CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE CHERRIER c. FRANCE
(Requête no 18843/20)
ARRÊT
Art 8 • Vie privée • Refus des autorités de communiquer à la requérante, abandonnée à sa naissance et adoptée, l’identité de sa mère biologique ayant accouché anonymement sur le fondement de sa volonté renouvelée de maintenir son anonymat cinquante ans après la naissance • Transmission à la requérante par les autorités d’informations non identifiantes lui ayant permis de comprendre les circonstances de sa naissance • Dispositif national visant à faciliter l’accès aux origines personnelles sans pour autant renier l’expression de la volonté et du consentement de la mère • Requérante ayant bénéficié d’une procédure contradictoire devant les juridictions internes • Marge d’appréciation non outrepassée • Juste équilibre ménagé entre le droit de la requérante adulte de connaître ses origines et les droits et intérêts de sa mère biologique à maintenir son anonymat
Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.
STRASBOURG
30 janvier 2024
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Cherrier c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Georges Ravarani, président,
Lado Chanturia,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
María Elósegui,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête (no 18843/20) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet État, Mme Annick Cherrier (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 27 avril 2020,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 10 octobre et 12 décembre 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne le refus du Conseil national de l’accès aux origines personnelles (CNAOP) de communiquer à la requérante l’identité de sa mère biologique qui l’a abandonnée à sa naissance et qui a renouvelé sa volonté de ne pas révéler son identité en réponse à sa demande de lever le secret de ses origines. La requérante dénonce une violation de l’article 8 de la Convention qui consacre le droit au respect de la vie privée.
EN FAIT
2. La requérante est née en 1952 et réside à Nouméa. Elle est représentée par Me S. Bouretz, avocate.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
4. La requérante fut adoptée en 1952, quelques mois après son abandon par sa mère, ce dont elle n’a eu connaissance qu’au décès du deuxième de ses parents adoptifs en 2008.
5. Au cours de l’année 2008, elle s’adressa au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP, voir sur les missions et le fonctionnement de ce conseil, paragraphes 24 et 33 à 36 ci-dessus) pour connaître les causes de son abandon et l’identité de ses parents biologiques. Elle formula également plusieurs questions concernant la nationalité de sa mère, les antécédents médicaux de sa famille et l’existence de frères ou sœurs biologiques.
6. Au cours de ses investigations, le CNAOP obtint des informations de la part de l’association « Entraide des femmes françaises » concernant la mère biologique de la requérante (nom, prénom, lieu et date de naissance, description physique) et son père biologique (nom, prénom, un âge et une description physique). Il obtint également le jugement d’adoption de la requérante et l’information suivante sur la cause de l’abandon : « la jeune fille (dont on ignore l’âge) est fiancée et ce dernier [son fiancé] ne veut se marier que si elle abandonne l’enfant ». Le CNAOP parvint à localiser la mère qui exprima, comme l’y autorise l’article L. 147-6 du code de l’action sociale et des familles (CASF, paragraphe 24 ci‑dessous), sa volonté de préserver le secret de son identité, « maintenant et après son décès ». Cette dernière confirma également au CNAOP l’identité du père de naissance et répondit aux questions précitées posées par la requérante.
7. Par courrier du 16 avril 2009, la requérante demanda au CNAOP que sa mère de naissance soit à nouveau contactée car elle avait « encore beaucoup de questions à lui poser ». Le 27 avril 2009, celui-ci lui indiqua qu’il ne contacterait plus sa mère qui avait demandé à être « laissée en paix » et qu’il était dans l’obligation de respecter la vie privée des mères contactées.
8. Le 15 juin 2009, la requérante indiqua au CNAOP qu’elle avait reçu son dossier anonymisé de la part de l’association « Entraide des femmes françaises » et lui demanda que de nouvelles recherches soient réalisées pour retrouver son père de naissance. Les démarches du CNAOP permirent d’identifier une personne correspondant au prénom, nom et âge indiqués dans le dossier de la requérante. Cette personne, un homme très âgé, ne fut pas en mesure de reconnaître sa paternité et refusa de lever le secret de son identité, y compris après son décès.
9. En septembre 2010 puis en février 2012, la requérante réitéra ses demandes d’accès à l’identité de sa mère de naissance, exprimant sa souffrance de se voir opposer le secret de cette dernière.
10. Par un courrier en date du 29 septembre 2010, le CNAOP indiqua à la requérante que sa mère avait toujours la possibilité de revenir sur sa décision et réitéra ne pas pouvoir passer outre le refus de sa mère de lever le secret de son identité.
11. Par un courrier du 6 mars 2012, ainsi motivé, le CNAOP refusa de lui communiquer l’identité de sa mère :
« Votre mère a été contactée dans le respect des dispositions de l’article L.147-6 et L. 147-16 du CASF (...). Le CNAOP est tenu par les articles précités (...) de mener ses démarches dans le respect de la vie privée de la personne recherchée. Il se doit donc de respecter sa volonté dans toutes ses composantes, y compris lorsque cette personne a demandé à ne plus être contactée. Ce faisant le CNAOP ne fait que respecter la jurisprudence du Conseil d’État qui, dans une décision « Madame Y... » no 310125 du 25 octobre 2007, a considéré que le respect au droit de la vie privée constitue une liberté fondamentale.
Votre mère de naissance a été complètement éclairée sur les conséquences de sa position. Il n’appartient donc qu’à elle de revenir sur sa décision. Aussi le CNAOP ne peut-il que respecter sa volonté tout en restant à sa disposition pour enregistrer toute modification de sa décision. Si c’était le cas, je ne manquerais pas de vous en informer aussitôt.
Conformément à votre demande, vous trouverez ci-joint des éléments de votre dossier de l’Entraide des femmes françaises, avec occultation des renseignements identifiants sur vos parents de naissance ainsi que l’acte d’abandon vous concernant ».
12. Le tribunal administratif (TA) de Nouvelle-Calédonie considéra que la requérante ne pouvait soutenir que le CNAOP n’avait pas mis en œuvre tous les moyens pour permettre l’accès à ses origines et rejeta sa demande d’annulation de la décision du 6 mars 2012 par un jugement du 30 septembre 2015 ainsi motivé :
« (...) Il résulte des dispositions précitées que le système mis en place par la France à travers la loi du 22 janvier 2002 [relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et des pupilles de l’État (paragraphes 16 et 21-22 ci-dessous)] n’est pas contraire à l’article 8 de la Convention dès lors que s’il conserve le principe de l’admission de l’accouchement sous X, il renforce la possibilité de lever le secret de l’identité en permettant de solliciter la réversibilité du secret de l’identité du parent biologique sous réserve de l’accord de celui-ci de manière à assurer équitablement la conciliation entre la protection de cette dernière et la demande légitime de l’intéressé, et tente ainsi d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause. Il n’appartient toutefois ni au CNAOP ni au juge administratif de se prononcer sur la validité de la volonté exprimée par le parent biologique refusant de lever le secret de son identité en appréciant sa capacité juridique à prendre une telle décision, compte tenu de son âge ou de son état de santé, ou en opérant une appréciation sur la légitimité de ces intérêts. »
13. Par un arrêt du 30 janvier 2018, la cour administrative d’appel (CAA) de Paris rejeta l’appel formé contre ce jugement selon la motivation retenue par le TA.
14. Par un pourvoi et un mémoire des 30 avril et 27 juillet 2018, la requérante demanda au Conseil d’֤État d’annuler l’arrêt de la CAA. Dans ses écritures, elle soutint, notamment, en premier lieu, en se référant à l’arrêt Odièvre c. France ([GC], no 42326/98, CEDH 2003-III), suivi de son opinion dissidente, et à l’arrêt Godelli c. Italie (no 33783/09, 25 septembre 2012), que la prise en compte de la seule volonté unilatérale et arbitraire de sa mère biologique de ne pas lever le secret de son identité portait atteinte au juste équilibre qu’il convenait de ménager entre les droits respectifs et strictement identiques de deux adultes au regard de l’article 8 de la Convention. En deuxième lieu, après avoir rappelé l’existence de plusieurs propositions de réforme pour substituer à l’accouchement sous X un accouchement dans la discrétion ménageant le droit pour les enfants de connaître leurs origines (paragraphe 38 ci-dessous), elle fit valoir que la législation française était tout aussi inconventionnelle que la législation italienne visée dans l’arrêt Godelli car elle laissait le dernier mot à la mère. Elle précisa qu’en l’absence de contrôle par le juge du bien-fondé des motifs du refus persistant de sa mère (paragraphes 12 et 13 ci-dessus), sa situation était identique à celle de la requérante dans cet arrêt, car elle se voyait « opposer un refus absolu et définitif d’accéder à ses origines personnelles sans même une pesée des droits et intérêts en présence et sans aucune possibilité de recours » autre que formelle.
15. Le 16 octobre 2019, le Conseil d’État rejeta son pourvoi en cassation par une décision ainsi motivée :
« [Aux termes de l’article L. 147-1 à L 147-6 du CASF (...)
Il résulte de ces différentes dispositions que le CNAOP est tenu de refuser de satisfaire à la demande d’une personne, visant à connaître l’identité de la femme ayant accouché d’elle, lorsque cette dernière a manifesté la volonté de taire son identité lors de l’accouchement et a renouvelé expressément cette volonté en réponse à la demande de levée du secret.
(...) Les dispositions précitées du [CASF] organisent la possibilité de lever le secret de l’identité de la mère de naissance en permettant de solliciter la réversibilité du secret de son identité sous réserve de l’accord de celle-ci et définissent ainsi un équilibre entre le respect dû au droit à l’anonymat garanti à la mère lorsqu’elle a accouché et le souhait légitime de l’enfant né dans ces conditions de connaître ses origines. En estimant que [la requérante], dont il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’elle a pu disposer, hormis l’identité de sa mère biologique encore en vie, d’informations relatives à sa naissance recueillies par le CNAOP, n’était pas fondée à soutenir que les stipulations de l’article 8 de la convention (...) avaient été méconnues, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de qualification juridique. »
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
1. le droit et la pratique interne pertinents
1. L’accouchement sous X, ou sous le secret, et les dispositions pertinentes du code civil et du code de l’action sociale et des familles
16. En ce qui concerne l’historique et l’évolution de l’accouchement anonyme en France, ainsi que la présentation de la loi no 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État, il est renvoyé à la partie de droit interne de l’arrêt Odièvre précité (§§ 15 et 16).
17. Il est rappelé que la loi no 93-22 du 8 janvier 1993 a consacré dans le code civil la pratique ancienne permettant à la mère, lors de son accouchement, de demander que le secret de son admission dans une maternité au sein d’un hôpital et de son identité soit préservé, et d’abandonner son nouveau-né aux services de l’État. Il s’agissait d’éviter des avortements et des abandons « sauvages ». Aux termes de l’article 326 du code civil :
« Lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé. »
18. Cette loi a modifié l’article 62 du code civil pour garantir que les informations relatives à la mère ne soient pas inscrites sur l’acte de naissance. Elle a également prévu que l’accouchement sous X constituait une fin de non‑ recevoir à l’action en recherche de maternité (article 325 du code civil).
19. L’enfant né d’une mère qui accouche anonymement devient provisoirement pupille de l’État, dès sa remise au service de l’aide sociale à l’enfance, et peut être repris par sa mère ou son père sans formalité pendant un délai de deux mois (voir, sur la conformité de ce délai de rétractation avec l’article 8 de la Convention, l’arrêt Kearns c. France, no 35991/04, § 81, 10 janvier 2008). Aux termes des articles L. 224-4 et L. 226 du CASF :
Article L. 224-4
« Sont admis en qualité de pupille de l’État :
1o Les enfants dont la filiation n’est pas établie ou est inconnue, qui ont été recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus de deux mois ;
(...) »
Article L. 224-6
« (...) dans un délai de deux mois suivant la date à laquelle il a été déclaré pupille de l’État à titre provisoire, l’enfant peut être repris immédiatement et sans aucune formalité par celui de ses père ou mère qui l’avait confié au service. (...) »
20. À l’issue de ce délai, l’enfant peut faire l’objet d’une adoption plénière (article 351 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 juillet 1966). La reconnaissance de la part de la mère ou du père est possible tant que l’enfant n’a pas été placé en vue de son adoption. En vertu de l’article 352 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 11 juillet 1966, le placement en vue de l’adoption met obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine et fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance. Le Conseil constitutionnel a récemment jugé qu’en interdisant qu’une telle reconnaissance intervienne postérieurement au placement de l’enfant en vue de son adoption, le législateur a voulu garantir à ce dernier un environnement familial stable (paragraphe 31 ci-dessous).
21. La loi no 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État ne remet pas en cause le principe de l’accouchement anonyme mais permet d’organiser la réversibilité du secret de l’identité sous réserve de l’accord exprès de la mère et de l’enfant. À cette fin, elle met en place un Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP, paragraphe 24 ci-dessous).
22. Ainsi, aux termes de l’article L. 222-6 du code de l’action sociale et des familles, tel que modifié par la loi du 22 janvier 2002 :
« Toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par un établissement de santé est informée des conséquences juridiques de cette demande et de l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Elle est informée de la possibilité qu’elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu’à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues à l’article L. 147-6. Elle est également informée qu’elle peut à tout moment donner son identité sous pli fermé ou compléter les renseignements qu’elle a donnés au moment de la naissance. Les prénoms donnés à l’enfant et, le cas échéant, mention du fait qu’ils l’ont été par la mère, ainsi que le sexe de l’enfant et la date, le lieu et l’heure de sa naissance sont mentionnés à l’extérieur de ce pli.
Les frais d’hébergement et d’accouchement des femmes qui ont demandé, lors de leur admission dans un établissement public ou privé conventionné, à ce que le secret de leur identité soit préservé, sont pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance du département siège de l’établissement.
Sur leur demande ou avec leur accord, les femmes mentionnées au premier alinéa bénéficient d’un accompagnement psychologique et social de la part du service de l’aide sociale à l’enfance.
Pour l’application des deux premiers alinéas, aucune pièce d’identité n’est exigée et il n’est procédé à aucune enquête. (...) »
23. La loi no 2009-61 du 16 janvier 2009 ratifiant l’ordonnance no 2005‑759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation a supprimé, à l’article 325 du code civil, la fin de non-recevoir opposable à l’action en recherche de maternité en cas d’accouchement sous X (paragraphe 18 ci‑dessus).
24. La mission du CNAOP est d’aider les personnes nées ou abandonnées sous le secret dans la recherche de leurs origines personnelles Son fonctionnement et ses missions sont prévus par les articles L. 147-1 et suivants du CASF, ainsi rédigés :
Article L. 147-1
« Un Conseil national, placé auprès du ministre chargé des affaires sociales, est chargé de faciliter, en liaison avec les départements et les collectivités d’outre-mer, l’accès aux origines personnelles ».
Article L. 147-2
« Le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles reçoit :
1o La demande d’accès à la connaissance des origines de l’enfant formulée :
- s’il est majeur, par celui-ci ;
- s’il est mineur, et qu’il a atteint l’âge de discernement, par celui-ci avec l’accord de ses représentants légaux ;
- s’il est décédé, par ses descendants en ligne directe majeurs ;
2o La déclaration de la mère ou, le cas échéant, du père de naissance par laquelle chacun d’entre eux autorise la levée du secret de sa propre identité ;
3o Les déclarations d’identité formulées par leurs ascendants, leurs descendants et leurs collatéraux privilégiés ;
4o La demande du père ou de la mère de naissance s’enquérant de leur recherche éventuelle par l’enfant ;
5o La demande écrite formulée par un médecin prescripteur d’un examen des caractéristiques génétiques à des fins médicales transmise en application de l’article L. 1131-1-2 du code de la santé publique.
Afin de répondre aux demandes dont il est saisi, le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles peut utiliser le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques et consulter ce répertoire. Les conditions de cette utilisation et de cette consultation sont fixées par un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
(...) »
Article L. 147-3
« La demande d’accès à la connaissance de ses origines est formulée par écrit auprès du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles ou du président du conseil départemental ; elle peut être retirée à tout moment dans les mêmes formes.
Le père ou la mère de naissance qui font une déclaration expresse de levée du secret ou les ascendants, descendants ou collatéraux privilégiés du père ou de la mère de naissance qui font une déclaration d’identité sont informés que cette déclaration ne sera communiquée à la personne concernée que si celle-ci fait elle-même une demande d’accès à ses origines. »
Article L. 147-6
« Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1o de l’article L. 147-2, après s’être assuré qu’elles maintiennent leur demande, l’identité de la mère de naissance :
- s’il dispose déjà d’une déclaration expresse de levée du secret de son identité ;
- s’il n’y a pas eu de manifestation expresse de sa volonté de préserver le secret de son identité, après avoir vérifié sa volonté ;
- si l’un de ses membres ou une personne mandatée par lui a pu recueillir son consentement exprès dans le respect de sa vie privée ;
- si la mère est décédée, sous réserve qu’elle n’ait pas exprimé de volonté contraire à l’occasion d’une demande d’accès à la connaissance des origines de l’enfant. Dans ce cas, l’un des membres du conseil ou une personne mandatée par lui prévient la famille de la mère de naissance et lui propose un accompagnement.
Si la mère de naissance a expressément consenti à la levée du secret de son identité ou, en cas de décès de celle-ci, si elle ne s’est pas opposée à ce que son identité soit communiquée après sa mort, le conseil communique à l’enfant qui a fait une demande d’accès à ses origines personnelles l’identité des personnes visées au 3o de l’article L. 147-2.
Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1o de l’article L. 147-2, après s’être assuré qu’elles maintiennent leur demande, l’identité du père de naissance :
- s’il dispose déjà d’une déclaration expresse de levée du secret de son identité ;
- s’il n’y a pas eu de manifestation expresse de sa volonté de préserver le secret de son identité, après avoir vérifié sa volonté ;
- si l’un de ses membres ou une personne mandatée par lui a pu recueillir son consentement exprès dans le respect de sa vie privée ;
- si le père est décédé, sous réserve qu’il n’ait pas exprimé de volonté contraire à l’occasion d’une demande d’accès à la connaissance des origines de l’enfant. Dans ce cas, l’un des membres du conseil ou une personne mandatée par lui prévient la famille du père de naissance et lui propose un accompagnement.
Si le père de naissance a expressément consenti à la levée du secret de son identité ou, en cas de décès de celui-ci, s’il ne s’est pas opposé à ce que son identité soit communiquée après sa mort, le conseil communique à l’enfant qui a fait une demande d’accès à ses origines personnelles l’identité des personnes visées au 3o de l’article L. 147-2.
Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1o de l’article L. 147-2 les renseignements ne portant pas atteinte à l’identité des père et mère de naissance, transmis par les établissements de santé, les services départementaux et les organismes visés au cinquième alinéa de l’article L. 147-5 ou recueillis auprès des père et mère de naissance, dans le respect de leur vie privée, par un membre du conseil ou une personne mandatée par lui. »
Article L. 147-7
« L’accès d’une personne à ses origines est sans effet sur l’état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit. »
25. La loi no 2021-2017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique n’a apporté aucune modification au système de réversibilité du secret mis en place par la loi de 2002. La seule disposition relative à ce régime donne compétence au CNAOP pour organiser un dispositif spécifique lorsqu’est diagnostiquée, chez une personne née dans le secret ou chez une mère qui a accouché dans le secret, une anomalie des caractéristiques génétiques (article L. 147-2 5o du CASF, paragraphe 24 ci‑dessus).
2. La loi no 2021-2017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et les enfants nés de dons de gamètes
26. La loi du 2 août 2021 a consacré la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes et a ouvert un nouveau droit aux personnes nées d’une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneurs. Ces dernières pourront, à leur majorité, sans condition, s’adresser à la commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD) pour obtenir l’identité du tiers donneur et les informations non identifiantes relatives à ce dernier.
27. Cette loi a également prévu que les « anciens donneurs » peuvent autoriser l’accès à leur identité ou à des informations non identifiantes. Depuis le 1er septembre 2022, les personnes nées d’un don réalisé dans l’ancien cadre juridique peuvent saisir la CAPADD. Cette dernière est chargée de contacter les tiers donneurs afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité. Ces derniers peuvent aussi se manifester spontanément auprès d’elle pour consentir à la transmission des données.
28. Cette évolution du droit français correspond à la tendance récente qui se dégage en faveur d’une levée de l’anonymat des donneurs de gamètes constatée dans les travaux du Conseil de l’Europe (« Étude comparative sur l’accès aux origines des personnes conçues par don de gamètes », Comité européen de coopération juridique, Conseil de l’Europe, 16 décembre 2022).
3. Jurisprudence de référence
29. Par une décision du 16 mai 2012 (no 2012-248 QPC), le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions des articles L. 147-6 et L. 222-6 du CASF (paragraphes 22 et 24 ci-dessus) conformes à la Constitution :
« 6. Considérant, que les dispositions de l’article L. 222-6 du [CASF] reconnaissent à toute femme le droit de demander, lors de l’accouchement, la préservation du secret de son identité et de son admission et mettent à la charge de la collectivité publique les frais de son accouchement et de son hébergement ; qu’en garantissant ainsi un droit à l’anonymat et la gratuité de la prise en charge lors de l’accouchement dans un établissement sanitaire, le législateur a entendu éviter le déroulement de grossesses et d’accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l’enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d’enfants ; qu’il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ;
7. Considérant que la loi du 22 janvier 2002 susvisée a donné une nouvelle rédaction de l’article L. 222-6 (...) afin, notamment, que les femmes qui accouchent en demandant le secret de leur identité soient informées des conséquences juridiques qui en résultent pour l’enfant ainsi que de l’importance, pour ce dernier, de connaître ses origines et qu’elles soient incitées à laisser des renseignements sur leur santé, celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de sa naissance ; que les dispositions de l’article L. 147-6 du même code, issues de cette même loi, organisent les conditions dans lesquelles le secret de cette identité peut être levé, sous réserve de l’accord de la mère de naissance ; que cet article confie en particulier au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles la tâche de rechercher la mère de naissance, à la requête de l’enfant, et de recueillir, le cas échéant, le consentement de celle-ci à ce que son identité soit révélée ou, dans l’hypothèse où elle est décédée, de vérifier qu’elle n’a pas exprimé de volonté contraire lors d’une précédente demande ; que le législateur a ainsi entendu faciliter la connaissance par l’enfant de ses origines personnelles ;
8. Considérant qu’en permettant à la mère de s’opposer à la révélation de son identité même après son décès, les dispositions contestées visent à assurer le respect de manière effective, à des fins de protection de la santé, de la volonté exprimée par celle-ci de préserver le secret de son admission et de son identité lors de l’accouchement tout en ménageant, dans la mesure du possible, par des mesures appropriées, l’accès de l’enfant à la connaissance de ses origines personnelles ; qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l’enfant ; que les dispositions contestées n’ont pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles de protection de la santé ; qu’elles n’ont pas davantage porté atteinte au respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale ; »
30. Le commentaire de cette décision, rédigé par le service juridique du Conseil constitutionnel, explique ainsi en quoi le droit au respect de la vie privée et familiale n’implique pas un droit d’accès aux origines :
« (...) la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée (...).
Dans la jurisprudence constitutionnelle, ce droit est entendu de manière assez classique, comme une protection contre les intrusions publiques ou privées au sein de la sphère d’intimité de chacun.
(...)
En l’état actuel de la jurisprudence, le droit au respect de la vie privée n’implique pas un droit d’accès aux origines.
À titre de comparaison, la Cour européenne des droits de l’homme retient une interprétation plus extensive du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain.
(...)
(...) le droit constitutionnel à une vie familiale normale doit être entendu dans un sens concret (possibilité de vivre ensemble), plus que dans un sens proprement formel qui impliquerait une consécration en droit des liens biologiques.
Ainsi, le droit pour toute personne de connaître ses origines ne trouve pas de fondement constitutionnel dans le droit de mener une vie familiale normale. »
Le commentaire se poursuit ainsi :
« Ensuite, le Conseil s’est référé simplement aux « intérêts de la mère de naissance et ceux de l’enfant » (cons. 8). En évoquant les « intérêts » et non les « droits », le Conseil constitutionnel a souligné que les dispositions relatives au droit de la femme d’accoucher sous X et celles relatives au droit de l’enfant de connaître ses origines personnelles ne résultent pas d’exigences constitutionnelles. »
31. Plus récemment, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une QPC portant sur la compatibilité des dispositions qui interdisent toute reconnaissance d’un enfant né sous X à compter de son placement en vue de son adoption (paragraphe 20 ci-dessus) avec le droit de mener une vie familiale normale. Le Conseil constitutionnel a indiqué qu’il ne lui appartenait pas de « substituer son appréciation à celle du législateur sur la conciliation qu’il y a lieu d’opérer, dans l’intérêt supérieur de l’enfant remis au service de l’aide sociale à l’enfance, entre le droit des parents de naissance de mener une vie familiale normale et l’objectif de favoriser l’adoption de cet enfant, dès lors que cette conciliation n’est pas manifestement déséquilibrée ». Selon le Conseil constitutionnel :
« (...) D’une part, en prévoyant qu’un enfant sans filiation ne peut être placé en vue de son adoption qu’à l’issue d’un délai de deux mois à compter de son recueil, le législateur a entendu concilier l’intérêt des parents de naissance à disposer d’un délai raisonnable pour reconnaître l’enfant et en obtenir la restitution et celui de l’enfant dépourvu de filiation à ce que son adoption intervienne dans un délai qui ne soit pas de nature à compromettre son développement. D’autre part, la reconnaissance d’un enfant pourrait faire obstacle à la conduite de sa procédure d’adoption. En interdisant qu’une telle reconnaissance intervienne postérieurement à son placement en vue de son adoption, le législateur a entendu garantir à l’enfant, déjà remis aux futurs adoptants, un environnement familial stable » (CC, No 2019-826, 7 février 2020).
32. À la suite de cette décision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation a estimé que l’intervention volontaire dans une procédure d’adoption plénière du père de naissance d’un enfant définitivement reconnu pupille de l’État et placé en vue de son adoption était irrecevable, faute de qualité à agir, dès lors qu’aucun lien de filiation ne pouvait plus être établi entre eux. Elle a considéré que les articles 352 (paragraphe 20 ci-dessus) et 359 du code civil (selon lequel l’adoption est irrévocable) constituaient une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale du père de naissance, mais poursuivaient les buts légitimes de protection des droits d’autrui en sécurisant, dans l’intérêt de l’enfant et des adoptants, la situation de celui-ci à compter de son placement en vue de l’adoption et en évitant les conflits de filiation. Elle a toutefois cassé l’arrêt d’appel au motif que cette dernière n’avait pas recherché si, en l’espèce, l’application des textes qui avait empêché le père de faire voir ses droits sur l’enfant avait porté une atteinte disproportionnée à son droit protégé par l’article 8 de la Convention :
« 17. Il appartient cependant au juge, lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, de procéder, au regard des circonstances de l’espèce, à une mise en balance des intérêts en présence, celui de l’enfant, qui prime, celui des parents de naissance et celui des candidats à l’adoption, afin de vérifier que les dispositions de droit interne, eu égard à la gravité des mesures envisagées, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du père de naissance.
18. Pour déclarer M. A... irrecevable en son intervention volontaire et annuler sa reconnaissance de paternité, l’arrêt retient que, s’il a démontré sa détermination, par les nombreuses démarches qu’il a engagées pendant les mois qui ont suivi la naissance de l’enfant, à faire reconnaître sa paternité, il ne justifie pas d’une qualité à agir dès lors que le lien de filiation ne peut être établi.
19. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l’irrecevabilité de l’action du père de naissance, qui n’avait pu, en temps utile, sans que cela puisse lui être reproché, faire valoir ses droits au cours de la phase administrative de la procédure, ne portait pas, eu égard aux différents intérêts en présence, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale en ce qu’elle interdisait l’examen de ses demandes, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés. »
4. Rapports d’activité du CNAOP
33. Il ressort des statistiques produites dans les Rapports d’activité 2012 et 2021, publiés en mars 2013 et en juin 2022, les éléments suivants.
34. Le nombre d’accouchements dans le secret a baissé au cours des dernières années, soit 605 en 2011 et 390 en 2021.
35. Au cours de l’année 2021, sur les 326 dossiers clos définitivement, 216 dossiers l’ont été définitivement après communication de l’identité du parent de naissance concerné par la demande. Pour l’année 2012, année de la décision du CNAOP litigieuse, sur les 296 dossiers clos définitivement, 182 l’ont été après communication de l’identité du parent de naissance (30,95 %).
36. À propos des statistiques cumulées du 12 septembre 2002 au 31 décembre 2021, le rapport 2021 indique ce qui suit. Sur les 10 010 dossiers recevables qui ont été clôturés depuis 2002 :
- 3 576 dossiers ont été définitivement clos après communication de l’identité du parent de naissance concerné par la demande (36 % du nombre de dossier clos depuis 2002). Plusieurs cas de figure ont pu conduire à la communication de l’identité du parent de naissance : 1 089 communications d’identité ont fait suite au consentement du parent de naissance recherché à la levée du secret de son identité, 1 192 communications d’identité résultent du décès du parent de naissance concerné, sans que ce dernier ait exprimé de volonté contraire à l’occasion d’une demande d’accès aux origines, 1 295 communications d’identité découlent de l’absence de demande de secret lors de la naissance ou lors de la remise de l’enfant ;
- 4 333 dossiers ont été clos provisoirement pour absence de renseignements permettant l’identification et/ou la localisation de l’un au moins des parents de naissance (43 % du nombre de dossiers de clos depuis 2002) ;
- 1 275 dossiers ont été clos provisoirement pour refus du parent de naissance de lever le secret de son identité (13 % du nombre de dossiers clos depuis 2002) ;
- 812 dossiers ont été clos pour des motifs d’absence de réponse des parents de naissance contactés, de dénégation, de suspension de demande par le demandeur, d’absence de réponse des demandeurs aux sollicitations du CNAOP ou d’autres motifs de clôture pour les cas inclassables (8 % du nombre de dossiers clos depuis 2002).
5. Projets de réforme
1. Rapport « Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle »
37. Le rapport intitulé « Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle » remis en 2014 au ministre des Affaires sociales et de la santé préconise de redéfinir l’accouchement secret, sans le supprimer, tout en permettant l’accès à l’identité de la mère de naissance à la majorité de l’enfant en vue d’améliorer l’équilibre des droits et intérêts en présence. À ce titre, il propose les pistes suivantes :
« 1) En reconnaissant que l’intérêt de la femme au moment de la naissance et de l’abandon n’est pas forcément l’intérêt de la femme toute sa vie. Plus généralement on ne peut pas présumer qu’une femme en détresse, qui a absolument besoin du secret de l’accouchement, ait ensuite toujours le souhait que cet événement majeur de sa vie soit aboli et effacé à jamais, au point d’être supposé n’avoir jamais eu lieu. Les témoignages de femmes concernées qui sont sorties de « l’ombre » infirment radicalement le présupposé selon lequel elles seraient attachées à l’anonymat définitif, nombre d’entre elles dénonçant l’accouchement sous X comme un dispositif « inhumain ».
Distinguer secret de l’accouchement et possibilité de lever l’anonymisation de l’identité de la mère de naissance dans le dossier de l’enfant permettrait de concilier ces deux intérêts de la femme contrainte d’accoucher secrètement et d’abandonner son enfant.
2) En reconnaissant que l’intérêt de l’enfant de pouvoir accéder à ses origines, quand il sera devenu adulte, n’est pas forcément incompatible avec l’idée qu’il a pu être de son intérêt, antérieurement, de naître dans des conditions propres à protéger sa vie et sa santé, grâce à l’organisation du secret de l’accouchement.
Distinguer anonymat définitif, empêchant toute recherche des origines, et secret de la naissance permettrait de concilier ces deux intérêts de l’enfant qui, après avoir été abandonné à la naissance, recherche légitimement ses origines.
3) En reconnaissant que la loi française de 2002, qui a organisé la possibilité pour l’enfant de connaître l’identité de sa mère de naissance, sous le bon vouloir de cette dernière, a été un réel progrès, mais n’est pas une solution satisfaisante dès lors qu’elle place les enfants dans des situations inégales et qu’il serait plus conforme à nos valeurs de justice de garantir à tous un véritable droit d’accès aux origines ; mais en reconnaissant aussi qu’en contrepartie, la mère de naissance devrait se voir donner des garanties substantielles que la délivrance de cette identité à l’enfant sera organisée dans un respect de sa tranquillité et de sa vie privée et familiale renforcé par rapport à la loi actuelle. (...) »
2. Propositions de loi
38. En 2006, 2011 et 2017, des propositions de loi sans suite ont été enregistrées à la présidence de l’Assemblée nationale en vue de l’instauration d’un accouchement dans la discrétion. En 2006, la proposition de loi no 3224 soulignait « que la Convention internationale relative aux droits de l’enfant comme l’évolution de la société, qui ne stigmatise plus les mères seules, conduisent à donner aux enfants nés sous X le droit de connaître, à leur majorité, l’identité de leurs parents de naissance ». En 2011, la proposition no 4043 indiquait que « l’évolution du secret est en route et il devient possible, aujourd’hui, de supprimer l’anonymat de l’accouchement tout en gardant la possibilité « d’accoucher dans le secret » si l’on veut répondre en toute sécurité aux attentes légitimes des mères et des enfants. En 2017, la proposition no 522 visant « à créer un accouchement protégé et permettant l’accès aux origines personnelles » envisageait, après avoir souligné que la France a mis en place « un système quasi unique d’accouchement non pas seulement secret, mais anonyme, qui prive l’enfant de toute information », « de maintenir à la mère le droit de demander, lors de son admission et de son accouchement le secret de son identité, en l’informant que ce secret lui est garanti pendant la minorité de l’enfant, mais qu’ensuite elle pourra être communiquée à l’enfant qui en ferait la demande après sa majorité ».
2. Éléments de droit comparé
39. Il est renvoyé aux parties « Droit comparé » de l’arrêt Odièvre précité (§ 19) et de l’arrêt Godelli précité (§§ 28 à 32). Ces dernières indiquent qu’en Europe, « l’accouchement sous X ou dans l’anonymat apparaît minoritaire sans être pour autant exceptionnel : à côté de la France (...), des législations, relativement récentes car édictées au cours de la dernière décennie, organisent la naissance d’enfants dans ces conditions (Autriche, Luxembourg, Slovaquie) ». Elles soulignent également que « l’absence de mention des noms de l’un ou des deux parents peut parfois être prévue par la loi, mais cette hypothèse est rarissime (Italie, Luxembourg, France) » (idem, §§ 28 et 29) ; en République tchèque, les femmes peuvent accoucher dans le secret mais la confidentialité quant aux données nominatives sur la mère biologique est temporaire et non définitive, l’accès à ces informations étant différé dans le temps (idem, § 28). Elles font état également de pratiques d’accouchement dans la discrétion et/ou des boîtes à bébé dans plusieurs États (Odièvre, § 19, Godelli, précité, § 30).
40. Par ailleurs, il ressort des éléments de droit comparé figurant dans l’Étude d’impact produite par le gouvernement français à l’appui du projet de loi relatif à la bioéthique déposé à l’Assemblée nationale le 24 juillet 2019 (paragraphe 26 ci-dessus) les éléments suivants :
« (...) si peu de pays reconnaissent la possibilité pour les mères d’accoucher sans communiquer leur identité, la plupart des États en Europe et dans le monde acceptent ou proposent un accouchement dans le secret ou une procédure similaire. Seules la France, l’Italie et le Luxembourg (sur lequel la mission n’a pu avoir d’informations plus détaillées) autorisent l’accouchement dans le secret et sans communication de l’identité de la mère ».
41. Enfin, s’agissant des mesures prises pour assurer l’exécution de l’arrêt Godelli, précité, la résolution adoptée par le Comité des ministres le 4 novembre 2015 (CM/ResDH (2015) 176) fait mention de l’obtention par la requérante, à la suite d’une nouvelle saisine du tribunal pour enfants, de la communication de l’identité de sa mère de naissance. S’agissant des mesures générales prises par le gouvernement italien, il ressort de son bilan d’action que la cour constitutionnelle a déclaré l’impossibilité d’accéder aux informations relatives à la mère de naissance non conforme à la Constitution en l’absence de vérification par le juge de la volonté de cette dernière (arrêt no 278 du 18 novembre 2013). Depuis lors, les tribunaux italiens ont rendu plusieurs décisions ordonnant de contacter la mère à cette fin. Le bilan précise qu’un projet de loi organisant la procédure à suivre a été adopté par la chambre des députés en juin 2015.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
42. La requérante se plaint du refus du CNAOP de lui communiquer l’identité de sa mère biologique dont elle soutient qu’il méconnaît son droit d’accès aux origines garanti par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1. Sur la recevabilité
43. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention. Elle la déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Thèses des parties
44. La requérante soutient que la jurisprudence Odièvre n’a pas lieu d’être maintenue compte tenu du caractère minoritaire de la législation française relative à l’accouchement sous X et de l’existence d’un large consensus européen en faveur d’un droit à l’identité. Elle se réfère à cet égard aux arrêts Godelli (§ 28) et Odièvre (§ 19). L’évolution récente du droit interne relatif à l’accès aux origines confirmerait, selon elle, également ce point de vue (paragraphes 26 et 27 ci-dessus).
45. La requérante souligne que, contrairement à ce qu’avance le Gouvernement, l’arrêt de violation de l’article 8 de la Convention dans l’affaire Godelli n’emporte pas une confirmation du dispositif français d’accès aux origines dans la mesure où il établit à plusieurs reprises une comparaison entre le droit italien et le droit français qu’il différencie donc clairement.
46. Elle soutient que la loi de 2002 ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en cause. Elle se réfère sur ce point à l’opinion dissidente de sept juges jointe à l’arrêt Odièvre qui souligne le déséquilibre initial du dispositif mis en place par cette loi car il subordonne le droit d’accès aux origines à la décision unique de la mère. Elle précise que son âge n’est pas un argument de nature à minimiser son droit à la connaissance de ses origines (Godelli, précité, § 69) mais, au contraire, à le renforcer.
47. Le Gouvernement ne conteste pas que le refus du CNAOP fondé sur l’obligation à laquelle il est tenu de respecter la volonté de la mère biologique après une prise de contact est constitutif d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la requérante. Mais il considère que ce refus était prévu par la loi de 2002 qui encadre, de manière précise, le fonctionnement et les missions du CNAOP, et poursuivait le but de protéger les « droits et libertés d’autrui ». Il soutient en outre que l’ingérence litigieuse était nécessaire dans une société démocratique, un juste équilibre ayant été ménagé entre le droit d’accès de la requérante à ses origines et le droit de sa mère biologique au respect de sa vie privée.
48. À cet égard, le Gouvernement souligne que la requérante a pu demander la réversibilité du secret de sa naissance et obtenir dans sa soixantaine, non pas l’identité de sa mère biologique, mais bien certaines informations relatives à sa naissance, et qu’il en a été ainsi parce que sa mère a manifesté la volonté de conserver son anonymat. Les intérêts de chacune auraient ainsi été préservés, comme le veut la loi de 2002, au vu de la marge d’appréciation qui doit être reconnue à l’État en ce domaine complexe. Il fait valoir qu’il n’y a toujours pas de consensus sur la question de l’accès de l’enfant à la connaissance de ses origines sur le plan européen. Selon le Gouvernement, il n’y a aucune raison de parvenir à une conclusion différente de celle de l’affaire Odièvre dans la présente espèce. Cette affaire constituerait une jurisprudence bien établie qui n’aurait pas été remise en cause par l’arrêt Godelli dans lequel la Cour, pour conclure à la violation de l’article 8 de la Convention, a pris en considération l’absence de mécanisme de mise en balance des intérêts et droits en conflits.
49. Le Gouvernement conclut que les autorités françaises ont été aussi loin qu’elles le pouvaient pour apporter à la requérante des informations sur sa naissance et son identité dans le respect de la vie privée de la personne lui ayant donné naissance. Selon lui, le refus litigieux a ménagé un juste équilibre et s’est inscrit pleinement dans la marge d’appréciation de l’État.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
1. Sur le droit à la connaissance des origines
50. L’article 8 de la Convention protège un droit à l’identité et à l’épanouissement personnel. À cet épanouissement contribuent l’établissement des détails de son identité d’être humain et l’intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, par exemple l’identité de son géniteur (Odièvre, précité, § 29, Godelli, précité, § 45, Çapın c. Turquie, no 44690/09, §§ 33 et 34, 15 octobre 2019, Boljević c. Serbie, no 47443/14, § 28, 16 juin 2020). La naissance, et singulièrement les circonstances de celles-ci, relève de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte, garantie par l’article 8 (Godelli, précité, § 46). L’intérêt que peut avoir un individu à connaître son ascendance ne cesse nullement avec l’âge (ibidem, § 69).
2. Sur la nature des obligations qui incombent aux États
51. L’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics. À cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. La frontière entre les obligations positives et négatives de l’État ne se prête toutefois pas à une définition précise. Les principes sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents ; de même dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 40, CEDH 2002-I, C.E. et autres c. France, nos 29775/18 et 29693/19, § 83, 24 mars 2022).
3. Sur la marge d’appréciation
52. Pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’appréciation devant être reconnue à l’État dans une affaire soulevant des questions au regard de l’article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte. En revanche, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est large. Elle est d’une façon générale également ample lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention qui se trouvent en conflit (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 94, CEDH 2011, CE et autres, précité, § 85).
4. Application de ces principes dans les affaires Odièvre et Godelli
53. En ce qui concerne les litiges en matière d’accès aux origines des enfants nés sous X et adoptés, la Cour a considéré que le droit à l’identité, dont relève le droit de connaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée et que dans pareil cas, un examen d’autant plus approfondi s’impose pour peser les intérêts concurrents (Godelli, précité, § 65).
54. Dans l’arrêt Odièvre, précité, l’intérêt de la requérante à connaître ses origines a été opposé à celui de sa mère de rester anonyme, « pour sauvegarder sa santé en accouchant dans des conditions médicales appropriées » (§ 44) ainsi qu’à celui des tiers, essentiellement ses parents adoptifs, son père ou les autres membres de la famille biologique (idem). L’intérêt général a également été retenu comme pesant dans la balance, au nom du choix des femmes d’accoucher sous X et de la protection de leur santé ainsi que de celles de leurs enfants, car le droit au respect de la vie, valeur supérieure garantie par la Convention, n’était « pas étranger aux buts que recherche le système français » (§ 45). S’agissant de la requérante, la Cour a relevé qu’elle avait eu accès à des informations non identifiantes sur sa mère et sa famille biologique lui permettant d’établir « quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers » (§ 48). Elle a également pris note de la mise en place par la France d’un mécanisme lui permettant de solliciter la réversibilité du secret de l’identité de sa mère, sous réserve de l’accord de celle-ci, et a jugé qu’il était de nature à assurer équitablement la conciliation entre la protection de cette dernière et la demande légitime de l’intéressée (§ 49). Dans ce contexte, elle a considéré que la législation française « tente d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause » et a conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention eu égard à la marge d’appréciation qu’il convenait de reconnaître à l’État pour réglementer la question (idem).
55. Dans l’arrêt Godelli, précité, la Cour a jugé la législation italienne non conforme à l’article 8 au motif qu’elle ne ménageait aucun équilibre entre « les droits et intérêts » concurrents en cause car elle donnait à l’intérêt de la mère qui souhaitait garder l’anonymat une « préférence aveugle » en l’absence de toute possibilité donnée à l’enfant adopté et non reconnu de demander soit l’accès à des informations non identifiantes sur ses origines, soit la réversibilité du secret. Elle a considéré que l’État italien avait dépassé la marge d’appréciation dont il disposait.
b) Application des principes en l’espèce
1. Sur la question de savoir si est en cause une obligation négative ou une obligation positive
56. La Cour relève que les parties ne se prononcent pas explicitement sur ce point, mais le Gouvernement admet qu’il y a eu ingérence dans la vie privée de la requérante (paragraphe 47 ci-dessus).
57. La Cour, pour sa part, rappelle que l’article 8 a d’abord pour objet de prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics (voir, par exemple, Drelon c. France, nos 3153/16 et 27758/18, § 85, 8 septembre 2022). En l’espèce, elle relève que le CNAOP est un établissement public de l’État, placé sous la tutelle du ministre chargé des affaires sociales. Elle constate par ailleurs que l’article L. 147-6 du CASF prévoit que le CNAOP communique l’identité de la mère « s’il n’y a pas eu de manifestation expresse de volonté de préserver le secret, après avoir, dans ce cas, vérifié la volonté de l’intéressée ». Cet article admet le maintien du secret qui sous-tend la violation du droit d’accès aux origines dont se plaint la requérante. En conséquence, la Cour considère que la décision du CNAOP de ne pas communiquer à la requérante l’identité de sa mère biologique, et de lui opposer la volonté de cette dernière, doit être examinée sous l’angle des obligations négatives.
58. Pour déterminer si cette ingérence a emporté violation du droit au respect de la vie privée de la requérante, la Cour doit rechercher si cette décision était justifiée au regard du second paragraphe de cet article, c’est‑à‑dire si elle était prévue par la loi et nécessaire dans une société démocratique pour atteindre l’un ou autre des buts légitimes énumérés par l’article 8.
59. L’ingérence était prévue par l’article L. 147-6 du CASF et poursuivait au moins l’un des buts légitimes énumérés à l’article 8 § 2 : la protection des droits et libertés d’autrui, en particulier ceux de la mère biologique.
60. Il reste à déterminer si cette ingérence était proportionnée à ce but, après avoir déterminé l’ampleur de la marge d’appréciation accordée à l’État en l’espèce.
2. Sur la marge d’appréciation et le respect de l’article 8
‒ Remarques liminaires
61. La Cour relève que les parties sont en désaccord sur le respect de l’article 8 au regard de l’arrêt Odièvre. La requérante allègue en particulier que le contrôle auquel s’est livrée la Cour dans cet arrêt ne correspond plus à la situation actuelle, et que le mécanisme de réversibilité du secret mis en place en France en 2002 est aujourd’hui insuffisant pour permettre aux personnes nées dans le secret de bénéficier du droit à la connaissance de leurs origines qu’elles tirent de l’article 8 de la Convention. Le Gouvernement considère que, comme dans cet arrêt, un juste équilibre a été ménagé en l’espèce entre les droits respectifs de la requérante et de sa mère biologique.
62. La Cour doit examiner si, alors que la Grande chambre a jugé dans l’arrêt Odièvre du 13 février 2003 le dispositif d’accès aux origines personnelles mis en place par la France par la loi de 2002 comme étant susceptible de favoriser un juste équilibre entre les différents intérêts en cause (§ 49), le droit de la requérante au respect de sa vie privée est satisfait dans le cadre de ce dispositif, tel qu’il a évolué et été mis en œuvre entre 2012 et 2019 en l’espèce.
63. Pour ce faire, et afin de délimiter précisément la portée de son appréciation du litige, elle procédera à une brève mise à jour du droit interne ainsi qu’à un état des lieux de la nature des droits en jeu.
64. En ce qui concerne le droit interne, la Cour relève que, postérieurement à l’arrêt Odièvre, la réforme législative de 2009 a complété le système de réversibilité du secret de l’identité de la mère mis en place en 2002 en supprimant la fin de non-recevoir de l’action en recherche de maternité qui était opposé à l’enfant dont la mère avait accouché anonymement, de sorte que si l’enfant trouve l’identité de sa mère, il peut engager une action aux fins d’établissement de la filiation maternelle (paragraphe 23 ci-dessus). La Cour note également que, par une décision du 16 mai 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le système de l’accouchement sous X en se fondant sur les exigences constitutionnelles de protection de la santé et en considérant qu’il était de nature à garantir un équilibre satisfaisant entre les « intérêts de la mère et ceux de l’enfant ». Il a précisé dans le commentaire de sa décision que « les dispositions relatives au droit de la femme d’accoucher sous X et celles relatives au droit de l’enfant de connaître ses origines personnelles ne résultent pas d’exigences constitutionnelles » (paragraphe 30 ci-dessus). Il a également considéré dans cette décision, comme dans sa décision du 7 février 2020, concernant la conformité de l’interdiction de la reconnaissance par le père biologique d’un enfant né sous X à compter de son placement en vue de son adoption (paragraphe 31 ci-dessus), qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur la conciliation à opérer entre les intérêts en jeu. Enfin, la Cour relève que le législateur, quant à lui, a choisi de maintenir la possibilité pour une femme de demander le secret de son accouchement et de son identité alors qu’il a décidé de lever l’anonymat des donneurs de gamètes (paragraphes 26 et 27 ci-dessus).
65. En ce qui concerne la qualification des intérêts et droits en jeu, la Cour relève que le Conseil d’État, qui n’avait pas été saisi dans l’affaire Odièvre, a opposé en l’espèce le « souhait légitime » de la requérante de connaître ses origines » au « droit à l’anonymat » garanti à sa mère lorsqu’elle a accouché (paragraphe 15 ci-dessus). La Cour, pour sa part, a employé les termes d’« intérêts privés » pour désigner ceux de l’enfant et de la mère dans l’arrêt Odièvre (§ 49), et alternativement ceux d’ « intérêts et de droits » dans l’arrêt Godelli, tout en privilégiant le premier à l’égard de la mère (§§ 63, 68 et 71). Dans ce contexte, les parties invitent la Cour à retenir que, pour trancher le dilemme conventionnel qui oppose l’anonymat à l’accès aux origines en l’espèce, il y a lieu de prendre en considération le fait que se trouvent en conflit des droits puisés dans l’article 8 par l’enfant, devenu adulte, et par sa mère.
66. La Cour admet que tel est le cas : le droit de la requérante à connaître son ascendance, qui fait partie intégrante de la notion de vie privée, entre en conflit avec les droits et intérêts de sa mère biologique à maintenir son anonymat (Godelli, précité, § 70), cinquante ans après la naissance de son enfant, lequel touche un aspect intime de sa vie personnelle, et constitue une expression particulière du droit à l’autodétermination sous-jacent au droit au respect de la vie privée. Sur le terrain de l’article 8 de la Convention en particulier, où la notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de cette disposition, la sphère personnelle de chaque individu est protégée (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, § 159, 24 janvier 2017). À la différence des affaires Odièvre et Godelli, dans lesquelles les requérantes ne disposaient pas encore ou pas du tout de la possibilité d’engager une procédure de réversibilité du secret, la quête de la requérante en l’espèce, portée devant le CNAOP et les juridictions internes, l’oppose frontalement à sa mère biologique, et à la volonté de celle-ci, dans un temps qui n’est plus celui de la naissance, de rester anonyme. Dans ce contexte, la Cour considère qu’il convient de prendre en compte strictement et à égalité la volonté de l’une et de l’autre, étant précisé que les autres intérêts concurrents mis en balance dans ces affaires passent à l’arrière-plan du litige.
‒ Marge d’appréciation
67. En plus de la jurisprudence rappelée plus haut (paragraphe 52 ci‑dessus), la Cour rappelle que le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants (Odièvre, précité, § 46, Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention, [GC], demande no P16-2018-001, Cour de cassation française, § 51, 10 avril 2019, O.H .et G.H. c. Allemagne, nos 53568/18 et 54741/18, § 129, 4 avril 2023).
68. En l’espèce, les considérations qui précèdent au paragraphe 66 ci‑dessus amènent la Cour à constater que l’examen du « juste équilibre » tend à se resserrer autour de deux droits et intérêts privés. En outre, elle ne perd pas de vue que la question de l’accouchement sous X continue de soulever des questions éthiques délicates, du point de vue des femmes, et en particulier de leur santé et de leur intégrité physique et psychique (Odièvre, § 44, voir, également, paragraphe 37 ci-dessus). Ces éléments militent en faveur de la reconnaissance d’une ample marge d’appréciation.
69. Il faut toutefois prendre en compte la circonstance qu’un aspect particulièrement important de l’identité d’un individu est en jeu dès lors que l’on touche au droit de connaître son ascendance. C’est tout particulièrement le cas de l’enfant à la recherche de ses origines et de l’identité de son géniteur (Odièvre, § 29, Mikulić, précité, § 54). Au surplus, la Cour observe que la France continue de se trouver minoritaire parmi les États membres du Conseil de l’Europe qui, dans leur majorité, ne connaissent pas l’institution de l’accouchement dans le secret sous une forme aussi poussée que celle organisée par le droit interne (paragraphes 39 et 40 ci-dessus). Par conséquent, la Cour estime que ces éléments réduisent la marge d’appréciation de l’État en l’espèce.
‒ Mise en balance des droits et intérêts concurrents en présence
70. La question qui se pose est donc celle de savoir si, en rejetant la demande de communication de l’identité de la mère, sur le fondement de la volonté de cette dernière de ne pas lever le secret et sur l’équilibre ainsi voulu par le législateur en matière d’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État, l’État défendeur, compte tenu de la marge d’appréciation dont il disposait, s’est fondé sur des motifs pertinents et suffisants et a ménagé un juste équilibre entre, d’un côté, le droit de la requérante à connaître sa mère biologique et, de l’autre, les droits et les intérêts de cette dernière à maintenir son anonymat.
71. À cet égard, la Cour note que les juridictions internes ont validé le système de réversibilité du secret mis en place en 2002 qui garantit, selon elles, de manière équilibrée le respect de la vie privée de la requérante et celle de sa mère. Le tribunal administratif et la cour administrative d’appel ont jugé que la compétence du CNAOP et l’office du juge ne s’étendaient pas au contrôle du bien-fondé de l’opposition ainsi manifestée de la mère vis-à vis de l’atteinte portée à la vie privée de la requérante en quête de ses origines. Le Conseil d’État a ensuite confirmé cette analyse en fondant le rejet du pourvoi de la requérante sur le caractère équilibré du système mis en place par la loi de 2002 et de la conciliation opérée entre le respect dû « au droit à l’anonymat garanti à la mère lorsqu’elle a accouché » et le « souhait légitime de l’enfant né dans ces conditions de connaître ses origines ». Il a en outre précisé que la communication à la requérante d’informations sur sa naissance suffisait à considérer qu’il n’avait pas été porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée protégé par l’article 8 de la Convention.
72. En l’espèce, la Cour rappelle, en premier lieu, avoir déjà reconnu que les droits et intérêts en cause, ceux de deux adultes jouissant chacune de l’autonomie de sa volonté, étaient difficilement conciliables (Odièvre, précité, § 44). En effet, d’un côté, accoucher dans le secret et lever ce dernier sont des actes strictement personnels, et il ne faut pas sous-estimer l’impact qu’une telle levée pourrait avoir sur la vie privée de la mère de son vivant ou celle de son entourage. En ce qui concerne la mère biologique de la requérante, la Cour note qu’elle a accouché dans le secret en 1952, soit à une période où la législation ne prévoyait pas que la mère soit contactée pour exprimer sa volonté d’accepter ou de refuser de lever le secret de son identité. D’un autre côté, la douleur que peut causer le maintien du secret, alors même que l’enfant devenu adulte sait sa mère de naissance en vie, doit être prise au sérieux. Dans le cas de la requérante, la Cour souligne que la recherche de ses origines apparaît comme un élément fondamental de sa construction identitaire, qui s’accompagne de souffrances morales et psychiques (Godelli, précité, § 69, Jäggi c. Suisse, no 58757/00, § 40, CEDH 2006‑X).
73. La Cour reconnaît que la possibilité pour la mère recherchée d’exprimer sa volonté que la communication de son identité ne soit pas divulguée après son décès, ce qu’elle a fait en l’espèce, pose une question particulière au regard de la conciliation des droits et intérêts car son choix de l’anonymat dans cette situation pourrait peser d’un poids différent dans la balance. Cela étant, elle ne considère pas que ce point doit faire l’objet d’un examen séparé de celui, exposé plus bas, du mécanisme de réversibilité du secret mis en place par la France : il n’a pas été spécifiquement invoqué devant les juridictions internes saisies, et, par ailleurs, si la situation se présentait, la requérante disposerait de la possibilité de porter une nouvelle demande devant le CNAOP et de contester sa décision devant les juridictions internes. En conséquence, et conformément au principe de subsidiarité, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si la situation de la requérante doit changer après le décès de sa mère biologique.
74. En ce qui concerne ce mécanisme, et en deuxième lieu, la Cour relève que si son objectif est de faciliter l’accès aux origines des enfants nés sous X, il opte pour un aménagement de cet accès qui aboutit, en cas de refus de la mère de révéler son identité, à priver l’enfant, devenu adulte, du droit de connaître cette dernière. La requérante allègue que ce système n’assure aucun équilibre entre les droits et intérêts en présence puisque son droit à connaître ses origines est entièrement paralysé par cette décision. Il est vrai que dans cette situation, son droit est totalement inconciliable avec les droits et intérêts de sa mère biologique : le refus de cette dernière, en toutes circonstances, fait obstacle à l’accès à son identité qui dépend exclusivement de sa décision.
75. La requérante soutient que la décision du CNAOP de lui opposer ce refus est de nature à créer une rupture de l’équilibre entre les deux droits et intérêts en présence ; elle considère que la Cour a adopté une position dans ce sens dans l’arrêt Godelli. La Cour ne souscrit pas à un tel argument car il s’écarte de sa propre appréciation sur la question de savoir où se situe le point d’équilibre entre les droits et intérêts en jeu dans les affaires d’accouchement sous X.
76. Dans l’arrêt Odièvre, la Cour rappelle avoir jugé l’équilibre ménagé par les autorités internes juste et raisonnable aux motifs que la requérante pouvait s’adresser au CNAOP à peine créée pour tenter d’obtenir la réversibilité du secret et qu’elle avait pu avoir accès à des données non identifiantes sur sa mère biologique et sur sa famille. Dans l’arrêt Godelli, elle a considéré que tel n’était pas le cas dans la mesure où le droit italien n’offrait pas à la requérante de recours à une telle fin ni ne lui avait donné la possibilité d’obtenir des informations non identifiantes sur son histoire. Ainsi donc, dans ces deux arrêts, la Cour n’a pas mis en cause la possibilité pour les États concernés de maintenir la faculté pour les femmes d’accoucher dans l’anonymat mais jugé nécessaire qu’ils organisent, en présence d’un tel système d’anonymat, une procédure permettant de solliciter la réversibilité du secret de l’identité de la mère, sous réserve de l’accord de celle-ci, et de demander des informations non identifiantes sur ses origines (Odièvre, précité, § 49, Godelli, précité, §§ 70 et 71).
77. Il en résulte, en troisième lieu, et enfin, que la Cour ne voit pas de raison de remettre en question le point d’équilibre entre les droits trouvé par les autorités internes en l’espèce. S’il est regrettable que l’accès aux origines ait pesé dans la balance en tant que « souhait légitime » et non comme un droit subjectif, à l’instar du droit d’accoucher sous X, la Cour n’entend pas tirer de conclusions de fond à partir de ce constat pour les raisons suivantes.
78. La Cour relève, d’une part, que le CNAOP a recueilli un certain nombre d’informations non identifiantes qu’il a transmises à la requérante (paragraphes 6, 8 et 10 ci-dessus) et qui lui ont permis de comprendre les circonstances de sa naissance. Il a par ailleurs effectué des démarches auprès de sa mère biologique qui a été informée du dispositif d’accès aux origines personnelles et de la possibilité de toujours revenir sur sa décision en reprenant contact avec lui. La Cour souligne que la gravité de l’ingérence portée dans la vie privée de la requérante du fait du refus de sa mère biologique ne doit pas occulter l’importance de la mission du CNAOP ; d’un point de vue de l’économie générale du mécanisme de réversibilité, les rapports d’activité de ce Conseil montrent clairement les avancées concrètes qu’il a permis d’obtenir en faveur des personnes nées sous X (paragraphes 33 à 36 ci-dessus).
79. La Cour constate, d’autre part, que la requérante a ensuite bénéficié d’une procédure juridictionnelle devant les juridictions internes au cours de laquelle elle a pu faire valoir ses arguments de manière contradictoire. Le Conseil d’État a admis la compatibilité des règles d’accès à l’identité de la mère biologique, fixées par le code de l’action sociale et des familles, avec l’article 8 de la Convention, puis relevé que la requérante avait pu obtenir des informations non identifiantes sur son histoire personnelle, avant de conclure que le refus contesté ne portait pas une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée.
80. La Cour constate qu’en se référant au choix du législateur de ne pas autoriser une levée inconditionnelle du secret de l’identité, et en jugeant que les règles d’accès aux informations non identifiantes avaient permis de remplir la requérante du droit qu’elle tire de l’article 8 de la Convention, le Conseil d’État a justifié sa décision par la finalité poursuivie par la réforme législative de 2002, inchangée depuis lors (paragraphes 25, 38 et 64 ci‑dessus), si ce n’est en faveur des personnes nées sous X (paragraphe 23 ci‑dessus), à savoir la réalisation d’un compromis entre les droits et intérêts en jeu par le biais d’une procédure de conciliation visant à faciliter l’accès aux origines sans pour autant renier l’expression de la volonté et du consentement de la mère (Odièvre, §§ 16 et 17 ; voir, également, le système de conciliation des droits opéré par les autorités italiennes à la suite du prononcé de l’arrêt Godelli, précité, paragraphe 41 ci-dessus).
81. La Cour ne sous-estime pas l’impact que le refus litigieux doit avoir eu sur la vie privée de la requérante. Toutefois, compte tenu de ce qu’elle a dit aux paragraphes 64 et 76 ci-dessus, elle considère, que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de se départir de la solution retenue par le juge interne.
iii. Conclusion
82. De l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que l’État n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation et que le juste équilibre entre le droit de la requérante de connaître ses origines et les droits et intérêts de sa mère biologique à maintenir son anonymat n’a pas été rompu.
83. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 janvier 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Martina Keller Georges Ravarani
Greffière adjointe Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge S. Mourou-Vikström.
G.R.
M.K.
OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE MOUROU-VIKSTRÖM
Je ne peux pas me joindre à la majorité qui a conclu à une non-violation de l’article 8 dans cette affaire.
Rappelons que la requérante a appris en 2008, alors qu’elle était âgée de 56 ans, que sa mère biologique avait accouché sous X... et qu’elle avait été adoptée peu de temps après sa naissance. Il est compréhensible que suite à une telle révélation bon nombre de personnes se lancent dans la recherche de l’identité de leur parents biologiques. Commence ainsi « le combat d’une vie », rythmé par des doutes, des interrogations et des remises en cause personnelles. Des recherches privées, des démarches administratives et des procédures judiciaires jalonnent la quête de la vérité.
La loi du 22 janvier 2022 a certes donné la possibilité de lever le secret et a créé le CNAOP (Conseil national pour l’accès aux origines personnelles), destiné à jouer le rôle d’intermédiaire entre les mères ayant accouché sous X... et les enfants devenus adultes souhaitant connaître leur identité.
Cette porte ouverte à la réversibilité du secret reste toutefois soumise à la volonté ultime absolue de la mère.
La loi a cherché à trouver un équilibre entre l’anonymat garanti à la mère biologique et le souhait légitime de l’enfant de connaître ses origines. Mais le système laisse le dernier mot à la mère et à sa possible intransigeance, lui offrant une protection totale, même avec l’écoulement du temps.
Ainsi, la requérante dans la présente affaire a eu accès à quelques bribes d’information concernant les conditions et les circonstances de son abandon, mais fut informée qu’elle n’en saurait pas plus et ne connaîtrait pas l’identité de sa mère de naissance, qui contactée par les services du CNAOP a exprimé la volonté catégorique d’« être laissée en paix », y compris après son décès.
Ainsi, conformément à la loi, le CNAOP prit acte de la volonté de la mère et opposa à la requérante un refus de tout élément permettant d’identifier sa mère. La transmission de son dossier anonymisé a maintenu la cruauté du secret.
Les recours devant les juridictions judiciaires nationales, à savoir, tribunal administratif de Nouméa, la Cour d’Appel de Paris et le Conseil d’État saisi d’un pourvoi ont tous convergé dans le même sens, celui de la protection de la volonté de la mère et du refus de contrôler le bien fondé de sa décision. Dans la pesée des intérêts en présence, la balance penche donc en faveur de la mère et du maintien de son anonymat, au détriment du droit de l’enfant à savoir qui sont ses parents biologiques. Pourquoi ce rapport de force déséquilibré est-il maintenu entre des intérêts pourtant tous deux protégés par la Convention et qui ont vocation à évoluer avec le temps.
L’idée sous-tendant ces positions n’est-elle pas la consécration et la valorisation de la famille légale, celle qui a éduqué et élevé l’enfant au détriment de l’autre famille, celle du sang qui ne serait que secondaire ? Le lien affectif serait plus fort que le lien biologique. Telle semble être la position définissant l’équilibre des droits.
L’arrêt Odièvre a validé en 2002 le système d’accès aux origines qui venait tout juste d’être mis en place. Il demeure la référence jurisprudentielle incontournable en la matière. Il semble pourtant toutefois utile de relever que le ratio des votes en diminue notablement la portée. En effet, sept opinions dissidentes fortes ont contesté le constat de non-violation et n’ont pas admis que le juste équilibre entre les intérêts de la mère et ceux de la requérante était atteint. Depuis cette décision qui a plus de 20 ans, le consensus sur le droit à connaître ses origines se dessine, rendant par là-même la marge d’appréciation des États plus étroite. Par ailleurs, des études et des témoignages tant des mères que des enfants nés sous X... ont révélé la cruauté, pour certains, des effets à long terme d’un tel système. Pour les mères, il s’agit de gérer une décision d’abandon, et pour l’enfant, il s’agit de construire son identité dans l’ignorance de ses origines. La cour reconnaît avec constance que l’obtention d’information sur l’identité de ses géniteurs constitue un intérêt vital nécessaire à l’épanouissement personnel qui relève de la vie privée de l’enfant puis de l’adulte garantit par l’article 8 de la Convention.
Il ne fait pas de doute qu’une violation, à fortiori procédurale, n’aurait pas eu pour effet de remettre en cause le principe de l’accouchement sous X... mais de considérer que la protection du droit au secret de la mère biologique s’estompe au cours du temps au profit du droit de l’enfant, devenu adulte à connaître l’identité de sa mère biologique. Ainsi, le débat n’a pas évolué depuis l’affaire Odièvre qui justifiait les limites du contrôle de la Cour en posant la question « Le droit de savoir signifie-t-il le devoir de divulguer ? ». Le débat se trouve étriqué et ne prend pas en compte l’évolution des situations personnelles qui conditionnent la force des droits et des intérêts.
Certes, on peut comprendre que l’accouchement dans le secret est un choix offert à des femmes, parfois très jeunes et souvent désemparées pour lesquelles la perspective d’être mère et d’éduquer un enfant sont insurmontables.
Toutefois, si la protection par un secret absolu de la mère au moment de la naissance et du début de la vie de l’enfant fait primer le secret sur le droit de l’enfant de connaître ses origines, il convient de considérer que cet équilibre varie au fil des année et que les intérêts en présence se rapprochent. Un équilibre est atteint pour ensuite donner lieu à une inversion du rapport de force. Le droit de savoir prend le dessus et le maintien du secret devient incompatible avec la protection du droit à connaître ses origines tel que garanti par l’article 8 de la Convention.
Une telle analyse prenant en considération les droits de la requérante et leur évolution dans le temps en parallèle avec les droits estompés de la mère ne peut que conduire à une violation de l’article 8 de la Convention.
Le maintien du secret après le décès de la mère ne peut pas se comprendre au regard des intérêts en présence et de l’effacement quasi complet des raisons qui pourraient justifier un choix post mortem d’anonymat, considérant qu’aucun droit de filiation ne pourra jamais être établi et qu’aucune conséquence juridique ou financière n’en découlera.