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29/08/2024 | CEDH | N°001-235472

CEDH | CEDH, AFFAIRE LEFEBVRE c. FRANCE, 2024, 001-235472


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LEFEBVRE c. FRANCE

(Requête no 12767/21)

ARRÊT

Art 10 • Liberté d’expression • Condamnation civile d’un conseiller municipal et président d’un groupe d’opposition au sein du conseil municipal pour diffamation publique envers une société anonyme d’économie mixte, chargée de la gestion de près d’un tiers du parc des logements sociaux de la commune, en raison de propos publiés sur le mur de son compte Facebook • Motifs pertinents et suffisants

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG>
29 août 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il pe...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LEFEBVRE c. FRANCE

(Requête no 12767/21)

ARRÊT

Art 10 • Liberté d’expression • Condamnation civile d’un conseiller municipal et président d’un groupe d’opposition au sein du conseil municipal pour diffamation publique envers une société anonyme d’économie mixte, chargée de la gestion de près d’un tiers du parc des logements sociaux de la commune, en raison de propos publiés sur le mur de son compte Facebook • Motifs pertinents et suffisants

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

29 août 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lefebvre c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Lado Chanturia, président,
Mattias Guyomar,
Carlo Ranzoni,
María Elósegui,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy,
Stéphane Pisani, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 12767/21) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Jean-Paul Lefebvre (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 26 février 2021,

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») les griefs tirés des articles 6 § 1 et 10 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 juillet 2024,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne la condamnation du requérant, conseiller municipal et président d’un groupe d’opposition au sein du conseil municipal, pour diffamation en raison de propos publiés sur le mur de son compte Facebook. Le requérant invoque l’article 10 de la Convention.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1956 et réside à Noisy-le-Sec. Il a été représenté par Me D. Apelbaum, avocat.

3. Le Gouvernement a été successivement représenté par M. F. Alabrune, puis par M. D. Colas, directeurs des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

4. Le 30 décembre 2014, le requérant, conseiller municipal de la commune de Noisy-le-Sec et président d’un groupe d’opposition au sein du conseil municipal, écrivit au procureur de la République de Bobigny pour lui signaler diverses malversations commises dans le cadre de marchés publics par la société anonyme d’économie mixte Noisy-le-Sec Habitat (« la SAEM »). Cette dernière est chargée de la gestion de 30 % du parc de logements sociaux de la commune de Noisy-le-Sec, notamment dans le quartier dit « sensible » du Londeau. La commune détient plus des deux tiers du capital de la SAEM, au sein de laquelle huit membres du conseil d’administration sur douze sont des conseillers municipaux et le maire est, de droit, son président-directeur général (PDG).

5. En outre, au mois d’avril 2015, à la suite du refus du maire de la commune de Noisy-le-Sec, en sa qualité de PDG de la SAEM, de communiquer les documents concernant le marché public passé avec la société L., le requérant saisit la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui émit un avis favorable à sa demande de communication des documents sollicités le 7 mai 2015.

6. À l’issue d’une enquête préliminaire, le procureur de la République fit citer plusieurs personnes devant le tribunal correctionnel de Bobigny, dont le maire de la commune, en sa qualité de PDG de la SAEM et le directeur général de celle-ci, ainsi que M. G., conseiller municipal ayant rejoint l’opposition, et K.M, associé de la société L., notamment pour favoritisme, prise illégale d’intérêts et trafic d’influence dans l’attribution de marchés publics. Par une décision du 23 janvier 2019, le tribunal administratif de Montreuil autorisa le requérant à se constituer partie civile au nom de la commune de Noisy-le-Sec dans le cadre de cette procédure pénale. Le 22 octobre 2021, le tribunal correctionnel relaxa le PDG de la SAEM et d’autres prévenus. Le ministère public interjeta appel. La procédure est toujours pendante.

7. Par ailleurs, le 19 juillet 2016, le conseiller municipal M.G., originaire du Londeau, fut la cible de plusieurs coups de feu alors qu’il se trouvait dans ce quartier. Selon M.G., les deux auteurs interpellés, les frères M., notamment K.M., mis en examen du chef d’assassinat, seraient liés au maire de la commune, qu’ils auraient soutenu durant sa campagne électorale en 2014 avant d’obtenir, par l’intermédiaire de leur société L., un contrat de marché public lancé par la SAEM. K.M., identifié comme étant l’un des auteurs de l’agression, fut définitivement condamné en 2019 à cinq ans d’emprisonnement pour violences aggravées. Au cours de ce procès, la défense de K.M. fit citer le directeur général de la SAEM comme témoin.

8. Dans ce contexte, le requérant publia, le 20 juillet 2016, les propos suivants sur le mur de son compte Facebook :

« #NoisyleSec un conseiller municipal – élu sur la liste [R.] – a été ciblé par un règlement de compte de type mafieux (« jambisé ») hier soir au Londeau, touché par au moins 4 balles dans les jambes. Il est hospitalisé mais hors de danger. Je souhaite à notre collègue [M.G.] de se rétablir au plus vite. J’espère que l’enquête permettra d’établir toutes les circonstances et de remonter vers toutes les personnes impliquées, même indirectement (un certain bailleur « social »), dans les dérives mafieuses qui sont désormais, hélas, le quotidien de notre pauvre ville, depuis cinq ans et demi. »

9. En réaction, la SAEM, s’estimant visée par ce commentaire, fit citer le requérant devant le tribunal correctionnel de Paris pour diffamation.

10. Par un jugement du 12 juin 2018, le tribunal correctionnel relaxa le requérant, jugeant que la citation était irrecevable, la SAEM n’étant pas nommément visée, ni identifiable, dans les propos publiés par le requérant. Le ministère public n’interjeta pas appel. En revanche, un appel fut interjeté par la SAEM le 13 juin 2018 et par le requérant, sur le seul dispositif civil, le 25 juin 2018. Dans ses observations écrites, le requérant développa à nouveau les arguments présentés en première instance, invoquant notamment l’article 10 de la Convention.

11. Le 20 mars 2019, la cour d’appel de Paris jugea que l’action publique n’était plus en cause, le parquet n’ayant pas interjeté appel, et qu’elle ne devait statuer que sur l’action en réparation du dommage pouvant résulter de la seule faute civile de la personne poursuivie, cette faute devant être démontrée à partir et dans les limites des faits objets de la poursuite.

12. La cour d’appel développa ensuite sa motivation en se prononçant « sur le caractère diffamatoire des propos et l’identification de la personne visée », « sur la bonne foi » du requérant et, enfin, « sur les demandes des parties ». Elle estima tout d’abord que les propos litigieux contenaient l’imputation d’un fait précis relatif à un règlement de compte de type mafieux et consistant à tirer quatre balles dans les jambes d’un conseiller municipal, tout en précisant que le caractère indirect de l’implication n’excluait pas la possibilité de prouver le fait imputé. Quant à l’identification de la personne visée, elle releva les éléments suivants : la SAEM, sans être nommée par le requérant, était identifiable compte tenu de la référence à « un certain bailleur "social" » ; l’utilisation du « #NoisyleSec », pour introduire les propos litigieux, permettait d’affirmer que le bailleur dont il s’agissait était implanté dans cette ville ; le qualificatif « social », placé entre guillemets, indiquait, par ironie, qu’il s’agissait bien d’un bailleur de logements sociaux dont la gestion « sociale » de son parc immobilier serait sujette à critique ; plusieurs tribunes éditées dans le journal communal d’information et écrites par le requérant pour son groupe d’opposition, ainsi que huit « posts » publiés sur son compte Facebook entre mai et juin 2016, concernaient la SAEM, le requérant en faisant « un de ses chevaux de bataille à l’encontre de l’équipe municipale au pouvoir » ; la production d’attestations établies par des habitants de la commune confirmaient que le requérant était très préoccupé par la situation de la SAEM et qu’il ne faisait aucun doute pour un lecteur qu’il s’agissait bien de cette dernière dans la publication litigieuse. La cour d’appel en conclut que les propos litigieux étaient « donc bien diffamatoires » à l’égard de la SAEM. S’agissant du critère de la bonne foi, elle précisa ce qui suit :

« (...) Au surplus, dans le cadre d’un débat politique, le droit à la contradiction de l’adversaire politique doit être effectif et permet l’emploi d’une moindre prudence.

Enfin, lorsque les propos incriminés concernent un sujet d’intérêt général, leur auteur doit établir qu’ils reposent sur une base factuelle suffisante.

En l’espèce, M. Lefebvre s’exprime sur son compte Facebook personnel ; il est conseiller municipal appartenant à l’opposition ce qui lui permettait une plus grande liberté de ton dans l’exposé d’une situation exceptionnelle, liée à la vie politique de la commune dès lors qu’il s’agissait de l’agression d’un autre conseiller municipal dans un contexte, selon M. Lefebvre, de favoritisme et de prise illégale d’intérêts dans le cadre de marchés publics passés par la SAEM Noisy-le-Sec Habitat dont le PDG est de droit le maire.

La cour constate que M. Lefebvre disposait d’éléments d’information provenant de sa démarche auprès de la CADA afin d’obtenir des documents relatifs au marché public passé entre la SAEM Noisy-le-Sec Habitat et la SARL [L.] et de sa fonction d’élu municipal, et portant sur la tentative d’assassinat sur la personne de [M.G.], les soupçons pesant sur les frères [M.] qui ont agi en plein jour et ont été reconnus, les liens entre la SARL [L.], dans laquelle [l’un des frères M.] était associé, et la SAEM Noisy‑le-Sec Habitat qui lui a accordé un important marché de peinture selon facture du 31 mars 2014 ainsi que les soupçons concernant la SAEM Noisy-le-Sec Habitat pour des faits de corruption active et passive, de trafic d’influence et de prise illégale d’intérêt 1’ayant entraîné à faire un signalement auprès du procureur de la République d’Evry le 30 décembre 2014.

En revanche, M. Lefebvre ne prouve pas qu’à la date de ses propos, il disposait d’éléments factuels lui permettant d’imputer à la SAEM Noisy-le-Sec Habitat une implication dans un règlement de comptes par balles, les liens connus entre les frères [M.] et la société bailleresse, qui au demeurant ne peuvent être établis par de simples clichés photographiques, n’entraînant pas de facto une participation de la société bailleresse, même indirectement, à la tentative d’assassinat.

Dans ces conditions, M. Lefebvre ne peut bénéficier de l’excuse de bonne foi et doit répondre de sa faute civile fondée sur la diffamation publique envers particulier. »

13. Partant, la cour d’appel estima que la demande en réparation de la SAEM était bien-fondée. Elle condamna le requérant à lui verser un euro (EUR) de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, ainsi que 1 500 EUR pour ses frais de procédure. Elle ordonna également la suppression du message litigieux et la publication judiciaire du communiqué suivant sur Facebook :

« Par arrêt du 20 mars 2019, la cour d’appel de Paris (chambre 2-7) a condamné M. Lefebvre, pour avoir diffamé publiquement la SAEM Noisy-le-Sec Habitat, en mettant en ligne le 20 juillet 2016 les propos suivants :

"J’espère que l’enquête permettra d’établir toutes les circonstances et de remonter vers toutes les personnes impliquées, même indirectement (un certain bailleur "social"), dans les dérives mafieuses qui sont désormais, hélas, le quotidien de notre pauvre ville, depuis cinq ans et demi" »

14. Le requérant forma un pourvoi en cassation. Il déposa un mémoire ampliatif pour développer un moyen de cassation sur le fondement de l’article 10 de la Convention, en invoquant la jurisprudence de la Cour en matière de liberté d’expression, en particulier dans le cadre d’un débat politique. La SAEM déposa un mémoire concluant au rejet du pourvoi, ainsi qu’à l’octroi d’une somme au titre de ses frais de procédure.

15. Au mois de février 2020, le greffe criminel de la Cour de cassation transmit au requérant l’avis de non-admission du pourvoi rendu par le conseiller rapporteur. Le 17 mars 2020, il lui adressa les conclusions de l’avocat général, qui considérait que le moyen développé par le requérant n’était pas de nature à permettre l’admission du pourvoi.

16. Par une décision du 1er septembre 2020, la Cour de cassation, siégeant en formation restreinte, déclara le pourvoi du requérant non admis. Par ailleurs, elle le condamna à payer 2 500 EUR au titre des frais de procédure à la SAEM.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

17. Le requérant se plaint d’avoir été civilement condamné en raison des propos publiés sur le mur de son compte Facebook. Il estime que cela constitue une violation du droit à la liberté d’expression d’un élu local, leader de l’opposition municipale, sur un sujet d’intérêt général relatif à la gestion communale. Il critique en outre la lourdeur des frais mis à sa charge. Il invoque l’article 10 de la Convention. Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, il dénonce également l’absence de réponse à ses moyens tirés de l’article 10.

18. La Cour observe que le second grief se confond en réalité avec le premier. Rappelant qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits et qu’elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants ou le Gouvernement (voir, parmi de nombreux autres, X et autres c. Bulgarie [GC], no 22457/16, § 149, 2 février 2021, Association Burestop 55 et autres c. France, nos 56176/18 et 5 autres, § 75, 1er juillet 2021, et De Lesquen du Plessis-Casso c. France (no 2), no 34400/10, § 17, 30 janvier 2014), elle estime plus approprié de les examiner uniquement sous l’angle de l’article 10 de la Convention, aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

1. Sur la recevabilité

19. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Le requérant

20. Le requérant reconnaît que l’ingérence était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime. En revanche, il estime qu’elle n’était pas justifiée en l’espèce. Il soutient tout d’abord que le maire de la commune, agissant en qualité de PDG de la SAEM, a utilisé la voie pénale comme une « procédure‑bâillon », pour intimider son principal opposant politique et lui occasionner de lourdes dépenses, afin de le dissuader de jouer un rôle de lanceur d’alerte en sa qualité d’élu local. Il souligne par ailleurs que les propos litigieux s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général, concernant une situation particulièrement grave sur le plan local, avec des menaces et des agressions d’élus. Le requérant indique avoir utilisé des propos prudents, sans désigner nommément la SAEM ni accuser celle‑ci directement ou indirectement d’avoir commandité l’assassinat de M.G., conseiller municipal de l’opposition.

21. Par ailleurs, il allègue qu’il existait des bases factuelles suffisantes, au moment de la publication de son texte sur le mur de son compte Facebook, quant à une dérive mafieuse de la gestion communale, avec une collusion d’intérêts entre le maire et les auteurs des coups de feu sur M.G. Il ajoute que la cour d’appel a reconnu qu’il disposait de clichés photographiques établissant les liens étroits entre ces derniers et le maire de la commune, PDG de la SAEM, ainsi que d’informations lui ayant permis d’adresser un signalement au procureur de la République sur les conditions dans lesquelles des marchés avaient été conclus par la SAEM. Le requérant estime que des devoirs et responsabilités découlaient de sa qualité d’élu et de son engagement politique, ce qui justifiait les propos litigieux.

2. Le Gouvernement

22. Le Gouvernement n’entend pas contester l’existence d’une ingérence dans le droit à la liberté d’expression du requérant, au sens de l’article 10 de la Convention. Par ailleurs, il considère que cette ingérence était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la réputation d’autrui.

23. S’agissant de la nécessité de cette ingérence dans une société démocratique, le Gouvernement relève tout d’abord que les autorités internes bénéficiaient d’une marge d’appréciation restreinte et que le requérant, élu municipal s’exprimant dans un contexte politique, bénéficiait d’une protection renforcée quant à l’exercice de son droit à la liberté d’expression.

24. Pour autant, il estime que la condamnation du requérant répondait à un besoin social impérieux et reposait sur des motifs pertinents et suffisants. S’agissant de la teneur des propos, il estime que ces derniers constituent des déclarations de fait, ainsi qu’une appréciation particulièrement critique, sans fondement, portée sur le ton de l’invective. À supposer qu’il s’agissait d’un jugement de valeur, le Gouvernement considère que les déclarations du requérant ne reposaient sur aucune base factuelle. Il estime par ailleurs que le requérant avait nécessairement conscience du caractère excessif de ses propos à un moment où l’instance pénale n’était pas terminée et alors que la SAEM n’était pas mise en cause dans cette procédure.

25. Le Gouvernement souligne que le requérant n’a été condamné qu’à un « euro symbolique », au paiement des frais de procédure et à une mesure de publication judiciaire. Enfin, il considère que la cour d’appel s’est prononcée sur la culpabilité du requérant par une argumentation détaillée, tandis que la Cour de cassation, réunie en formation collégiale, a déclaré le pourvoi du requérant non admis après un examen par un conseiller rapporteur et au regard des conclusions de l’avocat général.

3. Appréciation de la Cour

26. La Cour considère que la condamnation civile du requérant pour diffamation publique envers un particulier constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Les parties sont en accord sur ce point.

27. Pareille immixtion enfreint l’article 10 de la Convention, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou plusieurs des « buts légitimes » énumérés au paragraphe 2 de l’article 10 et « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.

a) Sur la légalité et le but légitime de l’ingérence

28. La Cour reconnaît, à l’instar du requérant, que cette ingérence était « prévue par la loi », sa condamnation ayant été prononcée en application des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Par ailleurs, tout en rappelant que la question de savoir si une personne morale peut jouir du droit à la réputation (y compris l’étendue de ce droit) est discutable, la Cour est disposée à supposer que ce but peut être invoqué dans les circonstances de l’espèce (voir, notamment, Almeida Arroja c. Portugal, no 47238/19, § 59, 19 mars 2024).

b) Sur la nécessité dans une société démocratique

1. Principes généraux

29. Les principes généraux permettant d’apprécier la nécessité d’une ingérence donnée dans l’exercice de la liberté d’expression, maintes fois réaffirmés par la Cour, ont été résumés dans les arrêts Morice c. France ([GC], no 29369/10, §§ 124 à 127, CEDH 2015), Karácsony et autres c. Hongrie ([GC], nos 42461/13 et 44357/13, §§ 137 à 141, CEDH 2016 (extraits)) et, plus récemment, Sanchez c. France ([GC], no 45581/15, § 145, 15 mai 2023).

30. S’agissant en particulier des condamnations pour diffamation, la Cour prend en compte, pour apprécier la nécessité de l’ingérence litigieuse, les éléments suivants : la qualité du requérant et celle de la ou des personnes visées par les propos litigieux, le cadre de ces propos, leur nature et leur base factuelle, ainsi que la nature de la sanction infligée au requérant (Morice, précité, §§ 150 et suivants, Lacroix c. France, no 41519/12, § 39, 7 septembre 2017, et Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, §§ 35 et suivants, CEDH 2001‑II).

31. Elle rappelle toutefois qu’elle n’a pas pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, qui jouissent au demeurant d’une marge d’appréciation, à laquelle le préambule de la Convention se réfère expressément à la suite de l’entrée en vigueur du Protocole no 15 le 1er août 2021, mais de vérifier la compatibilité avec les exigences de l’article 10 des décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation, et ce en appréciant l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire (Sanchez, précité, § 198).

32. Par ailleurs, la Cour rappelle que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique (voir, parmi beaucoup d’autres, Sanchez, précité, § 146, NIT S.R.L. c. République de Moldova [GC], no 28470/12, § 178, 5 avril 2022, Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 61, CEDH 1999‑IV, et Fleury c. France, no 29784/06, § 43, 11 mai 2010). Il est fondamental, dans une société démocratique, de défendre le libre jeu du débat politique et la Cour accorde la plus haute importance à la liberté d’expression dans le contexte du débat politique (Feldek c. Slovaquie, no 29032/95, § 83, CEDH 2001‑VIII). Précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple (Karácsony, précité, § 40, et Lacroix, précité, § 43). Partant, la marge d’appréciation dont disposent les autorités pour juger de la « nécessité » d’une mesure litigieuse dans ce contexte est particulièrement restreinte (voir, entre autres, Sanchez, précité, § 146).

33. La liberté d’expression est tout particulièrement précieuse pour un élu du peuple, les partis politiques et leurs membres actifs et, partant, des ingérences dans la liberté d’expression d’un membre de l’opposition, qui représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts, commandent dès lors à la Cour de se livrer à un contrôle des plus stricts (Sanchez, précité, § 147, Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 2) [GC], no 14305/17, § 242, 22 décembre 2020, et Karácsony et autres, précité, § 137).

34. Il reste qu’il y a lieu, pour apprécier l’existence d’un « besoin social impérieux » propre à justifier une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression, de distinguer avec soin entre faits et jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude (voir, parmi beaucoup d’autres, McVicar c. Royaume-Uni, no 46311/99, § 83, CEDH 2002-III, et Fleury, précité, § 48). Il n’en reste pas moins que même un jugement de valeur peut se révéler excessif s’il est totalement dépourvu de base factuelle (Jerusalem, précité, § 43, et Fleury, précité, § 49).

2. Application en l’espèce

35. Lors de l’examen des circonstances de l’espèce, la Cour prendra en compte les éléments ci-après : la qualité du requérant et celle de la personne visée par les propos litigieux, le cadre de ces propos, leur nature et leur base factuelle, ainsi que la nature de la sanction infligée au requérant (paragraphe 30 ci-dessus).

α) La qualité du requérant et celle de la personne visée par les propos litigieux

36. La Cour note que le requérant siégeait au conseil municipal de Noisy‑le‑Sec et qu’il faisait partie de l’opposition. Il était donc assurément une personnalité politique, s’exprimant en sa qualité d’élu et dans le cadre de son engagement politique et « militant » (voir, notamment, Mamère c. France, no 12697/03, § 20, CEDH 2006‑XIII). À ce titre, il avait donc un rôle de « vigie » et d’alerte de la population concernant les questions relevant de la compétence du conseil municipal, notamment dans le domaine spécifique des marchés publics. Pour autant, un personnage politique comme le requérant a des devoirs et des responsabilités, outre le fait qu’une notoriété et une représentativité importante donnent plus de résonnance et d’autorité aux mots ou aux actes de leur auteur qui, en raison de son statut particulier et de sa place dans la société, est effectivement plus susceptible d’influencer les électeurs, voire de les inciter, directement ou non, à adopter des positions et des comportements qui peuvent se révéler illicites (Sanchez, précité, § 187).

37. Concernant la personne visée par les propos litigieux, il s’agissait d’une société anonyme d’économie mixte, chargée de la gestion de près d’un tiers du parc des logements sociaux de la commune. La Cour note que la commune détient plus des deux tiers de son capital et que huit membres sur douze de son conseil d’administration sont des conseillers municipaux, le maire étant, quant à lui, son PDG (paragraphe 4 ci-dessus). Or, les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un responsable politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par l’ensemble des citoyens ; il doit, par conséquent montrer une plus grande tolérance (De Lesquen du Plessis‑Casso, précité, § 39). La Cour rappelle cependant que la protection de la réputation d’une personne morale n’a pas la même force que la protection de la réputation ou des droits des individus (voir, notamment, Freitas Rangel c. Portugal, no 78873/13, § 53, 11 janvier 2022). En l’espèce, la Cour considère que, par son statut, avec un capital majoritairement détenu par la commune, une direction principalement composée d’élus de cette dernière et une présidence assurée, de droit, par le maire de la commune, la SAEM n’était pas assimilable à un simple particulier. Partant, elle devait faire preuve d’un plus grand degré de tolérance à l’égard des critiques, même sévères, formulées par un élu. La Cour relève d’ailleurs qu’à la suite du signalement effectué par le requérant au procureur de la République (paragraphe 4 ci-dessus), une procédure pénale a également été dirigée contre le maire, en sa qualité de PDG de la SAEM, étant rappelé par ailleurs que le requérant a été autorisé par le juge administratif à se constituer partie civile au nom de la commune de Noisy‑le‑Sec dans cette instance (paragraphe 6 ci-dessus), tâche qui incombe en principe au maire. En outre, lorsque, comme en l’espèce, le débat porte sur un sujet émotionnel, ce qui est à n’en pas douter le cas s’agissant de l’agression d’un membre de l’opposition municipale par armes à feu dans un quartier dit « sensible », les élus doivent faire preuve d’une tolérance particulière quant aux critiques dont ils font l’objet et, le cas échéant, aux débordements verbaux ou écrits qui les accompagnent (voir, mutatis mutandis, Renaud c. France, no 13290/07, § 41, 25 février 2010).

β) La contribution à un débat d’intérêt général

38. La Cour observe que les propos litigieux ont été publiés par le requérant sur le mur de son compte Facebook. Ses déclarations visaient notamment à dénoncer une agression subie par un autre conseiller municipal de l’opposition dans un quartier dit « sensible » de la commune de Noisy‑le‑Sec, dont la victime était originaire, et à en informer les électeurs. Il précisait également espérer que l’enquête permette d’établir toutes les circonstances et de remonter vers toutes les personnes impliquées dans les « dérives mafieuses » qui auraient été le quotidien de la commune depuis plusieurs années.

39. De tels propos étaient donc susceptibles de relever, à tout le moins pour partie, d’un débat d’intérêt général, sur lequel le requérant avait le droit de communiquer des informations au public. Bien que la publication soit intervenue sur le mur du compte Facebook du requérant, ce dernier agissait néanmoins en sa qualité d’élu, qui utilisait un moyen technique mis à sa disposition sur ce réseau social, ce qui lui permettait de communiquer avec les électeurs (voir, mutatis mutandis, Sanchez, précité, § 193), en particulier s’agissant des problèmes rencontrés par ces derniers dans leur commune. Dans ces circonstances, une ingérence dans la liberté d’expression du requérant ne saurait se justifier que par des motifs impérieux.

γ) La nature des propos litigieux et leur base factuelle

40. La Cour constate tout d’abord que, pour juger les propos litigieux diffamatoires et condamner le requérant, la cour d’appel a estimé que, malgré son caractère indirect, la publication contenait l’imputation d’un fait précis, à savoir l’implication dans un règlement de compte de type mafieux, consistant à tirer quatre balles dans les jambes d’un conseiller municipal, tout en précisant que le caractère indirect de cette implication n’excluait pas la possibilité de prouver le fait imputé. Elle a également considéré que la SAEM, sans être nommée par le requérant, était facilement identifiable (paragraphe 12 ci‑dessus).

41. Elle relève ensuite que les juges internes ont expressément pris en compte le contexte politique dans le cadre duquel les déclarations du requérant s’inscrivaient. Ils ont néanmoins écarté le bénéfice de l’excuse de bonne foi, après avoir relevé que le requérant ne prouvait pas qu’il disposait, à la date de ses propos, d’éléments factuels lui permettant d’imputer à la SAEM une implication dans un règlement de comptes par balles (paragraphe 12 ci‑dessus).

42. En outre, la Cour note que les propos litigieux n’ont pas été tenus au cours de débats, qui peuvent parfois être assez vifs entre élus lors des séances de conseils municipaux (voir, notamment, De Lesquen du Plessis‑Casso c. France, no 54216/09, §§ 40 et 48, 12 avril 2012, et Lacroix, précité, § 44), ni dans le contexte d’une compétition électorale, étant rappelé que la vivacité des propos est alors plus tolérable qu’en d’autres circonstances (Sanchez, précité, § 152, Desjardin c. France, no 22567/03, § 48, 22 novembre 2007, et Brasilier c. France, no 71343/01, § 42, 11 avril 2006), mais qu’ils ont été rédigés puis publiés par le requérant sur le mur de son compte Facebook. Or, si la possibilité pour les individus de s’exprimer sur Internet constitue un outil sans précédent d’exercice de la liberté d’expression, les avantages de cet outil s’accompagnent d’un certain nombre de risques, des propos clairement illicites, notamment des propos diffamatoires, haineux ou appelant à la violence, pouvant être diffusés comme jamais auparavant dans le monde entier, en quelques secondes, et parfois demeurer en ligne pendant fort longtemps (Sanchez, précité, §§ 161-162, et Société Éditrice de Mediapart et autres c. France, nos 281/15 et 34445/15, § 88, 14 janvier 2021). La Cour rappelle à ce titre qu’une notoriété et une représentativité importante donnent nécessairement une résonance et une autorité particulières aux mots, aux actes ou aux omissions de leur auteur et qu’elle estime dès lors pertinent d’opérer un contrôle de proportionnalité en fonction du niveau de responsabilité susceptible de peser sur la personne visée. Il s’ensuit qu’un simple particulier dont la notoriété et la représentativité sont limitées aura moins d’obligations qu’une personne ayant, à l’instar du requérant, un mandat d’élu local (Sanchez, précité, § 201).

43. La Cour observe ensuite que le requérant ne s’est pas contenté de faire référence à des « dérives mafieuses » dans lesquelles la SAEM aurait été impliquée, « même indirectement », ce qui, compte tenu de la tonalité générale du texte et du contexte dans lequel il l’a publié, aurait pu constituer davantage un jugement de valeur qu’une pure déclaration de fait. Bien au contraire, le requérant, en encourageant les enquêteurs à « remonter vers toutes les personnes impliquées, même indirectement (un certain bailleur "social") », a également établi, comme l’ont relevé les juges internes, un lien direct entre la SAEM et l’agression d’un « conseiller municipal (...) ciblé par un règlement de compte de type mafieux (...) touché par au moins quatre balles dans les jambes ». Aux yeux de la Cour, de telles accusations portées à l’encontre de la SAEM s’analysent en une déclaration de fait, qui n’était fondée sur aucune base factuelle suffisante. Il ressort en effet clairement de la motivation de l’arrêt de la cour d’appel que si le requérant a tenté de produire des éléments à charge contre la SAEM, il n’est cependant pas parvenu à établir que ses allégations reposaient sur un base factuelle suffisante.

44. Partant, et malgré le contrôle des plus stricts que la Cour est amenée à exercer dans le domaine du discours politique, celui-ci ne la conduit pas à voir dans les propos du requérant l’expression de la dose d’exagération ou de provocation dont il est permis de faire usage dans le cadre de la liberté d’expression politique (Meslot c. France (déc.), no 50538/12, 9 janvier 2018, et Fougasse c. France (déc.) [comité], no 44710/22, 2 novembre 2023).

45. Dans ces conditions, la Cour n’identifie aucune raison sérieuse de remettre en cause l’appréciation portée par la cour d’appel dans son arrêt, qui reposait sur des motifs pertinents et suffisants dont le requérant a au demeurant pu discuter dans le cadre de son pourvoi en cassation.

δ) La nature de la sanction infligée au requérant

46. Enfin, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont des éléments à prendre en considération lorsque l’on évalue la proportionnalité de l’ingérence (Morice, précité, § 127, et Fleury, précité, § 51).

47. En l’espèce, le requérant a été relaxé par le tribunal correctionnel et n’a été condamné par la cour d’appel qu’au paiement à la SAEM d’un EUR de dommages-intérêts pour une diffamation constitutive d’une faute civile, ainsi qu’à 1 500 et 2 500 EUR au titre des frais de procédure à hauteur d’appel et de cassation. La cour d’appel a également ordonné la suppression du message litigieux et la publication d’un communiqué sur Facebook.

48. Outre le fait que la condamnation à « l’euro symbolique » soit la plus modérée possible, la Cour estime, compte tenu de ces montants et eu égard aux éléments développés ci-dessus, que la peine infligée au requérant n’était pas disproportionnée au but légitime poursuivi.

ε) Conclusion

49. Compte tenu de ce qui précède, sur la base d’un examen in concreto des circonstances spécifiques de la présente affaire et eu égard à la marge d’appréciation dont bénéficie l’État défendeur, la Cour estime que les décisions des juridictions internes reposaient sur des motifs pertinents et suffisants et que l’ingérence litigieuse peut passer pour « nécessaire dans une société démocratique ».

50. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 août 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik Lado Chanturia
Greffier Président


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-235472
Date de la décision : 29/08/2024
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 10 - Liberté d'expression - {général} (Article 10-1 - Liberté d'expression)

Parties
Demandeurs : LEFEBVRE
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : Apelbaum, David

Origine de la décision
Date de l'import : 30/08/2024
Fonds documentaire ?: HUDOC

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