QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE I.G.D. c. BULGARIE
(Requête no 70139/14)
ARRÊT
Art 5 § 4 • Autorités internes n’ayant pas assuré un contrôle périodique à intervalles réguliers afin de vérifier la nécessité du maintien d’un adolescent en internat socio-pédagogique • Absence en droit interne d’un contrôle judiciaire périodique et automatique
Art 8 • Obligations positives • Vie privée et familiale • Art 13 (+ Art 8) • Absence de recours effectif • Décision de placement du requérant principalement pour sanctionner son comportement jugé déviant, dont la mère assumait difficilement ses responsabilités parentales • Mesures moins contraignantes non envisagées • Pas d’examen de la situation du requérant victime de violences dans l’internat • Décision exécutée durant trois ans • Intérêt supérieur de l’enfant non analysé par les autorités • Procédures sans garanties proportionnées à la gravité de l’ingérence et des intérêts en jeu • Absence de mesures afin de faciliter le rapprochement entre la mère et son enfant et d’adapter la situation individuelle de ce dernier
STRASBOURG
7 juin 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire I.G.D. c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :
Tim Eicke, président,
Yonko Grozev,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Jolien Schukking, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,
Vu la requête (no 70139/14) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. I.G.D. (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 octobre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement bulgare (« le Gouvernement »),
Vu la décision de ne pas dévoiler l’identité du requérant,
Vu les observations des parties,
Vu la décision du Président de rejeter la demande de déport du juge Grozev, formulée par le Gouvernement,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 avril 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. Invoquant l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant dénonce l’impossibilité en droit bulgare de faire examiner la légalité de son placement dans un internat socio-pédagogique. Il voit également dans son placement une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8. Il soutient enfin n’avoir disposé d’aucun recours effectif au sens de l’article 13 qui lui aurait permis de se plaindre à cet égard.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 2000. Il résidait à Varnentsi, municipalité de Tutrakan, au moment de l’introduction de la requête. Il est représenté par M. K. Kanev, président du Comité bulgare d’Helsinki, une organisation non gouvernementale basée à Sofia. Le 15 janvier 2016, la présidente de la cinquième section de l’époque a autorisé M. Kanev à représenter les requérants dans toutes les affaires pendantes et à venir dans lesquelles il agit personnellement en qualité de représentant (article 36 § 4 a) in fine du règlement de la Cour (« le règlement »).
3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice.
1. La prise en charge du requérant entre 2003 et 2011
4. Selon les données fournies par l’Agence d’assistance sociale, les parents du requérant, séparés depuis 2001, divorcèrent en 2003 et la garde de l’enfant fut confiée à sa mère, alors domiciliée au village D. situé à environ 180 km au nord de Sofia. La grand-mère maternelle de l’intéressé contribua à lui apporter les soins nécessaires jusqu’en 2006, puis elle dut s’en occuper entièrement à la suite du déménagement de la mère à Sofia chez son nouveau partenaire E. En 2007, le requérant fit l’objet d’une mesure de protection en raison des violences commises par sa grand-mère. En janvier 2008, il fut confié à son père, domicilié à Vidin.
5. Ayant subi également des agressions physiques commises par son père, le requérant bénéficia d’une autre mesure de protection, puis en juillet 2010 il fut de nouveau confié à sa mère qui entretemps s’était séparée de E. et était retournée vivre au village D., chez la grand-mère maternelle du requérant.
6. À l’automne 2010, la mère du requérant déménagea de nouveau à Sofia chez un autre partenaire, un certain H. Le requérant la suivit et fut scolarisé à Sofia. Toutefois, certains éléments du dossier indiquent que la mère et l’enfant sont retournés au village D. à la suite de violences physiques commises par H. sur la mère.
7. En mai 2011, la direction de l’assistance sociale fut alertée du comportement déviant du requérant qui, alors âgé de onze ans, était agressif et avait commis des attouchements sexuels sur un mineur de sept ans. En conséquence, le 4 mai 2011, le requérant fut placé dans un foyer à régime ouvert à Belogradchik, spécialisé dans l’accueil des mineurs dont les parents ne pouvaient leur donner les soins adéquats. Cette mesure fut confirmée par une décision du 30 juin 2011 rendue par le tribunal de district (районен съд) de Belogradchik. Le tribunal constata que le requérant ne bénéficiait pas d’un environnement familial correspondant à ses besoins et que la protection de son intérêt supérieur exigeait son placement dans une institution spécialisée.
8. Pendant son séjour au foyer de Belogradchik, l’intéressé commit d’autres attouchements sexuels et provoqua des incendies. À titre de mesure de protection pour lui-même et les autres mineurs du foyer, il fut placé, le 15 juillet 2011, dans un « centre pour enfants en crise ». Il apparaît qu’il y commit de nouveau des attouchements sexuels envers son camarade de chambre.
9. Toutes les mesures de protection susmentionnées furent prises par les directions régionales de l’Agence d’assistance sociale de Belogradchik ou de Vidin, dans le ressort desquelles se trouvait le domicile du requérant, soit au village D., soit à Vidin chez son père.
1. Le placement et le séjour du requérant à l’internat de Straldja en 2011
10. À une date non précisée en novembre 2011, la commission locale de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs (« la commission locale ») adressa au tribunal de district de Belogradchik une proposition de placement du requérant, alors âgé de onze ans, dans un internat socio‑pédagogique. Par un jugement du 28 novembre 2011, le tribunal de district, se fondant sur la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs, ordonna le placement de l’intéressé. Il constata en particulier que les parents du requérant avaient divorcé et que la mère, titulaire de la garde, avait déclaré ne pas être en mesure d’exercer un contrôle parental quotidien sur son fils. L’enfant présentait un retard du développement psychique, un comportement asocial et une hyperactivité, et avait déjà été placé dans un foyer à régime ouvert, spécialisé dans l’accueil des mineurs (paragraphe 7 ci‑dessus). Enfin, il était fiché par les services de police pour des vols mineurs et plusieurs attouchements sexuels commis sur des mineurs. Le tribunal jugea que le requérant n’était pas réceptif à l’apprentissage des normes de vie dans la société et que sa famille et le foyer avaient utilisé tous les moyens susceptibles de corriger son comportement, mais en vain. Il précisa qu’une mesure éducative plus légère, à savoir l’admonestation accompagnée de la surveillance renforcée par les parents, avait été imposée au requérant en vertu de la législation applicable, mais qu’elle ne s’était pas révélée suffisante à ce stade. Selon le tribunal, il convenait d’appliquer la mesure la plus stricte, soit le placement dans un établissement fermé. Ce jugement ne fut pas contesté par le requérant.
11. Le 10 janvier 2012, le requérant fut placé dans l’internat socio‑pédagogique de Straldja, région de Yambol, situé à environ 500 km du village D. et à environ 315 km de Sofia.
12. Il ressort des éléments du dossier que, le 13 juillet 2012, une commission composée de trois médecins examina le requérant et diagnostiqua chez lui une dyslexie. Elle estima qu’il convenait de soumettre l’enfant à une surveillance régulière par un psychiatre, ainsi que de lui faire suivre des activités éducatives à l’aide d’un psychologue et d’un enseignant spécialisé dans l’accompagnement des mineurs en difficulté (ресурсен учител).
13. Le requérant bénéficia d’un congé dans son foyer du 21 décembre 2012 au 6 janvier 2013. Pour cette période, il fut confié à sa mère qui vivait à cette époque avec son compagnon H. Les services sociaux firent état d’un séjour calme.
14. Le 6 mars 2013, la mère du requérant demanda à la commission locale d’engager une procédure de mainlevée de la mesure de placement en internat. Dans un rapport d’enquête daté du 22 avril 2013, la direction municipale de l’assistance sociale rappelait que l’enfant avait été victime de violences au sein de sa famille depuis son jeune âge, d’abord de la part de sa grand-mère chez qui il avait été confié entre 2004 et 2007, puis de la part de son père, chez qui il avait vécu entre 2009 et 2010. Un travail psychopédagogique avec l’enfant avait été engagé au cours de cette dernière période. Confié à sa mère de nouveau entre 2010 et 2011, le requérant changeait souvent de domicile. Son placement d’urgence dans un foyer à régime ouvert, le 4 mai 2011, avait été décidé en raison d’attouchements sexuels commis par lui sur des mineurs (paragraphe 7 ci-dessus). Le rapport précisait qu’entre septembre et novembre 2011, le requérant avait commis plusieurs infractions à l’ordre interne : fugue du foyer, harcèlement à l’égard d’autres enfants, violence physique, exhibition de ses parties intimes en classe et dans le foyer, plusieurs attouchements sexuels à l’égard de son camarade de chambre, introduction de matériaux inflammables et provocation d’un incendie. L’ensemble de ces faits avait servi de motivation du placement de l’intéressé dans l’internat socio-pédagogique de Straldja. Concernant son état de santé, le rapport indiquait que, outre les troubles du comportement dus essentiellement à une négligence pédagogique, il était établi, depuis le 13 juillet 2012, que le requérant souffrait d’une dyslexie (paragraphe 12 ci-dessus). Quant à sa mère, elle était au chômage et vivait en concubinage avec H., qui seul assurait la charge financière du foyer. Ce dernier consommait de l’alcool, ce qui le rendait agressif. La mère de l’enfant présentait une capacité parentale réduite et laissait souvent son fils sans contrôle parental. Elle avait confié aux services sociaux que H. avait une mauvaise attitude envers son fils, que l’ambiance à la maison était très tendue et insupportable, et qu’elle avait quitté H., accompagnée de son fils, le 21 avril 2011. Plus tard, elle était retournée chez H. à plusieurs reprises, puis l’avait quitté en raison des épisodes de violence. Compte tenu de ces éléments, la direction municipale de l’assistance sociale conclut que le retour de l’enfant dans le milieu familial, considéré comme instable, présentait des risques.
15. Le 31 mai 2013, le directeur de la commission locale informa la mère du requérant des conclusions du rapport d’enquête.
16. Le requérant bénéficia d’un congé dans le foyer de sa mère du 29 mars au 7 avril 2013, puis du 25 avril au 6 mai 2013, sous la supervision d’un éducateur de la commission locale.
17. À la demande de sa mère, l’enfant fut hospitalisé du 13 au 18 mai 2013 dans un service pédopsychiatrique en vue d’une expertise médicale. Les conclusions de cette expertise indiquèrent que l’intéressé présentait un retard dans son développement intellectuel, émotionnel et social, ainsi qu’un déficit de la mémoire et de sa capacité de concentration. Son seuil de frustration restait à un niveau bas et il était peu motivé par le travail. Le manque d’enseignement régulier et de soutien adéquat ainsi que son mode de vie et d’éducation influençaient de manière négative ses résultats scolaires. Les médecins considérèrent qu’il existait pour l’enfant un risque de subir un échec scolaire et de voir ses troubles du comportement s’accroître. Ils recommandèrent un changement dans sa prise en charge selon des exigences claires pour son éducation future, comprenant en particulier un travail psychique et psychologique régulier ainsi que le suivi d’activités éducatives avec l’aide d’un enseignant spécialisé. Il convenait également de fournir des conseils à sa mère.
18. Le 5 juin 2013, la mère du requérant adressa à la commission locale une autre demande en vue de la levée de la mesure de placement. S’appuyant sur l’expertise médicale du mois de mai 2013 (paragraphe 17 ci-dessus) et considérant que la mère exerçait une influence néfaste sur son fils, le directeur de l’internat de Straldja émit, le 21 juin 2013, un avis défavorable à la levée de cette mesure. Il y précisait que la mère ainsi que son compagnon, souvent sous l’influence de l’alcool, auraient manifesté un comportement agressif et vulgaire envers l’équipe de l’établissement. Par une lettre datée du 21 juin 2013, la commission locale répondit que, compte tenu de l’ensemble des éléments du dossier, il ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant de lever la mesure de placement. Elle considéra que l’intéressé devait vivre et suivre une éducation en dehors du milieu familial. Aussi la commission locale refusa‑t‑elle de soumettre au tribunal une proposition de levée de la mesure de placement de l’enfant en établissement fermé.
19. Il ressort des éléments du dossier que, le 3 septembre 2013, le requérant causa des dégâts à la bicyclette d’un éducateur. En les découvrant, l’éducateur aurait trouvé et poursuivi le requérant en lui donnant un coup de pieds dans les parties intimes, des coups sur la tête avec une pochette d’ordinateur portable, puis des coups de bâton sur le dos et les parties postérieures. Une commission de l’Agence nationale pour la protection de l’enfance (« l’Agence nationale ») effectua une visite d’inspection dans l’internat les 4 et 5 septembre 2013. Elle fit état de ces circonstances et les qualifia d’actes de violences physiques. Un certificat médical daté du 4 septembre 2013 détaillant l’état du requérant indiqua les blessures sur son corps, notamment une ecchymose, accompagnée d’une éraflure en double bande de huit sur deux centimètres sur la partie droite du dos, une ecchymose similaire de six centimètres, située près de l’aisselle droite, ainsi que cinq autres ecchymoses de huit centimètres sur la longueur de la cuisse arrière droite, occupant ainsi pratiquement toute la surface de la cuisse. Le 5 septembre 2013, le requérant fut entendu par un juge.
20. Une procédure pénale fut engagée d’office et, par une ordonnance de non-lieu du 21 mai 2015, le procureur de district de Yambol la clôtura. Dans son ordonnance, le procureur établissait les circonstances factuelles susmentionnées, précisant que l’éducateur en question était l’auteur des coups litigieux, mais qu’il s’agissait de faits pour lesquels seul le requérant pouvait porter plainte et qui, en conséquence, ne relevaient pas de l’action publique. Il n’y avait dès lors pas lieu de poursuivre la procédure engagée d’office.
21. Par ailleurs, à une date non précisée au cours de son séjour à l’internat socio-pédagogique de Straldja, le requérant eut un entretien avec une psychologue de l’institut d’activités et de pratiques sociales, une organisation non gouvernementale ayant pour but le développement des programmes de soutien en faveur d’enfants et de familles à risque. La psychologue présenta ses observations et conclusions détaillées dans un rapport écrit. Elle émit, en particulier, les remarques suivantes :
« (Nature) de comportement asocial, que « dit » l’enfant par le non-respect des règles ? :
Victime et témoin de violences. Ses problèmes sont liés essentiellement au milieu familial. Père agresseur, qui abusait de l’alcool. Témoin des mauvais traitements de la part du père à l’égard de sa mère. Absence d’exemple masculin lui permettant de s’identifier. Dans son ensemble, le couple parental n’avait pas un style rigoureux et n’imposait pas de règles d’éducation [à l’enfant] ; après leur séparation, ils ont renoncé à leurs obligations parentales, auxquelles ils n’avaient pas su donner du contenu par le passé non plus. Des séparations fréquentes entre le garçon et sa mère, plusieurs personnes différentes intervenaient dans sa prise en charge. Les nombreux cas de vol [de la part de la mère] n’ont pas été remis en question, ce qui a contribué à l’affirmation du modèle. (...) Appel à l’aide, solitude, dépression, colère.
Zones problématiques principales :
[L’enfant] ne démontre pas s’il est lié à sa famille par l’affectif. Il a été victime et témoin d’une violence régulière au sein de sa famille. Le travail psychothérapeutique sur les violences commises sur lui dans sa petite enfance ou sur sa mère n’est pas achevé. Il n’est pas sûr que les violences commises sur lui ont été physiques ou psychologiques, la violence sexuelle n’est pas à exclure, mais la victime est incertaine.
Il a l’habitude de commettre des vols.
Agressivité exprimée envers les animaux.
Expression cynique. Des phrases confuses, il situe les événements dans le temps de manière imprécise également.
Actes d’attouchements sexuels successifs.
Des règles ne lui ont pas été imposées. Il manque de conscience sur la nécessité de les respecter.
Il éprouve des difficultés dans la capacité de maîtriser ses sentiments – les identifier, les décrire, émotionnellement immature. Affirmation de soi par le rejet de la faute sur l’autre.
L’adaptation sociale est déséquilibrée – réactions inadéquates liées à la (non) résolution des situations conflictuelles. Il éprouve des difficultés à les surmonter.
Il présente une autoévaluation irréaliste.
Il n’éprouve pas le sentiment de culpabilité, assume la responsabilité de certains actes qu’il a commis.
Présence de l’envie de mourir. (...)
Besoins fondamentaux :
[L’enfant] a besoin d’être entendu et compris – « tout le monde me hait, personne ne veut de moi, ma mère m’a abandonné beaucoup de fois, mon père me battait comme un animal (...) »
Il a besoin d’être soutenu, sentir la confiance de quelqu’un en lui.
Il a besoin d’être accompagné afin qu’il comprenne ses actes, sa personnalité et les autres, et qu’il trouve sa place. Le but est qu’il soit capable de se présenter et s’exprimer d’une manière adéquate et acceptable.
Il faudrait qu’il construise des relations de confiance avec une personne qui aurait un rôle important pour lui.
Il conviendrait de l’accompagner dans la compréhension de son comportement destructeur pour lequel il n’accuse personne.
Il est perdu dans la perception qu’il a des adultes qui prennent une vérité pour un mensonge et l’inverse.
Il exprime une douleur profonde de la solitude et des séparations dans la petite enfance.
Il éprouve une nécessité absolue de comprendre la sexualité et l’intimité, sans doute également la vision sur le corps humain, à l’aide d’une thérapeute.
Il faudrait donner du sens au quotidien du garçon d’une manière différente de sa routine d’aujourd’hui.
Ressources/facteurs existant favorables :
Même si [l’enfant] dit qu’il déteste sa mère, il déclare aussi qu’il l’aime. La mère devrait être intégrée au travail psychologique effectué sur la situation du garçon.
Il existe une équipe d’experts.
[Le garçon] déclare accepter les gens, « il suffit qu’ils soient gentils ».
(...) Présence d’une envie de mener une vie « normale ».
Il a la capacité de bien dessiner – c’est une manière de s’exprimer et de se manifester. Il a envie d’étudier.
Évaluation du risque :
En ce qui concerne la scolarité [du requérant] le niveau de gravité du risque peut être évalué entre moyen et très élevé en raison notamment de l’absence de soutien et de contrôle, ce qui peut conduire à une exclusion scolaire. À ce stade, il va en classe avec envie, mais il existe une grande incertitude quant à son évolution à l’extérieur de l’internant s’il manque de contrôle et d’encadrement.
Le risque de se faire du mal à lui-même et à autrui est élevé.
Le risque de récidive est également élevé car [le requérant] a développé « une carrière » dans ses actes et cela laisse supposer qu’il les reproduise. »
22. Enfin, il apparaît qu’à la suite des constats de violation des règles de fonctionnement, le ministre de l’Éducation et des Sciences adopta le 12 septembre 2014 un arrêté prévoyant la fermeture de l’internat de Straldja.
2. Le placement du requérant à l’internat de Varnentsi en 2013
23. Entretemps, en raison de l’acte de violence subi par le requérant à l’internat de Straldja (paragraphes 19-20 ci-dessus) et motivée par la nécessité de protéger l’enfant, la direction municipale de l’assistance sociale avait ordonné, le 5 septembre 2013, son placement dans un « centre de crise pour enfants victimes de trafic et de violence » pour une durée de six mois. À une date non précisée avant le 5 octobre 2013, la direction municipale introduisit auprès du tribunal de district de Slivnitsa une demande en vue de la validation du placement en question pour une durée de trois mois. L’enfant et sa mère furent entendus par le tribunal. Ils déclarèrent tous deux vouloir vivre ensemble. La mère indiqua qu’elle vivait chez son compagnon et ajouta que celui-ci disposait de moyens financiers suffisants pour la prise en charge de son fils.
24. Par une décision du 11 novembre 2013, le tribunal de district refusa de valider le placement en question. Il fit valoir que, bien que les experts sociaux eussent préconisé la recherche d’une mesure adaptée aux besoins spécifiques de l’intéressé, ainsi que son placement dans l’intervalle dans un centre de crise, le requérant avait eu, au cours des deux derniers mois passés dans cet établissement de crise, un comportement agressif, tant sur le plan physique que psychologique, envers les autres enfants, et surtout les filles. Ainsi, la demande visant à la validation du placement en question dans cet établissement n’était pas fondée. Le tribunal mentionna en revanche le besoin de protection du requérant lui-même pour son développement et ses intérêts. Il ajouta qu’à ce stade ses parents n’avaient pas les capacités suffisantes pour lui assurer les conditions nécessaires à son développement. Il considéra que, dès lors qu’une mesure judiciaire de placement dans un internat socio‑pédagogique avait été adoptée et que le requérant avait été victime de violences dans celui de Straldja, il y avait lieu de le placer dans un autre internat socio-pédagogique afin que fût exécuté le jugement du 28 novembre 2011 (paragraphe 10 ci-dessus). Il n’indiqua pas l’établissement dans lequel le placement devait être réalisé. Le requérant fut transféré, le 21 décembre 2013, à l’internat socio-pédagogique du village de Varnentsi, situé à environ 400 km du domicile de sa mère.
25. Par l’intermédiaire de son représentant et de sa mère, le requérant interjeta appel de ce jugement. Par une communication du 16 décembre 2013, le tribunal régional de Sofia (Софийски окръжен съд) demanda au requérant de préciser, dans un délai de sept jours, la partie du jugement contesté et l’objet de l’appel. Par une décision du 27 janvier 2014, ce tribunal mit fin à la procédure, constatant que sans réponse du requérant le délai pour se conformer aux consignes données était écoulé.
26. Dans cet intervalle, le 3 novembre 2013, le requérant fut de nouveau examiné par un médecin psychiatre qui constata que ses troubles du comportement social persistaient, qu’il démontrait une attitude agressive et qu’il était lui-même souvent la victime d’agression. Le médecin précisa que l’enfant avait besoin d’un accompagnement personnalisé, d’un programme d’éducation individuel ainsi que des soins permanents et d’un milieu familial naturel propice à son développement.
3. Les tentatives de la mère du requérant tendant à l’obtention d’une levée de la mesure de placement
27. Il ressort des éléments du dossier qu’à la suite d’une demande de la mère ayant pour objet le congé au foyer de son fils pendant les fêtes de fin d’année 2013, la direction chargée de l’assistance sociale de Sofia conduisit une enquête sociale. Les résultats de l’enquête, établis le 16 décembre 2013, indiquaient entre autres que la mère et son compagnon étaient solidaires dans la démarche tendant à l’obtention d’une levée de la mesure de placement du requérant. Toutefois, la mère était victime d’agression physique de la part de son compagnon. Le couple traversait des épisodes de séparation violents, et la mère avait à cet égard cherché à être protégée par les autorités. D’après les conclusions de l’enquête, la mère était constante dans ses démarches pour mettre fin au placement de son fils dans une institution fermée, mais présentait elle-même un trouble du comportement. Elle manquait de stabilité aussi bien pour développer son projet personnel que pour assurer un environnement sécurisé et rassurant pour son fils. Depuis 2010, elle avait souvent changé d’adresse, sa consommation d’alcool et celle de son compagnon étaient abusives, et celui-ci devenait également de plus en plus agressif, y compris en présence du requérant.
28. Le 14 janvier 2014, la mère du requérant sollicita l’assistance de l’Agence nationale pour obtenir la garde de son fils, alléguant que les besoins spécifiques pour sa santé avaient été négligés. Elle indiqua également que l’enfant ne savait pas encore lire et écrire et qu’elle pouvait se charger de son éducation.
29. Du 13 au 18 février 2014, le requérant partit en congé dans son foyer, sous la surveillance de la commission locale de Sofia.
30. Une nouvelle expertise établie par un pédopsychiatre le 14 février 2014 reprit les constats faits dans les certificats médicaux précédents en ajoutant que la manière dont l’éducation de l’enfant était poursuivie, le changement fréquent d’institutions, ainsi que l’absence d’un contexte éducatif clair et prévisible détérioraient les conditions propices à son développement. Selon cette expertise, le requérant entretenait de bonnes relations avec sa mère, il était donc concevable de le réintégrer, dans la mesure du possible, dans un milieu naturel familial, avec l’engagement de la part des parents qu’un contrôle et des soins permanents lui seraient assurés. De plus, un contrôle des services sociaux était nécessaire, comprenant une formation et des conseils proposés à la mère, ainsi que la participation de l’enfant à un enseignant spécialisé.
31. Le même jour, soit le 14 février 2014, la mère du requérant renouvela sa demande d’assistance auprès de l’Agence nationale pour obtenir une levée immédiate de la mesure de placement en exposant que son fils avait subi une agression de la part d’un élève.
32. Par une lettre du 7 mars 2014, la commission locale émit un avis défavorable, expliquant que la mère changeait souvent de compagnons, ce qui avait une influence négative sur l’enfant, qu’elle était instable émotionnellement et qu’elle n’était pas en mesure de lui assurer un environnement familial propice à son développement et à son éducation, tout comme elle ne pouvait défendre ses droits et intérêts. Elle recommanda pour la mère des mesures d’accompagnement avant de pouvoir envisager de réunir la mère et son fils.
33. Par une lettre du 25 avril 2014, l’Agence nationale informa la mère du requérant qu’à la suite d’une enquête conduite par la direction municipale de l’assistance sociale, il n’était pas établi que son fils avait été victime d’actes de violences de la part des élèves ou du personnel de l’internat de Varnentsi. De plus, les services sociaux avaient constaté que le contexte familial de la mère, observé depuis trois ans, n’était pas propice au requérant, puisque ni les ressources ni les conditions nécessaires à l’éducation de l’enfant n’étaient réunies. Ces données justifiaient l’avis défavorable et ferme de la commission locale. L’Agence nationale précisa que si ces circonstances évoluaient à l’avenir, il serait de nouveau possible de se pencher sur le retour du requérant chez sa mère.
34. Le 29 avril 2014, le tribunal de district de Tutrakan reçut une communication par laquelle la mère du requérant demandait la levée de la mesure de placement, alléguant que son fils subissait des actes de violences à l’internat de Varnentsi. Par une décision du 1er mai 2014, le tribunal de district, se fondant sur l’article 31 de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs, refusa d’examiner cette demande pour défaut de qualité à agir de la mère dans cette procédure et précisa que seule la commission locale pouvait formuler une demande de réexamen de la situation de l’enfant.
35. Du 14 juin au 14 septembre 2014, le requérant bénéficia d’un congé dans le foyer de sa mère pour les vacances d’été, effectué sous la surveillance de la commission locale de Sofia.
36. Il apparaît que, le 14 août 2014, l’Agence nationale adressa une nouvelle demande à la commission locale au sujet de l’éventuelle levée de la mesure de placement du requérant en internat. La suite de cette demande n’est pas connue.
37. Du 24 décembre 2014 au 4 janvier 2015, le requérant séjourna chez sa mère. Un éducateur de la commission locale de Sofia était chargé de surveiller le bon déroulement de ce congé.
4. Le rapport fourni par l’internat socio-pédagogique de Varnentsi
38. Dans un rapport du 15 avril 2016, une conseillère pédagogique et le directeur de l’internat de Varnentsi fournirent des informations sur la situation du requérant. Le rapport indiquait que l’enfant était peu motivé pour le travail scolaire, qu’il manquait de concentration, qu’il avait beaucoup de difficultés et qu’il n’était pas indépendant. Il s’intéressait peu aux activités extra-scolaires ; en revanche, il aimait dessiner et participait, à l’initiative d’un enseignant, à un atelier de théâtre au sein de l’école.
39. Quant à son comportement, le rapport mentionnait que le requérant faisait des efforts pour respecter l’autorité des enseignants et des éducateurs, mais qu’il ne savait pas nouer des liens stables avec les autres enfants. L’évaluation de ses capacités sociales était peu élevée.
40. L’intéressé avait été diagnostiqué comme souffrant d’un trouble du comportement lequel n’était pas incompatible avec un séjour dans un internat socio-pédagogique.
41. Concernant son environnement familial, le rapport indiquait que l’internat aurait assuré un contact téléphonique régulier entre le requérant et sa mère. Celle-ci aurait rarement rendu visite à son fils. Selon les observations du personnel de l’internat, pendant les appels téléphoniques, le requérant se tenait debout et restait immobile, il répondait simplement par « oui » et « non », et ces contacts téléphoniques avec sa mère semblaient inspirer chez lui plus de peur que du respect envers elle. Quelques fois, la mère aurait parlé à un pédagogue sur un ton menaçant ou injurieux sans demander à discuter avec son fils. D’autres fois, le requérant aurait lui-même refusé de prendre les appels, expliquant que sa mère serait « certainement de nouveau ivre et [qu’elle] ne lui dirait que des mensonges ». Lors des visites à l’internat, la mère aurait été accompagnée de partenaires différents et ils auraient été régulièrement en état d’ivresse visible, ils auraient fumé dans la zone de l’internat, auraient provoqué des scandales et auraient eu des comportements inappropriés. Le requérant en aurait été gêné et aurait éprouvé de la honte.
42. Par ailleurs, le rapport faisait état d’une visite de la mère enregistrée entre le 1er et le 4 mars 2015 où elle serait descendue dans un hôtel à Tutrakan, une ville située à environ quinze kilomètres de l’internat. Elle aurait rendu visite au requérant entre 18 heures et 18 h 30, le 2 mars 2015, puis entre 13 heures et 13 h 30, le 3 mars 2015. Elle ne se serait pas rendue à l’internat pour la visite du 4 mars 2015, ce qui aurait déçu le requérant.
43. Enfin, ce rapport faisait état du départ du requérant de l’établissement à la fin d’avril 2015. En effet, il apparaît dans d’autres éléments du dossier que la mesure de placement du requérant en internat socio-pédagogique était arrivée à son échéance et qu’en application de la loi sur la protection de l’enfance, l’intéressé avait logé dans un « logement protégé ».
5. Le rapport de suivi de 2014 du Comité bulgare d’Helsinki
44. Dans un rapport de suivi sur les institutions de délinquance juvénile en Bulgarie établi en 2014, le Comité bulgare d’Helsinki formulait des constatations sur les conditions de vie dans les centres éducatifs – internats et des internats socio-pédagogiques, ainsi que sur leur fonctionnement. Les conclusions révélaient d’une manière générale des conditions de vie et d’hygiène insatisfaisantes, un faible niveau d’éducation, un soutien psychologique et médical inadéquat, des pratiques disciplinaires illégales, ainsi que des abus physiques et sexuels fréquents.
45. Selon ce rapport, les mineurs placés dans de telles institutions rencontraient des difficultés pour maintenir des contacts avec leurs familles ou le monde extérieur. Le rapport indiquait que les établissements étaient souvent situés dans des zones éloignées, ce qui provoquait une isolation sociale et des restrictions aux visites, et compromettait la disponibilité de personnel qualifié.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. La loi de 1958 sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs (Закон за борба срещу противообществените прояви на малолетни и непълнолетни)
46. Les parties pertinentes de la loi de 1958 sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs sont résumées dans l’arrêt D.L. c. Bulgarie (no 7472/14, §§ 40-44, 19 mai 2016). Il convient d’ajouter que cette loi prévoit, parmi la série de mesures éducatives pouvant être imposées aux mineurs ayant manifesté de tels comportements, le placement en internat socio-pédagogique comme une des mesures les plus sévères (article 13, alinéa 1, point 11). Ces internats sont des établissements à caractère public.
2. La loi de 2000 sur la protection de l’enfance (Закон за закрила на детето)
47. Les parties pertinentes de la loi de 2000 sur la protection de l’enfance se trouvent résumées dans l’affaire D.K. c. Bulgarie (no 76336/16, §§ 26-31, 8 décembre 2020).
3. Le règlement de 2006 sur le fonctionnement des centres éducatifs – internats et des internats socio-pédagogiques
48. Les parties pertinentes du règlement sur le fonctionnement des centres éducatifs – internats et des internats socio-pédagogiques sont résumées dans l’arrêt D.L. c. Bulgarie (précité, § 47).
4. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS
49. Les textes internationaux pertinents en matière des droits de l’enfant en l’espèce se trouvent résumés dans l’arrêt D.L. c. Bulgarie (précité, §§ 53‑58).
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
50. Le requérant dénonce l’impossibilité en droit bulgare de faire examiner, à intervalles réguliers, la légalité de son placement dans un internat socio-pédagogique. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
1. Sur la recevabilité
51. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Arguments des parties
52. Le requérant ne conteste pas que le tribunal de Belogradchik a exercé un contrôle de la légalité de la mesure de placement en internat socio‑pédagogique qu’il a initialement ordonnée le 28 novembre 2011 (paragraphe 10 ci-dessus). Il indique cependant qu’il n’a pas eu la possibilité de demander aux tribunaux de réviser par la suite, à des intervalles raisonnables, la légalité de la mesure. Se référant à la loi et à la décision de refus rendue par le tribunal de district de Tutrakan le 1er mai 2014 (paragraphes 34 et 46 ci-dessus), il estime que cette possibilité est ouverte uniquement à la commission locale.
53. Le requérant ajoute que le droit interne ne prévoit pas non plus le réexamen périodique automatique à caractère judiciaire de ce type de mesure. Pourtant, s’appuyant sur les Principes directeurs de Riyad (paragraphe 49 ci‑dessus), il estime que dès lors que le placement d’un mineur en institution peut avoir des effets négatifs sur son développement, vu les risques pour son développement et son bien-être, les autorités devraient avoir l’obligation de chercher constamment des alternatives à un tel placement et de prouver périodiquement devant un tribunal, à une fréquence très régulière, sans attendre l’écoulement d’une année par exemple, qu’elles le font de la manière la plus diligente.
54. Enfin, le requérant précise que la décision du 11 novembre 2013 adoptée par le tribunal de district de Slivnitsa visait à établir une éventuelle mesure de protection en vertu de la loi sur la protection de l’enfance. Selon le requérant, le tribunal, statuant au civil, n’était compétent ni pour vérifier la nécessité du maintien de la mesure de placement en internat socio‑pédagogique, ordonnée par un tribunal pénal dans une procédure distincte prévue par la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs, ni pour décider de la levée de cette mesure, le cas échéant.
55. Le Gouvernement estime que, pour autant que la décision de placement appartenait aux tribunaux, un contrôle de la légalité de cette mesure, tel qu’envisagé par l’article 5 § 4 de la Convention, était incorporé dans le jugement du 28 novembre 2011 rendu par le tribunal de première instance (paragraphe 10 ci-dessus).
56. Il ajoute que la décision du tribunal de district de Slivnitsa du 11 novembre 2013 a eu pour objet un contrôle ultérieur de la mesure de placement visant notamment à vérifier si les raisons ayant justifié le placement initial étaient toujours d’actualité. En l’occurrence, le tribunal a établi, selon une procédure présentant toutes les garanties judiciaires, que l’intérêt supérieur de l’enfant imposait de poursuivre la mesure initialement prise mais dans un autre établissement similaire (paragraphe 24 ci-dessus).
57. Enfin, le Gouvernement met en avant que l’article 31, alinéa 3, de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs prévoit la possibilité de faire lever la mesure de placement par les tribunaux, sur proposition de la commission locale, sans attendre la fin de l’année scolaire (paragraphe 46 ci-dessus). La durée de la mesure est limitée et ne peut excéder une période de trois ans, ce qui constituerait une garantie contre un éventuel prolongement arbitraire.
2. Appréciation de la Cour
58. Les principes de la jurisprudence applicables en l’espèce se trouvent résumés dans l’arrêt Stanev c. Bulgarie ([GC], no 36760/06, §§ 168-170, 17 janvier 2012), ainsi que dans l’arrêt D.L. c. Bulgarie (précité, § 87).
59. La Cour rappelle avoir déjà examiné des mesures de placement similaires à celle de la présente espèce, dans le système bulgare, et avoir conclu qu’il s’agissait d’une mesure privative de liberté pour les mineurs, compte tenu notamment du régime de surveillance permanente et d’autorisation des sorties, et de la durée du placement (A. et autres c. Bulgarie, no 51776/08, §§ 62-63, 29 novembre 2011, et D.L. c. Bulgarie, précité, § 69). La Cour note ensuite que les parties s’accordent à dire qu’il existe en l’espèce un contrôle judiciaire incorporé dans la décision initiale de placement prise par le tribunal de district de Belogradchik, le 28 novembre 2011 (paragraphes 52 et 55 ci-dessus). La question se pose en revanche de savoir si le requérant était en droit de demander une révision ultérieure de la détention et, dans l’affirmative, de vérifier si une telle possibilité lui a été offerte.
60. La Cour a déjà dit que pour ce qui concerne la privation de liberté d’un mineur pour des besoins éducatifs au sens de l’article 5 § 1 d), l’article 5 § 4 de la Convention exige que le mineur bénéficie d’un contrôle judiciaire périodique, effectué de manière automatique et à sa demande, à des intervalles raisonnables, de la légalité du maintien de la mesure (D.L. c. Bulgarie, précité, § 89). De plus, elle a eu l’occasion de constater que la législation bulgare applicable, à l’époque des faits en cause également, n’autorisait pas les mineurs placés dans un centre éducatif – internat à s’adresser aux juridictions pour demander le réexamen de leur détention (ibidem, § 90). La Cour note que le droit interne prévoyait la possibilité de faire réviser la mesure de placement par les tribunaux, sur proposition de la commission locale, et que la mère du requérant a sollicité cette commission pour soumettre une demande en vue de la levée de la mesure imposée à son fils (paragraphes 14, 18, 31, et 46 ci-dessus). Cependant, force est de constater que la commission locale, en tant qu’organe administratif, a exercé son pouvoir discrétionnaire pour évaluer elle-même la situation du requérant avant de formuler un avis défavorable au requérant et sans aucune obligation de saisir les tribunaux (paragraphe 32 ci-dessus ; voir, a contrario, l’arrêt M.H. c. Royaume-Uni, no 11577/06, § 94, 22 octobre 2013, où l’organe administratif respectif était dans l’obligation de renvoyer une demande d’élargissement à l’autorité judiciaire et le défaut de le faire aurait entraîné une atteinte aux droits protégés par l’article 5 § 4).
61. La Cour prend note ensuite de la position du Gouvernement selon laquelle la décision du tribunal de district de Slivnitsa du 11 novembre 2013 incorporait un contrôle portant sur le maintien du requérant en internat socio‑pédagogique (paragraphe 56 ci-dessus). Toutefois, il ressort de cette décision que le tribunal en question avait la compétence de se prononcer sur l’opportunité de placer le requérant dans un « centre de crise pour enfants victimes de trafic et de violence » en application de la loi sur la protection de l’enfance. Ce placement a été refusé au motif que le requérant était dangereux pour les autres mineurs. Même si le tribunal a mentionné le besoin de protection du requérant lui-même et a noté l’incapacité des parents à le protéger, il n’apparaît pas dans la décision en cause que le tribunal se soit livré à une analyse détaillée de la situation du requérant au moment de l’audience et qu’il ait apprécié le caractère adéquat de le renvoyer en internat socio-pédagogique. Le Cour remarque que le tribunal n’a tiré aucune conséquence des violences subies par le requérant dans un contexte d’examen de proportionnalité de la mesure de placement continue. Il a simplement indiqué que l’intéressé devait changer d’internat compte tenu des antécédents de violences dont il avait été victime dans celui de Straldja. De plus, aucun élément du dossier ou du droit interne n’indique que le tribunal en question avait la compétence de se prononcer, dans le cadre de la procédure engagée, sur une éventuelle levée de la mesure de placement en internat socio‑pédagogique. Quoi qu’il en soit, la Cour note qu’à aucun autre moment pendant la durée totale du placement du requérant entre le 10 janvier 2012 (paragraphe 11 ci-dessus) et avril 2015, lorsque la durée légale d’un tel placement était arrivée à son terme (paragraphe 43 ci-dessus), les tribunaux bulgares n’ont effectué un contrôle de la légalité du maintien prolongé de la mesure privative de liberté.
62. La Cour estime opportun de noter qu’une mesure privative de liberté, même de nature éducative, a des conséquences sur le développement physique, émotionnel, social et cognitif d’un enfant ou d’un adolescent. Eu égard à cette considération, la Cour juge primordial que le système juridique national offre un contrôle périodique suffisamment régulier sur la légalité d’une telle mesure. Cette périodicité devrait permettre aux tribunaux d’aboutir rapidement à des décisions adéquates et adaptées à la situation du mineur, et prémunir ainsi l’intéressé contre tout prolongement de sa privation de liberté lorsque d’autres alternatives éducatives peuvent être trouvées. La Cour rappelle ainsi l’obligation des autorités de garantir que la détention d’un mineur soit décidée en tant que mesure de dernier ressort, dans le meilleur intérêt de l’enfant, et qu’elle vise à prévenir des risques sérieux pour son développement. Lorsque ce critère n’est plus rempli, la privation de liberté perd sa justification (voir, mutatis mutandis, D.L. c. Bulgarie, précité, § 74).
63. La Cour constate qu’il n’existe pas en droit interne de contrôle judiciaire périodique et automatique concernant la détention en cause (D.L. c. Bulgarie, précité, § 92).
64. Dans ces circonstances, la Cour ne peut aboutir à la conclusion que les autorités internes ont assuré au requérant un contrôle périodique à intervalles réguliers afin de vérifier la nécessité de son maintien en internat socio-pédagogique.
65. Il s’ensuit qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DEs ARTICLEs 8 et 13 DE LA CONVENTION
66. Le requérant estime que le placement dans les internats socio‑pédagogiques, y compris l’absence de contacts effectifs avec sa mère, s’analyse en une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il se plaint également du défaut d’examen par les autorités de sa situation individuelle au cours de l’exécution de cette mesure. Il invoque les articles 8 et 13 de la Convention dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :
Article 8
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
67. Compte tenu de la nature et de la substance des allégations exprimées par le requérant en l’espèce, la Cour estime qu’il convient d’analyser ensemble les griefs formulés sous l’angle des articles 8 et 13.
1. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties
68. Le Gouvernement ne conteste pas que le placement en établissement éducatif fermé constitue en principe une ingérence dans l’exercice par les mineurs de leur droit au respect de la vie familiale. Il estime cependant qu’en l’espèce le requérant n’a pas subi d’ingérence dans son droit au respect de la vie familiale car, au moment du placement litigieux, l’intéressé ne vivait pas de manière constante avec sa mère ni avec son père. En particulier, pendant une longue période précédant l’adoption de cette mesure, il ne partageait pas le domicile de sa mère. Son environnement familial n’était pas stable et des éléments ont démontré qu’il avait été victime de violences. Ainsi, le Gouvernement n’estime pas que le requérant a été soustrait à sa mère avec qui il entretenait des relations sporadiques, notamment lors des invitations et des congés dans le foyer de celle-ci. Il explique par ailleurs que le placement en question s’analyse inévitablement en une ingérence dans la sphère privée du requérant.
69. L’intéressé réplique qu’il a toujours eu une forte relation émotionnelle avec sa mère, que l’un et l’autre ont toujours voulu vivre ensemble, qu’ils souffraient de leur séparation et que sa mère avait cherché à les réunir à de nombreuses reprises.
2. Appréciation de la Cour
70. La Cour doit d’abord examiner si les faits dont se plaint le requérant relèvent du champ d’application de l’article 8 de la Convention (Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, §§ 93-94, 25 septembre 2018). Le Gouvernement ne conteste pas que les faits de la cause relèvent de la vie privée du requérant, mais il indique qu’à son avis la relation entre ce dernier et sa mère ne s’analyse pas en une vie familiale.
71. La Cour rappelle qu’il existe entre l’enfant et ses parents un lien constitutif d’une vie familiale (Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 43, CEDH 2000‑VIII).
72. Elle prend note de l’argument du requérant selon lequel son grief s’appuie sur l’existence d’une vie familiale entre sa mère et lui, ce qui a été contesté par le Gouvernement qui indique qu’il n’existait pas de cohabitation régulière entre sa mère et lui et que l’enfant n’était pas protégé dans son milieu familial.
73. En l’espèce, la Cour note que, même si le requérant a changé plusieurs fois de domicile entre celui de ses deux parents et celui de sa grand-mère maternelle (paragraphes 4-6 ci-dessus), il a vécu chez sa mère pendant de longues périodes avant d’être placé dans des établissements éducatifs, et qu’il a également passé des congés dans le foyer de sa mère (paragraphes 13, 16, 29, 35 et 37 ci-dessus). Par ailleurs, cette dernière a été très active dans les démarches qu’elle a effectuées auprès des autorités pour demander la levée du placement, et, lorsque l’intéressé se trouvait dans les établissements éducatifs litigieux, elle a fourni des efforts pour entretenir sa relation avec lui, notamment en lui passant des appels téléphoniques et en lui rendant des visites. Enfin, même si le rapport psychologique produit par l’institut d’activités et de pratiques sociales fait état de la difficulté d’établir un lien affectif précis entre le requérant et sa mère, il indique que l’enfant aime sa mère et préconise que celle-ci soit intégrée au travail éducatif de son fils (paragraphe 21 ci-dessus). Compte tenu de ces éléments, la Cour ne peut conclure que le requérant et sa mère ont rompu le lien familial.
74. Elle estime dès lors que cette relation s’analyse en une « vie familiale » au sens de l’article 8 § 1. Elle observe par ailleurs qu’il convient d’examiner dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité de l’ingérence, dans son analyse du grief de violation de l’article 8 (paragraphes 85-96 ci-dessous), la question soulevée par le Gouvernement relative à l’environnement familial prétendument instable.
75. La Cour estime dès lors que les faits de la présente affaire relèvent de la vie privée et familiale du requérant, et que l’article 8 trouve à s’appliquer.
76. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Arguments des parties
77. Le requérant considère que le placement litigieux ne se justifie par aucun des buts visés par l’article 8 § 2 et qu’il n’était pas nécessaire à son éducation. S’il admet que sa mère avait des difficultés à s’occuper de lui et qu’il avait été victime d’une violence physique par le passé de la part de son père et de sa grand-mère, l’intéressé estime qu’aucun abus physique sévère n’a été exercé sur lui par sa mère ou ses partenaires après le divorce. Il met surtout en avant qu’aucune autre alternative au placement en institution fermée n’a été envisagée. Il se plaint des conditions de vie dans les internats de Straldja et de Varnentsi pendant la longue période, à savoir trois ans, durant laquelle il y a séjourné : il a été victime d’agressions et d’abus ; l’internat de Varnentsi était très éloigné du domicile de sa mère et leurs contacts en étaient affectés ; il n’a pu maintenir aucun autre lien avec le monde extérieur ; il n’a eu accès ni à un enseignement spécialisé, comme cela avait été préconisé, ni aux soins médicaux adaptés à ses besoins. Enfin, il explique que, tant que la mesure de placement n’était pas levée, il ne pouvait réintégrer le milieu familial et que la levée en question ne pouvait être demandée devant les tribunaux ni par lui ni par sa mère (paragraphe 52 ci‑dessus). Aucune autre voie de recours ne s’offrait à lui qui lui aurait permis de remédier à la violation alléguée de son droit garanti par l’article 8.
78. Le Gouvernement considère pour sa part que le placement du requérant était prévu par la loi et qu’il a été décidé dans le but de protéger la sûreté publique et les droits d’autrui. Il estime que le placement était une mesure éducative temporaire, ordonné parce que l’intéressé ne bénéficiait pas d’un milieu familial adéquat, qui impliquait intrinsèquement des limitations à sa sphère privée. Il ajoute que la mesure pouvait être modifiée dans le cas où une évolution positive chez l’intéressé était constatée ou pour des raisons de santé. De plus, il fait valoir que toutes les conditions étaient réunies pour garantir le maintien des contacts du requérant avec sa mère et les congés dans son foyer ; son père n’avait pas manifesté d’intérêt pour recevoir l’enfant pendant les vacances. Il estime que la mère n’avait pas fait preuve d’une attitude adéquate, nécessaire pour maintenir de bons contacts avec son fils ; elle était souvent irritée ou en d’état d’ivresse lors des visites ou des appels téléphoniques. Ces comportements instables, selon lui, étaient à l’origine du refus par les autorités de lever la mesure de placement ; il ne pouvait donc être reproché aux autorités de ne pas avoir fourni suffisamment d’efforts pour réunir la famille. Le Gouvernement ajoute que tous les professionnels impliqués dans le suivi du requérant s’accordaient à dire qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’intéressé de rejoindre le domicile familial. Enfin, concernant l’absence de recours effectif garanti par l’article 13 propre à remédier au grief du requérant portant sur le placement litigieux, il affirme que la mère de l’intéressé n’a pas demandé la réintégration de son fils dans le milieu familial.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
79. Les principes généraux applicables en matière de séparation des enfants de leurs parents se trouvent résumés dans l’arrêt Strand Lobben et autres c. Norvège ([GC], no37283/13, §§ 202-212, 10 septembre 2019).
80. En particulier, la Cour a souligné, dans le contexte de la séparation des enfants de leurs parents, sous l’angle de l’article 8, que la recherche de l’unité familiale et celle de la réunion de la famille en cas de séparation constituent des considérations inhérentes au droit au respect de la vie familiale garanti par l’article 8. Par conséquent, toute autorité publique qui ordonnerait une prise en charge ayant pour effet de restreindre la vie de famille est tenue par l’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible (ibidem, § 205). Il existe un important consensus international autour de l’idée que l’enfant ne doit pas être séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Il appartient aux États contractants d’instaurer des garanties procédurales pratiques et effectives permettant de veiller à la protection et à la mise en œuvre de l’intérêt supérieur de l’enfant. Par ailleurs, en principe, une décision de prise en charge doit être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent (ibidem, §§ 207-208).
81. La Cour rappelle de plus que la frontière entre les obligations positives et négatives de l’État au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents (voir, parmi beaucoup d’autres, Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 40, CEDH 2003-III, et Dickson c. Royaume‑Uni [GC], no 44362/04, § 70, CEDH 2007‑V).
b) Application au cas d’espèce des principes susmentionnés
82. La Cour estime que les décisions litigieuses rendues par le tribunal de district le 28 novembre 2011 (paragraphe 10 ci-dessus) et le 11 novembre 2013 (paragraphe 24 ci-dessus) ordonnant le placement du requérant dans des internats socio-pédagogiques, ainsi que leur exécution, qui était toujours en cours au moment de l’introduction de la présente requête, s’analysent en une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit au respect tant de la vie familiale que de la vie privée, tel que garanti par l’article 8 § 1 de la Convention.
83. Ensuite, la Cour note qu’il ne fait pas controverse entre les parties que le placement du requérant était prévu par la loi, à savoir la loi de 1958 sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs (paragraphe 46 ci‑dessus).
84. En revanche, le requérant conteste l’existence d’un but légitime (paragraphe 77 ci-dessus). La Cour relève une certaine incohérence dans les arguments du Gouvernement, formulés à l’appui des décisions internes, qui indique à la fois que la mesure de placement poursuivait un but éducatif pour le requérant, qui ne disposait pas d’un milieu familial adéquat, et qu’elle visait à protéger la sûreté publique et les droits d’autrui, compte tenu des antécédents déviants de l’intéressé (paragraphe 78 ci-dessus). Il semble que l’approche adoptée par les autorités excluait par la nature des buts légitimes visés l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant. Toutefois, la Cour peut à ce stade accepter qu’en l’espèce les autorités poursuivaient à la fois la protection des intérêts du requérant et ceux de la société, sans qu’il y ait besoin de se prononcer sur le but légitime précisément visé au regard de l’article 8 § 2, compte tenu notamment de sa conclusion ci-dessous selon laquelle la mesure engagée n’apparaît pas proportionnée à la défense de ces intérêts. En l’espèce, le point central de la présente affaire concerne, aux yeux de la Cour, la troisième condition, c’est-à-dire la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
85. Sur ce point, la Cour observe que le requérant a été placé dans des internats socio-pédagogiques à la suite de l’adoption de deux décisions de justice devenues définitives sans qu’il ait pu exercer de recours valables contre ces décisions (paragraphes 10 et 25 ci-dessus). En revanche, sa mère a essayé à plusieurs reprises de demander la mainlevée de la mesure de placement au cours de sa mise en œuvre (paragraphes 14, 18 et 31 ci-dessus). La Cour tâchera dès lors d’analyser la manière dont les autorités nationales se sont acquittées de leur obligation de prendre des mesures afin de faciliter la réunion du requérant avec sa famille après la prise des décisions de placement, et notamment avec sa mère, ainsi que de l’obligation positive de protéger la vie privée du requérant.
86. La Cour rappelle d’emblée avoir déjà constaté que la mesure de placement du requérant n’a pas fait l’objet d’un examen périodique par un organe indépendant quant à sa nécessité tel que l’exige l’article 5 § 4 de la Convention (paragraphes 60-65 ci-dessus).
87. En effet, elle constate que ce sont les autorités administratives qui, en réponse aux demandes de la mère du requérant, ont refusé de saisir le tribunal compétent. Dans leurs rapports, elles rappelaient des circonstances faisant référence aux plus jeunes années du requérant entre 2004 et 2011 et indiquaient surtout que la mère de l’intéressé n’était pas en mesure de lui assurer un environnement familial propice à son éducation et à son développement. Selon elles, l’intérêt de l’enfant imposait donc de lui assurer un suivi en dehors du contexte familial (paragraphes 14, 15, 18, 32-33 ci‑dessus).
88. La Cour note aussi que le requérant a séjourné dans l’internat socio‑pédagogique de Straldja du 10 janvier 2012 au 5 septembre 2013, date à laquelle il a été placé dans un « centre de crise pour enfants victimes de trafic et de violence », en raison de l’épisode de violence qu’il a subi dans le premier établissement (paragraphe 23 ci-dessus). Il a ensuite intégré l’internat de Varnentsi le 21 décembre 2013 (paragraphe 24 ci-dessus).
89. Au vu de ces éléments, la Cour relève que l’analyse des autorités administratives, qui rappelle celles des tribunaux internes ayant prononcé la mesure de placement (paragraphe 10 ci-dessus) ou son exécution plus tard dans l’internat de Varnentsi (paragraphe 24 ci-dessus), s’est concentrée sur les capacités de la mère à accomplir son devoir parental et à proposer à son enfant un environnement familial stable. Constatant que la mère du requérant ne disposait pas des capacités suffisantes pour s’occuper de son fils, les autorités ont automatiquement opté pour la mesure éducative la plus lourde, à savoir le placement dans une institution. En effet, elles n’ont pas démontré que d’autres mesures éducatives structurant la vie familiale du requérant avec sa mère avaient été prises ni expliqué en quoi ces mesures n’avaient pas été efficaces. Une seule mesure plus légère, plutôt d’ordre punitif, semble avoir été prise à son égard, à savoir l’admonestation accompagnée de la surveillance renforcée par les parents (paragraphe 10 ci-dessus). La Cour rappelle à cet égard que l’intérêt de l’enfant commande que les autorités nationales sont tenues à envisager l’adoption des mesures les moins contraignantes possibles lorsque l’exercice du droit au respect de la vie familial se trouve affecté (cf. Soares de Melo c. Portugal, no 72850/14, § 119, 16 février 2016).
90. La Cour ne peut non plus déceler dans cette analyse une évaluation des conditions nécessaires au développement du requérant dans l’établissement de Straldja ou dans celui de Varnentsi, si ce n’est de mentionner que le premier n’était plus convenable dans la mesure où le requérant y avait subi de la violence (paragraphe 23 ci-dessus). La Cour note à cet égard que le requérant a été victime d’une agression dans le foyer de Straldja. Toutefois, elle constate que les autorités n’ont pas effectué d’enquête sur ces circonstances (paragraphes 19-20 ci-dessus) malgré leur obligation de procéder à une telle enquête dès lors que le requérant mineur se trouvait privé de sa liberté et placé entièrement sous la responsabilité de l’État. Elle observe d’ailleurs que l’internat de Straldja a fermé seulement un an après le départ du requérant en raison du non-respect des règles de son fonctionnement (paragraphe 22 ci-dessus), un fait qui jette un doute sérieux sur la compatibilité de cet établissement avec l’encadrement éducatif. Il apparaît aussi que les autorités n’ont avancé aucun argument justifiant le choix de cet établissement, examiné à la lumière de la situation particulière du requérant et de ses besoins, ni lors du transfert de l’intéressé à l’internat socio‑pédagogique de Varnentsi ni plus tard dans les réponses faites aux demandes de levée du placement formulées par sa mère.
91. Pourtant, plusieurs éléments du dossier démontrent que la situation du requérant était fragile, que sa relation avec sa mère aurait dû être soutenue et que son développement et son bien-être nécessitaient des soins particuliers. Ainsi, les certificats médicaux et le rapport psychologique témoignaient de manière répétitive que le requérant était dyslexique et qu’il avait besoin d’un suivi psychiatrique et psychologique, ainsi que d’un accompagnement éducatif individualisé (paragraphes 12, 17, 21, 26 ci-dessus). Les mêmes documents précisaient que la mère du requérant devait être intégrée au travail éducatif lié au développement de son fils.
92. La Cour relève pourtant que ces éléments, bien que connus par les autorités administratives de protection sociale et le tribunal de district ayant ordonné le placement du requérant dans l’internat de Varnentsi, le 11 novembre 2013, n’ont pas été analysés en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. De même, les autorités internes n’ont pas examiné la question de la distance importante des internats par rapport à la résidence de la mère du requérant, qui semblait à cette époque être sa seule parente proche qui manifestait de l’intérêt pour lui, et les effets indéniablement négatifs de cet éloignement sur la possibilité de maintenir les contacts. Elles ont motivé leur refus de lever la mesure de placement du requérant dans les institutions litigieuses principalement en raison de l’incapacité de la mère de s’occuper correctement de son fils et du comportement déviant de l’intéressé. Toutefois, pour la Cour, suffisamment d’éléments indiquaient que le requérant était vulnérable et fragilisé. Or, ni les autorités administratives ni le tribunal de district saisi de la question de la protection sociale de l’enfant n’ont examiné l’impact du placement du requérant dans les établissements litigieux sur son développement psychologique et social ; ils n’ont pas tenu compte de la vulnérabilité du mineur.
93. En outre, la Cour estime significatif que, bien que le Gouvernement s’appuie sur le caractère prétendument temporaire de la mesure de placement, celle-ci a duré trois ans, période légale maximale, dans le contexte décrit ci‑dessus. Cela démontre que les autorités internes n’ont pas fait preuve d’une analyse suffisante de la situation individuelle du requérant. En effet, aucune des décisions pertinentes n’a tenu compte des questions relatives à la durée et à la réévaluation du placement, au regard notamment de l’intérêt supérieur du requérant (voir la jurisprudence citée au paragraphe 80 ci-dessus).
94. La Cour note aussi qu’il ressort du raisonnement du tribunal de district établi dans sa décision du 28 novembre 2011 que cette mesure avait été adoptée comme une solution unique, visant avant tout à protéger la société du requérant compte tenu de ses déviances et non pas à donner un soutien éducatif à l’enfant et à y associer sa mère (paragraphe 10 ci-dessus). Cette approche ne semble pas avoir été modifiée, lorsque les autres décisions consécutives ont été adoptées, permettant de mettre en balance l’intérêt supérieur de l’enfant et le but de protéger la sûreté publique et les droits d’autrui, comme le soutient le Gouvernement. De plus, alors même que le Gouvernement indique que les visites et les appels téléphoniques entre la mère et le fils ne se passaient pas bien (paragraphe 78 ci-dessus), il n’apparaît pas que des efforts aient été déployés pour améliorer leur organisation et consolider la relation entre eux deux, compte tenu notamment de la volonté de la mère de reprendre son enfant dans son foyer. La Cour ne perd pas de vue le fait que le requérant a pu passer plusieurs périodes de vacances scolaires chez sa mère (paragraphes 13, 16, 29, 35 et 37 ci-dessus). Si ces séjours ont sans doute permis de préserver un certain lien familial entre la mère et son fils, elle observe qu’aucun rapport n’a relaté leur impact sur le développement du requérant en vue de réviser la mesure de placement, le cas échéant.
95. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la motivation principale des autorités a été de sanctionner le requérant pour son comportement jugé déviant. En effet, l’intéressé, adolescent en pleine évolution psychologique et sociale, dont la mère assumait difficilement ses responsabilités parentales, a été placé dans un internat sans que de véritables efforts aient été déployés à son égard pour trouver des mesures moins contraignantes. Dans un tel contexte où le but principal était de protéger les droits d’autrui, les autorités n’ont pas jugé nécessaire d’examiner la situation du requérant, victime de violences dans l’internat où il avait été placé. Pendant les trois ans durant lesquels la décision de placement a été exécutée, aucune des autorités impliquées n’ont entrepris de se pencher sur les questions de savoir si les conditions de placement étaient bénéfiques au requérant, si elles visaient à rétablir les liens entre l’intéressé et sa mère, et enfin si elles le plaçaient dans une perspective lui permettant d’envisager la réintégration dans sa famille.
96. Dans ces conditions, la Cour estime que l’analyse portant sur l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été opérée en l’espèce par les autorités bulgares, que les procédures en cause n’ont pas été entourées de garanties proportionnées à la gravité de l’ingérence et des intérêts en jeu, et qu’enfin, les autorités nationales ne se sont pas acquittées des obligations positives qui leur incombaient de prendre des mesures afin de faciliter le rapprochement entre la mère et son enfant et d’adapter la situation individuelle de ce dernier.
97. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 8, seul et combiné avec l’article 13 de la Convention.
2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
98. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
99. Le requérant demande 6 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.
100. Le Gouvernement conteste ses prétentions.
101. La Cour octroie au requérant 6 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
2. Frais et dépens
102. Le requérant réclame 2 451 EUR au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour, couvrant notamment des frais de représentation, de courrier postal et de transport. Il demande par ailleurs que le montant octroyé par la Cour soit versé directement sur le compte bancaire du Comité bulgare d’Helsinki.
103. Le Gouvernement estime que ces demandes sont excessives.
104. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 2 451 EUR tous frais confondus pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, à verser directement sur le compte bancaire du Comité bulgare d’Helsinki.
3. Intérêts moratoires
105. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8, seul et combiné avec l’article 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
1. 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral,
2. 2 451 EUR (deux mille quatre cent cinquante et un euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire du Comité bulgare d’Helsinki ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 juin 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Ilse Freiwirth Tim Eicke
Greffière adjointe Président