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07/12/2023 | CEDH | N°001-229323

CEDH | CEDH, AFFAIRE WALDNER c. FRANCE, 2023, 001-229323


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE WALDNER c. FRANCE

(Requête no 26604/16)

ARRÊT

Art 1 P1 • Respect des biens • Application au requérant, exerçant la profession d’avocat, d’une majoration de ses revenus imposables au titre des années 2006 à 2011, au motif de pas avoir été adhérent d’une association de gestion agréée par l’administration fiscale • Méthode choisie par le législateur pour atteindre le but fixé, à savoir assurer le paiement de l’impôt au moyen d’une majoration de l’assiette de l’impôt dû par les non-adhérents à une asso

ciation agréée – adhésion n’étant pourtant pas obligatoire – et par les contribuables concernés ne faisant pas app...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE WALDNER c. FRANCE

(Requête no 26604/16)

ARRÊT

Art 1 P1 • Respect des biens • Application au requérant, exerçant la profession d’avocat, d’une majoration de ses revenus imposables au titre des années 2006 à 2011, au motif de pas avoir été adhérent d’une association de gestion agréée par l’administration fiscale • Méthode choisie par le législateur pour atteindre le but fixé, à savoir assurer le paiement de l’impôt au moyen d’une majoration de l’assiette de l’impôt dû par les non-adhérents à une association agréée – adhésion n’étant pourtant pas obligatoire – et par les contribuables concernés ne faisant pas appel à un autre professionnel agréé – une telle faculté leur étant pourtant accordée par la loi –, ne reposant pas suffisamment sur une « base raisonnable », dans les circonstances particulières de l’espèce, car contraire à la philosophie générale du système basé sur les déclarations du contribuable présumées faites de bonne foi et correctes • Taux de la majoration automatiquement applicable à hauteur de 25 % entraînant une surcharge financière disproportionnée • Méthode ayant rompu le juste équilibre devant exister entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

7 décembre 2023

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Waldner c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
María Elósegui,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy, juges,
Catherine Brouard-Gallet, juge ad hoc,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 26604/16) dirigée contre la République française et dont un ressortissant autrichien résidant en France, M. Jens Ulrich Waldner (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 9 mai 2016,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 11 de la Convention et 1 du Protocole no 1, pris seuls et combinés avec l’article 14 de la Convention, et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

après avoir été informé de son droit de prendre part à la procédure, la décision du gouvernement autrichien de ne pas y donner suite (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement de la Cour),

les observations des parties,

le déport de M. Mattias Guyomar, juge élu au titre de la France (article 28 du règlement de la Cour) et la décision du président de la chambre de désigner Mme Catherine Brouard-Gallet pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 29 § 1 b) du règlement),

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 novembre 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne principalement, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, l’application au requérant, qui exerce la profession d’avocat, d’une majoration de ses revenus imposables au titre des années 2006 à 2011, au motif qu’il n’était pas adhérent d’une association de gestion agréée par l’administration fiscale.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1977 et réside à Paris. Il a été représenté par Me F. Fabiani, avocate.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

5. Le requérant exerce la profession d’avocat depuis 2005. En sa qualité de membre d’une profession libérale percevant des revenus professionnels non commerciaux soumis à l’impôt sur le revenu selon un régime réel, il a la possibilité d’adhérer à une « association agréée » visée par les articles 1649 quater F à quater H du code général des impôts (ci-après « CGI », voir paragraphe 25 ci-dessous).

6. Ces associations, créées en 1974, sont agréées par la Direction générale des finances publiques. Elles ont pour mission d’assister leurs adhérents dans leur gestion et leurs démarches administratives et fiscales afin de favoriser le consentement à l’impôt et de réduire les coûts de gestion de l’impôt pour l’administration fiscale. Une même mission est également dévolue aux « centres de gestion agréés » concernant les industriels, commerçants, artisans et agriculteurs adhérents afin de favoriser une meilleure connaissance des revenus non salariaux par l’administration fiscale par la tenue d’une comptabilité. Plus récemment, le périmètre des missions de ces associations et centres de gestion, également dénommés « organismes de gestion agréés » (« OGA »), a été élargi, pour fiabiliser les déclarations fiscales de leurs adhérents, à la prévention des déclarations fiscales incomplètes ou non conformes à la réglementation ainsi qu’à la vérification des pièces justificatives transmises par les adhérents.

7. Les contrôles opérés par les OGA donnent lieu à la perception d’une cotisation d’adhésion annuelle de l’ordre de 200 euros (EUR), toutes taxes comprises.

8. Avant la loi no 2005-1719 du 30 décembre 2005 portant loi de finances pour 2006, l’adhésion des professionnels susmentionnés, incluant les professions libérales, à un OGA avait pour effet d’accorder aux adhérents un abattement de 20 % sur leurs revenus imposables (paragraphe 27 ci‑dessous). L’article 76 de la loi précitée a modifié le régime fiscal applicable à ces professionnels à compter de la déclaration pour 2007 sur les revenus perçus en 2006, en abrogeant cet abattement et en le remplaçant par une majoration de l’assiette de leurs revenus imposables de 25 % en cas d’absence d’adhésion à un OGA, aux termes d’un nouvel alinéa 7, 1o de l’article 158 du CGI (paragraphe 28 ci-dessous).

1. Le premier recours

9. Le requérant déclara à l’administration fiscale ses revenus non commerciaux au titre des années 2006, 2007 et 2008. En application de l’article 158 précité du CGI, ceux-ci furent affectés d’un coefficient multiplicateur de 1,25 avant l’application du barème progressif de l’impôt sur les revenus non commerciaux. Il en découla une majoration de l’impôt dû par le requérant d’un montant total de 23 003 EUR cumulés sur les trois années d’imposition. Cette majoration correspondait à une assiette des revenus imposables du requérant respectivement augmentée d’un montant de 16 281 EUR en 2006, de 22 681 EUR en 2007 et de 21 022 EUR en 2008, et calculée sur la base des revenus déclarés suivants (exprimés en EUR) :

Année d’imposition

|

Revenus déclarés

|

Revenus majorés (25 %)

|

Impôt supplémentaire après application du barème

---|---|---|---

2006

|

65 124

|

81 405

|

6 357

2007

|

90 724

|

113 405

|

9 072

2008

|

84 089

|

105 111

|

7 574

Total

|

|

|

23 003

10. Le 24 décembre 2009, le requérant forma une réclamation préalable auprès du directeur des services fiscaux de Paris. Il sollicita l’annulation de la majoration d’impôt sur les revenus au titre des trois années susmentionnées. Il fit valoir que le remplacement d’un abattement bénéficiant aux seuls adhérents par une pénalité augmentant l’assiette des revenus perçus au détriment des non-adhérents constituait une violation de son droit de ne pas adhérer à une association, protégé par l’article 11 de la Convention. L’administration fiscale rejeta cette réclamation le 4 janvier 2010, aux motifs que l’article 76 de la loi de finances pour 2006 avait institué l’intégration des effets de l’abattement de 20 % au barème d’imposition progressif applicable à tous les contribuables, dont les membres des professions libérales adhérents comme non-adhérents à une association agréée, de sorte qu’une mesure corrective de compensation – et non une pénalité – avait été prévue par l’instauration d’une majoration de 25 % des revenus déclarés par les non‑adhérents.

11. Le requérant contesta le rejet de sa réclamation préalable devant le tribunal administratif de Paris en développant des arguments similaires à ceux énoncés dans sa réclamation précitée. Il invoqua en outre la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 11 précité, alléguant l’existence d’une discrimination instaurée entre les contribuables déclarant des revenus issus d’une activité professionnelle et ceux imposés au titre des revenus fonciers, pour lesquels aucune mesure de compensation n’avait été instaurée alors qu’ils avaient bénéficié de l’intégration de l’abattement de 20 % au barème progressif de l’impôt pour des revenus précédemment non éligibles à cet abattement. Il invoqua également la violation de l’article 1 du Protocole no 1 découlant de « l’imposition de revenus fictifs » portant atteinte à ses biens.

12. Par un jugement du 24 janvier 2012, le tribunal administratif rejeta les demandes du requérant tendant à la réduction des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles il avait été assujetti au titre des années 2006 à 2008 et à l’annulation de la décision de rejet du 4 janvier 2010. Constatant que le 1o du 7 de l’article 158 du CGI (paragraphe 28 ci-dessous) avait été précédemment déclaré conforme à la Constitution lors de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») par le Conseil constitutionnel (paragraphe 32 ci-dessous), le juge motiva ainsi sa décision :

« Considérant que la majoration litigieuse de 25 %, instituée par les dispositions du 7 de l’article 158 du code général des impôts, s’applique à compter du 1er janvier 2006 à la base d’imposition des revenus visés par ces dispositions, lorsque les bénéficiaires de ces revenus ne sont pas adhérents d’un centre de gestion ou d’une association agréés ; que cette mesure est la contrepartie, arithmétiquement équivalente, de la suppression de l’abattement de 20 % dont bénéficiaient, avant cette réforme, les adhérents à un organisme de gestion agréé ; que ces organismes de gestion agréés ont notamment été institués pour permettre une meilleure connaissance des revenus non salariaux et, ainsi, favoriser la lutte contre l’évasion fiscale ; que, par suite, les dispositions législatives en cause, destinées à inciter les contribuables concernés à adhérer à un organisme de gestion agréé sans porter à leurs biens une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi, ne sont pas constitutives d’une atteinte au droit de propriété incompatible avec les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; (...)

Considérant que, si la non-adhésion à un centre de gestion ou une association agréés entraîne l’application d’une majoration de 25 % en vertu des dispositions précitées du 7 de l’article 158 du code général des impôts, ces dispositions ne privent en rien le contribuable de sa liberté de choisir d’adhérer ou non à une association ; que, par suite, elles ne méconnaissent pas les stipulations précitées de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors que les contribuables ayant adhéré à une association de gestion agréée et ceux n’ayant pas adhéré sont dans des situations différentes de nature à justifier l’application de règles différentes, ces dispositions ne méconnaissent ni l’article 1er du protocole 12 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ni les stipulations de l’article 14 de ladite convention ; (...) »

13. Le requérant interjeta appel. Le 28 décembre 2012, la cour administrative d’appel de Paris rendit un arrêt confirmatif. Elle retint la motivation suivante :

« 4. Considérant que, dans le cadre d’une réforme globale de l’impôt sur le revenu applicable à compter du 1er janvier 2006, le législateur a supprimé l’abattement de 20 % dont bénéficiaient les traitements, salaires, pensions et rentes viagères en application du a) du 5 de l’article 158 du code général des impôts ainsi que les revenus professionnels des adhérents d’un centre de gestion ou d’une association agréés en application du 4 bis du même article et a compensé cette suppression par une réduction équivalente des taux du barème de l’impôt sur le revenu ; que la modification du barème ayant concerné tous les contribuables, le législateur a, afin de maintenir l’exclusion, qui prévalait sous l’empire du régime antérieur, du bénéfice, pour certains revenus, de l’abattement de 20 %, décidé, par une mesure arithmétiquement équivalente, de majorer de 25 % ces revenus, l’évolution de la charge fiscale entre l’impôt dû au titre de l’année 2005 et celui dû au titre de l’année 2006 n’étant, à revenu constant, due qu’à la réduction de six à quatre du nombre de tranches ; (...)

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 1 du premier protocole additionnel à la convention (...) :

(...)

6. Considérant que les centres de gestion ou association agréés mentionnés au 7 de l’article 158 du code général des impôts ont été institués pour procurer à leurs adhérents une assistance technique en matière de tenue de comptabilité et favoriser une meilleure connaissance des revenus non salariaux, afin de mettre en œuvre l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale ; que le législateur, tenant compte de la spécificité du régime juridique des adhérents à un organisme de gestion agréé, a, en contrepartie, encouragé sur le plan fiscal l’adhésion à un tel organisme ; qu’ainsi, le traitement fiscal plus favorable appliqué aux adhérents des centres de gestion et associations agréés, qui ne supportent pas la majoration de 25 % appliquée en vertu des dispositions précitées du code général des impôts aux contribuables qui ne sont pas adhérents, est justifié par la volonté du législateur d’encourager l’adhésion à ces organismes, dont l’existence contribue à l’amélioration des conditions d’établissement et de recouvrement de l’impôt et à la mise en œuvre de l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale; qu’il suit de là que les dispositions du 7 de l’article 158 du code général des impôts, qui sont destinées à inciter les contribuables concernés à adhérer à un organisme de gestion agréé sans porter à leurs biens une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi, ne sont pas contraires aux stipulations précitées de l’article du premier protocole additionnel à la convention (...) ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 11 de la convention (...) :

8. Considérant que les dispositions précitées du 7 de l’article 158 du code général des impôts qui, ainsi qu’il a été dit au point 6 ci-dessus, visent à encourager l’adhésion de certaines catégories de contribuables à des organismes de gestion agréés, n’ont ni pour objet ni pour effet de contraindre ceux-ci à adhérer à une association ; qu’ainsi, ces dispositions ne portent nullement atteinte à la liberté d’association ; qu’en admettant même que ces dispositions puissent être regardées comme portant atteinte à la liberté d’association garantie par les stipulations précitées de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, cette atteinte ne saurait, eu égard à l’objet de ces associations, aux contraintes qu’elles imposent à leurs membres, aux montants des frais d’adhésion et cotisations qu’elles perçoivent, ainsi qu’à l’objectif de lutte contre la fraude fiscale et d’amélioration de la connaissance des revenus visé par ces organismes, être regardée comme revêtant un caractère disproportionné par rapport aux buts d’intérêt général poursuivis par le législateur ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient les stipulations de l’article 11 de la convention doit être écarté (...) ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 14 de la convention (...) :

11. Considérant qu’il résulte des termes mêmes de cet article que le principe de non‑discrimination qu’il édicte ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par ladite convention et par les protocoles additionnels à celle-ci ; que dès lors, il appartient à tout requérant qui se prévaut de la violation de ce principe d’invoquer devant le juge le droit ou la liberté dont la jouissance est affectée par la discrimination alléguée ; que M. Waldner n’a pas précisé le droit ou la liberté, reconnus par la convention, qu’aurait méconnus la discrimination qu’il invoque ; qu’ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 14 de cette convention doit être écarté ; (...) »

14. Le requérant forma un pourvoi devant le Conseil d’État. Il soutint que la majoration d’impôt litigieuse avait méconnu l’article 1 du Protocole no 1 et les articles 11 et 14 de la Convention (paragraphe 11 ci-dessus).

15. Dans ses conclusions sur cette affaire, le rapporteur public souligna que la mesure fiscale en cause, consistant dans une « augmentation artificielle » de l’imposition résultant normalement du revenu déclaré et par conséquent dans une taxe portant sur « un revenu fictif », s’apparentait davantage à une sanction du contribuable non adhérent, ne trouvant pas d’équivalent dans le système fiscal français.

16. Par une décision du 9 novembre 2015, le Conseil d’État rejeta le pourvoi. Après avoir repris les développements susmentionnés de la cour administrative d’appel (paragraphe 13 ci‑dessus) relatifs aux finalités du mécanisme de majoration litigieux, il retint la motivation suivante sur le moyen tiré de l’article 1 du Protocole no 1 :

« 4. Considérant que la cour a relevé que les centres de gestion ou associations agréés mentionnés au 7 de l’article 158 du code général des impôts ont été institués pour procurer à leurs adhérents une assistance technique en matière de tenue de comptabilité et favoriser une meilleure connaissance des revenus non salariaux, afin de mettre en œuvre l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale, que le législateur a tenu compte de la spécificité du régime juridique des adhérents à un organisme de gestion agréé, et qu’il a, en contrepartie, encouragé sur le plan fiscal l’adhésion à un tel organisme ; qu’en jugeant que le traitement fiscal plus favorable appliqué aux adhérents des centres de gestion et associations agréés, qui ne supportent pas la majoration de 25 % appliquée en vertu des dispositions précitées du code général des impôts aux contribuables qui ne sont pas adhérents, était justifié par la volonté du législateur d’encourager l’adhésion à ces organismes, tout en précisant que l’existence de ceux-ci contribue à l’amélioration des conditions d’établissement et de recouvrement de l’impôt et à la mise en œuvre de l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale, la cour a suffisamment justifié le motif d’intérêt général que le législateur a poursuivi par l’instauration des dispositions litigieuses ; que, par suite, en déduisant de ce qui précède que les dispositions du 7 de l’article 158 du code général des impôts n’étaient pas contraires aux stipulations de l’article 1er du protocole additionnel à la convention (...), la cour n’a, en tout état de cause, pas commis d’erreur de droit ; (...) »

17. Puis, sur les moyens tirés de la méconnaissance alléguée des articles 11 et 14 de la Convention :

« 6. Considérant qu’en jugeant que les dispositions du 7 de l’article 158 du code général des impôts, qui visaient à encourager l’adhésion de certaines catégories de contribuables à des organismes de gestion agréés, n’avaient ni pour objet ni pour effet de contraindre ceux-ci à adhérer à une association et ne portaient donc pas atteinte à la liberté d’association, la cour a suffisamment motivé son arrêt et n’a pas commis d’erreur de qualification juridique ; que, dès lors, le requérant ne peut utilement contester le motif par lequel la cour a jugé, de façon surabondante, qu’en admettant même que ces dispositions puissent être regardées comme portant atteinte à la liberté d’association, cette atteinte ne saurait être regardée comme revêtant un caractère disproportionné par rapport aux buts d’intérêt général poursuivis par le législateur ; (...) »

7. (...) ; qu’il résulte des termes mêmes de [l’]article [14] que le principe de non‑discrimination qu’il édicte ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par la convention et ses protocoles ; que dès lors, il appartient à tout requérant qui se prévaut de la violation de ce principe d’invoquer devant le juge le droit ou la liberté dont la jouissance est affectée par la discrimination alléguée ;

8. Considérant qu’il ressort des pièces de la procédure que la cour a pu juger, sans entacher son arrêt de dénaturation, que M. Waldner n’avait pas précisé le droit ou la liberté, reconnus par la convention ou ses protocoles, qu’aurait méconnus la discrimination qu’il invoquait au titre des stipulations de l’article 14 de la convention ; (...) »

18. Enfin, s’agissant de l’absence alléguée de respect des dispositions de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention :

« 10. Considérant que, comme l’a jugé la cour, la majoration de 25 % prévue par le 7 de l’article 158 du code général des impôts, dont l’objet est rappelé au point 2, ne résulte ni d’une accusation en matière pénale ni d’une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil et n’institue ni une incrimination, ni une peine, ni une sanction ; qu’il suit de là qu’en jugeant que M. Waldner ne pouvait pas utilement se prévaloir, à l’encontre de ces dispositions, des stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ; (...) »

2. Le second recours

19. La même majoration de 25 % fut appliquée aux revenus du requérant déclarés au titre des années 2009, 2010 et 2011. Le 27 décembre 2012, il saisit en conséquence le directeur du service fiscaux de Paris d’une réclamation préalable similaire à celle susmentionnée du 24 décembre 2009 (paragraphe 10 ci-dessus). Il y sollicita la décharge de ses cotisations d’impôt sur le revenu pour la somme totale, cumulée sur les trois années précitées, de 26 115 EUR. Cette majoration correspondait à une assiette des revenus imposables du requérant respectivement augmentée d’un montant de 21 570 EUR en 2009, 22 241 EUR en 2010 et 30 885 EUR en 2011, et calculée sur la base des revenus déclarés suivants (exprimés en EUR) :

Année d’imposition

|

Revenus déclarés

|

Revenus majorés (25 %)

|

Impôt supplémentaire après application du barème

---|---|---|---

2009

|

86 280

|

107 850

|

6 780

2010

|

88 962

|

111 203

|

6 672

2011

|

123 540

|

154 425

|

12 663

Total

|

|

|

26 115

20. Le 2 avril 2013, l’administration fiscale rejeta la réclamation du requérant selon une motivation similaire à sa réponse précitée du 4 janvier 2010 relative aux trois premières années d’imposition majorées (paragraphe 10 ci-dessus).

21. Par un jugement du 25 mars 2014, le tribunal administratif de Paris rejeta le recours du requérant, qui avait sollicité le dégrèvement de l’imposition supplémentaire due et l’annulation de la décision précitée du 2 avril 2013. Le tribunal reprit une motivation identique à celle adoptée par la cour administrative d’appel de Paris dans son arrêt du 28 décembre 2012 (paragraphe 13 ci-dessus).

22. Le requérant interjeta appel de ce jugement. Par un arrêt du 19 décembre 2014, la cour administrative d’appel de Paris rendit un arrêt confirmatif aux motifs également identiques à ceux adoptés par la même cour dans son précédant arrêt du 28 décembre 2012.

23. Se fondant sur les mêmes moyens que ceux précédemment soulevés dans son premier recours, le requérant forma un pourvoi devant le Conseil d’État qui, par une décision du 1er février 2016, le déclara non admis.

2. LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. Le code général des impôts (CGI)
1. Les règles de droit fiscal encadrant le paiement de l’impôt

24. En droit français, le paiement de l’impôt est fondé sur un système déclaratif, qui signifie que les bases d’imposition sont établies par les déclarations fiscales des contribuables (article 170 du CGI). Ces déclarations sont présumées exactes et sincères. Les inexactitudes ou les omissions qui peuvent les affecter sont présumées avoir été commises de bonne foi. En amont, la législation fiscale favorise le paiement volontaire et sincère de l’impôt par des mesures préventives (formalités déclaratives obligatoires, obtention du montant des revenus des contribuables par les informations transmises par des tiers) ou dissuasives (sanctions fiscales et pénales). L’administration fiscale intervient a posteriori pour contrôler les déclarations à l’aide des pièces justificatives et rectifier les insuffisances constatées, qu’elles soient involontaires ou résultent d’une intention délibérée de soustraction à l’impôt. Dans ce dernier cas, qui est caractérisé par l’absence de bonne foi du déclarant, l’administration fiscale peut infliger des majorations de l’impôt redressé de l’ordre de 40 à 80 % (article 1729 du CGI). Dans les cas de dissimulation intentionnelle des revenus les plus graves, et indépendamment des sanctions fiscales applicables, l’administration fiscale peut porter plainte auprès du procureur de la République aux fins qu’il engage des poursuites du chef de délit de fraude fiscale, qui est réprimé par un emprisonnement de cinq ans et une amende de 500 000 EUR (37 500 EUR dans la rédaction de l’article 1741 du CGI applicable jusqu’au 16 mars 2012).

2. Le cadre juridique applicable aux organismes de gestion agréés (« OGA »)

25. Les OGA sont des associations de droit privé dont le statut est fondé sur la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Les associations agréées, qui en font partie (voir paragraphes 5-7 ci-dessus), sont régies par les articles 1649 quater F à quater H du CGI. Sur la période des faits de l’espèce, ces articles connurent deux rédactions légèrement différentes. La première, qui est reproduite ci‑dessous, correspond à la version applicable jusqu’au 28 décembre 2007 en vertu de la loi no 2005-882 du 2 août 2005. Pour faciliter la lecture, les modifications textuelles intervenues en vertu de la loi no 2007-1822 du 24 décembre 2007, qui concernent la deuxième rédaction applicable des mêmes textes sur la période du 28 décembre 2007 au 1er janvier 2016, ont été ajoutées entre crochets ci-dessous :

Article 1649 quater F

« Des associations ayant pour objet de développer l’usage de la comptabilité, de fournir une analyse des informations économiques, comptables et financières en matière de prévention des difficultés économiques et financières et de faciliter l’accomplissement de leurs obligations administratives et fiscales par les membres des professions libérales et les titulaires des charges et offices peuvent être agréées dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État pris après avis des organisations professionnelles.

Ces associations ont pour fondateurs soit des ordres ou des organisations professionnelles légalement constituées des membres des professions mentionnées au premier alinéa, soit des experts comptables ou des sociétés inscrites à l’ordre des experts comptables [texte supprimé : « et des comptables agréés »].

Seuls peuvent adhérer à ces associations les membres des professions libérales et les titulaires de charges et offices qui souscrivent à l’engagement pris, dans des conditions fixées par décret, par les ordres ou les organisations professionnelles dont ils relèvent, d’améliorer la connaissance des revenus de leurs ressortissants. »

[texte remplaçant le dernier paragraphe ci-dessus : « Peuvent adhérer à ces associations les membres des professions libérales et les titulaires de charges et offices qui souscrivent à l’engagement pris, dans des conditions fixées par décret, par les ordres ou les organisations professionnelles dont ils relèvent, d’améliorer la connaissance des revenus de leurs ressortissants.

Peuvent également adhérer à ces associations agréées tous les contribuables qui disposent de revenus non professionnels imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, soumis au régime de la déclaration contrôlée de droit ou sur option, et qui auront souscrit un engagement d’amélioration de la connaissance des revenus, selon un modèle fixé par arrêté ministériel.] »

Article 1649 quater G

« Les documents tenus par les adhérents des associations définies à l’article 1649 quater F en application de l’article 99 du présent code doivent être établis conformément à l’un des plans comptables professionnels agréés par le ministre de l’économie et des finances.

Les documents comptables mentionnés au premier alinéa comportent, quelle que soit la profession exercée par l’adhérent, l’identité du client ainsi que le montant, la date et la forme du versement des honoraires. »

Article 1649 quater H

« Les associations mentionnées à l’article 1649 quater F s’assurent de la régularité des déclarations fiscales que leur soumettent leurs adhérents. À cet effet, elles leur demandent tous renseignements utiles de nature à établir la concordance entre les résultats fiscaux et la comptabilité établie conformément aux plans comptables visés à l’article 1649 quater G. Elles sont habilitées à élaborer pour le compte de leurs adhérents, placés sous un régime réel d’imposition, les déclarations destinées à l’administration fiscale. Un agent de l’administration fiscale apporte son assistance technique à ces organismes dans les conditions prévues par une convention passée entre l’association et l’administration.

[nouvel alinéa : « Les associations ont l’obligation de dématérialiser et de télétransmettre aux services fiscaux, selon la procédure prévue par le système de transfert des données fiscales et comptables, les attestations qu’elles délivrent à leurs adhérents, ainsi que les déclarations de résultats, leurs annexes et les autres documents les accompagnant. Elles doivent recevoir mandat de leurs adhérents pour transmettre les informations correspondant à leurs obligations déclaratives, selon des modalités définies par arrêté ministériel.] »

26. En application de l’article 371 Q de l’annexe II au CGI, les associations agréées sont soumises à des obligations impératives conditionnant leur agrément et relatives aux clauses du statut de l’association, qui définissent son objet social, ainsi que les obligations de leurs adhérents. Les dispositions pertinentes, applicables jusqu’au 31 décembre 2007, puis du 1er janvier 2008 au 1er juillet 2012, sont rédigées comme suit (les nouvelles dispositions étant mentionnées entre crochets) :

« Les statuts de l’association précisent les conditions de participation à sa gestion des personnes ou organismes fondateurs. (...)

Les statuts des associations doivent contenir les clauses suivantes :

1o L’association a pour objet de fournir à ses membres adhérents des services ou informations qui leur permettent de développer l’usage de la comptabilité et qui facilitent l’accomplissement de leurs obligations administratives et fiscales ; (...)

2o L’association élabore pour ceux de ses membres adhérents qui relèvent d’un régime réel d’imposition les déclarations relatives à leur activité professionnelle destinées à l’administration fiscale, lorsque ces membres en font la demande.

Toutefois, ces déclarations ne peuvent porter que sur une période au cours de laquelle les intéressés étaient membres de l’association ;

3o L’adhésion à l’association implique :

a. L’engagement par les membres soumis à un régime réel d’imposition de suivre les recommandations qui leur ont été adressées, conformément aux articles 371 X à 371 Z, par les ordres et organisations dont ils relèvent, en vue d’améliorer la connaissance des revenus de leurs ressortissants ;

b. L’engagement par ceux de ces membres dont les déclarations de bénéfices sont élaborées par l’association de fournir à celle-ci tous les éléments nécessaires à l’établissement de déclarations sincères et complètes ;

c. L’engagement par ceux de ces membres qui ne font pas élaborer leur déclaration par l’association, mais qui remplissent les conditions pour prétendre à l’abattement prévu au 4 bis de l’article 158 du code général des impôts, de communiquer à l’association, préalablement à l’envoi au service des impôts de la déclaration prévue à l’article 97 du même code, le montant du résultat imposable et l’ensemble des données utilisées pour la détermination de ce résultat ;

[nouvelle rédaction : « c. L’engagement par ceux de ces membres qui ne font pas élaborer leur déclaration par l’association, de lui communiquer préalablement à l’envoi au service des impôts de la déclaration prévue à l’article 97 du même code, le montant du résultat imposable et l’ensemble des données utilisées pour la détermination de ce résultat »]

d. L’autorisation donnée à l’association de communiquer à l’agent de l’administration fiscale qui apporte son assistance technique à l’association les renseignements ou documents mentionnés au présent article ;

e. En cas de manquements graves ou répétés aux engagements énoncés ci-dessus, l’adhérent sera exclu de l’association. Il devra être mis en mesure, avant toute décision d’exclusion, de présenter sa défense sur les faits qui lui sont reprochés. »

3. Les conséquences fiscales de l’adhésion à un OGA

27. Aux termes des dispositions de l’ancien alinéa 4 bis de l’article 158 du CGI, abrogé par l’article 76 de la loi no 2005-1719 du 30 décembre 2005 portant loi de finances pour 2006 :

« 4 bis. Les adhérents des centres de gestion et associations agréés définis aux articles 1649 quater C à 1649 quater H (...) bénéficient d’un abattement de 20 % sur leurs bénéfices déclarés soumis à un régime réel d’imposition. (...) »

28. Les dispositions du 1o du 7 de l’article 158 du CGI, dans sa rédaction issue de l’article 76 susmentionné de la loi de finances pour 2006 se lisent comme suit :

« 7. Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l’impôt selon les modalités prévues à l’article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s’appliquent :

1o Aux titulaires de revenus passibles de l’impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d’imposition qui ne sont pas adhérents d’un centre de gestion ou association agréé défini aux articles 1649 quater C à 1649 quater H (...) »

29. La loi no 2008-1425 du 27 décembre 2008, portant loi de finances pour 2009, a modifié les dispositions du même point 7 de l’article 158 du CGI, d’une part, en créant au 1o un paragraphe a) qui reprend les dispositions antérieures (paragraphe 28 ci-dessus), et d’autre part, en y ajoutant un paragraphe b), qui élargit le champ des contribuables échappant à la majoration de 25 % en cas de recours, notamment, à un expert-comptable ou à une association de gestion et de comptabilité. Ces nouvelles dispositions, applicables à compter du 1er janvier 2010, se lisent comme suit :

« 7. Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l’impôt selon les modalités prévues à l’article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s’appliquent :

1o Aux titulaires de revenus passibles de l’impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d’imposition :

a) Qui ne sont pas adhérents d’un centre de gestion ou association agréés définis aux articles 1649 quater C à 1649 quater H, (...) ;

b) Ou qui ne font pas appel aux services d’un expert-comptable, d’une société membre de l’ordre ou d’une association de gestion et de comptabilité, autorisé à ce titre par l’administration fiscale et ayant conclu avec cette dernière une convention en application des articles 1649 quater L et 1649 quater M ; (...) »

30. En vertu de l’article 34 de la loi no 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, le mécanisme de majoration de l’assiette de l’impôt des non-adhérents par l’application du coefficient de 1,25 prévu au 7 de l’article 158 du CGI susmentionné est abrogé à compter de l’imposition des revenus de l’année 2023. Dans l’intervalle, cette majoration a été progressivement réduite à compter de l’imposition des revenus de 2020 jusqu’à un dernier coefficient applicable de 1,10 au titre des revenus de 2022.

2. La jurisprudence du Conseil constitutionnel

31. Par une décision no 89-268 DC du 29 décembre 1989, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la création des centres de gestion agréés et l’objectif qu’ils poursuivent, à l’occasion de l’examen de la conformité avec la Constitution de la loi de finances pour 1990, qui incluait des dispositions relatives aux sanctions financières en cas de non-respect par les adhérents de leurs obligations fiscales, dont la privation de l’abattement de 20 % susmentionné prévu par l’ancien article 158, 4 bis du CGI (paragraphe 27 ci‑dessus) :

« 53. Considérant que les centres de gestion dont la création a été prévue par la loi de finances rectificative du 27 décembre 1974 ont été institués pour procurer à leurs adhérents une assistance technique en matière de tenue de comptabilité et favoriser une meilleure connaissance des revenus non salariaux destinée à remédier à l’évasion fiscale ; qu’en contrepartie l’adhésion aux centres de gestion a été encouragée par l’octroi aux adhérents d’avantages fiscaux, et notamment d’un abattement sur le bénéfice imposable ;

54. Considérant qu’il suit de là que les adhérents des centres de gestion sont soumis à un régime juridique spécifique ; que, dans le cadre de ce régime, le législateur a pu, sans méconnaître ni le principe de proportionnalité ni le principe d’égalité, décider qu’un adhérent de ces centres perdra le bénéfice des avantages fiscaux liés à son adhésion en cas de déclaration tardive, dès lors du moins qu’il « s’agit de la deuxième infraction successive concernant la même catégorie de déclaration » ou lorsque sa mauvaise foi sera établie ; (...) »

32. Saisi par le Conseil d’État le 1er juin 2010 d’une QPC portant sur la conformité du 1o du 7 de l’article 158 du CGI précité, issu de l’article 76 de la loi de finances pour 2006 (paragraphe 28 ci-dessus), aux droits et libertés garantis par la Constitution, le Conseil constitutionnel a rendu le 23 juillet 2010 une décision (no 2010-16) qui conclut au respect de la Constitution par ces dispositions fiscales, et motivée comme suit :

« 3. Considérant que, selon le requérant, les dispositions précitées instituent une différence de traitement injustifiée entre les contribuables adhérant à un centre ou à une association de gestion agréé et ceux qui n’y adhèrent pas, nonobstant le fait que les comptes de ces derniers sont établis et certifiés par un expert-comptable inscrit au tableau régional de l’ordre des experts-comptables et commissaires aux comptes ; qu’ainsi, elles méconnaîtraient le principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

4. Considérant qu’aux termes de l’article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu’en particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ;

5. Considérant que le 1o du 7 de l’article 158 du code général des impôts, dans sa rédaction issue du 4o du paragraphe I de l’article 76 de la loi du 30 décembre 2005 susvisée, prévoit une majoration de 25 % du revenu professionnel lorsque celui-ci est réalisé par des contribuables qui n’adhèrent pas à un centre ou à une association de gestion agréé ;

6. Considérant que ces organismes de gestion agréés ont été institués pour procurer à leurs adhérents une assistance technique en matière de tenue de comptabilité et favoriser une meilleure connaissance des revenus non salariaux, afin de mettre en œuvre l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale ; que, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 décembre 1989 susvisée, le législateur, tenant compte de la spécificité du régime juridique des adhérents à un organisme de gestion agréé, a pu en contrepartie encourager l’adhésion à un tel organisme par l’octroi d’avantages fiscaux, et notamment d’un abattement correspondant, avant le 1er janvier 2006, à 20 % du bénéfice imposable ;

7. Considérant que la majoration, à compter du 1er janvier 2006, de 25 % de la base d’imposition des non-adhérents est intervenue dans le cadre d’une réforme globale de l’impôt sur le revenu qui a concerné tous les contribuables ; que cette mesure est la contrepartie, arithmétiquement équivalente, de la suppression de l’abattement de 20 % dont bénéficiaient, avant cette réforme de l’impôt, les adhérents à un organisme de gestion agréé ; qu’ainsi, la différence de traitement entre adhérents et non-adhérents demeure justifiée à l’instar du régime antérieur et ne crée donc pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ; que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être rejeté ;

8. Considérant que la disposition contestée n’est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit (...) »

3. Autres documents

33. Dans un rapport intitulé « Les organismes de gestion agréés, 40 ans après »[1], publié en juillet 2014 (pp. 99 et 141-142), la Cour des comptes a conclu à la nécessité de « maintenir une différenciation dans l’imposition des entreprises selon qu’elles acceptent ou non de se plier à une procédure de nature à assurer une plus grande transparence de leurs revenus », ce qui passe « par le maintien de l’incitation à adhérer que constitue la non-majoration des revenus professionnels ». Toutefois, la Cour a également constaté que « le bilan des organismes agréés apparai[ssait] mitigé » eu égard à l’absence de démonstration nette de l’efficacité du dispositif en matière de lutte contre l’évasion fiscale, cette dernière étant évaluée par l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques du ministère de l’Économie et des Finances) à une proportion de l’ordre de 25 % des bénéfices des entrepreneurs individuels. S’agissant de la majoration de 25 % des revenus déclarés en l’absence d’adhésion, le rapport mentionne en outre (p. 47) :

« La réforme de 2006, si elle maintient la différence d’imposition antérieure, a suscité un sentiment d’incompréhension parmi les non-adhérents d’organismes agréés [évalués à une proportion de 30 % des professionnels concernés]. Si la majoration de 25 % n’a pas augmenté l’imposition effective des non-adhérents par rapport à la situation antérieure et maintenu à l’identique le différentiel d’imposition entre adhérents et non‑adhérents d’un organisme agréé, le fait de payer un impôt sur une assiette majorée a pu apparaître comme contraire au principe d’égalité devant les charges publiques énoncé à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »

34. Relevant que, dans sa décision du 23 juillet 2010 susmentionnée (paragraphe 32 ci-dessus), le Conseil constitutionnel avait rejeté cette analyse défavorable au dispositif fiscal, le rapport poursuit :

« En 2011, un peu plus d’un million (1 147 466) d’entreprises bénéficiaient de la non‑majoration des revenus professionnels, soit 1/3 des entreprises françaises imposables à l’IR [impôt sur le revenu] ou à l’IS [impôt sur les sociétés] et 70 % de celles imposables à l’IR.

Une extension de cette non-majoration aux entreprises non-adhérentes à un organisme de gestion agréé n’apparaît pas légitime dès lors que les entreprises non-adhérentes ne font pas l’objet de contrôles attestant de la sincérité de leurs déclarations et priverait le système de tout mécanisme de nature à inciter à une plus grande sincérité fiscale. De plus, elle aurait un coût élevé pour les finances publiques, estimé à 152 M€ en 2011. »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 A LA CONVENTION

35. Le requérant se plaint d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de ses biens découlant de la majoration de ses revenus professionnels imposables faute d’avoir adhéré à une association agréée. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

1. Sur la recevabilité

36. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèse des parties

a) Le requérant

37. Le requérant conteste tout d’abord la pertinence du motif d’utilité publique de la majoration, invoqué par les autorités nationales pour justifier le mécanisme financier défavorable aux non-adhérents à une association agréée. Il indique que, selon le rapport de la Cour des comptes susmentionné (paragraphe 33 ci‑dessus), la proportion de fraudes ou d’erreurs constatée chez les adhérents est quasiment la même que celle constatée chez les nonadhérents. Il considère que la suppression en 2023 de la majoration d’impôt litigieuse (paragraphe 30 ci-dessus) et le caractère isolé en Europe de ce mécanisme démontrent non seulement son inutilité pour lutter contre l’évasion fiscale, mais également son absence de « nécessité dans une société démocratique ». Il ajoute qu’une majoration de l’imposition fixée au taux de 25 % des revenus déclarés revêt un caractère disproportionné, et qu’elle conduit à taxer un revenu fictif, voire qui est susceptible, dans certaines situations, de s’appliquer à un montant supérieur à celui des recettes encaissées par le contribuable, qui sont vérifiées par l’administration fiscale. Il en déduit qu’il s’agit d’une surimposition et, en conséquence, qu’il n’existe pas de « juste équilibre » ménagé par le dispositif entre les objectifs de l’administration et les droits du contribuable auquel il s’applique.

b) Le Gouvernement

38. Le Gouvernement fait valoir en premier lieu que, conformément à la jurisprudence de la Cour, si l’imposition fiscale constitue par principe une atteinte au droit garanti par l’article 1 du Protocole no 1, les États parties disposent d’une large marge d’appréciation en matière d’élaboration et de mise en œuvre de leur politique fiscale dès lors qu’elle est fondée sur une base raisonnable. Il ajoute que la protection par l’État de ses intérêts financiers et la lutte corrélative contre l’évasion fiscale entrent dans les objectifs d’utilité publique qui justifient une ingérence dans les droits protégés par la disposition conventionnelle précitée et que cette ingérence est prévue par la loi.

39. En second lieu, le Gouvernement soutient que la majoration de l’assiette de l’impôt, qui a remplacé l’ancien abattement de 20 % applicable en cas d’adhésion, n’est que la conséquence arithmétiquement neutre de l’intégration de cet abattement dans le barème progressif général de l’impôt, dont les non-adhérents ont bénéficié depuis la loi de finances pour 2006. Cette majoration n’est donc qu’une mesure correctrice visant à maintenir une différence de traitement devant l’impôt, qui est justifiée par les buts légitimes susmentionnés (paragraphe 38 ci-dessus). À supposer même que l’équivalence entre le système antérieur d’abattement et le nouveau système – de majoration de 25 % avec refonte des barèmes d’imposition – ne soit pas parfaite, il n’en découle pas une différence telle que la charge supportée par les non-adhérents puisse être considérée comme excessive. Le Gouvernement conteste le caractère confiscatoire d’une majoration limitée à 25 % de l’assiette de l’impôt sur le revenu des professionnels indépendants qui ne contribuent pas, par l’un des moyens mis à leur disposition par la loi, à l’objectif de sécurisation des processus de perception des impôts, par opposition aux salariés ou aux professionnels adhérents.

40. Il réfute également l’absence alléguée d’efficacité du dispositif litigieux pour limiter la fraude fiscale. À cet égard, il relève que l’utilité des OGA est peu mesurable car ces organismes décèlent surtout des irrégularités déclaratives de forme de la part des adhérents, tandis qu’il incombe exclusivement à l’administration fiscale de rechercher des irrégularités de fond relevant de la fraude délibérée. Enfin, le Gouvernement fait valoir que l’abrogation de la majoration fiscale en 2023 est liée aux mesures de relance de l’économie post-Covid-19 et non à son absence d’efficacité pour lutter contre la fraude.

41. Le Gouvernement en conclut qu’un juste équilibre a été préservé entre le respect des biens du requérant et l’objectif d’utilité publique poursuivi par l’article 158 du CGI (paragraphes 27-29 ci-dessus).

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

42. La Cour rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l’article. En conséquence, toute ingérence, y compris celle résultant d’une mesure tendant à assurer le paiement de l’impôt, doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (S.A. Dangeville c. France, no 36677/97, § 52, CEDH 2002‑III, et « Bulves » AD c. Bulgarie, no 3991/03, § 62, 22 janvier 2009). La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 tout entier, donc aussi dans le second alinéa ; il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l’État une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94 et 2 autres, § 75, CEDH 1999‑III, et Herrmann c. Allemagne [GC], no 9300/07, § 74, 26 juin 2012).

43. La Cour rappelle également que l’imposition fiscale constitue en principe une atteinte au droit garanti par le premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1, car elle prive la personne concernée d’un bien, à savoir la somme qu’elle doit payer. En général, cette ingérence se justifie au regard du second alinéa de l’article, qui prévoit expressément une exception pour ce qui est du paiement des impôts ou d’autres contributions (Buffalo Srl en liquidation c. Italie, no 38746/97, § 32, 3 juillet 2003).

44. Une telle question n’échappe pas pour autant à tout contrôle de la Cour, celle-ci devant vérifier si l’article 1 du Protocole no 1 a fait l’objet d’une application correcte (voir, par exemple, Orion-Břeclav, S.R.O. c. République tchèque (déc.), no 43783/98, 13 janvier 2004). En particulier, l’obligation financière née du prélèvement d’impôts ou de contributions peut léser la garantie consacrée par cette disposition si elle impose à la personne ou à l’entité en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à leur situation financière (Buffalo Srl en liquidation, précité, § 32, et Iofil AE c. Grèce (déc.), no 50598/13, § 34, 7 septembre 2021).

45. La Cour rappelle enfin qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de décider du type d’impôts ou de contributions qu’il convient de lever (Arnaud et autres c. France, nos 36918/11 et 5 autres, § 25, 15 janvier 2015). En outre, les décisions en ce domaine impliquent une appréciation de problèmes politiques, économiques et sociaux que la Convention laisse à la compétence des États parties. Ces derniers disposent donc d’un large pouvoir d’appréciation en la matière (Baláž c. Slovaquie (déc.), no 60243/00, 16 septembre 2003, et Orion-Břeclav, S.R.O., décision précitée), que ce soit s’agissant des lois nationales qui déterminent les modalités de recouvrement des créances fiscales (Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, 23 février 1995, § 60, série A no 306‑B) que celles qui définissent les circonstances dans lesquelles un impôt est dû et les montants à payer (voir, par exemple, Cacciato c. Italie (déc.), no 60633/16, §§ 24-25, 16 janvier 2018). La Cour respecte l’appréciation portée par le législateur en pareilles matières, sauf si elle est dépourvue de base raisonnable (Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH, précité, ibidem, Imbert de Tremiolles c. France (déc.), nos 25834/05 et 27815/05, 4 janvier 2008, « Bulves » AD, précité, § 63, et Arnaud et autres, précité, ibidem).

b) Application des principes au cas d’espèce

46. La Cour note tout d’abord, ce qui ne prête pas à controverse entre les parties, que les circonstances de l’espèce, qui concernent une question de fiscalité et plus précisément le paiement de l’impôt, relèvent du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1.

47. Par ailleurs, elle n’aperçoit aucune raison de douter, et les parties ne le remettent pas non plus en cause, que l’ingérence litigieuse était prévue par la législation nationale, à savoir les dispositions successivement applicables dans le temps de l’article 158, 7, 1o du CGI, et conforme à celle-ci (paragraphes 27-29 ci-dessus).

48. De plus, de l’avis de la Cour, cette législation poursuivait un but légitime. En cherchant à inciter, par une mesure financière avantageuse, les contribuables exerçant une profession libérale à plus de transparence dans leur comptabilité et leur déclaration fiscale, le texte précité avait pour but, conforme à l’intérêt général, d’assurer le paiement de l’impôt. À cet égard, et s’agissant de la remise en cause par le requérant de l’efficacité du dispositif litigieux pour lutter contre l’évasion fiscale, il suffit à la Cour de constater que le fait qu’il s’agissait de l’objectif assigné à ce dispositif n’est pas en soi contesté, seule son ineffectivité alléguée étant pointée du doigt. Or, cette dernière question relève en tout état de cause de l’appréciation de la politique fiscale mise en œuvre, ce qui, comme la Cour l’a rappelé plus haut (paragraphe 45), est du domaine de la marge nationale d’appréciation. En effet, les États sont en principe mieux à même de prendre les mesures adéquates pour évaluer et corriger les dispositions fiscales applicables, le cas échéant. Cette évaluation n’est pas de nature à entacher la légitimité des buts assignés à ces dispositions au regard de l’intérêt général. Il en va de même s’agissant des raisons de la suppression du dispositif de majoration à compter de 2023, également mis en exergue par le requérant (paragraphe 37 ci‑dessus).

49. La Cour note ensuite que le dispositif fiscal litigieux consistant, à partir de l’année d’imposition 2006, à majorer l’assiette des revenus imposables a succédé à une mesure incitative qui existait auparavant sous la forme d’un abattement de 20 %, uniquement accordé aux adhérents à un OGA (paragraphes 27-28 ci-dessus). La Cour observe que cet ancien dispositif n’a pas été contesté par le requérant. Ce dont il se plaint est le fait qu’en augmentant automatiquement, à partir de 2006, l’assiette imposable à hauteur de 25 %, l’administration a calculé son impôt sur des revenus en partie fictifs, par l’assimilation de l’absence d’adhésion à une association agréée à la perception de revenus non déclarés, c’est-à-dire à de la fraude fiscale.

50. La Cour rappelle que pour apprécier la conformité de la conduite de l’État aux principes sus-énoncés quant au respect de l’article 1 du Protocole no 1 en matière fiscale (paragraphes 42-45 ci-dessus), elle doit se livrer à un examen global des divers intérêts en jeu. Cette appréciation peut notamment porter sur les moyens employés par l’État et leur mise en œuvre (Tunnel Report Limited c. France, no 27940/07, § 39, 18 novembre 2010, et R.Sz. c. Hongrie, no 41838/11, § 51, 2 juillet 2013). Dans le contexte du paiement de l’impôt, la Cour prend en compte le caractère approprié des méthodes employées par l’État lorsqu’elle examine la proportionnalité de l’ingérence dans les droits du requérant (« Bulves » AD, précité, § 66, et R.Sz., précité, § 52).

51. La Cour doit dès lors s’attacher à déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la méthode choisie par le législateur pour atteindre le but qu’il s’était fixé, à savoir assurer le paiement de l’impôt au moyen du dispositif fiscal fondé sur l’article 158, 7, 1o précité du CGI, reposait suffisamment sur une « base raisonnable », de nature à garantir un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu.

52. La Cour relève en premier lieu que les juridictions administratives internes, saisies par le requérant à la suite du rejet de ses deux réclamations préalables successives portant sur les majorations d’impôt, ont motivé leurs décisions dans des termes identiques sur la compatibilité de la mesure fiscale contestée avec les exigences de l’article 1 du Protocole no 1. Après avoir rappelé le contexte de la création des OGA, dont font partie les associations agréées, et l’importance de l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale, le juge administratif a tout d’abord retenu, tout comme l’administration fiscale avant lui (paragraphes 10 et 20 ci-dessus), ainsi que le Conseil constitutionnel (paragraphe 32 ci-dessus), l’argument selon lequel le précédent abattement de 20 %, qui ne bénéficiait qu’aux adhérents à un OGA, avait été intégré en 2006 dans le barème général d’imposition applicable à tous les contribuables adhérents ou non, de sorte que la majoration contestée serait une simple mesure de correction « arithmétiquement équivalente » pour les non-adhérents.

53. La Cour n’est pas convaincue par ce raisonnement. Elle relève en effet qu’il ne tient pas compte de la nature du nouveau dispositif, qui ne consistait plus pour le contribuable à payer moins d’impôt parce qu’il avait adhéré à une association agréée – le corollaire étant en cas de non-adhésion de payer l’impôt sur le revenu dû en tout état de cause sur ses revenus déclarés et effectivement perçus –, mais à payer un impôt supplémentaire sur des revenus non déclarés et, par conséquent, supposés non perçus sauf à présumer de la fraude volontaire de l’intéressé. Dès lors que l’imposition majorée était basée sur des revenus du requérant dont la perception n’avait pas été démontrée, la Cour considère que les dispositions fiscales applicables consistaient bien à imposer des revenus pouvant être qualifiés de « fictifs » au stade de la déclaration d’impôt. De plus, si le remplacement de l’abattement global de 20 % par une majoration de 25 % des revenus déclarés par les non-adhérents a le cas échéant abouti à une opération arithmétiquement neutre au niveau étatique, elle a certainement alourdi la situation individuelle de ces derniers, dont notamment le requérant.

54. S’agissant en second lieu de l’appréciation de la méthode ainsi mise en œuvre par l’État pour parvenir à l’objectif légitime de lutte contre l’évasion fiscale, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de se prononcer in abstracto sur les choix dont disposait le législateur national pour atteindre le but qu’il s’était fixé. Comme elle l’a déjà rappelé, les autorités nationales étaient les mieux placées pour définir les règles fiscales applicables aux non‑adhérents à un OGA, ce qui inclut nécessairement la détermination du revenu imposable de ces contribuables (voir, mutatis mutandis, Cacciato c. Italie, décision précitée, § 25, et Guiso et Consiglio c. Italie (déc.), no 50821/06, § 44, 16 janvier 2018). Par ailleurs, la Cour admet que lorsque les États contractants possèdent des informations sur des comportements frauduleux dans le paiement de l’impôt, constitutifs d’un abus commis par une personne ou une entité spécifique, ils peuvent prendre des mesures appropriées pour les prévenir, les arrêter ou les punir (voir, mutatis mutandis, « Bulves » AD, précité, § 69).

55. En l’espèce, la Cour relève que le dispositif de recouvrement de l’impôt choisi a consisté à mettre à la charge des non-adhérents, qui conservaient pour autant leur liberté de ne pas adhérer, une majoration non pas de l’impôt calculé sur les revenus déclarés par le requérant, mais de l’assiette de cet impôt. Cette mesure fiscale avait donc, comme la Cour l’a relevé plus haut (paragraphe 49), pour effet d’imposer ce dernier sur des revenus qu’il n’avait pas perçus selon sa déclaration d’impôt, et ce de manière automatique, en l’absence de tout autre élément venant au soutien de l’hypothèse de la mauvaise foi du requérant dans l’établissement de sa déclaration. Ce faisant, l’État a non seulement fait le choix d’opérer un arbitrage en rupture avec le principe de la présomption d’exactitude et de sincérité des déclarations fiscales qui est le préalable à tout contrôle fiscal selon le droit national, mais il a aussi, de facto, sanctionné plus sévèrement le requérant que tout autre contribuable dont la déclaration d’impôt est inexacte mais dont la bonne foi est présumée (paragraphe 24 ci-dessus).

56. Or, la Cour considère que le fait que le requérant ait respecté ses obligations au regard de la législation fiscale et que sa bonne foi n’ait pas été mise en doute revêt une certaine importance dans l’appréciation du caractère raisonnable des mesures prises par l’État pour parvenir au recouvrement optimal de l’impôt (voir, mutatis mutandis, « Bulves » AD, précité, §§ 54 et 67‑71, et R.Sz., précité, §§ 57 et 61). À cela s’ajoute en l’espèce, le taux de la majoration de l’assiette d’imposition à hauteur de 25 %, ce qui représentait une part non négligeable des revenus déclarés par le requérant. Cette majoration a entraîné un impôt supplémentaire de l’ordre de 6 300 à 12 600 EUR par an dès lors que le requérant ne remplissait pas les conditions de l’article 158, 7, 1o du CGI pour échapper à cette majoration, dont son adhésion à une association agréée par l’administration fiscale, sans que sa bonne foi ait été à aucun moment remise en cause ni même questionnée.

57. La Cour observe, en troisième lieu, que l’article 158, 7, 1o précité, qui prévoyait la majoration litigieuse, a été modifié par le législateur au cours de la période d’imposition contestée (paragraphe 29 ci‑dessus). Ainsi, à compter du 1er janvier 2010, les hypothèses dans lesquelles le requérant pouvait échapper à la majoration ont été élargies dans le cas où il acceptait, pour déclarer ses revenus, outre la possibilité d’adhérer à une association agréée, de faire appel aux services « d’un expert-comptable, d’une société membre de l’ordre ou d’une association de gestion et de comptabilité ». Si ces professionnels sont, selon la loi, « autorisés à ce titre par l’administration fiscale » pour délivrer un « visa fiscal » au professionnel déclarant, et qu’ils ont « conclu avec cette dernière une convention » en ce sens, leurs services n’impliquaient pas d’adhérer à un organisme agréé pour démontrer sa bonne foi à l’administration fiscale. Le requérant a choisi de ne pas recourir non plus à un expert‑comptable ou à l’un de ces organismes autorisés pour déposer ses déclarations d’impôt pour 2010 et 2011. Toutefois, la Cour considère que si, au titre de ces deux années, la majoration fiscale de 25 % a été appliquée au requérant sans qu’il ait été contraint d’adhérer à une association agréée, cette circonstance ne saurait avoir une incidence que s’agissant de l’atteinte à la liberté négative d’association dont il se plaint par ailleurs (paragraphe 61 ci‑dessous). Sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, force est de constater que cet élargissement des conditions légales permettant au contribuable d’échapper à la majoration litigieuse en recourant aux services d’autres professionnels agréés par l’administration fiscale ne remet nullement en cause le fait que le requérant a été imposé selon un mécanisme fiscal prévoyant la taxation automatique de revenus non perçus selon sa déclaration d’impôt.

58. La Cour relève en conséquence qu’en l’espèce, l’ingérence dans le respect des « biens » du requérant découlant du dispositif fiscal litigieux allait, pour l’ensemble de la période d’imposition de 2006 à 2011, à l’encontre de la philosophie générale d’un système fondé sur les déclarations présumées faites de bonne foi du contribuable. À cet égard, la Cour observe que si la loi n’attachait explicitement aucune incidence, s’agissant de la bonne ou de la mauvaise foi du requérant, au fait qu’il n’eût pas adhéré à une association agréée par l’administration fiscale ou, à partir de l’année d’imposition 2010, qu’il n’eût pas fait non plus appel à un autre organisme ou expert-comptable agréés, elle imposait toutefois une surcharge financière aux non-adhérents, tels que le requérant. La Cour, comme elle l’a déjà mentionné (paragraphes 48 et 54 ci-dessus), n’ignore pas l’importance de la lutte contre l’évasion fiscale ni la marge d’appréciation qui doit être laissée aux États en la matière, cependant elle prend également en considération les éléments précités et l’impact financier représenté par une majoration de l’assiette de l’impôt sur les revenus professionnels du requérant à hauteur d’un quart des montants déclarés – soit un impôt supplémentaire total de 49 118 EUR sur la période d’imposition en cause (paragraphes 9 et 19 ci‑dessus) –, ce qui était loin d’être négligeable.

59. Dans ces conditions, la Cour est d’avis que, dans les circonstances particulières de l’espèce, la méthode choisie par le législateur pour atteindre le but qu’il s’était fixé, à savoir assurer le paiement de l’impôt au moyen d’une majoration de l’assiette de l’impôt dû par les non-adhérents à une association agréée – à laquelle l’adhésion n’était pourtant pas obligatoire – et par les contribuables concernés ne faisant pas appel à un autre professionnel agréé – une telle faculté leur étant pourtant accordée par la loi –, ne reposait pas suffisamment sur une « base raisonnable » car contraire à la philosophie générale du système basé sur les déclarations du contribuable présumées faites de bonne foi et correctes. De plus, le taux de la majoration automatiquement applicable à hauteur de 25 % entraînait une surcharge financière disproportionnée à l’encontre du requérant. Cette méthode, telle qu’elle a été appliquée en l’espèce, a ainsi rompu le juste équilibre qui doit exister entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu.

60. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 sur toute la période d’imposition de 2006 à 2011.

2. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

61. Sous le terrain de l’article 11 de la Convention, le requérant se plaint d’une atteinte à son droit de ne pas adhérer à une association de gestion agréée par l’administration fiscale pour le dépôt de sa déclaration d’impôt sur ses revenus professionnels en tant qu’avocat sans encourir une majoration de l’assiette de cet impôt par application de l’article 158, 7 du CGI. Invoquant, par ailleurs, l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 1 du Protocole no 1 et article 11 de la Convention, il allègue que ce dispositif de majoration fiscale l’a soumis à plusieurs sources de discriminations, en particulier par rapport aux contribuables adhérents d’un OGA.

62. Au vu des faits de la cause et des conclusions auxquelles elle est parvenue ci-dessus (paragraphes 59-60) sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 relativement aux conditions du respect des biens du requérant au sens de cette disposition par le dispositif de majoration fiscale litigieux, la Cour considère que les principales questions de droit qui se posaient sur le terrain de la Convention ont été tranchées. Il n’y a donc pas lieu de statuer séparément sur la recevabilité et le fond des griefs restants (voir, parmi d’autres précédents, Varnava et autres c. Turquie [GC], no 16064/90 et 8 autres, §§ 210-211, CEDH 2009, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014, et S.A. Dangeville, précité, § 66).

3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

63. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

64. Le requérant sollicite le paiement d’une somme de 178 071 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’il estime avoir subi. Ce montant comprend les sommes de 162 623 EUR au titre des majorations d’impôt payées sur les années d’imposition 2006 à 2019, outre 15 448 EUR au titre des pénalités et intérêt moratoires payés et rattachés aux années d’imposition 2014 à 2018. Le requérant précise par ailleurs renoncer à solliciter l’indemnisation de son préjudice moral pour ne pas « faire peser sur la collectivité une charge supplémentaire ».

65. Le Gouvernement relève que le préjudice matériel calculé correspond aux années d’imposition de 2006 à 2019, ce qui excède le cadre de la requête examinée par la Cour. Il en est de même des pénalités et intérêts moratoires au titre des années 2014 à 2018, qui ne correspondent pas aux majorations de 25 % qui constituent seules l’objet du litige devant la Cour et ne sont liés qu’à la négligence du requérant dans le paiement de son impôt et non au dispositif fiscal contesté. Le Gouvernement sollicite en conséquence, dans l’hypothèse où la Cour ferait droit à la demande d’indemnisation, de réduire les montants alloués aux années d’imposition concernées en l’espèce, soit exclusivement de 2006 à 2011.

66. La Cour considère, vu la violation constatée de l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 60 ci-dessus), que la forme de réparation la plus appropriée consisterait dans le remboursement de la majoration d’impôt sur les revenus au titre des années 2006 à 2011. Elle relève, à l’instar du Gouvernement, qu’il convient de ne prendre en considération que le dommage matériel subi au cours des années d’imposition pour lesquelles elle a constaté une telle violation. Elle note par ailleurs que le Gouvernement n’a pas fait d’observations sur les montants des majorations de l’impôt litigieuses, dont le remboursement est réclamé par le requérant tels qu’ils découlent des pièces produites par ce dernier (paragraphes 9 et 19 ci‑dessus). Compte tenu de ce qui précède, elle octroie un montant de 49 118 EUR au titre du préjudice matériel subi pour les années d’imposition 2006 à 2011.

2. Frais et dépens

67. Le requérant demande le paiement d’une somme totale de 21 454 EUR au titre des frais et dépens qu’il a engagés entre 2006 et 2021 dans le cadre des procédures menées devant les juridictions internes et au titre de ceux qu’il a engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. Au titre de la période d’imposition litigieuse 2006-2011, il produit des justificatifs de ses frais de procédure et notes d’honoraires pour un montant total de 13 854 EUR.

68. Le Gouvernement oppose à cette demande la même observation que celle formulée s’agissant du dommage matériel (paragraphe 65 ci-dessus) quant à la nécessité de limiter la prise en compte des frais engagés devant les juridictions nationales aux contestations des majorations d’impôt concernées par la requête, soit, le cas échéant, relatifs aux années d’imposition 2006 à 2011.

69. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme totale de 13 854 EUR correspondant aux frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure interne et pour la procédure menée devant elle.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le grief concernant l’article 1 du Protocole no 1 recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 sur la période d’imposition allant de 2006 à 2011 ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs formulés sur le terrain de l’article 11 de la Convention, ainsi que de l’article 14 combiné avec les articles 1 du Protocole no 1 et 11 de la Convention ;
4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

1. 49 118 EUR (quarante-neuf mille cent dix-huit euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
2. 13 854 EUR (treize mille huit cent cinquante-quatre euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 décembre 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik Georges Ravarani
Greffier Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Kateřina Šimáčková.

G.R.
V.S.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE ŠIMÁČKOVÁ

1. J’ai eu certains doutes d’ordre général en examinant cette affaire.

2. Le Gouvernement a défendu la législation fiscale française, que la Cour a jugée contraire à l’article 1 du Protocole no 1, en soutenant que la protection par l’État de ses intérêts financiers et la lutte corrélative contre l’évasion fiscale entrent dans les objectifs d’utilité publique qui justifient une ingérence dans les droits protégés par cette disposition conventionnelle, et que cette ingérence est prévue par la loi. L’objectif invoqué par le législateur pour justifier cette réglementation est la sécurisation des processus de perception des impôts sur le revenu des professionnels indépendants par opposition aux salariés ou aux professionnels adhérents. Pour simplifier, l’objectif du législateur, poussant les contribuables non-salariés à adhérer à des organismes de gestion agréés, est de faciliter le contrôle fiscal. Il s’agit de simplifier l’organisation de la collecte de l’impôt (à première vue un objectif rationnel et justifiable).

3. Cela dit, je suis tout à fait d’accord avec la conclusion de la majorité selon laquelle la majoration automatiquement applicable à hauteur de 25 % entraînait une surcharge financière disproportionnée à l’encontre du requérant. Je ne suis toutefois pas certaine qu’il soit approprié pour une juridiction internationale de parvenir à de telles conclusions. Tout d’abord, je trouve regrettable que les juridictions nationales et surtout le Conseil constitutionnel n’aient pas fourni une explication plus convaincante de la législation en cause, d’autant plus que celle-ci était critiquée même dans le cadre national (paragraphe 15 de l’arrêt).

4. De manière générale, je pense qu’en tant que juridiction internationale la Cour européenne des droits de l’homme devrait faire preuve d’une grande retenue dans le domaine de la législation fiscale. En effet, l’arrêt rappelle que les États parties disposent d’une large marge d’appréciation en matière d’élaboration et de mise en œuvre de leur politique fiscale dès lors que celle-ci est fondée sur une base raisonnable. Depuis qu’est née la démocratie, nous considérons les règles fiscales comme une question politique - au sens de l’ancienne règle britannique « pas de taxation sans représentation ». Il est évident qu’en cas de forte disproportion, d’étouffement par l’impôt, d’inégalité devant l’impôt, etc., il est opportun que les cours constitutionnelles nationales interviennent en la matière.

5. Je me demande toutefois dans quelle mesure la Cour européenne des droits de l’homme devrait s’immiscer profondément dans le droit national sans être à même d’en connaître l’histoire complète ni toutes les raisons qui ont conduit le législateur à adopter une règlementation particulière, d’autant plus qu’il s’agit d’une question très spécifique de fiscalité, à savoir la manière dont le contrôle fiscal est organisé et la répartition de la responsabilité de ce contrôle entre l’administration fiscale et le contribuable.

6. En effet, la mission première de notre Cour est non pas de contrôler le législateur, mais de jouer le rôle de gardien des droits humains, dont les conclusions pourraient être généralisées à l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe (en ce qu’elles imposent des obligations à l’État et limitent ses pouvoirs vis-à-vis de l’individu).

7. Malgré mes hésitations, j’ai décidé de soutenir le constat de violation du droit à la protection de la propriété. Mais au-delà des motifs exposés dans le raisonnement de la majorité, la raison particulière qui m’a amenée à le faire était que l’État avait en l’espèce établi sa réglementation fiscale de manière à contraindre le contribuable, au moyen d’instruments financiers, à adhérer à une organisation sans lui fournir d’autres moyens de se défendre contre une charge fiscale disproportionnée. Je suis d’accord avec la conclusion selon laquelle il n’y a pas eu d’ingérence dans le droit de ne pas s’affilier lorsqu’un individu ne souhaite pas le faire, ce qui fait partie des garanties de l’article 11 de la Convention. Cependant, l’ingérence dans la propriété sous la forme d’une augmentation de l’assiette fiscale simplement parce qu’une personne n’est pas membre d’une association n’est pas, à mon avis, justifiable au titre de la protection de la propriété consacrée par l’article 1 du Protocole no 1. Voilà donc l’argument le plus fort qui m’avait convaincue que le droit du requérant à la protection de la propriété avait été violé.

8. Le législateur dispose d’une large marge d’appréciation et peut donc s’ingérer dans les biens d’un individu par le biais de la fiscalité afin d’encourager ou de pénaliser certains comportements, mais cela ne lui permet pas de forcer un individu à s’affilier alors qu’il ne le souhaite pas.

* * *

[1] [https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-organismes-de-gestion-agrees-40-ans-apres](https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-organismes-de-gestion-agrees-40-ans-apres), site consulté le 19 mai 2023.


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-229323
Date de la décision : 07/12/2023
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (Article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : WALDNER
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : FABIANI F.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2023
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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