967/96, CEDH 2002‑I), Powell c. Royaume-Uni ((déc.), no 45305/99, CEDH 2000‑V) et Vo c. France ([GC], no 53924/00, CEDH 2004‑VIII), le Gouvernement plaide que la requérante a renoncé définitivement à tout droit à indemnisation à la suite de la transaction intervenue le 6 octobre 2017 dans le cadre de la procédure civile.

151. À ce sujet, il précise dans ses observations complémentaires déposées le 10 juillet 2018, ne pas exciper « de la perte survenue de la qualité de victime de la requérante » mais considérer uniquement que celle-ci « a renoncé à faire la lumière sur l’étendue de la responsabilité des services sociaux quant au décès de son enfant ».

152. Le Gouvernement argue toutefois, dans ses commentaires du 10 janvier 2019, que la transaction susmentionnée, intervenue au civil, entraîne « l’irrecevabilité de la requête ».

b) Thèse de la requérante

153. La requérante indique que, selon la jurisprudence de la Cour, la perte de la qualité de victime est subordonnée à la reconnaissance de la violation de la part des autorités étatiques ainsi qu’à la réparation de la violation subie, conditions qui feraient défaut en l’espèce.

c) Appréciation de la Cour

1. Concernant le volet matériel de l’article 2 de la Convention

154. Il y lieu de relever d’abord que la requérante se plaint de la violation de l’article 2 de la Convention sous ses deux volets, matériel et procédural. Quant au premier volet, en matière de négligences imputables à l’État, la Cour a déjà conclu qu’au vu du règlement amiable de l’affaire au civil, compte tenu de l’utilisation des remèdes internes disponibles, de l’obtention d’une somme substantielle en dédommagement et de la renonciation à la continuation de l’affaire, on ne saurait plus se prétendre victime du grief soulevé sous l’angle du volet matériel de l’article 2 et elle a conclu donc à l’irrecevabilité de cette partie de la requête (voir Bailey c. Royaume-Uni (déc.), no 39953/07, 19 janvier 2010).

155. Ainsi, la Cour considère qu’ayant accepté la somme de 100 000 EUR afin de régler à l’amiable la procédure civile entamée à l’encontre de la coopérative employant S.P. et de la Mairie de San Donato Milanese et ayant renoncé à tout type d’action à l’encontre des contreparties à la transaction, la requérante ne peut plus se prétendre victime du grief qu’elle soulève sous l’angle du volet matériel de l’article 2.

156. Cette partie de la requête est donc incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et doit être déclarée irrecevable au sens de l’article 35 §§ 3 et 4.

2. Concernant le volet procédural de l’article 2 de la Convention

157. En revanche, il n’en va pas de même concernant le volet procédural du même article (voir Bailey, précité et Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie [GC], no 24014/05, § 130, 14 avril 2015).

158. La Cour relève que les faits de l’espèce, ayant trait à une mort infligée non-intentionnellement de la part des accusés, se rapprochent à ceux des affaires dans lesquelles les victimes se trouvaient sous la responsabilité des autorités nationales. La Cour se réfère notamment aux affaires de suicide en prison (Molga c. Pologne (déc.), no [78388/12](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2278388/12%22%5D%7D), § 88, 17 janvier 2017 et Bailey, précitée) et de décès pendant le service militaire (Turgut c. Turquie (déc.), no [64625/11](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2264625/11%22%5D%7D), 30 août 2016).

159. La particularité de la présente affaire réside en effet en ce qu’au moment de l’infanticide, l’enfant de la requérante était confié aux soins d’un organisme étatique, la municipalité de San Donato Milanese, chargé d’organiser des rencontres entre père et enfant en milieu protégé ainsi que de mettre en place les contrôles nécessaires afin d’éviter tout préjudice (voir paragraphe 70 ci-dessus et, mutatis mutandis, Branko Tomašić et autres c. Croatie, no 46598/06, § 10, 15 janvier 2009, dont les faits sont similaires à ceux de l’espèce mais dans laquelle toutefois, la relation entre les victimes et l’auteur des faits n’était pas règlementée par les autorités nationales). La rencontre incriminée, ayant eu lieu dans les locaux publics de l’ASL, était donc issue d’une décision appartenant uniquement à l’autorité publique et organisée exclusivement par celle-ci.

160. Les circonstances de l’espèce se rapprochent donc à celles dans lesquels les évènements sont survenus « dans une zone placée sous le contrôle exclusif des autorités ou des agents de l’État ou bien dans des locaux plus ou moins inaccessibles au public, où les protagonistes sont réputés être les seuls susceptibles, d’une part, de connaître le déroulement exact des faits et, d’autre part, d’avoir accès aux informations propres à confirmer ou à réfuter les allégations formulées à leur endroit par les victimes ; aussi la jurisprudence de la Cour en la matière commande-t-elle, dans des situations déterminées, une application rigoureuse de l’obligation de mener une enquête officielle, de nature pénale, répondant aux critères minimums d’effectivité » (Gençarslan c. Turquie (déc.) no [62609/12](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2262609/12%22%5D%7D), § 19, 14 mars 2017).

161. Or, dans les affaires Molga et Turgut rappelées au paragraphe 158 ci-dessus, en évaluant la qualité de victime sous l’angle du volet procédural du grief tiré de l’article 2, la Cour a attribué une importance cruciale au fait que les victimes étaient sous la responsabilité de l’État, cela en dépit de l’obtention d’une somme au civil, qui ne relevait que pour le volet matériel du grief.

162. La Cour en conclut que le cas d’espèce relève d’une situation dans laquelle la réaction judiciaire exigée était de nature pénale et que la requérante n’a pas perdu sa qualité de victime au regard du volet procédural du grief qu’elle soulève sous l’angle de l’article 2 de la Convention (voir Molga, précité, § 79).

163. De surcroît, la Cour observe que la qualité de victime de la requérante doit être évaluée à la lumière du grief qu’elle soulève sous l’angle du volet procédural de l’article 2. Or, la requérante ne se plaint pas de la responsabilité dans le décès de son fils de l’un ou l’autre individu ou entité, mais elle dénonce l’inefficacité de l’enquête au sens large, en ce que, d’après elle, les investigations n’ont pas permis de reconstituer les faits de l’affaire ni d’en identifier les responsables.

164. La Cour est de l’avis que, vu sous cet angle, l’objet de la transaction, dont les contreparties n’étaient que la coopérative employant S.P., acquitté au pénal à tout stade de la procédure, et la Mairie de San Donato Milanese, ne correspond pas aux doléances de la requérante devant la Cour. À l’article 4 de la transaction, celle-ci s’était d’ailleurs réservée le droit de saisir d’autres juges que celui italien « concernant les responsabilités éventuelles imputables aux individus, entités ou institutions différentes de celles faisant partie de l’accord ».

165. Dans ce contexte, la Cour estime que, même si elle avait continué par la voie contentieuse, la procédure civile entamée par la requérante, qui avait déjà fait l’objet d’un rejet en première instance et était pendante en appel, aurait pu difficilement avoir comme résultat l’élucidation de l’ensemble des faits et des responsabilités de l’affaire, tel que requis par l’article 2 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Tikhonova c. Russie, no 13596/05, § 79, 30 avril 2014 et Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 157, 25 juin 2019).

166. Enfin, il y a lieu de relever que, dans ses observations complémentaires du 10 juillet 2018, le Gouvernement a précisé quant à lui que la renonciation de la requérante à tout droit d’indemnisation suite à la transaction ne comportait pas en soi la perte de la qualité de victime de celle-ci.

3. Conclusion sur la recevabilité de la requête

167. Tout en rappelant ses conclusions concernant l’irrecevabilité de la partie de la requête portant sur le volet matériel de l’article 2 de la Convention (voir paragraphe 155 ci-dessus), la Cour constate que le grief tiré du volet procédural de l’article 2 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable. Par ailleurs, il y a lieu de préciser que la seule procédure pénale, et non pas aussi celle civile, est en cause en l’espèce.

2. Sur le fond
1. Thèse des parties

168. La requérante estime que le fait que la procédure pénale entamée à la suite de son dépôt de plainte s’est terminée sans qu’aucun responsable du décès de son fils ne soit identifié s’analyse en une violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural.

169. Elle observe que l’enquête n’a pas été approfondie et n’a pas fait la lumière sur toutes les circonstances entourant les événements tragiques afin d’identifier les responsables de la mort de F., survenue alors que l’enfant était sous le contrôle exclusif de l’État. Dans ses observations complémentaires du 10 octobre 2018, en répondant à l’argument du Gouvernement selon lequel elle n’aurait pas exercé d’action contre l’État en omettant ainsi d’épuiser les voies de recours internes, la requérante argumente qu’elle n’a pas exercé son action pénale uniquement à l’encontre des assistants sociaux mais aussi contre tous ceux qui avaient pu avoir une responsabilité dans le décès de son enfant. Dans ce contexte, elle explique qu’à la suite du dépôt de sa plainte, le parquet de Milan a ouvert un dossier de poursuite contre X enregistré le 2 avril 2009. Après deux ans d’investigations, le parquet a décidé de porter des accusations uniquement à l’encontre des fonctionnaires des services sociaux, alors que des responsabilités pouvaient peser sur la Mairie de San Donato Milanese, chargée de la protection de l’enfant, sur les magistrats du tribunal pour enfants, ayant décidé de confier l’enfant à la Mairie, ou sur les responsables des forces des polices, auxquels la requérante s’était adressée à maintes reprises.

170. Le Gouvernement plaide que la durée de la procédure a été raisonnable et que l’enquête a été effective et impartiale. Il indique que le procureur a participé activement à la procédure et la police a enquêté sur l’ensemble des éléments signalés par la requérante. La requérante et plusieurs témoins ont été entendus, les autopsies et un rapport toxicologique ont été obtenus au cours de la procédure et l’ensemble des documents pertinents ont été examinés. Ainsi, l’article 2, sous son volet procédural, n’a pas été violé.

171. Le Gouvernement estime enfin que les observations de la tierce partie (paragraphes 172 et suivants ci-dessous) sont générales et dépourvues de fondement.

2. Observations du tiers intervenant

172. L’association UDI indique que, selon le droit interne, les rencontres en milieu protégé ont pour objectif d’encadrer les visites entre parents et enfants dans des situations familiales certes conflictuelles, mais non caractérisées par un contexte de violence.

173. La tierce partie indique aussi qu’en l’espèce les rencontres ont été menées de manière superficielle, faute d’expertise psychologique réalisée sur l’enfant, qui aurait manifestement été mal à l’aise, et en dépit des lignes directrices sur « les services en matière de droit de visite et de relations » établies par la province de Milan.

3. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

174. La Cour rappelle qu’au titre de son obligation de protéger le droit à la vie, l’État doit aussi s’assurer qu’il dispose, dans les cas de décès ou de blessures physiques potentiellement mortelles, d’un système judiciaire effectif et indépendant qui permette à bref délai d’établir les faits, de contraindre les responsables à rendre des comptes et de fournir aux victimes une réparation adéquate (Nicolae Virgiliu Tănase, § 157, précité).

175. En outre, dans certaines circonstances exceptionnelles il peut être nécessaire aux fins de l’article 2 qu’une enquête pénale effective soit menée, même en cas d’atteinte involontaire au droit à la vie ou à l’intégrité physique. Il peut en être ainsi, par exemple, lorsque le décès ou la mise en danger résulte du comportement d’une autorité publique qui va au‑delà d’une erreur de jugement ou d’une imprudence, lorsqu’un décès survient dans des circonstances suspectes ou lorsqu’un particulier a délibérément et inconsidérément transgressé les obligations qui lui incombaient en vertu de la législation applicable (ibidem, § 160 et le références qui s’y trouvent citées).

176. Dans les cas de décès, la Cour a jugé que lorsqu’il n’est pas établi d’emblée et de manière claire que le décès est résulté d’un accident ou d’un autre acte involontaire et lorsque la thèse de l’homicide est, au vu des faits, au moins défendable, la Convention exige qu’une enquête répondant aux critères minimum d’effectivité soit menée qui vise à faire la lumière sur les circonstances du décès. Le fait que l’enquête retienne finalement la thèse de l’accident n’a aucune incidence sur cette question, puisque l’obligation d’enquêter a précisément pour objet d’infirmer ou confirmer les thèses en présence. En pareilles circonstances, l’obligation de mener une enquête officielle effective existe même quand l’auteur présumé de l’atteinte en cause n’a pas la qualité d’agent de l’État (ibidem, § 161).

177. L’article 2 de la Convention n’implique nullement le droit pour un requérant de faire poursuivre ou condamner au pénal des tiers (voir, mutatis mutandis, Perez c. France [GC], no [47287/99](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2247287/99%22%5D%7D), § 70, CEDH 2004-I). En revanche, les juridictions nationales ne doivent en aucun cas s’avérer disposées à laisser impunies des atteintes injustifiées au droit à la vie. Cela est indispensable pour maintenir la confiance du public et assurer son adhésion à l’État de droit, ainsi que pour prévenir toute apparence de tolérance d’actes illégaux ou de collusion dans leur perpétration (voir, mutatis mutandis, Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no [24746/94](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2224746/94%22%5D%7D), §§ 108, 136‑140, CEDH 2001‑III).

178. La tâche de la Cour consiste donc à vérifier si et dans quelle mesure les juridictions peuvent passer pour avoir soumis le cas devant elles à l’examen scrupuleux que demande l’article 2 de la Convention, pour que la force de dissuasion du système judiciaire mis en place et l’importance du rôle que celui-ci se doit de jouer dans la prévention des violations du droit à la vie ne soient pas amoindries (Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, § 96, CEDH 2004‑XII, précité, Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 306, CEDH 2011 (extraits)).

179. En astreignant l’État à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction, l’article 2 impose à celui-ci le devoir d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations. Ladite obligation requiert, par implication, qu’une enquête officielle effective soit menée lorsqu’il y a des raisons de croire qu’un individu a subi des blessures potentiellement mortelles dans des circonstances suspectes, nonobstant l’absence de la qualité d’agent de l’État de l’auteur présumé de l’atteinte à la vie de l’intéressé (Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie, précité, § 171).

180. En outre, dans les cas de pertes de vies humaines dans des circonstances de nature à engager la responsabilité de l’État, le volet procédural de l’article 2 impose à l’État de garantir, par tous les moyens à sa disposition, une réponse appropriée – judiciaire ou autre – permettant au cadre législatif et administratif conçu pour protéger le droit à la vie d’être mis en œuvre comme il se doit et garantissant la répression et la sanction de toute atteinte à ce droit (Budayeva and Others v. Russia, nos. 15339/02 and 4 others, § 138, ECHR 2008 (extracts) Nencheva et autres c. Bulgarie, no 48609/06, § 109, 18 juin 2013).

181. Enfin la Cour relève que dans les affaires d’homicide, l’article 2 est interprété en ce sens qu’il implique une obligation de mener une enquête officielle non seulement en raison de ce que toute allégation d’un tel délit entraîne normalement une responsabilité pénale mais aussi parce que souvent les informations liées aux circonstances réelles du décès sont en grande partie détenues par des agents ou des autorités de l’État (voir Tikhonova, précité, § 79).

b) Application en l’espèce

182. La Cour relève que, dans la présente affaire, la requérante a pu soumettre ses doléances devant les juridictions grâce aux recours qui lui étaient ouverts en droit interne afin de faire la lumière sur les causes du décès de son enfant (voir paragraphes 174, 177 et 181 ci-dessus).

183. Sur le plan pénal, la Cour a pour tâche d’examiner si les autorités italiennes ont conduit l’enquête conformément aux exigences de diligence et de promptitude requises par l’article 2 de la Convention (Nencheva et autres c. Bulgarie, no 48609/06, §§ 126 et 127, 18 juin 2013). En particulier, la Cour doit rechercher si, dans les circonstances de l’affaire, les investigations ont été approfondies, impartiales et attentives.

184. Elle relève d’abord que la requérante a saisi le tribunal de Milan de sa plainte le 24 mars 2009. Au cours de l’enquête, de nombreux témoins ont été entendus par la police à la demande du procureur. Ces auditions ont été suivies par un rapport du 23 octobre 2009 et intégrées par les témoignages recueillis par la défense de la requérante, au sens de l’article 391-bis du code de procédure pénale. En outre, la requérante a été entendue personnellement au cours de la procédure et a pu également intégrer sa plainte (voir paragraphes 88 et 98 ci-dessus).

185. À la lumière de l’ensemble des preuves recueillies, par un jugement du 10 février 2012, le tribunal de première instance a décidé d’acquitter E.T., N.C. et S.P., à savoir ceux qui avaient été indiqués par la requérante comme étant principalement les auteurs des faits incriminés, considérant que l’analyse de l’affaire devait se faire à l’aune de la prévisibilité de la matérialisation du risque, qui faisait défaut en l’espèce, et que la responsabilité des opérateurs des services sociaux était limitée au développement adéquat de l’enfant et ne s’étendait pas à sa sécurité physique.

186. Après l’arrêt de la cour d’appel du 17 juillet 2013, concluant à la responsabilité pénale de la seule E.T., le 6 mars 2015, la Cour de cassation a annulé sans renvoi ledit arrêt et, sur la base essentiellement des mêmes arguments du tribunal de première instance, a conclu à l’acquittement de E.T.

187. La Cour constate donc que la procédure pénale en examen, ayant duré environ quatre ans pour trois degrés de juridiction, a satisfait à exigence de promptitude prévue par l’article 2 de la Convention.

188. Quant à l’effectivité de l’enquête, la Cour est de l’avis que les autorités ont pris en l’espèce les mesures raisonnables dont elles disposaient pour obtenir les preuves relatives aux faits de l’affaire. Des nombreux témoins ont été entendus, une autopsie a été exécutée sur les corps de F. et de Y.B., un examen toxicologique quant à Y.B. a été mené et les autorités ont disposé des rapports nécessaires à l’évaluation des faits, notamment ceux des services sociaux, ainsi que d’une expertise psychologique concernant la requérante et Y.B. (voir Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie, précité, § 174).

189. La Cour ne s’estime pas compétente pour analyser plus avant les conclusions des juridictions internes et elle garde à l’esprit que c’est au premier chef aux autorités nationales qu’il incombe d’appliquer et interpréter la législation interne (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999‑I).

190. Dans la mesure où les obligations de l’État défendeur sont de moyens et non pas de résultat, le fait que les trois accusés ont été acquittés ne permet pas en soi de conclure que la procédure pénale concernant le décès de F. n’a pas répondu aux exigences de l’article 2 de la Convention.

191. La Cour relève également que l’action civile entamée par la requérante à l’encontre de la coopérative employant S.P. et de la Mairie de San Donato Milanese a été clôturée par la signature, le 6 octobre 2017, d’un règlement amiable entre les parties dans le cadre duquel une somme substantielle a été octroyée à la requérante.

192. Il s’ensuit, aux yeux de la Cour, que l’article 2 de la Convention sous son volet procédural n’a pas été violé en l’espèce.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, le grief portant sur le volet matériel de l’article 2 de la Convention irrecevable ;
2. Déclare, à la majorité, le grief portant sur le volet procédural de l’article 2 de la Convention recevable ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 mai 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Renata DegenerKsenija Turković
GreffièrePrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion en partie dissidente, en partie concordante de la juge Koskelo à laquelle se rallient les juges Wojtyczek et Sabato ;

– opinion en partie dissidente, en partie concordante du juge Sabato ;

– opinion séparée du juge Felici.

K.T.U.
R.D.

PARTLY DISSENTING AND PARTLY CONCURRING OPINION OF JUDGE KOSKELO, JOINED BY JUDGES WOJTYCZEK AND SABATO

Summary of the background

1. The present case arises out of an extremely tragic event. The applicant’s young son was brutally killed by his father during a supervised visit at the premises of a local authority. In the wake of the attack on his child, the father killed himself.

2. Owing to the suicide, no criminal proceedings could be conducted against the perpetrator. The issue at the domestic level was limited to the question whether any negligent acts or omissions by State agents had contributed to the killing of the child. Criminal charges were brought against three employees of the local authority and the social cooperative. All were in the end acquitted. Civil proceedings were brought against the three employees and their employers, namely the local authority and the cooperative. Those proceedings were concluded by a settlement under the terms of which the applicant received a total of 100,000 euros in compensation for non-pecuniary damage.

Common ground: victim status lost in respect of the substantive limb of Article 2

3. The Chamber concluded unanimously that the applicant’s complaint under the substantive limb of Article 2 was inadmissible because, owing to the redress afforded to her under the terms of the settlement of her civil claim, she no longer had victim status before the Court (see paragraphs 154‑156 of the present judgment). We fully subscribe to this conclusion.

The main point of disagreement

4. The remaining issue, on which we disagree with the majority, concerns the admissibility of the applicant’s complaint under the procedural limb of Article 2. Unlike the majority, we consider that this complaint, too, is inadmissible. There are distinct grounds for such inadmissibility. The first concerns the issue of victim status. We consider, in the light of the circumstances of the case and based on the Court’s established case-law, that the applicant no longer had victim status in respect of the procedural limb of Article 2 either. On this point, we find that the position taken by the majority not only deviates from the principles enshrined in the Court’s existing case-law but, moreover, stems from policy views for which no substantive reasons are provided and which the Court has no justification to impose on the States Parties.

The important question behind the question

5. Although the issue is addressed in the context of victim status, the crux of the matter concerns an interpretation of the obligations arising for the States Parties under the procedural limb of Article 2. Thus, there is an important question of substance behind the question of victim status. The position taken by the majority (see paragraph 162 of the judgment) entails that the duty to investigate possible negligent acts or omissions by State agents in the context of a death caused by an intentional criminal act committed by a private individual can only be satisfied by conducting a criminal investigation.

6. Such an approach is, in our view, both ill-founded and inappropriate as a general Convention standard to be observed by all States Parties. In this context, it is important to note at the outset that there is a key distinction to be maintained between the duty to pursue under criminal law the perpetrators of intentional killings, and the duty to ensure an effective procedural framework for dealing with the questions of accountability and responsibility of public authorities and officials against whom no suspicions or allegations of intentional misconduct are at issue. The sole context of the present case is the latter.

Deviation from the Court’s established case-law

7. As already indicated, the position taken by the majority is not in line with the Court’s case-law.

8. Remarkably, the majority (see paragraph 160 of the judgment) rely on the decision in Gençarslan v. Turkey (no. 62609/12, 14 March 2017) notwithstanding, and without mentioning, the fact that the Court’s conclusion in that case was the opposite of the one adopted by the majority in the present case, namely that the circumstances of that case did not require an investigation in the form of criminal proceedings (see paragraph 23 of the cited decision: “les actes ou omissions qui ont pu jouer un rôle dans la survenance de cette tragédie, aussi regrettables fussent-ils, ne s’inscrivent pas (...) dans un cadre dans lequel la réaction judiciaire exigée serait de nature pénale”).

9. The position under the Court’s established case-law on the procedural obligation under Article 2 entails, firstly, that there should be an effective official investigation when an individual has died or sustained life‑threatening injuries in suspicious circumstances, even when the presumed perpetrator of the attack is not a State agent (see Menson v. the United Kingdom (dec.), no. 47916/99, ECHR 2003-V; Zashevi v. Bulgaria, no. 19406/05, § 56, 2 December 2010, with many further references; and Mustafa Tunç and Fecire Tunç v. Turkey [GC], no. 24014/05, § 171, 14 April 2015).

10. In the present case, the circumstances of the death were not unclear: the child was intentionally killed by his father, who immediately took his own life as well. The duty to investigate the brutal crime committed by the father is not as such at issue in the present case. The primary facts of the lethal attack were known from the outset.

11. Secondly, however, the procedural obligation may entail a duty to investigate the involvement of persons other than the immediate perpetrator in the commission of the lethal crime. In the present case, no suspicions or allegations have been raised, whether by the applicant or otherwise, of any intentional involvement by State agents or other third persons in the crime committed by the child’s father. No such duty is at issue in the present case either.

12. However, the procedural obligation may also comprise an additional duty to investigate whether negligent acts or omissions on the part of officials had directly contributed to the child’s tragic killing. It is clear in the Court’s case-law that the discharge of this duty does not necessarily require the conduct of a criminal investigation. Other types of proceedings may well satisfy this procedural obligation (see, for instance, the ample case-law most recently cited in Ribcheva and Others v. Bulgaria, nos. 37801/16 and 2 others, § 129, 30 March 2021, not yet final). This line of case-law is both well-established and well-founded.

13. In cases where non-intentional acts or omissions are concerned, the Court has held that there may be exceptional circumstances where an effective criminal investigation is necessary to satisfy the procedural obligation imposed by Article 2. Such may be the case where a life was lost or put at risk because of the conduct of a public authority which goes beyond an error of judgment or carelessness, or where a life was lost in suspicious circumstances or because of the alleged voluntary and reckless disregard by a private individual of his or her legal duties under the relevant legislation (see Nicolae Virgiliu Tănase v. Romania [GC], no. 41720/13, § 160, 25 June 2019, with further references). The present case involves no allegations of that nature.

14. The Court has also emphasised that possible defects in the relevant proceedings and the decision‑making process must amount to significant flaws in order to raise an issue under the State’s procedural obligations. In other words, the Court is not concerned with allegations of errors or isolated omissions but only significant shortcomings which are apt to undermine the investigation’s capability of establishing the circumstances of the case or the person responsible (see S.M. v. Croatia [GC], no. 60561/14, § 320, 25 June 2020).

15. In support of their view that a criminal investigation was required in the present case, the majority also rely on cases where, notwithstanding the loss of victim status under the substantive limb of Article 2, such loss did not stand in the way of the examination of a complaint as far as the procedural limb of Article 2 was concerned. The cases cited concern deaths that occurred while the deceased was imprisoned (Molga v. Poland (dec.), no. 78388/12, 17 January 2017) or performing compulsory military service (Turgut v. Turkey (dec.), no. 64625/11, 30 August 2016).

16. In this regard it must be noted, firstly, that while these last cases reaffirm the well-established requirement that an effective ex officio investigation must be conducted in those situations because the individual is detained or, in the case of compulsory military service, otherwise placed under the custody and exclusive control of State authorities, that does not mean that the duty to investigate the circumstances of the death can only be satisfied by the conduct of a criminal investigation even in situations where there is no suspicion or allegation of any intentional involvement by State agents (see, for instance, Panovy v. Russia (dec.), no. 21024/08, § 56, 1 December 2020).

17. Secondly, it is not reasonable in our view to equate situations such as detention or compulsory military service with circumstances where public authorities are essentially charged with the provision of services designed to fulfil the State’s positive obligations in fields such as health or social care. In this context, it is important to note that in the present case the child was not entrusted to public care. The protective measures put in place by the domestic court were primarily based on the conflictual relationship between the child’s parents and were of a limited nature, consisting in the provision of support for the child’s educational and psychological development as well as the organisation of supervised visits between the child and his father (see paragraph 126 of the judgment, citing in this respect the judgment of the Court of Cassation).

18. The fact that there was a court decision regulating the arrangements for the exercise of contact rights between the child and the father, requiring the involvement of the local social services for the organisation and supervision of the contact sessions, is not in our view sufficient to justify equating such circumstances with situations of State-ordained deprivation of liberty or compulsory military service. In the field of healthcare, for instance, the Court’s established case-law – for sound reasons – makes it clear that criminal investigations are not mandatory for compliance with the procedural obligations arising under Article 2 in cases where lives are lost because of alleged medical negligence. This is so although individuals may end up in emergency care even regardless of their own will or choice to obtain critical treatment in circumstances where their lives depend on the care that is provided. The context of the present case does not belong to the same category as either imprisonment or compulsory service in the military.

19. More generally, the Court has rightly held that the States Parties have a margin of appreciation in choosing how to comply with their positive obligations under the Convention (see, for instance, Lambert and Others v. France [GC], no. 46043/14, § 144, ECHR 2015 (extracts), and Lopes de Sousa Fernandes v. Portugal [GC], no. 56080/13, § 216, ECHR 2017). Thus, they enjoy – and should continue to enjoy – considerable freedom in the choice of the means designed to ensure that their domestic systems meet its requirements (see, albeit in different contexts, König v. Germany, 28 June 1978, § 100, Series A no. 27; Taxquet v. Belgium [GC], no. 926/05, §§ 83 and 84, ECHR 2010; and Finger v. Bulgaria, no. 37346/05, § 120, 10 May 2011).

The question of policy

20. When a tragic event such as the one giving rise to the present case occurs in the context of public services, it is of course important to investigate the circumstances to find out the reasons which may have played a role, to review the procedures and practices and to determine any changes that may be required with a view to preventing similar events in the future. It would, however, be fundamentally misguided to impose, as a matter of Convention law, recourse to criminal law and criminal investigations as a panacea for the fulfilment of such needs.

21. According to the Court’s case-law, the basic purposes of the procedural obligation are to ensure that the facts can be established and those responsible made accountable. While judicial proceedings may ultimately be necessary to establish responsibilities and provide redress where appropriate, there is no reason for the Court to regard, and to impose, criminal proceedings as the prime and sole means of compliance with the State’s procedural obligations in a context such as the one at issue in the present case.

22. On the contrary, in many fields of public services, such as health or social care, there are no grounds to believe that the best option to comply with the above requirements would necessarily consist in relying on the criminal justice system and the authorities in charge of the enforcement of criminal law. Indeed, specialised supervisory bodies with substantive expertise in the field may be better placed to carry out investigatory functions in such contexts for the purpose of ascertaining the facts. Nor is there any reason to insist that accountability and redress can only effectively be ensured through criminal proceedings. Remedies under civil law may be substantively enhanced by introducing strict liability, or procedurally reinforced by reversal of the burden of proof and/or by adjustment of the standard of proof, whereas criminal responsibility remains subject to proof of individual guilt beyond reasonable doubt. Paradoxically, the present case is one in which the criminal proceedings resulted in acquittals whereas the civil proceedings were concluded with a generous settlement in favour of the applicant!

23. Obviously, there may be situations where recourse to criminal proceedings is called for even if no intentional acts or omissions are suspected (as cited above, the Court’s case-law refers in this regard to exceptional situations where the conduct of a public authority goes beyond an error of judgment or carelessness). There is, however, no reasonable justification for the Court to introduce the use of criminal proceedings as a general requirement, thus removing the margin of appreciation. Nor is there any valid ground for assuming that only criminal proceedings may be capable of offering an effective procedural framework to satisfy the procedural obligations. In fact, the majority offer no substantive arguments whatsoever to justify their insistence on recourse to criminal proceedings. When it comes to systemic issues of this nature, strong reasons would be required for the Court to impose a uniform organisational model for the fulfilment of the procedural obligations arising under Article 2. The majority provide no reasons at all. The change in the case-law which this position would entail is therefore far from convincing.

Loss of victim status in respect of the procedural limb

24. For the reasons set out above, we consider that the majority are mistaken in holding that the applicant retained victim status on the grounds that the circumstances of the case were of a kind which made a criminal-law response mandatory under Convention law.

25. What is more, however, it is a matter of fact that criminal proceedings did take place in the present case, resulting in the final acquittal of the accused by the judgment of the Court of Cassation of 6 March 2015 (see paragraphs 124-126 of the judgment). The civil proceedings in turn reached their final conclusion later, with the settlement agreed on 6 October 2017. According to the terms of the settlement, the applicant undertook to refrain from pursuing any further action against the parties covered by the settlement (see point 1.2. of the agreement, cited in paragraph 130 of the judgment and below)[3].

26. This unequivocal waiver, which occurred after the final conclusion of the criminal proceedings, cannot but entail that the applicant must be considered to have lost her victim status also in regard to any complaints raised under the procedural limb of Article 2 in relation to the parties to the settlement.

27. Besides our disagreement regarding the issue of principle addressed above, namely the proposition that the procedural obligations could only be satisfied by recourse to criminal proceedings, it is difficult to understand the manner in which this matter is dealt with in this specific case. According to the judgment (paragraph 165), the civil proceedings would not have been capable of satisfying the requirements of elucidation of the facts and responsibilities in connection with the child’s death. This conclusion is drawn notwithstanding the fact that, as already mentioned, (i) the primary facts relating to the killing were clear from the outset; (ii) criminal proceedings against the perpetrator were excluded by his suicide; and (iii) criminal proceedings had already been conducted, and finally concluded, more than two years prior to the settlement. In these circumstances, the position taken by the majority in paragraph 165 can only be understood as implying that the applicant was entitled to have further criminal investigations conducted, on a broad front, not only against the employees of the local authority and social services, but also against those in the judicial branch and law enforcement who had been involved in decisions relating to the child and the applicant’s conflict with the child’s father. Remarkably, however, when it comes to the merits of the applicant’s complaint, this aspect is not addressed in any way at all. On the contrary, unlike in their reasons concerning victim status, the majority in that context turn to acknowledging the limited nature of the duty to have recourse to criminal investigations as set out in the Court’s case-law (see paragraph 175 of the judgment). The examination of the merits contains no discussion of any need for investigations beyond the ones that were already conducted and concluded long before the settlement of the civil claim.

28. In other words, the arguments that were decisive for the justification by the majority of retained victim status play no role whatsoever in their assessment of the merits of the complaint. While this discrepancy and inconsistency in the judgment is baffling, it appears to further demonstrate that the line taken in the context of victim status is not well-founded.

Other grounds for inadmissibility

29. To the extent that the applicant’s unspecific complaints could be understood as raising grievances relating to acts or omissions by entities or persons other than the parties to the settlement (in respect of which victim status was lost), it must be noted at the outset that such acts or omissions could raise issues under the procedural limb of Article 2 only if they were causally relevant to the child’s death. The duty to investigate the circumstances which may have contributed to the lethal outcome cannot reasonably extend to matters that are causally too remote to be linked to the fatal event triggering the duty. In this regard, it is of particular importance that any grievances based on alleged failures by the authorities to fulfil their procedural obligations should first be raised at the domestic level.

30. In the present case, the applicant initially had recourse to a criminal complaint which, on the one hand, was directed at three identified employees of the local social services, and on the other hand called for action to be pursued against any other persons whose responsibility might be engaged in connection with her child’s death (see paragraph 85 of the judgment). The first part of the criminal complaint resulted in charges being brought against the three individuals concerned (who were subsequently acquitted by the final judgment of the Court of Cassation rendered on 6 March 2015), whereas the latter, unspecified, part did not give rise to specific investigations or charges.

31. Following the decision taken by the prosecutor on 27 July 2011 only to bring charges against the three individuals cited in the first part of the applicant’s complaint (see paragraph 114 of the judgment), it must have become clear to the applicant that there would be no charges against any other persons. Yet she took no further action to pursue any allegations of failure to investigate possible acts or omissions by any other public officials in relation to the child’s death, nor did she pursue a civil claim against any persons or entities other than the parties to the subsequent settlement. The only further step taken was the lodging of the complaint before the Court more than four years later (on 3 September 2015), still without any specific indication of which acts or omissions by which other bodies or persons were allegedly causally linked with the child’s death and thus capable of engaging the procedural obligation to investigate.

32. Under such circumstances, the Court was in no position to identify and determine, as the first and only instance, whether any significant shortcomings had occurred in the investigation, and such a complaint should not be admissible under Article 35 § 1. In this context, it is important to note the Court’s case-law to the effect that applicants must introduce their complaints before the Court without undue delay once it is apparent that there is no realistic prospect of a favourable outcome or progress for their complaints domestically (see Sokolov and Others v. Serbia (dec.), nos. 30859/10 and 6 others, § 31, 14 January 2014).

33. In our opinion, the applicant cannot be considered to have complied with the six-month rule in so far as her complaints purported to allege that the respondent State had breached its procedural obligations under Article 2 on account of a failure to investigate acts or omissions by entities or persons other than those covered by the settlement.

Conclusion

34. For the above reasons, we consider that the applicant’s complaints are inadmissible under both the substantive and the procedural limb of Article 2.

35. As the majority declared the complaint under the procedural limb of Article 2 admissible, we voted against finding a violation on that account. In the circumstances of the case, the procedural obligations as set out in the Court’s case-law have not been breached.

PARTLY DISSENTING, PARTLY CONCURRING OPINION OF JUDGE SABATO

1. Introduction

1. As has been well explained in Judge Koskelo’s separate opinion, in which I joined, I agree with the majority that the applicant’s complaint under the substantive limb of Article 2 of the Convention is inadmissible, while I regret being unable to subscribe to the majority’s finding that the complaint under the procedural limb of the same provision is admissible. Indeed, this finding by the majority introduces a development which departs from the previous case-law of the Court, as – again – Judge Koskelo’s separate opinion explained clearly.

2. Having said this, I consider that a few additional remarks may be useful to fully highlight some other serious questions that the majority’s approach raises.

2. THE RELATIONSHIP BETWEEN THE SETTLEMENT OF DOMESTIC LITIGATION AND THE RETENTION OF VICTIM STATUS IN AN APPLICATION BEFORE THE COURT

3. The applicant – the mother of a child tragically killed by the child’s father – lodged her application with the Court on 3 September 2015 (see paragraph 1 of the judgment); the Government were given notice of the application two years later, on 9 November 2017 (see paragraph 4 of the judgment).

4. Before the application to the Court:

(i) on 4 March 2011 the applicant filed an objection against the Italian public prosecutor’s request to the judge to discontinue the criminal investigations instituted against E.T. (the psychologist), N.C. (the social worker) and S.P. (the educational expert, the only one of the three who was present at the crime scene, having been in charge of the mediation session between father and son on the premises of the local health authority – “A.S.L.” – see paragraphs 70 and 80 of the judgment). In her complaint of 24 March 2009 the applicant had herself identified these professionals as unintentional accomplices in the killing owing to the failure to take protective measures (see paragraph 85 of the judgment);

(ii) ten days after the filing of the above-mentioned objection, that is, on 14 March 2011 – while the processing of the objection was beginning (an order was granted on 27 July 2011 – see paragraph 114 of the judgment) – the applicant (and her mother) lodged a civil lawsuit, once more against E.T., N.C. and S.P., as well as their employers, one of which was a municipal authority (see paragraph 127 of the judgment);

(iii) on 3 February 2012, since the judge of the criminal court had found merit in the objection and convened a hearing, the applicant joined the criminal proceedings as a civil party, subsequently also lodging two sets of appeals (see paragraphs 115, 119 and 124 of the judgment);

(iv) at this point a problem arose owing to the impossibility, under Article 75 of the Italian Code of Criminal Procedure, of having two civil claims pending at the same time (the civil-party application in the criminal trial and the claim in a civil court). Under the said provision the judge in the civil court, by an order of 26 July 2012, discontinued the proceedings in that court in so far as they related to E.T., N.C. and S.P., while the proceedings continued against their employers (see paragraph 128 of the judgment);

(v) on 17 July 2013 the criminal court of appeal found E.T. guilty and ordered an advance payment of 50,000 EUR pending the determination of damages (see paragraph 121 of the judgment); as later becomes apparent, the amount was paid by an insurance company (see § 1.2 of the settlement agreement cited in paragraph 130 of the judgment[4]);

(vi) on 6 March 2015 the Court of Cassation rendered a final judgment dismissing the applicant’s appeal in the criminal proceedings (see paragraph 126 of the judgment), thus rendering the advance payment devoid of purpose.

5. In this context the application to the Court was lodged, as has been mentioned, on 3 September 2015. Subsequently, on 21 June 2016 the civil claim against the employers of E.T., N.C. and S.P. was rejected. The applicant and her mother lodged an appeal (see paragraphs 129-30 of the judgment).

6. Following negotiations, on 6 October 2017 – one month before the Government were informed of the application lodged with the Court – the applicant and her mother entered into a settlement agreement with two insurance companies and the employers of E.T., N.C. and S.P. (one of which was a municipal authority), under the terms of which a total amount of EUR 100,000 was paid (including the EUR 50,000 already awarded in the criminal proceedings). For her part, the applicant waived any right or action linked, even incidentally, to (either civil or criminal) litigation and any connected claim, and undertook to represent the truth of the facts as reflected in the judgment of the Court of Cassation in the criminal proceedings, and in the first-instance judgment in the civil proceedings, and to refrain from any act liable to harm the image of the persons involved; the settlement also applied to the benefit of E.T., N.C. and S.P. (see §§ 1.2, 3.3, 3.4, and 3.5 of the settlement agreement, and recital 7).

7. The settlement – which contained clauses providing for confidentiality (§ 3) and penalties for possible breaches (§ 6) – also included a clause (§ 4) which read as follows:

“Ms Antonella Penati reserves every right [to take action] based on possible liability that may be established, even in proceedings before judges other than those of the Italian judiciary, on the part of individuals, entities or institutions other than the parties or beneficiaries named in the present agreement.”

8. On the basis of the above considerations, I feel obliged to respectfully dissent from the Court’s finding (in paragraph 164 of the judgment) that the above mentioned § 4 of the settlement agreement would allow for (or impose) the conclusion, despite the Government’s objection, that the applicant’s victim status was partly retained (that is, as far as the procedural limb of Article 2 is concerned; the majority recognise in paragraph 155 of the judgment that the applicant lost victim status with regard to the substantive limb of the claim).

9. The essence of the majority’s position (as developed in the above‑mentioned paragraph 164) lies in two arguments:

(i) the interests underlying the settlement (which the majority traces back only to the civil lawsuit) are distinct from those involved in the application to the Court;

(ii) the only other parties to the settlement agreement are the employers.

10. Both arguments seem very problematic. The agreement has a very wide scope, as it includes a waiver by the applicant of any right to take action linked, even incidentally, to either civil or criminal litigation and any connected claim, and makes reference to both the judgment of the Court of Cassation in the criminal proceedings and the judgment of the first-instance civil court. This is also quite obvious, since – after the unusual duplication of civil actions before the criminal and the civil courts, which the discontinuance order of 26 July 2012 had to resolve – the civil claims became fragmented, while being “functionally” linked (this is the expression used by the parties in recital 7 of the settlement). Also, no conclusions as to victim status can be drawn, in my opinion, from the fact that the parties to the settlement were the employers of E.T., N.C. and S.P. Indeed, aside from the fact that there were also two insurance companies, it is well known that a settlement can be concluded for the benefit of third parties not signatory to the agreement: this is very common in the case of insurers and/or employers which also settle on behalf of insured or employed persons. On the other hand, the fact that E.T., N.C. and S.P. were also beneficiaries of the settlement is clearly spelled out in § 1.2 and other clauses of the agreement, a fact which the majority seem to have overlooked.

11. But what is most baffling, in my view, is that § 4 of the settlement agreement does not literally (and may not logically) mean what the majority allude to.

12. Indeed, seen from a literal point of view:

(i) “reserv[ing] a right” is an expression that usually refers to the future, while in this case the application had already been lodged with the Court;

(ii) it is very difficult to see how the European Court of Human Rights could be included among “judges other than those of the Italian judiciary”, since the Court is not comparable to domestic judiciaries (I will revert to this topic in paragraphs 14-16 of this opinion);

(iii) it is also very difficult to imagine how the text of the clause in question would permit a distinction to be made, especially in an international context, between the position of the municipal authority (that is, an entity of local government), which was party to the agreement, and that of the national Government, which is called on to appear before the Court: the applicant reserved the right to take action against “entities or institutions other than the parties or beneficiaries named in the present agreement”, while the local government entity that was a signatory to the agreement can easily be considered a part of the State.

Thus, these literal considerations already suggest that the contractual clause was not intended to exclude claims before this Court from the scope of the settlement.

13. But there is also a strong logical argument[5]. Unless one chooses to imagine that the applicant was negotiating a settlement while disregarding the fact that an application was pending before the Court – a circumstance which, in good faith, certainly had an influence on the terms of the agreement, since a violation of the Convention can give rise to recovery by the national Government from local government agencies – the municipal authority would most probably never have agreed to a settlement which did not constitute a blanket ban on all future litigation[6].

14. While it is not for me to speculate on the purpose served by the above clause, it transpires from the files that the family of the child’s father lived abroad (see paragraph 10 of the judgment). This makes it plausible that the “judges other than those of the Italian judiciary” would be primarily those of the country in which the applicant might recover assets from the estate of the deceased murderer, whether or not it had passed on to possible heirs.

15. The above considerations pave the way for what seems to me the aspect that most deserved clarification in the circumstances of this case. Let us assume that the above – or a similar – clause within a friendly-settlement agreement stated that all domestic claims against (national or local) governmental agencies were waived, but that a (pending or future) application to the Court was exempted from the scope of the agreement. Would that allow the applicant to retain victim status, even if no claim was still possible domestically?

16. This is an interesting point, one which, in my opinion, may be elaborated upon to demonstrate that the majority committed an error. The issue of whether a person may claim – at all stages of the proceedings before the Court – to be the victim, under Article 34 of the Convention, of an alleged violation of the Convention essentially entails on the part of the Court an ex post facto examination of his or her situation. For the purposes of this ex post facto assessment, it is relevant to consider that the Convention system, based as it is on subsidiarity and prior exhaustion of domestic remedies (Article 35 § 1 of the Convention), does not establish the Court as a separate, additional, subsequent jurisdiction (and certainly not as a court of fourth instance): the Court, which operates at an international level and whose functions are not to be equated with those of the domestic courts although it is in full dialogue with them, is simply intended to be subsidiary to the national systems safeguarding human rights. Although it is not necessary for the Convention right to have been explicitly raised in the domestic proceedings, as it is sufficient for the relevant complaint to have been raised in substance, the system nevertheless presupposes that the claim to be brought before the national courts is the same as the one that – should the breach not be redressed at domestic level in the first place – can later be determined by the Court. A logical inference from such a clear subsidiary relationship is that if a settlement is reached at the domestic level, thus preventing further domestic litigation, this settlement takes the place of the domestic determination of the case. Once an applicant has waived his or her right to a different, remedial domestic determination, as a rule[7] victim status under Article 34 will no longer be accepted in the proceedings before the Court, regardless of what clauses the parties to a private settlement agreement may devise. To argue otherwise would disrupt the subsidiary relationship. In this regard the autonomy of the parties cannot run counter to Articles 34 and 35 of the Convention, or to the above-mentioned notion of subsidiarity.

3. CONSIDERATIONS ON THE EXHAUSTION OF DOMESTIC REMEDIES

17. I was also unable to agree with the majority’s findings concerning the Government’s objection of non-exhaustion of domestic remedies under Article 35 § 1, which constitutes another bulwark of subsidiarity.

18. The majority found (see paragraph 144 of the judgment) that the Government’s first observations of 3 April 2018 contained a valid objection of non-exhaustion with reference only to the substantive limb of Article 2 (but then dismissed the objection, having found that the arguments supporting it did not demonstrate what civil or criminal avenues the applicant should have used, and that the Government had not indicated any examples of domestic case-law – see paragraphs 147-48 of the judgment). According to the majority, an objection concerning both the substantive and the procedural limb was contained only in the additional observations filed on 10 July 2018 (see paragraphs 139 and 143), so that the Government were estopped from raising this objection (paragraph 149).

19. In reading the Government’s observations of 3 April 2018, first of all I do not perceive the objection of non-exhaustion of domestic remedies as having been raised only with reference to the part of the claim relating to the substantive limb.

20. Frankly, I consider that the majority committed another evident error, and one that can be easily explained.

21. In order to answer the first and second questions put by the Court, the Government, in their observations of 3 April 2018, first of all reproduced the text of the questions (p. 15, lines 1-9); they then began a section of the observations entitled “The context of the case and the principles established by the Court” (line 10), and continued by stating that “t]he first two questions, addressing the substantive limb of Article 2 of the Convention, [were] closely connected and require[d] a joint reply” (lines 11-12, bold in the original). Finally, after a line-break, the phrase “A preamble is necessary” (line 13, bold added), followed by another line‑break, served as an introduction to a detailed set of arguments concerning the issue of non-exhaustion (a total of thirty-two lines, the final seven of which appear in paragraph 137 of the judgment; see pp. 15-16 of the observations).

One may additionally note that when later, on page 25, the Government dealt with the third question put by the Court, they again began with a graphic emphasis drawing the attention of the reader to the fact that the question “concern[ed] the procedural limb of Article 2” (bold in the original).

22. This being roughly the structure and style of the observations, the majority do not indicate which element convinced them that the objection in the “preamble” concerned only the substantive limb. Did the majority not perceive that, having to address a subject (the objection of non-exhaustion) which was common to the discussion of both the substantive and the procedural limb, the Government, understandably, included their objection at the very beginning of the section concerning the substantive limb, as a “preamble”? Or was there something other than the placement of the argument (sedes materiae) to justify the majority’s view that the Government’s choice meant that the objection concerned only the substantive limb? Was it perhaps decisive that the word “preamble” was not in bold, albeit contained between line-breaks?

23. I consider that, although objections must be couched in clear and formal terms, their scope should be understood primarily on the basis of their content. In this case, if the content of the objection is examined, it is evident that while references can be found in the text (at p. 15 of the observations) to the claim concerning the substantive limb (in particular, in language dealing with alleged negligence in the protection of life) and obviously the consequent arguments support the idea of non-exhaustion in this area (“in none of [their claims] ... did the applicant or her defence ever allege, even by way of conjecture, that the police or the judges of the Youth Court had facilitated, by omission, the murder of the child”), in the ensuing sentences (pp. 15 and 16) the discussion of the procedural limb begins, including detailed discussion of the criminal proceedings against E.T., N.C. and S.P. (see, for instance, the argument that the applicant’s defence lawyer had excluded domestically the liability of the Youth Court, stating that it was a “logical fallacy” – p. 16). It is also interesting to note that the phrase cited in paragraph 137 of the judgment comes immediately after the above references and itself includes, among other references, one to the “management of the criminal proceedings”, that is to say, once again the procedural limb. The argumentation is concluded (at p. 18 of the observations) by the Government stating formally and clearly that “the actions of the judges and the police were not the subject of any complaints by the applicant within the domestic proceedings”.

24. I therefore conclude that the assertion made by the majority that the Government’s observations of 3 April 2018 contained an objection only in relation to the substantive limb of Article 2 is the result of a mistaken reading of those observations.

25. Furthermore, in my view, contrary to the majority’s finding, the Government’s arguments supporting the objection, concerning both limbs of Article 2, as contained in both the observations of 3 April 2018 and those of 10 July 2018, also included sufficient indication as to which remedies were available and effective. The arguments focused on the fact that the applicant had instigated both civil and criminal proceedings against E.T., N.C. and S.P. and their employers, and that the civil claims in both (in the case of the criminal proceedings, in the form of a civil-party application) had been rejected (see p. 4, lines 14-17, and p. 8, lines 3-8, of the Government’s additional observations). The Government pointed to the fact that the applicant, while acting against E.T., N.C. and S.P. and their employers, had “never raised” similar “complaints against either the judges or the police” (p. 4, line 17); likewise, she had “not exercised any action seeking redress from the State [as being] liable for the acts and omissions of officials” (lines 20-21), thus “denying the Italian courts the opportunity to grant relief which Article 35 in principle affords to the Contracting Parties” (line 23). The objection of “non-exhaustion of domestic remedies” (line 27) is explicitly mentioned, and in the footnote the relevant legal basis for liability of public officials (Article 328 of the Criminal Code punishing omissions in the exercise of official duties) is quoted (and a translation into French is provided).

26. Although it is true that no detailed examples of domestic case-law were provided, after such a clear indication (including a translation of the legal basis) that exactly the same remedies used against E.T., N.C. and S.P. and their employers should have been used against the police and judges, there were no reasons to reject the objection (paragraphs 147-48), and the Court should have found that the documents on file concerning the proceedings against E.T., N.C. and S.P. and their employers provided a sufficient example of domestic case-law.

27. Therefore, in addition to the very clear ground of inadmissibility under Article 35 § 1 of the Convention for non-compliance with the six‑month rule (see Judge Koskelo’s separate opinion, in which I joined), the application – in so far as it was aimed at complaining of the acts/omissions of the judges and prosecutors, and in general of other individuals or entities other than those explicitly contemplated in the settlement agreement – was also inadmissible for non-exhaustion of domestic remedies under the same provision of the Convention.

4. CONCLUSION

28. I have tried to highlight some questions concerning the application of the Convention that the majority’s approach raises, in addition to those clearly explained in Judge Koskelo’s separate opinion, in which I joined. I regret that by creating confusion about the Court’s well-established case‑law (see Judge Koskelo’s separate opinion, in which I joined) and – at the same time – not clarifying the relationship between domestic settlements and the retention of victim status before the Court (see Part II of this opinion), the judgment rendered by the majority missed the opportunity to give a clear picture of the State’s obligations in the area of domestic violence in situations where the risk of attack has sadly not been avoided.

29. The majority’s judgment, as it produces uncertainty in the delicate area of compensation for damage to victims of violations of Article 2, and gives the impression that a domestic settlement may always leave the way open for an application to the Court, entails the risk of discouraging friendly-settlement agreements even under those circumstances in which the Court’s case-law (and Article 39 of the Convention) allows and encourages them.

30. At any event, the application – as regards the part that the majority found admissible – was in reality, in my view, inadmissible both for failure to comply with the six-month rule under Article 35 § 1 of the Convention (see Judge Koskelo’s separate opinion, in which I joined) and for non‑exhaustion of domestic remedies under the same provision of the Convention (see Part III of this opinion).

OPINION SÉPARÉE DU JUGE FELICI

1. Avec tout le respect que je dois à mes collègues de la majorité, je ne peux pas accepter leurs conclusions concernant l’irrecevabilité de la partie de la requête portant sur le volet matériel de l’article 2 de la Convention et le défaut consécutif de constat de violation matérielle du même article.

J’indiquerai brièvement les raisons essentielles de mon dissentiment en examinant tout d’abord la recevabilité de la requête, et en particulier la question de la qualité de victime de la requérante.

1. Sur la qualité de victime de la requérante quant au grief tiré du volet matériel de l’article 2 de la Convention

2. Après avoir rappelé que la requérante se plaint d’une violation de l’article 2 de la Convention sous ses deux volets, matériel et procédural, la majorité a considéré qu’ayant accepté la somme de 100 000 EUR afin de régler à l’amiable la procédure civile entamée contre la coopérative employant S.P. et la Mairie de San Donato Milanese et ayant renoncé à tout type d’action quant aux contreparties à la transaction, la requérante ne pouvait plus se prétendre victime du grief qu’elle soulève sous l’angle du volet matériel de l’article 2.

S’appuyant sur l’affaire Bailey c. Royaume-Uni ((déc.), no 39953/07, 19 janvier 2010), la majorité a donc estimé que la partie de la requête concernant le volet matériel de l’article 2 était incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et devait être déclarée irrecevable au sens de l’article 35 §§ 3 et 4.

3. J’estime au contraire que le fait d’avoir accepté une transaction dans le cadre d’une procédure civile en dédommagement n’a pas emporté la perte de la qualité de victime en chef de la requérante, et ce pour deux raisons.

4. La première tient à l’objet du grief en cause dans le cas d’espèce qui diffère, à mon sens, de celui de la transaction. La requérante se plaint en effet devant notre Cour de ce que les autorités nationales ont omis d’adopter toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie de son enfant et elle met en cause, au sens large, la méconnaissance par l’Etat de ses obligations positives sur le terrain de l’article 2 de la Convention (voir le paragraphe 134 de l’arrêt). En revanche, la transaction qu’elle avait conclu au civil ne concernait que la responsabilité d’entités spécifiques, à savoir, la coopérative employant S.P. et la Mairie de San Donato Milanese.

Je doute donc que le simple versement d’une somme par ces entités soit de nature à couvrir un grief, bien plus large, tenant aux manquements allégués de l’État dans la mise en place de mesures concrètes visant à la protection de F. (voir aussi, mutatis mutandis, Branko Tomašić et autres c. Croatie, no 46598/06, §§ 38-44, 15 janvier 2009, affaire dans laquelle les faits et les griefs sont très similaires à ceux de la présente).

Il y a lieu de souligner d’ailleurs qu’à l’article 4 de l’acte de transaction, souscrit en 2017, la requérante s’était réservé « tout droit d’action concernant les responsabilités éventuelles qui devaient émerger, aussi devant un juge différent du juge italien, imputables à des individus, entités ou institutions différentes par rapport à celles faisant partie ou nommées dans le présent accord » sauvegardant ainsi clairement la possibilité qu’une juridiction ultérieure, telle que notre Cour, saisie deux ans plus tôt, se penche sur l’examen des responsabilités du gouvernement italien découlant du décès de son fils.

5. La deuxième considération qui me fait pencher pour la recevabilité de ce volet de la requête est le constat que la transaction litigieuse a explicitement eu lieu « pro bono pacis », autrement dit « ex gratia », sans qu’une quelconque admission de responsabilité concernant les faits faisant l’objet de la cause puisse en être déduite. Dans ces conditions, à mes yeux, la chambre n’aurait pas dû s’écarter de la jurisprudence constante en matière de qualité de victime, consistant à dire qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention que si les autorités nationales ont d’abord reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Dalban c. Roumanie [GC], no [28114/95](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%2522appno%2522:%5B%252228114/95%2522%5D%7D), § 44, CEDH 1999‑VI).

6. L’affaire Bailey, de 2010, ne saurait donc suffire, à elle seule, pour conclure au défaut de qualité de victime de Mme Penati concernant son grief de méconnaissance des obligations positives incombant à l’État au regard au droit à la vie de son enfant. Elle repose d’ailleurs sur une jurisprudence concernant la responsabilité des agents de l’État à raison de l’utilisation de la force meurtrière (Caraher c. Royaume-Uni (déc.), no 24520/94, CEDH 2000‑I, et Hay c. Royaume-Uni (déc.), no 41894/98, CEDH 2000‑XI) qui semble avoir été dépassée par des décisions plus récentes affirmant le principe, contraire, selon lequel l’obtention d’une somme dans le cadre de procédures civiles ou administratives ne saurait suffire à ôter aux requérants la qualité de victimes (voir Saçılık et autres c. Turquie, nos 43044/05 et 45001/05, § 69, 5 juillet 2011 et, mutatis mutandis, Jeronovičs c. Lettonie [GC], no 44898/10, §§ 76-77, 5 juillet 2016).

7. Ainsi, à la lumière de ces considérations, je pense que la Cour aurait dû rejeter, à l’instar des autres exceptions, celle tirée par le Gouvernement d’une absence de qualité de victime de la requérante et par conséquent déclarer recevable le grief portant sur le volet matériel de l’article 2 de la Convention.

2. Sur le fond de la requête

8. Sur le fond, je considère qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel.

9. Je voudrais tout d’abord rappeler que la première phrase de l’article 2 § 1 de la Convention astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1998-III). L’obligation de l’État à cet égard implique le devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations. Cela peut aussi vouloir dire, dans certaines circonstances, mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui (Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 115, Recueil 1998-VIII, cité dans l’arrêt Kontrová c. Slovaquie, no 7510/04, § 49, 31 mai 2007).

10. En application des principes ci-dessus, la majorité, à mon avis, aurait donc dû noter que, en l’espèce, les autorités nationales compétentes avaient connaissance d’un risque réel et immédiat pour la vie de l’enfant de la requérante et dire ensuite qu’elles n’avaient pas rempli leur obligation de prendre les mesures nécessaires à la neutralisation du risque de commission par Y.B. d’actes violents sur la personne du mineur (Osman c. Royaume-Uni, précité, §116).

11. En effet, il est essentiel de rappeler le contexte de cette affaire. À partir du mois d’avril 2005, la requérante avait déposé dix-sept plaintes auprès des autorités nationales (la gendarmerie, le tribunal pour enfants et les services sociaux), déclarant que Y.B. avait eu à maintes reprises contre elle des comportements violents, physiquement et verbalement, et qu’il l’avait menacée de mort, de lui « faire du mal » et de « commettre un acte fou », faits que la requérante avait signalés à chaque fois de manière systématique et circonstanciée aux autorités internes. Elle avait exprimé à plusieurs reprises des craintes qui concernaient non seulement sa propre sécurité, mais aussi celle de son fils (voir paragraphes 33, 34 et 92, rapportant également les mots prononcés par YB: « si l’enfant ne pouvait être avec lui, il n’aurait été avec elle non plus »). Le 12 février 2009, c’est-à-dire treize jours avant l’infanticide, elle avait indiqué être sérieusement « en quête de protection et de sauvegarde (tutela) pour F. et être préoccupée que les services sociaux puissent libéraliser les rencontres de l’enfant avec son père ». Il y a également lieu de relever qu’elle avait dénoncé plusieurs incidents au cours desquels Y.B. avait cherché à voir l’enfant en dehors des rencontres en milieu protégé, et ce en usant de méthodes menaçantes et agressives (paragraphe 46), y compris sur la personne de l’enfant (paragraphe 49).

12. Il convient aussi de noter que, à partir de décembre 2008, c’est-à-dire après la décision par laquelle le tribunal pour enfants avait confié F. à l’assistance publique de la municipalité de San Donato Milanese et peu avant l’évènement tragique, la requérante avait déposé quatre plaintes auprès de la gendarmerie, dans lesquelles elle faisait état de menaces, d’insultes et de harcèlement incessants, d’abus contre ses biens et sa personne, et d’une situation devenue, selon elle, insoutenable. La requérante avait indiqué aussi que Y.B. exigeait quant à lui de voir l’enfant seul, malgré l’interdiction posée par les décisions judiciaires.

À ces occasions, la requérante avait instamment demandé aux autorités de prendre toutes les mesures nécessaires afin de mettre un terme à cette situation, tout particulièrement en vue de garantir la protection de F.

Qui plus est, quelques jours seulement avant l’infanticide, la requérante avait de nouveau exprimé devant les psychologues de la municipalité de San Donato Milanese toute son appréhension quant à la sécurité de F. en demandant explicitement davantage de mesures de protection et de sauvegarde pour le mineur.

13. Compte tenu de ces éléments, j’estime que de toute évidence, les autorités disposaient d’informations suffisantes révélant l’existence d’une situation de risque pour la sécurité de F. Or, les nombreuses plaintes déposées par la requérante n’ont abouti à l’adoption d’aucune mesure concrète de protection de l’enfant, ni d’ailleurs de l’intéressée elle-même.

Malgré cela, et en dépit d’une situation de tension croissante, les services sociaux, responsables du déroulement des rencontres, n’ont pas préconisé la limitation ou la suspension de celles-ci ni même l’adoption des mesures particulières de sécurité qui, au vu des informations dont ils disposaient, étaient à mon sens nécessaires.

Je souhaiterais rappeler qu’en dépit de ce contexte et des innombrables mises en garde lancées par la requérante quant à la dangerosité de Y. et au risque pour la sécurité de F., le jour de l’infanticide, Y. a pu rentrer dans un local public après avoir consommé une quantité de cannabis dix fois supérieure à l’indice de consommation chronique, armé d’un pistolet et d’un couteau d’une longueur de vingt centimètres.

Compte tenu de ce qui précède, à mon avis, force est de constater qu’en l’espèce, face aux demandes pourtant explicites de la requérante tendant à la prise de mesures concrètes de protection à même d’assurer la sécurité de son fils, les autorités nationales sont restées inertes (Civek c Turquie, no 55354/11, §§ 57-66, 23 février 2016).

14. La responsabilité de l’État entre a fortiori en ligne de compte lorsqu’on considère qu’au moment des faits, F. avait été confié à un organisme étatique, en l’occurrence la municipalité de San Donato Milanese. La rencontre incriminée a eu lieu dans les locaux publics de l’ASL, par l’effet d’une décision appartenant uniquement à l’autorité publique, et elle était organisée exclusivement par celle-ci. Par ailleurs, la requérante n’avait aucun droit d’y soustraire son enfant. Cette affaire a donc trait à une situation de danger pour la vie de personnes vulnérables confiées aux soins de l’État, que le titulaire de la garde légale fût l’un des parents ou une institution publique ; à ce moment précis, l’enfant était une personne vulnérable confiée à l’État (voir, mutatis mutandis, Nencheva et autres c. Bulgarie, no 48609/06, § 123, 18 juin 2013).

15. Qui plus est, il convient de relever que les faits se sont déroulés dans le cadre de l’exercice du droit de visite reconnu au père de l’enfant. Il y a lieu de rappeler à ce propos que, dans les affaires de violences domestiques, les droits de l’agresseur ne peuvent l’emporter sur les droits à la vie et à l’intégrité physique et mentale des victimes (voir, mutatis mutandis, Opuz c. Turquie, no 33401/02, CEDH 2009 § 147). Il faut en outre souligner l’importance accordée par la Convention d’Istanbul à ce que les incidents de violence domestique soient dûment pris en compte par les autorités nationales dans la réglementation des droits de garde et de visite concernant les enfants.

16. Cela étant dit, dans ces circonstances, sous l’angle de l’article 2 de la Convention, la protection de l’intégrité physique d’un enfant soumis à l’autorité et au contrôle de l’État relève de toute évidence de la responsabilité de ce dernier. La sécurité de la personne ne peut qu’être un préalable indispensable à sa protection sur le plan psychologique et indissociable de celle-ci. En ce sens, bien qu’il appartienne au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, on ne peut pas en l’espèce partager la conclusion des juridictions étatiques selon laquelle la responsabilité des pouvoirs publics était limitée en l’occurrence à la protection de l’enfant face au préjudice qui pouvait découler pour lui de la situation conflictuelle existant entre ses parents. Ad abundantiam, il faut souligner qu’il est totalement indifférent en soi, aux fins du respect de l’obligation positive découlant de l’article 2, que les juridictions nationales aient ou non prescrit que les rencontres avaient également eu pour objet la protection de la sécurité physique du mineur. De plus, la décision par laquelle le tribunal pour enfants a ordonné que les rencontres entre le mineur et le père se déroulent en milieu protégé, dans toute sa brièveté et son ambiguïté, ne semblait pas exclure l’objectif de protéger la sécurité physique de F. (voir paragraphe 70)

Même si l’on ne peut pas établir avec certitude que les évènements se seraient déroulés autrement et que l’homicide n’aurait pas eu lieu si les autorités avaient adopté un comportement différent, l’absence de mise en œuvre de mesures raisonnables qui auraient eu une chance réelle de changer le cours des évènements ou d’atténuer le préjudice causé suffit à engager la responsabilité de l’État (Talpis c. Italie, no 41237/14, § 121, 2 mars 2017).

17. Eu égard à ce qui précède, il y avait lieu de conclure non seulement que le volet matériel de la requête relatif à l’article 2 de la Convention était recevable mais aussi que les autorités compétentes n’avaient pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié le risque pour la vie du jeune F., voire empêché la matérialisation de ce risque. L’article 2 de la Convention, sous son volet matériel, a été violé en l’espèce.

18. Compte tenu des mes conclusions concernant le volet matériel de l’article 2 de la Convention, il n’y aurait pas eu lieu d’examiner séparément le grief de la requérante tiré du volet procédural de cette disposition.

3. Conclusion

19. « En cas de doute, choisissez ce qui est juste », a dit Karl Kraus (Sprüche und Widersprüche, 1909), interprétant, peut-être de manière plus philosophique que juridique, le principe du droit pénal in dubio, pro reo (pilier de toute civilisation juridique). Ce qui a été écrit ci-dessus dispense de suivre l’intuition du célèbre aphoriste autrichien. À mon humble avis, il existe des raisons juridiques suffisantes, qui ne nécessitent l’introduction d’aucune innovation jurisprudentielle, pour parvenir à la conclusion exposée au paragraphe précédent. Cette conclusion semble également conforme à l’examen des faits de la cause, qui doit d’abord préciser la question à laquelle les principes doivent être appliqués et non, au contraire, être une occasion d’élaborer ces principes. Ce n’est pas un hasard si la Cour a toujours insisté sur la méthode dite « case-law approach », précisément pour souligner que chaque situation mérite sa propre appréciation spécifique, l’accent étant mis sur le déroulement des faits. Ici on se trouve face à une personne – la requérante – qui demande que la Convention soit appliquée à son propre cas. Il s’agit d’une mère qui avait confié son enfant à l’État et que celui-ci lui a rendu, mort. Le meurtre du fils est la réalisation d’un risque que cette mère avait signalé maintes fois à l’État lui-même, lui demandant de prendre toutes les mesures nécessaires pour l’éviter. Or, l’événement n’est de toute façon pas le fruit du hasard ni d’un cas de force majeure : il s’est produit sans que la requérante n’ait pu s’opposer à quoi que ce soit puisqu’elle était obligée d’emmener l’enfant aux rencontres avec le père. Ici, ce maigre résumé des faits de l’affaire nous montre qu’aucun doute n’existe. Mais, pour revenir à l’aphorisme de Klaus Kraus, si doute il y a, alors ce qui est juste, c’est de stigmatiser un État qui ne protège pas un enfant dont il avait exigé qu’il lui fût confié.

* * *

[1]. L’éducateur M.S. fut remplacé par l’éducateur S.P. au mois de mai 2008.

[2]. Selon les informations résultant de l’autopsie du corps de l’enfant.

[3] « 1.2 [La requérante] accepte cette offre de 50 000 EUR et la renonciation à la répétition de la provision de 50 000 EUR et déclare de n’avoir plus rien à prétendre à n’importe quel titre, raison ou cause, même qui n’aurait pas encore été invoqué, vis-à-vis de la Mairie, de la coopérative et des respectifs associés, administrateurs, employés ou collaborateurs, y compris N.C., E.T. et S.P., ainsi que de [deux compagnies d’assurance], toute prétention de sa part ayant été satisfaite et [clôturée]. En particulier, la partie demanderesse renonce à tout type d’action, demande, prétention et/ou droit, qui peut même être relié de manière occasionnelle à l’objet du contentieux et à tout autre type de demande rattachée ou reliée. »

[4] Subsequent references to the provisions of the settlement agreement relate to the agreement cited in the above-mentioned paragraph of the judgment. Translations into English of parts of the settlement agreement, and of any other excerpt from documents not drafted originally in English, are my own.

[5] An additional aspect of the logical argument discussed in the text may be identified by checking the compatibility of the allegations before the Court with the obligations under the settlement. For instance, one might consider that in her application the applicant explicitly blamed the Government for “having ignored the repeated requests for intervention and protection submitted by the applicant to … the social services” (see p. 7 of the application form and p. 5 of the appendix); the applicant also states that the indicators of possible violence were “well known … to the social services” (p. 7 of the form). In the appendix, allegations concerning the “social services” in general, and E.T., N.C. and S.P. in particular, are set out in pages 10 to 11, whereas page 12 alludes to liability on the part of the municipal authority. On page 10, in a quotation from the applicant’s appeal against the acquittal judgment by the first-instance criminal court, E.T., N.C. and S.P. are alleged to “have continued to see in the relationship between [Ms Penati and Y.B.] what they chose to see in it because of their professional inability and bias: a woman who was slightly hysterical and a mythomaniac, who obstinately sought to prevent her son from establishing a relationship with his father”. Such expressions were used at a moment in time when the settlement agreement with the municipal authority and others had not yet been concluded. In the agreement, as has been mentioned, the applicant undertook to represent the truth of the facts as reflected in the judgment of the Court of Cassation in the criminal proceedings, and in the first-instance judgment in the civil proceedings, and to refrain from any act liable to harm the image of the persons involved, with the settlement also applying to the benefit of E.T., N.C. and S.P. (§ 3.4. of the settlement agreement). It is therefore logical to infer that, since the above allegations – legitimately made at the time of lodging the application, but which would be proscribed if made at a later stage – could no longer be maintained, a loss of victim status before the Court would be the only possible consequence of the choice to settle domestically.

[6] This logical argument allows me not to enter into details concerning domestic law. It should be sufficient to mention that domestic law allows third parties to declare their intention to take advantage of settlements between other persons concerning facts or acts involving their joint and several liability (Article 1304 of the Civil Code).

[7] For a discussion of the exceptions to the rule, in the context of this case, reference can be made to paragraphs 24 et seq. of Judge Koskelo’s separate opinion annexed to the judgment, in which I joined.


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-209868
Date de la décision : 11/05/2021
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (Art. 34) Requêtes individuelles;(Art. 34) Victime;Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité;(Art. 35-3-a) Ratione personae;Non-violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2-1 - Enquête effective) (Volet procédural)

Parties
Demandeurs : PENATI
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : NASCIMBENE B.

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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