TROISIÈME SECTION
AFFAIRE I.L. c. SUISSE (No 2)
(Requête no 36609/16)
ARRÊT
Art 3 (matériel) • Traitement inhumain et dégradant • Détention du requérant en isolement au sein d’établissements pénitentiaires ne pouvant lui offrir des soins appropriés, combinée avec l’infliction de sanctions disciplinaires assorties quelquefois du recours aux menottes • Exacerbation de la souffrance de l’intéressé liée à sa maladie mentale
Art 5 § 1 • Arrestation ou détention régulières • Art 5 § 1 e) • Aliéné • Privation de liberté irrégulière faute d’avoir été effectuée dans un établissement approprié
Art 5 § 4 • Demande de libération non examinée « à bref délai »
STRASBOURG
20 février 2024
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire I.L. c. Suisse (no 2),
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Pere Pastor Vilanova, président,
Jolien Schukking,
Yonko Grozev,
Darian Pavli,
Ioannis Ktistakis,
Andreas Zünd,
Oddný Mjöll Arnardóttir, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,
Vu :
la requête (no 36609/16) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet État, M. I.L. (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 23 juin 2016,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement suisse (« le Gouvernement ») les griefs soulevés par le requérant sur le terrain de l’article 3, de l’article 5 §§ 1 e) et 4 et de l’article 13 de la Convention relativement à l’illégalité alléguée de sa détention du 24 juin 2011 au 25 février 2016, aux conditions, mauvaises selon lui, dans lesquelles elle s’est déroulée, à la durée prétendument excessive de l’examen de la demande de libération formée par lui le 17 septembre 2014, et enfin à la circonstance qu’il n’aurait pas disposé d’un recours effectif lui permettant de se plaindre de la médication sous contrainte à laquelle il a été soumis,
la décision de ne pas dévoiler l’identité du requérant,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 janvier 2024,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L’affaire concerne la régularité de la détention du requérant dans le cadre d’une mesure thérapeutique institutionnelle qui avait été prononcée à son égard, les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette détention, et la durée de l’examen de la demande de mise en liberté formée par l’intéressé.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1988 et réside à Ostermundigen. Il a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire et a été représenté par Me J. Burkhalter, avocat à Aarau.
3. Le Gouvernement a été représenté d’abord par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l’Office fédéral de la Justice, puis par ses agents, M. F. Schürmann et M. A. Chablais, également de l’Office fédéral de la Justice.
1. LES CONDAMNATIONS PRONONCÉES CONTRE LE REQUÉRANT
4. Le 7 juin 2010, le tribunal de district d’Aarberg-Büren-Erlach (Gerichtskreis III Aarberg-Büren-Erlach) condamna le requérant à une peine privative de liberté de sept mois et demi et à une amende pour violences ou menaces contre les autorités et les fonctionnaires, lésion corporelle simple, voies de fait, dommages à la propriété, conduite inconvenante, violation de domicile, contraventions à la loi sur les stupéfiants, infractions à la loi sur les déchets et violation des règles de la circulation. Le tribunal de district ordonna également que le requérant fût soumis à un traitement ambulatoire.
5. Le requérant purgea sa peine à la prison de Thoune.
6. Par une ordonnance du 8 juillet 2010, la section de l’application des peines et mesures (Abteilung Straf- und Massnahmenvollzug – « la SAPEM ») prononça la libération conditionnelle du requérant, assortie d’un délai d’épreuve d’un an et de l’obligation pour l’intéressé de se soumettre à un traitement ambulatoire.
7. Par une décision du 10 septembre 2010 rendue à la suite de la commission par le requérant de nouveaux actes de violence, le tribunal de district d’Aarberg-Büren-Erlach ordonna le retour de l’intéressé en prison.
8. Par une décision du 27 octobre 2010, la SAPEM ordonna la levée du traitement ambulatoire au motif qu’il paraissait voué à l’échec.
9. Une expertise psychiatrique fut établie le 13 décembre 2010. Il y était constaté – comme dans une précédente expertise en date du 21 mai 2010 – que le requérant souffrait de troubles mixtes de la personnalité avec des traits indiquant une personnalité émotionnellement labile et paranoïaque (correspondant au code F61.0 de la Classification internationale des maladies [CIM-10] de l’Organisation mondiale de la santé) et qu’il se livrait à une consommation nuisible d’alcool et de cannabis. L’expert parvenait à la conclusion qu’une mesure thérapeutique institutionnelle était indiquée à titre transitoire. Les parties pertinentes du rapport d’expertise se lisent comme suit :
« 4. Est-il opportun d’ordonner une mesure thérapeutique stationnaire au sens des articles 59-60 du code pénal, un traitement ambulatoire au sens de l’article 63 du code pénal ou plusieurs mesures au sens de l’article 56a du code pénal ? Un traitement stationnaire est-il le seul moyen propre à prévenir le risque de nouvelles infractions ou un traitement ambulatoire peut-il suffire ? Quelles sont les possibilités de mise en œuvre pratique de la mesure [recommandée] ?
Au vu des nouveaux délits [commis par I.L.] et de l’évolution de la situation, un traitement stationnaire devrait être mis en place pour une durée minimale de 6 mois. Durant cette période, un éventuel traitement ambulatoire devrait être préparé et initié de manière structurée. Dans le cadre du traitement stationnaire, il conviendrait également de recueillir de nouvelles données thérapeutiques permettant l’établissement de pronostics plus fiables quant aux résultats [qu’on pourrait attendre] d’un éventuel traitement ambulatoire. Un séjour en hébergement encadré tel que nous le recommandons, des dispositions garantissant que l’intéressé s’abstienne de toute consommation de drogues et d’alcool, la mise en place d’un traitement psychopharmacologique ainsi qu’un suivi psychothérapeutique intensif sont les mesures qui, au terme de l’expertise, apparaissent indispensables. Il convient dès lors d’adopter une démarche en plusieurs étapes. Aux fins de mise en œuvre d’une telle démarche, il est recommandé d’ordonner la mesure stationnaire, puis la mesure ambulatoire, conformément aux dispositions de l’article 56a du code pénal. La mesure stationnaire recommandée peut être exécutée dans un premier temps dans une clinique psychiatrique ou à l’établissement de St‑Jean. À partir de là, la suite de la procédure peut être décidée. Si de nouvelles données devaient amener à rejeter comme absolument impossible une poursuite du traitement dans un cadre ambulatoire, la mesure stationnaire ainsi entamée devrait être poursuivie. Reste enfin la question de la proportionnalité des mesures recommandées, laquelle relève de la décision du juge. »
10. Le 27 janvier 2011, le requérant fut remis en liberté.
11. Par un jugement du 9 février 2011, le tribunal régional du Jura bernois‑Seeland (Regionalgericht Berner Jura-Seeland – « le tribunal régional ») condamna le requérant à une peine privative de liberté de onze mois pour lésion corporelle simple à l’aide d’un objet dangereux, voies de fait, dommages à la propriété et induction de la justice en erreur. Le tribunal ordonna également une mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l’article 59 du code pénal (CP) (paragraphe 77 ci‑dessous) et suspendit l’exécution de la peine privative de liberté au profit de cette mesure. Il s’appuya à cet effet sur le rapport d’expertise psychiatrique du 13 décembre 2010 (paragraphe 9 ci‑dessus). Il ordonna en outre le placement du requérant en détention pour des motifs de sûreté.
12. Le 24 juin 2011, la Cour suprême du canton de Berne (Obergericht des Kantons Bern – « la Cour suprême cantonale ») revit la peine privative de liberté à la hausse, portant sa durée à quatorze mois, et confirma pour le surplus, à quelques modifications près, le jugement de l’instance précédente. Elle ordonna elle aussi le maintien en détention du requérant pour des motifs de sûreté.
13. Avant d’être placé en exécution de la mesure thérapeutique institutionnelle ordonnée à son égard (paragraphe 19 ci‑dessous), le requérant séjourna à la prison régionale de Thoune du 24 juin au 6 juillet 2011 et du 9 août au 16 novembre 2011 et à la prison régionale de Berne du 7 juillet au 8 août 2011.
2. LE PLACEMENT DU REQUÉRANT EN EXÉCUTION DE LA MESURE THÉRAPEUTIQUE INSTITUTIONNELLE
14. Entre les mois d’août et de septembre 2011, la SAPEM contacta plusieurs institutions en vue du placement du requérant en exécution de la mesure thérapeutique institutionnelle qui avait été prononcée à son égard.
15. Selon une note de la SAPEM du 16 août 2011 portée au dossier du requérant, le Dr H., médecin du centre de psychiatrie légale Im Schachen, se déclara prêt à accueillir le requérant à condition que la durée du séjour de l’intéressé fût limitée dès le départ et qu’un transfert ultérieur fût possible.
16. Selon une note de la SAPEM du 7 septembre 2011, le Dr H. suggéra par ailleurs de s’adresser au centre de psychiatrie légale de Waldau, tandis que le Dr E., médecin du service de psychiatrie légale à l’université de Berne – lequel indiquait qu’il connaissait le cas du requérant parce que celui-ci avait suivi un traitement ambulatoire dans son service – se disait défavorable à cette solution, au motif que le centre en question n’aurait pas été prévu pour des séjours de longue durée.
17. Selon une note de la SAPEM du 27 septembre 2011, contact fut alors pris avec le Dr J., médecin au centre de psychiatrie légale Im Schachen, qui fit savoir qu’il n’y avait pas de places disponibles dans l’institution en question et que la liste d’attente était longue, si bien qu’une admission ne pouvait être envisagée avant dix-huit mois.
18. Par une décision du 17 novembre 2011, la SAPEM ordonna le placement du requérant dans l’établissement pénitentiaire de Thorberg (Justizvollzugsanstalt Thorberg – « la prison de Thorberg ») en exécution de la mesure thérapeutique institutionnelle qui avait été prononcée à son égard. Il était notamment indiqué dans la décision que, pour des raisons de sécurité, le requérant devait être placé dans un premier temps dans le département de sécurité A (Sicherheitsabteilung A) et qu’il serait transféré vers le service thérapeutique dès qu’une place dans le département de psychiatrie se serait libérée et que la direction de l’établissement et le service psychiatrique compétent le jugeraient approprié.
1. La détention du requérant dans la prison de Thorberg
19. Le 18 novembre 2011, le requérant fut transféré à la prison de Thorberg. Il y séjourna jusqu’au 16 mars 2015 (soit trois ans, trois mois et vingt-six jours) dans les conditions suivantes :
– en section de sécurité A (détention en isolement) du 18 novembre 2011 au 18 décembre 2011 (soit un mois), du 12 août 2012 au 14 avril 2013 (soit huit mois et deux jours), du 30 juillet 2013 au 18 novembre 2013 (soit trois mois et dix-neuf jours) et du 16 janvier 2014 au 16 mars 2015 (soit un an et deux mois) ;
– en section de sécurité B (détention en petits groupes) du 19 décembre 2011 au 18 mars 2012 (soit deux mois et vingt-neuf jours), du 15 avril au 29 juillet 2013 (soit trois mois et quatorze jours) et du 19 novembre 2013 au 15 janvier 2014 (soit un mois et vingt-six jours) ;
– en section d’exécution normale du 19 mars 2012 au 11 juin 2012 (soit deux mois et vingt-trois jours) ;
– en section thérapeutique du 12 juin au 11 août 2012 (soit un mois et trente jours).
20. Le règlement de la section de sécurité A de la prison de Thorberg tel qu’en vigueur au moment des faits disposait ce qui suit : ladite section offrait une infrastructure adaptée pour quatre places d’exécution au maximum ; un détenu présentant un potentiel élevé de danger pour autrui y était placé à l’isolement, temporairement ou pendant toute la durée de sa peine ; les détenus étaient tenus de travailler exclusivement aux postes de travail individuels ; en cas de refus de travailler, aucune mesure disciplinaire ne devait être prise, compte tenu du régime spécial qui avait cours dans cette section ; les détenus avaient droit à une heure d’exercice quotidien à l’air libre ; la promenade avait lieu dans une cour de promenade située sur le toit du bâtiment ; pour les consultations médicales et dentaires, les détenus étaient obligatoirement accompagnés par le service de sécurité ; le droit de visite était garanti conformément au règlement de la prison ; enfin, tant pour les visites que pour les consultations psychiatriques et les entretiens avec le service social, une vitre de séparation était prévue.
21. Au cours de son séjour au sein de la prison de Thorberg, le requérant se vit imposer à plusieurs reprises la sanction disciplinaire de mise aux arrêts pour les motifs et les durées suivants :
– non-respect des instructions : six jours d’arrêts par sanction du 22 avril 2014 ;
– refus de travailler : cinq jours d’arrêts par sanction du 11 janvier 2012 ; à nouveau cinq jours d’arrêts par sanction du 2 décembre 2013 ;
– menaces et atteintes à l’intégrité physique de codétenus : cinq jours d’arrêts par sanction du 21 janvier 2012 ; trois jours d’arrêts par sanction du 23 février 2012 ; cinq jours d’arrêts par sanction du 14 juin 2012 ;
– menaces et atteintes à l’intégrité physique du personnel : cinq jours d’arrêts par sanction du 17 juillet 2012 ; seize jours d’arrêts par sanction du 27 juillet 2012 (à raison de l’agression par le requérant d’un employé du service thérapeutique) ; dix jours d’arrêts par sanction du 6 janvier 2014 ;
– insubordination : sept jours d’arrêts par sanction du 14 septembre 2012.
22. La sanction disciplinaire de mise aux arrêts était régie comme suit par le règlement intérieur de la prison de Thorberg tel qu’en vigueur à l’époque des faits : la sanction était purgée dans une cellule disciplinaire ; le placement en cellule disciplinaire entraînait pour la personne visée l’exclusion du travail ainsi que la privation de loisirs, d’achats, de visites et de congés ; le détenu concerné gardait la possibilité de passer au moins une heure par jour à l’extérieur ; il était surveillé, et le recours aux services de santé était prévu en cas de nécessité.
23. Selon les documents soumis par le Gouvernement, parmi les cellules dans lesquelles séjourna le requérant, deux étaient équipées au moment des faits d’anneaux encastrés dans le mur ainsi que d’un dispositif permettant une surveillance par caméra depuis le centre de contrôle de l’établissement. Selon les mêmes documents, le requérant fut menotté lors de deux de ses séjours en cellule disciplinaire : dans le cadre de l’exécution de la sanction du 14 septembre 2012, pendant cinquante minutes, et dans le cadre de l’exécution de la sanction du 22 avril 2014, pendant une heure et trente‑cinq minutes. Selon le Gouvernement, il n’est pas possible d’affirmer que le requérant ait été menotté à l’aide des anneaux encastrés dans le mur.
24. Par une lettre du 31 juillet 2012, la SAPEM demanda au centre de thérapie médicolégale stationnaire de Rheinau auprès de l’Hôpital cantonal de Zurich (« la clinique de Rheinau ») d’accueillir le requérant.
25. Par une décision du 7 août 2012, la SAPEM ordonna le placement du requérant dans la section de sécurité A de la prison de Thorberg. La SAPEM indiquait entre autres que, compte tenu du déroulement difficile de l’exécution et des sanctions déjà prononcées à plusieurs reprises à l’encontre du requérant à raison de son comportement menaçant et violent (dont celle de seize jours d’arrêts imposée le 27 juillet 2012 à la suite de l’agression qu’il avait fait subir à un collaborateur de la section thérapeutique), il était clairement prouvé que l’intéressé représentait un danger considérable tant pour le personnel pénitentiaire que pour ses codétenus et qu’il ne pouvait plus séjourner dans la division thérapeutique.
26. Par une lettre du 10 août 2012 en réponse à la demande de la SAPEM du 31 juillet 2012 (paragraphe 24 ci‑dessus), l’administration de la clinique de Rheinau refusa d’accueillir le requérant. Elle fondait son refus sur la circonstance que l’intéressé ne souffrait pas de troubles psychiques de type schizophrénique, lesquels constituaient la spécialité de l’établissement. Elle recommandait à la SAPEM de s’adresser au service de psychiatrie légale de l’établissement pénitentiaire de Pöschwies, expliquant que cette institution était spécialisée dans le traitement des délinquants violents et sexuels souffrant de troubles de la personnalité.
27. Dans son rapport de gestion du 28 septembre 2012, l’administration de la prison de Thorberg informa la SAPEM de la manière dont se déroulait l’exécution de la mesure qui avait été prononcée à l’égard du requérant, du comportement de celui-ci ainsi que des sanctions disciplinaires qui lui avaient été imposées. Le rapport indiquait qu’il était évident (« [e]s ist offensichtlich ») que la mesure ordonnée par le tribunal ne pouvait être exécutée avec succès dans un cadre tel que celui qu’offrait cet établissement et que le requérant avait besoin d’un environnement psychiatrique stationnaire sécurisé pour qu’on pût envisager de légers progrès dans son comportement. L’administration recommandait également une évaluation de la possibilité d’une médication psychiatrique ainsi que le transfert de l’intéressé, le plus rapidement possible (« die raschest mögliche Versetzung »), vers une institution psychiatrique telle que le service de psychiatrie légale de Bâle ou l’établissement de psychiatrie légale Étoine (« la station Étoine »).
28. Selon un rapport thérapeutique du 3 octobre 2012 du service intégré de psychiatrie légale de l’université de Berne (forensisch psychiatrischer Dienst – « le SPL »), le requérant avait suivi, depuis le 17 janvier 2012, dix‑huit séances de thérapie individuelle dans le cadre d’un traitement adapté à ses troubles et aux infractions qu’il avait commises. Il se serait lui-même décrit comme tout à fait capable de tirer profit d’une thérapie et motivé pour bénéficier d’un tel traitement, et aurait manifesté un intérêt particulier pour les propositions de thérapie de groupe. Jusqu’à son éviction de la section thérapeutique à la suite de l’incident disciplinaire du 27 juillet 2012 (paragraphe 21 ci‑dessus), il se serait présenté régulièrement aux rendez-vous qui lui étaient proposés. Selon le rapport, le requérant refusait tout entretien thérapeutique depuis septembre 2012, période correspondant à sa réadmission dans la section de sécurité A.
29. Le 31 janvier 2013, la SAPEM, donnant suite à une recommandation du SPL, demanda une nouvelle expertise psychiatrique du requérant. Dans le rapport qu’ils rendirent le 24 septembre 2013, les deux experts psychiatres mandatés constatèrent que l’intéressé souffrait non seulement de troubles mixtes de la personnalité avec des traits indiquant une personnalité émotionnellement labile, dyssociale, paranoïaque et narcissique, mais aussi de troubles schizotypiques. Ils ajoutaient qu’un traitement du requérant au sein de la section thérapeutique de la prison de Thorberg conduirait très probablement à un surmenage et à une résistance agressive de sa part. Ils précisaient que le nouveau diagnostic qu’ils posaient pouvait contribuer à expliquer l’échec de la thérapie précédente et appeler une nouvelle planification de la thérapie à prévoir. Selon eux, la poursuite de la thérapie impliquait en effet un changement de paradigme dans la détermination du cadre approprié pour le traitement et dans la conception de l’approche thérapeutique pertinente. Il convenait, à leur avis, d’intégrer les objectifs poursuivis jusque-là, par nature axés sur la correction des traits de personnalité liés aux délits commis par l’intéressé, à un concept de traitement global plus complexe, et de les corriger sur certains points. Les experts expliquaient en effet que ce nouveau diagnostic invitait à donner une plus grande importance aux traitements médicamenteux, aux interventions psychoéducatives et aux mesures de soutien, et qu’une approche psychothérapeutique basée sur une collaboration active du plaignant devait être reléguée au second plan jusqu’à nouvel ordre. Ils recommandaient une nouvelle mise en œuvre de la mesure thérapeutique institutionnelle dans un établissement spécialisé tel que la station Étoine ou la clinique de Rheinau.
30. Dans un rapport thérapeutique du 9 octobre 2013, le SPL constata qu’aucune séance de thérapie n’avait eu lieu avec le requérant depuis le précédent rapport, malgré les efforts déployés par le service aux fins d’une reprise du traitement.
31. À une date non précisée dans le dossier, la SAPEM demanda au SPL de prendre position sur la question de savoir si et dans quelles circonstances un traitement médicamenteux du requérant, élément considéré comme absolument nécessaire par les auteurs du rapport d’expertise du 24 septembre 2013, pouvait éventuellement – dans l’hypothèse d’un refus d’admission de la part de la clinique de Rheinau évoquée par les experts – être effectué par le SPL sous la forme d’une médication forcée.
32. Le 7 novembre 2013, la SAPEM demanda à nouveau à la clinique de Rheinau d’admettre le requérant. Elle invoquait à cette fin le nouveau diagnostic de trouble schizotypique dont les experts avaient fait état dans le rapport susmentionné.
33. Le 16 janvier 2014, la clinique de Rheinau répondit qu’elle était en principe prête à accueillir le requérant, mais à la condition sine qua non que fussent clarifiées les bases juridiques d’une éventuelle médication forcée si une telle mesure devait s’avérer nécessaire.
34. Dans un rapport thérapeutique du 16 janvier 2014, le SPL indiqua qu’il était impossible, dans les conditions du moment, de mettre en œuvre la thérapie ordonnée par le tribunal en vertu de l’article 59 du CP. Le Dr E., médecin psychiatre du SPL, y constatait entre autres qu’aucune séance réunissant le requérant et son ancienne thérapeute, le Dr H., n’avait eu lieu. Il expliquait que vers la fin de l’année 2013, il avait repris le dossier du requérant avec l’intention de tenter d’établir prudemment une relation thérapeutique entre lui-même, l’infirmière (Mme W.) et l’intéressé, mais que celui-ci, après s’être montré menaçant envers l’infirmière, avait dû être transféré dans une cellule de détention. Selon le Dr E., le requérant se montrait également très irritable, et il était manifeste qu’il avait fermement décidé de ne participer à aucune thérapie, ce qu’il rappelait à chaque occasion. Le Dr E. concluait que dans ces conditions, le SPL n’organiserait plus, jusqu’à nouvel ordre, de séances de thérapie pour le requérant.
35. Par une lettre du 20 février 2014, le SPL répondit à la demande de la SAPEM relative à la possibilité d’une médication forcée du requérant (paragraphe 31 ci‑dessus). Les Drs E. et K., psychiatres du SPL, indiquèrent notamment que les données empiriques montraient une certaine efficacité de la combinaison d’interventions médicamenteuses, psychoéducatives, psychothérapeutiques et sociothérapeutiques dans le traitement des troubles schizotypiques. Or, observaient-ils, dans l’hypothèse d’un traitement médicamenteux forcé à la prison de Thorberg, l’approche thérapeutique se limiterait à la dimension médicamenteuse : en effet, selon eux, les interventions psychoéducatives et psychothérapeutiques et les mesures sociothérapeutiques de soutien ne pouvaient pas, dans un tel cadre, être proposées à un degré d’intensité cliniquement significatif. Les médecins estimaient en conséquence qu’un tel traitement devait être intégré à un programme thérapeutique global que la prison de Thorberg ne pouvait pas offrir. Ils précisaient qu’un traitement médicamenteux (antipsychotique) du requérant ne pouvait être envisagé que sous la forme de piqûres administrées par voie intramusculaire, et qu’à leur avis la prison de Thorberg constituait un cadre inapproprié pour la mise en place d’un nouveau traitement antipsychotique forcé chez un patient comme le requérant, qui s’y opposait catégoriquement et présentait un potentiel d’agression considérable. Ils expliquaient que dans l’hypothèse où un tel traitement devait être mis en place dans ces conditions, il fallait s’attendre de la part du requérant à des réactions agressives telles que les redoutaient les experts. Estimant en somme que la mise en place dans un cadre tel que celui de la prison de Thorberg d’un traitement antipsychotique forcé administré par voie intramusculaire comportait des risques inacceptables et présentait des chances de succès faibles et que pareil choix était, partant, médicalement et éthiquement douteux, les médecins concluaient qu’une telle solution était clairement contre-indiquée.
36. Le 20 mai 2014, après avoir obtenu le résultat des clarifications juridiques qu’elle avait sollicitées, l’administration de la clinique de Rheinau se déclara prête à accueillir le requérant. Elle précisa toutefois qu’il n’y avait, à cette date, pas de place disponible et que le délai d’attente était de plusieurs mois.
37. Il ressort d’un rapport du 4 juin 2014 de la direction de la prison de Thorberg que le requérant avait été placé dans la division de sécurité A pour six mois au maximum à la suite de l’incident impliquant Mme W. et le Dr E. qui avait eu lieu le 16 janvier 2014 (paragraphe 34 ci‑dessus). Selon le rapport, le requérant n’entretenait de contacts qu’avec le personnel du service de sécurité lors de l’ouverture des cellules ; avec ses codétenus, il n’avait aucun contact ; des visites de proches avaient lieu, mais avec une vitre de séparation. L’administration de la prison précisait que l’établissement n’était pas en mesure d’offrir un environnement approprié pour l’exécution de la mesure thérapeutique qui avait été prononcée à l’égard du requérant. Elle invoquait sur ce point l’absence de tout progrès dans le comportement de l’intéressé et l’impossibilité où elle se trouvait, étant donné le danger qu’il était susceptible de représenter pour le personnel ou ses codétenus, de le placer dans une autre section de l’établissement.
2. La détention du requérant dans l’établissement pénitentiaire de Lenzbourg
38. Le 12 mars 2015, le requérant fut transféré à l’établissement pénitentiaire de Lenzbourg (« la prison de Lenzbourg »), où il séjourna jusqu’au 6 janvier 2016. Il y fut placé dans la section de sécurité II (« SITRAK II ») du 12 au 23 mars 2015 (soit douze jours), puis dans la section de sécurité I (« SITRAK I ») du 24 mars 2015 au 6 janvier 2016 (soit neuf mois et quatorze jours).
39. La détention dans la SITRAK I se faisait selon le même régime (à savoir l’isolement) et dans les mêmes conditions que dans la section de sécurité A de la prison de Thorberg (paragraphe 20 ci‑dessus). Le règlement de la SITRAK I prévoyait quatre niveaux de sécurité, le niveau zéro correspondant au régime le plus restrictif. Un détenu relevant du niveau de sécurité zéro était placé dans une cellule de sécurité, mais conservait un droit de promenade et de douche, ainsi que les droits à courrier avec censure, à des visites (avec vitre de séparation) et à des entretiens de prise en charge individuelle (avec ou sans vitre de séparation).
40. Au cours de son séjour dans la prison de Lenzbourg, le requérant se vit imposer les sanctions disciplinaires suivantes : pour insultes à des agents pénitentiaires et comportement perturbateur, transfert au niveau de sécurité zéro pour trente jours avec permission de promenade (éventuellement avec des menottes) et de douche à partir du deuxième jour en cas de bonne conduite (sanction du 1er juillet 2015) ; pour insultes à des employés de la prison, transfert au niveau de sécurité zéro pour quatorze jours, permission de promenade (avec des menottes) et de douche à partir du deuxième jour en cas de bonne conduite (sanction du 5 octobre 2015) ; pour comportement agressif, transfert au niveau de sécurité zéro pour trente jours et promenade uniquement avec des menottes jusqu’à nouvel ordre (sanction du 16 novembre 2015).
41. Par une décision du 25 septembre 2015, la SAPEM autorisa le maintien du requérant dans la SITRAK I pour six mois supplémentaires. Elle faisait valoir que depuis le mois de mars 2015, l’intéressé avait provoqué quatre incidents, dont certains graves, puisqu’il avait notamment menacé à plusieurs reprises et agressé physiquement des agents pénitentiaires et avait commis des dégradations des équipements de la prison. Étant donné la violence verbale et physique ainsi manifestée par le requérant, la SAPEM considérait qu’il représentait un danger pour les tiers, et que, par conséquent, les motifs pour lesquels il avait été admis à la SITRAK I existaient toujours.
42. Le 19 novembre 2015, la direction de la police et des affaires militaires du canton de Berne (« la DPAM ») demanda à la direction de la prison de Lenzbourg ainsi qu’au service de santé et au service psychiatrique et psychologique de cet établissement de prendre position sur l’« aptitude à la détention » du requérant.
43. Par une lettre du 25 novembre 2015, le Dr R., médecin au centre de psychiatrie d’Argovie, apporta à la demande susmentionnée les éléments de réponse suivants. Elle indiqua qu’elle avait convoqué le requérant à une consultation psychiatrique peu de temps après son entrée à la SITRAK I de l’établissement pénitentiaire de Lenzbourg et qu’un bref contact personnel avait eu lieu à cette occasion. Elle précisait que le requérant avait toutefois interrompu l’entretien au bout de quelques minutes. Elle ajoutait que depuis lors, elle n’avait plus eu de rendez-vous personnels avec le requérant, mais qu’elle restait informée par l’intermédiaire du chef de la SITRAK I de l’état de l’intéressé et du comportement qu’il manifestait. Elle expliquait que le requérant ne présentait pas jusque-là de signes susceptibles d’indiquer une mise en danger de soi, ni par une tendance à l’automutilation, ni par une tendance suicidaire. Tout en préconisant un transfert rapide vers la clinique de Rheinau, le médecin estimait que le cadre de la SITRAK I était à ce moment-là acceptable pour le requérant du point de vue psychiatrique. Elle concluait sa lettre dans les termes suivants : « [d]u point de vue de la psychiatrie légale, je tiens à souligner une fois de plus qu’il est indiqué de transférer rapidement [le requérant] vers le centre de psychiatrie légale de Rheinau en vue d’un traitement stationnaire. Le traitement nécessaire ne peut être effectué à la SITRAK I de l’établissement pénitentiaire de Lenzbourg ».
44. Il ressort du rapport hebdomadaire sur le comportement du requérant établi par la prison de Lenzbourg pour la période du 28 novembre au 4 décembre 2015 que l’intéressé, pendant cette période, imitait quelquefois les aboiements d’un chien.
3. La détention du requérant dans l’établissement pénitentiaire de Bostadel
45. Par une décision du 6 janvier 2016, la SAPEM ordonna le transfert du requérant vers l’établissement pénitentiaire de Bostadel (« la prison de Bostadel ») et son placement à l’isolement dans la section de sécurité A de cet établissement. L’intéressé y séjourna jusqu’au 25 février 2016 (paragraphe 50 ci‑dessous).
46. Selon le règlement intérieur de la prison de Bostadel en vigueur au moment des faits, les conditions de détention dans la section de sécurité A de cet établissement étaient, quant au travail, aux promenades et aux visites extérieures, semblables à celles qui avaient cours dans la section de sécurité A de la prison de Thorberg (paragraphe 20 ci‑dessus).
47. Dans un rapport du 27 janvier 2016, le psychiatre de la prison de Bostadel constata, entre autres, que le requérant se montrait imprévisible, difficile et dangereux et qu’il était difficilement accessible sur le plan émotionnel. Les sautes d’humeur de l’intéressé, ses pensées et ses accès d’impulsivité étaient, selon le médecin, difficilement compréhensibles.
48. Le 8 février 2016, la direction de la prison de Bostadel demanda d’urgence à la clinique de Rheinau de prendre en charge le requérant. Elle avisa la clinique que l’intéressé avait un comportement extrêmement provocant, se montrait verbalement outrancier, criait souvent dans sa cellule et se parlait à lui‑même la nuit.
49. Le 24 février 2016, la direction de la prison de Bostadel fit savoir par téléphone à la SAPEM que le requérant discutait dans sa cellule avec trois personnes imaginaires.
4. Le transfert du requérant à la station Étoine, sa médication sous contrainte et la procédure y relative
50. Par une décision du 25 février 2016, la SAPEM ordonna le transfert du requérant à la station Étoine pour un séjour d’une durée de six semaines. Elle estimait qu’un traitement et un examen psychiatriques supplémentaires étaient indispensables, eu égard à de récentes observations émanant de la prison de Bostadel selon lesquelles l’intéressé présentait des anomalies d’ordre psychotique. Selon la SAPEM, l’état du requérant pouvait présager une décompensation psychique aiguë nécessitant des mesures de traitement immédiates, et l’on soupçonnait en outre une éventuelle maladie schizophrénique de nature à appeler sans délai un traitement psychiatrique et psychothérapeutique et, le cas échéant, un traitement médicamenteux dans une institution psychiatrique médicolégale. La SAPEM considérait que la station Étoine était – même si ce n’était que pour un séjour limité à six semaines – une institution appropriée pour la poursuite de l’exécution de la mesure ordonnée en vertu de l’article 59 du CP, compte tenu de la thérapie envisagée pour le requérant, d’une part, et du niveau de sécurité requis dans son cas, d’autre part.
51. Le même jour, à l’entrée du requérant à la station Étoine, les médecins de cet établissement ordonnèrent qu’il fût soumis à une médication sous contrainte, estimant qu’il représentait un danger imminent pour les tiers. Une médication forcée eut ainsi lieu du 25 au 27 février 2016 et, à la suite d’un nouvel épisode de crise psychotique, le 8 mars 2016.
52. Le Gouvernement a présenté les rapports médicaux établis les 25, 26 et 27 février et le 8 mars 2016 par trois médecins de la station Étoine, dont le médecin-chef, sur la médication sous contrainte à laquelle fut soumis le requérant. Il ressort du rapport du 26 février 2016 qu’au cours de la consultation menée par le médecin avec le requérant préalablement à la médication, l’avocat de l’intéressé lui rendit une visite qui dura environ dix minutes. Selon une mention figurant sur tous les rapports, il n’était pas possible, au regard de l’état du requérant, d’informer celui-ci des voies de recours dont il disposait, et il était prévu que cette information lui fût communiquée ultérieurement.
53. Le 26 février 2016, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, introduisit un recours contre la décision du 25 février 2016. Il demandait qu’un effet suspensif fût accordé à son action et qu’il fût statué sans délai sur le recours. Il se plaignait notamment de la médication sous contrainte à laquelle il avait été soumis – en vertu, selon lui, de la décision litigieuse – au moment de son placement à la station Étoine.
54. Par une décision du 3 mars 2016, la DPAM refusa d’accorder l’effet suspensif au recours formé par le requérant. Elle fit valoir, entre autres, que la médication sous contrainte n’avait pas été ordonnée par la décision litigieuse. Le requérant recourut contre cette décision devant la Cour suprême cantonale.
55. Le 21 mars 2016, la Cour suprême cantonale rejeta le recours. Le requérant saisit alors le Tribunal fédéral d’un recours par lequel il contestait la décision de la Cour suprême cantonale et se plaignait notamment d’un retard de justice.
56. Le 18 mai 2016, le Tribunal fédéral considéra que le principe de célérité n’avait pas été violé et, pour le surplus, déclara le recours irrecevable au motif que la décision incidente en cause portait uniquement sur la question de l’effet suspensif et qu’elle n’était pas susceptible de provoquer pour le requérant un préjudice irréparable. La haute juridiction estima en effet que la médication sous contrainte, fondement du préjudice allégué par le requérant, n’avait pas été ordonnée par la décision contestée et ne faisait dès lors pas partie de l’objet du litige. Elle ajouta qu’une décision ordonnant pareille médication devait avoir fait l’objet d’une notification au requérant à laquelle celui-ci pouvait se référer pour former un recours contre cette décision.
57. Dans l’intervalle, par une décision du 5 avril 2016, la SAPEM avait ordonné la poursuite pour une durée non déterminée du traitement du requérant au sein de la station Étoine. Cette décision avait été attaquée par le requérant dans le cadre d’un autre recours, et la DPAM, qui n’avait pas encore statué sur le fond du recours contre la décision du 25 février 2016, avait alors joint les deux procédures.
58. Par une décision du 5 août 2016, la DPAM rejeta les recours pour autant qu’elle les jugeait recevables et qu’ils n’étaient pas devenus sans objet. En ce qui concernait le grief relatif à la médication sous contrainte, la DPAM indiqua qu’il était clair que – comme l’avait constaté le Tribunal fédéral dans son arrêt du 18 mai 2016 – la SAPEM n’avait pas ordonné une médication sous contrainte dans sa décision du 25 février 2016 et que cette question ne faisait donc pas partie de l’objet du litige. Elle ajouta qu’étant donné que la médication sous contrainte appliquée au requérant était une médication sur indication médicale telle que prévue par l’article 62 § 1 en relation avec l’article 64 § 1 de la loi sur l’exécution des peines et mesures du canton de Berne (« la LEPM » ; paragraphe 84 ci‑dessous), la SAPEM n’était pas compétente pour l’ordonner. L’organe en question ne pouvait donc, selon la DPAM, avoir commis de retard ou de déni de justice.
59. Le requérant saisit la Cour suprême cantonale d’un recours contre cette décision. Il demandait que fût constaté un déni de justice tenant à ce que le tribunal inférieur n’avait pas considéré que la question de la médication sous contrainte fît partie de l’objet du litige.
60. Par un arrêt du 13 janvier 2017, la Cour suprême cantonale rejeta le recours. Reprenant les conclusions de la DPAM selon lesquelles la SAPEM n’était pas compétente pour ordonner une médication sous contrainte sur indication médicale et que la légalité de ladite médication ne faisait pas partie de l’objet de la procédure, la Cour suprême cantonale constata que l’instance inférieure n’avait pas à se prononcer sur ce point et qu’il n’y avait pas eu de déni de justice. Le requérant saisit le Tribunal fédéral d’un recours contre cet arrêt.
61. Par un arrêt du 27 avril 2017, le Tribunal fédéral rejeta le recours pour autant qu’il le jugeait recevable. Il fit siennes, notamment, les conclusions des instances inférieures quant au grief relatif à la médication sous contrainte et au déni de justice allégué.
3. LA PROCÉDURE RELATIVE À LA DEMANDE DE LIBÉRATION
62. Entretemps, le 17 septembre 2014, le requérant, représenté par son avocat, avait demandé la levée de la mesure thérapeutique le visant et sa remise en liberté. Le 23 octobre 2014, il s’était plaint en outre d’une violation du principe de célérité.
63. Par une décision du 4 novembre 2014, la SAPEM avait rejeté la demande de remise en liberté du requérant. Celui-ci avait alors saisi la DPAM d’un recours contre cette décision.
64. Par une décision du 19 mars 2015, la DPAM avait rejeté le recours pour autant que le requérant y demandait sa remise en liberté et la levée de la mesure thérapeutique le visant.
65. Le 20 avril 2015, le requérant avait contesté cette décision devant la Cour suprême cantonale. Les observations de la DPAM et du parquet général avaient été communiquées à la juridiction en question le 13 mai 2015 et le 26 mai 2015 respectivement. Le 21 juin 2015, le requérant avait formulé une réplique qui était parvenue à la Cour suprême cantonale le 23 juin 2015. Le 8 juillet 2015, une duplique de la DPAM avait été envoyée au requérant.
66. Le 27 septembre 2015, l’intéressé avait formé devant le Tribunal fédéral un recours pour déni de justice et retard injustifié.
67. Le 6 octobre 2015, la Cour suprême cantonale avait ordonné la levée de la mesure thérapeutique et la libération du requérant dans l’hypothèse où aucune place de thérapie, à la clinique de Rheinau ou dans un autre établissement approprié, ne devait être devenue disponible à la date du 29 février 2016 au plus tard. Quant au grief relatif à la durée de la procédure, elle avait jugé que le principe de célérité n’avait pas été violé.
68. Le requérant avait saisi le Tribunal fédéral d’un recours contre cette décision.
69. Après avoir joint ce recours au recours pour retard et déni de justice susmentionné, le Tribunal fédéral avait débouté le requérant par un arrêt du 29 décembre 2015. Il avait notamment jugé que, sur la base des expertises établies au cours de l’année 2010, la prison de Thorberg pouvait être considérée comme un établissement adapté au traitement du requérant. Il avait rappelé que les séjours du requérant au sein des sections de sécurité étaient dus à la tendance qu’avait l’intéressé à recourir à la violence. Il avait ajouté qu’au regard du nouveau diagnostic de troubles schizotypiques établi à l’endroit du requérant, la prison de Thorberg ne pouvait plus être considérée comme un établissement approprié pour la mise en œuvre du traitement préconisé, contrairement à la clinique de Rheinau. Le Tribunal fédéral avait observé que si ladite clinique n’avait jusqu’alors pas pu accueillir le requérant, c’était pour des raisons de capacité, et il avait conclu que l’instance inférieure n’avait pas violé le droit en ordonnant la levée de la mesure thérapeutique dans l’hypothèse où aucune place de thérapie ne devait être devenue disponible pour le requérant à la date du 29 février 2016 au plus tard. Quant à la proportionnalité de la mesure en cause, le Tribunal fédéral, tout en constatant que le requérant avait déjà été placé pour une période de temps plus de trois fois et demi plus longue que la durée de la peine privative de liberté prononcée à son égard et dont l’exécution avait été suspendue, avait conclu que ladite mesure n’était pas disproportionnée, eu égard notamment à la nécessité d’un traitement, ainsi qu’à la probabilité d’une récidive et à la gravité des délits susceptibles d’être commis. La haute juridiction avait considéré en outre que le pronostic concernant le requérant était défavorable et que, par conséquent, la condition requise pour une libération conditionnelle n’était pas remplie. En ce qui concernait la violation alléguée de l’article 5 § 4 de la Convention à raison d’un retard de justice, le Tribunal fédéral avait noté que ni les différentes étapes de la procédure relative à la demande de levée de la mesure thérapeutique ni la procédure dans son ensemble n’avaient été d’une durée excessive. La haute juridiction avait estimé par ailleurs, sous l’angle des articles 3 et 5 § 1 e) de la Convention, que les périodes de placement dans les sections de sécurité se justifiaient par le comportement agressif du requérant et étaient conformes à la loi. Elle avait également relevé que le requérant avait refusé toutes les propositions d’entretien thérapeutique que lui avait faites, après son séjour au sein de la section thérapeutique où il était manifestement surmené, le service intégré de psychiatrie médicolégale, et que les autorités avaient essayé de lui trouver une place de thérapie adéquate. Le Tribunal fédéral avait conclu qu’eu égard aux circonstances susmentionnées, le séjour au sein des sections de sécurité ne constituait pour le requérant ni une torture ni un traitement inhumain ou dégradant, que certaines périodes d’attente devaient être admises en raison de capacités d’accueil limitées, et qu’en l’occurrence le délai d’attente qu’avait connu l’intéressé n’avait pas dépassé une durée acceptable.
4. AUTRES FAITS PERTINENTS
70. Dans l’intervalle, par une décision du 17 mai 2016, la SAPEM avait ordonné le transfert du requérant à la clinique de Rheinau à compter du 19 mai 2016. Le transfert avait eu lieu à cette date.
71. D’un rapport d’évolution adressé le 30 août 2016 à la SAPEM par la clinique de Rheinau, il ressort ce qui suit quant aux conditions du séjour de l’intéressé dans cet établissement. Traité jusqu’à la date du rapport dans l’une des stations de sécurité de la clinique, le requérant se serait habitué assez rapidement à son environnement et se serait accommodé sans difficulté à l’organisation quotidienne du service. Au fil du temps, il aurait adopté un comportement qui serait devenu au bout du compte constamment aimable, et, quoique réservé, il ne serait pas montré désagréable dans ses contacts avec les autres patients, le personnel soignant et les thérapeutes. Il se serait déclaré désireux d’en savoir plus sur sa maladie et aurait manifesté de l’intérêt pour la psychoéducation de groupe organisée dans l’établissement. Il aurait recouru de sa propre initiative, de façon active et régulière, aux différentes offres thérapeutiques internes (thérapie par le travail, ergothérapie, thérapie sportive). Son activité dans ce cadre aurait été tout à fait satisfaisante et appropriée, et il aurait apporté à l’occasion ses propres idées et ses propres manières de voir, qu’il se serait montré capable de mettre en œuvre avec un bon sens de l’organisation et une persévérance certaine, et dans le respect des règles et des modalités qui étaient convenues. Aucun incident ou situation conflictuelle ne se serait produit pendant toute la durée de son séjour dans l’établissement, et aucun comportement concret en rapport avec le profil délictueux de l’intéressé n’aurait été observé pendant la période de son traitement au sein de la station de sécurité. Les auteurs du rapport considéraient qu’avec l’intégration sans heurt du requérant au groupe des patients, d’une part, sa participation aux activités quotidiennes du service, d’autre part, et enfin l’instauration d’une relation thérapeutique reposant sur une réelle compréhension par l’intéressé de sa maladie et du traitement qu’il suivait, d’importants succès partiels avaient été atteints. Ils estimaient que compte tenu de l’évolution globalement positive du traitement jusqu’à la date du rapport et de la motivation que manifestait le requérant à la perspective d’une poursuite du traitement, le transfert de l’intéressé vers un établissement d’exécution des mesures fermé était indiqué du point de vue de la psychiatrie légale. Par conséquent, la clinique de Rheinau avait demandé le transfert du requérant vers un tel établissement avec octroi à l’intéressé d’une autorisation de sorties accompagnées dans l’enceinte non sécurisée.
72. Le 24 octobre 2016, la SAPEM avait demandé une nouvelle expertise psychiatrique du requérant en vue de prendre position sur l’existence d’un trouble psychique, sur le pronostic légal et sur les progrès qui étaient éventuellement résultés de l’exécution de la mesure de thérapie institutionnelle.
73. L’expertise avait été réalisée par le Dr V., expert en psychiatrie légale, qui avait rendu son rapport le 7 février 2017. Il y indiquait que le requérant était atteint d’une schizophrénie paranoïde à évolution continue au moins depuis 2009. Il y expliquait que même si à l’époque il n’y avait pas de symptômes psychotiques manifestes d’une schizophrénie, le diagnostic de trouble de la personnalité, tel qu’il avait été posé dans les deux expertises précédentes, devait être considéré comme inadéquat, tout comme le soupçon exprimé par le SPL de Berne quant à la présence d’un syndrome d’Asperger et, dans la dernière expertise, le diagnostic de trouble schizotypique. L’expert précisait néanmoins que les évaluations précédentes correspondaient tout à fait à l’état des connaissances de l’époque. Selon lui, la schizophrénie paranoïde du requérant avait été déterminante pour tous les délits commis depuis l’été 2009. Tant le comportement agressif que l’absence de compréhension par l’intéressé de sa maladie avec refus de traitement pendant une très longue période étaient, selon l’expert, très étroitement liés à la schizophrénie paranoïde dont le requérant était atteint. Aussi le comportement du requérant s’était-il radicalement modifié – observait le Dr V. – une fois que la schizophrénie avait pu être traitée, d’abord sous la contrainte, puis sur une base volontaire. Quant au déroulement de la thérapie précédente, l’expert indiquait qu’après une longue période de mesures très défavorables, un traitement adéquat spécifique de la schizophrénie avait pu être mis en place à l’égard du requérant sous la forme de l’administration forcée d’antipsychotiques, ce qui avait permis selon lui de réduire nettement les symptômes psychotiques (en particulier l’irritabilité, l’agressivité et la violence liées aux délits) et de développer chez l’intéressé une compréhension des troubles et une acceptation du traitement.
74. Entretemps, par une ordonnance du 28 décembre 2016, la Cour suprême cantonale avait requis de la clinique de psychiatrie légale de l’université de Berne une nouvelle expertise psychiatrique.
75. Dans un rapport du 11 mai 2017, deux médecins de ladite clinique confirmèrent le diagnostic de schizophrénie paranoïde à l’égard du requérant et l’efficacité du traitement, lequel contribuait selon eux de manière significative à réduire le risque de récidive. Les experts recommandaient la poursuite de la thérapie par neuroleptiques et préconisaient une approche thérapeutique psychoéducative, une mise à l’épreuve progressive et une planification minutieuse des étapes d’assouplissement du traitement. Ils estimaient enfin qu’il fallait prolonger d’au moins trois ans la mesure thérapeutique institutionnelle aux fins de définition des objectifs thérapeutiques pertinents, d’une planification judicieuse des assouplissements à prévoir dans le traitement et de création d’un espace social d’accueil qui protégeât durablement le requérant contre la consommation nocive d’alcool et de drogues.
76. Le 20 juin 2019, le requérant bénéficia, quant à la mesure thérapeutique institutionnelle, d’une libération conditionnelle avec délai d’épreuve de deux ans.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. LE CODE PÉNAL
77. Les dispositions pertinentes du code pénal du 21 décembre 1937 (« le CP »), figurant au recueil systématique de la législation fédérale suisse (« RS ») sous la référence 311.0, se lisent comme suit :
« Chapitre 2 – Mesures
Section 1 – Mesures thérapeutiques et internement
1. Principes
Art. 56
1 Une mesure doit être ordonnée :
a. si une peine seule ne peut écarter le danger que l’auteur commette d’autres infractions ;
b. si l’auteur a besoin d’un traitement ou que la sécurité publique l’exige, et
c. si les conditions prévues aux art. 59 à 61, 63 ou 64 sont remplies.
2 Le prononcé d’une mesure suppose que l’atteinte aux droits de la personnalité qui en résulte pour l’auteur ne soit pas disproportionnée au regard de la vraisemblance qu’il commette de nouvelles infractions et de leur gravité.
3 Pour ordonner une des mesures prévues aux art. 59 à 61, 63 et 64 ou en cas de changement de sanction au sens de l’art. 65, le juge se fonde sur une expertise. Celle-ci se détermine :
a. sur la nécessité et les chances de succès d’un traitement ;
b. sur la vraisemblance que l’auteur commette d’autres infractions et sur la nature de celles-ci ;
c. sur les possibilités de faire exécuter la mesure.
4 Si l’auteur a commis une infraction au sens de l’art. 64, al. 1, l’expertise doit être réalisée par un expert qui n’a pas traité l’auteur ni ne s’en est occupé d’une quelconque manière.
4bis Si l’internement à vie au sens de l’art. 64, al. 1bis, est envisagé, le juge prend sa décision en se fondant sur les expertises réalisées par au moins deux experts indépendants l’un de l’autre et expérimentés qui n’ont pas traité l’auteur ni ne s’en sont occupés d’une quelconque manière.
5 En règle générale, le juge n’ordonne une mesure que si un établissement approprié est à disposition.
6 Une mesure dont les conditions ne sont plus remplies doit être levée.
(...)
2. Mesures thérapeutiques institutionnelles
Traitement des troubles mentaux
Art. 59
1 Lorsque l’auteur souffre d’un grave trouble mental, le juge peut ordonner un traitement institutionnel aux conditions suivantes :
a. l’auteur a commis un crime ou un délit en relation avec ce trouble ;
b. il est à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble.
2 Le traitement institutionnel s’effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures.
3 Le traitement s’effectue dans un établissement fermé tant qu’il y a lieu de craindre que l’auteur ne s’enfuie ou ne commette de nouvelles infractions. Il peut aussi être effectué dans un établissement pénitentiaire au sens de l’art. 76, al. 2, dans la mesure où le traitement thérapeutique nécessaire est assuré par du personnel qualifié.
4 La privation de liberté entraînée par le traitement institutionnel ne peut en règle générale excéder cinq ans. Si les conditions d’une libération conditionnelle ne sont pas réunies après cinq ans et qu’il est à prévoir que le maintien de la mesure détournera l’auteur de nouveaux crimes ou de nouveaux délits en relation avec son trouble mental, le juge peut, à la requête de l’autorité d’exécution, ordonner la prolongation de la mesure de cinq ans au plus à chaque fois.
(...)
Levée de la mesure
Art. 62c
1 La mesure est levée :
a. si son exécution ou sa poursuite paraît vouée à l’échec ;
(...)
c. s’il n’y a pas ou plus d’établissement approprié.
(...)
6 Le juge peut également lever une mesure thérapeutique institutionnelle, avant ou pendant l’exécution de cette mesure, et ordonner, à la place de cette mesure, une autre mesure thérapeutique institutionnelle s’il est à prévoir que cette nouvelle mesure sera manifestement mieux à même de détourner l’auteur d’autres crimes ou délits en relation avec son état.
(...)
Examen de la libération et de la levée de la mesure
Art. 62d
1 L’autorité compétente examine, d’office ou sur demande, si l’auteur peut être libéré conditionnellement de l’exécution de la mesure ou si la mesure peut être levée et, si tel est le cas, quand elle peut l’être. Elle prend une décision à ce sujet au moins une fois par an. Au préalable, elle entend l’auteur et demande un rapport à la direction de l’établissement chargé de l’exécution de la mesure. »
78. Le message du Conseil fédéral du 21 septembre 1998 relatif à la modification du code pénal suisse (Feuille fédérale 1999 II 1787-2221) contient le passage suivant en ce qui concerne le prononcé et l’exécution des mesures (p. 1879) :
« La nouvelle réglementation énoncée au 2e alinéa entend éviter que le tribunal n’ordonne des mesures sans s’assurer au préalable que des institutions susceptibles de les exécuter existent. Cette information sera fournie par l’expert, tenu de s’exprimer sur ce point dans son rapport, ainsi que par les autorités d’exécution. Le tribunal ne saurait toutefois s’arroger des tâches d’exécution et désigner l’institution appropriée. Le placement incombera comme jusqu’ici à l’autorité d’exécution compétente.
Contrairement à l’avant-projet de la commission d’experts, le présent projet n’exige pas que l’institution appropriée soit disposée à accueillir le condamné pour qu’une mesure puisse être ordonnée217. Lorsque la mesure dont l’auteur a besoin devra être exécutée dans un établissement thérapeutique spécial, elle devra être ordonnée si un tel établissement existe. Au demeurant, cette réglementation ne dispense pas les cantons de leur obligation de mettre à disposition les places de thérapie nécessaires.
[217] Lors d’une audition organisée par la commission d’experts, des représentants d’institutions thérapeutiques ont souligné que la pertinence d’une thérapie dépendait dans une large mesure de la possibilité et de la volonté des deux parties de s’attaquer aux problèmes de la personne concernée. Les placements effectués au mépris de cette exigence seraient, selon eux, susceptibles de compromettre le travail de l’institution en tant que telle. Aujourd’hui déjà, le placement dans un établissement thérapeutique implique généralement l’assentiment de celui-ci. L’examen de ces questions ne saurait toutefois être transféré des autorités d’exécution au tribunal. »
2. LA JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL FÉDÉRAL
79. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le placement dans un établissement fermé au sens de l’article 59 § 3 du CP est une question d’exécution qui relève en principe des autorités d’exécution. La haute juridiction a eu l’occasion de dire que la connaissance qu’ont les autorités d’exécution des conditions concrètes régnant dans les différents établissements de leur ressort les met à même, mieux que le tribunal de jugement qui n’a pas de contact direct avec la personne visée ni avec les institutions concernées, de déterminer si une modification de l’exécution s’impose. Il ressort par ailleurs de sa jurisprudence que l’ordonnance d’exécution rendue par les autorités d’exécution en vertu du paragraphe 3 de l’article 59 du code pénal peut être examinée par un tribunal, au moins en appel, et que la personne concernée peut, dans une telle procédure, soulever toutes les objections utiles à la préservation de ses droits (arrêt du 22 octobre 2015, ATF 142 IV 1, considérants 2.4.5 et 2.5). Le Tribunal fédéral a par ailleurs indiqué qu’un placement de longue durée dans un établissement pénitentiaire ou de détention n’est pas admissible – dans la mesure où les conditions de l’article 59 § 3 du CP ne sont pas remplies – car le but de la mesure ne doit pas être entravé. Le placement non temporaire dans un établissement pénitentiaire ou de détention sans traitement adéquat conduit, au fur et à mesure que le temps d’attente augmente, à ce que le but de la mesure – la resocialisation de l’intéressé par un traitement approprié – soit contourné, tout comme le droit de la personne soumise à la mesure à un traitement adéquat (arrêt du 25 avril 2023, 2C_523/2021, considérant 5.8).
3. LA LÉGISLATION DU CANTON DE BERNE
1. La loi sur l’organisation du Conseil-exécutif et de l’administration
80. Les passages pertinents en l’espèce de la loi sur l’organisation du Conseil-exécutif et de l’administration du canton de Berne (la « LOCA ») du 20 juin 1995, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2019, se lisaient comme suit :
« Art. 1 – Mandat
1 Le Conseil-exécutif accomplit les tâches qui lui incombent en vertu de la Constitution et de la législation. Il dirige, planifie et coordonne l’action étatique qui en découle et veille à l’exécution.
(...)
2.2 Administration centrale
2.2.1 Généralités
Art. 25 – Structure
1 L’administration centrale se compose de sept Directions et de la Chancellerie d’État.
(...)
Art. 30 – Direction de la police et des affaires militaires
1 La Direction de la police et des affaires militaires accomplit les tâches qui lui sont attribuées dans les domaines des affaires de police, de la circulation routière et de la navigation, de l’état civil et du droit de cité, de l’immigration, de l’exécution judiciaire, des affaires militaires, de la protection de la population et de la protection civile, de l’approvisionnement économique ainsi que du sport. »
81. Le 1er janvier 2020, la Direction de la police et des affaires militaires est devenue la Direction de la sécurité.
2. La loi sur l’exécution des peines et mesures du canton de Berne
82. Les questions relatives à l’exécution des peines dans le canton de Berne étaient régies au moment des faits par la loi sur l’exécution des peines et mesures du canton de Berne (« la LEPM », publiée au recueil systématique des lois bernoises (« RSB ») sous la référence 341.1) telle qu’en vigueur jusqu’au 30 novembre 2018.
83. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la LEMP relativement à l’autorité chargée de l’exécution des peines et mesures se lisaient comme suit :
« Art. 4 – Direction de la police et des affaires militaires
1 La Direction de la police et des affaires militaires est responsable de l’exécution des peines et mesures dans le canton de Berne.
(...)
Art. 5 – Service compétent de la Direction de la police et des affaires militaires
1 Le service compétent de la Direction de la police et des affaires militaires
a. est, dans le domaine de l’exécution des peines et mesures, « l’autorité compétente » ou « l’autorité d’exécution » selon le droit fédéral, sauf disposition contraire de la loi du 11 juin 2009 portant introduction du code de procédure civile, du code de procédure pénale et de la loi sur la procédure pénale applicable aux mineurs (LiCPM) (...) ;
(...)
c. remplit, avec ses sections et établissements d’exécution, toutes les tâches liées à l’exécution des peines et mesures prononcées contre des adultes (...). »
84. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la LEPM relativement à la médication sous contrainte se lisaient comme suit :
« Art. 62 – Médication sous contrainte pour raison médicale
1. Champ d’application, principe
1 Les dispositions concernant la médication sous contrainte s’appliquent aux personnes détenues dans un établissement bernois
a. quand il s’agit de l’exécution d’une mesure ordonnée par le juge sur la base des articles 59, 60 ou 64 CP et
b. qu’elles sont compatibles avec le but concret de la mesure.
(...)
Art. 64 – 3. Dispositions générales
1 Le médecin responsable de l’établissement est seul habilité à ordonner, exécuter et lever une mesure de médication sous contrainte, sur proposition d’un professionnel ou d’une professionnelle de la santé du service de santé de l’établissement.
(...)
Art. 65 – 4. Information
1 Avant la contrainte, et à moins d’un danger imminent, la personne concernée doit être informée de la mesure prévue, ainsi que de son droit de recours. Sa famille ou un proche par elle désigné doit en être informé immédiatement de manière adéquate.
2 La décision doit, même si elle a déjà été communiquée oralement, faire l’objet d’une notification écrite motivée avec indication des voies de droit.
3 L’établissement informe sans délai l’autorité de placement ainsi que le médecin cantonal d’une décision de médication sous contrainte.
Art. 66 – 5. Recours
1 La personne qui s’est vu ordonner une médication sous contrainte, sa famille ou un proche peut former un recours écrit contre cette mesure dans les dix jours suivant la décision auprès de la Direction de la police et des affaires militaires.
2 La procédure est régie par les dispositions de la présente loi.
(...) »
85. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la LEPM relativement aux voies de recours se lisaient comme suit :
« Art. 80 – Décision, effet suspensif
1 Dans des rapports juridiques particuliers, il est possible de rendre une décision orale. Les personnes concernées ont le droit de demander une décision écrite.
2 Les personnes concernées peuvent former un recours auprès de la Direction de la police et des affaires militaires, dans les 30 jours suivant la notification, contre une décision rendue par le service compétent de la Direction de la police et des affaires militaires ou par la direction de l’établissement d’exécution et qui concerne une affaire personnelle touchant au droit de l’exécution. Le délai de recours est de trois jours pour les recours contre des sanctions disciplinaires.
3 Le recours contre une décision de placement ou de transfert au sens des articles 26 et 30 n’a pas d’effet suspensif, sauf si le service de la Direction de la police et des affaires militaires chargé de rendre la décision ou de mener l’instruction l’accorde pour de justes motifs à la demande des personnes concernées.
4 Le recours concernant une autre affaire personnelle touchant au droit de l’exécution a effet suspensif pour autant que le service de la Direction de la police et des affaires militaires chargé de rendre la décision ou de mener l’instruction n’en dispose pas autrement pour de justes motifs.
5 Le recours disciplinaire n’a pas d’effet suspensif, à moins que l’autorité d’instruction ou de décision de la Direction de la police et des affaires militaires n’en décide autrement pour de justes motifs.
Art. 81 – Procédure de recours
1 Les recours contre les décisions rendues par la direction de l’établissement d’exécution doivent être adressés, dans le délai de recours, au service compétent de la Direction de la police et des affaires militaires. Celui-ci tente de trouver un accord à l’amiable après un simple échange de lettres. S’il n’y réussit pas dans le délai de 30 jours à compter du dépôt du recours, il transmet le dossier à la Direction de la police et des affaires militaires pour la suite de la procédure.
2 La procédure de conciliation n’est pas engagée si le recours concerne le retrait de l’effet suspensif ou le refus de l’accorder.
Art. 81a – Recours devant la Cour suprême
1 Les décisions et décisions sur recours de la Direction de la police et des affaires militaires sont susceptibles de recours devant la Cour suprême.
Art. 82 – Dispositions complémentaires
1 La procédure est régie par la loi sur la procédure et la juridiction administratives. »
86. L’article 49 de la loi sur la procédure et la juridiction administratives du canton de Berne du 23 mai 1989 (« la LPJA », RSB 155.21) telle qu’en vigueur au moment des faits se lisait comme suit :
« 1 L’autorité compétente règle d’office ou sur requête les rapports juridiques de droit public en rendant des décisions, à moins que la loi n’y déroge expressément ou ne prévoie la liquidation du litige par voie d’action.
2 Lorsqu’une autorité refuse de statuer ou tarde à se prononcer, son silence est assimilé à une décision. »
LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS
87. Les parties pertinentes du rapport au Conseil fédéral suisse relatif à la visite effectuée en Suisse par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 13 au 24 avril 2015 se lisent comme suit :
« 96. La situation des patients/détenus souffrant de graves troubles mentaux a fait l’objet d’un dialogue de longue date entre le CPT et les autorités suisses. Par le passé, le Comité a souligné à plusieurs reprises que cette catégorie de patients/détenus devrait être prise en charge et traitée dans un environnement hospitalier fermé (au sein d’un hôpital psychiatrique civil ou d’un établissement pénitentiaire), correctement équipé et doté d’un personnel qualifié suffisant pour leur apporter l’assistance et les contacts humains requis.
(...)
Malheureusement, la délégation a encore une fois rencontré durant la visite un certain nombre de détenus soumis à un traitement institutionnel ou à un internement incarcérés sous un régime ordinaire ou dans des sections de haute sécurité, dans un environnement qui n’était pas adapté à leurs besoins spécifiques82. Le CPT encourage les autorités suisses à prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation de ces détenus à la lumière des recommandations formulées dans ce rapport (voir notamment les paragraphes 112 et 119).
[82] Selon les informations fournies à la délégation par les autorités suisses, à la date de septembre 2014, il y avait 902 personnes placées sous traitement institutionnel en raison de troubles mentaux (dont 220 détenues dans des établissements pénitentiaires fermés) et 137 soumises à une mesure d’internement (dont 106 détenues dans des établissements pénitentiaires fermés).
(...)
112. Cependant, comme l’a souligné à plusieurs reprises le CPT par le passé, les établissements pénitentiaires ne possédant pas d’unité hospitalière/spécialisée, un nombre limité de personnel qualifié, voire pas du tout (en particulier des infirmiers psychiatriques), présent jour et nuit et se trouvant dans l’incapacité de proposer un environnement thérapeutique adapté permettant de proposer une thérapie de milieu ne sont pas des lieux appropriés pour les personnes atteintes de graves problèmes de santé mentale. Ceci est d’autant plus vrai lorsque les détenus concernés sont soumis à un régime pénitentiaire ordinaire qui n’est pas adapté à leurs besoins spécifiques. (...)
Le CPT reconnaît les efforts déployés par les autorités suisses pour créer davantage de place[s] pour les détenus soumis à une mesure de traitement thérapeutique institutionnel ou d’internement dans des établissements ou sections spécialisés (voir paragraphe 96). Cependant, le CPT recommande aux autorités compétentes de tous les cantons d’intensifier leurs efforts pour veiller à ce que les détenus atteints de graves problèmes de santé mentale soient pris en charge et traités dans un environnement (hôpital psychiatrique, unité de psychiatrie légale d’un établissement pénitentiaire ou établissement spécialisé dans l’exécution des mesures), correctement équipé et doté d’un personnel qualifié suffisant pour leur apporter l’assistance nécessaire.
(...)
118. La situation des détenus atteints de graves problèmes de santé mentale placés dans des sections de haute sécurité en prison dans des conditions proches de l’isolement a fait l’objet d’un dialogue de longue date avec les autorités suisses. Malheureusement, les constatations de la visite de 2015 révèlent que cette question n’a toujours pas été réglée et que les recommandations du CPT n’ont toujours pas été mises en œuvre (voir aussi paragraphe 96). (...)
119. Le CPT est bien conscient qu’après avoir passé plusieurs années dans un isolement presque total, les aptitudes de socialisation des détenus concernés peuvent être réduites et ils peuvent ne pas être prêts à établir davantage de contacts avec d’autres personnes, qu’il s’agisse du personnel ou d’autres détenus. Cependant, leur situation actuelle, si une solution n’est pas trouvée, ne pourra qu’aboutir à une détérioration encore plus importante de leurs aptitudes sociales, à une perte de confiance dans leur capacité à maintenir des contacts avec d’autres personnes et renforcera leur perception de soi comme des individus dangereux, violents et abandonnés. De l’avis du Comité, des protocoles de traitement individualisés devraient être établis pour chaque détenu, en tenant compte de ses besoins, des risques et de la réactivité de chacun. Les détenus devraient aussi être associés à leur élaboration et être informés des progrès accomplis. (...)
120. Étant donné les effets potentiellement très néfastes de l’isolement sur la santé mentale, somatique et sociale des personnes concernées, les services médicaux pénitentiaires devraient être très attentifs à la situation des détenus placés dans des conditions d’isolement. Le personnel médical devrait rendre visite au détenu concerné aussitôt après son placement et par la suite, régulièrement, au moins une fois par jour, et lui fournir sans délai une assistance et des soins médicaux si nécessaire. Il devrait signaler au directeur de la prison lorsque la santé d’un détenu est gravement mise en danger du fait de son placement à l’isolement. (...)
Le CPT réitère sa recommandation demandant aux autorités compétentes de tous les cantons suisses de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que, tant que les détenus considérés comme étant dangereux en raison de leurs problèmes de santé mentale continuent d’être placés dans des sections de haute sécurité dans des conditions d’isolement, ils reçoivent la visite d’un médecin ou d’un infirmier qualifié sous l’autorité d’un médecin de manière quotidienne. La mise en œuvre de cette recommandation contribuera également à établir des contacts plus humains avec les détenus concernés. »
88. Les parties pertinentes du rapport au Conseil fédéral suisse relatif à la visite effectuée en Suisse par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 22 mars au 1er avril 2021 se lisent comme suit :
« 167. La situation des personnes atteintes de graves troubles mentaux a fait l’objet d’un dialogue de longue date entre le CPT et les autorités suisses. Dans son rapport à la suite de la visite de 2015, le CPT – tout en reconnaissant les efforts déployés par les autorités suisses – avait constaté qu’un nombre important de détenus atteints de troubles mentaux ou internés étaient incarcérés dans des prisons sous un régime ordinaire ou dans des sections de haute sécurité, dans un environnement qui n’était pas adapté à leurs besoins spécifiques. Le Comité avait alors réitéré que cette catégorie de patients/détenus devrait être prise en charge et traitée dans un hôpital psychiatrique ou dans un établissement spécialisé.
168. Lors des consultations en amont de la visite, les autorités suisses ont informé le CPT que le nombre de places pour les personnes faisant l’objet d’une mesure thérapeutique institutionnelle pour le traitement de troubles mentaux avait encore augmenté depuis la dernière visite en 2015. Actuellement il y a environ 300 places disponibles dans les hôpitaux psychiatriques ou les établissements spécialisés en Suisse. Plusieurs projets de création de nouvelles places dans les cliniques forensiques et les établissements spécialisés sont actuellement poursuivis ou en cours de finalisation, notamment sur les sites de Rheinau (canton de Zurich), Wil (canton de Saint-Gall), Königsfelden (canton d’Argovie) (voir paragraphe 171), Realta (canton des Grisons) et à Bâle. En ce qui concerne les sections fermées d’établissements d’exécution des mesures, des places supplémentaires sont prévues sur le site de Cery (canton du Vaud), à Curabilis (canton de Genève) et dans le canton du Valais. Au total, il est prévu d’augmenter le nombre de places de plus de 150 d’ici 2025, ce qui portera la capacité d’accueil de personnes atteintes de troubles mentaux à environ 450 places. Cependant, malgré les efforts déployés par les autorités suisses pour accroître les capacités d’accueil pour ces personnes, le nombre de places spécialisées reste encore insuffisant comparé aux besoins. Il était estimé qu’au moment de la visite, le nombre de personnes soumises à une mesure thérapeutique institutionnelle s’élevait à plus de 600 personnes et celui de personnes exécutant une mesure d’internement à environ 200.
(...)
170. Tout en reconnaissant les efforts déployés par les autorités suisses pour créer davantage de places pour les détenus soumis à une mesure de traitement thérapeutique institutionnel ou d’internement dans les établissements ou sections spécialisés, le CPT recommande aux autorités compétentes de tous les cantons de continuer leurs efforts pour veiller à ce que les détenus atteints de graves troubles mentaux soient pris en charge et traités dans un environnement adapté (hôpital psychiatrique, clinique de psychiatrie forensique ou établissement spécialisé dans l’exécution des mesures), correctement équipé et doté d’un personnel qualifié suffisant pour leur apporter l’assistance nécessaire.
(...)
229. Le CPT émet, en principe, des réserves sur le recours aux mesures disciplinaires [à l’égard de] personnes souffrant de graves troubles mentaux en vertu de l’article 59 du CP. Ces mesures visent à sanctionner la conduite des personnes, pouvant souvent être liée à des troubles psychiatriques et devant être abordée sous un angle thérapeutique plutôt que répressif. Le CPT recommande aux autorités suisses d’abroger les sanctions disciplinaires pour les personnes soumises à une mesure de traitement institutionnel ayant des troubles mentaux. »
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION À RAISON DES CONDITIONS DE DÉTENTION DU REQUÉRANT
89. Le requérant se plaint d’avoir été placé pendant près de cinq ans dans un quartier de haute sécurité dans des conditions d’isolement et d’avoir, au cours de cette période, été transféré à plusieurs reprises dans une cellule de sécurité où il aurait été enchaîné au mur et n’aurait fait l’objet d’aucun suivi médical. Il invoque l’article 3 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
1. Sur la recevabilité
90. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
91. Le requérant soutient que son placement en section de haute sécurité était injustifié et a été décidé sans considération pour les répercussions que la détention en isolement pouvait avoir sur son état psychique. À l’appui de son grief, il décrit les conditions de sa détention au sein des prisons de Thorberg, Lenzbourg et Bostadel, notamment en ce qui concerne l’organisation de la vie quotidienne (à savoir, entre autres, le lieu où se déroulaient les promenades, le nombre de promenades et les conditions matérielles dans lesquelles il vivait), et allègue avoir été menotté à plusieurs reprises, en particulier lors de son placement dans une cellule de sécurité au sein des prisons de Thorberg et de Lenzbourg.
b) Le Gouvernement
92. Le Gouvernement soutient que les transferts du requérant dans les sections de sécurité résultaient de son comportement agressif à l’égard du personnel des établissements et des autres détenus, ainsi que du danger qu’il était susceptible de représenter. N’eût été un tel risque, explique-t-il, le requérant aurait pu rester dans les sections ordinaires des prisons de Thorberg, Lenzbourg et Bostadel. Le Gouvernement fait valoir que le requérant a reçu des visites de sa mère, de son père et d’une amie, et qu’il a eu des contacts avec le personnel des établissements concernés. Il se serait également vu proposer des entretiens thérapeutiques. Il aurait eu la possibilité de pratiquer du sport, d’accéder à la cour de promenade, de travailler et de bénéficier de différents divertissements proposés par les établissements en question (bibliothèque, télévision, etc.). Pour ce qui est des implications du régime d’isolement, le Gouvernement renvoie principalement aux observations des services psychiatriques du canton d’Argovie en date du 25 novembre 2015 (paragraphe 43 ci‑dessus) selon lesquelles le cadre fortement structuré caractérisant les sections de haute sécurité ainsi que le haut niveau de protection qu’elles offrent contre des stimulations nocives étaient de nature à contribuer à une diminution des troubles mentaux du requérant. Le Gouvernement conteste en outre les allégations du requérant selon lesquelles il aurait été enchaîné dans sa cellule des heures durant et sans vêtements. Il indique à cet égard que seuls deux épisodes au cours desquels le requérant a été menotté sont établis (paragraphe 23 ci‑dessus).
2. Appréciation de la Cour
93. La Cour note d’emblée que le grief de violation de l’article 3 de la Convention tel qu’il a été formulé par l’intéressé dans sa requête porte uniquement sur sa détention dans des conditions d’isolement et sur la circonstance qu’il aurait été menotté. Elle observe en particulier que ce n’est pas sur le terrain de l’article 3 de la Convention, mais seulement sur celui de l’article 5 § 1 e), que le requérant se plaint de n’avoir pas bénéficié de soins adaptés à son état de santé (paragraphe 124 ci‑dessous).
94. Elle estime toutefois que l’examen du grief concernant l’article 3 de la Convention ne peut être dissocié du contexte général de l’affaire, et notamment du fait que le requérant était détenu dans le cadre de l’exécution d’une mesure de traitement thérapeutique institutionnel le visant en tant que personne ayant des troubles de la santé mentale. En effet, l’existence des problèmes de santé mentale du requérant n’est pas contestée en l’espèce. L’expertise psychiatrique du 13 décembre 2010 a établi qu’il souffrait de troubles mixtes de la personnalité avec des traits indiquant une personnalité émotionnellement labile et paranoïaque couplés à une consommation nuisible d’alcool et de cannabis (paragraphe 9 ci‑dessus), et c’est sur la base de cette expertise que les juridictions internes ont ordonné son placement aux fins d’un traitement thérapeutique institutionnel conformément à l’article 59 du CP (paragraphes 11 et 12 ci‑dessus).
95. La Cour examinera donc le grief relatif au placement en isolement du requérant et à l’utilisation des menottes en tenant compte des critères développés dans sa jurisprudence quant aux conditions de détention des personnes atteintes de troubles mentaux (Rooman c. Belgique [GC], no 18052/11, §§ 141‑148, 31 janvier 2019).
96. En l’espèce, la Cour relève que le requérant a séjourné successivement dans les prisons de Thorberg, de Lenzbourg et de Bostadel pendant l’ensemble de la période du 18 novembre 2011 au 25 février 2016 (paragraphes 19, 38 et 45 ci‑dessus), soit pendant quatre ans, trois mois et neuf jours. Pendant cette période, il a été détenu majoritairement au sein des sections de haute sécurité desdits établissements dans des conditions d’isolement. La durée cumulative de la détention en isolement du requérant s’élève ainsi à trois ans, un mois et vingt-huit jours.
97. Eu égard, d’une part, aux éléments du dossier relatifs au régime de détention au sein des sections de haute sécurité (paragraphes 20, 39 et 46 ci‑dessus) ainsi que, d’autre part, aux observations des parties (paragraphes 91 et 92 ci‑dessus), la Cour considère que l’isolement du requérant était partiel et relatif (comparer avec Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, §§ 131‑135, CEDH 2006‑IX, et Bamouhammad c. Belgique, no 47687/13, § 137, 17 novembre 2015).
98. La Cour relève ensuite que le placement et le maintien du requérant en section de haute sécurité était motivé par l’agressivité de l’intéressé (paragraphes 25, 37 et 41 ci‑dessus). Eu égard aux éléments soumis par les parties, la Cour estime que les autorités internes ont abordé la situation du requérant sous un angle plutôt répressif que thérapeutique (voir, pour les recommandations du CPT en la matière, paragraphe 88 ci‑dessus). En effet, bien que le requérant fût atteint d’un trouble de la santé mentale, il a été soumis à un régime de détention prévu pour des détenus dangereux au sein des sections de haute sécurité de divers établissements pénitentiaires. Mis à part son séjour dans la section thérapeutique de la prison de Thorberg, le requérant a été soumis à un régime pénitentiaire correspondant plutôt à la situation d’un détenu purgeant une peine de prison qu’à celle d’une personne ayant des troubles de la santé mentale bénéficiant d’un encadrement thérapeutique. Attestent également cette perspective les nombreuses sanctions disciplinaires sous forme de mise aux arrêts qui ont été imposées au requérant tout au long de sa détention (paragraphes 21 et 40 ci‑dessus). À cet égard, la Cour est frappée par le fait qu’au moins deux des sanctions imposées au requérant par l’administration de la prison de Thorberg ont été accompagnées d’un recours aux menottes, ce que le Gouvernement ne conteste pas (paragraphes 23 et 92 ci‑dessus). Elle relève également que deux des sanctions infligées à l’intéressé par l’administration de la prison de Lenzbourg prévoyaient l’usage des menottes (paragraphe 40 ci‑dessus).
99. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion de juger qu’une sanction de sept jours d’isolement imposée à un détenu souffrant d’une maladie mentale dans un contexte de graves lacunes dans les soins médicaux prodigués à la personne concernée constituait un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 116, CEDH 2001‑III). Elle est arrivée à la même conclusion à l’égard d’une personne ayant des troubles de la santé mentale à tendances suicidaires qui avait été placé dans une cellule disciplinaire pour quarante‑cinq jours à raison de l’agression sur une surveillante de la prison où il était détenu (Renolde c. France, no 5608/05, CEDH 2008 (extraits)) : elle a alors jugé qu’une telle mesure était susceptible d’ébranler la résistance physique et morale de la personne en question (§ 129) et elle a notamment été frappée par le fait que l’état psychique du détenu – qui souffrait de troubles psychotiques aigus – n’avait aucunement été pris en compte au moment de l’imposition de la sanction (§ 124).
100. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour observe qu’il ne ressort pas des éléments à sa disposition que la maladie mentale du requérant ait été aucunement prise en compte au moment de l’imposition à l’intéressé de sanctions disciplinaires. Or, comme elle vient de le rappeler, une sanction disciplinaire visant un détenu atteint d’un trouble de la santé mentale peut briser la résistance physique et morale de la personne concernée. Dans ce contexte, la Cour ne perd pas de vue que c’est après qu’il se fut vu imposer seize jours d’arrêts à raison de l’agression sur un employé de la section thérapeutique de la prison de Thorberg que le requérant a refusé tout entretien avec le service psychiatrique de cet établissement (paragraphe 28 ci‑dessus), refus dans lequel il a persisté jusqu’au moment de sa médication sous contrainte en février 2016 (paragraphe 51 ci‑dessus).
101. Comme indiqué au paragraphe 94 ci-dessus, l’appréciation de la détention du requérant dans des conditions d’isolement est intrinsèquement liée à la question du caractère approprié ou non des soins médicaux qui lui étaient dispensés. Or, comme la Cour a déjà eu l’occasion de le dire, une telle question est, de celles qui se posent en pareille circonstance, la plus difficile à trancher (Rooman, précité, § 147).
102. La Cour relève que le traitement thérapeutique du requérant a débuté le 17 janvier 2012 sous la forme de séances de thérapie individuelles (paragraphe 28 ci‑dessus), mais qu’à partir du mois de septembre 2012, aucun entretien thérapeutique n’a plus eu lieu avec l’intéressé (paragraphes 27, 30 et 34 ci‑dessus).
103. Elle note ensuite que le 28 septembre 2012, l’administration de la prison de Thorberg a avisé la SAPEM de l’impossibilité de mettre en œuvre au sein de cet établissement la mesure thérapeutique visant le requérant et recommandé que l’intéressé fût transféré le plus rapidement possible vers une institution appropriée (paragraphe 27 ci‑dessus). Cette position a été à nouveau exprimée par l’administration en question dans son rapport du 4 juin 2014 (paragraphe 37 ci‑dessus).
104. L’absence de soins appropriés est devenue d’autant plus flagrante à la suite de l’expertise du 24 septembre 2013, laquelle préconisait, à la lumière d’un diagnostic réajusté, une mise en œuvre renouvelée de la mesure thérapeutique institutionnelle dans un établissement spécialisé tel que la station Étoine ou la clinique de Rheinau (paragraphe 29 ci‑dessus). Certes, dans sa prise de position du 25 novembre 2015, le Dr R. a indiqué que le maintien du requérant dans la section de haute sécurité de la prison de Lenzbourg était acceptable du point de vue psychiatrique. La Cour constate toutefois que le même médecin soulignait que le traitement nécessaire ne pouvait être administré au sein de cet établissement (paragraphe 43 ci‑dessus).
105. La Cour note que tant le Tribunal fédéral que le Gouvernement ont attaché un poids particulier au fait que c’était le requérant lui-même qui avait refusé les entretiens thérapeutiques (paragraphes 69 et 92 ci‑dessus). Elle considère toutefois que ce refus ne peut être déterminant au regard des circonstances de la cause, qui sont celles du maintien du requérant, au moins à partir du 27 juillet 2012, dans un établissement qui, étant donné l’évolution de l’état de santé de l’intéressé, n’était pas approprié (voir, a contrario, Maddalozzo c. Suisse (déc.), no 19338/18, § 59, 3 décembre 2019). Par ailleurs, dans son arrêt du 29 décembre 2015, le Tribunal fédéral a lui-même reconnu qu’à la suite du nouveau diagnostic du 24 septembre 2013, la prison de Thorberg ne pouvait plus être considérée comme un établissement approprié pour la mise en œuvre du traitement préconisé et que si le placement du requérant dans la clinique de Rheinau n’avait pas eu lieu jusqu’alors, c’était faute de places disponibles (paragraphe 69 ci‑dessus).
106. La Cour note, dans ce contexte, que selon les rapports du CPT de 2015 et 2021, la situation des détenus souffrant de graves troubles mentaux a fait l’objet d’un dialogue de longue date entre le CPT et les autorités suisses (paragraphes 87 et 88 ci‑dessus). Dans son rapport de 2021, le CPT a ainsi constaté que le nombre de places disponibles pour les personnes faisant l’objet d’une mesure thérapeutique institutionnelle en raison de troubles mentaux continuait à être insuffisant : il était estimé qu’au moment de la visite du comité, le nombre de personnes soumises à une mesure thérapeutique institutionnelle s’élevait à plus de six cents, pour environ trois cents places disponibles dans les hôpitaux psychiatriques ou les établissements spécialisés en Suisse (paragraphe 88 ci‑dessus). Face à ce constat, la Cour rappelle que l’État est tenu, nonobstant d’éventuels problèmes logistiques ou financiers, d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité (Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, §§ 99‑100, 20 octobre 2016).
107. La Cour constate ensuite que l’état de santé psychique du requérant a commencé à se détériorer rapidement quelques jours à peine après la prise de position du Dr R. en date du 25 novembre 2015. En effet, selon le rapport hebdomadaire de la prison de Lenzbourg sur le comportement du requérant pour la période du 28 novembre au 4 décembre 2015, l’intéressé imitait alors les aboiements d’un chien (paragraphe 44 ci‑dessus). En janvier 2016, le psychiatre de la prison de Bostadel a constaté que les pensées et les accès d’impulsivité du requérant étaient difficilement compréhensibles, et au mois de février 2016, l’intéressé a commencé à se parler à lui‑même la nuit et à s’entretenir avec des personnes imaginaires (paragraphes 47 et 48 ci‑dessus). Cette aggravation de son état de santé a nécessité une intervention d’urgence sous la forme d’une médication sous contrainte (paragraphes 51 et 52 ci‑dessus). Par conséquent, il ne peut être affirmé que le maintien du requérant dans des conditions d’isolement sans prise en charge thérapeutique adéquate n’ait entraîné aucune aggravation de son état mental (comparer avec Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 66, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V). Pareil constat est corroboré d’ailleurs par les conclusions du CPT quant aux effets potentiellement très néfastes de l’isolement sur la santé mentale des personnes détenues dans des sections de haute sécurité des prisons suisses (paragraphe 87 ci‑dessus).
108. Enfin, la Cour observe qu’au mois d’août 2016, soit quelques mois seulement après la prise en charge thérapeutique du requérant au sein de la station Étoine et de la clinique de Rheinau où les soins nécessaires lui ont été administrés, l’état de santé de l’intéressé a commencé à se stabiliser puis à s’améliorer (paragraphes 70‑75 ci‑dessus). Cette évolution positive a permis sa libération conditionnelle au mois de juin 2019 (paragraphe 76 ci‑dessus).
109. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la détention du requérant du 27 juillet 2012 au 25 février 2016 dans des conditions d’isolement au sein d’établissements pénitentiaires qui ne pouvaient lui offrir des soins appropriés, combinée avec l’infliction à l’intéressé de sanctions disciplinaires assorties quelquefois du recours aux menottes, ont dû exacerber la souffrance liée à sa maladie mentale et s’analysent en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.
110. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION, PRIS SEUL ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 13, À RAISON DE LA MÉDICATION SOUS CONTRAINTE À LAQUELLE LE REQUÉRANT A ÉTÉ SOUMIS
111. Le requérant se plaint d’avoir subi des traitements inhumains et dégradants à raison de la médication sous contrainte à laquelle il a été soumis, et de pas avoir disposé d’un recours effectif pour faire valoir ce grief. Il invoque les articles 3 et 13 de la Convention, ce dernier étant ainsi libellé :
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
1. Arguments des parties
112. Le Gouvernement explique que la médication sous contrainte du requérant avait pour fondement les articles 62 et suivants de la LEPM (paragraphe 84 ci‑dessus). Il précise qu’elle a été ordonnée non pas par la SAPEM, mais par le médecin de la station de psychiatrie médicolégale Étoine, et il renvoie à cet égard aux rapports sur la médication sous contrainte des 25, 26 et 27 février 2016 et du 8 mars 2016 (paragraphe 52 ci‑dessus) ainsi qu’à l’arrêt du Tribunal fédéral du 18 mai 2016 (paragraphe 56 ci‑dessus). Pour le Gouvernement, le requérant n’a pas démontré qu’il ait formé contre la médication sous contrainte ordonnée par le médecin de la station de psychiatrie médicolégale Étoine le recours prévu par l’article 66 § 1 de la LEPM. Le Gouvernement souligne qu’au moment des faits le requérant bénéficiait d’une assistance judiciaire et que le 26 février 2016, soit le deuxième jour de la médication sous contrainte, l’intéressé a reçu une visite de son avocat (paragraphe 52 ci‑dessus).
113. Le Gouvernement argue ensuite que devant le défaut d’une notification écrite de la décision telle que prévue par l’article 65 § 2 de la LEPM, le requérant ou son avocat aurait pu et dû demander que soit produit un tel document. Le cas échéant, ils auraient pu et dû selon lui introduire sur le fondement de l’article 49 § 2 de la LPJA (paragraphe 86 ci‑dessus) combiné avec l’article 82 de la LEPM (paragraphe 85 ci‑dessus) un recours pour déni de justice ou retard non justifié.
114. Le Gouvernement invite donc la Cour à déclarer irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes le grief de violation de l’article 3 de la Convention à raison de la médication sous contrainte à laquelle le requérant a été soumis.
115. Quant au grief formulé sur le terrain de l’article 13 de la Convention, le Gouvernement réitère ses arguments selon lesquels le requérant disposait d’un recours effectif en vertu des articles 66 et 80‑82 de la LEPM combinés avec l’article 49 § 2 de la LPJA.
116. Le requérant soutient que les rapports médicaux sur la médication sous contrainte soumis par le Gouvernement (paragraphe 52 ci‑dessus) n’ont pas été versés à son dossier personnel et ne lui ont jamais été communiqués, ni personnellement, ni par l’intermédiaire de son avocat. Il argue qu’un recours pour déni de justice formel ou retard injustifié n’était pas possible au regard de sa situation particulière, étant donné, explique-t-il, qu’une telle procédure aurait pris des mois et n’aurait pas pu conduire à une modification de ladite situation. Selon lui, c’était la SAPEM qui voulait la mise en place d’une médication sous contrainte, et elle aurait dû prendre à cette fin une décision attaquable. Il soutient en somme qu’il ne disposait pas d’un recours interne effectif au travers duquel il aurait pu formuler son grief de méconnaissance de l’article 3 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour
117. La Cour rappelle que l’article 35 § 1 de la Convention impose de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant la Cour ; il commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de la Convention. Une requête ne satisfaisant pas à ces exigences doit en principe être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 72, 25 mars 2014).
118. La Cour souligne qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales et, notamment, aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Ceci est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt de documents ou l’introduction de recours. La Cour estime par ailleurs que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique, et que les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées (Ankerl c. Suisse, 23 octobre 1996, § 34, Recueil 1996‑V, Poirot c. France, no 29938/07, § 38, 15 décembre 2011, et Vermeersch c. Belgique, no 49652/10, § 60, 16 février 2021).
119. En l’espèce, la Cour relève que, dans le cadre de l’examen des recours formés par le requérant contre les décisions de la SAPEM des 25 février et 5 avril 2016 par lesquelles cet organe ordonnait respectivement le placement et le maintien du requérant dans la station Étoine, les juridictions internes ont indiqué à plusieurs reprises que la question de la médication sous contrainte ne faisait pas l’objet du litige et que cette question devait être soulevée dans une contestation séparée (paragraphes 53-61 ci‑dessus).
120. Elle constate ensuite que l’article 66 § 1 de la LEPM telle qu’en vigueur au moment des faits prévoyait qu’une personne visée par une mesure de médication sous contrainte pouvait former contre cette mesure un recours écrit auprès de la DPAM dans les dix jours suivant la décision (paragraphe 84 ci‑dessus). À l’instar du Gouvernement, la Cour note qu’au moment où il s’est vu soumettre à une médication sous contrainte, le requérant était représenté par un avocat, lequel lui a rendu visite le lendemain du jour où le traitement litigieux a été initié (paragraphe 52 ci‑dessus). Comme le relève à bon droit le Gouvernement, le requérant aurait pu demander que la décision lui fût notifiée par écrit et introduire sur le fondement de l’article 49 § 2 de la LPJA un recours pour déni de justice ou retard non justifié (paragraphes 86 et 113 ci‑dessus). En effet, il ressort du dossier que l’avocat était au courant de la mise en place d’une médication sous contrainte puisqu’il a soulevé un grief à cet égard dans son recours contre la décision du 25 février 2016 (paragraphe 53 ci‑dessus), si bien que l’absence alléguée d’une notification écrite de la décision prise par les médecins de la station Étoine de mettre en place une médication sous contrainte n’était pas de nature à limiter l’accès du requérant au recours prévu par l’article 66 § 1 de la LEPM.
121. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le requérant disposait d’une voie de recours interne qui lui permettait de contester la médication sous contrainte ordonnée à son égard et qui lui était accessible au moment des faits. L’argument de l’intéressé selon lequel la durée éventuelle d’un tel recours devrait amener à considérer la procédure en question comme inefficace ne convainc pas la Cour. En effet, rappelle-t-elle, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non‑utilisation du recours en question (Vučković et autres, précité, § 74). Or rien ne permet de dire en l’espèce que les instances nationales, dans l’hypothèse où le requérant aurait formé pareil recours, n’auraient pas examiné la substance de son grief relatif à la médication sous contrainte et qu’elles n’auraient pu lui offrir un redressement approprié. La Cour ne voit pas non plus quelles circonstances particulières auraient pu dispenser l’intéressé de son obligation d’exercer le recours en question.
122. Il s’ensuit que le grief de violation de l’article 3 de la Convention à raison de la médication sous contrainte à laquelle le requérant a été soumis doit être rejeté pour non‑épuisement des voies recours internes et doit être déclaré irrecevable en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
123. Eu égard aux conclusions auxquelles elle est parvenue quant à l’existence d’une voie de recours interne effectif permettant au requérant de se plaindre de la médication sous contrainte à laquelle il était soumis (paragraphes 120 et 121 ci‑dessus), la Cour estime que le grief de méconnaissance de l’article 13 de la Convention est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
124. Le requérant se plaint d’avoir dû attendre du 24 juin 2011 au 25 février 2016 au moins son transfert vers une institution qui fût appropriée au traitement médical requis, de ne pas avoir bénéficié pendant cette période d’une prise en charge médicale adéquate et de ne pas s’être vu offrir la possibilité de suivre une thérapie. Il estime que sa privation de liberté n’était donc pas régulière et invoque à cet égard l’article 5 § 1 de la Convention, lequel est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(...)
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond. »
1. Sur la recevabilité
125. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
126. Le requérant soutient que la privation de liberté qu’il a subie entre le 24 juin 2011 et le 25 février 2016 n’a pas été décidée « selon les voies légales ». À l’appui de cette thèse, il invoque premièrement l’arrêt du 9 février 2011 selon lequel il aurait dû être placé dans une clinique psychiatrique ou dans l’établissement d’exécution des mesures St-Jean. Or, selon lui, la SAPEM ne s’est pas efforcée de lui trouver une place dans les établissements en question alors même qu’à l’en croire la chose n’était pas impossible. C’est ce qui ressort, à ses yeux, de la lettre du centre de psychiatrie légale Im Schachen de 16 août 2011 selon laquelle l’institution en question était prête à accueillir l’intéressé (paragraphe 15 ci‑dessus). Pour le requérant, la Cour suprême cantonale comme l’expert psychiatre partaient de l’idée qu’il allait être soigné dans des établissements appropriés de façon « intense » et qu’au bout de six mois, il pourrait être libéré et suivre une thérapie ambulatoire.
127. Selon le requérant, l’arrêt du 9 février 2011 ne s’est pas référé à l’article 59 § 3 du CP en vue d’une détention dans un établissement pénitentiaire. Il avance en outre que la décision de la SAPEM ne peut passer pour avoir dûment fondé la détention qu’il a subie du 24 juin au 17 novembre 2011 dans les prisons régionales de Thoune et de Berne et qui, partant, aurait été arbitraire.
128. Le requérant argue ensuite qu’en décidant de le placer dans la section de sécurité de la prison de Thorberg, la SAPEM a poursuivi un but purement sécuritaire, et que cet établissement pénitentiaire n’était pas une institution adéquate pour une personne souffrant comme lui d’une grave maladie mentale. Il conteste également l’argument selon lequel il se serait montré peu volontaire pour suivre une thérapie. Il s’étonne à cet égard que le Gouvernement parte de l’idée qu’un malade mental serait responsable des actes qu’il commet dans des établissements qui ne constituent pas un cadre adapté pour traiter sa maladie. Pour le requérant, les sanctions disciplinaires qui lui avaient été imposées auraient dû inciter la SAPEM à réfléchir d’autant plus scrupuleusement au lieu le plus approprié pour l’exécution des mesures le visant et au traitement dont il devait bénéficier.
129. Il estime que les établissements de Lenzbourg et de Bostadel n’étaient pas appropriés à l’exécution d’une mesure relevant de l’article 59 du CP. Il argue à cet égard que le fait que ces institutions disposent d’un service médical n’impliquait pas qu’il y eût accès : bien au contraire, explique-t-il, il a de nouveau été placé dans les sections de haute sécurité de ces établissements sans bénéficier d’un suivi médical ou d’une thérapie.
130. Le requérant conteste enfin la thèse du Gouvernement selon laquelle le délai admissible pour l’obtention d’une place dans une institution appropriée n’aurait pas été excédé. Il fait valoir qu’il a attendu du 24 juin 2011 au 26 février 2016, soit plus de quatre ans, son transfert vers une institution appropriée : or c’est là, selon lui, un délai inadmissible au regard tant de l’article 59 du CP que de l’article 5 § 1 e) de la Convention. Le requérant estime également inadmissibles les arguments d’ordre financier invoqués par les autorités pour justifier l’insuffisance – notoire selon lui, et qui persisterait depuis plusieurs années – du nombre de places destinées à l’accueil dans des établissements adaptés des personnes atteintes de maladies mentales.
b) Le Gouvernement
131. Le Gouvernement explique d’abord que la privation de liberté du requérant a été décidée « selon les voies légales », et il renvoie à cet égard à l’arrêt du Tribunal régional du Jura bernois-Seeland du 9 février 2011 portant condamnation de l’intéressé à une mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l’article 59 du CP aux fins de traitement de ses troubles mentaux. Il indique que l’exécution de la mesure dans les établissements pénitentiaires dans lesquels le requérant a séjourné a été ordonnée par les autorités compétentes, notamment par les décisions de la SAPEM du 17 novembre 2011, du 12 mars 2015 et du 6 janvier 2016 (paragraphes 18, 38 et 45 ci‑dessus).
132. Le Gouvernement argue ensuite que la privation de liberté subie par le requérant du 24 juin 2011 au 25 février 2016 était « régulière ». En ce qui concerne, d’une part, le séjour de l’intéressé dans la prison de Thorberg, le Gouvernement renvoie à l’arrêt du Tribunal fédéral du 29 décembre 2015, par lequel la haute juridiction a estimé que l’autorité compétente pouvait à juste titre, en se fondant sur les expertises psychiatriques de 2010, considérer cet établissement comme un lieu d’exécution adéquat. Le Gouvernement explique que la prison de Thorberg disposait d’une section thérapeutique et que le service de psychiatrie médicolégale dispensait des mesures thérapeutiques. Il indique que le service en question a maintes fois offert au requérant des entretiens thérapeutiques que l’intéressé a refusés à plusieurs reprises. Selon le Gouvernement, il est manifeste que le requérant n’avait pas la volonté de se soumettre à une thérapie, et c’est notamment cette attitude négative à l’égard des mesures thérapeutiques, doublée du fait que les troubles schizotypiques du requérant n’avaient alors pas encore été diagnostiqués, qui expliquerait que la thérapie proposée à la prison de Thorberg n’ait éventuellement pas donné les résultats escomptés. En somme, pour le Gouvernement, les soins dont le requérant a bénéficié et aurait pu bénéficier lors de son séjour dans cet établissement peuvent être considérés comme ayant été appropriés à son état de santé tel que constaté par les médecins à l’époque. En ce qui concerne, d’autre part, le séjour du requérant dans les établissements pénitentiaires de Lenzbourg et de Bostadel, le Gouvernement indique que les soins psychiatriques de base étaient alors toujours garantis et que l’intéressé y avait toujours accès.
133. Pour le Gouvernement, la circonstance que le requérant n’a pu être admis à la station de psychiatrie médicolégale Étoine qu’à compter du 25 février 2016 et à la clinique de Rheinau qu’à compter du 19 mai 2016 résulte du nombre restreint de places disponibles dans ces institutions et des délais d’attente découlant de cette situation. Il renvoie à cet égard à l’arrêt du Tribunal fédéral du 29 décembre 2015. Le Gouvernement estime que compte tenu, d’une part, de la complexité du tableau du requérant et des coûts très élevés des places dans des cliniques spécialisées et, d’autre part, du traitement dont a bénéficié l’intéressé avant son admission à la clinique de Rheinau, un équilibre a été ménagé dans le cas d’espèce. Il conclut que la privation de liberté subie par le requérant entre le 24 juin 2011 et le 25 février 2016 dans les établissements pénitentiaires de Thorberg, Lenzbourg et Bostadel était justifiée au regard du diagnostic psychiatrique préalablement posé, du parcours pénal de l’intéressé, de son attitude en détention, laquelle aurait démontré l’existence d’un risque de récidive non négligeable, de son comportement agressif à l’égard d’autrui durant l’exécution de sa peine, ainsi que des possibilités limitées de placement dans des institutions psychiatriques spécialisées des personnes condamnées à une mesure relevant de l’article 59 du CP.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur le motif de la privation de liberté
1. Aperçu de la jurisprudence de la Cour
134. La Cour rappelle que les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention renferment une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté ; une privation de liberté n’est donc pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs. Le fait qu’un motif soit applicable n’empêche toutefois pas nécessairement qu’un autre le soit aussi ; une privation de liberté peut, selon les circonstances, se justifier sous l’angle de plus d’un alinéa (Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 126, 4 décembre 2018).
135. La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner diverses situations dans lesquelles se posait la question de la régularité de la détention de personnes reconnues coupables d’infractions pénales qui s’étaient vu imposer au moment de leur condamnation, en plus d’une peine d’emprisonnement ou en remplacement de celle‑ci, une mesure privative de liberté en raison d’un trouble mental.
136. Par exemple, dans l’affaire Eriksen c. Norvège (27 mai 1997, §§ 76‑88, Recueil 1997‑III), qui concernait la prorogation d’une mesure d’internement prononcée à l’égard du requérant au moment de sa condamnation, la Cour a procédé à l’examen de la régularité de la détention de l’intéressé sous l’angle de l’article 5 § 1 a) et c) de la Convention et n’a pas trouvé nécessaire d’examiner ce point sous l’angle de l’alinéa e) de cette disposition (ibid., § 88 in fine). Dans les affaires Radu c. Allemagne (no 20084/07, §§ 96‑108, 16 mai 2013), Blühdorn c. Allemagne (no 62054/12, §§ 49‑63, 18 février 2016) et Klinkenbuß c. Allemagne (no 53157/11, §§ 45‑63, 25 février 2016), la Cour a examiné la régularité de l’internement des requérants uniquement sur le terrain de l’alinéa a) de l’article 5 § 1 de la Convention, sans se pencher sur la question du respect ou non de l’alinéa e) de cette disposition.
137. Dans d’autres affaires, tout en constatant que la privation de liberté des requérants relevait à la fois des alinéas a) et e) de l’article 5 § 1 de la Convention, la Cour a examiné la « régularité » de leur détention à la lumière des seuls critères développés sur le terrain de l’alinéa e) de cette disposition (X c. Royaume-Uni, 5 novembre 1981, §§38‑47, série A no 46, Erkalo c. Pays-Bas, 2 septembre 1998, §§ 50-60, Recueil 1998‑VI, Brand c. Pays-Bas, no 49902/99, §§ 58‑67, 11 mai 2004, Morsink c. Pays‑Bas, no 48865/99, §§ 61‑70, 11 mai 2004, et Nelissen c. Pays‑Bas, no 6051/07, §§ 59‑61, 5 avril 2011).
138. Dans les affaires Lorenz c. Autriche (no 11537/11, §§ 59‑65, 20 juillet 2017), Constancia c. Pays‑Bas (déc.), no 73560/12, §§ 24‑32, 3 mars 2015, et Mandalozzo c. Suisse ((déc.), no 19338/18, §§ 28‑51, 3 décembre 2019), la Cour a examiné la régularité de la détention des requérants internés sous l’angle tant de l’alinéa a) que de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention.
139. Enfin, dans l’affaire Kadusic c. Suisse (no 43977/13, §§ 38‑60, 9 janvier 2018), la Cour a pris en compte, aux fins d’examen de la justification de la mesure litigieuse au regard de l’alinéa a) de l’article 5 § 1 de la Convention, certains éléments relevant a priori de l’alinéa e) de cette disposition (ibid., § 52 in fine).
140. Il apparaît, si l’on fait la synthèse de ces précédents jurisprudentiels, que la question de savoir si les établissements dans lesquels étaient détenues les personnes concernées étaient « appropriés » ne se posait pas dans les affaires Eriksen, Radu, Blühdorn et Klinkenbuß ; qu’en revanche, cette question a été examinée par la Cour dans les affaires Lorenz (§ 64), Kadusic (§§ 56‑57) et Mandalozzo (§§ 37‑47) ; que les affaires Brand, Morsink, Nelissen, D.B. c. Pays-Bas et Constancia concernaient en substance le retard – allégué ou avéré – de placement des requérants dans un établissement « approprié » ; et qu’enfin les affaires X. c. Royaume-Uni (qui soulevait la question du bien-fondé d’une décision portant internement en urgence du requérant) et Erkalo (qui concernait le point de savoir si un retard de deux mois et demi dans le renouvellement de l’autorisation d’internement du requérant était raisonnable) sont les seules, parmi lesdits précédents, dans lesquelles la Cour a examiné la régularité de la détention des requérants au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention, sans se pencher sur le caractère « approprié » des établissements dans lesquels étaient placés les intéressés.
2. Le motif de la privation de liberté dans le cas d’espèce
141. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour constate que, par un jugement du 9 février 2011 modifié en appel le 24 juin 2011, le requérant a été condamné à une peine privative de liberté de quatorze mois à raison de plusieurs infractions qu’il avait commises, et que l’exécution de cette peine a été suspendue au profit d’une mesure thérapeutique institutionnelle prononcée concomitamment dans le même jugement (paragraphes 11 et 12 ci‑dessus). La détention du requérant à partir du 9 février 2011 peut donc tomber sous le coup de l’article 5 § 1 a) de la Convention dans la mesure où elle est intervenue « après condamnation par un tribunal compétent », c’est‑à‑dire après à la fois une déclaration de culpabilité consécutive à l’établissement légal d’une infraction et l’infliction d’une peine ou d’une autre mesure privative de liberté au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention (Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 123, CEDH 2013, et, pour un cas de détention après un jugement rendu en première instance, Sy c. Italie, no 11791/20, § 102, 24 janvier 2022 ; comparer, a contrario, Ilnseher, précité, § 144).
142. La Cour note, en même temps, qu’à la date du prononcé dudit jugement, le requérant était atteint d’une maladie mentale qui prenait la forme de troubles mixtes de la personnalité et qui avait été établie par les expertises psychiatriques des 21 mai et 13 décembre 2010 (paragraphe 9 ci‑dessus). Au regard de ce diagnostic, l’intéressé pouvait être considéré comme « aliéné » au sens de l’article 5 § 1 e) de la Convention, ce que, d’ailleurs, les parties ne contestent pas. En conséquence, la détention subie par l’intéressé à partir du 9 février 2011 relevait également de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention (Morsink, précité, § 62).
143. La Cour note que les parties s’accordent à considérer que la privation de liberté du requérant relève de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 en tant que cet alinéa concerne la détention d’« aliénés », et qu’elles n’ont pas commenté la « régularité » de la détention du requérant sous l’angle de l’alinéa a) de l’article 5 § 1 de la Convention (paragraphes 126‑133 ci‑dessus). Eu égard à la jurisprudence citée aux paragraphes 134‑139 ci‑dessus et à la portée du grief soulevé par le requérant, la Cour estime que le cas d’espèce se rapproche donc plutôt des affaires dans lesquelles est en jeu le caractère « approprié » de l’établissement de placement d’un « aliéné » (paragraphe 140 ci‑dessus) et que son contrôle ne doit porter que sur le respect des exigences de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention, celles de l’alinéa a) ne semblant soulever aucun problème en l’occurrence (X. c. Royaume-Uni, précité, § 39).
b) Sur l’observation de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention
1. Sur la question de savoir si la détention du requérant a été effectuée « selon les voies légales »
144. La Cour note que le requérant se plaint que sa détention n’a pas été effectuée « selon les voies légales » en ce que le jugement du 9 février 2011 aurait prévu que la mesure thérapeutique institutionnelle fût exécutée dans une clinique psychiatrique ou au sein de l’établissement d’exécution des mesures St-Jean et n’aurait pas indiqué qu’elle fût possible dans un établissement pénitentiaire ni ne se serait référé expressément à l’article 59 § 3 du CP (paragraphes 126 et 127 ci‑dessus).
145. La Cour rappelle qu’en matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (Denis et Irvine c. Belgique [GC], nos 62819/17 et 63921/17, § 125, 1er juin 2021).
146. En l’espèce, la Cour relève que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le placement dans un établissement fermé au sens de l’article 59 § 3 du CP est une question d’exécution qui doit en principe être jugée par les autorités d’exécution (paragraphe 79 ci‑dessus). Elle observe par ailleurs, dans le même sens, que le Conseil fédéral a, dans son message relatif à la modification du code pénal, indiqué ce qui suit : « [l]e tribunal ne saurait (...) s’arroger des tâches d’exécution et désigner l’institution appropriée. Le placement incombera (...) à l’autorité d’exécution compétente » (paragraphe 78 ci‑dessus). Il s’ensuit que, quand bien même le jugement du 9 février 2011 n’aurait pas expressément prévu le placement du requérant dans un établissement pénitentiaire en exécution de la mesure thérapeutique institutionnelle ordonnée en vertu de l’article 59 § 3 du CP, une éventuelle décision en ce sens relevait de la compétence de l’autorité d’exécution, à savoir en l’occurrence la SAPEM (paragraphe 14 ci‑dessus). La privation de liberté en question a donc été décidée « selon les voies légales » (voir, pour des affaires concernant elles aussi l’article 59 du CP, C.W. c. Suisse, no 67725/10, §§ 39‑44, 23 septembre 2014, et Papillo c. Suisse, no 43368/08, § 44, 27 janvier 2015).
2. Sur la question de savoir si la privation de liberté était « régulière »
147. La Cour rappelle qu’elle a eu l’occasion, dans son arrêt Rooman précité (§§ 190‑212), de réitérer et de préciser les principes généraux de sa jurisprudence relative à la privation de liberté des « aliénés » au sens de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention. Elle y a notamment jugé qu’il fallait considérer qu’il existait un lien étroit entre la « régularité » de la détention des personnes atteintes de troubles psychiques et le caractère approprié du traitement de leur état de santé mentale (ibid., § 208).
148. Elle rappelle également avoir conclu aux paragraphes 93‑110 ci‑dessus que la détention du requérant à partir du 27 juillet 2012 au sein des établissements pénitentiaires de Thorberg, de Lenzbourg et de Bostadel dans des conditions d’isolement, notamment en l’absence d’une prise en charge thérapeutique adéquate, s’analyse en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Elle estime que les mêmes considérations sont pertinentes aux fins de l’examen du grief tiré de l’article 5 § 1 e) de la Convention (Rooman, précité, §§ 213‑214).
149. La Cour constate que le placement du requérant dans la prison de Thorberg a été ordonné à la suite de tentatives infructueuses de la SAPEM pour trouver à l’intéressé une place dans des institutions psychiatriques spécialisées (paragraphes 14‑17 ci‑dessus). Elle rappelle que la procédure de sélection d’un établissement approprié peut prendre un certain temps et qu’en ce qui concerne la capacité de ce type d’établissements, un certain écart entre le nombre de places que requiert une circonstance donnée et le nombre de places effectivement disponibles doit être jugé acceptable (Morsink, précité, § 67). Elle observe qu’en l’espèce, la sélection initiale de l’établissement capable d’accueillir le requérant aux fins de mise en œuvre de la mesure thérapeutique institutionnelle a commencé après le maintien par la juridiction d’appel, le 24 juin 2011, de l’arrêt du 9 février 2011, et qu’elle a duré jusqu’au 17 novembre 2011, ce qui représente une période d’environ cinq mois et demi. Au vu des efforts déployés par la SAPEM, la Cour estime que cet écart n’était pas suffisamment long pour avoir une incidence sur la « régularité » de la détention du requérant pendant cette période.
150. La Cour relève ensuite que la prise en charge thérapeutique du requérant au sein de la prison de Thorberg, dans laquelle il a été transféré le 18 novembre 2011, a débuté en janvier 2012 sous la forme de séances de thérapie individuelles (paragraphe 28 ci‑dessus). Les éléments dont dispose la Cour ne lui permettent pas de dire que cette prise en charge thérapeutique ait été insuffisante ou inadéquate au regard de diagnostic posé à l’égard du requérant au moment des faits (voir, a contrario, Saadouni c. Belgique, no 50658/09, § 58, 9 janvier 2014). Toutefois, comme la Cour l’a déjà constaté aux paragraphes 100 et 102 ci‑dessus, cette prise en charge a été interrompue le 27 juillet 2012 et n’a, par la suite, pas pu être rétablie avant le mois de février 2016.
151. Certes, les autorités internes ne sont pas restées inactives face à cette situation. Dès le 31 juillet 2012, la SAPEM a sollicité la clinique de Rheinau en vue d’une admission du requérant et, à la suite du refus de cette institution, a ordonné une nouvelle expertise psychiatrique de l’intéressé (paragraphes 24, 26 et 29 ci‑dessus). Après qu’elle eut obtenu le rapport d’expertise établi le 24 septembre 2013, la SAPEM a réitéré sa demande auprès de la clinique de Rheinau tout en sollicitant un avis médical quant à la possibilité d’une médication forcée du requérant au sein de la prison de Thorberg (paragraphes 31, 33 et 35 ci-dessus).
152. Il n’en reste pas moins que malgré les démarches entreprises par la SAPEM à partir du 31 juillet 2012, le requérant continuait à être détenu dans des établissements qui ne pouvaient pas lui offrir des soins appropriés, ce qu’ont constaté à plusieurs reprises tant les médecins que l’administration des établissements concernés (paragraphes 27, 30, 34, 37, 43 et 48 ci‑dessus). Bien que la clinique de Rheinau eût finalement accepté le 20 mai 2014 de prendre en charge le requérant, le transfert effectif de l’intéressé n’a pu avoir lieu que le 19 mai 2016, faute jusqu’à cette date de places disponibles (paragraphes 36 et 70 ci-dessus). Or la Cour ne saurait considérer l’absence de places disponibles comme une justification valable du maintien du requérant dans un établissement inapproprié (Sy, précité, § 135). Elle constate que ce n’est que le 25 février 2016, suite à une aggravation de son état de santé, que le requérant a été transféré vers la station Étoine où il a pu bénéficier d’une prise en charge thérapeutique et médicamenteuse qui fût en rapport avec son état de santé.
153. Il s’ensuit qu’entre le 27 juillet 2012 et le 25 février 2016, soit pendant trois ans et sept mois, le requérant a été détenu dans des établissements qui ne pouvaient pas lui offrir un environnement médical adapté à son état de santé ni de réelles mesures thérapeutiques ayant pour but de le préparer à une éventuelle libération (Rooman, précité, § 208). Force est à la Cour de constater que l’absence pendant trois ans et sept mois d’une thérapie individualisée adaptée à l’état de santé du requérant a constitué une négligence considérable qui a sans doute retardé l’évolution positive de l’intéressé, ce qui a entraîné la prolongation de la mesure thérapeutique qui avait été ordonnée à son égard et, par conséquent, de sa privation de liberté.
154. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que la privation de liberté subie par le requérant du 27 juillet 2012 au 25 février 2016 n’a pas été « régulière », faute d’avoir été effectuée dans un établissement approprié.
155. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.
4. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
156. Enfin, le requérant se plaint que sa demande de libération conditionnelle n’a pas été examinée à « bref délai ». Il invoque à cet égard l’article 5 § 4 de la Convention, lequel se lit ainsi :
« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
1. Sur la recevabilité
157. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
158. Le requérant réitère son grief et indique qu’au moment de l’introduction de sa demande de libération il se trouvait déjà depuis des années en détention dans une section de haute sécurité, circonstance qui exigeait selon lui qu’on statuât immédiatement sur son cas. Il estime que la durée de la procédure devant la DPAM était excessive, de même que celle de la procédure devant la Cour suprême du canton de Berne. Il ne critique pas en tant que telle la procédure devant le Tribunal fédéral, qui a duré environ un mois et demi, mais estime qu’elle démontre que son cas ne présentait pas un niveau de complexité particulier et que, partant, les instances inférieures auraient pu et dû agir beaucoup plus vite.
b) Le Gouvernement
159. Le Gouvernement indique qu’un peu plus de quinze mois se sont écoulés entre l’introduction par le requérant, le 17 septembre 2014, de sa demande de mise en liberté et l’arrêt du Tribunal fédéral du 29 décembre 2015, et il estime qu’un tel délai n’emporte pas violation du principe de célérité de la procédure. Il argue par ailleurs que cette exigence n’est pas la même dans le cas d’une procédure administrative déclenchée par l’examen d’office annuel de la détention que dans celui d’une procédure qui aurait été initiée par le requérant. Il considère donc que la durée de la procédure par laquelle le requérant a cherché à contester la légalité de sa privation de liberté était compatible avec la condition de « bref délai » de l’article 5 § 4 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour
160. La Cour rappelle que la première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II). Dans l’hypothèse d’une détention consécutive à une « condamnation par un tribunal compétent » au sens de l’article 5 § 1 a), le contrôle voulu par l’article 5 § 4 se trouve incorporé au jugement et cette disposition n’exige pas un contrôle séparé de la légalité de la détention ; il en est de même si l’arrestation ou la détention d’un vagabond, visées au paragraphe 1 e), sont ordonnées par un « tribunal » au sens du paragraphe 4 (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, § 76, série A no 12). Toutefois, lorsque de nouvelles questions relatives à la légalité de la détention surgissent après le jugement, l’article 5 § 4 s’applique de nouveau et exige un contrôle judiciaire de la légalité de la détention (voir Ivan Todorov c. Bulgarie, no 71545/11, § 59, 19 janvier 2017, ainsi que les références qui y sont citées). Par ailleurs, un aliéné détenu dans un établissement psychiatrique pour une durée illimitée ou prolongée a en principe le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement (voir, entre autres, X c. Royaume‑Uni, précité, § 52, Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, Série A no 237‑A, et Denis et Irvine, précité, § 191).
161. La Cour rappelle également que la question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie non pas dans l’abstrait mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce, en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne ainsi que du comportement du requérant au cours de celle-ci. En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’État doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 131, 15 décembre 2016). L’exigence de célérité doit également être respectée lorsque les États signataires ont instauré des voies de recours contre les décisions contrôlant la régularité de la privation de liberté (Herz c. Allemagne, no 44672/98, § 72, 12 juin 2003).
162. En l’espèce, la Cour rappelle qu’après avoir jugé que la privation de liberté du requérant tombait sous le coup à la fois de l’alinéa a) et de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention, elle a procédé à l’examen de la « régularité » de la détention de l’intéressé en tant qu’« aliéné » au sens de l’alinéa e) de cette disposition (paragraphes 141‑143 et 147‑155 ci‑dessus).
163. S’agissant de la question de savoir si le requérant bénéficiait d’un contrôle judiciaire périodique et automatique de la régularité de sa détention, la Cour note que, conformément à l’article 59 § 4 du CP, la mesure thérapeutique institutionnelle ne pouvait excéder cinq ans et que la reconduction d’une telle mesure se faisait sur décision d’un juge pour des périodes de cinq ans au maximum (paragraphe 77 ci‑dessus). Elle estime toutefois que la possibilité d’un contrôle judiciaire de la régularité de détention à des intervalles de cinq ans ne faisait pas obstacle au droit pour le requérant d’introduire un recours avant l’expiration de ce délai.
164. La Cour note également que l’article 62d du CP prévoit un examen automatique au moins une fois par an par une « autorité compétente » de la question de savoir si la mesure peut être levée (paragraphe 77 ci‑dessus). Or, selon les articles 4 et 5 de la LEPM, la DPAM était à l’époque des faits l’« autorité compétente » pour toutes les tâches liées à l’exécution des peines et mesures prononcées contre des adultes (paragraphe 83 ci‑dessus). En tant que l’une des directions relevant de l’administration centrale du Conseil‑exécutif du canton de Berne à l’époque des faits (paragraphes 80 et 81 ci‑dessus) et dépendant en conséquence du pouvoir exécutif, la DPAM ne présentait pas les garanties d’un « tribunal » au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Rien n’indique par ailleurs que la DPAM fût dans l’obligation de saisir les tribunaux pour faire contrôler son éventuelle décision de ne pas libérer le requérant (voir, dans le même sens, I.G.D. c. Bulgarie, no 70139/14, § 60, 7 juin 2022).
165. Eu égard aux éléments de jurisprudence cités au paragraphe 160 ci‑dessus, la Cour estime donc que le requérant, privé de sa liberté en tant qu’« aliéné », avait le droit d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un « tribunal » au sens de l’article 5 § 4 de la Convention pour contester la « légalité » de sa détention, nonobstant le fait que celle-ci avait été ordonnée par le tribunal régional du Jura bernois‑Seeland le 9 février 2011.
166. La Cour constate ensuite que de nouvelles questions relatives à la légalité de la détention du requérant ont indéniablement surgi après le 9 février 2011, c’est‑à‑dire après la date du prononcé de la mesure thérapeutique institutionnelle à son endroit, notamment celle relative au caractère approprié de l’établissement dans lequel l’intéressé était détenu (paragraphes 147‑154 ci‑dessus). Le requérant ayant introduit sa demande de libération le 17 septembre 2014, soit approximativement trois ans et sept mois après le prononcé à son égard de la mesure privative de liberté, la Cour estime que cet intervalle paraît « raisonnable » au vu de sa jurisprudence en la matière (voir, à titre d’exemple, M.H. c. Royaume-Uni, no 11577/06, §§ 97 et 98, 22 octobre 2013, où il s’agissait d’un intervalle de trois mois et vingt‑cinq jours). L’intéressé pouvait donc s’attendre à ce que sa demande fût examinée à « bref délai » par un tribunal au sens de l’article 5 § 4 de la Convention.
167. À cet égard, la Cour observe qu’un délai d’un an et dix-neuf jours s’est écoulé entre la demande de libération du requérant, formulée le 17 septembre 2014, et la première décision judicaire de la Cour suprême cantonale, rendue le 6 octobre 2015. Le recours du requérant contre cette décision ayant été rejeté par le Tribunal fédéral le 29 décembre 2015, la durée globale de la procédure s’élève à un an, trois mois et douze jours.
168. La Cour rappelle que, dans l’arrêt Derungs c. Suisse (no 52089/09, §§ 48‑56, 10 mai 2016), qui concernait la durée d’une procédure relative à une demande de libération introduite par une personne internée, elle a jugé excessif un délai de presque onze mois entre le moment où cette personne a demandé sa libération et celui où la libération a été octroyée par la juridiction de première instance au terme d’une procédure de recours contre une décision de l’office de l’exécution judiciaire.
169. En l’espèce, tout comme dans l’affaire Derungs précitée, la Cour constate que la partie la plus importante du retard à statuer a été causée par l’obligation faite au requérant par le droit du canton de Berne de former un recours hiérarchique préalable devant la SAPEM et la DPAM (paragraphes 63‑64 ci‑dessus), des organes qui, comme la Cour l’a observé, ne présentent pas, au demeurant, les garanties d’un « tribunal » au sens de la Convention (paragraphe 164 ci‑dessus). Or la complexité de la procédure interne ne saurait constituer un motif apte à justifier un retard dans la procédure, étant donné que la Convention oblige les États contractants à organiser leurs juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exigences de cette disposition, notamment quant au délai raisonnable (ibidem, § 52).
170. La Cour note que le Gouvernement ne prétend pas non plus que le cas du requérant ait été particulièrement complexe ni que l’intéressé ait, par son comportement, joué un rôle dans la durée de la procédure.
171. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que la demande de libération introduite par le requérant le 17 septembre 2014 n’a pas été examinée « à bref délai ».
172. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
5. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
173. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
174. Le requérant demande 497 750 francs suisses (CHF) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.
175. Le Gouvernement argue que les demandes formulées par le requérant au titre du préjudice moral sont excessives et soutient qu’une indemnité d’un montant maximum de 8 000 CHF serait appropriée en l’espèce. Il renvoie à cet égard à l’arrêt W.D. c. Belgique (no 73548/13, § 178, 6 septembre 2016).
176. Eu égard aux constats de violation des articles 3 et 5 §§ 1 et 4 de la Convention auxquels elle est parvenue, la Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui octroie 32 500 EUR (trente-deux mille cinq cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
2. Frais et dépens
177. Le requérant réclame 10 800 CHF, soit 9 437 EUR, au titre des frais et dépens qu’il dit avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.
178. Le Gouvernement estime qu’un montant de 7 000 CHF serait approprié.
179. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés ainsi que du fait qu’une partie de la requête a été déclarée irrecevable, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 8 000 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le grief formulé sur le terrain de l’article 3 de la Convention relativement aux conditions de détention du requérant ainsi que les griefs formulés sur le terrain de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention recevables et la requête irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
1. 32 500 EUR (trente-deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;
2. 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 février 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Milan Blaško Pere Pastor Vilanova
Greffier Président