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29/06/2023 | CEDH | N°001-225451

CEDH | CEDH, AFFAIRE BEN AMAMOU c. ITALIE, 2023, 001-225451


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BEN AMAMOU c. ITALIE

(Requête no 49058/20)

ARRÊT

Art 6 § 1 (civil) • Procès équitable • Requérant, « pris au dépourvu », n’ayant pas été informé de la substitution de motifs envisagée par la Cour de cassation pour rendre sa décision de rejet • Question s’étant révélée décisive pour l’issue de la procédure non soumise au débat par la Cour de cassation • Parties n’ayant pas eu l’opportunité de présenter leurs arguments à cet égard

STRASBOURG

29 juin 2023

DÉFINITIF

06/11/2

023

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.




En l’affai...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BEN AMAMOU c. ITALIE

(Requête no 49058/20)

ARRÊT

Art 6 § 1 (civil) • Procès équitable • Requérant, « pris au dépourvu », n’ayant pas été informé de la substitution de motifs envisagée par la Cour de cassation pour rendre sa décision de rejet • Question s’étant révélée décisive pour l’issue de la procédure non soumise au débat par la Cour de cassation • Parties n’ayant pas eu l’opportunité de présenter leurs arguments à cet égard

STRASBOURG

29 juin 2023

DÉFINITIF

06/11/2023

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ben Amamou c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Marko Bošnjak, président,
Alena Poláčková,
Lətif Hüseynov,
Péter Paczolay,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu la requête (no 49058/20) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant tunisien, M. Imed Ben Amamou (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 octobre 2020 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») la requête,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décembre 2022, les 9 et 30 mai 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

INTRODUCTION

1. Le requérant se plaint de ce que, pour rendre sa décision de rejet, la Cour de cassation s’est fondée sur une interprétation de l’article 141 du code des assurances privées (« CdA »), motif relevé d’office qui, d’une part, n’a pas été soumis à un débat contradictoire et, d’autre part, l’a privé de son droit d’accès à un tribunal. Il y voit une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1981 et réside à Pérouse. Il a été représenté par Me E. Belia, avocate.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. L. D’Ascia, avocat de l’État.

4. Le 25 août 2010, le requérant fut grièvement blessé lors d’un accident de la circulation lorsque le conducteur du véhicule le transportant effectua une manœuvre soudaine afin d’éviter une collision avec un véhicule qui circulait en sens inverse.

5. Le 14 novembre 2011, sur le fondement de l’article 141 du CdA, le requérant saisit le tribunal de Pérouse afin d’obtenir réparation auprès de la compagnie d’assurances du véhicule qui le transportait au moment de l’accident (« la compagnie d’assurances »). En contestant la qualité de « tiers passager » du requérant, la compagnie d’assurances sollicita le rejet de la demande.

6. Le 7 novembre 2013, le tribunal de Pérouse reconnut l’article 141 du CdA applicable en l’espèce et, sur la base d’une expertise judiciaire qui avait constaté un dommage corporel s’élevant à 85% et une réduction permanente de la capacité de travail du requérant, ordonna de verser à ce dernier une indemnité provisionnelle de 500 000 euros (EUR) et renvoya l’affaire à une audience ultérieure.

7. Le 7 avril 2015, le tribunal rejeta la demande du requérant au motif que « l’article 141 du CdA, qui permet au passager de réclamer directement à la compagnie d’assurances du véhicule [le transportant] des dommages-intérêts, impose quand même une « condition préalable » consistant à ce que deux véhicules à moteur, identifiés et assurés, aient été impliqués dans l’accident ». Il considéra qu’en l’espèce, l’un des véhicules impliqués n’ayant pu être identifié, l’article 141 ne pouvait être appliqué.

8. Le requérant interjeta appel, soutenant que l’applicabilité de l’article 141 du CdA ne dépendait pas du nombre de véhicules impliqués ni du fait que les véhicules fussent assurés ou identifiés. En réponse, la compagnie d’assurances, réitérant l’absence de qualité de « [tiers] passager » déjà avancée devant le juge de première instance, soutint l’inapplicabilité de l’article 141 du CdA et fit valoir, à titre subsidiaire, la cause d’exonération du cas fortuit prévue par l’article 141 du CdA en maintenant que l’accident avait été causé par la conduite imprévisible du tiers conducteur.

9. Le 16 mai 2017, la cour d’appel rejeta le recours du requérant, constatant l’absence de l’une des « deux conditions » d’applicabilité de l’article 141 du CdA, à savoir « l’implication (...) d’au moins deux véhicules et le fait que lesdits véhicules soient tous deux assurés », l’accident ayant été causé par un véhicule resté non identifié. La cour d’appel se prononça ainsi :

« Le recours (...) n’est pas fondé et doit donc être rejeté dans son intégralité compte tenu de l’inapplicabilité de l’article 141 du CdA aux hypothèses d’accidents de la circulation survenant sans l’intervention de véhicules autres que celui du transporteur et aux autres hypothèses d’accidents survenant entre un véhicule assuré et un véhicule non assuré ou, comme en l’espèce, non identifié.

(...)

En effet, à la lumière de la lettre de la règle précitée et de la référence constante qui y est faite à la coexistence nécessaire de deux assureurs, l’article 141 du CdA, pour être applicable, exige la réunion de deux conditions : l’implication dans l’accident dans lequel le tiers passager a été blessé d’au moins deux véhicules et le fait que lesdits véhicules soient tous les deux assurés au titre de la responsabilité civile automobile.

La nécessité du dernier critère est confirmée par la possibilité, pour la compagnie d’assurances qui procède à l’indemnisation, d’obtenir le remboursement de la part de la compagnie d’assurances du responsable civil, ainsi que par la possibilité pour la compagnie d’assurances de ce dernier d’intervenir dans le procès et se substituer à la compagnie d’assurances du conducteur, en reconnaissant la responsabilité du propre assuré. L’absence de l’une des conditions susmentionnées rend donc l’article 141 du CdA inapplicable, mais évidemment la protection du tiers passager reste possible. Par conséquent, dans l’hypothèse où l’un des véhicules impliqués ne serait pas identifié et où la responsabilité de l’accident serait imputable exclusivement au véhicule non identifié (comme dans le cas d’espèce, selon les déclarations du requérant), le passager doit adresser ses demandes d’indemnisation exclusivement à la compagnie désignée, selon l’article 286 du décret législatif no 209/2005, pour gérer les créances prises en charge par le fonds de garantie des victimes d’accidents de la circulation.

(...)

À la lumière des constatations qui précèdent, la décision du juge de première instance de rejeter la demande du requérant apparaît donc parfaitement acceptable, au vu de l’inapplicabilité indiscutable de l’article 141 du CdA précité dans l’hypothèse où l’accident aurait été causé, comme en l’espèce, par un véhicule resté non identifié. »

10. Le requérant se pourvut en cassation par un moyen unique en invoquant l’applicabilité de l’article 141 du CdA aux hypothèses d’accidents de la circulation dans lesquelles l’un des véhicules impliqués, indépendamment d’une collision, est non assuré ou non identifié.

11. Dans son mémoire du 19 janvier 2018, la compagnie d’assurances soutint que

« l’infatigable partie adverse conteste l’arrêt attaqué en reprenant le raisonnement déjà avancé [au cours] des instances précédentes : le tiers passager aurait la possibilité d’intenter une action en vertu de l’article 141 du CdA même lorsque l’accident a été causé par un véhicule non identifié et/ou non assuré.

Nous sommes ainsi forcés de contester, encore une fois, la thèse de la partie adverse.

L’article 283 du CdA est clair en ce qu’il prévoit que « le fonds de garantie des victimes d’accidents de la circulation (...) répare les dommages causés par la circulation des véhicules et des embarcations, pour lesquels il existe une obligation d’assurance, dans les cas où : a) l’accident a été causé par un véhicule ou une embarcation non identifiés.

Ainsi, vu que selon la partie adverse l’accident a été causé par un véhicule resté non identifié, il ne serait pas nécessaire d’avancer d’autres arguments pour contester le bien‑fondé de la demande du requérant. »

À titre surabondant, en réponse aux arguments du requérant, elle réaffirma ce qui suit :

« (...)

En réaffirmant l’inapplicabilité de l’article 141 du CdA au cas présent, nous parvenons à la conclusion suivante : dans l’hypothèse, telle que celle examinée en l’espèce, où l’un des véhicules impliqués ne serait pas identifié et où la responsabilité de l’accident serait imputable, exclusivement, au [conducteur] du véhicule [non identifié], le passager doit adresser ses demandes d’indemnisation, conformément à l’article 283 du CdA, exclusivement à la compagnie désignée pour gérer les créances prises en charge par le fonds de garantie des victimes d’accidents de la circulation (ex plurimus, tribunal de Trévise, sec. I, 14 novembre 2017 ; juge de paix de Campobasso, 16 octobre 2017 ; tribunal de Rome, sec. XII, 2 mai 2011 et tribunal de Cassino, no 487 4 juin 2013). »

12. Le 19 novembre 2019, le procureur général près la Cour de cassation, agissant dans l’intérêt de la loi, intervint à l’appui de la demande du requérant. Il rappela la jurisprudence récente de la Cour de cassation, selon laquelle, d’une part, « peu importe le fait qu’un impact physique ait eu lieu entre les deux véhicules (Cass. civ. III, no 25033/2019, 8 octobre 2019), la notion d’accident de la circulation inclut tout événement anormal ayant des répercussions sur la circulation des véhicules et ayant un lien de causalité avec la production d’un dommage ». D’autre part, il souligna qu’« il n’est pas non plus exigé par la règle en question que le véhicule autre que celui qui transporte le tiers lésé soit nécessairement assuré ou identifié (Cass. civ. III, no 16477/2017, 5 juillet 2017) ». Ainsi, il conclut qu’« il incombe simplement au passager lésé d’alléguer et de prouver les faits de l’accident, du transport et du dommage ».

13. Après avoir délibéré en chambre de conseil le 10 décembre 2019, le 24 avril 2020, la troisième chambre de la Cour de cassation (arrêt no 8386/2020) rejeta le pourvoi en s’appuyant notamment sur deux arrêts rendus par la même chambre, arrêt no 4147/2019 du 13 février 2019 et arrêt no 14388/2019 du 27 mai 2019 (paragraphes 24 et 27 ci-dessous). Elle s’exprima ainsi :

« [M.] Amamou (...) a formé un pourvoi, en soulevant un moyen unique, contre l’arrêt no 640 de la cour d’appel de Pérouse du 16 mai 2017, qui a confirmé le jugement du tribunal du même siège ayant rejeté la demande de dédommagement introduite par le requérant à l’encontre de [la compagnie d’assurances], en vertu de l’article 141 du décret législatif no 209 du 7 septembre 2005, en tant que compagnie d’assurances garantissant la responsabilité civile du véhicule (...) dans lequel il voyageait en qualité de tiers passager, resté impliqué (...) dans un accident avec un véhicule resté non identifié.

La compagnie d’assurances a présenté un mémoire [controricorso] ainsi qu’un mémoire additionnel devant la chambre de conseil.

Le moyen [du requérant] est unique. [L’intéressé] allègue une violation (...) de l’article 141 du CdA et affirme qu’une interprétation conforme à la Constitution impose de considérer que [l’action directe prévue] par cet article peut également s’exercer dans le cas d’un accident de la circulation provoqué par un véhicule resté non identifié (...)

Le moyen est mal fondé.

Dans son pourvoi, ainsi que dans sa demande formulée devant les juridictions du fond, [le requérant] expose que l’accident dans lequel le véhicule [le] transportant a été impliqué (...) a été causé exclusivement par le véhicule tiers qui, par une manœuvre soudaine, a provoqué la sortie de route du véhicule et par conséquent la chute du conducteur et du tiers passager.

L’arrêt attaqué (...) fait clairement référence à cette circonstance, en affirmant que si l’un des véhicules impliqués dans l’accident n’est pas identifié et que son conducteur est le seul responsable de l’accident, comme l’indique la partie défenderesse, le tiers lésé doit s’adresser exclusivement à la compagnie désignée par le fonds de garantie des victimes d’accidents de la circulation.

L’action directe du tiers passager contre l’assureur de son transporteur est consentie à condition qu’il soit possible d’identifier une coresponsabilité [responsabilità concorrente], fût-elle présumée, du conducteur du véhicule dans lequel le tiers voyageait. »

14. Concernant la question qui faisait l’objet du moyen soulevé par le requérant, la Cour de cassation précisa que ses arrêts de 2019 susmentionnés venaient définir le champ d’application de l’arrêt du 5 juillet 2017 (no 16477) (paragraphe 22 ci-dessous), sans le contredire, en ce qu’il affirmait que

« sur la base d’une interprétation de l’article 141 du décret législatif no 209 de 2005 conforme à la Constitution, la personne transportée peut se prévaloir de l’action directe contre la compagnie d’assurances du véhicule dans lequel [elle] voyageait au moment de l’accident, même si celui-ci a été causé par une collision [ayant] impliqué un véhicule non assuré ou non identifié. »

15. Quant aux frais et dépens, elle établit leur compensation compte tenu

« (...) de la nouveauté partielle de la question traitée, qui [faisait] encore l’objet d’opinions divergentes, comme le montr[aient] également les conclusions du procureur général, étant donné qu’il n’exist[ait] pas de précédents. »

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. Les dispositions pertinentes en matière d’accident de la circulation impliquant un tiers passager blessé

16. Les dispositions pertinentes du code des assurances privées (décret législatif no 209 du 7 septembre 2005) se lisent ainsi :

Article 141 – Indemnisation du tiers passager

« 1. Sauf en cas d’accident causé par un cas fortuit, le préjudice subi par un tiers passager est réparé par la compagnie d’assurances du véhicule dans lequel il se trouvait au moment de l’accident (...) indépendamment de l’établissement de la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués sans préjudice du droit de demander à la compagnie d’assurances du responsable civil la réparation d’un préjudice plus important si le véhicule de ce dernier a une couverture supérieure au montant minimal.. .

2. Afin d’être indemnisé, le tiers passager doit engager la procédure d’indemnisation prévue à l’article 148 à l’encontre de la compagnie d’assurances du véhicule dans lequel il se trouvait au moment de l’accident.

3. L’action directe en dédommagement est exercée contre la compagnie d’assurances du véhicule dans lequel la personne lésée était transportée au moment de l’accident, aux termes de l’article 145. La compagnie d’assurances du responsable civil peut intervenir à l’action et exclure la compagnie d’assurances du véhicule, en reconnaissant la responsabilité de son assuré. (...)

4. La compagnie d’assurances qui a effectué le paiement a un droit récursoire contre la compagnie d’assurances du responsable civil dans les limites et les conditions prévues à l’article 150. »

Article 144 – Action directe de la personne lésée

« En cas d’accident causé par la circulation d’un véhicule ou d’une embarcation, pour lesquels il existe une obligation d’assurance, la personne lésée dispose d’une action directe à l’encontre de la compagnie d’assurances garantissant la responsabilité civile de la personne responsable, dans la limite des sommes pour lesquelles l’assurance a été souscrite. (...) »

Article 283 – Accidents sur le territoire de la République

« 1. Le fonds de garantie des victimes d’accident de la circulation (...) répare les dommages causés par la circulation des véhicules et des embarcations, pour lesquels il existe une obligation d’assurance, dans les cas où :

a) l’accident a été causé par un véhicule ou une embarcation non identifiés ;

b) le véhicule ou l’embarcation ne sont pas couverts par une assurance ;

(...)

2. Dans le cas visé au paragraphe 1, lettre a), l’indemnité n’est due que pour les dommages corporels. En cas de dommages graves à la personne, une indemnité est également due pour les dommages matériels, dont le montant est supérieur à 500 euros, pour la part excédant ce montant. »

Article 286 – Réparation du dommage par la compagnie d’assurances désignée

« 1. Le règlement des créances visées à l’article 283 § 1, a), b) (...) est effectué par une compagnie désignée (...) conformément au règlement adopté par le ministre du Développement économique. (...)

2. Les sommes avancées par les compagnies désignées, y compris les frais et déduction faite des sommes récupérées (...), sont remboursées par le (...) fonds de garantie des victimes d’accidents de la circulation, conformément aux accords conclus entre les compagnies et le fonds de garantie des victimes d’accident de la circulation, sous réserve de l’approbation du ministre du Développement économique (...). »

17. L’article 2043 du code civil est ainsi libellé :

« Tout fait illicite qui cause à autrui un dommage oblige celui qui l’a commis à le réparer. »

18. Aux termes du troisième alinéa de l’article 2054 du code civil,

« [l]e conducteur d’un véhicule non ferroviaire est tenu de réparer les dommages causés aux personnes ou aux biens par la circulation du véhicule, sauf s’il prouve qu’il a fait tout ce qui était possible pour éviter ces dommages.

En cas de collision entre véhicules, il est présumé, jusqu’à preuve du contraire, que chacun des conducteurs contribue également aux dommages subis par les différents véhicules. »

2. La jurisprudence des juges du fond

19. Dans une affaire relative à un accident de la circulation où un seul véhicule avait été impliqué, et dans laquelle le tiers passager avait intenté une action directe en vertu de l’article 141 du CdA à l’encontre la compagnie d’assurances du véhicule le transportant au moment de l’accident, le tribunal de Cassino (arrêt du 4 juin 2013) considéra ce qui suit :

« Si [...] le tiers passager veut intenter une action en justice contre le seul responsable [...], celle-ci est prévue par l’article 2054 du code civil ; en revanche, s’il souhaite inclure également la compagnie d’assurances, il devra exercer l’action directe prévue par l’article 144 du CdA. Si, au contraire, il souhaite obtenir un dédommagement plus rapide, il pourra exercer l’action prévue à l’article 141 du CdA à l’encontre de la compagnie d’assurances du véhicule le transportant au moment de l’accident, sans cependant pouvoir inclure le responsable civil.

(...)

Quant au mécanisme [de l’article 141 du CdA] (...) le dommage est réparé par la compagnie d’assurances du conducteur indépendamment de l’établissement de la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués dans l’accident, sauf cas fortuit, favorisant ainsi la position de la personne lésée et lui permettant d’éviter le risque de subir les conséquences négatives de la charge de prouver la dynamique précise de l’accident (...). »

20. Le 14 novembre 2017, le tribunal de Trévise se prononça sur une affaire concernant un accident de la circulation où avait été impliqué un véhicule resté non identifié. En vertu de l’article 283 du CdA, le conducteur de l’autre véhicule resté impliqué intenta une action à l’encontre de la compagnie d’assurances désignée par le fonds de garantie des victimes d’accident de la circulation.

3. La jurisprudence de la Cour de cassation
1. Arrêt no 16181/2015 déposé au greffe le 30 juillet 2015

21. La Cour de cassation a affirmé que, pour se prévaloir de l’action directe contre la compagnie d’assurances du véhicule transporteur aux termes de l’article 141 du CdA, le tiers passager devait prouver avoir subi un préjudice du fait de l’accident, mais ne devait pas établir la manière dont celui-ci s’était produit afin d’identifier la responsabilité des conducteurs respectifs, il s’agissait là d’une constatation non pertinente aux fins de l’application de l’article 141 du CdA. Selon la Cour de cassation,

« le nouveau code des assurances a introduit une nouveauté importante en prévoyant une action directe intentée par le tiers lésé à la suite d’un accident de la circulation à l’encontre de la compagnie d’assurances du véhicule. L’objectif de la règle est de fournir au tiers passager un instrument de protection supplémentaire, afin de faciliter l’obtention d’une réparation par la compagnie d’assurances des dommages subis par l’intéressé, en lui évitant la charge de prouver la répartition effective de la responsabilité entre les conducteurs des véhicules impliqués dans l’accident.

(...)

Cette vérification échappe aux dispositions de l’article 141 du CdA puisque la responsabilité de la compagnie d’assurances du transporteur est indépendante de « l’établissement de la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués dans l’accident ». Le législateur a ainsi voulu introduire une disposition qui semble avoir pour but d’éviter de mobiliser les ressources judiciaires pour effectuer une telle constatation (en renvoyant les questions de recours aux relations entre les compagnies d’assurances concernées en vertu des articles 141, alinéa 4, et 150 du CdA).

(...)

[E]n application de l’article 141 du CdA, pour être indemnisé par la compagnie d’assurances du véhicule dans lequel il se trouvait au moment de l’accident, le tiers passager doit apporter la preuve qu’il a subi un préjudice du fait de l’accident, mais ne doit pas établir la manière dont celui-ci s’est produit afin d’identifier la responsabilité des conducteurs respectifs. »

2. Ordonnance no 16477/2017 déposée au greffe le 5 juillet 2017

22. Dans une affaire relative à un accident de la circulation entre deux véhicules, dont l’un n’avait pas été identifié, la Cour de cassation s’est prononcée comme suit :

« Sur la base tant de la lettre du texte que des objectifs de la norme, qui sont de protéger le tiers passager, en cas de collision, afin que [celui-ci] perçoive l’indemnité à laquelle il a droit de la manière la plus simple et la plus rapide possible, en identifiant la partie sur laquelle le risque de l’assurance doit peser dans la partie la plus facilement identifiable pour lui, il faut considérer que l’article 141 du CdA s’applique indépendamment de l’existence de deux véhicules ayant tous deux une assurance privée régulière.

(...)

En outre, il convient de préciser que le régime d’indemnisation directe, en introduisant une action supplémentaire, n’exclut nullement la possibilité pour le passager lésé de poursuivre uniquement le responsable, ou le propriétaire et le conducteur de l’autre véhicule impliqué ainsi que la compagnie d’assurances de ce dernier, en ouvrant une procédure ordinaire qui vise à obtenir la réparation du dommage après avoir déterminé la responsabilité.

(...)

[L]a victime transportée a toujours droit à la réparation intégrale du préjudice, quels que soient sa qualité et son statut, excepté lorsque la personne transportée a connaissance de la circulation illégale du véhicule (...) et sauf, comme le prévoit la règle examinée, le cas fortuit.

(...)

L’article 141 accorde au tiers passager (...) la faculté d’agir directement contre la compagnie d’assurances du transporteur sur la base de la simple allégation et démonstration du fait historique (...), indépendamment de la détermination de la responsabilité du transporteur et du conducteur de l’autre véhicule impliqué, sauf dans l’hypothèse d’un cas fortuit. (....) Et cela, sans préjudice de la possibilité pour l’assureur du transporteur d’agir en recouvrement contre la personne effectivement responsable, en totalité ou en partie, sur la base de la répartition effective de la responsabilité dans le cas concret.

(...)

Le choix du législateur en matière de répartition des risques [privilégie], dans les limites du plafond légal minimum, le droit du tiers passager d’obtenir rapidement une réparation, en agissant contre la partie qui lui est connue (la compagnie d’assurances du véhicule dans lequel il est transporté), sans avoir à attendre que les responsabilités respectives soient établies, ni encore moins à procéder à la recherche de l’assureur du véhicule impliqué. »

3. Ordonnance no 1279/2019 déposée au greffe le 18 janvier 2019

23. La Cour de cassation a rappelé que « l’intérêt de protéger le tiers, qui doit en tout cas être indemnisé, prévaut sur toute question inhérente à la recherche du responsable, à l’exclusion, précisément, du simple cas fortuit qui supprime toute possibilité d’imputer la responsabilité de l’accident à quiconque ». La notion de cas fortuit aux termes de l’article 141 du CdA se limite à l’« Act of God », à savoir des « événements naturels imprévisibles » (quant à la définition de l’« Act of God », voir l’arrêt no 4147/2019 ci‑dessous).

4. Arrêt no 4147/2019 déposé au greffe le 13 février 2019

24. La Cour de cassation a estimé que l’action prévue par l’article 141 du CdA, introduite par le tiers passager contre la compagnie d’assurances du conducteur, reposait sur la vérification de la coresponsabilité de ce dernier. En effet, elle a considéré le comportement humain du conducteur de l’autre véhicule impliqué comme intégrant le cas fortuit. Elle a ajouté ainsi que la présomption de droit pouvait toutefois être renversée par la preuve, à la charge de l’assureur du transporteur, de l’absence totale de responsabilité de son propre assuré.

25. L’affaire concernait deux véhicules identifiés ayant été impliqués dans un accident. À la lecture de l’un des moyens en cassation, les parties ont soutenu ce qui suit :

« L’article 141 du CdA n’impose pas une obligation à la charge de la compagnie d’assurances du véhicule transporteur d’indemniser le tiers passager y compris dans le cas où son assuré n’est pas responsable, mais prévoit plutôt une délégation d’indemnisation pour le compte de la compagnie d’assurances du responsable civil, envers laquelle elle pourra se retourner pour récupérer les sommes versées. »

Selon la Cour de cassation,

« (...) pour comprendre [la] spécificité [de l’action directe prévue par l’article 141 du CdA], il est nécessaire (...) d’identifier le fondement de la prétention du demandeur : en d’autres termes, si le tiers passager a droit à une réparation du dommage « par la compagnie d’assurances du véhicule dans lequel il se trouvait au moment de l’accident dans la limite du minimum légal » uniquement (sauf situations exceptionnelles imprévisibles) en raison de sa qualité de personne transportée ou si la responsabilité de l’accident – totale ou partielle – du transporteur assuré est également un facteur constitutif de son droit à être indemnisé.

(...)

Une doctrine abondante a voulu libérer, à travers l’article 141, le droit à être indemnisé par l’assureur de la personne (...) transportée de tout aspect de la responsabilité du transporteur assuré, en identifiant en fait une véritable no-fault rule dans le système dans lequel le « cas fortuit », placé comme limite au début de l’alinéa 1, a été borné aux événements naturels imprévisibles (en anglais, Acts of God). »

26. La Cour de cassation n’a pas retenu cette interprétation et a affirmé le principe de droit selon lequel

« l’article 141 du CdA, en raison de la référence au cas fortuit – (...) incluant le comportement humain [à savoir le comportement exclusif du conducteur de l’autre véhicule impliqué ainsi que le comportement exclusif du tiers passager] – en tant que limite à l’obligation de la compagnie d’assurances du transporteur d’indemniser le passager blessé dans l’accident, exige que le transporteur soit au moins coresponsable de l’accident ; une fois que la responsabilité de celui-ci a été déterminée, il n’est pas nécessaire de définir l’étendue de la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués, puisque l’assureur du transporteur doit en tout état de cause indemniser intégralement le passager, sans préjudice d’une éventuelle subrogation [dans les droits du passager] contre l’assureur de la ou des autres parties coresponsables de l’accident.

L’absence totale de responsabilité du transporteur doit également être démontrée par son assureur en prouvant que le cas fortuit a été la seule cause de l’accident, sauf si l’assureur de l’autre véhicule impliqué intervient et l’exonère de l’obligation d’indemniser en déclarant la responsabilité exclusive de son propre assuré, auquel cas le juge doit immédiatement exonérer l’assureur du transporteur, la demande d’indemnisation du demandeur étant adressée ex lege à l’assureur qui est intervenu. »

5. La jurisprudence de la Cour de cassation à la suite de l’arrêt no 4147/2019

27. Par l’arrêt no 14388/2019, la Cour de cassation a réaffirmé la position adoptée dans l’arrêt no 4147/2019.

28. En revanche, dans son arrêt no 17963/2021, elle a affirmé que « l’article 141 du CdA (...) prévoit que la personne lésée dispose d’un droit d’action directe à l’encontre du débiteur ex lege, (...) indépendamment de la responsabilité de l’assuré, ce qui doit être compris dans le sens selon lequel la compagnie d’assurances du transporteur est obligée de réparer les dommages indépendamment de l’établissement de la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués dans l’accident, sous réserve toutefois de la limite du cas fortuit ». De plus, la Cour de cassation a ajouté que :

« Le système prévu par l’article 141 concerne, comme indiqué dans l’intitulé de la disposition, l’indemnisation du « tiers passager », c’est-à-dire de la personne qui n’est pas seulement transportée, mais est aussi une tierce personne par rapport aux conducteurs des véhicules impliqués [interprétation littérale déjà mentionnée par la Cour de cassation dans son arrêt no 25033 de 2019]. La nécessité d’une protection renforcée n’apparaît qu’en présence d’une pluralité de véhicules impliqués dans l’accident, car ce n’est que dans ce cas que la possibilité d’agir contre la compagnie d’assurances du transporteur prend tout son sens « indépendamment de l’établissement de la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués dans l’accident », dans la limite de « l’accident causé par un cas fortuit ». Si le tiers passager engage une action à l’encontre de son propre transporteur et de l’autre conducteur sur la base des dispositions combinées des articles 2054, alinéa 2, et 2055 du code civil et de l’article 144 du CdA, l’action aurait pour objet de déterminer la responsabilité des conducteurs, et le tiers passager pourrait obtenir le dédommagement de la part de l’assureur de son propre transporteur dans la limite du plafond contractuel même en cas de cumul de faute du transporteur. Dans le cas de l’article 141, en contrepartie (...) de la limitation du plafond légal minimum à des fins d’indemnisation, le tiers passager agit contre la compagnie d’assurances de son propre transporteur, sur la base de la seule allégation et preuve du dommage et du lien de causalité (Cass., 13 octobre 2016, no 20654), « indépendamment de l’établissement de la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués dans l’accident », avec la possibilité qu’il lui soit opposé le cas fortuit qui, dans un jugement qui fait abstraction de l’établissement de la responsabilité dans l’accident, doit logiquement être une notion distincte du comportement négligent du conducteur de l’autre véhicule impliqué et doit donc coïncider avec des facteurs naturels et des facteurs humains étrangers à la circulation d’un autre véhicule (voir, a contrario, Cass. civ. III, no 4147/2019, 13 février 2019 qui inclut dans le cas fortuit visé à l’article 141 également le comportement humain du conducteur de l’autre véhicule impliqué (...)).

La reconnaissance de l’indemnisation sans « l’établissement de la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués dans l’accident » explique pourquoi, en vertu du dernier alinéa de l’article 141, la compagnie d’assurances qui a effectué le paiement peut être subrogée [dans les droits du passager] contre la compagnie d’assurances de la partie civilement responsable : si le cas fortuit incluait le comportement négligent de l’autre conducteur, cette disposition ne pourrait pas être appliquée (mais c’est l’article 141 lui-même, en fait, qui ne serait pas applicable, car l’on ne ferait pas abstraction de l’établissement de la responsabilité des conducteurs). L’action envisagée par l’article 141 n’introduit pas d’appréciation sur la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués dans l’accident : une telle issue n’est possible que dans le cas où la compagnie d’assurances du responsable civil, intervenant dans la procédure, exclut la compagnie d’assurances du véhicule, reconnaissant la responsabilité de son propre assuré, comme le prévoit l’article 141, alinéa 3. L’article 141 limite l’appréciation de la responsabilité à l’absence de cas fortuit. L’étendre à l’absence de responsabilité (ou à la coresponsabilité) du véhicule antagoniste reviendrait à limiter l’action du passager aux seuls cas de responsabilité exclusive ou concurrente du transporteur avec pour conséquence que l’article 141 n’ajouterait rien à l’action commune prévue par les articles 2054, alinéa 2, et 2055 du code civil et l’article 144 du CdA. »

29. Par l’ordonnance no 40885/2021, la Cour de cassation a décidé de soumettre l’affaire aux chambres réunies, « compte tenu du conflit d’interprétation (...) [en cause] et s’agissant d’une question de principe d’une importance particulière », en précisant « qu’il convient de privilégier une interprétation (également en ce qui concerne la répartition de la charge de la preuve, et le cas fortuit) qui n’entre nullement en conflit avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de responsabilité civile relative à la circulation des véhicules (voir, par exemple, Cass. civ. VI, no 13738/2020, 3 juillet 2020, Cass. civ. III, no 23621/2019, 24 septembre 2019, Cass. civ. III, no 24469/2014, 18 novembre 2014, Cass. Civ. III, no 19963/2013, 30 août 2013) ».

30. Dans son arrêt no 12245/2022, concernant la question de savoir si le cas fortuit incluait ou non le comportement fautif du tiers, c’est-à-dire celui du conducteur de l’autre véhicule impliqué dans l’accident, la Cour de cassation a décidé de suspendre l’instance dans l’attente de la décision des chambres réunies « compte tenu de la divergence existante entre au moins deux précédents, à savoir la décision no 4147/2019, dans laquelle il avait été jugé que le cas fortuit incluait également le comportement fautif du tiers, entraînant l’irrecevabilité dans ce cas d’une action directe introduite par le tiers passager, et la décision no 17963/2021, dans laquelle au contraire il avait été jugé que l’action directe était recevable si la responsabilité de l’accident était imputable au tiers conducteur de l’autre véhicule impliqué, dont le comportement ne devait donc pas être considéré comme un cas fortuit tel qu’il était visé à l’article 141 du CdA ».

6. Arrêt des chambres réunies no 35318/2022 du 30 novembre 2022

31. Par un arrêt no 35318/2022, publié le 30 novembre 2022, les chambres réunies de la Cour de cassation se sont prononcées sur la question qui leur avait été soumise dans le cadre de l’ordonnance no 40885/2021 (paragraphe 29 ci-dessus). Elles ont ainsi reconstruit le régime prévu par l’article 141 du CdA en précisant que :

« [Une lecture conforme à la Constitution] permet d’affirmer que la disposition de l’article 141 du CdA n’absorbe pas la protection du tiers passager, mais correspond à un instrument éventuel et alternatif par rapport aux actions traditionnelles déjà prévues (...) pour le tiers passager, à savoir les actions visées par les articles 2043 et 2054 du code civil (...) et celle prévue par l’article 144 du CdA (...) »

32. Les chambres réunis ont également réglé les conflits interprétatifs qui avaient émergés au sein de la Cour de cassation elle-même, tout en tranchant plusieurs questions sous-jacentes à ladite disposition. En particulier, elles se sont prononcées, d’une part, sur l’applicabilité de l’article 141 du CdA dans le cas où l’un des véhicules n’avait pas été identifié ; et, d’autre part, sur la portée de la notion de cas fortuit.

33. S’agissant de la première question, la Cour de cassation a confirmé l’applicabilité de l’article 141 du CdA également dans le cas où l’un des véhicules impliqués était resté non identifié, confirmant ainsi le principe établi par l’ordonnance no 16477/2017 (paragraphe 22 ci-dessus).

34. S’agissant de la seconde question, elle a fait état du conflit existant au sein de la troisième chambre civile et notamment de la divergence jurisprudentielle entre l’arrêt no 4147/2019, d’une part (paragraphes 24 et 26 ci-dessus), et l’arrêt no 17963/2021, d’autre part (paragraphe 28 ci-dessus). Pour confirmer la position selon laquelle la responsabilité exclusive de l’autre conducteur n’intègre pas la notion de cas fortuit, la Cour de cassation s’est fondée sur l’esprit et la lettre de l’article 141 du CdA :

« [L’expression] « sauf en cas d’accident causé par un cas fortuit » ne peut qu’être lue en corrélation avec l’incise « indépendamment de l’établissement de la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués » [ ; ] une telle lecture (qui doit nécessairement être coordonnée, sauf à vouloir postuler une irrémédiable contradiction interne entre [les deux expressions] et à vouloir donner arbitrairement une prééminence à la première [...]) montre comment le législateur a voulu exclure, avant toute chose, toute appréciation concernant la faute des conducteurs, qui est réservée à la phase de subrogation et ne peut donc être récupérée dans le cadre de l’exception du cas fortuit ; ce qui est cohérent avec la finalité de la règle, à savoir empêcher que la réparation des dommages subis par le tiers passager soit retardée par la nécessité d’effectuer des vérifications sur la responsabilité de l’accident. »

35. Par conséquent, les chambres réunies ont jugé que l’existence d’une coresponsabilité entre les conducteurs des véhicules impliqués était dénuée de toute pertinence aux fins de l’applicabilité de l’article 141 du CdA.

EN DROIT

1. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

36. Le requérant allègue que, pour rejeter sa demande, la Cour de cassation a fondé sa décision sur un moyen relevé d’office n’ayant pas été soumis à un débat contradictoire entre les parties et l’ayant privé de son droit d’accès à un tribunal.

37. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

1. Sur la recevabilité

38. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention à raison du fait que l’affaire a été tranchée sur la base de motifs non soumis à la discussion des parties

a) Les arguments des parties

39. Le requérant allègue que le motif sur lequel la Cour de cassation a fondé le rejet de sa demande d’indemnisation au sens de l’article 141 du CdA, à savoir l’absence de responsabilité du transporteur, était nouveau et donc différent de celui sur lequel les décisions du tribunal de Pérouse et de la cour d’appel avaient été fondées. À cet égard, il soutient que tout le procès reposait sur la question de savoir si l’article 141 du CdA trouvait à s’appliquer lorsque l’autre véhicule impliqué dans l’accident n’était pas identifié. Cependant, la Cour de cassation a exclu l’applicabilité de l’article 141 du CdA au cas d’espèce sur un autre fondement, celui de l’absence de coresponsabilité, fût‑elle présumée, entre les conducteurs des véhicules impliqués.

40. Le requérant soutient que le critère de la responsabilité du conducteur du véhicule transporteur n’a à aucun moment été soumis au contradictoire dans le cadre du débat sur l’applicabilité de l’article 141 du CdA.

41. Au vu d’une jurisprudence bien établie selon laquelle la pertinence du critère de la responsabilité aux fins de l’article 141 du CdA n’était pas retenue, le requérant estime que l’interprétation adoptée par la Cour de cassation en l’espèce a été avancée pour la première fois dans l’arrêt no 4147 du 13 février 2019, rendu alors que son affaire était encore pendante devant la haute juridiction. Il maintient que la question de l’applicabilité de l’article 141 du CdA dans sa nouvelle interprétation n’a pu être débattue en violation du principe du contradictoire.

42. Il soutient qu’il a ainsi été privé de toute protection contre le préjudice subi par lui, d’autant plus que l’action par laquelle l’article 283 du CdA prévoyait l’obtention d’une réparation par le fonds de garantie des victimes d’accidents de la circulation s’était entretemps prescrite.

43. Le Gouvernement affirme que le thema decidendum de l’affaire était, depuis la première instance, celui de l’applicabilité de l’article 141 du CdA aux circonstances de l’espèce.

44. À cet égard, il soutient que tant le tribunal que la cour d’appel avaient déjà constaté qu’en l’espèce la responsabilité du transporteur faisait défaut. Selon le Gouvernement, la cour d’appel avait notamment fondé sa décision sur la responsabilité exclusive du véhicule non identifié, la référence faite à l’absence d’identification du véhicule ayant pour seul but celui de constater que le requérant aurait plutôt dû agir en vertu de l’article 283 du CdA.

45. Le Gouvernement précise que l’article 141 du CdA a fait l’objet d’un débat doctrinal et jurisprudentiel intense et complexe depuis son entrée en vigueur. Dans ses observations, il affirme que le débat était encore actuel, étant donné que la question interprétative des conditions d’applicabilité de l’article en cause avait été soumise aux chambres réunies de la Cour de cassation par l’ordonnance no 40855/2021 (paragraphe 29 ci-dessus).

46. Le Gouvernement fait valoir que la haute juridiction s’est prononcée sur les conditions d’applicabilité de la disposition précitée pour la première fois dans son arrêt no 16181/2015 du 30 juillet 2015, et donc postérieurement à l’introduction (14 novembre 2011) et à la conclusion (7 avril 2015) de la procédure en première instance engagée par le requérant ainsi qu’à la date à laquelle le requérant a interjeté appel (1er juillet 2015). Il ajoute que c’est seulement dans son arrêt no 4147/2019 du 13 février 2019 que la Cour de cassation a abordé pour la première fois la question de la nature, des conditions et des limites à l’application de l’article 141 du CdA. À cet égard, le Gouvernement précise que la Cour de cassation avait remarqué, dans l’arrêt no 4147/2019, « qu’[aux fins de l’applicabilité de l’article 141 du CdA], la question de la nécessité d’imputer au conducteur pour le moins une coresponsabilité (...) dans la causalité de l’accident n’avait pas été abordée jusque-là ».

47. Qui plus est, il met en exergue le fait que l’arrêt no 4147/2019 a été rendu le 13 février 2019 et l’audience en cassation dans la présente affaire n’est intervenue que le 10 décembre 2019. Ainsi, compte tenu du fait que le droit interne permettait de répondre au mémoire de la compagnie d’assurances au plus tard cinq jours avant la date de l’audience, le requérant aurait pu prendre position sur la jurisprudence de la Cour de cassation intervenue entretemps.

48. En tout état de cause, il soutient qu’en l’espèce, la haute juridiction a fondé sa décision sur une question qui avait été abordée par la compagnie d’assurances dans son mémoire (paragraphe 11 ci-dessus).

b) Appréciation de la Cour

1. Principes généraux

49. La Cour rappelle que la notion de procès équitable comprend le droit à un procès contradictoire qui implique le droit pour les parties non seulement de faire connaître les éléments nécessaires au succès de leurs prétentions, mais aussi de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir, parmi d’autres, Vegotex International S.A. c. Belgique [GC], no 49812/09, § 134, 3 novembre 2022, Alexe c. Roumanie, no 66522/09, § 33, 3 mai 2016, Liga Portuguesa de Futebol Profissional c. Portugal, no 4687/11, § 49, 17 mai 2016, et Clinique des Acacias et autres c. France, nos 65399/01 et 3 autres, § 37, 13 octobre 2005).

50. Le juge doit lui-même respecter le principe du contradictoire, notamment lorsqu’il tranche un litige sur la base d’un motif invoqué d’office ou d’une exception soulevée d’office (Vegotex International S.A., précité, § 135, Liga Portuguesa de Futebol Profissional, précité, § 58, Alexe, précité, § 34, Čepek c. République tchèque, no 9815/10, § 45, 5 septembre 2013, et Prikyan et Angelova c. Bulgarie, no 44624/98, § 42, 16 février 2006).

51. L’élément déterminant est donc la question de savoir si une partie a été « prise au dépourvu » par le fait que le tribunal a fondé sa décision sur un motif relevé d’office (Vegotex International S.A., précité, § 135, Liga Portuguesa de Futebol Profissional, précité, § 59, et Clinique des Acacias et autres, précité, § 43). Une diligence particulière s’impose au tribunal lorsque le litige prend une tournure inattendue, d’autant plus s’il s’agit d’une question laissée à la discrétion du tribunal. Le principe du contradictoire commande que les tribunaux ne se fondent pas dans leurs décisions sur des éléments de fait ou de droit qui n’ont pas été discutés durant la procédure et qui donnent au litige une tournure que même une partie diligente n’aurait pas été en mesure d’anticiper (Vegotex International S.A., précité, § 136, Alexe, précité, § 37, et Čepek, précité, § 48).

2. Application de ces principes en l’espèce

52. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 162, CEDH 2010). Lorsqu’elle statue sur l’équité d’un procès, la Cour n’agit pas comme une juridiction de quatrième instance. Ainsi, c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Son rôle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Dès lors, sauf dans les cas d’un arbitraire évident, elle n’est pas compétente pour mettre en cause l’interprétation de la législation interne par ces juridictions (Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, §§ 49-50, 20 octobre 2011).

53. Ainsi, soucieuse d’examiner les faits de la présente affaire en s’inspirant du principe de subsidiarité, la Cour se doit de souligner qu’en l’espèce n’est pas en cause le pouvoir incontesté de la Cour de cassation de trancher l’affaire sur la base d’une question soulevée d’office (iura novit curia). De même, elle n’entend pas se prononcer sur si, en l’espèce, les conditions définies par la jurisprudence de la Cour de cassation pour retenir d’office le motif litigieux étaient réunies (mutatis mutandis, Vegotex International S.A., précité, § 140).

54. Seule la non-communication aux parties de l’intention de retenir d’office ladite question pourrait poser problème au regard de la Convention (Vegotex International S.A., précité, § 140). À cet égard, la Cour relève qu’en l’espèce la question relative à l’objet de l’affaire dont elle a à connaître est uniquement celle de savoir si le motif sur lequel la Cour de cassation a fondé sa décision, à savoir la coresponsabilité des conducteurs des véhicules impliqués, posée comme condition nécessaire à l’applicabilité de l’article 141 du CdA, a été soumis au débat contradictoire entre les parties.

55. Pour répondre à cette question, la Cour considère nécessaire d’apprécier si le motif en question figurait déjà dans le débat (Clinique des Acacias et autres, précité, § 40, et Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, nos 4696/11 et 4703/11, § 52, 27 octobre 2016), si le motif relevé d’office pouvait prêter à controverse (Prikyan et Angelova, précité, § 44, et Čepek, précité, § 46), son incidence sur l’issue de l’affaire (Stepinska c. France, no 1814/02, § 18, 15 juin 2004, Salé c. France, no 39765/04, § 19, 21 mars 2006, Prikyan et Angelova, précité, § 49, et voir, mutatis mutandis, Da Cerveira Pinto Nadais De Vasconcelos c. Portugal, no 36335/13, § 32, 19 mars 2019), et si l’enjeu n’était pas négligeable (Liga Portuguesa de Futebol Profissional, précité, § 61).

α) Sur la question de savoir si le motif figurait déjà dans le débat

‒ L’objet des décisions des juges du fond

56. La Cour note que les parties s’accordent à dire que devant les juridictions internes le thema decidendum de l’affaire concernait les conditions d’applicabilité de l’article 141 du CdA aux circonstances de l’espèce.

Quant à la question de savoir si le critère de la coresponsabilité avait fait l’objet du débat, la Cour note, en premier lieu, que la question juridique abordée devant le tribunal et la cour d’appel concernait essentiellement l’applicabilité de l’article 141 du CdA dans le cas d’un accident de la circulation où était impliqué un véhicule non identifié (paragraphes 5-9
ci-dessus). D’autres questions, telles que le nombre de véhicules impliqués, la couverture d’assurance et la nécessité d’une collision, avaient également été débattues.

57. En effet, d’une part, le tribunal de première instance a considéré que l’applicabilité de l’article 141 du CdA présupposait « une condition préalable », à savoir la nécessité de deux véhicules impliqués dans l’accident, identifiés et assurés, l’absence de l’une de ces conditions rendant l’article 141 du CdA inapplicable (paragraphe 7 ci-dessus).

58. D’autre part, la cour d’appel a constaté que l’applicabilité de cette disposition « exige la réunion de deux conditions » : l’implication dans l’accident d’au moins deux véhicules et le fait que ceux-ci soient tous les deux assurés, l’absence de l’une de ces conditions rendant l’article 141 du CdA inapplicable. Elle a conclu à l’inapplicabilité de l’article 141 du CdA dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, l’accident avait été causé par un véhicule non identifié (paragraphe 9 ci-dessus).

59. Quant à la mention, tout à fait accessoire, dont la cour d’appel a fait état, de l’élément factuel de la responsabilité exclusive du tiers (paragraphe 9 ci-dessus), soulignée par le Gouvernement (paragraphe 44 ci-dessus), la Cour note que cette référence a été faite après l’exclusion de l’applicabilité de l’article 141 du CdA, faute d’avoir pu identifier l’autre véhicule impliqué, et uniquement dans le but de justifier la possibilité pour le requérant d’obtenir sur la base des principes généraux de la responsabilité civile une réparation intégrale du préjudice subi par lui en engageant une procédure différente auprès du fonds de garantie des victimes d’accidents de la circulation.

60. Ainsi, la Cour relève que le tribunal et la cour d’appel n’ont pas inclus la coresponsabilité parmi les critères d’applicabilité de l’article 141 du CdA.

‒ Les moyens de recours devant la Cour de cassation

61. La Cour constate que devant la Cour de cassation aucun moyen ne portait sur la question de la coresponsabilité considérée comme critère d’applicabilité de l’article 141 du CdA (paragraphes 10 et 13 ci-dessus). Nonobstant cela, la Cour de cassation a fondé sa décision exactement sur ce critère, après l’avoir relevé d’office mais sans le soumettre au contradictoire.

62. À cet égard, la Cour note que, d’une part, le moyen soulevé par le requérant portait uniquement sur le critère concernant l’identification du véhicule tiers (paragraphes 10 et 13 ci-dessus). D’autre part, la compagnie d’assurances n’a pas formé un pourvoi incident, fût-il possible, et le procureur n’a pas abordé la question litigieuse dans son mémoire (paragraphe 12 ci‑dessus) (a contrario, Vegotex International S.A., précité, § 140).

63. D’ailleurs, le débat entre les parties devant la Cour de cassation ne pouvait que porter sur les raisons qui avaient fondé la décision de la cour d’appel, celle-ci s’étant limitée à rejeter la demande d’indemnisation du requérant au motif que l’autre véhicule impliqué n’avait pas été identifié (paragraphe 9 ci-dessus). Toute autre question aurait été exorbitante de la ratio decidendi de la décision de la cour d’appel.

64. En outre, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du Gouvernement selon lequel la question avait été abordée par la compagnie d’assurances dans son mémoire en réplique (paragraphe 48 ci-dessus). En effet, la compagnie d’assurances s’est bornée à contester le bien-fondé du moyen introduit par le requérant et à demander la confirmation de la décision de la cour d’appel sur le même fondement juridique (paragraphe 11 ci‑dessus). Ainsi, elle n’a pas demandé, non plus à titre subsidiaire, de confirmer la décision de la cour d’appel sur un fondement juridique différent, à savoir la coresponsabilité.

65. Or après avoir soutenu que l’article 141 du CdA n’entrait pas en jeu sur la base d’un tout autre fondement, à savoir l’absence d’identification du véhicule tiers, la compagnie d’assurances a réintroduit la question de la responsabilité des conducteurs des véhicules impliqués selon les principes généraux de la responsabilité civile : si, comme en l’espèce, la responsabilité était entièrement imputable au véhicule tiers non identifié, selon la compagnie, il était loisible à l’intéressé d’entamer une action uniquement contre le (seul) responsable, c’est-à-dire, en l’espèce, contre le fonds de garantie des victimes d’accidents de la circulation qui répare les dommages causés par la circulation de véhicules non identifiés.

66. Ce qui précède est confirmé par les éléments suivants.

67. En premier lieu, sur la base des éléments à disposition de la Cour, il ressort que les affaires mentionnées par la compagnie à l’appui de cette affirmation (tribunal de Trévise, sec. I, 14 novembre 2017 ; tribunal de Cassino, no 487 4 juin 2013) concernent uniquement la question de l’applicabilité de l’article 283 du CdA et de l’inapplicabilité de l’article 141 du CdA dans le cas où le véhicule tiers responsable n’est pas identifié (paragraphes 19-20 ci-dessus). De plus, l’un des arrêts parmi ceux mentionnés précise que l’article 141 du CdA s’applique indépendamment de l’établissement de la responsabilité (paragraphe 19 ci-dessus). Aucune mention n’est faite quant au critère de la coresponsabilité.

68. En deuxième lieu, il ne ressort pas de l’arrêt de la Cour de cassation, et notamment de la section où sont rappelés les arguments des parties, que la compagnie d’assurances ait soulevé une telle question (paragraphe 13 ci‑dessus).

69. La Cour ne peut conclure qu’en s’exprimant comme elle l’a fait dans son mémoire (paragraphe 11 ci-dessus) la compagnie d’assurances aurait soulevé une question totalement nouvelle et d’une telle complexité comme celle en jeu et ce, d’autant plus que, dans l’affaire Prikyan et Angelova (précitée, § 48), elle a rappelé que les objections doivent être « clairement formulées ».

70. Ainsi, la question litigieuse ne faisait pas l’objet du débat.

71. Qui plus est, la Cour rappelle que, dans l’affaire Alexe (précitée, §§ 39-44), elle a estimé que les tribunaux internes ont l’obligation de soumettre au débat contradictoire la question relative à l’interprétation d’une norme de droit interne changeant au cours de la procédure lorsque ce changement prête à controverse. Et ce, même si ladite norme avait été invoquée par la requérante dès la première instance (ibidem, § 8). Ainsi, même à supposer que l’on puisse considérer le critère de la responsabilité comme faisant partie du débat, la Cour est d’avis que c’est la nouvelle interprétation de ce critère qui aurait dû être soumise au débat contradictoire, vu qu’il ne s’agissait pas de l’application d’une disposition dont l’interprétation demeurait inchangée au cours du procès et que le requérant était censé connaître (voir, mutatis mutandis, Alexe, précité, § 42).

72. Enfin, compte tenu du fait que ni le procureur ni la compagnie d’assurances ont soulevé la question litigieuse dans leurs mémoires respectifs, la Cour estime que, contrairement à ce que le Gouvernement soutient (paragraphe 47 ci-dessus), l’on ne pouvait pas s’attendre du requérant qu’il aborde ladite question en déposant un mémoire avant l’audience de la Cour de cassation (voir, mutatis mutandis, Vegotex International S.A., précité, § 140).

β) Sur la question de savoir si le motif relevé d’office pouvait prêter à controverse

73. La Cour précise que la question de savoir si la Cour de cassation s’est fondée sur des motifs arbitraires ou manifestement déraisonnables n’est pas en jeu (Čepek, précité, § 52) et qu’elle n’a pas à apprécier le bien-fondé des observations qu’aurait pu soumettre le requérant s’il avait eu la possibilité de le faire, et donc à apprécier si l’issue à laquelle les juridictions internes sont parvenues était prévisible (Clinique des Acacias et autres, précité, § 42, et Prikyan et Angelova, précité, § 50). Il convient ici de rechercher si le motif relevé d’office pouvait prêter à controverse.

74. À cet égard, la Cour note que, dans son arrêt concernant l’affaire du requérant, la Cour de cassation elle-même a souligné que la question traitée, « qui fai[sai]t encore l’objet d’opinions divergentes », était, au moins en partie, nouvelle (paragraphe 15 ci-dessus). Par ailleurs, le Gouvernement soutient qu’au moment de l’assignation en justice, et pendant une partie de la procédure, aucune jurisprudence de la Cour de cassation n’existait sur la question litigieuse, tout en admettant un conflit doctrinal et jurisprudentiel en la matière, né uniquement à la suite de l’arrêt no 4141/2019 de la Cour de cassation et qui persistait encore au moment de la soumission des observations des parties (paragraphe 45 ci-dessus). De surcroît, la question a fait l’objet d’un dessaisissement de la part de la troisième chambre civile au profit de la plus haute formation de la Cour de cassation par l’ordonnance no 40885/2021 (paragraphe 29 ci-dessus), qui s’est prononcée par un arrêt du 30 novembre 2022 et a résolu le conflit de jurisprudence constaté, en reconnaissant son origine en l’arrêt de la Cour de cassation no 4147/2019 (paragraphes 31-35 ci-dessus).

75. Partant, la question soulevée d’office par la Cour de cassation représentait une question nouvelle qui pouvait prêter à controverse, ce qui rendait l’exigence du contradictoire sur l’évolution jurisprudentielle en question encore plus nécessaire.

γ) Sur l’incidence du motif relevé d’office quant à l’issue de l’affaire et sur l’enjeu de l’affaire

76. La Cour note qu’en l’espèce la Cour de cassation a indiqué qu’une coresponsabilité entre les véhicules impliqués, fût-elle présumée, constitue la condition nécessaire à l’exercice de l’action prévue par l’article 141 du CdA (paragraphe 13 ci-dessus). Le pourvoi du requérant a été rejeté au seul motif que la responsabilité de l’accident pesait exclusivement sur le véhicule ne transportant pas le requérant. La Cour est donc de l’avis que l’absence de coresponsabilité a déterminé l’issue de l’affaire et a été décisive pour le rejet du pourvoi du requérant (Prikyan et Angelova, précité, §§ 45 et 50, Da Cerveira Pinto Nadais de Vasconcelos, précité, § 32, et, a contrario, Cimolino c. Italie, no 12532/05, 22 septembre 2009).

77. Par ailleurs, la Cour estime que l’enjeu de l’affaire n’était pas négligeable (Liga Portuguesa de Futebol Profissional, précité, § 61, et voir, mutatis mutandis, Čepek, précité, § 56), le requérant n’ayant pas été indemnisé nonobstant le grave dommage subi par lui et ses conséquences. La Cour constate également que les parties s’accordent à dire qu’à la suite du rejet par la Cour de cassation de la demande d’indemnisation formée par le requérant, celui-ci ne pouvait plus entamer l’action prévue à l’article 283 du CdA afin d’obtenir réparation auprès du fonds de garantie des victimes d’accidents de la circulation dès lors que cette action s’était désormais prescrite.

δ) Conclusion

78. À la lumière de ce qui précède, le respect du contradictoire et, plus généralement, du caractère équitable de la procédure en l’espèce aurait voulu que la Cour de cassation soumette au débat la question qui s’est révélée décisive pour l’issue de la procédure et qu’elle s’assure que les parties avaient eu l’opportunité de présenter leurs arguments à cet égard (Prikyan et Angelova, précité, §§ 45 et 50).

79. N’ayant pas été informé de la substitution de motifs envisagée par la Cour de cassation, le requérant, « pris au dépourvu », n’a pas bénéficié du droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention (Liga Portuguesa de Futebol Profissional, précité, §§ 61 et 62, Alexe, précité, § 44, et, a contrario, Andret et autres c. France (déc), no 1956/02, 25 mai 2004). Partant, il y a eu violation de cette disposition.

2. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention concernant le droit d’accès à un tribunal

80. Le requérant allègue que l’interprétation faite par la Cour de cassation de l’article 141 du CdA l’a privé de son droit d’accès à un tribunal, estimant que cette interprétation n’était pas prévisible au moment où il a introduit sa demande d’indemnisation.

81. Le Gouvernement conteste cette thèse.

82. Ayant conclu à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant au respect du principe du contradictoire, la Cour estime que le grief fondé sur la violation de l’accès au tribunal ne soulève aucune question distincte essentielle. Dès lors, il n’y a pas lieu de statuer séparément sur ce grief (voir, dans ce sens, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

83. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

84. Constatant que le requérant n’a pas présenté de demande de satisfaction équitable, la Cour décide qu’il n’y a pas lieu de lui allouer une somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison du fait que l’affaire a été tranchée sur la base de motifs non soumis à la discussion des parties ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit d’accès à un tribunal.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 juin 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Liv Tigerstedt Marko Bošnjak
Greffière adjointe Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge R. Sabato.

M.B.
L.T.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE SABATO

1. Le requérant a-t-il été « pris au dépourvu » en raison d’un moyen relevé d’office par la Cour de cassation, ou est-ce la majorité qui « nous a pris au dépourvu » en affirmant des principes qui ne sont pas fondés sur la jurisprudence de la Cour ?

1. Malheureusement, je ne suis pas en mesure de suivre la majorité, à commencer par le paragraphe 55 du présent arrêt. Selon moi, dans la présente affaire, la majorité aurait pu conclure son raisonnement en droit en rappelant le principe selon lequel il n’y a pas d’atteinte au droit de la partie à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, si « le motif substitué retenu » par la juridiction nationale « s’appuyait sur des éléments de fait et de droit déjà dans le débat », cela pouvant exclure toute « pris[e] au dépourvu » (Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, nos 4696/11 et 4703/11, § 52, 27 octobre 2016). Pour évaluer si un argument appartenait déjà au débat, on doit prendre en compte les questions soulevées tout au long des précédentes (première et seconde) instances de la procédure, même si leur examen s’effectue pour la première fois devant la Cour suprême (Radio Athina Monoprosopi Etairia Periorismenis Efthynis c. Grèce (déc.), no 77504/13, § 50, 3 mai 2022).

2. Dans ce cadre, la « substitution de motifs » opérée par les cours suprêmes a été considérée :

a) totalement en conformité avec la fonction principale des cours suprêmes, laquelle n’est pas seulement celle de trancher des litiges entre particuliers (« ius litigatoris »), mais surtout celle de contribuer à développer la jurisprudence en affirmant des principes de droit utiles dans l’intérêt public (« ius constitutionis ») ; la « substitution de motifs » est ainsi une « technique prétorienne par laquelle la Cour de cassation examine le moyen de cassation qui lui est soumis, le confronte au dispositif de la décision attaquée dont l’illégalité est alléguée et substitue aux motifs critiqués sur lesquels le juge de fond a fondé ce dispositif, des moyens propres à en faire apparaître la légalité » (Vegotex International S.A. c. Belgique [GC], no 49812/09, § 138, 3 novembre 2022) ;

b) comme une expression de l’économie procédurale et donc de la bonne administration de la justice, compte tenu du fait que, devant les cours suprêmes, seuls les grands principes sont examinés (ibidem, § 142).

La seule limite à la substitution de motifs – comme l’a récemment clarifié la Grande Chambre dans l’arrêt Vegotex International S.A. précité – réside dans le fait que le principe du contradictoire commande que « les tribunaux ne se fondent pas dans leurs décisions sur des éléments de fait ou de droit qui n’ont pas été discutés durant la procédure et qui donnent au litige une tournure que même une partie diligente n’aurait pas été en mesure d’anticiper » (ibidem, § 136). La « prévisibilité » est donc retenue comme le grand critère.

3. Cela étant dit, il convient de rappeler le cadre factuel de l’arrêt Vegotex International S.A., précité, parce qu’il présente plusieurs similitudes avec la présente affaire : en effet, tel qu’il ressort des paragraphes 92 et suivants (et indirectement des paragraphes 14 à 16) de l’arrêt de chambre, qui figurent au paragraphe 140 de l’arrêt de la Grande Chambre, dans l’affaire susmentionnée, la cour d’appel avait considéré qu’une disposition de droit n’était pas applicable en raison de l’interprétation donnée par ladite cour d’appel de la notion de « commandement » contenue dans cette disposition : en conséquence, les juges de seconde instance avaient traité l’affaire d’un point de vue juridique différent. La Cour a donc estimé comme normal le fait que « la requérante n’[ait] par conséquent pas d’intérêt à débattre de ce point dans son pourvoi en cassation ». Néanmoins, il ne pouvait pas « être considéré que la question de l’applicabilité de cette disposition était en dehors du débat » (ibidem, paragraphe 94 de l’arrêt de chambre), et cela était confirmé par le fait (extra-procédural) que « la décision de la cour d’appel concernant l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 faisait l’objet du pourvoi en cassation « introduit par l’État », séparé de celui formé par la société Vegotex International S.A. et déclaré irrecevable pour défaut d’intérêt parce que l’État ne pouvait former un pourvoi contre un jugement qui lui était favorable (ibidem, paragraphe 27 in fine). D’autre part, et surtout, les parties avaient reçu une copie des conclusions écrites de l’avocat général à la Cour de cassation, dans lesquelles celui-ci invitait la Cour de cassation à procéder à la substitution de motifs (ibidem, paragraphe 95 de l’arrêt de chambre).

4. En résumé, dans le contexte du respect du principe du contradictoire dans le cas d’une substitution de motifs, la jurisprudence de la Cour ne fait pas de distinction entre les arguments soulevés explicitement ou implicitement (par l’autre partie, ou d’office par une juridiction). Il n’importe pas non plus que les arguments précédemment soulevés (par l’autre partie ou par une juridiction) aient été traités dans des décisions, ou aient fait l’objet de moyens de cassation. Ce qui est pertinent, c’est le fait que l’argument ou l’objection, soulevés dans la même instance ou dans une instance précédente, étaient de telle nature que la partie intéressée avait la possibilité de répondre au moment de la proposition de la question, ou pouvait s’attendre à ce que l’argument ou l’objection pussent être traités à nouveau ultérieurement dans la procédure. En un mot, selon la jurisprudence de la Cour, il est seulement nécessaire d’apprécier si la substitution de motifs était « prévisible ».

5. Dans la présente affaire, le critère de prévisibilité, qui résulte de la jurisprudence de la Cour confirmée par la Grande Chambre dans l’arrêt Vegotex International S.A., précité, a été malheureusement remplacé, par la majorité, par ses propres critères, fondés sur une lecture subjective de certains arrêts et décisions, et notamment de l’arrêt Clinique des Acacias et autres c. France, nos 65399/01, 65405/01 et 65407/01, 13 octobre 2005.

6. Sans vouloir répéter ici tous les critères développés dans le présent arrêt de la majorité, les écarts les plus importants par rapport aux critères bien établis me semblent être les suivants, tous concernant la façon de vérifier si le moyen soulevé d’office est déjà dans le « débat » :

a) Au lieu d’examiner – comme dans de nombreux précédents – les arguments avancés par les parties devant les juridictions internes, la majorité a examiné uniquement si la question en cause avait été abordée dans les arrêts de première et de seconde instance (paragraphes 56-60 du présent arrêt, dont le titre « L’objet des décisions des juges du fond » révèle déjà l’approche erronée). C’est un point de vue très dangereux, car il stérilise de la notion de « débat » toutes les questions soulevées par les parties qui, pour quelque raison que ce soit, n’ont pas été traitées dans les arrêts de première et de seconde instance. En tout état de cause, comme je vais le démontrer, même si on limite l’évaluation du contenu du « débat » aux arrêts du tribunal et de la cour d’appel, ces arrêts contiennent suffisants d’éléments pour attester que la question en cause avait été débattue (et – ce qui est surprenant – c’est l’arrêt de la majorité lui-même qui le mentionne ; voir les paragraphes 57 et 58 du présent arrêt où il est fait référence à la nécessité de l’« implication » de deux véhicules).

b) En ce qui concerne la procédure intentée devant la Cour de cassation, la majorité n’a examiné que les « moyens » sous-jacents au pourvoi, interprétés au sens strict (paragraphes 61 et 62 du présent arrêt). Pour confirmer cette vision étroite, au paragraphe 62, la majorité – contrainte de reconnaître (aux paragraphes 64-69 du présent arrêt), pour les raisons que je dévoilerai, que la question soulevée prétendument d’office avait en fait été réitérée par la compagnie d’assurances par écrit devant la Cour de cassation, ce dont la majorité nie la validité (paragraphe 16 de la présente opinion) – fait allusion à la nécessité que la question soit soulevée par un pourvoi incident si celle-ci intéresse la partie qui n’a pas présenté le pourvoi principal. Sans qu’il soit nécessaire de traiter ici la confusion de la majorité concernant le rôle du pourvoi incident dans la procédure civile italienne, il convient de rappeler que, au contraire, dans l’arrêt Vegotex International S.A., précité, la Cour avait considéré comme normal le fait que « la requérante n’[eût] (...) pas d’intérêt à débattre de ce point dans son pourvoi en cassation », alors que l’intérêt de l’autre partie ne devait pas nécessairement résulter d’un moyen de cassation (voir plus haut la référence au recours parallèle de l’État, même si celui-ci est irrecevable). Du fait de cette limitation par la majorité de l’examen des questions déjà incluses dans le débat par le seul filtre des moyens de cassation, les positions des autres parties (y compris le ministère public) non habilitées à formuler un pourvoi sont injustement privées de toute importance.

c) En outre, la majorité s’oppose totalement au fait que la substitution de motifs fondée sur des arguments, même « implicitement », faisant partie du débat antérieur, n’exige pas d’en aviser les parties. À ce critère traditionnel la majorité « substitue » le critère selon lequel les arguments développés par les parties (comme on l’a dit, la majorité considère les seuls arguments insérés dans un moyen de cassation, principal ou incident) doivent être non seulement « explicites », mais aussi « clairement formulés » (un précédent très particulier est cité à cet effet, Prikyan et Angelova c. Bulgarie, no 44624/98, § 48, 16 février 2006, qui est antérieur à une grande partie de la jurisprudence susmentionnée, et qui se distingue aisément de la présente affaire et de toutes les affaires similaires, puisque le « manque de clarté » était de nature à jeter le doute sur le point de savoir si une certaine expression utilisée dans un acte de procédure constituait ou non une exception de prescription acquisitive, qui ne pouvait être soulevée d’office, et cela contrairement aux autres affaires y compris la présente, où il s’agit de fonder un pouvoir d’office).

7. D’un seul coup, dès lors, la majorité a modifié la jurisprudence bien établie de la Cour, en déclarant que la substitution de motifs ne peut légitimement être opérée par une cour de cassation a) que si l’argument, qui a été soulevé devant les juridictions internes, a été examiné dans les arrêts de ces juridictions ; b) que si la question, qui est soulevée en cassation, a fait l’objet d’un moyen spécifique, principal ou incident, à l’exclusion des défenses contenues dans le mémoire, etc. ; c) en tout état de cause, désormais, selon la majorité, les questions implicites ne sont plus pertinentes, puisque les questions pouvant fonder la substitution doivent être explicites et aussi « clairement formulées ».

8. En ce qui concerne ces « critères Ben Amamou », très novateurs par rapport, par exemple, aux critères Vegotex International S.A., précités, récemment définis par la Grande Chambre, c’est la majorité qui nous « prend au dépourvu » en affirmant des principes qui ne sont pas fondés sur la jurisprudence de la Cour. Alors, étant respectueusement en désaccord, j’espère que cette perspective erronée pourra être corrigée dans le traitement de cette affaire ou d’affaires ultérieures. Ce qui me semble incontestable, c’est qu’à travers les « critères Ben Amamou », les cours suprêmes européennes, qui souvent utilisent la procédure écrite, devront tergiverser et se préoccuper de savoir si la multiplicité des questions, qui se posent dans chaque dossier et qui méritent d’être traitées, peuvent se heurter à cette conception inédite du contradictoire, fragilisant surtout leur rôle iure constitutionis.

2. Que les critères traditionnels ou que les « critères Ben Amamou » soient appliqués, la majorité commet de nombreuses erreurs de fait et de droit, faute de quoi aucune violation n’aurait résulté

9. Un examen approprié des aspects factuels et juridiques de l’affaire aurait, en tout état de cause, à mon avis, conduit à une conclusion de non-violation.

10. Tout d’abord, à la lecture de l’arrêt de la majorité, il me semble que mes distingués collègues n’ont pas bien perçu que, en Italie, il existe plusieurs actions en justice spécifiquement prévues par le code civil et par le « code sur les assurances » afin de garantir la réparation des dommages résultant d’accidents de la route. Parmi les différentes actions, le choix appartient à la partie qui doit se fonder sur l’allégation relative à la responsabilité, qu’elle entend envisager. En ce qui concerne « l’action directe » du passager (pas conducteur) contre l’assurance de la voiture qui le conduit « indépendamment de la détermination de la responsabilité », il s’agit d’une nouveauté introduite en 2005 dans le code des assurances. Partant du fait que chaque compagnie d’assurances connaîtrait le mieux la fiabilité de l’assuré, l’article 141 du code des assurances vise à offrir une meilleure protection du passager du conducteur assuré (défini comme un « tiers transporté »). Le mécanisme prévu à l’article 141 dudit code renferme plusieurs conditions :

a) l’action directe ne peut être exercée que s’il y a deux ou plusieurs « véhicules [pluriel] impliqués » dans l’accident; cela ressort également de la condition selon laquelle l’action doit être intentée « indépendamment de la détermination de la responsabilité des conducteurs des véhicules » (s’il y a une responsabilité à déterminer, cela signifie qu’au moins deux personnes sont en cause et qu’il y a une phase de détermination ultérieure entre deux ou plusieurs compagnies) et du remboursement dans la procédure expliquée aux paragraphes 3 et 4 de la disposition ;

b) aucune collision n’est nécessaire, mais seuls plusieurs véhicules doivent être « impliqués » dans l’accident, le terme « impliqué » est volontairement utilisé par le législateur pour distinguer ce cas de celui d’une collision.

c) comme le présent arrêt le souligne, d’autres conditions, telles que la couverture d’assurance, avaient été débattues, mais elles ne concernent pas la question litigieuse.

En effet, la question en cause est celle (point a) ci-dessus) de l’« implication » nécessaire – bien sûr étant seulement potentiellement susceptible de se traduire en « coresponsabilité » – du conducteur du véhicule transportant le requérant, un élément sans lequel le mécanisme d’une action visant à régler ultérieurement l’indemnisation entre compagnies d’assurance n’aurait aucun sens. C’est, autrement dit, la question de la coresponsabilité (potentielle) dont on discute dans la présente affaire.

L’identité – ou en d’autres termes la nature synonymique et juridiquement complémentaire – des notions d’« implication » de plusieurs véhicules et de « coresponsabilité » a dû échapper à la majorité si elle nie, comme je l’ai déjà indiqué, de manière surprenante que la coresponsabilité figurait parmi les critères considérés (paragraphes 57-58, 60 du présent arrêt où il est mentionné que la question de l’implication multiple était débattue devant le tribunal et la cour d’appel). Il en va de même quant aux conclusions de la majorité concernant l’argument de la compagnie d’assurances devant la Cour de cassation (paragraphe 16 de la présente opinion).

De toute évidence, selon l’article 141 du code des assurances, l’action doit clairement être engagée « indépendamment de la détermination de la responsabilité des conducteurs des véhicules « impliqués » [dans l’accident] », c’est-à-dire qu’on doit laisser les assureurs libres de convenir de la responsabilité. Si l’action devait être intentée en excluant expressément le conducteur transportant le passager (généralement un ami ou une connaissance, qui serait rarement en fraude s’il admettait une certaine responsabilité et, par conséquent, payerait une prime d’assurance plus élevée à l’avenir), elle serait irrecevable, n’étant ouverte que la possibilité d’engager l’action contre l’autre compagnie d’assurance, si elle est connue, ou contre une compagnie d’assurances spécifique désignée dans chaque région comme délégataire du Fonds de garantie, établie dans chaque État membre de l’Espace économique européen conformément à la deuxième directive (84/5/CEE)[1], qui prévoit la réparation des dommages matériels ou corporels causés par un véhicule dont l’identité ou l’assureur ne peut être retracé (véhicules non identifiés) ou pour lequel l’obligation d’assurance n’a pas été satisfaite (véhicules non assurés). Les obligations du Fonds de garantie sont subordonnées à un certain nombre de conditions, notamment des enquêtes antifraudes approfondies.

11. S’agissant de ce cadre, il importe d’établir du point de vue factuel (ce qui n’est pas toujours évident à partir de l’arrêt de la majorité) que, dès la première instance :

a) le requérant, M. Ben Amamou, a allégué que son ami qui conduisait le scooter sur lequel il était passager n’était pas responsable de l’accident, la responsabilité n’étant engagée que pour le véhicule non identifié; dès lors, dès la première instance, le problème s’est posé de l’opportunité d’intenter une action uniquement contre la compagnie d’assurance du transporteur, sans impliquer également la société désignée par le fonds de garantie ;

b) La compagnie d’assurances a souligné, d’emblée, cette situation, qui était également liée à certains éléments factuels insinuant une fraude, le requérant étant probablement le conducteur du scooter. En première instance, en effet, l’assureur du « véhicule » avait déposé une défense très intéressante faisant état que :

b.1) « Le rapport de la police municipale de Pérouse, qui a inspecté le site de l’accident après qu’il eut lieu (...) a indiqué, tout d’abord, n’avoir trouvé aucune trace d’accident de la route. Les faits ne sont pas ceux rapportés par le requérant selon lesquels « le conducteur du véhicule le transportant avait été obligé, pour éviter une collision avec un véhicule arrivant dans la direction opposée, de braquer vers la droite, à tel point qu’il avait dû faire monter la moto sur une pente à droite de la direction de la même moto. ». On peut se demander comment se fait-il que, dans un tel cas, il ne reste aucune trace d’un freinage ou d’un mouvement de glissement (...) De même, les blessures graves subies par le requérant ne sont pas compatibles avec l’absence de toute trace d’un accident qui se serait produit sur la route ou sur le terrain proche de celle-ci » (p. 2) ;

b.2) « Le rapport du service d’urgence de l’hôpital (un certificat public qui atteste les faits tels qu’ils ont été rapportés par le patient à moins qu’il ne soit contesté pour falsification...) indiquait clairement que le requérant était le conducteur, et non une personne transportée [...], dont son état psychophysique était détérioré, puisqu’il avait été testé positif aux substances contenant de l’opium et du cannabis » (p. 3) ;

b.3) « On peut se demander pourquoi M. T., Mme C. et M. M., tel qu’il ressort de la page 4 du rapport de police, n’ont fait une déposition devant la police que le 18 septembre 2010 », [l’accident allégué s’étant produit le 25 août 2010]. « Le demandeur a également omis de mentionner que Mme C. est [son] épouse (...) » (p. 3).

12. Dans son jugement de première instance du 7 avril 2015, le tribunal de Pérouse – devant lequel aucun témoin n’avait comparu, et seul M. T. avait attesté des faits précédents l’accident – a défini la question de l’applicabilité de l’article 141 du code des assurances comme suit, sur la base de la défense de la compagnie d’assurances :

« Cette disposition a été introduite (...) afin d’éviter le recours à des étapes procédurales visant à évaluer les responsabilités, qui seraient reportées à la phase de remboursement réciproque entre les compagnies d’assurances (...) » « (...) Pour que la procédure d’indemnisation engagée par le tiers transporté soit applicable, il faut que : l’accident qui a causé les blessures de la personne transportée ait « impliqué » au moins deux véhicules ; et que surtout les deux véhicules soient dûment couverts par une assurance (...) L’absence d’une seule de ces deux conditions préalables a pour conséquence que l’article 141 du code des assurances n’est pas applicable. » « (...) La personne transportée sera toutefois en droit d’introduire une action contre (...) la société qui gère le fonds de garantie des victimes d’accidents de la route. » « En conséquence, dans notre cas, la procédure choisie par le requérant ne devait pas être engagée. » (p. 3 – soulignement ajouté).

Quant à la responsabilité exclusive du conducteur inconnu, le jugement susmentionné se lisait comme suit :

« Le demandeur, qui s’est fondé sur l’article 141 du code des assurances, a allégué les faits en se référant à un comportement fautif qui consistait en une manœuvre imprudente d’une voiture non identifiée : le demandeur a en effet mentionné dans sa demande que le conducteur du scooter, se trouvant dans une situation d’urgence (...), a dû réagir soudainement, ce qui a entraîné des blessures, car une voiture avait coupé et croisé son chemin. Cette voiture, à laquelle la responsabilité de l’accident est attribuée, n’a pas été identifiée » (p. 2 – soulignement ajouté).

13. Le jugement de première instance du tribunal de Pérouse, très simple, clarifie déjà à mon avis que la question de la coresponsabilité potentielle existait dès le début de l’affaire. Il est vrai que la question était à l’époque associée à une autre (si on pouvait considérer que l’une des compagnies d’assurance dans l’abstrait coresponsable pouvait être une compagnie très spéciale, c’est-à-dire la compagnie désignée par le fonds de garantie couvrant un véhicule non identifié), ce qui était douteux et constituait alors la base du rejet de l’action en justice. Mais l’« implication » d’au moins deux véhicules, celui du conducteur du passager, dont l’évaluation de la responsabilité devait au minimum ne pas être exclue, est mentionnée avec tout ce qui suit. Il est dommage que la majorité n’ait pas identifié dans les expressions précitées la mention du problème de coresponsabilité, ce qui est très clair pour moi.

14. Le problème a pris de l’ampleur au cours de la seconde instance : le fait de l’autre conducteur est indiqué comme la cause exclusive de l’accident. En fait, dans son appel, le requérant a développé l’argument selon lequel l’article 141 est également applicable dans le cas où l’autre véhicule n’est pas assuré ou n’est pas identifié (comme en l’espèce) ; en conséquence, la « relation de remboursement » s’effectuerait entre l’assurance du transporteur et le fonds de garantie (c’est exactement la position qui sera acceptée plus tard comme solution du conflit jurisprudentiel). Il n’y avait pas de moyens de défense quant aux autres objections que le jugement de première instance avait considérées.

15. Il est intéressant de noter que, dans ses observations en réponse, la compagnie d’assurances a présenté des observations dans lesquelles elle a soulevé trois arguments : le premier était articulé en deux sous-motifs, dont seul le premier était simplement opposé à l’appel et le second était identifié par le sous-titre « il n’y a aucune preuve que [le requérant] était réellement un tiers transporté dans un véhicule », fondé sur le fait que le seul témoin (M. T.) n’avait pas témoigné à propos de l’accident, mais avait seulement affirmé qu’avant l’accident, le requérant avait été transporté sur une moto. Pour le troisième motif, on invoquait la négligence du propriétaire du véhicule, qui avait permis à un étranger en situation irrégulière, arrêté au préalable pour non-respect d’un arrêté d’expulsion, et ayant consommé des substances à base d’opium et de cannabis trouvées dans son sang au moment de son arrivée à l’hôpital, de monter sur sa moto (les rapports de police ont été cités).

Dans ses observations finales (comparsa conclusionale), la compagnie d’assurances a souligné à nouveau qu’il n’y avait aucune preuve que le requérant était un « passager », preuve existante qu’il aurait pu être le conducteur du scooter. L’expert médical n’avait pas été en mesure de dire si les blessures étaient celles d’un passager ou d’un conducteur.

À la page 9 des observations citées ci-dessus, ainsi qu’à la page 2 des commentaires en réplique (memoria di replica), en réitérant les arguments qui étaient également contenus dans les moyens de défense antérieurs, la compagnie d’assurances a indiqué clairement que le « déroulement de l’accident » était « dû au fait d’un tiers » (et c’est aussi dans le titre du motif – soulignement ajouté) qui « a occupé de manière imprévisible la voie opposée, coupant la route à l’autre conducteur ». Il est vrai que la catégorie juridique à laquelle ce moyen de défense est lié est le « cas fortuit» (question portée devant les chambres réunies de la Cour de cassation en novembre 2022 dans une procédure séparée, comme la majorité le mentionne aux paragraphes 32 et 34 du présent arrêt), mais il est également évident que, par une combinaison de tous les moyens de défense, la compagnie d’assurances se plaint explicitement qu’il n’y a aucune indication dans les allégations du requérant d’une implication possible du conducteur.

16. On connaît la réponse donnée par la cour d’appel (paragraphe 9 du présent arrêt). La question de « l’implication » de plusieurs conducteurs est finalement « clairement » soulevée, à mon avis, devant la Cour de cassation (paragraphes 64-69 du présent arrêt). Comme le Gouvernement le fait valoir à juste titre (paragraphe 48 du présent arrêt), la question apparaît dans les observations de la compagnie d’assurances qui :

– à la page 8, a répété que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était passager et que l’accident s’était réellement produit d’une autre manière ;

– à la page 9 (et c’est sur ce passage que le Gouvernement s’appuie le plus), a dit très clairement que :

« dans l’hypothèse, telle que celle examinée en l’espèce, où l’un des véhicules impliqués ne serait pas identifié et où la responsabilité de l’accident serait imputable, exclusivement, au [conducteur] du véhicule [non identifié], le passager doit adresser ses demandes d’indemnisation, conformément à l’article 283 du CdA, exclusivement à la compagnie désignée pour gérer les créances prises en charge par le fonds de garantie des victimes d’accidents de la circulation (ex plurimus, tribunal de Trévise, sec. I, 14 novembre 2017 ; juge de paix de Campobasso, 16 octobre 2017 ; tribunal de Rome, sec. XII, 2 mai 2011 et tribunal de Cassino, no 487 4 juin 2013). » (soulignement ajouté) ;

– à la page 10, a répété qu’en tout état de cause il n’y avait aucune preuve de l’accident ni du fait que le requérant était bien passager, puisque le seul témoin n’avait pas vu l’accident mais seulement rapporté une situation avérée quelques heures auparavant, dans un autre endroit et concernant un autre scooter, dont même la couleur n’a pas été identifiée. La situation est décrite à la page 11 des observations comme un « désert de preuves » qui, de toute façon, exigerait, selon la compagnie d’assurances, le rejet de l’appel.

Il est dommage que la majorité, encore une fois, n’ait pas identifié dans les expressions très claires ci-dessus le fait que la question litigieuse avait été bien soulevée devant la Cour de cassation. Pour étayer une sorte d’« invalidité » de l’argumentation de la compagnie d’assurances, la majorité est contrainte de lui consacrer cinq paragraphes (du 64 au 69 du présent arrêt).

Après malheureusement de nouveaux problèmes de lecture des concepts, la majorité examine les citations jurisprudentielles contenues entre parenthèses dans les observations de la compagnie d’assurances, qui traitent d’une autre question évoquée dans la même phrase, sans aborder la formulation hors parenthèses selon laquelle, comme je l’ai signalé plus haut, la compagnie d’assurances conteste clairement que « dans l’hypothèse, telle que celle examinée en l’espèce, (...) où la responsabilité de l’accident serait imputable, exclusivement, au [conducteur] du véhicule [non identifié], le passager doit adresser ses demandes d’indemnisation, conformément à l’article 283 du code des assurances », et non en vertu de l’article 141 dudit code !

Immédiatement après (paragraphe 69 du présent arrêt), la majorité, peut-être consciente de la faiblesse des arguments, admet que, si la question en cause était évoquée, elle serait « totalement nouvelle » et « complexe », ce qui se traduirait par une question pas « clairement formulée ». Le fait que la question en cause associe nouveauté, complexité et manque de clarté confirme la faiblesse de la conclusion.

17. Alors que la procédure se déroulait devant la Cour de cassation, la présente affaire n’était pas – à l’évidence – la bonne affaire pour que la haute juridiction résolût le conflit de jurisprudence sur l’autre question portant sur la possibilité d’égaliser le fonds de garantie à une compagnie d’assurance ordinaire quant à l’applicabilité de l’article 141 (un conflit de jurisprudence a ensuite été transmis aux chambres réunies de la Cour de cassation, comme la majorité le rappelle à juste titre aux paragraphes 31-35 du présent arrêt). Dans notre cas, il y avait même trop de raisons de rejeter l’allégation en question en utilisant la formule bien connue suivante : « même en supposant que le motif soulevé est fondé (...) ». Pour des raisons d’économie de la procédure qui souvent sont à la base de la substitution de motifs (Vegotex International S.A., précité, § 142), la Cour de cassation a choisi de se concentrer sur l’un des deux éléments que les arrêts précédents avaient soulignés, bien que brièvement, comme étant nécessaires pour agir contre l’assurance du conducteur, plutôt que directement contre le fonds de garantie : le fait que la coresponsabilité du conducteur devrait être, au moins potentiellement, en jeu, c’est-à-dire qu’aucune responsabilité exclusive ne soit attribuée par le demandeur au conducteur inconnu.

18. La Cour de cassation a vu la question dans le dossier. Et elle a ainsi décidé de substituer le motif devenu « compliqué » en raison de l’évolution jurisprudentielle en cours à un motif dont toutes les parties avaient conscience. Elle aurait très bien pu juger « au fond », en rejetant le motif invoqué dans la mesure où l’affaire qui lui était soumise était décrite comme étant un « désert de preuve ». Mais, au contraire, en tranchant le litige en droit, elle a développé la jurisprudence.

19. À mon avis, la question de la coresponsabilité (ou de l’implication nécessaire de deux véhicules, fût-elle présumée) était clairement posée à chaque instance et aussi devant la Cour de cassation. L’arrêt de la majorité complique une situation très simple, en combinant le principe en question avec d’autres questions portant sur le rôle du fond de garantie, la notion de cas fortuit, etc. (voir les paragraphes 21 à 35, et en particulier le paragraphe 35 de l’arrêt, où la majorité tire de l’arrêt des chambres réunies du 30 novembre 2022 la conséquence, à mon avis erronée, que selon cette jurisprudence successive développée à l’époque des faits il n’y aurait aucune pertinence de la question de coresponsabilité avec l’applicabilité de l’article 141 du code des assurances).

20. J’ai l’impression, comme je l’ai déjà mentionné, d’une compréhension limitée des subtilités juridiques du système national, alors que la juridiction nationale est mieux équipée pour les traiter. Ce qui importe, en tout état de cause, est de savoir si – au moment où la Cour de cassation a rendu son arrêt en 2020 – le requérant pouvait s’attendre à une substitution de motifs. À mon modeste avis, oui. Et donc aucune violation de l’article 6 § 1 de la Convention ne serait envisageable.

* * *

[1] Deuxième directive (84/5/CEE) du Conseil du 30 décembre 1983 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs.


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-225451
Date de la décision : 29/06/2023
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Procès équitable)

Parties
Demandeurs : BEN AMAMOU
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BELIA E.

Origine de la décision
Date de l'import : 18/11/2023
Fonds documentaire ?: HUDOC

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