PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE VERRASCINA ET AUTRES c. ITALIE
(Requêtes nos 15566/13 et 5 autres –
voir liste en annexe)
ARRÊT
Art 35 § 1 • Épuisement des voies de recours internes • Recours prévu par la loi Pinto, à la suite de la réforme de 2012 de son article 4 et jusqu’à l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2018, n’étant pas un recours effectif au sens de l’art 13
Art 6 § 1 (civil) • Délai raisonnable • Durée excessive des procédures comprise entre neuf et vingt-quatre ans
STRASBOURG
28 avril 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Verrascina et autres c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Marko Bošnjak, président,
Péter Paczolay,
Alena Poláčková,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland,
Davor Derenčinović, juges,
et de Renata Degener, greffière de section,
Vu les requêtes (nos 15566/13 et 5 autres requêtes) dirigées contre la République italienne et dont seize ressortissants de cet État (« les requérants »), dont les noms figurent en annexe, ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux dates indiquées dans le tableau joint en annexe,
Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») les griefs concernant la durée excessive des procédures internes engagées par les requérants et l’effectivité du recours prévu à l’article 4 de la loi no 89 de 2001, et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 mars 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. Les requêtes concernent la durée excessive de la procédure et la possibilité d’introduire un recours indemnitaire uniquement à partir de la date où la décision finale rendue dans la ladite procédure devient définitive.
EN FAIT
2. Les informations personnelles relatives aux requérants figurent en annexe. Les intéressés ont été représentés par différents avocats (voir l’annexe).
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. L. D’Ascia, avocat de l’État.
4. Les éléments essentiels des procédures dans lesquelles les requérants étaient engagées sont indiqués dans le tableau en annexe.
5. En 2012, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 134 de 2012, la loi no 89 du 8 mars 2001, dite « loi Pinto », a été modifiée. En particulier, la nouvelle formulation de l’article 4 prévoyait la possibilité d’introduire une demande de satisfaction équitable pour tout préjudice causé par la durée excessive d’une procédure à partir de la date à laquelle la décision finale concluant ladite procédure devenait définitive.
À la date d’introduction des requêtes devant la Cour, les procédures internes respectives étaient en cours (voir le tableau en annexe).
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
6. La loi no 89 de 2001, dite « loi Pinto », a introduit dans le système juridique italien un recours indemnitaire pour toute personne ayant subi un préjudice causé par la durée excessive d’une procédure judiciaire. Par la suite, la loi Pinto a été modifiée en 2012 (décret-loi no 83 de 2012 converti en loi par la loi no 134 de 2012) et en 2015 (article 1, § 777, de la loi no 208 de 2015).
Le texte initial de l’article 4 de la loi Pinto était ainsi rédigé :
Article 4 – Délai et conditions concernant l’introduction d’un recours)
« La demande de réparation peut être présentée au cours de la procédure au titre de laquelle on allègue la violation ou, sous peine de déchéance, dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle la décision concluant ladite procédure est devenue définitive. »
En 2012, l’article 4 a été modifié ainsi :
« La demande de réparation peut être présentée dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle la décision concluant la procédure au titre de laquelle on allègue la violation est devenue définitive. »
L’article 1 ter de la loi Pinto, introduit en 2015, règlemente les recours de nature préventive tendant à faire accélérer la procédure. Le paragraphe 7 dudit article prévoit que « 7. [l]es [autres] dispositions déterminant l’ordre de priorité dans le traitement des affaires ne sont pas affectées[1]. »
7. Dans son arrêt no 30 de 2014, la Cour constitutionnelle rejeta la question de constitutionnalité du nouvel article 4. Rappelant les arrêts Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, CEDH 2006‑V) et Robert Lesjak c. Slovénie (no 33946/03, 21 juillet 2009), elle jugea néanmoins que le fait de différer l’introduction de la demande de réparation à la fin de la procédure dans laquelle le retard s’est produit, avait un impact sur l’effectivité du recours en question. S’appuyant sur ce constat, elle invita le législateur à adopter des mesures « pour atteindre un but constitutionnellement nécessaire » et souligna en même temps qu’une inertie prolongée du pouvoir législatif ne pouvait pas être tolérée.
8. Quatre ans plus tard, dans son arrêt no 88 de 2018 (publié au Journal officiel le 2 mai 2018), elle déclara l’inconstitutionnalité de l’article 4. Dans cette décision, elle analysa certains éléments de la réforme de 2015. En particulier, rappelant les principes dégagés dans l’arrêt Olivieri et autres c. Italie (nos 17708/12 et 3 autres, 25 février 2016), elle jugea que les recours de nature préventive introduits en 2015 n’avaient aucun effet réel sur le déroulement de la procédure, dans la mesure où, d’une part, les juridictions n’avaient aucune obligation d’accélérer la procédure, et, d’autre part, la loi Pinto prévoyait expressément que l’ordre de priorité dans le traitement des affaires, déterminé par d’autres dispositions n’était pas affecté par le recours préventif introduit par le demandeur. Elle jugea ainsi que le recours indemnitaire était le seul recours disponible et qu’obliger l’intéressé à devoir attendre la conclusion de la procédure « signifiait subvertir la logique pour laquelle [le recours] avait été conçu », ce qui était incompatible avec la Constitution.
les documents internationaux pertinents
9. Lors de la réunion des ministres délégués du 4 au 6 décembre 2012, le Comité de Ministres a adopté une décision (CM/Del/Dec(2012)1157) dans laquelle il a relevé « avec préoccupation que de récentes modifications apportées à la loi Pinto, qui subordonnent l’accès à la voie de recours prévue par cette loi au règlement définitif de la procédure principale (...) pourraient soulever des questions de compatibilité avec les exigences de la Convention et la jurisprudence de la Cour en matière d’efficacité des voies de recours et de critères d’indemnisation ».
EN DROIT
1. JONCTION DES REQUÊTES
10. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.
2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DEs ARTICLEs 6 § 1 et 13 DE LA CONVENTION
11. Les requérants dénoncent la durée excessive des procédures suivies devant les juridictions internes (voir le tableau en annexe). Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention qui dispose en ses passages pertinents :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
12. Ils allèguent aussi qu’à la suite de la modification intervenue en 2012 de la loi Pinto, le recours prévu à l’article 4 de ladite loi n’était plus effectif au sens de l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
1. Sur la recevabilité
13. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas satisfait à l’exigence de l’épuisement des voies de recours internes. S’appuyant sur la jurisprudence établie de la Cour, il argue que le recours prévu par la loi Pinto a toujours été considéré comme un recours effectif. Il maintient en outre qu’à la suite de l’adoption de l’arrêt de 2018 rendu par la Cour constitutionnelle (paragraphe 8 ci-dessus), les intéressés pouvaient de nouveau saisir la juridiction compétente d’un recours indemnitaire pendant la procédure principale ou après la conclusion de celle-ci.
14. Les requérants allèguent qu’ils n’étaient pas tenus d’exercer un tel recours, ineffectif depuis la réforme de 2012 (paragraphe 6 ci-dessus), qui les aurait empêchés d’obtenir une réparation pour le préjudice subi, causé par la durée de la procédure qui, au moment de l’introduction de chaque requête, était déjà excessivement longue.
15. La Cour considère que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement est étroitement liée à la question de l’existence d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention (Olivieri et autres, précité, § 35, avec la jurisprudence citée). Partant, elle décide que cette exception sera examinée lors de l’examen du bien-fondé de l’article 13, compte tenu des affinités étroites que présentent les articles 35 § 1 et 13 de la Convention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI).
16. Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.
2. Sur le fond
1. Sur l’épuisement des voies de recours et la violation alléguée de l’article 13 de la Convention
a) Principes généraux
17. La Cour renvoie aux principes énoncés dans l’arrêt Olivieri et autres (précité, §§ 39-47). En particulier, elle rappelle que, pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation dénoncée et présenter des perspectives raisonnables de succès (ibidem, § 43). Concernant la durée de la procédure, les recours dont un justiciable dispose au plan interne sont « effectifs », au sens de l’article 13 de la Convention, dès lors qu’ils permettent soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Kudła, précité, § 159, et Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, § 54, 21 décembre 2010).
18. Elle rappelle également avoir indiqué à maintes reprises que le meilleur remède dans l’absolu est, comme dans de nombreux domaines, la prévention (voir, parmi d’autres, Cocchiarella [GC], § 74, précité). Néanmoins, il est aussi évident que, pour les pays où existent déjà des violations liées à la durée de procédures, un recours tendant uniquement à accélérer la procédure, s’il serait souhaitable pour l’avenir, peut ne pas être suffisant pour redresser une situation où il est manifeste que la procédure s’est déjà étendue sur une période excessive (ibidem, § 76).
b) Application de ces principes aux cas d’espèce
19. Sans anticiper l’examen de la question de savoir s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable, la Cour estime que le grief des requérants visant la durée des procédures dans lesquelles ils étaient engagés constitue prima facie un grief « défendable ». Les procédures en cause ont en effet duré de neuf à plus de vingt-quatre ans (voir le tableau en annexe). Les intéressés avaient ainsi droit à un recours effectif à cet égard (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 102, CEDH 2006‑VII, et Olivieri et autres, précité, § 48).
20. Dans leurs observations, les requérants rappellent qu’au moment de l’introduction de chaque requête, les procédures avaient amplement dépassé le délai raisonnable. Ils estiment ainsi que l’interdiction prévue à l’article 4 de la loi Pinto de présenter une demande de réparation avant la conclusion de la procédure principale aurait rendu ce recours ineffectif.
21. Le Gouvernement conteste cette thèse. Il soutient qu’avec la loi no 134 du 7 août 2012, le législateur italien a effectivement opté pour un éventail de recours plus restreint, mais que, par l’arrêt de 2018 de la Cour constitutionnelle, le texte initial de l’article 4 de la loi Pinto était de nouveau applicable (paragraphe 6 ci-dessus).
22. Il fait ensuite valoir que les principes dégagés dans l’arrêt Robert Lesjak (précité) ne seraient pas applicables dans les cas d’espèce, puisque, d’après sa lecture, cet arrêt porterait sur le seul recours tendant à accélérer la procédure.
23. La Cour observe d’emblée que l’article 4 de la loi Pinto résultant de la réforme de 2012 est la disposition applicable ratione temporis aux présentes affaires. La disposition litigieuse subordonnait la possibilité d’introduire un recours indemnitaire pour tout préjudice causé par la durée excessive d’une procédure au moment où la décision finale devenait définitive. En réponse à l’observation du Gouvernement relative aux effets de l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2018 (paragraphe 21 ci-dessus), la Cour relève que les présentes affaires ont été introduites entre 2013 et 2015, bien avant la décision précitée. Dès lors, dans les présentes affaires la Cour n’examinera pas l’effectivité de l’article 4 résultant de l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2018.
24. La Cour rappelle avoir affirmé que l’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 de la Convention ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant (Kudła, précité, § 157) et que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 71, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV).
25. Toutefois, la Cour considère qu’en l’espèce la disposition contestée ne laissait aucun doute quant à l’absence de perspectives de succès du recours et à l’issue défavorable d’une éventuelle demande de réparation introduite avant la conclusion de la procédure principale. Elle rappelle que la Convention doit être interprétée et appliquée de manière à garantir des droits concrets et effectifs.
26. Elle précise également que la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable implique une situation continue et que le prolongement de la procédure litigieuse est susceptible de causer, dans le chef du requérant, des désagréments considérables et une incertitude prolongée. Dès lors, lorsqu’il estime que la durée de la procédure a été excessive, un requérant doit avoir la possibilité de demander réparation devant les juridictions internes à tout moment de la procédure principale (voir, mutatis mutandis, Di Sante c. Italie, no 32143/10, § 16, 27 avril 2017).
27. Par ailleurs, la Cour note que, peu de temps après la réforme de 2012 de la loi Pinto, la question de l’effectivité du recours indemnitaire a été soulevée, d’abord la même année par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (paragraphe 9 ci-dessus), puis en 2014 par la Cour constitutionnelle qui a invité le législateur à modifier l’article 4 de la loi Pinto (paragraphe 7 ci‑dessus). En 2018, après avoir constaté l’inertie du Parlement, celle-ci a déclaré inconstitutionnel l’article 4 de la loi précitée.
28. Quant à la lecture faite par le Gouvernement de l’arrêt Robert Lesjak (paragraphe 22 ci-dessus), la Cour considère qu’elle ne tient pas compte de la partie de celui-ci dédiée au recours compensatoire (ibidem, §§ 47-53). Dans cet arrêt, elle a rappelé que la question d’un accès raisonnablement rapide au recours indemnitaire pourrait avoir une incidence sur l’efficacité de ce recours. Elle a aussi estimé indispensable qu’une procédure, qui a déjà été longue, soit résolue rapidement après l’épuisement des voies de recours accélérées. D’ailleurs, la Cour note que, dans son arrêt de 2014, la Cour constitutionnelle s’est fondée sur les mêmes passages de l’arrêt Robert Lesjak pour conclure que le recours indemnitaire ne disposait pas d’un caractère effectif (paragraphe 7 ci-dessus).
29. À titre surabondant, la Cour observe que les recours de nature préventive tendant à accélérer la procédure ont été introduits par la loi Pinto seulement en 2015, donc trois ans après la réforme de 2012 (paragraphe 6 ci‑dessus). À propos de ce type de recours, la Cour rappelle qu’elle s’est trouvée à maintes reprises à juger de l’effectivité d’un remède en accélération (Olivieri et autres, précité, §§ 53 et 60, et Mirjana Marić c. Croatie, no 9849/15, §§ 72-81, 30 juillet 2020). Elle a reconnu au recours préventif un caractère « effectif » dès lors que pareil recours permet d’hâter la prise d’une décision sur l’affaire dont le tribunal est saisi et prévoit des conditions visant à garantir l’examen d’une telle demande par les autorités judiciaires saisies. S’agissant des recours introduits en 2015, la Cour renvoie au constat fait par la Cour constitutionnelle. Dans son arrêt de 2018, la Cour constitutionnelle a affirmé que les recours de nature préventive introduits par la loi Pinto n’ont aucun effet réel sur le déroulement de la procédure, étant donné que les juridictions n’ont aucune obligation d’accélérer la procédure, elles ont une simple faculté d’y parvenir, et que, comme indiqué par l’article 1 ter de la même loi, l’ordre dans le traitement des procédures, déterminé par d’autres dispositions de loi, n’est pas affecté par les recours préventifs en question (paragraphe 6 ci-dessus).
30. À la lumière de tout ce qui précède, la Cour estime que le recours prévu par la loi Pinto, à la suite de la réforme de 2012 de l’article 4 de la loi précitée et jusqu’à l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2018 (paragraphes 8 et 23 ci-dessus), ne peut pas être considéré comme un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention. Il y a donc lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement et de conclure à la violation de l’article 13 de la Convention.
2. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention
31. Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie à la lumière des circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes et l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Cocchiarella [GC], § 68, précité, et Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).
32. En ce qui concerne la durée des procédures suivies devant les juridictions internes, la Cour renvoie au tableau en annexe. La durée variable de ces procédures comprise entre neuf et vingt-quatre ans est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » prévu à l’article 6 § 1.
33. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
34. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
35. La Cour observe que les observations des requérants concernant la requête no 60961/15, contenant aussi leur demande de satisfaction équitable, ont été présentées tardivement, qu’aucune prorogation n’a été sollicitée avant l’expiration du délai imparti et qu’aucune motivation n’a été fournie pour justifier le retard en question. Dès lors, la Cour a décidé, en application de l’article 38 § 1 du règlement de la Cour, de ne pas verser ces observations au dossier en vue de son examen.
36. En ce qui concerne les autres requêtes, les requérants demandent des sommes au titre du dommage matériel et moral qu’ils estiment avoir subi, indiquées dans le tableau suivant :
|
No de la requête
|
Prétentions au titre du préjudice matériel et/ou moral
---|---|---
1.
|
15566/13
|
50 000 euros (EUR)
2.
|
4030/14
|
1 000 000 EUR
3.
|
17336/14
|
45 000 EUR
4.
|
10767/15
|
Le requérant s’en remet à la sagesse de la Cour
5.
|
21564/15
|
31 500 EUR
37. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
38. La Cour ne distingue aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel réclamé par certains requérants. Elle rejette donc la demande formulée à ce titre. En revanche, elle octroie au titre du dommage moral, pour chaque requête, les sommes indiquées dans le tableau suivant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur ces sommes :
|
No de la requête
|
Somme accordée pour dommage moral pour chaque requête
---|---|---
1.
|
15566/13
|
22 000 EUR
2.
|
4030/14
|
11 000 EUR
3.
|
17336/14
|
20 000 EUR
4.
|
10767/15
|
17 000 EUR
5.
|
21564/15
|
18 200 EUR
2. Frais et dépens
39. Les requérants réclament, au titre des frais et dépens qu’ils ont engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour :
1) pour la requête no 15566/13, la somme de 9 920 EUR ;
2) pour la requête no 17336/14, la somme de 4 000 EUR ;
3) pour la requête no 21564/15, la somme de 3 500 EUR.
Les requérants ayant introduit les requêtes no 4030/14 et no 10767/15 s’en remettent à la sagesse de la Cour.
40. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
41. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour accueille la demande présentée au titre des frais et dépens dans la requête no 15566/13 et rejette les autres demandes. Pour celle‑ci, vu les pièces fournies, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 3 000 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
3. Intérêts moratoires
42. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Joint au fond du grief tiré de l’article 13 de la Convention l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours interne et la rejette ;
3. Déclare les requêtes recevables ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
6. Dit que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention :
a) les sommes suivantes, au titre du dommage moral :
1. requête no 15566/13 : 22 000 EUR (vingt-deux mille euros),
2. requête no 4030/14 : 11 000 EUR (onze mille euros),
3. requête no 177336/14 : 20 000 EUR (vingt mille euros),
4. requête no 10767/15 : 17 000 EUR (dix-sept mille euros),
5. requête no 21564/15 : 18 200 EUR (dix-huit mille deux cents euros) ;
b) 3 000 EUR (trois mille euros) pour les frais et dépens de la requête no 15566/13 ;
et qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 avril 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Renata Degener Marko Bošnjak
Greffière Président
ANNEXE
Numéro et nom de la requête/date d’introduction - détails du/des requérant/s
|
Informations sur la procédure
|
---|---|---
Durée globale
|
Autorité(s) judiciaire(s)
(no R.G.)
Début et fin de la procédure
|
Représentant
15566/13
Verrascina c. Italie
Introduite le 28/01/2013
A. VERRASCINA
ressortissant italien
né en 1959
|
18 ans et 8 mois pour
trois degrés de juridiction
|
Autorité judiciaire :
* Tribunal de Modène
(R.G. no 1755/1997)
Début de la procédure : 27 juin 1997
Fin de la procédure : 5 août 2011
* Cour d’appel de Bologne
(R.G. no 410/2012)
Début de la procédure : 22 février 2012
Fin de la procédure : 7 avril 2014
* Cour de cassation
(R.G. no 5877/2015)
Début de la procédure : 18 février 2015
Fin de la procédure : 31 juillet 2017
|
E. PASQUINELLI
4030/14
Chiari c. Italie
Introduite le 17/03/2014
G. CHIARI ressortissant italien né en 1961
|
11 ans et 4 mois pour deux degrés de juridiction
|
Autorité judiciaire :
* Tribunal de Naples
(R.G. no 7816/2003)
Début de la procédure : 8 juillet 2003
Fin de la procédure : 22 janvier 2010
* Cour d’appel de Naples
(R.G. no 3534/2010)
Début de la procédure : 2 avril 2010
Fin de la procédure : 27 février 2015
|
C. RIGGIO
17336/14
FA.VO. costruzioni et Fabozzi c. Italie
Introduite le 04/04/2013
N. FABOZZI[2] ressortissant italien né en 1946
|
14 ans et 15 jours pour un degré de juridiction
|
Autorité judiciaire :
* Tribunal de S.Maria Capua a Vetere
(Fall. no 8425/2002)
Début de la procédure : 21 juin 2002 (arrêt no 2118/2002)
Fin de la procédure : 6 juillet 2016
|
F. PASQUARIELLO
10767/15
De Blasio
c. Italie
Introduite le 10/02/2015
Z. DE BLASIO
ressortissant italien né en 1937
|
13 ans et 3 mois pour trois degrés de juridiction
|
Autorité judiciaire :
* Tribunal de Benevento
(R.G. no 1577/1989)
Début de la procédure : 13 septembre 1988
Fin de la procédure : 4 septembre 1992
* Tribunal de Benevento
(R.G. no 1995/1999)
Début de la procédure : 17 septembre 1999
Fin de la procédure : 22 décembre 2006
* Tribunal de Benevento
(R.G. no 573/2014)
Début de la procédure : 17 novembre 2014
Fin de la procédure : 30 novembre 2016
|
L. LIBERTI
21564/15
Giardina
c. Italie
Introduite le 04/05/2015
S. GIARDINA
ressortissant italien né en 1952
|
24 ans et 2 mois pour deux degrés de juridiction
|
Autorité judiciaire :
* Tribunal de Mistretta
(R.G. no 41/1991)
Début de la procédure : 22 février 1991
Fin de la procédure : 11 avril 2012
* Cour d’appel de Messina
(R.G. no 341/2013)
Début de la procédure : 31 mai 2013
Fin de la procédure : 18 mai 2016
|
F. TRIFILO’
60961/15
De Matteo
et autres c. Italie
Introduite le 03/12/2015
F. DE MATTEO
ressortissant italien né en 1981
F. DE PIANO
ressortissant italien né en 1976
P. DI BLASIO
ressortissant italien né en 1977
S. LAMBERTI
ressortissant italien né en 1976
P. MASCIULLO
ressortissant italien né en 1973
L. MAZZA
ressortissant italien né en 1979
S. MINISSALE
ressortissant italien né en 1977
A. NADDEO
ressortissant italien né en 1978
L. SIVIGLIA
ressortissant italien né en 1975
A. MAZZARANO
ressortissant italien né en 1977
|
9 ans et 10 mois pour un degré de juridiction
|
Autorité judiciaire :
* Tribunal administratif régional de Latium
(R.G. no 11441/2006)
Début de la procédure : 7 décembre 2006 (demande de fixation en urgence de la date de l’audience :
25 mai 2011)
Fin de la procédure : 11 octobre 2016
|
E. CERIO
* * *
[1] « (…) 7. Restano ferme le disposizioni che determinano l’ordine di priorità nella trattazione dei procedimenti. »
[2] M. N. Fabozzi est associé (socio accomandatario) de la société FA.VO. Costruzioni. Le tribunal interne a déclaré la faillite de ladite société et la faillite personnelle du requérant.