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24/06/2021 | CEDH | N°001-210676

CEDH | CEDH, AFFAIRE D.S. c. ITALIE, 2021, 001-210676


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE D.S. c. ITALIE

(Requête no 14833/16)

ARRÊT


Art 6 § 1 • Accès à un tribunal • Art 1 P1 • Respect des biens • Exécution tardive, près de neuf ans après son adoption, d’une décision interne définitive ayant fait droit à la demande d’indemnisation pour une infection post-transfusionnelle

STRASBOURG

24 juin 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire D.S. c. It

alie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Péter Paczolay, président,
Krzy...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE D.S. c. ITALIE

(Requête no 14833/16)

ARRÊT

Art 6 § 1 • Accès à un tribunal • Art 1 P1 • Respect des biens • Exécution tardive, près de neuf ans après son adoption, d’une décision interne définitive ayant fait droit à la demande d’indemnisation pour une infection post-transfusionnelle

STRASBOURG

24 juin 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire D.S. c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Péter Paczolay, président,
Krzysztof Wojtyczek,
Alena Poláčková,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu la requête (no 14833/16) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. D.S. (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 décembre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») les griefs concernant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention,

Vu la décision de ne pas dévoiler l’identité du requérant,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juin 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne l’exécution tardive d’une décision interne définitive ayant reconnu au requérant un droit à être dédommagé du préjudice subi par lui en raison d’une infection post-transfusionnelle.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1962 et réside à Rocca di Papa. Il a été représenté par Me A.G. Lana, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son ancien coagent, Mme M.G. Civinini.

4. En 1999, le requérant entama une procédure civile devant le tribunal de Rome à l’encontre du ministère de la Santé afin d’obtenir réparation du dommage qu’il estimait avoir subi à la suite d’une infection post-transfusionnelle qui avait eu lieu en 1980.

5. Par un jugement du 14 juin 2001, le tribunal fit droit à la demande du requérant et condamna le ministère de la Santé à dédommager le requérant en lui versant une somme à quantifier dans le cadre d’une procédure séparée. Par un arrêt du 12 janvier 2004, la cour d’appel de Rome confirma la décision de première instance.

6. Le ministère de la Santé se pourvut en cassation. Le 6 avril 2005, le requérant introduisit un pourvoi incident. Par un arrêt du 11 janvier 2008, la Cour de cassation, réunie en section plénière, annula l’arrêt de la cour d’appel et renvoya l’affaire à une autre section de celle-ci.

7. Par un arrêt du 23 février 2015, la nouvelle section de la cour d’appel rejeta le recours du ministère. Cet arrêt fut notifié au ministère le même jour.

8. Entre-temps, le 4 octobre 2005, le requérant avait engagé une nouvelle procédure civile devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la quantification de la somme à laquelle il avait droit.

9. Par un jugement exécutoire par provision en date du 21 janvier 2011, le tribunal de Rome octroya au requérant 251 732,38 EUR.

10. Le requérant et le ministère de la Santé interjetèrent appel. Par un arrêt du 14 janvier 2017 qui acquit force de chose jugée le 22 décembre 2017, la cour d’appel de Rome rejeta le recours du ministère de la Santé et confirma le jugement de première instance.

11. Selon les informations fournies par les parties, l’arrêt fut exécuté le 31 janvier 2019.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

12. Le chapitre IV du code de procédure civile (Caractère exécutoire et notification des jugements) contient l’article suivant :

Article 282

« Le jugement de première instance est exécutoire par provision entre les parties. »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 de la Convention, 1 du Protocole no 1 à la Convention et 14 de la Convention

13. Le requérant se plaint de l’inexécution prolongée du jugement lui ayant reconnu un droit à être dédommagé du préjudice subi par lui à la suite d’une infection post-transfusionnelle. À cet égard, il plaide d’abord la violation de son droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, il estime aussi avoir subi une atteinte à son droit de propriété à raison de l’inexécution prolongée de la décision ayant reconnu sa créance. Il se plaint enfin d’une violation de l’article 14 de la Convention, sans toutefois étayer ce grief.

14. Les articles en question sont ainsi libellés :

Article 6 § 1 de la Convention

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 1 du Protocole no 1 à la Convention

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Article 14 de la Convention

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

1. Sur la recevabilité

15. Le Gouvernement observe qu’il était loisible au requérant de faire usage du recours prévu par l’article 27-bis du décret-loi no 90/2014. Il ajoute que l’intéressé a omis d’entamer une action en justice pour obtenir l’exécution du jugement rendu en sa faveur. Il considère donc que le grief du requérant doit être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 § 1 de la Convention.

16. Le requérant fait valoir que le recours prévu par l’article 27-bis du décret-loi no 90/2014 ne pouvait être valablement utilisé pour remédier à une situation de non-exécution d’une décision interne définitive.

17. La Cour relève d’emblée que le grief de violation de l’article 14 de la Convention n’a pas été communiqué au Gouvernement. Elle note qu’en tout état de cause il n’a pas été suffisamment étayé et décide de le déclarer irrecevable pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

18. Quant au restant des griefs, la Cour a déclaré dans l’arrêt D.A. et autres c. Italie (nos 68060/12 et 18 autres, §§ 102-197, 14 janvier 2016) que le recours mis en place par l’article 27-bis du décret-loi no 90/2014 constituait pour les requérants une voie de recours qu’il leur fallait exercer pour se plaindre de l’impossibilité pour eux d’accéder à la procédure de transaction interne de leurs affaires. Or, dans la présente affaire, le requérant se plaint non pas de l’impossibilité pour lui d’accéder à un règlement amiable mais de la non-exécution du jugement prononcé en sa faveur. Il s’ensuit que l’article 27-bis du décret-loi no 90/2014 ne constitue pas en l’espèce un remède dont le requérant devait faire usage.

19. Quant à l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant aurait dû saisir les juridictions internes afin d’obtenir l’exécution du jugement litigieux, la Cour rappelle qu’on ne saurait exiger d’un individu qui s’est vu reconnaître une créance contre l’État à l’issue d’une procédure judiciaire qu’il engage ensuite une procédure d’exécution forcée pour obtenir son dû (Metaxas c. Grèce, no [8415/02](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%228415/02%22%5D%7D), § 19, 27 mai 2004).

20. L’exception de non-épuisement des voies de recours internes formulée par le Gouvernement ne saurait donc être retenue.

21. Constatant que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée, ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond

22. Le requérant réitère ses griefs.

23. Le Gouvernement considère que, l’exécution du jugement litigieux étant intervenue entre-temps, la requête devrait être rayée du rôle. Il précise toutefois qu’il comprendrait que la Cour alloue au requérant une somme pour le dommage étant résulté pour lui du retard avec lequel l’indemnité qu’il avait obtenue au niveau national a été payée.

24. La Cour rappelle les principes développés dans son arrêt D.A. et autres (précité, §§ 60-79).

25. Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention, elle constate que, par son jugement du 21 janvier 2011, le tribunal de Rome a fait droit à la demande du requérant et quantifié la somme qui devait lui être versée en réparation du préjudice qui lui avait été reconnu. Ce jugement, exécutoire par provision, a été confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Rome du 14 janvier 2017, qui a ensuite acquis force de chose jugée. Pourtant, le jugement litigieux n’a été exécuté que le 31 décembre 2019, soit près de neuf ans après son adoption.

26. La Cour estime que le requérant n’aurait pas dû se trouver, pendant un tel laps de temps, dans l’impossibilité de bénéficier de la mise en œuvre d’une décision rendue en sa faveur, d’autant plus qu’il s’agissait en l’espèce d’une matière délicate touchant au domaine de la santé.

27. Partant, il y a lieu de conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

28. Quant à la violation alléguée de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour estime que le requérant était titulaire d’une créance exigible en vertu d’un jugement devenu définitif qui quantifiait la somme à laquelle il avait droit. Il s’ensuit que l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé pendant un long laps de temps d’obtenir l’exécution de ce jugement s’analyse en une ingérence dans l’exercice par lui de son droit au respect de ses biens, tel qu’énoncé dans la première phrase du premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1.

29. En ne se conformant pas aux décisions évoquées ci-dessus, les autorités nationales ont, pendant la longue période susmentionnée, empêché le requérant de percevoir le montant qui lui avait été accordé. Le Gouvernement n’a fourni aucun argument de nature à justifier cette ingérence (Burdov c. Russie, no [59498/00](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2259498/00%22%5D%7D), § 39-42, CEDH 2002‑III, et voir, mutatis mutandis, Ambruosi c. Italie, no [31227/96](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2231227/96%22%5D%7D), §§ 28-34, 19 octobre 2000).

30. En conclusion, il y a également eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

31. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

32. Le requérant demande 30 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

33. Le Gouvernement ne formule pas d’observations sur ce point.

34. La Cour octroie au requérant 10 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

2. Frais et dépens

35. Le requérant réclame12 060,24 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions nationales et 5 000 EUR pour ceux exposés devant la Cour, sans toutefois produire de justificatifs relativement à cette dernière somme.

36. Le Gouvernement ne formule pas d’observations sur ce point.

37. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour rejette la demande formulée par le requérant au titre des frais et dépens engagés devant elle et juge raisonnable d’allouer à l’intéressé la somme de 12 060,24 EUR pour les frais et dépens exposés devant les juridictions internes, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

38. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare les griefs fondés sur les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention recevables et le surplus de la requête irrecevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
4. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes au taux applicable à la date du règlement :

1. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral,
2. 12 060,24 EUR (douze mille soixante euros et vingt-quatre centimes), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt sur cette somme, pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 juin 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

{signature_p_2}

Liv TigerstedtPéter Paczolay
Greffière adjointePrésident


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-210676
Date de la décision : 24/06/2021
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure d'exécution;Article 6-1 - Accès à un tribunal);Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (Article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens)

Parties
Demandeurs : D.S.
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LANA A.G.

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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