DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE VAN DEN KERKHOF c. BELGIQUE
(Requête no 13630/19)
ARRÊT
Art 6 § 1 (civil) • Délai raisonnable • Durée excessive de la procédure civile en cours
Art 46 • Exécution de l’arrêt • État défendeur tenu de prendre des mesures générales pour remédier au problème structurel de la durée excessive des procédures civiles devant les juridictions de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles • Liberté de moyens dans la mise en œuvre du droit à être jugé dans un délai raisonnable • Implication nécessaire de l’ensemble des acteurs de la justice
STRASBOURG
5 septembre 2023
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Van den Kerkhof c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Arnfinn Bårdsen, président,
Egidijus Kūris,
Pauliine Koskelo,
Saadet Yüksel,
Lorraine Schembri Orland,
Frédéric Krenc,
Diana Sârcu, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section,
Vu :
la requête (no 13630/19) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Tom Karel Elisabeth Van den Kerkhof (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 6 mars 2019,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement »),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 juillet 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente affaire concerne une procédure judiciaire pendante en matière civile. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de sa durée excessive.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1977 et réside à Oud-Turnhout. Il a été représenté par Me J. De Bock, avocat à Bruxelles.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.
4. La présente affaire concerne une procédure civile qui oppose le requérant aux vendeurs de son appartement ainsi qu’à l’agence immobilière qui avait servi d’intermédiaire entre le requérant et les vendeurs.
5. Le 15 décembre 2015, le requérant saisit le tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Cette action visait à obtenir, à titre principal, la nullité de la vente pour vice de consentement. À titre subsidiaire, le requérant sollicitait la condamnation des défendeurs à lui payer un montant équivalent à la différence entre le prix d’achat et le prix du bien. À titre plus subsidiaire encore, il sollicitait la résolution du contrat de vente pour faute et la restitution du prix de vente précité, ou, à tout le moins, des dommages et intérêts. Enfin, il sollicitait, avant dire droit, la désignation d’un expert judiciaire avec mission d’évaluer la valeur du bien et le coût des travaux à effectuer et effectués.
6. Par un jugement du 20 janvier 2017, le tribunal de première instance déclara l’action du requérant recevable. Rejetant la demande de nullité de la vente, le tribunal désigna, avant-dire-droit, un expert judiciaire et renvoya l’affaire au rôle.
7. Par une requête du 5 mai 2017, les défendeurs firent appel de cette décision.
8. Le 28 février 2018, l’expert rendit son rapport.
9. Le 13 juillet 2018, alors que l’affaire était en état d’être plaidée en appel, le greffe de la cour d’appel de Bruxelles informa le requérant que l’affaire était sur une liste d’attente et qu’il ne pouvait pas promettre une fixation avant mars 2026.
10. Le 11 septembre 2018, le requérant s’adressa au premier Président de la cour d’appel afin de lui demander de revoir la date de plaidoiries de son dossier. Le 14 septembre 2018, il lui fut répondu que les délais étaient en effet « anormalement longs » mais qu’il n’était pas possible de modifier la date en raison de l’état actuel du cadre de la cour d’appel. La lettre précisait que ce n’était que dans des cas tout à fait exceptionnels et dûment prouvés qu’une priorité pouvait être accordée à certains dossiers urgents (maladie grave ou grand âge des parties, risque d’insolvabilité, risque d’effondrement de l’immeuble, etc.).
11. Entretemps, le 16 juillet 2018, le requérant avait adressé une plainte au Conseil supérieur de la Justice en raison de la lenteur excessive de la justice et le non-respect du droit à un procès dans un délai raisonnable. Le 14 janvier 2019, la Commission d’avis et d’enquête du Conseil supérieur de la Justice déclara la plainte du requérant fondée. Elle estima que les délais de fixation auxquels le requérant était confronté, reflétaient un « dysfonctionnement de l’ordre judiciaire », même si « la responsabilité du dysfonctionnement n’était pas nécessairement imputable au pouvoir judiciaire à défaut pour celui-ci d’influencer sur le nombre de magistrats ».
12. Le 6 mars 2019, le requérant saisit la Cour de la présente requête.
13. Le 17 janvier 2019, le requérant mit en demeure le ministre de la Justice de prendre les mesures nécessaires pour réduire le temps excessif d’attente. Le ministre en accusa réception le 6 février 2019. Les parties n’ont pas fait état des suites données à cette mise en demeure.
14. Par une ordonnance du 24 juin 2019, le juge des saisies du tribunal de première instance de Nivelles autorisa le requérant à pratiquer une saisie conservatoire sur un des biens immeubles appartenant à l’agence immobilière. Cette ordonnance fut confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 20 octobre 2020.
15. Entretemps, l’affaire au principal avait été fixée pour plaidoiries devant la cour d’appel de Bruxelles le 5 février 2021. Celle-ci rendit un arrêt le 23 février 2021 par lequel elle déclara l’appel des défendeurs non fondé, confirma le premier jugement du 20 janvier 2017 et renvoya la cause devant le premier juge.
16. À la suite à ce renvoi devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, un calendrier d’échange de conclusions fut acté entre parties et une date d’audience de plaidoiries fut fixée au 11 mars 2022.
17. Le 8 mars 2022, le greffe du tribunal de première instance informa les parties que l’affaire avait être remise d’office au 23 novembre 2023 en raison de l’absence du juge titulaire et de la carence en juges effectifs.
18. Le 25 mai 2022, en réponse au requérant, le greffe confirma que la situation difficile que connaissait le tribunal en raison de la carence en magistrats ne permettait plus de fixer les dossiers à brève échéance.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
1. L’action en responsabilité civile contre l’État
1. Le code civil
19. Les dispositions pertinentes du code civil sont les suivantes :
Article 1382
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par lequel il est arrivé, à le réparer. »
Article 1383
« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
2. La jurisprudence
1. La jurisprudence pertinente de la Cour de cassation
20. La Cour de cassation belge a, tout d’abord, admis dans son arrêt Anca du 19 décembre 1991 (Pas., 1992, I, p. 316) que la responsabilité civile de l’État pouvait être engagée du fait de fautes commises par des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions.
21. Ensuite, par un arrêt Ferrara Jung du 28 septembre 2006 (C.02.05.70.F, J.T., 2006, p. 594), la Cour de cassation a considéré que la responsabilité civile de l’État pouvait également être engagée en raison de la faute du législateur lorsque celui-ci s’abstient de prendre les mesures nécessaires pour empêcher le développement d’un arriéré contraire à l’article 6 de la Convention.
2. La jurisprudence produite par le Gouvernement devant la Cour
22. Le Gouvernement se réfère à trois décisions qui illustrent, selon lui, que le recours indemnitaire sur fondement de l’article 1382 du code civil permettait d’obtenir, dans un délai raisonnable, un redressement approprié et suffisant du préjudice résultant d’un délai excessif d’une procédure civile pendante, conformément aux critères établis par la Cour.
23. Il se réfère tout d’abord à un jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 14 décembre 2012 ayant statué sur un recours indemnitaire introduit le 12 novembre 2010, alors que la procédure dont la durée était dénoncée, était en attente de fixation devant la cour d’appel. Ce jugement a condamné l’État belge à indemniser les demandeurs à 10 000 (euros) EUR chacun pour le dommage moral subi du fait du dépassement du délai raisonnable de la procédure civile qui avait duré quatre ans et représenté un enjeu important pour la santé de l’un des demandeurs. Le tribunal a notamment motivé sa décision en ces termes : « la cause de ce retard, inexcusable, résulte clairement d’un manque de conseiller à la cour d’appel, ainsi que cela ressort de la lettre du Premier Président de la cour lui‑même (...) cette carence a été causée, à tout le moins en grande partie, par la décision du ministre de la justice de l’époque de retarder, pour des questions d’économies budgétaires, la publication des places vacantes, ce qui a eu pour effet d’allonger les délais entre les départs de magistrats et la nomination de nouveaux conseillers (...) le faute de l’État belge, en partie volontaire de surcroît, est ainsi établie ». L’État belge a formé appel de ce jugement. Cet appel a été rejeté par la cour d’appel de Bruxelles par un arrêt du 10 février 2017 qui a confirmé ce jugement.
24. La deuxième décision invoquée est un jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 26 avril 2016 ayant statué sur un recours indemnitaire introduit le 20 mai 2010, alors que la procédure dont la durée était critiquée, était pendante en degré d’appel. Ce jugement a condamné l’État belge à indemniser les demandeurs à concurrence d’une indemnité forfaitaire de 1 000 EUR par année de procédure pour le dommage moral subi du fait du dépassement du délai raisonnable, s’agissant d’une procédure pénale dans laquelle ils étaient parties civiles. La procédure avait duré quatorze ans.
25. Dans ses observations en réplique, le Gouvernement s’est en outre référé à un jugement du 5 juillet 2022 du tribunal de première instance francophone de Bruxelles ayant statué sur un recours indemnitaire introduit le 13 juillet 2021. Le tribunal a octroyé une indemnisation d’un montant forfaitaire de 2 000 EUR pour les quinze mois d’allongement de la procédure imputables à l’État qui avaient entraîné l’absence de relations entre le père et l’enfant pendant deux ans et demi.
3. Le jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 13 mars 2020
26. En 2019, l’Ordre des barreaux francophone et germanophone de Belgique (« OBFG ») a cité l’État belge en responsabilité civile du fait de l’absence de remplissage des cadres du personnel des magistrats et membres du greffe à 100 % et ce, à défaut notamment d’avoir publié la totalité des places vacantes et nommé des candidats aux postes vacants.
27. Par un jugement du 13 mars 2020, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a jugé que le refus de publier les places vacances était constitutif d’une faute. Quant au dommage, il a observé que « depuis quelques années, les effectifs des cours et tribunaux ne suffisent pas pour répondre aux besoins du service public de la justice ». Il a estimé que, sans le refus de l’État belge de publier la totalité des places vacantes, le dommage ne serait pas produit tel qu’il s’est réalisé in concreto.
28. Le tribunal a conclu que le dommage invoqué par l’État belge devait être réparé en nature par la condamnation de l’État à publier, dans les trois mois de la signification du jugement, les places dont la vacance était établie ou prévisible à la date de prise en délibéré de la cause, soit le 17 janvier 2020.
29. L’État belge a interjeté appel du jugement. L’affaire est actuellement pendante devant la cour d’appel de Bruxelles.
2. la situation des Cours et Tribunaux EN BELGIQUE
1. Les positions du Conseil supérieur de la Justice
30. L’article 151 de la Constitution institue un Conseil supérieur de la Justice. Il s’agit d’un organe indépendant qui exerce notamment un contrôle externe sur le fonctionnement de l’ordre judiciaire par le biais d’audits, d’enquêtes particulières et par le traitement de plaintes concernant ce fonctionnement (voir l’énoncé de la composition, des compétences et du fonctionnement du Conseil supérieur de la Justice dans Loquifer c. Belgique, nos 79089/13 et 2 autres, §§ 18-21, 20 juillet 2021).
1. Audit de la gestion des ressources humaines au sein des tribunaux de première instance
31. En décembre 2017, le Conseil supérieur de la Justice a divulgué les résultats de son audit de la gestion des ressources humaines au sein des tribunaux de première instance. Cet audit indiquait notamment : « le personnel est affecté aux tribunaux sur la base des cadres du personnel. Son affectation ne résulte pas d’une analyse objective des besoins actuels en personnel de chaque tribunal. De plus, les cadres ne sont actuellement pas entièrement remplis par le ministre de la Justice, en raison d’une mesure d’économie décidée par le gouvernement ». Le résumé de cet audit précise en outre : « La plupart des tribunaux estiment qu’il existe un manque de personnel. Tout tribunal tente de faire en sorte que les missions légales et les objectifs du tribunal puissent néanmoins être remplis au maximum. En d’autres termes, les tribunaux font ce qu’ils peuvent pour pallier les pénuries de personnel auxquelles ils estiment être confrontés (...) ». Dans ses recommandations, le Conseil supérieur de la Justice a estimé que « le ministre de la Justice (à l’avenir le Collège des cours et tribunaux) doit prendre ses responsabilités. Il se doit de veiller à ce que du personnel suffisamment qualifié soit disponible pour qu’une solution durable puisse être trouvée et qu’un tribunal ne soit plus contraint de recourir à des solutions de fortune ».
2. Audit de la cour d’appel de Bruxelles
32. Le Conseil supérieur de la Justice a effectué un audit de la cour d’appel de Bruxelles en vue d’identifier, d’analyser et de formuler des recommandations notamment au sujet de la problématique du personnel, de la charge de travail, de la productivité et de l’arriéré. Cet audit a été rendu public le 30 juin 2022.
33. Ce rapport procède d’un premier constat selon lequel le manque de magistrats, de greffiers et de personnel de greffes (en partie dû aux nombreuses absences pour raisons médicales) impliquait des risques considérables pour le fonctionnement de la cour d’appel de Bruxelles. Ainsi, des chambres avaient déjà été fermées et les audiences de certaines chambres avaient été suspendues, ce qui avait un impact sur le service rendu aux justiciables.
34. Le rapport constate ainsi que de 2016 à 2021, les cadres du personnel, qui constituent « le seul critère de référence en l’absence de résultats concrets concernant l’outil de la mesure de la charge de travail, n’ont jamais été complètement remplis en raison d’une politique d’économie ». Ainsi, « le cadre de 74 magistrats n’était, en moyenne, pas rempli à plus de 90 % durant la période de 2016 à 2020 ce qui, en pratique, signifiait un manque de 7,4 magistrats ». Afin de pallier le manque de magistrats, « le premier président a fréquemment utilisé le mécanisme lui permettant de déléguer des juges de première instance à la cour (3,5 en moyenne durant la période de 2016 à 2020), mais il manquait toujours environ 4 magistrats sur le cadre de 74 magistrats ».
35. Dans le cadre de cet audit, l’arriéré est défini comme le nombre d’affaires que la cour d’appel de Bruxelles a « en arriéré/retard » par rapport aux autres cours d’appel. Le critère utilisé est celui du ratio du stock, soit le nombre d’affaires pendantes à la fin de l’année (stock ou réserve) divisé par le flux sortant annuel moyen. Le rapport d’audit constate à ce sujet : « En matière civile, le ratio du stock des autres cours s’élève en moyenne à 139 %, celui de Bruxelles à 329 %. En matière pénale, le ratio du stock des autres cours s’élève en moyenne à 45 %, celui de Bruxelles à 72 % ».
36. Le rapport d’audit a noté que « la majorité de la réserve d’affaires au 31 décembre 2020 appartenait aux affaires civiles générales (67 %) et, en seconde place, aux affaires fiscales (20 %) » et que « le délai de traitement global est passé, fin 2020, à un peu plus de deux ans et neuf mois (1031 jours) (...) Parmi les affaires pendantes, plus d’un tiers attendait d’être traitées depuis plus de trois ans. On observe, au sein de la section civile, de nettes différences au niveau des délais de traitement entre catégories. Certaines affaires juridiques fréquentes, telles que les contrats, les affaires de construction et les litiges avec les autorités, sont notamment responsables, entre autres choses, de l’allongement des délais de traitement, d’autant plus que les affaires de ce type sont nombreuses ».
3. Rapports annuels sur le traitement des plaintes
37. Une plainte ayant trait à un dysfonctionnement de l’ordre judiciaire peut être adressée au Conseil supérieur de la Justice qui est chargé de les traiter, d’en assurer le suivi et de formuler des recommandations. Le traitement des plaintes relève de la compétence des commissions d’avis et d’enquête.
38. Ces dernières années, ces commissions ont reçu plusieurs plaintes relatives à la longueur des procédures en première instance comme en appel.
a) Rapport sur le traitement des plaintes 2019
39. Dans une plainte relative à un délai de fixation d’une audience de plus de cinq ans devant la cour d’appel après la fin de l’échange des conclusions, la Commission a constaté que la juridiction concernée connaissait un « arriéré historique » et a déclaré́ la plainte fondée.
40. Dans une autre plainte relative à un délai de fixation d’une audience de près de deux devant un tribunal de première instance après la fin de l’échange des conclusions dans deux procédures, la Commission a déclaré́ la plainte fondée et estimé́ qu’il y avait eu « dysfonctionnement de l’ordre judiciaire » dans les deux affaires.
b) Rapport sur le traitement des plaintes 2020
41. La Commission a déclaré fondée une plainte concernant la longueur du délai de fixation de plus de cinq ans après le dépôt des dernières conclusions, dans une affaire pendante devant une cour d’appel.
42. La Commission a également considéré qu’un délai de plus de six ans entre la confirmation de la créance du plaignant et la fixation devant la cour d’appel était intolérablement long et que « cela ne correspondait pas au service que l’on pouvait attendre de la justice ».
c) Rapport sur le traitement des plaintes 2021
43. La Commission a déclaré fondée une plainte concernant la longue durée du délai de fixation pour plaidoiries au sein d’une cour d’appel (environ huit ans).
44. Une autre plainte a été déclarée fondée en raison d’une durée de fixation devant un tribunal de première instance de plus de deux ans après que le plaignant avait cité la partie défenderesse.
45. La Commission a encore déclaré fondée une plainte en raison de la lenteur d’une procédure devant la cour d’appel (plus de deux ans et demi entre la fin de l’échange des conclusions et la date de l’audience de plaidoiries). La Commission a estimé que « l’arriéré endémique » que subissait la cour d’appel en question n’était pas neuf et requérait que d’importantes mesures soient mises en œuvre. La Commission a conclu en l’espèce que le délai de fixation constituait un « dysfonctionnement de l’ordre judiciaire ».
2. Les positions du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
46. Le 9 juin 2021, le Comité des Ministres a adopté une Résolution intérimaire (CM/ResDH(2021)103) dans le cadre de l’affaire Bell c. Belgique (no 44826/05, 4 novembre 2008) qui concerne la durée excessive de procédures civiles devant les tribunaux de première instance. Cette Résolution se lit comme suit :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui prévoit que le Comité surveille l’exécution des arrêts définitifs de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après nommées « la Convention » et « la Cour ») ;
Rappelant que cette affaire concerne la durée excessive des procédures civiles devant les tribunaux belges de première instance et que ce problème remonte à 2005 ;
Réitérant que les délais excessifs dans l’administration de la justice constituent un danger sérieux, en particulier pour le respect de l’État de droit et l’accès à la justice, entraînant un déni des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrés par la Convention ;
Rappelant la Recommandation CM/Rec(2010)3 sur des recours effectifs face à la durée excessive des procédures et soulignant que l’introduction des mesures visant à combattre celle-ci, contribuera, conformément au principe de subsidiarité, à améliorer la protection des droits de l’homme dans les États membres ainsi qu’à préserver l’efficacité du système de la Convention, y compris en aidant à réduire le nombre de requêtes portées devant la Cour ;
Exprimant sa profonde préoccupation face à l’absence persistante de données statistiques complètes (relatives au « clearance rate » et « disposition time ») sur les tribunaux civils de première instance malgré sa demande explicite d’en disposer pour mars 2021, ce qui empêche le Comité depuis de nombreuses années d’évaluer pleinement la situation de ces tribunaux et l’impact des mesures adoptées pour notamment réduire leur charge de travail ;
DEMANDE instamment aux autorités de consacrer tous les moyens nécessaires pour fournir, au plus tard pour fin juin 2022, des données complètes sur l’activité des tribunaux civils de première instance ainsi que des informations concernant le fonctionnement en pratique du recours interne indemnitaire (en particulier, délais de traitement, prescription et réparations octroyées) pour se plaindre de la durée excessive de procédures judiciaires ;
ENCOURAGE, à nouveau, les autorités à améliorer leur information statistique judiciaire de manière plus générale, par une numérisation accrue de la Justice et tout autre moyen approprié, dont le cas échéant, en recourant à la coopération de la CEPEJ ;
NOTE les intentions des autorités de revaloriser et de renforcer les moyens à la disposition de la Justice et les invite à rapidement concrétiser ces intentions pour que les cours et tribunaux puissent remplir pleinement leurs missions au titre de l’article 6 de la Convention ; regrettant l’absence de toute nouvelle information à propos du projet de modèle d’allocations internes (AMAI) mis en avant par les autorités depuis de nombreuses années, réitère son encouragement aux autorités à déployer tous les moyens nécessaires, y compris statistiques, pour finaliser sans tarder ce modèle visant, à l’avenir, à mieux répartir les ressources humaines et financières entre les juridictions ;
DÉCIDE de reprendre l’examen de cette affaire au plus tard lors de sa réunion DH de septembre 2022. »
47. Lors de leur réunion tenue les 20-22 septembre 2022, les Délégués des Ministres se sont exprimés comme suit à propos de la surveillance de l’exécution dudit arrêt Bell :
« Les Délégués
1. rappellent que l’affaire Bell concerne la durée excessive de procédures civiles devant les tribunaux de première instance (...) ;
2. rappellent également que ces questions et l’arriéré judiciaire en Belgique sont des problèmes de longue date, déjà constatés par la Cour en 2005, et que les délais excessifs dans l’administration de la justice constituent un danger sérieux pour le respect de l’État de droit et l’accès à la justice ; soulignent, à nouveau, la Recommandation CM/Rec(2010)3 sur des recours effectifs face à la durée excessive des procédures, et que l’introduction des mesures visant à la combattre contribuera, conformément au principe de subsidiarité, à améliorer la protection des droits de l’homme dans les États membres et à préserver l’efficacité du système de la Convention, y compris en aidant à réduire le nombre de requêtes ;
En ce qui concerne les mesures générales :
(...)
4. notent avec intérêt que les autorités présentent une volonté manifeste de s’attaquer à la durée excessive des procédures judiciaires et que de nouvelles mesures ont été prises, dont une aide prioritaire à certaines juridictions ; soulignent l’importance d’agir sans plus tarder et encouragent les autorités à évaluer l’impact des mesures déjà adoptées, à surveiller l’arriéré judiciaire et à mettre en place rapidement des plans d’action appropriés pour les juridictions qui y sont le plus confrontées, en particulier la cour d’appel de Bruxelles ;
5. déplorent l’absence persistante de données sur la durée moyenne de traitement (« disposition time ») des procédures civiles de première instance et rappellent qu’il existe une faiblesse statistique judiciaire plus générale, empêchant de mesurer l’efficience de la justice belge, d’évaluer pleinement l’exécution d’arrêts mais surtout, d’adopter des politiques et des mesures appropriées ; invitent donc les autorités à rapidement renforcer leur dialogue avec le Secrétariat et la CEPEJ afin d’explorer les solutions possibles et à déployer tous les autres moyens utiles pour transmettre, au plus vite, des statistiques judiciaires, complètes et aussi détaillées que possibles, sur les procédures civiles et pénales ;
6. en l’absence d’information complète, réitèrent leur demande d’informations sur le fonctionnement du recours indemnitaire et invitent les autorités à prévoir les moyens nécessaires pour y répondre, le cas échéant, en envisageant de créer un recours spécifique indemnitaire en matière de durée excessive de procédures ; invitent également les autorités à traiter les recours déposés à ce sujet avec la diligence requise, à l’instar des autres procédures judiciaires ;
7. prennent note avec intérêt de l’augmentation récente du personnel judiciaire et du budget de la Justice, tout en soulignant la nécessité qu’elle s’inscrive dans une perspective structurelle à long terme et ne soit pas conditionnée à des résultats d’une manière pouvant porter atteinte à la qualité du travail judiciaire, à son indépendance et à l’accès effectif des citoyens à la justice ; à nouveau, encouragent les autorités à développer, aussi rapidement que possible, le modèle AMAI visant à mieux répartir les ressources et, dans l’intervalle, les invitent à remplir le cadre légal du personnel judiciaire, voire à l’augmenter là où l’arriéré judiciaire est le plus significatif ;
8. (...) invitent les autorités à leur fournir des informations actualisées, d’ici juin 2023, sur toutes les questions en suspens et décident de réexaminer ces affaires au plus tard lors de leur réunion DH de décembre 2023. »
3. Le rapport de la Commission européenne sur l’État de droit
48. Dans son rapport 2022 sur l’État de droit, la Commission européenne a dressé notamment les constats suivants à propos de la Belgique :
« Il n’existe toujours pas de vue d’ensemble complète de l’efficience du système de justice en raison d’un manque persistant de données, mais des mesures sont prises pour remédier à ce problème. Des lacunes importantes subsistent en ce qui concerne la disponibilité des données relatives aux procédures judiciaires. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe maintient sa surveillance renforcée de la Belgique en ce qui concerne la durée excessive des procédures dans les affaires civiles en première instance, et a exprimé sa profonde préoccupation face à l’absence persistante de données statistiques complètes sur les tribunaux civils de première instance. Pour remédier à ces problèmes, des initiatives sont en cours pour permettre la collecte de données cohérentes, fiables et uniformes sur le fonctionnement du système de justice. Il ressort des données limitées actuellement disponibles que le taux d’affaires tranchées en première instance est tombé en dessous de 100 % pour les affaires civiles et commerciales en 2020, mais est resté supérieur à 100 % pour les affaires administratives. En outre, le taux global de variation du stock d’affaires pendantes devant la Cour de cassation était supérieur à 100 % en 2021. Des délais particulièrement longs sont signalés dans certaines juridictions, dont la cour d’appel de Bruxelles, et le Conseil supérieur de la Justice procède actuellement à un audit approfondi de son fonctionnement. Dans ce contexte, des ressources humaines supplémentaires seront allouées à court terme à certaines juridictions confrontées à un important arriéré. À plus long terme, le Collège des cours et tribunaux a été chargé de recenser les arriérés judiciaires dans l’ensemble des juridictions et d’aider leurs cadres à élaborer des plans d’action visant à améliorer la situation.»
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
49. Le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure civile qui est pendante devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui est libellé ainsi dans ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
50. Le Gouvernement plaide que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention. Selon lui, le requérant aurait dû saisir les juridictions civiles d’une action en responsabilité civile extracontractuelle fondée sur l’article 1382 du code civil pour demander une réparation en raison de la durée excessive de la procédure civile. Il fournit à l’appui de cette dernière affirmation trois décisions qui illustrent, selon lui, que le recours indemnitaire permet d’obtenir, dans un délai raisonnable, un redressement approprié et suffisant du préjudice allégué (paragraphes 22-25 ci-dessus).
51. Le requérant fait valoir que ce recours indemnitaire n’est pas un recours qu’il était tenu d’épuiser car il ne constitue pas un recours effectif susceptible de fournir un redressement adéquat.
52. Il soutient, d’une part, que les juridictions belges sont mal placées pour statuer sur le retard lié à l’arriéré judiciaire en toute indépendance. En l’occurrence, ce serait le tribunal de première instance de Bruxelles qui devrait en principe mettre en évidence une faute de gestion ou de règlement des priorités de ce même tribunal. Ensuite, le requérant fait valoir qu’à supposer que le recours puisse être examiné par le tribunal d’un autre arrondissement judiciaire, on peut raisonnablement s’attendre à ce que celui‑ci ne voudra pas juger de la responsabilité de ses collègues.
53. Le requérant allègue, d’autre part, qu’il est paradoxal dans le chef du Gouvernement de soutenir qu’il aurait dû introduire une nouvelle action en dommages et intérêts devant le tribunal de première instance de Bruxelles avant de saisir la Cour, alors qu’il se plaint précisément de ne pas obtenir de jugement de ce tribunal. Le requérant estime pouvoir légitimement considérer qu’en l’espèce, une action indemnitaire ne sera pas non plus traitée dans des délais raisonnables. Il souligne que les décisions citées par le Gouvernement viennent conforter sa thèse puisqu’elles montrent que ce recours peut durer jusqu’à six ans voire plus.
54. Dans ses observations en réplique, le Gouvernement fait valoir qu’il ne peut être soutenu in abstracto qu’un recours indemnitaire ne serait pas adéquat au seul motif qu’il s’agirait d’un grief concernant le « délai raisonnable » d’une procédure civile, jugé par un tribunal civil. En l’espèce, le requérant n’apporte aucun élément concret permettant de démontrer que le tribunal qui aurait à connaître de son action indemnitaire ferait preuve de parti pris ou n’offrirait pas les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité. En tout état de cause, le requérant dispose du mécanisme de récusation des juges. Le Gouvernement rappelle surabondamment que la partie en cause dans le cadre d’une action indemnitaire est l’État belge, représenté par son ministre de la Justice, et non le(s) magistrat(s) impliqué(s) dans le cadre de la procédure dont la durée est contestée.
2. Appréciation de la Cour
a) Les principes généraux
1. Sur l’épuisement des voies de recours internes
55. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Cette règle se fonde sur l’hypothèse – objet de l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 69, 25 mars 2014).
56. L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit toutefois l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Vučković et autres, précité, § 70).
57. Lorsqu’un Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, il doit convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement approprié de ses griefs, et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010, et Vučković et autres, précité, § 77).
58. Enfin, la Cour rappelle que l’obligation pour le requérant d’épuiser les voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant la Cour (voir, parmi beaucoup d’autres, Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001-V (extraits), et Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 2) [GC], no 14305/17, § 193, 22 décembre 2020). Cependant, il peut être exceptionnellement dérogé à la règle lorsque des recours ont été spécialement mis en place dans l’ordre interne postérieurement à l’introduction de la requête pour répondre au problème en cause dans celle‑ci (voir, parmi d’autres, Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001-IX, Nogolica c. Croatie (déc.), no 77784/01, 5 septembre 2002, et Turgut et autres c. Turquie (déc.), §§ 54-56, 26 mars 2013).
2. Sur l’effectivité des recours en matière de durée excessive d’une procédure judiciaire
59. La Cour rappelle que les recours dont un justiciable dispose au plan interne pour se plaindre de la durée d’une procédure sont « effectifs », au sens des articles 13 et 35 § 1 de la Convention, dès lors qu’ils permettent soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés. L’article 13 ouvre en ce sens une « option » en la matière (Mifsud c. France [GC], (déc.), no 57220/00, § 17, CEDH 2002‑VIII ; voir également Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, CEDH 2006‑VII, et McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 108, 10 septembre 2010).
60. Selon la Cour, un recours purement indemnitaire est en principe susceptible de constituer une voie de recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, même lorsque la procédure est pendante au plan interne au jour de la saisine de la Cour (voir, parmi beaucoup d’autres, Brusco, décision précitée, Broca et Texier-Micault c. France (déc.), nos 27928/02 et 31694/02, 21 octobre 2003, et Turgut et autres, décision précitée, §§ 49, 52 et 57).
61. Cette conclusion n’est valable que pour autant que l’action indemnitaire est elle-même un recours accessible et adéquat permettant de sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire (Mifsud, décision précitée, § 17).
62. La Cour a fixé certains critères essentiels en vue de vérifier l’effectivité des recours indemnitaires en matière de durée excessive de procédures judiciaires (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 195 et 204 à 207, CEDH 2006-V, Bourdov c. Russie (no 2), n0 33509/04, § 99, CEDH 2009, Valada Matos das Neves c. Portugal, no 73798/13, § 73, 29 octobre 2015, et Brudan c. Roumanie, no 75717/14, § 69, 10 avril 2018). Ces critères sont les suivants :
a) l’action en indemnisation doit être tranchée dans un délai raisonnable ;
b) l’indemnité doit être promptement versée, en principe au plus tard six mois après la date à laquelle la décision octroyant la somme est devenue exécutoire ;
c) le montant des indemnités ne doit pas être insuffisant par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires ;
d) les règles procédurales régissant l’action en indemnisation doivent être conformes aux principes d’équité tels que garantis par l’article 6 de la Convention ;
e) les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur les plaideurs dont l’action est fondée.
63. Les critères applicables à la durée des procédures concernant un recours indemnitaire ne sauraient être ceux adoptés pour évaluer la durée des procédures ordinaires, eu égard notamment au fait que ces premières ne revêtent normalement aucune complexité particulière. La Cour estime qu’une diligence particulière s’impose aux États afin que la violation soit constatée et redressée dans le plus bref délai et que, sauf circonstances exceptionnelles, ce délai ne peut dépasser deux ans et six mois, phase d’exécution comprise (voir, parmi d’autres, Marshall et autres c. Malte, no 79177/16, § 88, 11 février 2020, et Titan total group S.R.L. c. République de Moldova, no 61458/08, § 89, 6 juillet 2021).
b) La jurisprudence de la Cour quant à l’effectivité du recours indemnitaire en droit belge
64. Consécutivement à l’arrêt Ferrara Jung de la Cour de cassation (paragraphe 21 ci-dessus), la Cour s’est prononcée sur le caractère « épuisable » du recours en responsabilité contre l’État au regard de l’article 35 § 1 de la Convention, lorsque la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable était dénoncée. Il convient d’opérer une distinction selon que le contentieux relevait du volet « civil » ou du volet « pénal » au sens de l’article 6 de la Convention.
1. En matière civile
65. Dans la décision Depauw c. Belgique ((déc.), no 2115/04, 15 mai 2007), la Cour a estimé que le recours en responsabilité consacré par l’arrêt Ferrara Jung avait acquis un degré de certitude suffisant à partir du 28 mars 2007 et que, par conséquent, ce recours indemnitaire devait désormais être épuisé à compter de cette date, aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention.
66. La Cour a confirmé cette jurisprudence dans plusieurs affaires ultérieures (voir notamment Nagler et Nalimmo B.V.B.A. c. Belgique, no 40628/04, 17 juillet 2007, De Saedeleer c. Belgique, no 27535/04, 24 juillet 2007, De Turck c. Belgique, no 43542/04, 25 septembre 2007, et Raway et Wera c. Belgique, no 25864/04, 27 novembre 2007).
2. En matière pénale
67. Dans la décision Phserowsky c. Belgique ((déc.), no 52436/07, 7 avril 2009), la Cour a estimé que rien ne s’opposait à ce que la jurisprudence Depauw trouve à s’appliquer en matière de durée déraisonnable des procédures pénales (voir également H.K. c. Belgique (déc.), no 22738/08, 12 janvier 2010, Poncelet c. Belgique, no 44418/07, § 67, 30 mars 2010, et Tyteca c. Belgique (déc.), no 483/06, 24 août 2010).
68. Dans l’arrêt Panju c. Belgique (no 18393/09, 28 octobre 2014), la Cour a cependant observé que le Gouvernement, auquel la charge de la preuve incombe en la matière, n’avait pas démontré que le recours indemnitaire fondé sur les articles 1382 et 1383 du code civil était appliqué en pratique par les juridictions dans le cadre des procédures pénales (ibidem, § 62). Elle a dès lors considéré que le recours indemnitaire ne pouvait être considéré comme un recours effectif pour se plaindre de la longue durée de l’instruction pénale menée contre le requérant dans le cas d’espèce (ibidem, § 63).
69. En 2017, la Cour a observé que le Gouvernement avait complété, devant elle, l’argumentaire qu’il avait développé dans l’affaire Panju précitée en fournissant des exemples démontrant que le recours indemnitaire pouvait en principe être exercé avec succès. Elle a dès lors énoncé que « le recours indemnitaire peut en principe être considéré comme un recours effectif en vue de redresser une violation tirée de la durée excessive d’une instruction pénale que celle-ci soit constatée au cours de l’instruction ou au stade du règlement de la procédure » (J.R. c. Belgique, no 56367/09, § 87, 24 janvier 2017, et Hiernaux c. Belgique, no 28022/15, § 61, 24 janvier 2017).
70. Toutefois, la Cour a considéré que ce recours indemnitaire ne devait pas impérativement être exercé aux fins de l’épuisement des voies de recours internes, dès lors que le requérant n’avait pas manqué d’exercer adéquatement les voies de recours préventives instituées par le code d’instruction criminelle (voir J.R., précité, §§ 50-55 ; voir également Abboud c. Belgique, no 29119/13, §§ 26 et 35, 2 juillet 2019).
c) En l’espèce
71. Le Gouvernement estime que le requérant aurait dû introduire une action en responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du code civil contre l’État belge avant de saisir la Cour. Il fait valoir que ce recours indemnitaire présentait un degré de certitude suffisant en théorie et en pratique au moment de l’introduction par le requérant de sa requête.
72. La Cour note tout d’abord que la procédure civile, dont le requérant dénonce la durée en l’espèce, était pendante au moment de l’introduction de la présente requête en 2019. Selon les informations dont la Cour dispose, cette procédure demeure toujours pendante à ce jour.
73. La Cour observe sur ce point une différence notable entre les procédures pénales et les procédures civiles en l’état du droit belge. Alors que les premières connaissent, en cas de retard, des recours préventifs pouvant être exercés au stade de l’instruction ou du règlement de la procédure (voir J.R., précité, §§ 83-88, et Hiernaux, précité, §§ 57-62), les procédures civiles ne connaissent pas semblable mécanisme préventif ou accélérateur d’une procédure en cours. Par conséquent, le recours indemnitaire est le seul recours dont disposent les justiciables en cas de retard excessif d’une procédure civile.
74. La Cour tient à rappeler que le meilleur remède dans l’absolu est, comme dans de nombreux domaines, la prévention. Lorsqu’un système judiciaire s’avère défaillant à l’égard de l’exigence du délai raisonnable inscrite à l’article 6 § 1 de la Convention, un recours permettant de faire accélérer la procédure afin d’empêcher la survenance d’une durée excessive constitue la solution la plus efficace. Un tel recours présente un avantage incontestable par rapport à un recours uniquement indemnitaire car il évite également d’avoir à constater des violations successives pour la même procédure et ne se limite pas à agir a posteriori comme le fait un recours indemnitaire (Sürmeli, précité, § 100).
75. La Cour note également l’absence en droit belge d’une voie de recours spécifique permettant de remédier aux fonctionnements défectueux des services de la justice ou aux durées excessives de procédures (voir, a contrario, les recours introduits dans d’autres États : Brusco, décision précitée, Slaviček c. Croatie (déc.), no 20862/02, 4 juillet 2002, Mifsud, décision précitée, et Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, 11 février 2010).
76. Il reste que, selon la jurisprudence de la Cour, les États peuvent choisir de ne créer qu’un recours indemnitaire pour réparer la durée excessive d’une procédure, sans que celui-ci ne puisse être considéré comme manquant aux exigences d’effectivité prescrites par l’article 13 de la Convention (voir Scordino (no 1), précité, § 187 ; paragraphe 60 ci-dessus).
77. En l’espèce, la Cour constate que la procédure a débuté le 15 décembre 2015 quand le requérant a saisi le tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Au moment où le requérant a introduit sa requête devant la Cour le 6 mars 2019, la procédure avait déjà duré trois ans et presque trois mois, et était toujours pendante. La question qui se pose est dès lors celle de savoir si le recours indemnitaire invoqué par le Gouvernement constituait un remède effectif que le requérant aurait dû épuiser avant de saisir la Cour.
78. La Cour relève à cet égard que le Gouvernement a produit, à l’appui de son exception préliminaire, trois exemples de procédure afin de démontrer que le recours indemnitaire était effectif en pratique pour dénoncer la durée excessive de procédures civiles qui sont pendantes (paragraphes 22-25 ci‑dessus). Elle constate cependant que si la durée de la procédure a été inférieure à un an dans la dernière affaire citée par le Gouvernement, elle a été de six ans et trois mois pour deux niveaux de juridiction dans la première affaire et de cinq ans et onze mois pour un seul niveau de juridiction dans la deuxième, ce qui n’est pas compatible avec les exigences de sa jurisprudence (paragraphes 61-63 ci-dessus).
79. Il ne peut dès lors pas être considéré que le Gouvernement, auquel la charge de la preuve de l’effectivité incombe, a démontré que le recours indemnitaire fondé sur l’article 1382 du code civil satisfait aux exigences requises, s’agissant de procédures judiciaires civiles qui sont pendantes. La Cour note en outre que le jugement du 5 juillet 2022 (paragraphe 25 ci-dessus) qu’invoque le Gouvernement a été rendu postérieurement à l’introduction de la requête par le requérant. La Cour rappelle à cet égard que l’obligation pour le requérant d’épuiser les voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant la Cour (paragraphe 58 ci-dessus).
80. Par ailleurs, le Gouvernement n’a pas établi devant la Cour que la procédure en responsabilité civile contre l’État présentait une perspective réaliste de se dérouler plus rapidement que la procédure principale toujours pendante. La Cour note que le requérant n’a pas été contredit par le Gouvernement lorsqu’il allègue que le recours indemnitaire contre l’État belge devrait être introduit devant les mêmes juridictions dont il dénonce les lenteurs dans le cadre de sa procédure. Aussi, il ne pourrait être exclu que l’État belge fasse appel d’un éventuel jugement rendu en sa défaveur, ainsi que cela s’est produit dans une des trois affaires invoquées par le Gouvernement (paragraphe 24 ci-dessus), auquel cas la procédure serait plus longue.
81. Dans ces circonstances précises, exiger du requérant déjà engagé dans une procédure judiciaire dont il dénonce la durée, qu’il introduise parallèlement une nouvelle procédure, sans que celle-ci ne présente des garanties suffisantes d’effectivité, constituerait un fardeau excessif et une restriction disproportionnée au droit de recours individuel tel que celui-ci est consacré par l’article 34 de la Convention.
82. Surabondamment, la Cour relève la diligence du requérant dans la présente affaire dans la mesure où il a entrepris plusieurs démarches tendant à obtenir la fixation de son affaire. Il s’est notamment adressé au Conseil supérieur de la Justice qui a déclaré sa plainte fondée en pointant un « dysfonctionnement de l’ordre judiciaire » (paragraphe 11 ci-dessus).
83. En conclusion, la Cour constate que le Gouvernement – sur lequel repose la charge de la preuve – n’a pas démontré que, dans les circonstances concrètes de l’espèce relatives à une procédure judiciaire civile toujours pendante (voir a contrario Coussios c. Belgique (déc.), no 23104/08, §§ 29‑37, 15 septembre 2015), le recours indemnitaire fondé sur l’article 1382 du code civil réunissait les exigences d’effectivité requises pour se plaindre de la durée excessive de la procédure initiée par le requérant.
84. Il y a donc lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.
85. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
2. Sur le fond
86. La Cour note que la procédure civile que le requérant a introduite le 15 décembre 2015 a déjà duré près de sept ans et huit mois et qu’elle est toujours pendante devant les juridictions internes.
87. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
88. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention impose aux États contractants d’organiser leur système judiciaire de manière à ce que leurs juridictions puissent juger les contestations relatives aux droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000-IV, et Paroisse gréco‑catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 143, 29 novembre 2016).
89. Elle rappelle également que, conformément à sa jurisprudence, le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie à la lumière des circonstances de l’affaire et selon les critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant, celui des autorités compétentes, et l’enjeu du litige pour l’intéressé (Comingersoll, précité, § 19, Paroisse gréco‑catholique Lupeni et autres, précité, § 142, et Bieliński c. Pologne, no 48762/19, §§ 42-44, 21 juillet 2022).
90. En l’espèce, la Cour constate tout d’abord qu’il ne peut être reproché aucun manque de diligence au requérant.
91. Ensuite, si l’affaire présentait une certaine complexité justifiant la désignation d’un expert, il y a lieu de relever, s’agissant du comportement des autorités, qu’un an et un mois ont séparé la saisine du tribunal francophone de première instance de Bruxelles par le requérant le 15 décembre 2015 et le jugement de ce tribunal rendu le 20 janvier 2017. S’agissant ensuite de l’instance d’appel, elle a duré environ 46 mois entre son introduction le 5 mai 2017 et l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 23 février 2021, dont 41 mois à attendre la fixation des plaidoiries.
92. La Cour rappelle qu’elle a déjà par le passé conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans des affaires qui mettaient en cause les délais excessifs de fixation devant la cour d’appel de Bruxelles (voir, parmi d’autres, Oval S.P.R.L. c. Belgique, no 49794/99, §§ 15-18, 15 novembre 2002, et Rouard c. Belgique, no 52230/99, §§ 18-21, 29 juillet 2004). De même, elle relève que le Conseil supérieur de la Justice déclare régulièrement fondées des plaintes en raison de la longueur excessive des délais de fixation en instance d’appel et du dysfonctionnement du système judiciaire qui en résulte (paragraphes 37-45 ci-dessus). Le même Conseil supérieur de la Justice a plus spécialement fait part de ses préoccupations quant à la situation concernant la cour d’appel de Bruxelles dans l’audit qui lui a été consacré (paragraphe 33 ci-dessus).
93. Par ailleurs, la Cour ne peut que constater qu’alors que par son arrêt du 23 février 2021, la cour d’appel a renvoyé l’affaire devant le premier juge, celle-ci n’a toujours pas été fixée à une audience devant le tribunal francophone de première instance de Bruxelles.
94. En définitive, la Cour note que sept ans et huit mois se sont déjà écoulés pour deux niveaux de juridiction depuis la citation introductive d’instance et que la procédure est toujours pendante selon les éléments qui lui ont été communiqués par les parties.
95. Le Gouvernement, qui s’en remet à la sagesse de la Cour, n’a pas fourni d’explications quant à ces délais. À cet égard, la Cour rappelle qu’il est de jurisprudence constante que l’encombrement chronique du rôle d’une juridiction ne constitue pas une explication valable d’une durée déraisonnable (voir, parmi d’autres, Randaxhe c. Belgique, no 50172/99, § 18, 15 novembre 2002, et De Saedeleer, précité, § 65). Elle souligne également que l’absence injustifiée d’une décision de justice pendant une période excessive peut s’assimiler, dans certaines circonstances, à un déni de justice (Club Nautique de Chalcidique « I Kelyfos » c. Grèce, nos 6978/18 et 8547/18, § 60, 21 novembre 2019).
96. La Cour relève qu’en 2018, le requérant avait déjà saisi le Conseil supérieur de la Justice d’une plainte en raison de la lenteur excessive des délais de fixation de son affaire. Celui-ci l’avait déclarée fondée en janvier 2019, estimant que les délais auxquels le requérant était confronté reflétaient un « dysfonctionnement de l’ordre judiciaire » (paragraphe 11 ci‑dessus).
97. La Cour réaffirme à cet égard l’importance de ce que la justice ne soit pas administrée avec des retards propres à en compromettre l’efficacité et la crédibilité (Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 119, CEDH 2006-V). En effet, les retards excessifs dans l’administration de la justice affectent la confiance du justiciable dans l’appareil judiciaire et mettent sérieusement en péril l’État de droit sur lequel la Convention est fondée.
98. La Cour tient enfin à souligner que le système de protection des droits garantis par la Convention repose sur le principe de la subsidiarité et qu’en vertu de ce principe, il appartient en premier chef aux juridictions nationales de veiller au respect des droits garantis par la Convention (voir notamment Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande [GC], no 26374/18, § 250, 1er décembre 2020). Or, ce système ne peut fonctionner correctement en l’absence d’une justice interne rendue dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir mutatis mutandis, à propos de l’exigence d’indépendance consacrée par l’article 6 § 1 de la Convention, Grzęda c. Pologne [GC], no 43572/18, § 324, 15 mars 2022).
99. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la cause du requérant n’a pas été entendue dans un délai raisonnable et qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
2. Sur l’application de l’article 46 de la Convention
100. L’article 46 de la Convention dispose :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
1. Principes applicables
101. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il en découle notamment que l’État défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences (voir, parmi beaucoup d’autres, Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII, Del Rio Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 137, CEDH 2013, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 158, CEDH 2014). La Cour rappelle également qu’il appartient au premier chef à l’État en cause, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention (Scozzari et Giunta, précité, § 249, Del Rio Prada, précité, § 138, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, § 156).
102. Toutefois, pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher à lui indiquer le type de mesures, individuelles et/ou générales, qu’il pourrait prendre pour mettre un terme à la situation constatée et prévenir de violations futures (voir, parmi beaucoup d’autres, Del Rio Prada, précité, § 138, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, § 159 ; voir plus spécialement en ce qui concerne le délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, §§ 90-98, CEDH 2005-X ; voir également, dans un autre contexte, Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, §§ 125-128, 25 novembre 2014).
2. Application au cas d’espèce
103. En l’espèce, la Cour a conclu à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure civile relative au requérant (paragraphe 99 ci-dessus).
104. La Cour rappelle qu’elle a déjà conclu, à de nombreuses reprises, à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de procédures civiles devant les juridictions de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles (voir Oren et Shoshan c. Belgique, no 49332/99, 15 novembre 2002, Oval S.P.R.L, précité, Teret c. Belgique, no 49497/99, 15 novembre 2002, S.A. Sitram c. Belgique, no 49495/99, 15 novembre 2002, Dooms c. Belgique, no 49522/99, 15 novembre 2002, Lefebvre c. Belgique, no 49546/99, 15 novembre 2002, De Plaen c. Belgique, no 49797/99, 15 novembre 2002, Randaxhe, précité, Kenes c. Belgique, no 50566/99, 15 novembre 2002, et Boca c. Belgique, no 50615/99, 15 novembre 2002 ; Dautel c. Belgique, no 50855/99, 30 janvier 2003, et Gökce et autres c. Belgique, no 50624/99, 30 janvier 2003 ; Gillet c. Belgique, no 52229/99, 24 avril 2003, Willekens c. Belgique, no 50859/99, 24 avril 2003 ; Lenaerts c. Belgique, no 50857/99, 11 mars 2004, Lovens c. Belgique, no 50858/99, 11 mars 2004, Bouzalmad c. Belgique, no 51083/99, 11 mars 2004 ; Rouard, précité, De Saedeleer, précité, Roobaert c. Belgique, no 52231/99, 29 juillet 2004, GB-Unic (I) c. Belgique, no 52303/99, 29 juillet 2004, GB-Unic (II) c. Belgique, no 52304/99, 29 juillet 2004, Franjulien c. Belgique, no 52950/99, 29 juillet 2004 ; Marien c. Belgique, no 46046/99, 3 novembre 2005 ; Nagler et Nalimmo B.V.B.A., précité ; et Barbier c. Belgique, no 24731/03, 20 septembre 2007 ; De Turck, précité, Raway et Wera, précité, Mathy c. Belgique, no 12066/06, 24 avril 2008, voir également Bell c. Belgique, no 44826/05, 4 novembre 2008).
105. Elle constate que les problèmes tenant à la durée excessive des procédures dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles revêtent un caractère structurel et ne concernent pas uniquement la situation personnelle du requérant. Elle s’appuie à cet égard sur les constats faits notamment en ce sens par le Conseil supérieur de la Justice (paragraphes 32-36 ci-dessus). Elle prend également en considération les préoccupations exprimées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (paragraphes 46 et 47 ci-dessus).
106. La Cour rappelle que les États parties sont responsables au regard de la Convention des retards imputables à leur système judiciaire. Un État peut être tenu responsable non seulement des retards dans le traitement d’une affaire particulière, mais aussi des déficiences structurelles de son système judiciaire qui sont à l’origine de délais excessifs. Pour remédier à ce problème, l’État peut être amené à prendre une série de mesures législatives, organisationnelles, budgétaires ou autres (Rutkowski et autres c. Pologne, nos 72287/10 et 2 autres, § 128, 7 juillet 2015). À l’estime de la Cour, le respect de l’exigence du délai raisonnable appelle également et nécessairement une implication de l’ensemble des acteurs de la justice.
107. Dans ce contexte, tenant compte de la liberté de moyens dont les autorités nationales disposent dans la mise en œuvre de leurs obligations au titre de la Convention (paragraphe 101 ci-dessus), il incombe à l’État défendeur de prendre les mesures nécessaires afin de garantir le droit à être jugé dans un délai raisonnable dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.
3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
108. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
109. Le requérant demande 13 500 EUR au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.
110. Le Gouvernement fait valoir que le requérant devait s’attendre à ce que la procédure, telle qu’il l’a menée, s’étende sur plusieurs années. Il souligne ensuite que la durée litigieuse n’est pas entièrement imputable à l’État belge. Enfin, il remarque que le requérant n’a produit aucun élément établissant la réalité du dommage moral.
111. Statuant en équité, la Cour octroie 5 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.
2. Frais et dépens
112. Le requérant réclame 14 500 EUR au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes.
113. Le Gouvernement est d’avis que les pièces fournies ne sont pas suffisamment étayées pour s’assurer qu’elles correspondent à des montants effectivement payés par le requérant.
114. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (H.F. et autres c. France [GC], nos 24384/19 et 44234/20, § 291, 14 septembre 2022).
115. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour observe que les honoraires et frais dont le requérant demande le remboursement, auraient été exposés en tout état de cause, indépendamment de la durée litigieuse de la procédure. Par conséquent, la Cour rejette la demande présentée au titre des frais et dépens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 septembre 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Hasan Bakırcı Arnfinn Bårdsen
Greffier Président