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17/09/2024 | CEDH | N°001-236082

CEDH | CEDH, AFFAIRE PINDO MULLA c. ESPAGNE, 2024, 001-236082


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE PINDO MULLA c. ESPAGNE

(Requête no 15541/20)

ARRÊT


Art. 8 lu à la lumière de l’art. 9 • Vie privée • Administration à une femme témoin de Jéhovah, au cours d’une intervention chirurgicale d’urgence, d’un traitement médical consistant en des transfusions sanguines, malgré le refus de tout type de transfusion sanguine qu’avait exprimé l’intéressée • Patients adultes capables de discernement libres de prendre des décisions relativement à des opérations chirurgicales ou à des traitements médicaux, y compri

s les transfusions sanguines • Nécessité que le processus décisionnel comporte des garanties légales et instit...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE PINDO MULLA c. ESPAGNE

(Requête no 15541/20)

ARRÊT

Art. 8 lu à la lumière de l’art. 9 • Vie privée • Administration à une femme témoin de Jéhovah, au cours d’une intervention chirurgicale d’urgence, d’un traitement médical consistant en des transfusions sanguines, malgré le refus de tout type de transfusion sanguine qu’avait exprimé l’intéressée • Patients adultes capables de discernement libres de prendre des décisions relativement à des opérations chirurgicales ou à des traitements médicaux, y compris les transfusions sanguines • Nécessité que le processus décisionnel comporte des garanties légales et institutionnelles solides • Clarification des exigences procédurales applicables au processus décisionnel • Décision de refus d’un traitement vital devant être claire, précise et dépourvue d’ambiguïté et devant représenter la position du patient sur ce point au moment considéré • Professionnels de santé ayant le devoir, en cas de doute, de mettre en œuvre toutes les mesures raisonnables pour déterminer ce que souhaiterait le patient • Administration d’un traitement vital, dans une situation d’urgence où, malgré les efforts entrepris pour lever les doutes, il existe des motifs raisonnables de mettre en doute la décision de refus dudit traitement vital formulée par la personne concernée, ne pouvant être considérée comme un manquement à l’obligation de respecter l’autonomie personnelle de cette personne • Droit à la vie entrant en jeu, dans les situations de danger pour l’existence d’une personne, parallèlement au droit de cette personne de prendre des décisions autonomes concernant son traitement médical • Absence de consensus européen quant à la manière de concilier ces deux droits en prenant en compte les souhaits précédemment exprimés par le patient • Principe voulant que l’on confère un effet juridique contraignant aux directives anticipées et modalités formelles et pratiques y afférentes relevant l’un comme les autres de la marge d’appréciation de l’État • Nécessité qu’un système de directives médicales anticipées dont des patients se prévalent fonctionne effectivement • Cadre interne destiné à faire respecter l’autonomie du patient au sein du système de santé interne bien développé et conforme à la Convention d’Oviedo • Processus décisionnel mené en l’espèce n’ayant pas assuré un respect suffisant de l’autonomie de la requérante en raison de défaillances • Non-communication à la juge de permanence d’informations factuelles adéquates, sur lesquelles elle aurait pu fonder sa décision, concernant le refus de traitement exprimé par la requérante par écrit sous différentes formes et à différents moments • Omission d’informations essentielles et communication d’informations incorrectes ayant eu un effet déterminant sur le processus décisionnel suivi par la juge de permanence • Absence de prise en compte de la capacité décisionnelle de la requérante • Juridictions supérieures n’ayant pas remédié à ces lacunes

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

17 septembre 2024

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

Table des matières

INTRODUCTION

PROCÉDURE

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Le traitement de la requérante à l’hôpital de Soria

B. Le transfert de la requérante à l’hôpital de La Paz

C. La demande adressée par les médecins de l’hôpital de La Paz à la juge de permanence

D. Le traitement de la requérante à l’hôpital de La Paz

E. La procédure qui s’ensuivit

1. L’examen initial du recours de la requérante

2. La procédure menée devant l’Audiencia Provincial

3. Le recours introduit par la requérante devant le Tribunal constitutionnel

4. La communication à la requérante du formulaire de consentement éclairé signé

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

I. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES

A. La Constitution espagnole

B. La législation nationale

C. La législation régionale

D. La jurisprudence interne pertinente

1. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel

a) L’arrêt no 120/1990 du 27 juin 1990

b) L’arrêt no 37/2011 du 28 mars 2011

c) L’arrêt no 19/2023 du 25 avril 2023

d) L’arrêt no 44/2023 du 9 mai 2023

2. La jurisprudence des juridictions ordinaires

a) Audiencia Provincial de Guipúzcoa (section 2), recours no 2086/2004, décision du 22 septembre 2004

b) Audiencia Provincial de Lleida (section 1), recours no 440/2010, décision no 28/2011 du 25 janvier 2011

II. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le Conseil de l’Europe

1. La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (la « Convention d’Oviedo »)

2. Le texte adopté par le Comité des Ministres

3. Le texte adopté par l’Assemblée parlementaire

4. Le Guide sur le processus décisionnel relatif aux traitements médicaux dans les situations de fin de vie

B. L’Union européenne

C. Les Nations unies

D. Autres textes pertinents

III. DROIT COMPARÉ

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 8 ET 9 DE LA CONVENTION

A. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

b) La requérante

2. Appréciation de la Cour

B. Sur le fond

1. Sur la qualification juridique de l’affaire

2. Thèses des parties

a) La requérante

b) Le Gouvernement

c) Les tiers intervenants

i. L’Association européenne des témoins de Jéhovah

ii. Le gouvernement français

3. Appréciation de la Cour

a) Observations liminaires

b) Sur l’ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa vie privée

c) Sur la justification de l’ingérence

i. Quant à la légalité de l’ingérence

ii. Quant au but visé par l’ingérence

iii. Quant à la nécessité de l’ingérence

α) Les principes jurisprudentiels pertinents

‒ Sur l’autonomie personnelle dans le domaine des soins de santé

‒ Sur l’obligation incombant à l’État de protéger la vie et la santé des patients

‒ Sur les garanties procédurales

β) Conciliation des droits et obligations découlant de la Convention qui sont en jeu

‒ Sur les souhaits précédemment exprimés par
le patient

γ) Application en l’espèce des principes et considérations susmentionnés

‒ Sur les garanties prévues par le cadre juridique
interne

‒ Sur la demande adressée à la juge de permanence

‒ Sur l’examen de la demande par la juge de
permanence

‒ Sur le libellé de la décision

‒ Sur l’exécution de la décision

‒ Sur le contrôle de la décision

‒ Appréciation globale du processus décisionnel

‒ Conclusion

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

A. Dommage

B. Frais et dépens

DISPOSITIF

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE ELÓSEGUI

OPINION CONCORDANTE DU JUGE KTISTAKIS, À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE MOUROU-VIKSTRÖM

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE ET EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE SEIBERT-FOHR, À LAQUELLE SE RALLIENT LES JUGES KUCSKO-STADLMAYER, PASTOR VILANOVA, RAVARANI, KŪRIS, LUBARDA, KOSKELO ET BORMANN

En l’affaire Pindo Mulla c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Síofra O’Leary, présidente,
Marko Bošnjak,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Pere Pastor Vilanova,
Arnfinn Bårdsen,
Georges Ravarani,
Egidijus Kūris,
Branko Lubarda,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Pauliine Koskelo,
María Elósegui,
Anja Seibert-Fohr,
Ioannis Ktistakis,
Frédéric Krenc,
Mykola Gnatovskyy,
Anne Louise Bormann, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 janvier 2024 et le 19 juin 2024,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

INTRODUCTION

1. L’affaire concerne la réaction des autorités au refus par une patiente adulte d’un traitement médical consistant en des transfusions sanguines dans le cadre du système de santé public d’une Partie contractante. La requérante, témoin de Jéhovah, se plaint de ce qu’au cours d’une intervention chirurgicale d’urgence, des transfusions lui ont été administrées alors qu’elle aurait préalablement déclaré que, pour des raisons liées à ses convictions religieuses, elle refusait cette procédure. Devant la Cour, elle formule des griefs sur le terrain des articles 8 et 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

PROCÉDURE

2. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 15541/20) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont une ressortissante équatorienne, Mme Rosa Edelmira Pindo Mulla (« la requérante »), a saisi la Cour le 13 mars 2020 en vertu de l’article 34 de la Convention.

3. La requérante a été représentée par Me P. Muzny, avocat en Suisse. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. A. Brezmes Martínez de Villarreal.

4. La requête a été attribuée à la cinquième section de la Cour, en vertu de l’article 52 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »). Le 16 avril 2021, les griefs de la requérante concernant son droit au respect de sa vie privée et son droit à la liberté de religion, formulés par l’intéressée respectivement sur le terrain de l’article 8 et sur celui de l’article 9 de la Convention, ont été communiqués au Gouvernement. La requête a été déclarée irrecevable pour le surplus, conformément à l’article 54 § 3 du règlement.

5. Le 4 juillet 2023, une chambre de la cinquième section a décidé de se dessaisir en faveur de la Grande Chambre (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Pendant les deuxièmes délibérations, Georges Ravarani et Egidijus Kūris, dont le mandat avait pris fin alors que la procédure était pendante, ont continué à connaître de l’affaire (articles 23 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement).

7. Autorisés par la présidente de la Grande Chambre à intervenir dans la procédure, l’Association européenne des témoins de Jéhovah et le gouvernement français ont l’une et l’autre présenté des observations écrites (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 10 janvier 2024.

Ont comparu :

– pour le Gouvernement

M. A. Brezmes Martínez de Villarreal, agent,

Mme H. Nicolás Martínez, co‑agente,

Me F. Sanz Gandasegui, conseil,

M. F. Reinoso Barbero,

Mmes F. Molina Agea, et

A. Domínguez Bravo, conseillers ;

– pour la requérante

Mes P. Muzny,

S. Brady, et

D. García Martín, conseils.

La requérante a elle aussi assisté à l’audience.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Nicolás Martínez, M. Brezmes Martínez de Villarreal, Me Muzny et Me Brady. Elle les a également entendus, ainsi que M. Reinoso Barbero, en leurs réponses aux questions posées par les juges.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

1. Le traitement de la requérante à l’hôpital de Soria

9. La requérante est née en 1970 et elle réside dans la ville de Soria, située dans la communauté autonome de Castille-et-León, en Espagne.

10. En mai 2017, la requérante fut traitée en ambulatoire à l’hôpital Santa Bárbara à Soria (ci-après « l’hôpital de Soria »), un hôpital public géré par la communauté autonome de Castille-et-León, pour un problème de rétention urinaire. Des examens médicaux réalisés au cours des deux mois suivants permirent d’établir que son problème était dû à la présence d’un fibrome utérin (myome). Il fut conseillé à l’intéressée de subir une intervention chirurgicale (hystérectomie et double salpingectomie) pour le faire retirer. La requérante dit qu’elle s’est ralliée à cet avis tout en informant l’hôpital de Soria qu’elle refusait les transfusions sanguines, suivant en cela les enseignements de sa communauté religieuse.

11. Le 4 août 2017, dans la perspective de l’intervention chirurgicale, la requérante rédigea deux documents dans lesquels elle indiquait son refus des transfusions sanguines. Conformément à la disposition légale pertinente, à savoir l’article 11 de la loi no 41/2002 (voir la section « Le droit et la pratique internes » ci-dessous), elle établit des directives médicales anticipées (documento de instrucciones previas), lesquelles, dans leurs parties pertinentes, étaient ainsi libellées (texte en gras et en majuscules dans l’original) :

« Agissant librement et en pleine possession de mes capacités, après avoir reçu des informations suffisantes et avoir soigneusement réfléchi, je décide d’exprimer par ce document les directives anticipées suivantes concernant les soins et traitements à me dispenser, et je souhaite que ces directives soient prises en compte dans ma prise en charge médicale si je venais à me trouver dans une situation où je ne pourrais pas exprimer ma volonté (...)

JE DÉCLARE

Que je formule ces directives médicales anticipées en pleine conviction morale et sous la protection de la législation en vigueur. Je suis témoin de Jéhovah, et j’obéis au commandement biblique de m’« abstenir du sang » (Actes 15:28,29). Telle est ma conviction religieuse inébranlable, que j’ai librement adoptée en plein accord avec ma conscience.

Que ces directives médicales anticipées expriment ma décision éclairée concernant les traitements médicaux à me dispenser, et que je veux qu’elles soient prises en compte dans toutes les situations de soins de santé. Ayant été informée des dangers et des risques associés aux transfusions de sang et de produits sanguins, j’ai décidé de les éviter et d’accepter les risques qui peuvent découler de mon choix des traitements alternatifs non sanguins.

JE COMMANDE qu’aucune transfusion de sang total, de globules rouges, de globules blancs, de plaquettes ou de plasma ne me soit administrée, quelles que soient les circonstances, même si le corps médical estime que ces transfusions sont nécessaires pour préserver ma vie ou ma santé. Toutefois, j’accepte les expanseurs non sanguins du volume plasmatique et tout traitement médical qui n’implique pas l’utilisation de sang. »

12. La requérante désigna deux amis de confiance, M. A.G.J. et M. R.A.L., respectivement pour la représenter à titre principal et pour suppléer au représentant principal. Leurs adresses et numéros de téléphone furent indiqués dans le document. Le rôle et la mission du représentant furent définis comme suit (texte en gras dans l’original) :

« Je désigne la personne dont le nom figure sur la présente pour me représenter si je devais perdre totalement ou partiellement, temporairement ou définitivement ma capacité de décision. La personne désignée comme mon représentant procédera en mon nom à toute interprétation qui pourrait se révéler nécessaire, pourvu qu’elle ne contredise aucune des instructions consignées dans le présent document, dont elle veillera à faire appliquer le contenu. Cette personne doit être considérée comme un interlocuteur nécessaire et valable de l’équipe soignante chargée de mon cas et elle prendra des décisions en mon nom, sera responsable des soins qui me seront dispensés et veillera à ce que mes souhaits soient respectés. »

13. La requérante signa ces directives anticipées en présence de trois témoins, conformément aux formalités prévues par la loi. Le même jour, elle déposa ses directives anticipées auprès du registre des directives anticipées de Castille-et-León. Dès lors, ce document était accessible depuis l’hôpital de Soria via le système électronique utilisé par les professionnels de santé de Castille-et-León (le système « Jimena »). Pour des raisons inconnues de la Cour, ce document ne fut pas joint sous forme papier au dossier médical de la requérante à l’hôpital de Soria.

14. Le deuxième document était une procuration permanente (declaración de voluntades anticipadas) par laquelle l’intéressée exprimait son refus des transfusions sanguines en des termes similaires à ceux qu’elle avait employés dans ses directives médicales anticipées, et par laquelle elle désignait les mêmes personnes respectivement pour la représenter auprès du corps médical et pour suppléer à son représentant. La procuration permanente fut signée par la requérante et contresignée par trois témoins. La requérante indique qu’elle conservait ce document sur elle.

15. En décembre 2017, la requérante se rendit dans une clinique privée, où la présence d’un myome utérin fut confirmée.

16. Au début du mois de janvier 2018, la requérante se présenta de nouveau aux urgences de l’hôpital de Soria en se plaignant de saignements vaginaux et de vertiges. Après un examen et des tests, on lui prescrivit des médicaments pour arrêter les saignements (acide tranexamique) et réduire la taille du myome (acétate d’ulipristal). Comme elle était anémique (hémoglobine à 7,7 g/dL), on lui prescrivit également du fer. Le consentement qu’elle avait précédemment exprimé au sujet d’une intervention chirurgicale fut consigné dans son dossier médical. La requérante affirme avoir suivi ce traitement médicamenteux jusqu’au mois de juin.

17. Le 5 juin 2018, la requérante se présenta au service des urgences de l’hôpital de Soria avec des saignements et des douleurs abdominales. Un test sanguin effectué ce jour-là indiqua que son taux d’hémoglobine s’établissait à 12,2 g/dL. Elle sortit le jour même, mais elle revint le lendemain à cause de nouveaux saignements. Cette fois-ci, elle fut admise dans le service d’obstétrique et de gynécologie de l’hôpital. Des tests sanguins effectués ce jour-là indiquèrent que son taux d’hémoglobine s’établissait à 8,9 g/dL, puis plus tard à 6,5 g/dL. L’échographie et la tomodensitométrie permirent de déterminer que le myome était devenu très volumineux.

18. Le 6 juin en fin de journée, une gynécologue, le docteur B.L., évoqua avec la requérante la possibilité de recevoir une transfusion sanguine, ce que celle-ci refusa. L’intéressée exprima son refus par écrit sur le formulaire de consentement éclairé de l’hôpital, qu’elle signa, de même que le docteur B.L. Ce document fut versé au dossier médical de la requérante à l’hôpital de Soria.

19. Le lendemain, le 7 juin 2018, le docteur A.F., hématologue, nota dans un rapport médical que la requérante souffrait d’une anémie sévère, mentionnant une diminution de son taux d’hémoglobine, lequel était passé de 12,2 g/dL la veille à 5,7 g/dL vers minuit puis à 4,7 g/dL le matin même. Il observa que cette diminution semblait s’être atténuée. Il inscrivit dans son rapport ce qui suit :

« La patiente, pour des raisons religieuses (témoin de Jéhovah), ne souhaite être transfusée en aucune circonstance. J’informe la patiente que si, quelles que soient les circonstances, le saignement s’aggravait de nouveau, son état présenterait une gravité susceptible de mettre sa vie en danger, et elle refuse en conscience toute transfusion. »

Ce rapport indiquait en outre qu’il apparaissait que le traitement à l’acide tranexamique avait été efficace. Le médecin expliquait qu’il modifiait le traitement afin d’arrêter les saignements et de rétablir les niveaux d’hémoglobine.

20. Le matin du 7 juin 2018, vers 11 heures, la décision fut prise de transférer la requérante à l’hôpital de La Paz à Madrid, cet établissement, situé dans une autre communauté autonome, étant connu pour sa capacité à pratiquer des formes de traitement n’impliquant pas de transfusion sanguine. Dans un rapport de sortie établi par le docteur B.L., on pouvait lire ce qui suit (les majuscules sont dans l’original) :

« Nous proposons une TRANSFUSION SANGUINE MAIS LA PATIENTE REFUSE (SIGNE LE CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ indiquant qu’elle n’accepte pas les transfusions sanguines, patiente témoin de Jéhovah). Compte tenu de la situation clinique et de l’impossibilité d’effectuer une transfusion sanguine, il a été décidé de transférer la patiente à l’hôpital de référence en radiologie interventionnelle aux fins de l’évaluation d’un traitement par embolisation de l’artère utérine[1]. »

Le compte rendu d’hospitalisation de la patiente indique que les saignements étaient faibles à 7 h 40 et inexistants à 9 h 14 et à 12 h 12, lorsque la requérante fut préparée à être transférée.

21. La requérante accepta d’être transférée à l’hôpital de La Paz, pensant qu’elle pourrait y être soignée sans recevoir de transfusion sanguine.

2. Le transfert de la requérante à l’hôpital de La Paz

22. Le transfert s’effectua en ambulance de soins intensifs mobiles avec à bord de celle-ci un médecin chargé de suivre l’état de la requérante pendant le trajet jusqu’à Madrid, long d’environ 240 km. La requérante se trouvait à bord de l’ambulance à 12 h 12. Son dossier médical fut transféré avec elle, mais à aucun moment pendant la présente procédure la Cour n’a été informée du contenu de celui-ci. La requérante n’était accompagnée d’aucun membre de sa famille ; son mari se rendit à l’hôpital de La Paz séparément, en voiture.

23. Peu de temps après le début du trajet, une conversation téléphonique eut lieu entre un médecin de l’hôpital de La Paz et le médecin qui se trouvait à bord de l’ambulance ; ce dernier avertit son interlocuteur de la gravité de l’état de la requérante, mentionnant la probabilité qu’elle fût en état de collapsus circulatoire, voire en arrêt cardiaque, au moment où l’ambulance arriverait. La requérante informa le médecin de l’hôpital de La Paz de sa position concernant les transfusions sanguines.

24. L’état de la requérante fit l’objet d’une surveillance constante pendant le trajet. Il fut noté que ses saignements étaient alors limités (inférieurs à ceux provoqués par la menstruation). Il fut également noté que l’intéressée était consciente, orientée et coopérative.

3. La demande adressée par les médecins de l’hôpital de La Paz à la juge de permanence

25. À 12 h 36, une télécopie fut adressée au nom de trois médecins de l’hôpital de La Paz à la juge de permanence (juez de guardia) du tribunal d’instruction (Juzgado de Instrucción) no 9 de Madrid. Le message se lisait comme suit :

« Bonjour, nous sommes anesthésistes à l’hôpital de La Paz à Madrid, et aujourd’hui, le 7 juin 2018, nous venons d’être informés qu’une patiente témoin de Jéhovah va être transférée depuis l’hôpital de Soria. La patiente présente une hémorragie active due à un utérus myomateux et elle est transférée avec un taux d’hémoglobine de 4 gr/dL. La patiente de Soria a exprimé oralement son rejet de tous types de traitement.

La patiente est en route, et nous voulons savoir comment procéder puisque la patiente sera très instable à son arrivée.

Veuillez s’il vous plaît répondre aussi rapidement que possible. »

26. La juge de permanence sollicita l’avis du médecin légiste (médico forense) assigné au tribunal d’instruction no 9 au sujet de la demande des médecins. S’appuyant uniquement sur les informations figurant dans la télécopie, celui-ci formula l’avis suivant :

« Le rapport médical décrit la situation d’une patiente (dont l’identité n’est pas connue) qui est transférée depuis l’hôpital de Soria en raison d’une hémorragie active due à un utérus myomateux avec un taux d’hémoglobine de 4 g/dL. La patiente de Soria a exprimé oralement son refus de tous types de traitement, comme indiqué dans le rapport.

Bien que l’on ignore pour l’instant si la patiente est en mesure de donner et/ou de refuser son consentement, ainsi que la nature du traitement auquel elle sera soumise, on peut dire que si l’hémorragie persiste et compte tenu de ses taux d’hémoglobine, la situation présenterait un risque grave pour la vie de la patiente. »

27. La juge de permanence prit également contact avec la procureure locale (Ministerio Fiscal). La réponse reçue renvoyait à l’avertissement formulé par le médecin légiste, lequel pensait que ne pas traiter la requérante pouvait entraîner une issue fatale, et elle relevait « une absence de preuve fiable » d’un refus de recevoir un traitement médical qui aurait été exprimé par la requérante. Elle indiquait que, aux fins de la sauvegarde de la valeur juridique suprême qu’est le droit à la vie, la procureure ne s’opposait pas à ce que les mesures médicales et chirurgicales nécessaires fussent prises pour protéger la vie et l’intégrité physique de la requérante.

28. La décision de la juge de permanence en la matière (auto) fut transmise à l’hôpital de La Paz par télécopie à 13 h 36. Dans ses parties pertinentes, elle était ainsi libellée :

« PREMIÈREMENT. D’après la doctrine juridique établie par l’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel statuant en formation plénière le 27 juin 1990[[2]] [...], le droit fondamental à la vie, en tant que droit subjectif, donne à ses titulaires la possibilité de demander une protection juridictionnelle contre toute action des autorités publiques susceptible de menacer leur vie ou leur intégrité. D’un autre côté, étant l’un des fondamentaux objectifs de l’ordre juridique, ce droit impose également aux autorités publiques l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger ces valeurs juridiques, [à savoir] la vie et l’intégrité physique, contre les atteintes commises par des tiers au mépris de la volonté des titulaires de droits (...) La teneur du droit à la vie englobe une protection positive qui empêche qu’il soit interprété comme une liberté s’étendant au droit à sa propre mort. L’article 16 de la Constitution espagnole n’accorde pas le droit à la liberté de religion sans la moindre restriction. Le droit à la liberté de religion est assorti d’une restriction intrinsèque dans les cas où il entre en conflit avec d’autres droits fondamentaux.

DEUXIÈMEMENT. En l’espèce, il ressort des informations figurant dans le rapport du médecin légiste que, si le taux d’hémorragie actuellement constaté chez la patiente non identifiée devait se maintenir, et compte tenu des taux d’hémoglobine indiqués dans la demande, une absence de traitement ferait planer une grave menace sur la vie de la patiente.

Ainsi, et comme l’a déclaré [l’hôpital de La Paz], étant donné que s’abstenir de tout traitement médical dans le cas de la patiente en provenance de Soria (dont l’identité est inconnue) pourrait conduire à une issue fatale, et qu’il n’existe aucune preuve fiable d’un refus par la patiente de recevoir un traitement médical, afin de sauvegarder la valeur juridique suprême qu’est le droit à la vie, il y a lieu d’autoriser le traitement de cette patiente par les mesures médicales et chirurgicales qui sont nécessaires à la sauvegarde de sa vie et de son intégrité physique. »

Le dispositif autorisait « le traitement de la patiente arrivant de Soria, dont l’identité n’est pas connue pour le moment, par les mesures médicales ou chirurgicales nécessaires à la sauvegarde de sa vie et de son intégrité physique ». Il était indiqué dans la décision qu’un recours pouvait être formé dans un délai de cinq jours à compter de la notification.

29. Les démarches décrites ci-dessus furent entreprises alors que l’ambulance était en route. La requérante n’en eut pas connaissance.

4. Le traitement de la requérante à l’hôpital de La Paz

30. Les parties sont en désaccord concernant l’heure précise de l’arrivée de la requérante à l’hôpital de La Paz. L’intéressée, se fondant sur l’heure qui a été reportée sur certains documents qui ont été établis par l’hôpital au cours du processus d’admission, dit être arrivée à 14 h 20 ou peu après. Le Gouvernement, s’appuyant sur le formulaire d’enregistrement de l’admission de la requérante au service des urgences et sur une déclaration des médecins qui l’y ont traitée, situe l’heure de son arrivée vers 14 h 50. Les parties sont également en désaccord sur la gravité de l’état dans lequel se trouvait la requérante à ce moment-là et sur les solutions thérapeutiques qui s’offraient en conséquence. Leurs positions respectives sont exposées dans le résumé de leurs arguments ci-dessous.

31. La requérante était consciente à son arrivée. Comme indiqué dans son dossier médical, il fut jugé qu’elle se situait au niveau le plus élevé sur l’échelle de coma de Glasgow (c’est-à-dire au niveau de 15, qui indique que le patient est pleinement conscient). Les médecins de l’hôpital de La Paz considérèrent qu’il existait un danger imminent pour la vie de la requérante à cause du volume de l’hémorragie et qu’une intervention chirurgicale immédiate était nécessaire. Traitant la situation comme une urgence médicale, le personnel de l’hôpital ne suivit pas la procédure habituelle de recueil du consentement éclairé à une intervention chirurgicale. Quant à la requérante, elle ne produisit aucun document qui aurait indiqué son refus des transfusions sanguines, et elle ne mentionna pas non plus ses directives médicales anticipées, lesquelles, en tout état de cause, ne faisaient pas partie du dossier papier qui avait été transféré en même temps qu’elle depuis Soria. Le registre national des directives médicales anticipées, où les directives de l’intéressée étaient également conservées, ne fut pas consulté. N’ayant pas été informée de la nature de l’intervention qui était sur le point d’avoir lieu, la requérante croyait alors toujours qu’elle allait subir une embolisation de l’artère utérine.

32. La requérante fut conduite au bloc opératoire à 15 heures. Elle y fut placée sous anesthésie générale et l’opération, consistant en une hystérectomie et une double salpingectomie, commença. Des saignements importants se produisirent pendant l’opération et ils nécessitèrent trois transfusions de globules rouges.

33. Le mari de la requérante arriva à l’hôpital de La Paz environ une heure après son épouse et on lui dit qu’elle était en train d’être opérée.

34. Le lendemain, le 8 juin 2018, la requérante fut informée de la décision de la juge de permanence ainsi que de l’intervention chirurgicale et des transfusions qui avaient été pratiquées. Son dossier médical comporte la mention suivante :

« La patiente est informée des faits qui se sont produits au cours de l’opération, ainsi que du risque pour sa vie qui a résulté d’une hémorragie massive, associée à une anémie extrême, qui s’est produite pendant qu’elle se trouvait sous anesthésie générale (...)

Elle exprime son désaccord relativement aux transfusions qui lui ont été administrées. »

35. Dans une déclaration écrite faite aux fins de la procédure devant la Cour, la requérante décrit les transfusions dans les termes suivants : « comme un viol sur ma personne, quelque chose de répugnant (...), très, très mal ».

5. La procédure qui s’ensuivit

36. La requérante demanda une copie de la décision de la juge de permanence, qu’elle reçut le 12 juillet 2018. Elle introduisit alors un recours en annulation (recurso de reforma) ainsi que, à titre subsidiaire, un recours en appel (recurso de apelación) contre cette décision.

37. Dans ses écritures, la requérante contestait la motivation exposée dans la décision de la juge de permanence, déclarant que cette décision avait été délivrée à la suite d’une demande unilatérale de l’hôpital sans qu’elle-même eût été consultée, et que la juge de permanence n’avait pas même été informée de son identité. Elle exposait que les faits avaient été dénaturés en ce qu’il avait été considéré qu’elle refusait toutes les formes de traitement pour son problème de santé. Elle indiquait qu’elle ne refusait qu’un seul traitement bien précis : la transfusion sanguine. Elle ajoutait qu’elle était disposée à accepter tout autre type de traitement que l’hôpital de La Paz pouvait lui dispenser et que c’était même précisément pour cette raison qu’elle y avait été transférée. Elle se plaignait en outre de ce que la décision ne lui eût pas été notifiée, et elle estimait avoir ainsi été privée de la protection juridique de ses droits (faisant référence à l’article 24 § 1 de la Constitution espagnole). Elle joignait à ses écritures une copie de ses directives médicales anticipées, de sa procuration permanente et du formulaire de consentement éclairé de l’hôpital de Soria. Elle considérait qu’il ressortait de ces documents que c’était à tort que la juge de permanence avait évoqué une absence de preuves de son refus de certains traitements.

38. La requérante invoquait ensuite les droits énoncés aux articles 15 et 16 de la Constitution, ainsi qu’aux articles 8 et 9 de la Convention. Elle citait expressément l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres c. Russie (no 302/02, 10 juin 2010), et elle avançait que ni l’État ni les tribunaux n’étaient autorisés à s’immiscer dans la liberté pour la personne de faire des choix concernant sa santé. Elle considérait que la décision litigieuse emportait par conséquent violation de ses droits tels que garantis par les dispositions susmentionnées de la Convention.

39. Dans sa conclusion, la requérante demanda que la décision fût annulée, puis elle demanda qu’elle fût rectifiée de manière à assurer le respect de ses droits et qu’elle fût notifiée à l’hôpital de La Paz pour qu’à l’avenir les droits des patients fussent respectés.

1. L’examen initial du recours de la requérante

40. La procureure locale (qui était la procureure que la juge de permanence avait consultée avant de statuer sur la demande des médecins) produisit des observations concernant le recours introduit par la requérante. Elle y estimait que la décision se justifiait pleinement au regard des considérations factuelles et juridiques particulières de l’espèce. Elle relevait que les détails précis du traitement qui avait été administré à la requérante n’étaient pas connus et que rien n’indiquait si une transfusion sanguine avait effectivement été pratiquée ou non. Elle notait en outre que le formulaire de consentement éclairé produit par la requérante ne portait pas la signature de celle-ci (voir, sur ce point, le paragraphe 54 ci-dessous).

41. Le recours en annulation fut rejeté le 22 août 2018 par la juge qui avait rendu la décision litigieuse. Dans sa motivation, la juge rappelait les circonstances ayant conduit à l’adoption de la décision, à savoir la gravité de l’état de santé de la requérante, tel qu’il avait été décrit par les médecins de l’hôpital de La Paz et confirmé par le médecin légiste, le refus par l’intéressée de « tout » traitement médical et le risque que cela représentait pour sa vie. Elle notait que la requérante avait exprimé sa volonté oralement mais qu’elle n’avait pas remis de document écrit. Elle relevait en outre que la demande de recours ne précisait pas quel traitement la requérante avait reçu. Se référant aux directives médicales anticipées de la requérante, que celle-ci avait jointes à ses écritures, la juge relevait qu’elles avaient été établies près d’un an avant l’opération et que l’on ne savait pas vraiment qui avait apposé la signature qui y figurait. Elle concluait qu’en tout état de cause, on ignorait si la requérante avait reçu une quelconque forme de traitement médical dont elle avait exprimé le refus.

42. Dans la même décision, la juge déclara recevable le recours formé par la requérante à titre subsidiaire, acceptant ainsi qu’il fût examiné par l’Audiencia Provincial.

2. La procédure menée devant l’Audiencia Provincial

43. Les observations de la requérante devant cette juridiction peuvent se résumer comme suit :

La requérante avançait qu’en rejetant son recours en annulation de la décision litigieuse, la juge avait éludé la question de fond en l’espèce (à savoir l’existence de violations de la Constitution, de la Convention et du droit espagnol) au motif, selon elle erroné, que son refus des transfusions sanguines n’avait pas été exprimé par écrit, alors qu’il l’aurait été. Elle ajoutait que, de plus, comme le prévoyait le droit interne pertinent, lorsque le patient était conscient et en possession de ses moyens et qu’il exprimait clairement sa volonté, celle-ci devait être respectée. Elle faisait référence au formulaire de consentement éclairé, dont elle disait qu’il avait été versé au dossier médical et qu’il constituait le motif même de son transfert à l’hôpital de La Paz, et dont on ne pouvait par conséquent pas faire abstraction selon elle. Concernant ses directives médicales anticipées, la requérante considérait que si la juge ou les médecins de l’hôpital de La Paz avaient eu un doute à leur sujet, ils auraient dû consulter le registre pertinent (ces directives étaient conservées dans le registre de Castille-et-León ainsi que dans le registre national ; voir aussi la section « Le droit et la pratique internes » ci-dessous). Elle alléguait que compte tenu de ces documents qui exprimaient selon elle son refus des transfusions sanguines, et surtout des déclarations orales qu’elle aurait faites aux médecins, il ne pouvait y avoir le moindre doute quant à sa volonté claire, manifeste et sans équivoque à cet égard.

Au commentaire formulé par la procureure locale et par la juge selon lequel on ne savait pas si la requérante avait effectivement reçu une transfusion sanguine, elle répondait que ce point était dénué de pertinence car ce qu’elle contestait, c’était la décision qui avait été rendue avant cela et qui avait autorisé les médecins de l’hôpital de La Paz à prendre les mesures qu’ils estimaient nécessaires ; elle pensait que, de ce point de vue, ce qui s’était en fait passé par la suite était de moindre importance. Selon elle, même s’il n’y avait pas eu de transfusion sanguine, le préjudice juridique avait déjà été causé par la décision qui avait autorisé un traitement allant à l’encontre de sa volonté, de sa conscience et de ses convictions religieuses. Elle ajoutait qu’en toute hypothèse, le fait que des transfusions avaient été administrées était consigné dans son dossier médical.

Elle dénonçait en outre des erreurs et des contradictions qui auraient émaillé la motivation de la décision de rejet de son recours, relevait qu’elle n’avait pas eu accès à l’avis du médecin légiste et reprochait à celui-ci de s’être prononcé sans avoir examiné le patient.

Elle priait le tribunal de déclarer que la décision litigieuse était contraire à la loi et de lui substituer une décision qui fût compatible avec la législation en vigueur et avec la jurisprudence, et demandait que cela fût notifié à l’hôpital de La Paz.

44. La procureure locale soutint que le recours devait être rejeté et que la décision devait être confirmée.

45. L’Audiencia Provincial rendit le 15 octobre 2018 une décision rejetant le recours. Elle déclara pour commencer que l’affaire dont elle se trouvait saisie se limitait à la question de la légalité de la décision litigieuse. Elle exposa ensuite les dispositions pertinentes de la loi no 41/2002, à savoir ses articles 2 § 4, 8 §§ 1-3 et 11 § 1 (le texte de ces dispositions est cité dans la section « Le droit et la pratique internes » ci-dessous). Elle reconnut que les autres dispositions législatives et constitutionnelles auxquelles la requérante faisait référence dans son recours en appel étaient également pertinentes. Rien n’indiquant le contraire dans les pièces qui lui avaient été présentées, elle estima que la requérante était en mesure d’exprimer sa volonté librement au moment de l’intervention chirurgicale (« la recurrente podía manifestar libremente su voluntad al tiempo de producirse la intervención »), et qu’il fallait donc tenir compte de ce qu’elle avait décidé à ce moment-là. Elle nota qu’une tendance claire se dessinait dans la jurisprudence en faveur de l’idée qu’il fallait respecter la décision libre, volontaire et consciente prise par un patient adulte et en possession de ses moyens concernant toute forme d’intervention médicale, comme une transfusion sanguine. Elle considéra que telle était exactement la position prise dans la loi no 41/2002.

46. L’Audiencia Provincial observa que la loi no 41/2002 imposait que tant le refus d’un traitement déterminé que le consentement à celui-ci fussent formulés par écrit. Elle indiqua que le seul document pertinent du dossier était le formulaire de consentement éclairé, qui revêtait un caractère crucial pour la décision qui devait être prise, et elle ajouta qu’en matière de transfusion sanguine un consentement ou un refus exprimé oralement ne suffisait pas. Au sujet des directives médicales anticipées formulées par la requérante, elle considéra qu’elles ne trouvaient pas à s’appliquer étant donné que, comme il ressortait selon elle du dossier, au moment de l’intervention la requérante était capable de décider librement de se soumettre ou non à une transfusion sanguine.

47. L’Audiencia Provincial releva que le formulaire de consentement éclairé portait la signature du médecin mais pas celle de la patiente, et qu’aucune explication n’avait été donnée à cet égard. Elle estima que l’absence de signature l’empêchait de constater que la patiente avait soit refusé soit accepté le traitement. Elle en conclut qu’en pareilles circonstances, la décision de la juge de permanence devait être considérée comme légitime étant donné que, comme l’avait déclaré la juge en question, il n’existait pas de preuve fiable d’un refus de la part de la requérante de recevoir le traitement médical en cause. Elle jugea que les actions de la juge de permanence étaient justifiées, compte tenu de l’impasse dans laquelle se trouvaient les médecins, incapables d’agir ou de s’abstenir d’agir faute du document nécessaire, et de l’état de la patiente, qui, selon le médecin légiste, mettait sa vie gravement en danger.

48. Cette décision n’était pas susceptible d’un recours ordinaire.

3. Le recours introduit par la requérante devant le Tribunal constitutionnel

49. Le 27 novembre 2018, la requérante saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo dans lequel elle alléguait en particulier une violation de son droit à son intégrité physique (protégé par l’article 15 de la Constitution), de son droit à la liberté de religion (protégé par l’article 16 § 1) et de son droit à une protection juridictionnelle effective de ses droits (protégé par l’article 24 § 1). Concernant les deux premiers de ces griefs, elle affirmait que l’autorisation donnée aux médecins de l’hôpital de La Paz de décider par eux-mêmes du traitement qu’il convenait de lui administrer, selon elle sans aucune considération pour son refus exprès des transfusions sanguines, s’analysait en une atteinte à son droit à l’autodétermination en tant que patiente et à sa liberté de religion. Elle disait s’être vu imposer une forme de traitement médical dont tant les médecins que la juge savaient qu’elle la refusait pour des raisons religieuses et elle y voyait une ingérence judiciaire injustifiée ainsi qu’une intervention médicale forcée. Elle arguait que l’affaire n’avait pas trait au droit à la vie ni au droit aux soins de santé, et que c’était plutôt sa liberté de vivre conformément à ses convictions religieuses qui était en jeu, en particulier le droit de refuser que fût pratiquée sur sa personne une intervention qui allait à l’encontre de ses valeurs et de sa dignité.

50. La requérante affirmait que sa position avait été communiquée très clairement au personnel soignant, oralement et par écrit, notamment dans ses directives médicales anticipées, lesquelles auraient été dûment enregistrées, et que c’était donc à tort que les juridictions saisies avaient conclu à l’absence d’un refus de traitement fiable ou valable. Elle arguait qu’au lieu d’autoriser les médecins de l’hôpital de La Paz à ignorer ses instructions, la juge de permanence aurait dû veiller à ce qu’ils agissent conformément à leur obligation de respecter les souhaits du patient. Elle ajoutait que la juge de permanence aurait aussi dû l’informer de la procédure, de manière à lui permettre de défendre ses droits, le patient devant selon elle être en mesure de participer au processus conduisant à la prise d’une décision qui produit des effets sur sa personne même. Elle avançait qu’elle-même ou ses proches auraient dû être entendus et que les faits et circonstances pertinents auraient dû être dûment établis. Elle exposait par ailleurs qu’en réalité une intervention judiciaire n’était absolument pas nécessaire, l’article 8 de la loi no 41/2002 indiquant selon elle clairement que les interventions médicales nécessitaient le consentement du patient. Elle précisait que si certaines exceptions étaient prévues à l’article 9 de cette loi, aucune d’entre elles ne trouvait à s’appliquer à sa situation.

51. Outre les arguments de nature constitutionnelle qu’elle développait, la requérante invoquait également plusieurs dispositions de la Convention (les articles 3, 8, 9 et 14).

52. Elle sollicitait du Tribunal constitutionnel les mesures suivantes à titre de réparation :

i) une déclaration selon laquelle, en autorisant un traitement médical contraire à sa volonté, les autorités judiciaires avaient porté atteinte à ses droits tels que garantis par les dispositions de la Constitution susmentionnées, et

ii) l’annulation des décisions litigieuses et leur remplacement par une décision respectueuse des droits en question.

53. Le 9 octobre 2019, le Tribunal constitutionnel, siégeant en un collège de trois juges, adopta une décision par laquelle il déclara le recours irrecevable, sans avoir examiné l’affaire au fond, au motif qu’il n’y avait « manifestement pas d’atteinte à un droit fondamental protégé dans le cadre du recours d’amparo ».

4. La communication à la requérante du formulaire de consentement éclairé signé

54. Chacune des parties a fourni à la Cour une explication concernant le formulaire de consentement éclairé.

La requérante a produit une déclaration sous serment, datée du 11 février 2020, dans laquelle elle déclarait qu’en 2018 elle avait demandé une copie du formulaire de consentement éclairé ainsi que des autres éléments figurant dans son dossier médical à l’hôpital de Soria, aux fins de l’action en justice qu’elle s’apprêtait à engager. Seule la signature du médecin aurait été présente sur la copie fournie par l’hôpital, et elle y serait donc retournée le 4 février 2020 pour demander une copie portant les deux signatures, que l’hôpital lui aurait remise. Elle a ensuite soumis ce document à la Cour au moment de l’introduction de sa requête.

Le Gouvernement a produit une déclaration de l’autorité sanitaire régionale en date du 6 avril 2022 qui indiquait qu’il n’existait aucune trace d’une demande d’une copie du formulaire en question qui aurait été adressée à l’hôpital de Soria en 2018. Dans sa déclaration, l’autorité sanitaire confirmait que la requérante avait bien formulé une telle demande le 4 février 2020 et elle ajoutait qu’il n’existait qu’une seule version du document, sur laquelle figuraient les signatures du médecin et de la patiente. Elle précisait qu’une copie de l’intégralité du dossier médical avait été remise à la requérante, à la demande de celle-ci, le 28 décembre 2021.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

1. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
1. La Constitution espagnole

55. Dans la procédure interne, la requérante a invoqué, entre autres, les articles 15 et 16 de la Constitution espagnole, qui sont ainsi libellés :

Article 15

« Toute personne a droit à la vie et à son intégrité physique et morale (...) »

Article 16

« 1. La liberté de pensée, de religion et de culte des personnes et des communautés est garantie sans autres restrictions, quant à ses manifestations, que celles qui sont nécessaires au maintien de l’ordre public protégé par la loi.

(...) »

56. La Constitution espagnole dispose que les communautés autonomes peuvent se déclarer compétentes en matière de soins de santé (article 148). Toutes les communautés autonomes d’Espagne, y compris celles de Castille‑et‑León et de Madrid, ont fait ce choix. L’État conserve néanmoins la compétence exclusive de la coordination générale des soins de santé, c’est‑à‑dire de la définition des normes minimales que doivent respecter les services publics de santé, de l’établissement des moyens et systèmes destinés à faciliter l’échange d’informations, et de la supervision de la coordination entre les autorités sanitaires de l’État et celles des communautés autonomes dans l’exercice par elles de leurs fonctions respectives (voir, de manière générale, l’article 149).

2. La législation nationale

57. Les dispositions pertinentes de la loi no 41/2002 du 14 novembre 2002 régissant l’autonomie du patient et les droits et obligations en matière d’information et de documentation médicales sont libellées ainsi :

Article 2 – Principes de base

« (...)

2. Tout acte relevant du domaine de la santé requiert, en règle générale, le consentement préalable des patients ou des usagers. Le consentement, qui doit être recueilli après que le patient a reçu des informations adéquates, est donné par écrit dans les cas prévus par la loi.

3. Le patient ou l’usager est en droit de choisir librement, après avoir reçu les informations appropriées, entre les options cliniques disponibles.

4. Tout patient ou usager est en droit de refuser un traitement, sauf dans les cas prévus par la loi. Son refus de traitement est consigné par écrit.

(...)

6. Tout professionnel participant à l’activité de soin est tenu (...) de respecter l’obligation de communiquer des informations et des documents cliniques, et de respecter les décisions adoptées librement et volontairement par le patient.

(...) »

Article 8 – Consentement éclairé

« 1. Tout acte relatif à la santé d’un patient requiert le consentement libre et volontaire de la personne concernée, dès lors que celle-ci a reçu les informations visées à l’article 4 et qu’elle a évalué les options envisageables dans son cas.

2. En règle générale, le consentement est donné oralement.

Toutefois, il doit être donné par écrit dans les cas suivants : intervention chirurgicale, actes diagnostiques et thérapeutiques invasifs et, de manière générale, application de procédures présentant des risques ou des inconvénients [qui auront] des répercussions négatives notables et prévisibles sur la santé du patient.

3. Le consentement écrit du patient est nécessaire pour chaque acte spécifique visé au paragraphe précédent, sans préjudice de la possibilité d’y inclure des annexes et d’autres informations générales, et il doit contenir des informations suffisantes sur l’intervention et ses risques.

(...)

5. Le patient peut à tout moment révoquer librement son consentement par écrit. »

Article 9 – Limites du consentement éclairé
et consentement par procuration

« (...)

2. Les médecins peuvent effectuer les interventions cliniques qui sont essentielles pour la santé du patient sans le consentement de celui-ci dans les cas suivants :

(...)

b) Lorsqu’il existe un risque grave immédiat pour l’intégrité physique ou psychique du patient et qu’il n’est pas possible de recueillir son autorisation, [mais] en consultant [préalablement], lorsque les circonstances le permettent, ses proches ou des personnes ayant des liens de facto avec lui.

(...) »

Article 10 – Conditions relatives au consentement éclairé
formulé par écrit

« 1. Le médecin doit communiquer au patient les informations élémentaires suivantes avant de recueillir son consentement écrit :

a) les conséquences pertinentes ou importantes que l’intervention entraînera certainement ;

b) les risques liés à la situation personnelle ou professionnelle du patient ;

c) les risques susceptibles de se concrétiser dans des conditions normales, d’après l’expérience [des médecins] et [à la lumière] de l’état actuel du progrès scientifique, ou découlant directement du type d’intervention [en question] ;

d) les contre-indications.

2. Le médecin qui traite le patient tient compte dans chaque cas du fait que plus l’issue d’une opération est incertaine, plus le consentement écrit préalable du patient est nécessaire. »

Article 11 – Directives médicales anticipées

« 1. Au moyen de directives médicales anticipées, une personne majeure, en pleine possession de ses capacités et agissant de son plein gré, exprime ses souhaits à l’avance – dans le but qu’ils soient respectés au moment où elle se trouvera dans une situation dont les circonstances ne lui permettront pas de les exprimer en personne – concernant les soins et les traitements médicaux [à lui dispenser] (...) Le signataire de ce document peut également désigner un représentant qui agira comme son porte-parole auprès du médecin ou de l’équipe soignante afin de faire respecter les directives médicales anticipées [en question].

2. Chaque service de santé définit la procédure appropriée aux fins d’assurer la bonne exécution des directives médicales anticipées de chaque personne, lesquelles doivent toujours être formulées par écrit.

3. Les directives médicales anticipées qui sont contraires au système juridique ou à une bonne pratique médicale ou qui ne correspondent pas à l’éventualité prévue par la personne concernée au moment de leur formulation ne sont pas appliquées. Les notes relatives à ces dispositions sont consignées de manière motivée dans le dossier médical du patient.

4. Les directives médicales anticipées peuvent être révoquées librement à tout moment et [la révocation] doit être consignée par écrit.

5. Afin d’assurer l’effectivité, sur l’ensemble du territoire national, des directives médicales anticipées exprimées par les patients et formalisées conformément aux dispositions de la législation respective de chaque communauté autonome, un registre national des directives médicales anticipées doit être créé au sein du ministère de la Santé et de la Consommation (...) »

58. Le registre national des directives médicales anticipées visé à l’article 11 § 5 de la loi no 41/2002 a été établi par le décret royal no 124/2007 du 2 février 2007. Ses dispositions pertinentes peuvent se résumer comme suit :

Dès que des directives médicales anticipées sont enregistrées au niveau de la communauté autonome concernée, le registre national en est avisé dans les sept jours et il en reçoit une copie, qu’il enregistre. L’accès au registre national est accordé :

a) aux personnes dont les directives y ont été enregistrées,

b) à leurs représentants légaux (ou aux personnes qu’ils ont désignées à cet effet),

c) aux fonctionnaires accrédités des registres des communautés autonomes, et

d) aux personnes désignées par l’autorité sanitaire de la communauté autonome concernée ou par le ministère de la Santé.

Les personnes visées aux points c) et d) peuvent accéder au registre par voie électronique à la demande du médecin traitant la personne qui a formulé les directives, et le registre doit être accessible vingt-quatre heures sur vingt‑quatre.

3. La législation régionale

59. La requérante a rédigé ses directives anticipées dans la communauté autonome de Castille-et-León. La législation pertinente dans cette communauté autonome est la loi no 8/2003 sur les droits et devoirs des personnes en matière de santé. Elle dispose ce qui suit en ses parties pertinentes :

Article 30 – Directives médicales anticipées

« 1. Le respect des décisions relatives à sa santé est également opposable dans les cas où ces décisions ont été adoptées préalablement au moyen de directives médicales anticipées qui ont été laissées en prévision d’une situation dans laquelle il sera impossible d’exprimer ces décisions en personne.

2. Les directives médicales anticipées, qui ne peuvent être données que par des personnes qui sont majeures, en pleine possession de leurs capacités et libres, sont formalisées sous la forme d’un document selon l’une des procédures suivantes :

a) devant notaire, auquel cas la présence de témoins n’est pas nécessaire ;

b) devant le personnel du service de l’administration désignée par le ministère régional comme responsable des soins de santé, dans les conditions déterminées par la réglementation [pertinente] ;

c) devant trois témoins majeurs et jouissant de la pleine capacité d’agir, dont deux au moins ne doivent pas être liés jusqu’au deuxième degré de parenté ni être liés par des liens patrimoniaux ou d’autres liens impliquant une obligation avec l’auteur des directives.

Le gouvernement de Castille-et-León définit les formalités d’enregistrement ainsi que la procédure appropriée de manière à ce que, le cas échéant, il soit possible de garantir le respect des directives médicales anticipées de chaque personne, lesquelles doivent toujours revêtir la forme écrite et être versées au dossier médical [de cette personne], le tout sans préjudice de la réglementation applicable en vertu de la législation de base de l’État. »

4. La jurisprudence interne pertinente
1. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel

60. Les parties font référence dans leurs observations à un certain nombre d’arrêts rendus par le Tribunal constitutionnel, lequel a développé et consolidé sa jurisprudence dans ce domaine au fil des ans.

a) L’arrêt no 120/1990 du 27 juin 1990

61. Cet arrêt s’inscrit dans le contexte d’une grève de la faim qui avait été menée par des détenus qui entendaient protester ainsi contre leur placement dans des prisons différentes. L’administration pénitentiaire reçut l’autorisation judiciaire de dispenser aux détenus les soins médicaux nécessaires si ces détenus poursuivaient leur grève de la faim jusqu’au point où leurs vies seraient en danger ; la décision y afférente interdisait toutefois l’alimentation forcée par voie orale et précisait qu’aucun traitement ne pourrait être administré tant que les détenus demeureraient conscients. Les détenus introduisirent un recours constitutionnel contre cette décision. Précisant que son arrêt ne concernait que le contexte pénitentiaire, dans lequel il existait une relation juridique particulière entre les détenus et l’administration pénitentiaire, le Tribunal constitutionnel considéra que l’on pouvait dans ce contexte appliquer aux droits individuels des limites qui ne seraient pas admissibles hors de ce contexte. En réponse à l’argument des détenus consistant à dire que la décision litigieuse était incompatible avec leur droit à la vie, le Tribunal constitutionnel déclara que ce droit n’englobait pas le droit d’une personne à sa propre mort.

62. Concernant le droit à l’intégrité physique et morale (protégé par l’article 15 de la Constitution espagnole), le Tribunal constitutionnel observa que celui-ci garantissait l’inviolabilité de la personne non seulement contre les agressions, mais aussi contre toute intervention touchant le corps ou l’esprit à laquelle la personne ne consentait pas. Il considéra qu’une mesure imposant une assistance médicale à une personne contre son gré portait atteinte à ce droit, et qu’elle devait donc impérativement reposer sur une justification constitutionnelle et satisfaire aux critères de la nécessité et de la proportionnalité tout en respectant la substance dudit droit. Il conclut que, dans les circonstances particulières de l’espèce et à la lumière des termes dans lesquels elle était libellée, la décision litigieuse satisfaisait à ces exigences.

b) L’arrêt no 37/2011 du 28 mars 2011

63. Cet arrêt est considéré comme une décision de principe sur le statut constitutionnel du consentement éclairé à un traitement médical, lié au droit à l’intégrité physique et morale. L’affaire a pour toile de fond une action en indemnisation engagée contre un hôpital par l’appelant, qu’une opération chirurgicale avait laissé partiellement paralysé ; l’appelant arguait que l’on ne lui avait pas communiqué au préalable les informations nécessaires sur l’intervention et ses risques. Sa demande fut rejetée, les juridictions civiles jugeant que, s’il n’avait pas reçu ces informations, il connaissait néanmoins la procédure chirurgicale en question puisqu’il avait subi un traitement similaire quelques années auparavant. Ces juridictions estimèrent également que les faits s’étaient inscrits dans une situation d’urgence, ce qui avait selon elles fait disparaître l’impératif de respecter le protocole de consentement habituel.

64. Examinant l’affaire sous l’angle de l’article 15 de la Constitution, le Tribunal constitutionnel s’appuya largement sur les normes internationales pertinentes, notamment la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence y afférente (en particulier l’arrêt Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, CEDH 2002-III), ainsi que les dispositions de la Convention d’Oviedo relatives au consentement à un traitement médical (les articles 5 et 8 ; voir la section « Les textes internationaux pertinents » ci-dessous). Le Tribunal considéra que le consentement du patient à toute forme d’intervention médicale faisait partie intégrante du droit fondamental à l’intégrité physique. Il indiqua que le patient pouvait refuser tout traitement médical auquel il ne consentait pas, et que le patient avait un droit à l’autodétermination, c’est-à-dire un droit de recourir à sa volonté autonome pour décider librement de recevoir ou non des traitements et thérapies médicaux susceptibles d’affecter son intégrité, de choisir parmi les options disponibles et d’y consentir ou non. Il précisa que, pour exercer pleinement ce droit, le patient devait être correctement informé. Il ajouta que le consentement et l’information étaient si étroitement imbriqués que l’exercice adéquat du droit de consentir supposait que le patient disposât de l’information adéquate. Un manquement injustifié à l’obligation d’informer le patient, dit-il, constituait une restriction, voire une privation, du droit de celui-ci à prendre une décision concernant un traitement médical et d’y consentir et, partant, de son droit à l’intégrité physique. Il expliqua que l’information préalable devait par conséquent être considérée comme un moyen de garantir l’effectivité du principe de l’autonomie du patient et donc des préceptes constitutionnels et des droits fondamentaux susceptibles d’être affectés par les actes médicaux. Il jugea qu’il s’agissait d’une conséquence implicite et obligatoire du droit à l’intégrité de la personne, qui acquérait de ce fait une pertinence constitutionnelle, de sorte que l’absence de communication d’informations adéquates était de nature à faire conclure à une violation de ce droit fondamental. Il observa que la loi no 41/2002 adoptait une approche stricte en matière d’information du patient, dans le droit fil des exigences constitutionnelles pertinentes.

65. Dans l’affaire en question, le Tribunal constitutionnel conclut que les droits de l’intéressé, tels que protégés par l’article 15, n’avaient pas été respectés. Il jugea que dire qu’il était suffisant que le patient eût été informé préalablement à une intervention chirurgicale (qui, de surcroît, n’était pas identique à celle en cause) qui avait été réalisée plus de dix ans auparavant n’était pas compatible avec le contenu du droit fondamental auquel il avait été porté atteinte. Quant à l’existence d’une situation d’urgence susceptible de justifier les actes des médecins, le Tribunal observa que rien n’indiquait que les membres de la famille proche du patient n’avaient pas pu être sollicités pour donner un consentement éclairé en son nom, alors que la loi le prévoyait. Il ajouta que, l’opération ayant eu lieu le lendemain, il y aurait eu le temps de conduire la procédure requise pour le recueil d’un consentement éclairé. Il déclara que l’existence d’un risque pour le patient ne suffisait pas à justifier que l’on fît l’impasse sur le consentement éclairé, et qu’il fallait qu’il y eût un risque immédiat et sérieux, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

c) L’arrêt no 19/2023 du 25 avril 2023

66. Cet arrêt, rendu dans le cadre d’un recours formé par des parlementaires contre la loi espagnole de 2021 sur l’euthanasie, fait partie des références citées par le Gouvernement. Selon celui-ci, dans sa motivation détaillée, le Tribunal constitutionnel a rappelé les principes suivants :

– le droit à l’intégrité personnelle protège ceux qui, de manière libre, éclairée et responsable, refusent de se soumettre à un traitement médical, même lorsque cette décision pourrait conduire à une issue fatale ;

– le droit du patient à consentir à un traitement ne peut être exercé effectivement que lorsque le patient a reçu des informations adéquates au sujet du traitement en question ;

– l’information préalable est un moyen de garantir l’effectivité de l’autonomie du patient, de sorte que son omission ou son insuffisance peut donner lieu à une violation des droits constitutionnels pertinents ;

– cette garantie a été concrétisée par les dispositions pertinentes de la loi no 41/2002.

d) L’arrêt no 44/2023 du 9 mai 2023

67. C’est la requérante qui fait référence à cet arrêt, rendu dans le cadre d’un recours formé par des parlementaires contre diverses dispositions de la loi espagnole sur l’avortement. Se référant au droit à l’intégrité de la personne, le Tribunal constitutionnel y rappelait que ce droit protégeait l’inviolabilité de la personne non seulement contre les atteintes visant à nuire à celle-ci, mais aussi contre tout type d’intervention non consentie touchant aux aspects physiques et moraux de la personne, y compris celles visant à être essentiellement positives. Il ajoutait que, parallèlement à cette dimension « négative », la dimension « positive » liée au libre épanouissement de la personnalité avait aussi été soulignée dans la jurisprudence. En ce sens, expliquait-il, le droit à l’intégrité personnelle devait être compris comme englobant également un droit à l’autodétermination de l’individu qui protégeait l’essence de la personne en tant que sujet ayant la capacité de prendre des décisions librement et volontairement, auquel il était porté atteinte lorsque l’on imposait des contraintes à l’individu ou qu’on l’instrumentalisait, en oubliant que toute personne était une fin en soi.

2. La jurisprudence des juridictions ordinaires

68. Dans leurs observations, les parties font référence aux décisions suivantes, rendues par différentes juridictions régionales.

a) Audiencia Provincial de Guipúzcoa (section 2), recours no 2086/2004, décision du 22 septembre 2004

69. L’affaire a été introduite par un témoin de Jéhovah qui contestait l’autorisation qui avait été accordée aux médecins de lui administrer une transfusion sanguine dans le cadre d’une intervention médicale. L’appelant avait laissé des directives anticipées par lesquelles il indiquait qu’il refusait les transfusions, et qu’il fallait se conformer à ces directives s’il venait à être inconscient. Le tribunal déclara qu’il n’était pas contesté que l’appelant était pleinement conscient de l’ampleur de l’opération et de la possibilité qu’au cours de celle-ci il fût nécessaire de lui donner du sang. Pourtant, il avait exprimé sans équivoque son refus de recevoir une transfusion, fondé sur ses convictions religieuses. Le tribunal considéra que, par ses directives anticipées, le patient avait déjà dispensé les médecins d’avoir à prendre au cours de l’opération toute décision quant à la nécessité de le transfuser, puisqu’il avait préalablement pris cette décision lui-même. Il jugea que le fait que les médecins avaient sollicité l’autorisation judiciaire de transfuser le patient, en invoquant leur intérêt à s’exonérer de toute responsabilité, n’était pas conforme aux dispositions de la loi no 41/2002, contrevenait à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel et ne respectait pas le droit de l’appelant à son intégrité physique.

b) Audiencia Provincial de Lleida (section 1), recours no 440/2010, décision no 28/2011 du 25 janvier 2011

70. Dans cette affaire, un témoin de Jéhovah contestait l’ordonnance judiciaire autorisant une transfusion sanguine qui avait été délivrée à ses médecins. L’appelant, ayant été dûment informé avant l’opération, avait exprimé librement et en toute conscience son opposition à la transfusion. Il avait également enregistré des directives anticipées (dans la communauté de Castille-et-León) par lesquelles il indiquait son refus des transfusions sanguines. Le tribunal estima que le patient était pleinement conscient et orienté au moment où il avait refusé de consentir à la transfusion. Il se référa au cadre instauré par la loi no 41/2002, qui exigeait le consentement spécifique, libre et éclairé du patient pour toute intervention médicale, et qui régissait le refus de traitement. Il nota qu’il n’y avait eu ni risque pour la santé publique, ni risque grave et immédiat pour l’intégrité physique ou psychique d’un patient dont il n’aurait pas été possible de recueillir le consentement (pas plus que celui des proches du patient), de sorte que la décision de l’appelant de ne pas consentir à la transfusion sanguine aurait dû être respectée, surtout au vu des directives anticipées que celui-ci avait rédigées conformément aux dispositions de l’article 11 de la loi no 41/2002. Il indiqua que le refus par l’appelant de toute transfusion s’analysait en un exercice d’autodétermination à l’égard d’une intervention opérée sur son propre corps, exercice qui était protégé par la loi. Il conclut que, par conséquent, l’imposition de l’intervention médicale contre la volonté claire et sans équivoque exprimée par le patient n’était pas justifiée.

2. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS
1. Le Conseil de l’Europe
1. La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (la « Convention d’Oviedo »)

71. Ouverte à la signature à Oviedo en octobre 1997 et en vigueur depuis le 1er décembre 1999, la Convention d’Oviedo a été ratifiée par trente États membres du Conseil de l’Europe (dont l’Espagne)[3].

L’article 1 de la Convention énonce son but et son objet en ces termes :

« Les Parties à la présente Convention protègent l’être humain dans sa dignité et son identité et garantissent à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l’égard des applications de la biologie et de la médecine. Chaque Partie prend dans son droit interne les mesures nécessaires pour donner effet aux dispositions de la présente Convention. »

72. Le chapitre II de la Convention concerne le consentement. Il dispose ce qui suit en ses parties pertinentes :

Article 5 – Règle générale

« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.

Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.

La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »

Au sujet de cette disposition, le rapport explicatif, en ses parties pertinentes, indique ce qui suit :

« 34. Cet article traite du consentement et consacre, sur le plan international, une règle déjà bien établie, à savoir qu’aucune intervention ne peut en principe être imposée à quiconque sans son consentement. L’individu doit donc pouvoir librement donner ou refuser son consentement à toute intervention sur sa personne. Cette règle fait apparaître l’autonomie du patient dans sa relation avec les professionnels de santé et conduit à restreindre les approches paternalistes qui ignoreraient la volonté du patient. À l’instar de l’article 4, ce texte entend le terme « intervention » dans son sens le plus large, c’est‑à-dire comme comprenant tout acte médical, en particulier les interventions effectuées dans un but de prévention, de diagnostic, de thérapie, de rééducation ou de recherche.

35. Le consentement du patient ne peut être libre et éclairé que s’il est donné à la suite d’une information objective du professionnel de la santé responsable, quant à la nature et aux conséquences possibles de l’intervention envisagée ou de ses alternatives et en l’absence de toute pression de la part d’autrui. L’article 5, alinéa 2, mentionne ainsi les éléments les plus importants relatifs à l’information qui doit précéder l’intervention, mais il ne s’agit pas d’une énumération exhaustive : le consentement éclairé peut impliquer, selon les circonstances, des éléments supplémentaires. Les patients doivent être renseignés en particulier sur les améliorations qui peuvent résulter du traitement, sur les risques qu’il comporte (nature et degré de probabilité), ainsi que sur son coût. S’agissant des risques de l’intervention ou de ses alternatives, l’information devrait porter non seulement sur les risques inhérents au type d’intervention envisagé, mais également sur les risques qui sont propres aux caractéristiques individuelles de chaque personne, telles que l’âge ou l’existence d’autres pathologies. Il doit être répondu de manière adéquate aux demandes d’information complémentaire formulées par les patients.

(...)

37. Le consentement peut revêtir des formes diverses : il peut être exprès ou bien implicite ; le consentement exprès peut être verbal ou adopter la forme écrite. L’article 5, qui est général et recouvre des situations très différentes, n’exige pas une forme particulière. Celle-ci dépendra pour beaucoup de la nature de l’intervention. Il est admis que le consentement exprès serait inapproprié pour de multiples interventions de la médecine quotidienne. Ce consentement est donc souvent implicite, pourvu que l’intéressé soit suffisamment informé. Cependant, dans certains cas, par exemple des interventions diagnostiques ou thérapeutiques invasives, un consentement exprès peut être exigé (...)

38. La liberté du consentement implique celle de le retirer à tout moment et la décision de l’intéressé doit alors être respectée après qu’il a été pleinement informé des conséquences. Ce principe ne signifie toutefois pas que, par exemple, le retrait du consentement par le patient au cours d’une opération doive toujours être respecté. Les normes et obligations professionnelles, ainsi que les règles de conduite applicables dans de tels cas, selon l’article 4, peuvent obliger le médecin à poursuivre l’intervention, afin d’éviter une grave mise en danger de la santé de l’intéressé. »

Article 6 – Protection des personnes n’ayant pas la capacité de consentir

« (...)

3. Lorsque, selon la loi, un majeur n’a pas, en raison d’un handicap mental, d’une maladie ou pour un motif similaire, la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi.

La personne concernée doit dans la mesure du possible être associée à la procédure d’autorisation.

(...) »

Concernant cette disposition, le rapport explicatif, en ses parties pertinentes, indique ce qui suit :

« 43. Toutefois, afin de protéger les droits fondamentaux de la personne et d’éviter, en particulier, l’application de critères discriminatoires, le paragraphe 3 concernant les majeurs énumère les motifs pour lesquels un majeur peut être considéré en droit interne comme inapte à consentir, à savoir un handicap mental, une maladie ou un motif similaire. Cette dernière expression fait référence à des situations telles que l’accident ou des états de coma par exemple, dans lesquels le patient ne peut formuler sa volonté ou la communiquer (...) »

Article 8 – Situations d’urgence

« Lorsqu’en raison d’une situation d’urgence le consentement approprié ne peut être obtenu, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée. »

Concernant cette disposition, le rapport explicatif indique ce qui suit :

« 56. Dans des situations d’urgence, un conflit de devoirs peut se poser au médecin entre son obligation de soigner et celle de rechercher le consentement de la personne. Cet article autorise le praticien à agir immédiatement, sans attendre que le consentement du patient ou, le cas échéant, l’autorisation du représentant légal puisse être donné. Dérogeant à la règle générale des articles 5 et 6, il est assorti de conditions.

57. Tout d’abord, cette possibilité est limitée aux situations d’urgence qui empêchent le praticien d’obtenir le consentement approprié. Cet article s’applique aussi bien aux personnes capables qu’aux personnes dans l’impossibilité légale ou de fait de donner leur consentement. Ainsi, on peut citer le cas d’un patient dans le coma et qui est donc dans l’incapacité de donner son consentement (voir le paragraphe 43), mais également le cas où le médecin est dans l’impossibilité de joindre le représentant légal d’un incapable qui devrait normalement être appelé à autoriser l’intervention. Les membres des professions de santé devraient cependant, même dans une situation d’urgence, mettre en œuvre des mesures raisonnables pour déterminer quels pourraient être les souhaits du patient.

58. Ensuite, cette possibilité est limitée aux seules interventions médicalement indispensables et qui ne tolèrent pas un délai. Sont exclues les interventions pour lesquelles un délai est acceptable. Cependant, elle n’est pas réservée aux interventions nécessaires à la survie de la personne.

59. Enfin, l’article dispose que l’intervention doit être effectuée pour le bénéfice de la personne concernée. »

Article 9 – Souhaits précédemment exprimés

« Les souhaits précédemment exprimés au sujet d’une intervention médicale par un patient qui, au moment de l’intervention, n’est pas en état d’exprimer sa volonté seront pris en compte. »

Concernant cette disposition, le rapport explicatif indique ce qui suit :

« 60. Tandis que l’article 8 dispense du consentement dans les situations d’urgence, le présent article vise le cas où une personne douée de discernement a exprimé par anticipation son consentement, entendu comme assentiment ou comme refus, pour des situations prévisibles où elle ne serait pas à même de se prononcer sur l’intervention.

61. L’article ne recouvre donc pas uniquement les situations d’urgence, visées à l’article 8, mais aussi les autres hypothèses où la personne a prévu la possibilité de se trouver dans l’incapacité de consentir valablement, par exemple dans les cas de maladie progressive telle la démence sénile.

62. L’article prévoit que, lorsque la personne a ainsi fait connaître par avance ses souhaits, ceux-là doivent être pris en compte. Cependant, la prise en compte des souhaits précédemment exprimés ne signifie pas que ceux-ci devront être nécessairement suivis. Ainsi, par exemple, lorsque ces souhaits ont été exprimés très longtemps avant l’intervention et que les conditions scientifiques ont évolué, il peut être justifié de ne pas suivre l’opinion du patient. Le praticien doit donc, dans la mesure du possible, s’assurer que les souhaits du patient s’appliquent à la situation présente et sont toujours valables, compte tenu notamment de l’évolution des techniques médicales. »

2. Le texte adopté par le Comité des Ministres

73. Le 9 décembre 2009, le Comité des Ministres a adopté la recommandation CM/Rec(2009)11 du Comité des Ministres aux États membres sur les principes concernant les procurations permanentes et les directives anticipées ayant trait à l’incapacité. Dans le préambule de cette recommandation, il est noté qu’une législation dans ce domaine a été adoptée ou proposée dans certains États membres et qu’il existe des disparités considérables entre les législations en vigueur dans les États concernés. Ce texte recommande aux États de prendre en compte un ensemble de principes, lesquels, en leurs parties pertinentes, sont libellés ainsi :

« Principe 1 − Encouragement à l’autodétermination

1. Les États devraient encourager l’autodétermination des majeurs capables en prévision de leur éventuelle incapacité future par des procurations permanentes et des directives anticipées.

2. Conformément aux principes d’autodétermination et de subsidiarité, les États devraient envisager que ces mesures aient priorité sur les autres mesures de protection.

(...)

Partie III – Directives anticipées

Principe 14 – Contenu

Les directives anticipées peuvent s’appliquer aux questions relatives à la santé, au bien-être et aux autres questions personnelles, aux questions économiques et financières, ainsi que, le cas échéant, au choix d’un tuteur.

Principe 15 – Effet

1. Les États devraient décider de l’éventuel caractère contraignant des directives anticipées. Les directives anticipées non contraignantes devraient être considérées comme l’expression de souhaits à prendre dûment en compte.

2. Les États devraient aborder la question des situations survenant en cas de changement substantiel de circonstances.

Principe 16 – Forme

1. Les États devraient considérer si les directives anticipées ou certaines catégories d’entre elles doivent, pour avoir un caractère contraignant, être établies ou enregistrées sous forme écrite.

2. Les États devraient décider si la validité et l’efficacité de ces directives anticipées peuvent être subordonnées à d’autres dispositions et mécanismes.

Principe 17 – Révocation

Une directive anticipée doit être révocable à tout moment et sans formalité. »

3. Le texte adopté par l’Assemblée parlementaire

74. Le 25 janvier 2012, l’Assemblée parlementaire a adopté la résolution 1859 (2012) intitulée « Protéger les droits humains et la dignité de la personne en tenant compte des souhaits précédemment exprimés par les patients ». En son paragraphe 1, cette résolution se lit ainsi :

« On s’accorde à penser, sur la base de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) concernant le droit au respect de la vie privée, qu’aucune intervention ne peut être pratiquée sur une personne sans qu’elle ait donné son consentement. De ce droit fondamental découlent les principes d’autonomie personnelle et de consentement en vertu desquels tout patient majeur capable ne doit pas être manipulé et, si sa volonté est clairement exprimée, elle doit prévaloir même si cela signifie le refus d’un traitement : nul ne peut être contraint de subir un traitement médical contre sa volonté. »

Le paragraphe 6 de ce texte, qui s’adresse aux États membres du Conseil de l’Europe, énonce les recommandations suivantes :

« 6.3 (...) revoir, si nécessaire, leur législation à ce sujet afin de l’améliorer s’il y a lieu :

6.3.1 pour les pays n’ayant pas de législation spécifique en la matière, en établissant une « feuille de route » pour se doter de dispositions législatives en faveur de directives anticipées, de testaments de vie et/ou de procurations permanentes, sur la base de la Convention d’Oviedo et de la Recommandation CM/Rec(2009)11, en consultant toutes les parties prenantes avant l’adoption de la législation au parlement et en prévoyant, après son adoption, une campagne d’information et de sensibilisation destinée au grand public, ainsi qu’aux professionnels de la santé et du droit ;

6.3.2 pour les pays ayant une législation spécifique en la matière, en veillant à ce qu’elle respecte les normes pertinentes du Conseil de l’Europe, et à ce que le grand public et les professionnels de la santé et du droit aient une connaissance suffisante de cette législation et l’utilisent en pratique. »

Le paragraphe 7, qui s’adresse aux parlements nationaux, recommande à ceux-ci de respecter un ensemble de principes lorsqu’ils légifèrent dans ce domaine. Parmi ces principes figurent les suivants :

« 7.1 l’autodétermination des majeurs capables en prévision de leur éventuelle incapacité future, par des directives anticipées, des testaments de vie et/ou des procurations permanentes, devrait être encouragée et avoir priorité sur les autres mesures de protection ;

7.2 les directives anticipées, les testaments de vie et/ou les procurations permanentes devraient, en principe, se présenter sous forme écrite et être pleinement pris en compte lorsqu’ils ont été correctement validés et enregistrés (idéalement dans des registres publics) ;

(...)

7.4 les instructions préalables contenues dans des directives anticipées et/ou des testaments de vie qui sont contraires à la loi ou aux bonnes pratiques, ou bien celles qui ne correspondent plus à la situation de fait telle que l’intéressé(e) l’avait prévue au moment de la signature du document, ne devraient pas être applicables ;

(...)

7.8 il ne devrait pas être toléré que des décisions soient prises par une personne subrogée qui se fonde sur des jugements de valeur généraux ; en cas de doute, la décision doit toujours se prendre en faveur de la vie et de la prolongation de la vie. »

4. Le Guide sur le processus décisionnel relatif aux traitements médicaux dans les situations de fin de vie

75. Cette publication a été élaborée par le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe dans le cadre de ses travaux relatifs aux droits des patients et dans le but de faciliter la mise en œuvre des principes consacrés dans la Convention d’Oviedo. Elle est ainsi libellée en ses parties pertinentes :

« Compte tenu de leur importance dans le processus décisionnel en tant que protection de la volonté du patient, les dispositifs existants permettant l’expression des souhaits par anticipation, quel que soit leur degré de contrainte juridique, devraient faire l’objet d’une attention particulière dans l’organisation du système de santé. Il s’agit d’un moyen d’exercice des droits des patients. Tout usager du système de santé et tout professionnel de santé devrait être informé de l’existence de telles possibilités, de leurs modalités et de leur portée juridique.

L’expression formelle et par écrit apparaît comme le moyen le plus sûr et le plus fiable de faire connaître ses souhaits exprimés par anticipation. À ce titre, les directives anticipées, formulées par écrit, représentent le moyen reflétant le plus directement la volonté du patient. Lorsqu’elles existent, elles devraient primer sur tout autre avis non médical (formulé par la personne de confiance, la famille, les proches, etc.) exprimé au cours du processus décisionnel à condition, bien sûr, de répondre à un certain nombre d’exigences permettant de garantir leur validité (authentification de l’auteur, de sa capacité juridique, contenu approprié, durée de validité et modalités de réitération ou de révision éventuelles de l’expression de la volonté pour coller au mieux à la situation réelle, possibilité de révocation, etc.) et leur accessibilité (modalités de conservation permettant leur accessibilité en temps utile pour le médecin). »

2. L’Union européenne

76. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose ce qui suit en ses parties pertinentes :

Article 3
Droit à l’intégrité de la personne

« 1. Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale.

2. Dans le cadre de la médecine et de la biologie, doivent notamment être respectés :

a) le consentement libre et éclairé de la personne concernée, selon les modalités définies par la loi ;

(...) »

3. Les Nations unies

77. La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme a été adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le 19 octobre 2005. Ses dispositions pertinentes sont libellées ainsi :

Article 5
Autonomie et responsabilité individuelle

« L’autonomie des personnes pour ce qui est de prendre des décisions, tout en en assumant la responsabilité et en respectant l’autonomie d’autrui, doit être respectée. Pour les personnes incapables d’exercer leur autonomie, des mesures particulières doivent être prises pour protéger leurs droits et intérêts. »

Article 6
Consentement

« 1. Toute intervention médicale de caractère préventif, diagnostique ou thérapeutique ne doit être mise en œuvre qu’avec le consentement préalable, libre et éclairé de la personne concernée, fondé sur des informations suffisantes. Le cas échéant, le consentement devrait être exprès et la personne concernée peut le retirer à tout moment et pour toute raison sans qu’il en résulte pour elle aucun désavantage ni préjudice.

(...) »

78. En 2009, le rapport du Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint (A/64/272) a été soumis à l’Assemblée générale des Nations unies. Il comporte le passage suivant :

« 9. Le consentement éclairé n’est pas seulement l’acceptation d’une intervention médicale mais également une décision volontaire et suffisamment étayée, protégeant le droit du patient de prendre part à la prise de décisions médicales et imposant des devoirs et des obligations aux prestataires de soins. Ces justifications normatives éthiques et juridiques se trouvent dans la promotion de l’autonomie du patient, l’autodétermination, l’intégrité physique et le bien-être. »

79. Dans son Observation générale no 14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a exposé son interprétation de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il a notamment déclaré ce qui suit :

« 8. Le droit à la santé ne saurait se comprendre comme le droit d’être en bonne santé. Le droit à la santé suppose à la fois des libertés et des droits. Les libertés comprennent le droit de l’être humain de contrôler sa propre santé et son propre corps, y compris le droit à la liberté sexuelle et génésique, ainsi que le droit à l’intégrité, notamment le droit de ne pas être soumis à la torture et de ne pas être soumis sans son consentement à un traitement ou une expérience médicale (...) »

Le Comité a mentionné une série d’obligations juridiques spécifiques incombant aux États, notamment celle d’« aider les intéressés à faire des choix en connaissance de cause dans le domaine de la santé » (Observation générale, paragraphe 37, point iv)).

4. Autres textes pertinents

80. Il est également possible de citer deux textes de l’Association médicale mondiale (AMM). Sa Prise de position sur les directives anticipées (« Living wills »)[4] comprend le passage suivant :

« Une directive anticipée dûment élaborée doit être respectée à moins que n’existent des raisons bien fondées de supposer qu’elle n’est pas valide parce qu’elle ne représente plus les souhaits du patient ou que sa capacité de compréhension était imparfaite au moment de la préparation de la directive. »

Sa Déclaration de Lisbonne sur les droits du patient[5] comprend le passage suivant :

« Le patient inconscient

Si le patient est inconscient ou incapable d’exprimer sa volonté, le consentement éclairé doit être obtenu d’un représentant légal.

Si, en l’absence du représentant légal, il y a nécessité urgente d’intervention médicale, le consentement du patient sera présumé, à moins que sur la base d’une conviction ou ferme déclaration préalable, il ne soit évident et indéniable qu’il aurait, dans pareil cas, refusé l’intervention. »

3. DROIT COMPARÉ

81. Aux fins de la présente affaire, la division de la recherche de la Cour a effectué une étude comparative couvrant trente-neuf des autres États contractants. Cette étude s’intéresse à la manière dont les souhaits précédemment exprimés par le patient, en particulier le refus des transfusions sanguines par les témoins de Jéhovah, sont respectés ou pris en compte dans le contexte d’une urgence vitale. Elle a permis de classer les États en trois groupes à cet égard. Elle a constaté que dans dix-sept États, il existe une reconnaissance formelle des directives anticipées qui expriment les souhaits du patient en matière de traitement médical (l’Allemagne, l’Autriche, Chypre, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, le Liechtenstein, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Suisse). Dans ces États, les patients peuvent déclarer dans des directives qu’ils refusent les transfusions sanguines, même si en Hongrie seules les personnes atteintes de maladies en phase terminale ont la possibilité de refuser par anticipation des traitements de nature à leur sauver la vie. Ces États ont mis en place des dispositifs spécifiques déterminant la forme, l’accessibilité et les effets des directives anticipées. Si l’on peut généralement dire que ces dispositifs visent à faire en sorte que les instructions données par le patient en matière de traitement médical soient respectées, cela suppose que dans un cas donné il n’y ait aucune raison de douter de l’authenticité, de la validité au moment considéré, de la signification et de l’applicabilité des directives anticipées qui ont été établies conformément aux exigences de forme et de fond en vigueur. Par exemple, au Danemark, la législation impose que le patient ait été informé par un médecin des conséquences d’un refus d’une transfusion sanguine dans l’état de santé qui est le sien. Ce n’est qu’à cette condition que le refus prend effet ; sans cela, l’opposition du patient aux transfusions sanguines sera traitée comme un facteur pertinent plutôt que comme une instruction contraignante, et elle ne fera pas obstacle à l’administration de traitements vitaux en urgence.

82. Par ailleurs, il faut que l’existence de directives anticipées soit connue du personnel médical. À cet égard, certains États ont mis en place des registres officiels à cette fin (par exemple l’Estonie, la Finlande, l’Italie, le Portugal et la Slovénie), tandis que dans d’autres États les directives anticipées peuvent être consultées dans le dossier médical électronique du patient (par exemple en Autriche et en Suisse). Dans certains États, il est possible de passer outre au refus précédemment exprimé par un patient pour sauver la vie de celui-ci (par exemple à Chypre), ou d’administrer au patient un traitement essentiel dans l’attente d’une décision judiciaire sur la validité ou la signification de directives anticipées (en Irlande et au Royaume-Uni). En France, le médecin peut administrer au patient des traitements essentiels pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation, et il n’est pas tenu de respecter une instruction qui, manifestement, est inappropriée ou ne concorde pas avec la situation médicale du patient. Au Portugal, les médecins ne sont pas tenus de respecter les directives anticipées lorsque la consultation de celles-ci entraînerait un retard dans l’administration au patient de soins urgents de nature à préserver sa vie ou sa santé.

83. En cas de doute sur la validité, la signification ou l’applicabilité de directives anticipées, dans plusieurs États (par exemple en Allemagne, en Irlande, en Italie, au Royaume-Uni et en Suisse) la règle ou la pratique demande de tenter d’établir la volonté présumée ou supposée du patient en consultant tout représentant (ou assimilé) qu’il aurait désigné, ou des membres de sa famille, ou d’autres personnes proches du patient.

84. Le rôle des tribunaux dans le règlement des différends entre la famille ou les représentants du patient et l’équipe médicale au sujet des directives anticipées ainsi que d’autres difficultés fait l’objet de dispositions expresses dans un certain nombre d’États. En Allemagne, en Autriche et en Italie, cette fonction est confiée aux juridictions chargées des questions de tutelle et de garde et, au Royaume-Uni, elle incombe à la Court of Protection. En Irlande et à Chypre, la juridiction compétente est la High Court.

85. Les États du deuxième groupe sont ceux qui, en droit ou en pratique, imposent le respect des souhaits précédemment exprimés par le patient, mais qui n’ont pas mis en place de cadre réglementaire spécifique à cette fin (la Belgique, l’Islande, la Lettonie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne et la Roumanie). Dans ces États, une instruction claire donnée préalablement par le patient par laquelle celui-ci exprime son refus de traitements médicaux doit être respectée. Ce peut être le cas du refus d’une transfusion sanguine par un témoin de Jéhovah (voir par exemple la décision rendue en ce sens en 2005 par la Cour suprême de Pologne[6]). Il est toutefois souligné que, pour être traité comme s’imposant au personnel médical, pareil refus doit être formulé en des termes suffisamment précis. S’il est considéré que la déclaration du patient ne présente pas la clarté requise, les soins essentiels sont administrés en cas d’urgence.

86. Les États du troisième groupe (l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la Lituanie, la Macédoine du Nord, Malte, la Moldova, le Monténégro, la République slovaque, Saint‑Marin, la Serbie et la Suède) n’ont pas adopté de disposition spécifique sur les souhaits précédemment exprimés par les patients. Leur législation et leur réglementation dans ce domaine régissent plutôt la question du consentement préalable à un traitement médical. Dans bon nombre de ces États, on considère que si le patient n’est pas en mesure de donner son consentement à un traitement vital dans une situation d’urgence, il faut dans la mesure du possible solliciter le consentement de son représentant ou de ses proches, et que lorsque cela est impossible au vu des circonstances, le traitement médical nécessaire doit être administré au patient.

EN DROIT

1. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 8 ET 9 DE LA CONVENTION

87. La requérante se plaint, sur le terrain de l’article 8 de la Convention, de ce qu’au cours d’une opération chirurgicale pratiquée après avoir été autorisée par la justice, des transfusions sanguines lui ont été administrées alors même qu’elle avait préalablement exprimé son refus de cette forme de traitement. Elle y voit une grave ingérence dans l’exercice par elle de son droit au respect de la vie privée et elle critique les décisions tant médicales que judiciaires qui ont été rendues dans son cas, qu’elle qualifie de contraires à son droit à l’autodétermination.

En ses parties pertinentes, l’article 8 est libellé ainsi :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

La requérante se plaint en outre, à raison des mêmes faits, d’une ingérence dans l’exercice par elle de son droit à la liberté de conscience et de religion tel que garanti par l’article 9. Elle indique que le refus des transfusions sanguines s’inscrit au cœur de ses convictions religieuses fondamentales et qu’il revêt une importance cruciale pour elle, en ce qu’il façonnerait son identité personnelle et guiderait sa conscience personnelle.

L’article 9 est libellé comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

88. Le Gouvernement conteste la recevabilité de la requête. Il avance que la requérante n’a pas soumis à l’Audiencia Provincial une copie du formulaire de consentement éclairé établi à l’hôpital de Soria portant sa signature, omission qui, dit-il, a été signalée à l’intéressée à ce moment-là. Précisant que l’Audiencia Provincial a reconnu l’importance potentielle de ce document, il argue que si cette juridiction en avait reçu une version signée, elle aurait été en mesure d’examiner la pertinence que revêtait ce refus de traitement établi préalablement et par écrit pour les actions qui avaient été entreprises le lendemain. Il indique qu’à cause de cette omission, cette question n’a pas pu être examinée correctement au cours de la procédure interne. Il ajoute qu’il n’y a jamais eu dans le dossier médical de la requérante qu’une seule version du formulaire de consentement éclairé, laquelle portait selon lui les deux signatures, et qu’elle est demeurée accessible à l’intéressée tout au long de la procédure (paragraphe 54 ci-dessus). Il estime que la requérante n’a donc pas fait preuve de la diligence requise dans le cadre de la procédure interne et que, dès lors, elle ne peut se plaindre de l’issue définitive de celle-ci. Il affirme que, par conséquent, l’intéressée ne peut être considérée comme une « victime » des violations de la Convention qu’elle allègue.

89. Le Gouvernement avance également que l’action engagée par la requérante devant les juridictions internes était centrée sur la décision de la juge de permanence, dont elle aurait cherché à obtenir l’annulation. Il expose qu’au cours de cette procédure l’intéressée n’a pas contesté le processus décisionnel que le corps médical avait mis en œuvre, à savoir l’appréciation faite par les médecins de l’état de santé dans lequel elle se trouvait le 7 juin 2018 et de l’intervention médicale que cet état requérait. Il soutient qu’elle disposait de voies de recours – civiles, administratives et pénales – par lesquelles elle aurait pu faire valoir ces arguments en donnant aux juridictions internes l’occasion de les examiner. Il argue que, n’ayant pas fait usage de ces voies de recours, elle ne peut à présent chercher à contester dans le cadre de la procédure menée devant la Cour le jugement professionnel des médecins. Il déclare qu’il serait contraire au rôle subsidiaire de la Cour de connaître d’arguments de cette nature alors qu’ils n’ont pas été exposés devant les juridictions internes.

b) La requérante

90. La requérante nie toute responsabilité de sa part concernant l’absence de l’une des signatures. Elle affirme que c’est l’hôpital de Soria qui détenait le document original, lequel portait selon elle les deux signatures, et qu’elle en a demandé une copie aux fins de la procédure menée devant les juridictions internes (paragraphe 54 ci-dessus). Elle assure avoir communiqué de bonne foi la copie qu’elle a reçue aux juridictions internes. Elle ajoute qu’en tout état de cause, son dossier médical comportait de nombreux éléments écrits attestant de son refus des transfusions sanguines, lequel aurait été consigné par les médecins de l’hôpital de Soria. Elle estime que cela aurait dû être considéré comme suffisant pour satisfaire à l’exigence énoncée à l’article 2 § 4 de la loi no 41/2002 qui disposait que les refus de traitement devaient être exprimés par écrit. Ainsi, selon elle, rien n’empêchait les juridictions internes de prendre en considération son refus écrit des transfusions sanguines.

91. En réponse à l’argument du Gouvernement relatif aux voies de recours disponibles, la requérante expose qu’en théorie elle aurait pu tenter d’engager devant les juridictions civiles ou administratives une action dirigée contre les médecins ou l’hôpital, dans le cadre de laquelle la question d’une éventuelle erreur ou négligence médicale aurait pu être soulevée, et qu’elle aurait aussi pu déposer une plainte pénale. Elle dit toutefois avoir été avertie que, les médecins ayant agi avec l’autorisation préalable de la juge de permanence, ces voies de recours n’auraient aucune chance de succès. Elle considère qu’elle a donc eu raison de contester cette décision, puis de faire de celle-ci et des deux décisions rendues par la suite en appel l’objet de son recours devant le Tribunal constitutionnel. Elle argue que ce qui était en jeu était essentiellement une question de principe, celle de savoir si l’on peut soigner un patient capable de discernement contre sa volonté, et non une éventuelle négligence médicale. Elle estime qu’étant donné qu’elle a soulevé cette question de principe devant les juridictions internes, en s’appuyant sur les dispositions pertinentes de la Constitution et de la Convention, elle s’est acquittée de son obligation d’épuiser les voies de recours internes pour son grief.

2. Appréciation de la Cour

92. La jurisprudence de la Cour relative à la signification du terme « victime » figurant à l’article 34 de la Convention est bien établie. L’intéressé doit pouvoir démontrer qu’il a « subi directement les effets » de la mesure litigieuse (Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) c. Suisse [GC], no 21881/20, § 105, 27 novembre 2023). En l’espèce, la mesure litigieuse est la décision rendue par la juge de permanence le 7 juin 2018, qui autorisait les médecins de l’hôpital de La Paz à administrer à la requérante le traitement nécessaire pour préserver sa vie et son intégrité physique (paragraphe 28 ci-dessus). Sur le fondement de cette décision, la requérante a été opérée et, dans ce contexte, elle a reçu des transfusions, ce qui allait à l’encontre des souhaits qu’elle avait précédemment exprimés par différents moyens et qui reposaient sur ses convictions religieuses. La Cour estime que l’effet direct que la mesure litigieuse a produit sur la requérante est clair, et elle rejette donc cette exception préliminaire. Étant donné qu’il est admis que la requérante a effectivement exprimé son refus dans les formes requises à l’hôpital de Soria, le fait qu’elle n’a pas présenté de copie valide du formulaire de consentement éclairé lors de la procédure judiciaire qui a suivi les faits n’a aucune incidence sur sa qualité de victime en ce qui concerne les griefs qui font l’objet de la présente procédure. Les implications de ce fait pour l’examen de l’affaire au fond seront analysées ci-dessous.

93. La Cour rappelle que la raison d’être de la règle de l’épuisement des voies de recours internes est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie. Cette règle reflète en cela le caractère subsidiaire du mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (voir, parmi de nombreux autres exemples, ibidem, § 138). Il est bien établi dans la jurisprudence que l’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent (ibidem, § 139).

94. Comme indiqué ci-dessus, la position de la requérante consiste à dire que son affaire porte essentiellement sur une question de principe et que la forme du recours qu’elle a engagé devant les juridictions internes reflétait cela. Ayant déjà déterminé ci-dessus que la décision de la juge de permanence était la mesure dont la requérante a subi directement les effets, la Cour considère qu’en cherchant à obtenir l’annulation de cette décision l’intéressée a exercé une voie de recours appropriée. À chaque étape de la procédure interne, la requérante a contesté la validité de la décision, en s’appuyant sur les dispositions de la Constitution et la jurisprudence pertinentes, ainsi que sur les dispositions correspondantes de la Convention et sur la jurisprudence y afférente. Elle s’est ainsi acquittée de l’obligation de donner aux autorités judiciaires internes l’occasion de connaître des allégations d’atteinte à ses droits dont elle a à présent saisi la Cour.

95. Quant aux autres types de voies de recours que le Gouvernement mentionne, leur finalité aurait été de chercher à établir la responsabilité des médecins ou de l’hôpital au regard du droit civil, pénal ou administratif pour la manière dont la requérante a été traitée. Or cela ne correspond pas au grief essentiel que l’intéressée formule devant la Cour, lequel, selon ses propres termes, a trait à une question de principe plutôt qu’à une erreur ou à une négligence alléguée dans les soins médicaux qui lui ont été dispensés. Le fait que la requérante a décidé de ne pas saisir les juridictions internes d’un grief relatif au bien-fondé des appréciations faites par les médecins dans son cas a toutefois nécessairement une incidence sur la portée de l’examen mené par la Cour en l’espèce. La Cour reviendra sur ce point plus bas (paragraphe 130).

96. Pour conclure son examen de la recevabilité, la Cour, constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Sur la qualification juridique de l’affaire

97. La Cour observe que les deux droits distincts invoqués par la requérante en l’espèce, à savoir le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté de conscience et de religion, sont très étroitement liés ; les souhaits de l’intéressée concernant le traitement de sa maladie trouvaient leur origine dans sa fidélité aux enseignements délivrés par sa communauté religieuse sur cette question. La Cour relève en outre que dans ses observations sur l’affaire, qui sont résumées ci-dessus, la requérante se concentre bien davantage sur l’article 8. Sur le terrain de l’article 9, elle se contente pour l’essentiel de répéter les mêmes arguments. Quant au Gouvernement, sa position consiste à dire que l’enjeu central de l’affaire est plus vaste que la liberté de religion, et tous ses arguments sont formulés sous l’angle de l’article 8.

98. La Cour considère pour sa part que la question qui se pose en l’espèce, qui concerne principalement l’autonomie et l’autodétermination du patient en matière de traitement médical, peut judicieusement être examinée sous l’angle de l’article 8 puisqu’il est clair que ces aspects entrent dans le champ du « respect de la vie privée » (voir ci-dessous pour les principes et les précédents jurisprudentiels pertinents). La dimension religieuse du grief de la requérante sera adéquatement prise en compte par une interprétation et une application de l’article 8 à la lumière de l’article 9 (voir, pour une approche similaire, l’affaire Abdi Ibrahim c. Norvège ([GC], no 15379/16, 10 décembre 2021), dans laquelle la requérante se plaignait d’une ingérence dans l’exercice par elle de son droit au respect de sa vie familiale et de sa liberté de religion à raison de la déchéance de son autorité parentale à l’égard de son fils et du placement de celui-ci, en vue de son adoption, dans une famille pratiquant une religion différente de la sienne, grief que la Cour a examiné sous l’angle de l’article 8 lu à la lumière de l’article 9 ; voir aussi les autres exemples cités au paragraphe 142 de l’arrêt rendu dans cette affaire).

2. Thèses des parties

a) La requérante

99. Dans ses observations, la requérante s’efforce de démontrer que le jour en question son état de santé n’était pas grave au point de représenter pour sa vie un danger immédiat. À cette fin, elle produit deux expertises qu’elle a fait réaliser en vue de la présente procédure. Elle rapporte que les deux experts ont estimé qu’au vu des informations figurant dans son dossier médical, sa vie ne se trouvait en réalité pas menacée par un danger imminent. Elle précise que les experts ont au contraire considéré que son état était stable au moment de son arrivée à l’hôpital de La Paz, et qu’ils n’ont vu dans le dossier médical aucun élément propre à laisser penser que sa lucidité eût été altérée à ce moment-là. La requérante allègue que les experts ont indiqué qu’il aurait été possible de la soigner efficacement sans recourir à des transfusions sanguines, conformément à ses souhaits. Elle expose par ailleurs qu’à supposer même qu’un danger imminent eût pesé sur sa vie, la question centrale en cause dans l’affaire porte non pas sur des faits médicaux mais sur un principe juridique, à savoir le principe du respect de la volonté d’un patient adulte capable de discernement.

100. La requérante allègue que le matin en question l’organisation de son transfert vers l’hôpital de La Paz était terminée vers 11 heures, ce qui aurait laissé aux médecins de cet hôpital amplement le temps de se renseigner sur ce qu’elle souhaitait. Elle indique qu’il leur restait alors environ quatre heures avant le début de l’opération et qu’ils auraient donc parfaitement pu la consulter directement. Elle estime qu’ils auraient pu le faire avant son départ de Soria, ou au cours du transfert, ou à l’hôpital de La Paz lui-même étant donné qu’elle était selon elle totalement lucide pendant tout ce temps, ainsi que cela aurait été indiqué dans son dossier médical et que l’aurait admis l’Audiencia Provincial. Elle déclare que s’il avait véritablement été nécessaire qu’elle clarifiât davantage ou qu’elle confirmât ses souhaits, plusieurs solutions existaient pour ce faire. Elle expose que l’hôpital de Soria aurait pu être sollicité à nouveau. Elle argue à ce propos que les États sont tenus par l’obligation positive d’organiser leur système de santé de manière à ce que le personnel médical soit informé rapidement des instructions pertinentes données par un patient au sujet de son traitement, par une transmission des informations entre les hôpitaux concernés en cas de transfert d’un patient, de façon à éviter tout retard inutile dans la mise en œuvre des instructions du patient. Elle ajoute qu’il aurait par ailleurs été parfaitement possible de consulter ses directives médicales anticipées dans le registre national ou de prendre contact avec ses représentants auprès du corps médical. Or, indique-t-elle, aucune de ces mesures n’a été prise. Elle considère qu’au lieu de cela, on a adopté une attitude paternaliste à son égard.

101. En ce qui concerne le processus décisionnel, qui se trouve au cœur de l’action qu’elle a engagée devant les juridictions internes, la requérante formule une série de critiques. Elle allègue que la juge de permanence a statué en se fiant à quelques phrases envoyées par télécopie. Or le message en question, qui n’aurait comporté quasiment aucune information à propos de la patiente, pas même son nom, aurait été incomplet. Il aurait en outre fait une présentation erronée de l’état de santé de la requérante et de sa décision concernant son traitement. La juge n’aurait pas essayé de vérifier ces informations ni d’obtenir davantage de précisions, bien qu’elle eût pu le faire en prenant contact soit avec la requérante directement, soit avec l’hôpital de Soria, soit avec le représentant de la requérante auprès du corps médical. La juge aurait appuyé sa motivation sur une jurisprudence constitutionnelle dépassée, qui aurait laissé de côté l’importance de respecter l’autonomie et les convictions du patient. Sa décision aurait eu pour effet de donner carte blanche aux médecins pour le choix du traitement à administrer à la requérante. En outre, celle-ci n’aurait pas eu connaissance du processus décisionnel, et, a fortiori, elle n’y aurait pas été associée.

102. La requérante critique également la motivation que la juge de permanence a avancée pour rejeter son recours en annulation de la décision litigieuse. Elle pense que c’est à tort que la juge a mis en doute la validité de ses directives médicales anticipées, dont elle affirme qu’ayant été dûment enregistrées, elles auraient dû être considérées comme authentiques. Pour ce qui est de la décision rendue par l’Audiencia Provincial, la requérante argue que cette juridiction a commis une erreur de droit en insistant sur le fait qu’un refus de traitement médical devait être formulé par écrit. Elle considère que cette interprétation de la loi no 41/2002 était arbitraire et imprévisible. Elle estime que ce que la loi exigeait, c’était qu’un tel refus fût consigné par écrit dans le dossier médical du patient, et elle dit que c’est ce qui a été fait à l’hôpital de Soria. Elle ajoute que si les médecins de l’hôpital de La Paz avaient sollicité son consentement à l’intervention chirurgicale qu’ils avaient l’intention de pratiquer, comme ils auraient dû le faire à son avis, elle aurait répété son refus des transfusions sanguines et ce refus aurait été noté dans son dossier médical, ce qui aurait satisfait à l’exigence énoncée par la loi. Elle affirme en outre que, son refus étant mentionné dans ses directives médicales anticipées, dans sa procuration permanente et dans le formulaire de consentement éclairé qu’elle aurait signé à l’hôpital de Soria le 6 juin 2018, il en existait de nombreuses traces écrites. Elle en déduit que l’ingérence qui aurait été commise dans l’exercice par elle de ses droits n’était pas légale.

103. La requérante indique en outre que cette ingérence ne visait pas non plus l’un des buts prévus à l’article 8 § 2 de la Convention. Elle avance en particulier que son refus des transfusions sanguines n’a aucunement représenté une menace pour les droits et libertés d’autrui. Elle ajoute que ce refus constituait une position claire qu’elle avait prise en connaissance de cause, et que l’on ne saurait donc dire à proprement parler que la décision de la juge de permanence ait eu pour but de protéger sa santé, car cela entrerait en contradiction avec son autonomie. Elle argue que, aucun droit ou intérêt concurrent n’étant en jeu, son droit de refuser les transfusions sanguines bénéficiait d’une protection absolue au regard de la Convention.

104. La requérante expose que, compte tenu de l’importance fondamentale que revêt selon elle le respect de l’autonomie et de l’autodétermination des patients, l’éventuelle marge d’appréciation des autorités internes en la matière devrait être très étroite. Pour appuyer sa thèse, elle indique que, dans la grande majorité des États européens, nul ne peut, quelles que soient les circonstances, passer outre à un refus de traitement valablement formulé par un patient capable de discernement. Elle affirme que ce constat révèle l’existence d’un large consensus concernant l’importance primordiale de respecter les souhaits du patient. Elle en conclut que pour passer outre aux souhaits du patient, des raisons convaincantes et impérieuses seraient nécessaires, par exemple des preuves démontrant concrètement que la décision du patient ne traduit pas sa volonté. Elle estime qu’il ne suffit pas d’évoquer des doutes en général, ce qui selon elle pourrait revenir à placer en fin de compte la décision sur le traitement à administrer entre les mains du médecin plutôt qu’entre celles du patient. Elle y voit un risque qu’un tel pouvoir soit en pratique dépourvu de limites et qu’il puisse être utilisé abusivement à l’égard des témoins de Jéhovah, qui forment selon elle une minorité religieuse impopulaire exposée aux stéréotypes, à la discrimination et à la victimisation. Elle pense que pour autant que les souhaits du patient sont clairs et précis, qu’ils sont applicables dans la situation concernée et qu’il n’y a aucune raison de douter de leur authenticité, il faut leur donner plein effet. Elle ajoute que cette considération s’applique de la même manière aux souhaits précédemment exprimés lorsque, dans les États où de tels instruments existent, pareils souhaits ont été formulés dans des directives médicales anticipées établies conformément aux dispositions pertinentes du droit interne. Elle pense qu’il est clair, au vu des faits de l’espèce, qu’il n’y avait pas la moindre raison de mettre en doute la validité de son refus des transfusions sanguines. Elle ne décèle par conséquent rien dans les faits de l’espèce qui pût être considéré comme révélant un besoin social impérieux ou comme constituant une raison pertinente et suffisante de commettre une ingérence dans l’exercice par elle de son droit au respect de la vie privée.

105. En réponse à la question, posée à l’audience, de savoir si la requérante était prête à accepter le risque de mourir le 7 juin 2018, son conseil a répondu que l’intéressée avait exprimé un choix très clair dans ses directives médicales anticipées lorsqu’elle avait refusé les transfusions sanguines. Il a déclaré que, même si la requérante souhaitait guérir, elle avait conscience qu’un choix personnel pouvait se révéler fatal, et qu’elle était néanmoins prête à accepter les conséquences de son choix.

b) Le Gouvernement

106. Le Gouvernement souligne à quel point l’état de santé dans lequel la requérante se trouvait le jour en question était grave. Il affirme qu’au vu de son refus des transfusions sanguines, l’hôpital de Soria n’a pas eu d’autre choix que d’organiser son transfert à l’hôpital de La Paz, situé dans une autre communauté autonome, pour que l’on pût déterminer si elle pourrait y être soignée sans recours à des transfusions. Il explique qu’il s’agissait d’une situation d’urgence qui exposait la vie de la requérante à un risque imminent. Il conteste l’allégation de l’intéressée consistant à dire que son état n’était pas si grave. Lors de l’audience, un médecin-chef de l’hôpital de La Paz a déclaré que le cas de la requérante était cliniquement complexe et que le risque pour sa vie était extrême. Ce même médecin a également décrit les effets produits par une anémie grave sur le corps et l’esprit, relatant que si les réactions des patients différaient selon des facteurs tels que l’âge, l’état de santé ainsi que le débit et le volume de l’hémorragie, une baisse du taux d’hémoglobine s’accompagnait toutefois d’une augmentation du risque pour le patient. Ce médecin a précisé qu’un taux d’hémoglobine inférieur à 7 g/dL requérait une transfusion immédiate et que lorsque, comme cela avait été consigné en l’espèce, le taux d’hémoglobine tombait en deçà de 5 g/dL, la vie du patient se trouvait en danger imminent. Ce médecin a exposé que cet état avait aussi une incidence sur les fonctions cognitives supérieures du patient, dont elle amoindrissait la capacité à prendre des décisions de manière pleinement autonome. Il a indiqué que cet effet n’était pas nécessairement visible, et qu’il serait très difficile d’évaluer la lucidité d’un patient se trouvant dans cet état avec exactitude en quelques minutes, c’est-à-dire le temps dont les médecins avaient disposé à l’arrivée de la requérante à l’hôpital de La Paz. Le Gouvernement considère que la remarque de l’Audiencia Provincial selon laquelle, à l’hôpital de La Paz, la requérante était en mesure d’exprimer sa volonté ne doit pas être considérée comme un constat factuel, étant donné que, selon lui, l’examen effectué par cette juridiction portait sur les circonstances dans lesquelles la juge de permanence avait pris la décision d’autoriser le traitement.

107. Le Gouvernement affirme qu’après l’appel téléphonique de l’hôpital de Soria dans la matinée du 7 juin 2018, les médecins de l’hôpital de La Paz connaissaient la gravité de l’état de la requérante et ils savaient aussi que celle-ci refusait les transfusions sanguines pour des motifs religieux. Il expose que les médecins de l’hôpital de La Paz ont été ensuite avertis par le médecin qui se trouvait à bord de l’ambulance du risque que l’état de santé de la requérante se fût gravement détérioré à son arrivée, et que c’est dans ces circonstances qu’ils ont saisi la juge de permanence. Il a été expliqué à l’audience que l’hôpital de La Paz avait pour pratique habituelle de demander l’avis d’un juge lorsqu’un patient refusait les transfusions sanguines, et qu’il joignait toujours à ses demandes les informations pertinentes dont il disposait concernant le patient. Il a été indiqué qu’en ce qui concerne la requérante, qui était en cours de transfert depuis un autre hôpital situé dans une communauté autonome différente, les médecins avaient communiqué les informations dont ils disposaient à ce moment-là, qui étaient très limitées. Il a en outre été précisé que le transfert avait eu lieu à un moment où le personnel du service des urgences s’occupait également de nombreux autres cas urgents. Le Gouvernement reconnaît que la teneur de la télécopie n’était pas totalement exacte, notamment en ce qu’elle déclarait que la requérante refusait tous types de traitement, mais il ajoute que la seule forme de traitement qu’elle refusait effectivement était celle qui était considérée comme nécessaire pour lui sauver la vie.

108. De l’avis du Gouvernement, les médecins ont agi avec prudence en saisissant la juge de permanence au moment où ils l’ont fait. Le Gouvernement déclare qu’étant donné les circonstances, cette demande était urgente et elle nécessitait que la juge y répondît extrêmement rapidement en s’appuyant sur les éléments factuels qui lui avaient été communiqués. Exposant que la juge de permanence a toutefois pu, avant de rendre sa décision, prendre deux avis, l’un (celui du médecin légiste) confirmant la gravité de la situation et l’autre (celui de la procureure locale) portant sur les aspects juridiques de la situation, il affirme qu’il n’était pas matériellement possible d’accomplir des démarches supplémentaires dans les circonstances de l’espèce. Il explique en particulier que la juge n’avait aucun moyen de déterminer avec certitude, au cours de son examen de la demande, si la requérante avait la capacité cognitive requise pour confirmer son refus des transfusions sanguines, ajoutant que cette démarche ne pouvait être accomplie par téléphone et qu’il n’aurait pas été approprié de tenter de le faire. En ce qui concerne les directives médicales anticipées de la requérante, le Gouvernement déclare que même si la juge pouvait en théorie ordonner au registre d’en produire une copie, cela n’était en réalité pas possible du fait de l’urgence de la situation. Selon lui, la juge a en conséquence dû faire face à une absence de certitude concernant les souhaits de la requérante. Il explique qu’elle n’a pas ordonné une forme particulière de traitement mais qu’elle a laissé aux médecins le soin d’exercer leur jugement médical à l’arrivée de la requérante. Il indique qu’eu égard à la finalité et au contexte de la demande, le fait que l’identité de la requérante n’ait pas été communiquée à la juge de permanence ne saurait être considéré comme l’omission d’une information essentielle.

109. Le Gouvernement déclare qu’à l’arrivée de l’ambulance, les médecins de l’hôpital de La Paz ont estimé qu’ils se trouvaient effectivement en présence d’une urgence clinique grave que seule une intervention chirurgicale, qui devait commencer immédiatement, pouvait traiter. Il avance que la requérante ne les a pas informés oralement de sa position, qu’elle n’a pas produit de document indiquant son refus des transfusions sanguines et qu’elle n’a pas parlé aux médecins de l’existence d’un tel document.

110. Le Gouvernement conteste les allégations de paternalisme formulées par la requérante. Il indique que dans le système espagnol, dans une situation ordinaire, une décision de refus de traitement prise librement et en toute conscience par un patient capable de discernement est toujours respectée, même lorsque la vie de celui-ci est en danger. Il affirme que le droit du patient de refuser toute intervention médicale à laquelle il ne consent pas est clairement établi dans la jurisprudence constitutionnelle espagnole. Toutefois, argue-t-il, la présente affaire impliquait une situation d’urgence d’un caractère extraordinaire, dans laquelle on ne pouvait tout simplement pas suivre la procédure habituelle visant à s’assurer de ce que souhaite le patient avec une certitude suffisante.

111. Le Gouvernement avance que le cadre interne requiert que le patient reçoive les informations nécessaires sur le traitement médical et, à titre de garantie supplémentaire, que le patient exprime ses souhaits par écrit, et il en conclut que ce cadre respecte pleinement le principe du consentement libre et éclairé tel qu’il est prévu à l’article 5 de la Convention d’Oviedo. Il déclare que le respect des souhaits précédemment exprimés par le patient est également assuré par le système des directives médicales anticipées, conformément, dit-il, à l’article 9 de la Convention d’Oviedo. Il ajoute qu’il convient toutefois de garder à l’esprit qu’il arrive que, confronté à la perspective de la mort, un patient revienne sur le refus d’un traitement vital qu’il avait précédemment exprimé, et que pareilles situations ont été observées dans la pratique médicale. Il argue que, lorsque la vie du patient est en jeu, il est donc nécessaire de vérifier l’authenticité et l’applicabilité d’un refus de traitement qui a été précédemment exprimé. Selon lui, lorsque, comme en l’espèce, l’urgence de la situation rend cette démarche impossible, c’est à raison que les autorités médicales administrent le traitement nécessaire.

112. Le Gouvernement indique que le droit interne autorise qu’il soit fait exception à la règle du consentement dans les situations d’urgence où le patient est exposé à un risque grave et immédiat pour sa santé et n’est pas en mesure de consentir à un traitement essentiel ou de le refuser (article 9 § 2 b) de la loi no 41/2002). Il déclare que, comme le prévoit l’article 8 de la Convention d’Oviedo, la priorité est donnée au droit à la vie du patient en pareilles circonstances. Selon lui, c’est précisément dans cette situation que la requérante s’est trouvée. Il argue que le droit de la requérante à la vie ainsi que l’obligation qui incombait à l’État de protéger celui-ci sont donc entrés en jeu. Il indique que cela a fait naître pour les autorités l’obligation d’établir, selon un critère de preuve très élevé, que le souhait de la requérante de refuser un traitement vital constituait une décision qu’elle avait véritablement prise en toute liberté et en toute conscience, et aussi en pleine connaissance des conséquences qu’elle entraînerait. Il affirme que l’on n’aurait pas pu se contenter de présumer que la requérante aurait persisté dans son refus des transfusions sanguines nonobstant le danger imminent pour sa vie qui était apparu entre le 6 juin et le 7 juin 2018. Il précise que comme il n’a pas été possible, dans les circonstances de l’espèce, d’établir avec toute la rigueur nécessaire l’authenticité du refus que l’intéressée avait précédemment exprimé, les médecins étaient donc tenus par l’obligation légale de lui administrer le traitement nécessaire, ainsi que les y avait autorisés la juge de permanence. Il assure que, de fait, laisser la requérante mourir sans savoir avec certitude quels étaient ses souhaits en matière de traitement aurait été une décision d’une gravité telle qu’elle aurait engagé non seulement la responsabilité professionnelle de la juge de permanence et des professionnels de santé concernés, mais aussi leur responsabilité pénale.

113. Selon le Gouvernement, cela ne peut être considéré comme une atteinte à l’autonomie personnelle de la requérante qui serait contraire à l’article 8 de la Convention. Le Gouvernement argue que la juge de permanence et les médecins ont agi conformément au droit interne, et que le but de l’intervention, comme expliqué ci-dessus, était de préserver la vie de la requérante dans des circonstances dans lesquelles il n’était pas possible de procéder à une vérification aussi poussée que nécessaire de ses souhaits. Il estime qu’au vu des circonstances de l’espèce, la préservation de la vie de la requérante ne saurait être considérée comme une ingérence injustifiée ou disproportionnée dans l’exercice par elle de son droit au respect de sa vie privée. Il déclare qu’eu égard à l’incertitude qui existait d’après lui concernant les souhaits de la requérante au moment critique, il existait un conflit entre la nécessité de respecter son autonomie et l’obligation de préserver sa vie. Selon lui, il relevait clairement de la marge d’appréciation des autorités médicales de choisir de résoudre ce conflit en donnant la priorité à cette dernière obligation, et, au regard de la Convention, on ne saurait leur reprocher d’avoir décidé de procéder ainsi.

114. Enfin, en réponse à une question posée lors de l’audience, le Gouvernement a expliqué qu’en Espagne les hôpitaux, y compris ceux situés dans des communautés autonomes différentes, n’étaient pas légalement tenus de se coordonner. Il a toutefois précisé qu’en pratique ils collaboraient pour assurer le bien-être des patients, ce dont témoignait selon lui en l’espèce le fait que l’hôpital de La Paz avait accepté de prendre en charge la requérante lorsque l’hôpital de Soria le lui avait demandé.

c) Les tiers intervenants

1. L’Association européenne des témoins de Jéhovah

115. Cette association intervenante (ci-après « l’AETJ ») avance à titre principal que la Grande Chambre devrait confirmer ce qui a été déclaré dans des affaires antérieures portant sur les droits religieux des témoins de Jéhovah, à savoir que les patients adultes capables de discernement ont le droit de choisir librement quels traitements médicaux ils acceptent ou ils n’acceptent pas, et que l’État est tenu de respecter ces décisions.

116. L’AETJ explique le fondement biblique du rejet du sang. Elle expose en outre la manière dont les témoins de Jéhovah ont décidé de s’organiser en vue d’assurer la conformité à leurs convictions des traitements médicaux dispensés aux fidèles de cette foi, ce qui, relate-t-elle, a conduit à la mise en place partout dans le monde de comités de liaison hospitaliers chargés d’aider les patients et de sensibiliser le corps médical à cette question. Elle déclare que les progrès de la médecine permettant de pratiquer des interventions chirurgicales complexes sans transfusions sanguines ainsi que les scandales du sang contaminé très médiatisés ont entraîné un recours à ces techniques de plus en plus fréquent, qui a selon elle conduit à ce que l’on appelle aujourd’hui la gestion du capital sanguin (Patient Blood Management), pratique qui serait approuvée par l’Organisation mondiale de la Santé.

117. L’association intervenante évoque ensuite la question des directives médicales anticipées et des procurations. Elle fait référence à l’apparition en Europe et en Amérique du Nord dans les années 1970 et 1980 d’affaires qui auraient remis en cause le paternalisme médical (qu’elle décrit comme une pratique consistant à ne donner aux patients que peu, voire pas du tout, d’informations au sujet du traitement administré ou à leur imposer un traitement contraire à leurs souhaits). Elle déclare que les décisions rendues dans ces affaires ont affirmé le droit du patient à l’autodétermination en matière médicale et que cette tendance se reflète dans une série d’instruments internationaux de protection des droits de l’homme en vigueur aux niveaux régional et mondial, ainsi que dans des textes adoptés par l’Association médicale mondiale. Elle affirme que, dans les années 1970 et 1980, des témoins de Jéhovah ont été victimes de graves atteintes à leur autonomie corporelle et à leur conscience religieuse lorsque des transfusions sanguines leur ont été administrées alors qu’ils se trouvaient sous anesthésie ou qu’ils avaient été hospitalisés alors qu’ils étaient inconscients. Elle précise que, pour éviter cette situation, les témoins de Jéhovah ont commencé à conserver sur eux des directives médicales anticipées dans lesquelles ils indiquaient clairement qu’ils refusaient les transfusions sanguines en toutes circonstances. Selon l’association intervenante, de nombreuses juridictions supérieures de différents pays, partout dans le monde, ont affirmé que ces directives revêtaient un caractère contraignant et la Cour a constaté et suivi cette tendance dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres.

118. L’AETJ indique que les décisions pertinentes rendues par la Cour et par des juridictions internes en Europe et ailleurs ont clarifié les points suivants :

– le refus d’un traitement médical vital n’équivaut pas à un suicide, mais il représente une liberté de choix qui est protégée par l’autodétermination, l’autonomie, la dignité humaine et la conscience religieuse ;

– les médecins n’engagent ni leur responsabilité civile ni leur responsabilité pénale lorsqu’ils s’abstiennent de traiter un patient pour se conformer aux souhaits exprimés par celui-ci, sous quelque forme que ce soit ;

– le refus par un patient des transfusions sanguines ne s’analyse pas en un refus de tous les traitements, et, inversement, l’acceptation par le patient d’un traitement donné ne signifie pas que celui-ci consent à recevoir une transfusion sanguine si elle devait se révéler nécessaire au cours dudit traitement.

119. En conclusion, l’AETJ invite la Cour à juger que les médecins et les tribunaux ne peuvent passer outre à la décision claire et précise formulée concernant son traitement par un patient capable de discernement, que cette décision ait été exprimée oralement ou dans des directives anticipées.

2. Le gouvernement français

120. Le gouvernement tiers intervenant soutient que si la Convention et la Convention d’Oviedo consacrent toutes deux l’autonomie personnelle du patient, elles reconnaissent l’une comme l’autre aux États contractants une large marge d’appréciation concernant les dispositions légales relatives au consentement aux soins qu’ils adoptent pour assurer un juste équilibre entre la protection du droit à la vie d’un patient, le droit au respect de sa vie privée et de son autonomie personnelle, ainsi que, le cas échéant, sa liberté de religion. Il affirme que le droit du patient au consentement constitue le moyen par lequel l’autonomie personnelle est protégée dans le domaine de la santé. Il déclare que les lois nationales requérant le consentement préalable et exprès du patient à un traitement et permettant au patient d’indiquer à l’avance ses choix en matière de traitement médical dans l’hypothèse où il n’aurait plus la capacité de le faire le moment venu confèrent une portée effective à la notion d’autonomie personnelle. Selon lui, ainsi que cela est reconnu dans la jurisprudence de la Cour, l’imposition d’un traitement médical à un patient adulte et sain d’esprit s’analyse en une atteinte au droit à l’intégrité physique de l’intéressé. Il argue toutefois que pareille atteinte peut être acceptable si elle est conforme aux conditions définies au second paragraphe de l’article 8, comme le montrent, dit-il, différentes affaires tranchées par les organes de la Convention, et très récemment l’affaire Vavřička et autres c. République tchèque ([GC], nos 47621/13 et 5 autres, 8 avril 2021).

121. Le gouvernement français évoque les relations entre les articles 2, 8 et 9 de la Convention, telles qu’elles sont selon lui reconnues dans la jurisprudence de la Cour. Il déclare que l’article 2 impose aux États l’obligation positive de prendre des mesures pour protéger la vie des patients. Dans le contexte de l’accès au suicide assisté, dit-il, la Cour a jugé que les États devaient s’assurer que toute personne choisissant de mettre fin à sa vie prenait cette décision librement et en toute connaissance de cause. En d’autres termes, argue-t-il, le droit à la vie implique l’instauration de garanties destinées à assurer qu’une personne cherchant à mettre fin à ses jours ait mûrement réfléchi sa décision et l’ait prise en l’absence de toute pression et en ayant conscience de ses implications et de ses conséquences. Il déclare que les mêmes points essentiels, à savoir le caractère libre et éclairé de la décision, figurent à l’article 5 de la Convention d’Oviedo, qui régit le consentement. Il soutient que l’existence d’une obligation légale de communiquer à une personne des informations complètes concernant sa santé et les traitements disponibles, mais aussi les conséquences d’un refus de ces traitements, place cette personne dans la situation de prendre une décision libre et éclairée, comme le requiert l’article 2 de la Convention.

122. Le gouvernement tiers intervenant affirme que le même raisonnement peut être transposé aux situations dans lesquelles la liberté de religion est en jeu. Il déclare que, si la Cour a déjà jugé que la décision d’un témoin de Jéhovah de refuser du sang bénéficiait de la protection des articles 8 et 9 de la Convention, c’était dans des affaires qui avaient trait à la dissolution de communautés religieuses. Il estime que la présente affaire s’inscrit dans un contexte très différent. Selon lui, la Cour a reconnu que les États membres devaient bénéficier d’une marge d’appréciation relativement à la question des directives anticipées touchant au droit à la vie des personnes ; il pense que cette marge d’appréciation devrait être plus large sur les points au sujet desquels il n’existe pas de consensus entre les États européens et qui soulèvent des questions morales délicates. Il ajoute qu’il convient d’accorder une large marge d’appréciation à l’État également lorsque les autorités doivent ménager un équilibre entre des intérêts privés et des intérêts publics concurrents, ou entre différents droits protégés par la Convention qui se trouvent en conflit. Il déclare que la Cour a ainsi reconnu une certaine marge d’appréciation aux États concernant la décision de légiférer ou non sur le suicide assisté, sur l’arrêt des traitements qui maintiennent artificiellement la vie ou sur l’euthanasie. Il argue que, dans des affaires mettant en jeu des questions scientifiques, juridiques et éthiques, en particulier lorsqu’il n’existe pas de consensus, il est important que la Cour accorde aux États la latitude nécessaire pour leur permettre de définir l’équilibre sociétal qu’ils souhaitent entre le respect de la volonté et de la liberté des personnes et la protection de la vie.

123. Selon le gouvernement français, il s’ensuit que les États devraient pouvoir déterminer les conditions dans lesquelles un médecin est habilité à se passer du consentement d’un patient. Déclarant qu’en ce qui concerne les situations d’urgence, cette question est déjà tranchée par l’article 8 de la Convention d’Oviedo, il soutient qu’en dehors de telles situations les États devraient également pouvoir encadrer les conditions dans lesquelles il serait possible d’écarter les instructions anticipées d’un patient. Il affirme que le libellé de l’article 9 de la Convention d’Oviedo reflète cette thèse. En d’autres termes, explique-t-il, tout comme il appartient aux États d’adopter des dispositions légales aux fins de la reconnaissance des directives anticipées formulées par une personne relativement à la fin de sa vie, les États devraient être libres de déterminer la forme et le statut de ces directives. Il ajoute que l’organisation du processus décisionnel, y compris la désignation de la personne qui prend la décision finale et les modalités de la prise de décision, devrait également relever de la marge d’appréciation de l’État ; il s’appuie à cet égard sur l’arrêt rendu dans l’affaire Lambert et autres c. France ([GC], no 46043/14, CEDH 2015).

124. Le gouvernement français déclare que l’absence de consensus entre les États européens concernant la responsabilité civile et/ou pénale des médecins qui soignent un patient alors qu’ils n’ont pas pu recueillir son consentement vient conforter l’idée qu’il convient d’accorder aux États une large marge d’appréciation. Il affirme que, dans un nombre significatif de ces États, la décision de ne pas soigner un patient, en particulier lorsqu’elle est susceptible de mener à la mort de celui-ci, peut exposer le médecin à des poursuites pénales. Il considère qu’il est donc essentiel que les médecins fassent tout leur possible pour établir la volonté du patient et pour vérifier que la décision de refus d’un traitement est libre et éclairée. Il explique que, sa responsabilité pouvant être engagée, le professionnel de santé doit prendre toutes les précautions nécessaires pour s’assurer que le refus d’un traitement par le patient est suffisamment clair, dénué de toute ambiguïté et conforme au droit interne applicable, complété par les garanties découlant de la Convention.

3. Appréciation de la Cour

a) Observations liminaires

125. La Cour note pour commencer que la présente espèce diffère de certaines affaires dont elle a été saisie antérieurement et qui portaient également sur des questions de respect de l’autonomie personnelle et de refus de traitements médicaux. Ainsi que la requérante l’a souligné dans ses observations, elle souhaitait être guérie de son affection, et elle était prête à accepter tous les traitements appropriés, mais elle refusait les transfusions sanguines. La présente affaire doit donc être distinguée des affaires relatives au souhait d’une personne de mettre fin à ses jours, que ce soit par l’arrêt des traitements qui maintiennent artificiellement la vie (Lambert et autres, précité), par une euthanasie (Mortier c. Belgique, no 78017/17, 4 octobre 2022) ou par un suicide assisté (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, CEDH 2002-III, Haas c. Suisse, no 31322/07, CEDH 2011, et Koch c. Allemagne, no 497/09, 19 juillet 2012). Cela ne signifie toutefois pas qu’aucun des principes généraux établis dans ces arrêts ne soit pertinent dans le présent contexte. La Cour reviendra sur ce point plus bas.

126. La présente espèce doit également être distinguée des affaires relatives à des litiges qui portaient sur le traitement à administrer à un enfant (voir, par exemple, Glass c. Royaume-Uni, no 61827/00, CEDH 2004-II) ou sur l’arrêt des traitements maintenant artificiellement un enfant en vie (voir, par exemple, Parfitt c. Royaume-Uni (déc.), no 18533/21, 20 avril 2021), dans lesquelles la question de la protection des intérêts de l’enfant patient était la considération primordiale. Par ailleurs, le refus par la requérante des transfusions sanguines n’entraîne aucun risque direct pour la santé de tiers.

127. De plus, étant donné que les faits se sont inscrits dans le cadre du système de santé public général, cette affaire doit être distinguée des affaires relatives au traitement de personnes qui, étant privées de liberté, se trouvaient sous le contrôle et sous la responsabilité de l’État, que ce soit dans un contexte pénal (par exemple l’affaire Bogumil c. Portugal, no 35228/03, 7 octobre 2008) ou psychiatrique (par exemple l’affaire Aggerholm c. Danemark, no 45439/18, § 83, 15 septembre 2020).

128. Enfin, la Cour rappelle sa pratique établie de longue date, qui reflète la règle énoncée à l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne, selon laquelle elle doit, lorsqu’elle interprète la Convention, prendre en considération toute règle de droit international applicable aux relations entre les Parties contractantes (Décision sur la compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo [GC], § 42, 15 septembre 2021). Dans le contexte de l’espèce, elle prendra en considération les dispositions pertinentes de la Convention d’Oviedo, qui a été ratifiée par l’État défendeur.

b) Sur l’ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa vie privée

129. Comme cela a déjà été noté ci-dessus, la voie de recours choisie par la requérante a consisté à solliciter l’annulation de la décision rendue par la juge de permanence. L’intéressée considérait que cette décision était entachée d’erreurs de fait et de droit et qu’elle portait atteinte à ses droits tels qu’ils étaient garantis par la Constitution et par la Convention. En outre, elle reprochait à la procédure qui avait été suivie d’être viciée, notamment pour ne pas lui avoir offert la possibilité de défendre ses droits et ses intérêts. Elle arguait que c’était la décision de la juge de permanence qui était constitutive du préjudice juridique qu’elle avait subi. Étant donné que c’est sous cet angle que l’affaire a été traitée au niveau interne, il s’ensuit que ce qui y a été reconnu comme le « préjudice juridique » doit à présent être considéré comme l’ingérence dont la requérante se plaint. La Cour recherchera donc si cette ingérence peut ou non être considérée comme justifiée à la lumière des conditions énoncées au second paragraphe de l’article 8 de la Convention. Ce faisant, elle replacera la décision de la juge de permanence dans le contexte juridique et factuel pertinent. Étant donné l’importance des garanties procédurales découlant de l’article 8 (voir ci-dessous), la Cour examinera également le processus décisionnel dans son ensemble, c’est-à-dire la manière dont il a été enclenché et dont il a été conduit, ainsi que le contrôle dont il a fait l’objet a posteriori.

130. Néanmoins, avant de commencer son examen, la Cour juge approprié de clarifier le point suivant. Dans ses observations, la requérante tente de jeter le doute sur les jugements cliniques qui ont été portés sur son cas, c’est-à-dire sur l’appréciation qui a été faite par les médecins de l’hôpital de La Paz de la menace qui pesait sur sa vie le jour en question, de l’impératif d’effectuer une opération chirurgicale dès son arrivée et de l’absence de tout autre traitement susceptible de la sauver. Le Gouvernement met beaucoup de soin à contester la thèse de l’intéressée sur ces points. La Cour rappelle ici la position qu’elle a adoptée dans sa jurisprudence concernant la responsabilité des États contractants au regard de la Convention dans le domaine de la santé publique, en particulier dans les cas où il est allégué que des médecins ont commis une erreur de jugement lors du traitement d’un patient. Dans l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal ([GC], no 56080/13, § 190, 19 décembre 2017), la Cour a précisé l’étendue de la responsabilité de l’État sous l’angle de l’article 2, en indiquant que ce n’était que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que la responsabilité de l’État pouvait être engagée à raison des actions et omissions des prestataires de santé. Dès lors que les dispositions nécessaires pour assurer un haut niveau de compétence chez les professionnels de la santé et pour garantir la protection de la vie des patients ont été prises, on ne saurait considérer que des erreurs de jugement commises dans le cadre d’appréciations et de décisions cliniques suffisent en elles-mêmes à obliger un État à rendre des comptes en vertu des obligations positives qui lui incombent au regard de cette disposition (ibidem, §§ 186-187). La Cour a adopté la même position dans des affaires relatives à des actes réalisés par des prestataires de santé dont elle avait été saisie sur le terrain de l’article 8 (Reyes Jimenez c. Espagne, no 57020/18, § 28, 8 mars 2022, Mayboroda c. Ukraine, no 14709/07, §§ 51-54, 13 avril 2023, et Y.P. c. Russie, no 43399/13, § 49, 20 septembre 2022, du point de vue des obligations positives incombant à l’État). Les médecins de l’hôpital de La Paz ont estimé qu’à son arrivée à cet hôpital la requérante se trouverait dans une situation d’urgence vitale et que, pour survivre, elle aurait besoin d’une opération chirurgicale dont il était probable qu’elle nécessiterait des transfusions sanguines. La Cour entend rappeler qu’il ne lui appartient pas de revenir sur l’appréciation qu’ont faite des professionnels de santé de l’état d’un patient, ni sur leurs décisions quant au traitement qu’il convenait de lui administrer (voir en particulier Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 198). C’est particulièrement vrai lorsque ces appréciations et décisions cliniques n’ont pas été contestées directement au moyen de recours appropriés au niveau interne. Ainsi que l’indique le Gouvernement, il serait inapproprié que la Cour admette des arguments de cette nature, et elle ne le fera pas en l’espèce. Par conséquent, comme il découle du paragraphe 95 ci-dessus, la Cour se concentrera sur la question de savoir si le processus décisionnel tel qu’il s’est déroulé en l’espèce a accordé un respect suffisant à l’autonomie de la requérante.

c) Sur la justification de l’ingérence

1. Quant à la légalité de l’ingérence

131. La requérante avance que l’ingérence alléguée était la conséquence d’un non-respect des dispositions et principes pertinents du droit interne et que le processus décisionnel dans son cas a été entaché d’erreurs de droit qui n’ont en fin de compte pas été corrigées. Le Gouvernement rejette cette thèse, arguant que le droit interne a été dûment respecté dans tous ses aspects pertinents.

132. La Cour rappelle que son pouvoir de contrôler le respect du droit interne est limité, puisqu’il incombe au premier chef aux juridictions nationales d’interpréter et d’appliquer le droit interne. Sauf si l’interprétation retenue est arbitraire ou manifestement déraisonnable, la tâche de la Cour se limite à déterminer si ses effets sont compatibles avec la Convention (voir, parmi d’autres exemples, Sanchez c. France [GC], no 45581/15, § 128, 15 mai 2023, avec les références qui y sont citées). En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel le droit interne n’impose pas qu’une décision de refus de traitement soit exprimée par écrit, la Cour note qu’à toutes les étapes du processus décisionnel il a systématiquement été considéré qu’un refus de traitement formulé oralement n’était pas suffisant. Elle observe en outre que la requérante n’a produit à l’appui de son interprétation du droit interne aucun exemple tiré de la pratique judiciaire interne. De l’avis de la Cour, on ne saurait dire que la position adoptée par la juge de permanence et par l’Audiencia Provincial sur ce point était arbitraire ou manifestement déraisonnable. Le Tribunal constitutionnel, ayant rejeté le recours de la requérante en le déclarant irrecevable à l’issue d’une procédure sommaire, n’a pas examiné cette question (paragraphe 53 ci-dessus).

133. Quant à l’argument de la requérante consistant à dire qu’elle avait en tout état de cause exprimé son refus des transfusions sanguines par écrit (faisant référence à ses directives médicales anticipées, à sa procuration permanente et au formulaire de consentement éclairé signé à l’hôpital de Soria), la Cour considère que la manière dont ces documents ont été pris en compte ou ne l’ont pas été dans le cadre du processus décisionnel conduit à poser la question plus large de savoir comment le cadre interne a effectivement fonctionné dans le cas de la requérante, question qui sera examinée ci-dessous. À ce stade de son analyse, la Cour est disposée à admettre que l’ingérence en l’espèce était prévue par la loi.

2. Quant au but visé par l’ingérence

134. La requérante avance que l’ingérence commise ne visait aucun des buts énumérés au second paragraphe de l’article 8. Elle argue que son refus des transfusions sanguines était une question strictement personnelle, intimement liée à ses convictions religieuses, qui n’avait aucune incidence sur les droits et libertés de qui que ce fût à part elle, ni sur l’intérêt public général à la protection de la santé. L’argument principal du Gouvernement consiste à dire que, eu égard à l’urgence clinique en l’espèce, la décision de la juge de permanence d’autoriser le traitement de la requérante visait expressément le but de préserver la vie et l’intégrité physique de l’intéressée. Le Gouvernement soutient que l’affaire relève de l’exception au consentement éclairé prévue par une disposition du droit interne (l’article 9 § 2 b) de la loi no 41/2002), laquelle a selon lui pour finalité d’assurer la protection de la vie et de la santé des patients.

135. La Cour souscrit à la position du Gouvernement sur ce point. Elle observe qu’en substance, l’exception relative aux cas d’urgence qui est prévue par le droit interne correspond très étroitement à la Convention d’Oviedo, lue à la lumière du rapport explicatif (voir aussi, dans le même sens, le paragraphe 7.4 de la résolution 1859 (2012) de l’Assemblée parlementaire et la Déclaration de Lisbonne de l’Association médicale mondiale, toutes deux précitées). Tous ces textes expriment le souci de permettre l’administration de traitements médicaux vitaux dans les situations d’urgence aux fins de sauver la vie des patients lorsque la volonté de ceux-ci ne peut être établie à un degré suffisant.

136. De plus, il convient de garder à l’esprit à cet égard l’obligation incombant à l’État en vertu des articles 2 et 8 d’assurer la protection des patients hospitalisés, qui sera abordée plus en détail ci-dessous. On peut donc dire que l’ingérence en question poursuivait le but de « la protection de la santé ».

3. Quant à la nécessité de l’ingérence

α) Les principes jurisprudentiels pertinents

‒ Sur l’autonomie personnelle dans le domaine des soins de santé

137. La Cour reconnaît depuis longtemps que le droit au respect de la vie privée inclut l’autonomie personnelle. Comme elle l’a déclaré dans l’arrêt Pretty (précité, § 61), il s’agit d’un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8 (voir également Lambert et autres, précité, § 142). L’arrêt Pretty (précité, § 66) évoque l’autonomie personnelle au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps (voir aussi Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 126, 25 juin 2019).

138. Dans le domaine des soins de santé, le respect de l’autonomie personnelle est un principe général et fondamental. Il est protégé notamment par la règle universellement reconnue du consentement libre et éclairé. Un patient doté de la capacité juridique qui a été dûment informé de son état de santé et des traitements disponibles, ainsi que des implications du choix de n’accepter aucun traitement, a le droit de décider librement de donner ou de refuser son consentement à un traitement (voir l’article 5 de la Convention d’Oviedo et les paragraphes 34-35 de son rapport explicatif, l’article 3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 6 de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, tous précités). La Cour a statué sur un certain nombre d’affaires qui posaient la question du consentement à un traitement médical et qui étaient principalement centrées sur la nécessité de placer le patient en situation de prendre une décision éclairée à propos des soins de santé à lui administrer (voir, parmi les premières affaires à avoir traité ce point, Trocellier c. France (déc.), no 75725/01, CEDH 2006-XIV, et, plus récemment, Mayboroda, précité, § 52, avec les références qui y sont citées). La Cour a également recherché si la procédure de consentement instaurée dans la législation de l’État défendeur avait été correctement suivie. Elle a déclaré à cet égard que même si la Convention n’établissait aucune forme particulière de consentement, lorsque le droit interne fixait certaines exigences expresses, celles-ci devaient être respectées et que, si elles ne l’étaient pas, il fallait que le système interne apportât une réponse adéquate et effective au grief du patient (Reyes Jimenez, précité, §§ 36-38).

139. En ce qui concerne le refus de traitement, la Cour a déclaré dans l’arrêt Pretty (précité, § 63) que même si pareil refus pouvait conduire à une issue fatale, l’imposition d’un traitement médical à un patient adulte et sain d’esprit sans le consentement de celui-ci s’analyserait en une atteinte à son intégrité physique pouvant mettre en cause les droits protégés par l’article 8 § 1 de la Convention (voir aussi Lambert et autres, précité, § 180).

140. Le droit de refuser un traitement médical, en particulier de s’opposer aux transfusions sanguines pour des motifs religieux, a été évoqué dans les affaires Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres c. Russie (no 302/02, 10 juin 2010) et Taganrog LRO et autres c. Russie (nos 32401/10 et 19 autres, 7 juin 2022). Ainsi que le soulignent le gouvernement défendeur et le gouvernement tiers intervenant, ces affaires s’inscrivaient dans un contexte très différent de celui du cas d’espèce. Elles avaient trait à la dissolution et à l’interdiction d’organisations des témoins de Jéhovah en Russie. En conséquence, c’étaient d’autres droits garantis par la Convention qui y étaient en jeu, notamment le droit à la liberté d’association et le droit à la liberté de religion. Le droit du patient de refuser un traitement médical n’y a pas été abordé directement en tant que tel. Cependant, les arrêts rendus dans ces affaires peuvent être mentionnés ici pour autant qu’ils affirment, à l’égard des convictions des témoins de Jéhovah, les principes qui ont été énoncés dans l’arrêt Pretty. Dans l’arrêt Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres (précité, § 136), la Cour a déclaré que la liberté d’accepter ou de refuser un traitement médical spécifique était cruciale pour l’autodétermination et l’autonomie personnelle. Elle a ajouté qu’un patient adulte capable de discernement était libre de prendre des décisions relativement à des opérations chirurgicales ou à des traitements médicaux, y compris les transfusions sanguines. Elle a fait référence à des affaires dans lesquelles diverses juridictions, saisies de cas de refus des traitements à base de sang par les témoins de Jéhovah, avaient considéré que même si l’intérêt public à la protection de la vie et de la santé des patients était légitime et très vif, l’intérêt à l’autonomie des patients était plus vif encore, et que la liberté de choix et l’autodétermination constituaient en elles-mêmes des éléments fondamentaux de la vie. Elle a également observé qu’en l’absence de toute nécessité de protéger des tiers, l’État devait s’abstenir de commettre des ingérences dans la liberté de choix des personnes en matière de soins de santé (voir également Taganrog LRO et autres, précité, § 162).

‒ Sur l’obligation incombant à l’État de protéger la vie et la santé des patients

141. Ainsi que l’a souvent affirmé la Cour, la Convention doit être lue comme un tout (voir, parmi beaucoup d’autres références, Haas, § 54, et Lambert et autres, § 142, tous deux précités). Étant donné qu’en l’espèce il a été considéré que la vie de la requérante était exposée à un danger imminent, il y a lieu de prendre en compte les principes que la Cour a élaborés relativement à l’obligation incombant aux Parties contractantes de protéger les patients. Ainsi, dans l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes (précité, §§ 166 et 186), elle a déclaré que l’obligation positive matérielle incombant aux États contractants en vertu de l’article 2 astreignait ceux-ci à mettre en place un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils fussent publics ou privés, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie des patients. Elle a jugé qu’une obligation parallèle découlait de l’article 8 concernant l’intégrité physique des patients (Mayboroda, précité, § 51).

142. En outre, ainsi que cela a déjà été indiqué (paragraphe 125 ci‑dessus), les principes énoncés dans certaines affaires relatives à des situations de fin de vie ne sont pas dépourvus de pertinence en l’espèce, même si le sujet de la présente espèce est très différent. Dans ces affaires, la Cour a souligné qu’il fallait que le processus décisionnel pertinent comporte de solides garanties légales et institutionnelles propres à assurer qu’une décision aussi lourde de conséquences soit explicite, dénuée d’ambiguïté, libre et éclairée. Elle a dit que la personne devait avoir véritablement conscience des implications de sa demande et qu’elle devait être protégée contre les pressions et les abus (voir en particulier l’arrêt Mortier, précité, §§ 139 et 146).

143. La Cour a également mentionné l’importance d’établir que le patient a toujours la capacité de prendre une telle décision lorsqu’il existe des circonstances susceptibles de susciter des doutes à cet égard. Dans l’affaire Arskaya c. Ukraine (no 45076/05, 5 décembre 2013), la requérante se plaignait, sur le terrain de l’article 2, d’un défaut de protection de la vie de son fils adulte, dont le refus persistant du traitement nécessaire pour une maladie respiratoire grave avait entraîné le décès. Au moment des faits, son fils présentait des signes de troubles mentaux, mais les médecins qui le soignaient avaient pris ses refus au pied de la lettre. La Cour a considéré qu’au regard de l’article 2, le personnel médical aurait dû se prononcer clairement sur la validité du refus par l’intéressé d’un traitement vital, afin d’éviter le risque que l’intéressé ne prît la décision en question sans véritablement en comprendre les implications. Elle a souligné qu’il fallait disposer, à cet égard, de garanties suffisantes, ainsi que d’un cadre réglementaire propre à assurer, si nécessaire, que la capacité décisionnelle d’un patient puisse être déterminée rapidement et objectivement au moyen d’une procédure équitable et appropriée (Arskaya, précité, § 88).

‒ Sur les garanties procédurales

144. Enfin, si l’article 8 n’énonce pas d’exigence procédurale explicite, il importe pour la jouissance effective des droits garantis par cette disposition que, lorsque sont prises des décisions qui empiètent sur la vie privée d’une personne, le processus décisionnel soit équitable et propre à assurer que les intérêts protégés par cette disposition sont dûment respectés. À cet égard, la Cour examine la question de savoir si, eu égard aux circonstances particulières de la cause et notamment à la nature de la décision à prendre, la personne concernée a joué dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle suffisamment important pour lui assurer la protection requise de ses intérêts (R.R. c. Pologne, no 27617/04, § 191, CEDH 2011). Cet examen permet à la Cour de rechercher de manière satisfaisante si les raisons avancées par les autorités nationales à l’appui de leurs décisions étaient « suffisantes » aux fins de l’article 8 § 2 (Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 147, CEDH 2014).

145. En outre, dans les arrêts Lopes de Sousa Fernandes et Mayboroda susmentionnés, la Cour a déclaré que l’obligation pour les États membres de mettre en place un cadre réglementaire protégeant les patients devait être comprise au sens large, c’est-à-dire comme englobant le devoir de faire en sorte que ce cadre fonctionnât bien, et que les États étaient donc également tenus de prendre les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre des règles qu’ils édictaient, notamment des mesures de contrôle et d’application (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 189, et Mayboroda, précité, § 53, tous deux précités).

β) Conciliation des droits et obligations découlant de la Convention qui sont en jeu

146. La Cour n’a jusqu’à présent pas eu l’occasion, dans sa pratique, d’examiner la manière dont il y a lieu de concilier les droits et obligations susmentionnés découlant de la Convention dans une situation d’urgence. Elle entend pour commencer affirmer la position qui se dégage clairement de sa jurisprudence existante en matière d’autonomie du patient, à savoir que dans le contexte des soins de santé ordinaires il découle de l’article 8 de la Convention qu’un patient adulte capable de discernement a le droit de refuser, librement et en toute conscience, un traitement médical, nonobstant les conséquences très graves, voire fatales, que pareille décision pourrait entraîner. Le respect du droit du patient de donner ou de refuser son consentement à un traitement est un principe cardinal dans le domaine de la santé. Néanmoins, si important que soit ce droit, le fait qu’il relève du champ d’application de l’article 8 implique qu’il ne doit pas s’interpréter comme un droit absolu. Le droit au respect de la vie privée, qui est le droit plus large qui englobe l’autonomie du patient, est un droit non absolu. L’exercice de n’importe quel aspect de ce droit peut donc être soumis à des restrictions, conformément au second paragraphe de l’article 8 (voir, par exemple, Pretty, précité, § 70).

147. Dans une situation impliquant un danger réel et imminent pour l’existence d’une personne, le droit à la vie entre en jeu lui aussi, parallèlement au droit de la personne de prendre des décisions autonomes concernant son traitement médical. Du point de vue de l’État, les obligations qui lui incombent de veiller au respect de chacun de ces deux droits, c’est-à-dire les obligations que font peser sur lui les articles 8 et 2 de la Convention, entrent en jeu de la même manière. La Cour rappelle que l’article 2, qui protège le droit à la vie, se place parmi les articles primordiaux de la Convention en ce qu’il consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe. Il impose à l’État l’obligation non seulement de s’abstenir de donner la mort « intentionnellement », mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Lopes de Sousa Fernandes, § 164, et Lambert et autres, § 117, tous deux précités).

148. Si la Cour a déclaré dans l’arrêt Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres que l’intérêt public à la protection de la vie ou de la santé d’un patient devait s’effacer devant l’intérêt du patient à diriger le cours de sa propre vie, elle a également reconnu que la question de l’authenticité d’un refus de traitement médical était une préoccupation légitime, étant donné que la santé et peut-être la vie même du patient étaient en jeu (ibidem, § 138). Cela concorde avec l’exigence, que la Cour tire de l’article 2, qu’aient été instaurées des garanties juridiques solides et suffisantes lorsque la vie même du patient est en jeu (paragraphes 142-143 ci-dessus). Il faut s’assurer que, dans une situation d’urgence, la personne qui a pris la décision de refuser un traitement vital l’a fait librement et de manière autonome, qu’elle possède la capacité juridique requise pour ce faire et qu’elle est consciente des implications de sa décision (voir l’article 5 de la Convention d’Oviedo et le paragraphe 34 du rapport explicatif qui porte sur cette disposition, tous deux cités au paragraphe 72 ci-dessus). Il faut également s’assurer que la décision, dont le personnel médical doit connaître l’existence, soit applicable dans les circonstances en question, c’est-à-dire qu’elle exprime un refus de traitement clair, précis et dépourvu d’ambiguïté, et qu’elle représente la position du patient sur ce point au moment considéré (voir l’article 9 de la Convention d’Oviedo et le paragraphe 62 du rapport explicatif qui porte sur cette disposition, tous deux cités au paragraphe 72 ci-dessus ; voir aussi l’arrêt Arskaya, précité, § 88).

149. Il s’ensuit que lorsque, dans une situation d’urgence, il existe des motifs raisonnables de mettre en doute la décision de la personne concernée sur l’un de ces points essentiels, l’administration de traitements urgents et vitaux ne peut être considérée comme un manquement à l’obligation de respecter l’autonomie personnelle de cette personne. La Cour observe que cette position est tout à fait conforme à l’article 8 de la Convention d’Oviedo, qui autorise en cas d’urgence une exception – devant être interprétée de manière étroite – à la règle générale du consentement. L’importance qu’il convient d’accorder au respect de l’autonomie du patient implique aussi que des mesures raisonnables doivent être déployées aux fins de lever le doute ou l’incertitude qui entoure le refus de traitement. Ainsi que la Cour l’a déjà dit, quoique dans un contexte différent, les souhaits du patient doivent être considérés comme jouant un rôle primordial (Lambert et autres, précité, § 147). Le texte de l’article 8 de la Convention d’Oviedo ne précise pas davantage ce qui est requis en pareilles circonstances. Au sujet de cette disposition, le rapport explicatif souligne la nécessité pour les professionnels de santé de « mettre en œuvre des mesures raisonnables pour déterminer quels pourraient être les souhaits du patient ». La nature de ces « mesures raisonnables » dépend nécessairement des circonstances du cas dont il est question et peut également être influencée par la teneur du cadre juridique interne.

150. Lorsque, malgré la mise en œuvre de mesures raisonnables, le médecin – ou, le cas échéant, la juridiction saisie – se trouve dans l’impossibilité d’établir dans toute la mesure nécessaire que le refus d’un traitement médical vital correspond bien à la volonté du patient, c’est l’obligation de protéger la vie du patient par l’administration de soins essentiels qui devrait prévaloir.

‒ Sur les souhaits précédemment exprimés par le patient

151. La Cour renvoie à l’article 9 de la Convention d’Oviedo, selon lequel les souhaits précédemment exprimés par un patient qui, au moment de l’intervention, n’est pas en état d’exprimer sa volonté « seront pris en compte ». Comme indiqué dans le passage correspondant du rapport explicatif relatif à ce traité, le but visé n’est pas que ces souhaits soient nécessairement suivis en toutes circonstances. Ce rapport reconnaît qu’il peut se révéler nécessaire de vérifier que les souhaits précédemment exprimés demeurent applicables et valables dans une situation donnée (voir le paragraphe 62 du rapport explicatif, cité ci-dessus ; voir également la Prise de position sur les directives anticipées de l’Association médicale mondiale, citée au paragraphe 80 ci-dessus).

152. La Convention d’Oviedo ne précise pas davantage les dispositifs que les États doivent ou peuvent mettre en place en ce qui concerne les souhaits précédemment exprimés. L’article 8 de la Convention ne le fait pas non plus. Si les principales institutions du Conseil de l’Europe ont formulé des positions favorables aux directives anticipées et aux procurations permanentes dans le domaine médical, la Cour note que, ces prises de position n’étant pas contraignantes, il y est envisagé pour les États une grande latitude concernant le statut de ces instruments et leurs modalités.

153. De l’avis de la Cour, les textes susmentionnés reflètent le caractère à la fois complexe et délicat de l’instauration et du fonctionnement d’un système de directives médicales anticipées (et d’instruments similaires). Ainsi que l’a conclu l’étude de droit comparé réalisée aux fins de la présente affaire, si un nombre considérable d’États membres du Conseil de l’Europe se sont dotés de dispositions et de dispositifs spécifiques concernant les directives médicales anticipées ou la prise en compte des souhaits précédemment exprimés, ils ne l’ont toutefois pas fait de manière uniforme. Dans les autres États étudiés, le droit interne ne renferme pas de dispositions spécifiquement consacrées aux souhaits précédemment exprimés par les patients en matière de traitement médical. Il apparaît donc qu’il existe en Europe une diversité de pratiques en ce qui concerne les modalités permettant de concilier autant que possible le droit à la vie et le droit du patient au respect de son autonomie en prenant en compte les souhaits précédemment exprimés. À la lumière des considérations qui précèdent, la Cour estime que tant le principe voulant que l’on confère un effet juridique contraignant aux directives anticipées que les modalités formelles et pratiques y afférentes relèvent de la marge d’appréciation des États contractants.

γ) Application en l’espèce des principes et considérations susmentionnés

‒ Sur les garanties prévues par le cadre juridique interne

154. Comme indiqué ci-dessus (paragraphe 129), dans son examen de l’ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit au respect de sa vie privée, laquelle a revêtu la forme de la décision de la juge de permanence, la Cour tiendra compte du contexte juridique et factuel dans lequel cette décision a été rendue. Ce contexte est principalement constitué par la loi no 41/2002, laquelle, comme son titre l’indique, porte essentiellement sur le respect de l’autonomie du patient. Les règles et modalités de l’exercice libre et éclairé par le patient de son droit de donner, de refuser ou de révoquer son consentement à un traitement médical y sont énoncées de manière détaillée. La Cour a déjà eu l’occasion d’étudier les dispositions de cette loi qui régissent le consentement, et elle a alors observé qu’elles étaient pleinement conformes aux dispositions correspondantes de la Convention d’Oviedo (Reyes Jimenez, précité, § 32).

155. En ce qui concerne la contestation par la requérante de la position de l’Audiencia Provincial selon laquelle le refus par un patient d’un traitement doit être exprimé par écrit pour être valide – position que le Gouvernement partage –, la Cour observe que l’exigence de la forme écrite pour le refus d’un traitement médical n’est pas en elle-même contraire à l’article 8 de la Convention, qui n’établit aucune forme particulière de consentement (ibidem, § 36). Il en va de même de la Convention d’Oviedo (voir l’article 5 de ce traité et le paragraphe 37 du rapport explicatif y afférent, tous deux précités).

156. Pour appuyer son argument consistant à dire qu’elle avait en tout état de cause exprimé son refus des transfusions sanguines par écrit, la requérante mentionne entre autres les directives médicales anticipées qu’elle a rédigées et fait enregistrer dans le registre de Castille-et-León en août 2017. La Cour analysera plus bas l’importance de ces directives dans le contexte de l’ingérence litigieuse, mais elle observe que l’État défendeur, exerçant son pouvoir d’appréciation à cet égard (paragraphe 153 ci-dessus), a choisi de conférer un effet contraignant aux directives médicales anticipées et a instauré des dispositifs pratiques spécifiques pour que les instructions données par les patients soient connues et respectées par le système de santé sur l’ensemble du territoire national. La Cour souligne que lorsqu’un tel système a été mis en place, choix qui relève de la marge d’appréciation de l’État, et que des patients s’en prévalent en l’utilisant correctement, il est important qu’il fonctionne effectivement de manière à atteindre son objectif.

157. Par ailleurs, la loi no 41/2002 énonce une autre clause qui, selon le Gouvernement, présente une pertinence centrale en l’espèce, à savoir les limites au consentement qui sont prévues en son article 9 § 2 b). La Cour note la correspondance entre cette disposition et l’article 8 de la Convention d’Oviedo, ces deux dispositions visant à autoriser directement les interventions essentielles dans les situations d’urgence où il existe une menace grave et immédiate pour la santé du patient et où le consentement de celui-ci ne peut être recueilli. L’article 9 § 2 b) de la loi no 41/2002 énonce une condition supplémentaire, imposant de consulter, lorsque les circonstances le permettent, les membres de la famille du patient ou des personnes ayant des liens de facto avec lui.

158. La requérante ne cherche pas à avancer que les faits de l’espèce révèlent une quelconque lacune dans le cadre formé par la loi no 41/2002 et les textes juridiques y afférents. Du reste, l’Espagne a opté pour un système de directives médicales anticipées et il apparaît que le cadre réglementaire existant dans ce pays à cette fin est bien développé et qu’il est défini par référence aux dispositions et principes pertinents de la Convention d’Oviedo relatives à l’autonomie du patient. Il convient également de considérer que le contexte juridique de la présente affaire est aussi constitué de la jurisprudence constitutionnelle pertinente, ainsi que l’a plaidé la requérante lors de la procédure interne et que les deux parties l’ont porté à l’attention de la Cour. La Cour relève des similitudes importantes entre sa propre jurisprudence et celle du Tribunal constitutionnel, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du droit d’un patient doté de sa capacité juridique de refuser une forme de traitement médical, même lorsqu’une telle décision est susceptible d’avoir des conséquences fatales. De plus, la jurisprudence constitutionnelle affirme que l’administration d’un traitement médical contre la volonté d’un patient doit être accompagnée d’une justification, en faisant référence aux principes de nécessité, de proportionnalité et de respect de l’essence de l’autonomie du patient (paragraphe 62 ci-dessus).

‒ Sur la demande adressée à la juge de permanence

159. Les médecins ont envoyé leur demande par télécopie peu de temps après que l’ambulance eut quitté l’hôpital de Soria et après un échange téléphonique avec des personnes qui se trouvaient à bord. La Cour a été informée que l’hôpital de La Paz avait pour pratique habituelle de saisir la justice lorsqu’un patient mettait sa vie en danger en refusant les transfusions sanguines, et de communiquer au juge de permanence toutes les informations pertinentes à propos du patient. Or, dans le cas de la requérante, les informations communiquées étaient très limitées, et des données élémentaires, comme le nom et l’âge de l’intéressée, étaient omises. À l’audience, le Gouvernement a concédé que la teneur de la télécopie était inexacte pour autant qu’elle informait la juge de permanence que la requérante rejetait « tous types de traitement ». La Cour relève que le message télécopié en question précisait en outre que le refus de la requérante était oral. Cela donnait à penser que le refus de la requérante n’avait été exprimé qu’oralement, et c’est ce que la juge de permanence a compris. Ce qui n’a pas été indiqué à la juge de permanence, c’est que, la veille au soir, à l’hôpital de Soria, un médecin (le docteur B.L.) avait exécuté la procédure de recueil du consentement en vigueur avec la requérante, laquelle avait exprimé son refus des transfusions sanguines par écrit sur le formulaire de consentement éclairé. Malgré la controverse survenue par la suite concernant les signatures sur ce document, le fait qu’il a été signé par la requérante le 6 juin 2018 est attesté dans son dossier médical et a plus tard été confirmé par l’autorité sanitaire régionale (paragraphe 54 ci-dessus).

160. Le Gouvernement n’explique pas clairement pourquoi cette information n’a pas été incluse dans la demande adressée à la juge de permanence ou pourquoi cette demande n’y faisait pas référence. Il déclare que lorsqu’ils ont saisi la justice, les médecins de l’hôpital de La Paz ont communiqué les informations dont ils disposaient au sujet de la requérante à ce moment-là (paragraphe 107 ci-dessus), ce qui implique qu’ils n’avaient alors pas encore été spécifiquement avertis de ce que la requérante avait en réalité exprimé son refus clair et net des transfusions sanguines par écrit pendant qu’elle était prise en charge par l’hôpital de Soria. La Cour observe que s’il est compréhensible que la demande adressée à la juge de permanence ait été faite en prévision de l’arrivée de la requérante à l’hôpital de La Paz, l’absence de cette information dans la télécopie a eu une incidence déterminante sur le processus décisionnel relatif aux soins à administrer à la requérante. Dans un système dans lequel, comme l’Audiencia Provincial l’a plus tard confirmé, le refus d’un traitement médical doit être exprimé par écrit, force est de considérer cette lacune comme importante, et il n’y a pas été remédié par la suite.

‒ Sur l’examen de la demande par la juge de permanence

161. Les informations dont disposait la juge de permanence, qui étaient à la fois très limitées et incomplètes, portaient sur la foi de la requérante, les signes cliniques très inquiétants, les craintes des médecins quant à l’état de l’intéressée à son arrivée et le refus de tous types de traitement qu’elle aurait exprimé oralement. La juge, qui ne disposait que de ces éléments d’information et n’avait que très peu de temps, a pris contact avec deux fonctionnaires, à savoir le médecin légiste et la procureure locale. Elle a obtenu du médecin légiste un court rapport analysant les informations qui figuraient dans la télécopie envoyée par l’hôpital de La Paz. Le médecin légiste y confirmait que l’état de la requérante mettait la vie de celle-ci en danger. Il notait par ailleurs que l’on ne savait pas si la requérante était à ce moment-là en état de donner ou de refuser son consentement, et que l’on ignorait également la nature du traitement qui lui serait administré à l’hôpital de La Paz. La procureure locale a de son côté estimé qu’au vu des informations communiquées, il n’existait pas de preuve fiable d’un refus de traitement médical de la part de la requérante. Elle s’est donc prononcée en faveur de l’autorisation du traitement nécessaire.

162. La Cour observe que, dans leur appréciation de la situation, les fonctionnaires susmentionnés sont partis de l’hypothèse que le refus de la requérante était purement oral. En ce qui concerne la question de la capacité décisionnelle de l’intéressée au moment considéré, il a été admis que celle-ci n’était pas connue. Comme indiqué ci-dessus, l’existence d’un doute quant aux souhaits du patient appelle l’instance décisionnelle compétente à prendre des mesures raisonnables pour lever ce doute (paragraphe 149 ci-dessus). La Cour tient à souligner qu’elle est sensible au caractère très urgent de la situation à laquelle la juge de permanence s’est trouvée confrontée. Les médecins avaient souligné la gravité de la situation et demandé qu’une réponse leur fût donnée aussi vite que possible, réponse que la juge de permanence leur a transmise dans l’heure suivante, après avoir consulté le médecin légiste et la procureure. La Cour note toutefois qu’aucune mesure n’a été prise en réponse au doute exprimé par le médecin légiste, et que ce doute n’a pas non plus été évoqué dans le libellé de la décision litigieuse (voir la section suivante).

‒ Sur le libellé de la décision

163. Dans sa décision, la juge de permanence faisait référence en premier lieu à des principes constitutionnels. Mentionnant spécifiquement l’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel le 27 juin 1990, cette décision mettait en exergue le droit à la vie des personnes et l’obligation incombant aux autorités publiques de faire respecter ce droit. Elle considérait que ce droit fondamental imposait des limites au droit à la liberté de religion. Dans la deuxième partie de la motivation, elle invoquait le droit à la vie en tant que valeur juridique suprême. La requérante critique cette motivation, qui repose selon elle sur un précédent dépassé.

164. La Cour note tout d’abord que toute appréciation de la décision doit tenir compte des limites inhérentes à la forme de la procédure ainsi qu’à l’urgence dans laquelle celle-ci a dû être menée. En pareilles circonstances, il n’était pas matériellement possible de livrer une motivation juridique développée. En ce qui concerne la critique formulée par la requérante qui est exposée ci-dessus, la Cour rappelle que sa compétence en matière de contrôle de la conformité au droit interne est limitée (paragraphe 132 ci-dessus). Cela étant, elle observe qu’il apparaît que la référence faite par la juge de permanence à l’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel en 1990 est incomplète, la juge s’étant appuyée sur ce que l’arrêt déclarait relativement au droit à la vie, mais pas sur ce qu’il énonçait concernant le droit à l’intégrité physique et morale et, par voie de conséquence, concernant l’importance du consentement aux interventions médicales ainsi que la manière dont ces deux droits devaient être conciliés (paragraphes 61-62 ci-dessus).

165. Sous l’angle de la Convention et des principes applicables exposés ci-dessus, la Cour observe que la motivation figurant dans la décision mentionnait clairement l’importance de protéger le droit à la vie. Quant à l’importance de respecter le droit du patient de prendre de manière autonome des décisions en matière de traitement médical, il apparaît que c’est dans une moindre mesure qu’elle a été examinée. La question du consentement était mentionnée dans la décision, pour autant que la juge considérait qu’elle ne disposait pas de preuves fiables montrant que la requérante eût refusé un traitement. Cependant, la décision n’abordait pas du tout la question de savoir si la requérante disposait encore des capacités suffisantes pour prendre, sous la forme requise et dans le temps qu’il restait pour ce faire, une décision concernant le traitement qu’elle entendait accepter ou refuser. Mentionnant les conséquences fatales qu’aurait une absence de traitement, la juge autorisait sans réserve l’administration à la requérante de tout traitement qui serait nécessaire pour la sauver. Dès lors qu’elle a été rendue, cette décision a donc eu pour effet de transférer le pouvoir de décision de la requérante aux médecins.

166. Le Gouvernement affirme que la juge a agi conformément à la disposition régissant les situations d’urgence dans lesquelles il est tout simplement impossible de recueillir le consentement du patient (l’article 9 § 2 b) de la loi no 41/2002). La Cour note toutefois que la décision ne comportait aucune référence à cette disposition, ni à aucune autre partie de la loi en question, et qu’elle n’abordait pas non plus la question de savoir s’il était possible de consulter les proches de la requérante ou des personnes ayant des liens de facto avec elle.

‒ Sur l’exécution de la décision

167. La décision de la juge de permanence a été communiquée à l’hôpital de La Paz à 13 h 36, soit environ une heure avant l’arrivée de l’ambulance (il n’a pas été possible d’établir l’heure exacte à laquelle la requérante est arrivée à l’hôpital de La Paz). La requérante a été conduite au bloc opératoire à 15 heures et préparée pour l’intervention chirurgicale. Les informations dont dispose la Cour donnent à penser qu’il n’y a pas véritablement eu de communication entre le personnel médical et la requérante au sujet de l’intervention qui allait avoir lieu. La procédure habituelle de recueil du consentement n’a pas été suivie, et la décision rendue par la juge de permanence n’a absolument pas été mentionnée. La requérante, quant à elle, n’a ni réitéré son refus ni fait référence à un document écrit exprimant celui-ci. L’hôpital de La Paz a noté que la requérante était consciente à ce moment-là et qu’elle l’était même pleinement d’après l’échelle de coma de Glasgow (paragraphe 31 ci-dessus). Au cours de l’audience du 10 janvier 2024, un médecin-chef de l’hôpital de La Paz, qui ne s’était pas occupé de la requérante, a expliqué qu’au vu de la grave détérioration de l’état de celle-ci il ne pouvait être présumé qu’elle était suffisamment lucide pour refuser des transfusions sanguines, et que les tests nécessaires ne pouvaient être réalisés à ce stade. L’Audiencia Provincial a quant à elle considéré que la requérante était en état d’exprimer librement sa volonté au moment de l’intervention chirurgicale (paragraphe 45 ci-dessus). Le Gouvernement déclare qu’il n’était pas matériellement possible aux médecins de s’enquérir à ce moment-là de l’existence de directives médicales anticipées et d’en vérifier la teneur.

168. La Cour ne se trouve à l’évidence pas en mesure de se livrer à sa propre appréciation de la capacité de donner ou refuser son consentement à un traitement médical qui était celle de la requérante au moment où elle est arrivée à l’hôpital de La Paz. Dans le cadre de la présente procédure, elle se concentre sur le processus décisionnel qui a été suivi relativement aux soins médicaux à administrer à la requérante ; à ce sujet, elle a noté avec préoccupation que la capacité de la requérante était un facteur qui n’avait pas été pris en considération. En outre, force est pour la Cour de constater qu’il a été donné suite à l’autorisation de procéder au traitement sans autres formalités.

‒ Sur le contrôle de la décision

169. La requérante a introduit un recours en annulation de la décision, et elle a également formé, à titre subsidiaire, un recours en appel contre cette décision. Elle a par la suite saisi le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo, que celui-ci a rejeté à l’issue d’une procédure sommaire pour défaut manifeste de toute violation d’un droit fondamental.

170. La Cour se concentrera sur le recours en appel, étant donné qu’il a fait l’objet de la plus pertinente des deux décisions rendues. L’Audiencia Provincial a examiné la légalité de la décision du 7 juin 2018 principalement à la lumière de la loi no 41/2002, et elle a estimé que la requérante avait encore au moment considéré la capacité d’exprimer sa volonté. Le Gouvernement avance que cette position ne doit pas être considérée comme un constat factuel concernant le degré de lucidité de l’intéressée à ce moment-là. La Cour note que l’Audiencia Provincial n’a pas fondé sa position sur une appréciation d’éléments relatifs à l’état de la requérante, et que la question de savoir si les capacités cognitives de l’intéressée étaient altérées n’a donc été examinée à aucun stade de la procédure judiciaire. Elle relève en outre qu’en adoptant cette position, la juridiction d’appel a fait sortir l’affaire du champ d’application de l’article 9 § 2 b) de la loi no 41/2002, celui-ci présupposant qu’il est impossible de recueillir le consentement du patient à un traitement, et qu’elle l’a aussi fait sortir du champ d’application de l’article 11 relatif aux directives médicales anticipées, qui présuppose que la personne n’est pas en mesure d’exprimer elle-même ses souhaits. L’Audiencia Provincial a traité les directives médicales anticipées de la requérante comme si elles étaient inapplicables dans les circonstances de l’espèce (paragraphe 46 ci-dessus).

171. Considérant que le consentement devait être donné sous la forme écrite, l’Audiencia Provincial s’est contentée d’indiquer que l’absence de la signature de la requérante sur la copie du formulaire de consentement éclairé qui lui avait été soumise l’empêchait de dire si la requérante avait refusé le traitement ou si elle y avait consenti. Sur ce fondement, elle a estimé que la décision était légale et elle a rejeté le recours en appel.

‒ Appréciation globale du processus décisionnel

172. À la lumière des considérations qui précèdent, la Cour va à présent apprécier de manière globale le processus décisionnel dans son ensemble, en tenant compte du contexte juridique interne (paragraphe 129 ci-dessus). Ainsi que cela a déjà été observé, le cadre interne destiné à faire respecter l’autonomie du patient au sein du système de santé espagnol semble être bien développé, et la requérante n’en critique pas les caractéristiques en tant que telles. De fait, l’on peut dire que le législateur a ménagé un équilibre judicieux entre les droits fondamentaux des patients, les obligations correspondantes incombant à l’État et des intérêts publics importants. La requérante s’est appuyée sur ce cadre et a engagé les démarches pertinentes pour signifier clairement son refus des transfusions sanguines, qui revêtait pour elle une importance cruciale sur le plan religieux. Après que son affection eut été diagnostiquée en 2017, elle a pris la précaution de faire enregistrer des directives médicales anticipées afin de s’assurer que les personnes chargées de la soigner auraient connaissance de ses instructions relatives aux transfusions et les respecteraient si jamais elle venait à se trouver dans une situation dans laquelle elle ne serait pas en mesure d’exprimer sa volonté. Ses directives anticipées étaient accessibles via le système électronique utilisé dans les services de santé de Castille-et-León et via le registre national. Après que la requérante a été admise à l’hôpital de Soria et avant qu’elle soit transférée à l’hôpital de La Paz, son refus des transfusions a été exprimé sous la forme écrite requise, ce qui a été consigné dans son dossier médical. Comme l’indique le Gouvernement dans ses observations, pendant la période où l’intéressée était prise en charge par l’hôpital de Soria, ses souhaits étaient clairement connus et ont été pleinement respectés. Le Gouvernement ajoute que, dans des circonstances ordinaires, un refus de traitement valablement exprimé par un patient capable de discernement est toujours respecté dans le système espagnol.

173. Le Gouvernement mentionne également le fait que l’hôpital de La Paz se trouve dans une communauté autonome différente, celle de Madrid. La Cour ne doute pas que ces deux hôpitaux se sont efforcés de coopérer dans le cadre de la prise en charge de la requérante. Elle n’a pas été informée du contenu exact du dossier médical de la requérante qui avait été transmis par l’hôpital de Soria à l’hôpital de La Paz (paragraphe 22 ci-dessus). Le Gouvernement n’a pas non plus expliqué pourquoi il semble que les médecins de l’hôpital vers lequel l’intéressée a été transférée n’aient pas été pleinement informés du refus des transfusions sanguines que celle-ci avait exprimé par écrit. Au moment où l’ambulance est arrivée avec le dossier médical de la requérante, la juge de permanence avait déjà donné l’autorisation sans réserve de procéder au traitement que les médecins jugeraient nécessaire pour préserver la vie et l’intégrité physique de l’intéressée (paragraphes 28 et 165 ci-dessus).

174. Il apparaît que les directives médicales anticipées de la requérante, qui étaient accessibles à la fois via le registre de Castille‑et‑León et via le registre national, n’ont pas été mentionnées du tout au cours des échanges entre les deux hôpitaux. Pourtant, étant donné les explications qui ont été livrées au cours de la présente procédure sur les effets que l’état dans lequel se trouvait la requérante, à savoir une anémie grave, peut produire sur la lucidité de la personne, et compte tenu du caractère contraignant que revêtent les directives anticipées dans le système espagnol, il apparaît à la Cour qu’il aurait été extrêmement pertinent de porter cette information à l’attention de l’équipe médicale de l’hôpital de La Paz au moment où le transfert de la requérante a été organisé.

175. L’élément clé de la présente affaire réside dans le rôle décisif joué par la juge de permanence, dont il a été dit que la saisine constituait la pratique habituelle de l’hôpital de La Paz lors de la prise en charge de patients refusant les transfusions sanguines (paragraphe 107 ci-dessus). La Cour a reconnu l’importance du rôle que les tribunaux peuvent jouer, que ce soit en tranchant les litiges ou en rendant des avis juridiques sur des questions relatives aux traitements médicaux. C’est ce qui ressort, par exemple, de l’arrêt Glass (précité), dans lequel c’est précisément l’absence de participation des tribunaux à la résolution du litige qui opposait les médecins et la famille du patient qui a conduit la Cour à conclure à une violation de l’article 8 (voir également, dans un contexte différent, l’importance attachée aux recours judiciaires dans l’arrêt Lambert et autres, précité). Néanmoins, les bénéfices liés à la résolution par une décision de justice de problèmes délicats qui se posent dans des circonstances difficiles dépendent nécessairement des informations qui sont communiquées à l’instance décisionnelle ou que celle‑ci est en mesure de se procurer. Il a été expliqué à l’audience du 10 janvier 2024 qu’en pratique, les demandes adressées par l’hôpital de La Paz au juge de permanence comportaient toutes les informations pertinentes au sujet du patient pour permettre au juge de procéder à un examen suffisant de la demande, et que dans certains cas le juge décidait qu’il fallait respecter le refus de traitement exprimé par le patient. Il a également été expliqué que le cas d’espèce était inhabituel précisément parce que les médecins de l’hôpital de La Paz n’étaient en possession que d’informations très limitées au moment où ils avaient transmis leur demande. Cependant, indépendamment de l’étendue des informations dont ces médecins disposaient, il n’en reste pas moins que la juge de permanence a dû statuer en s’appuyant sur une base factuelle qui était incomplète.

176. Comme cela a été rappelé ci-dessus, il faut que le processus conduisant à l’adoption d’une décision qui empiète sur le droit d’une personne au respect de sa vie privée soit assorti de garanties procédurales. La jurisprudence mentionne entre autres l’importance de respecter comme il se doit les intérêts pertinents en jeu, ainsi que l’importance d’associer dans une certaine mesure au processus en cause la personne concernée de manière à assurer la protection requise de ses intérêts. Le respect de ces critères s’apprécie à la lumière des circonstances de l’affaire et de la nature de la décision rendue. La spécificité du cas d’espèce est que le droit qu’invoque à présent la requérante est entré en jeu parallèlement à son droit à la vie, ce qui imposait de les prendre tous deux en considération. La Cour peut admettre qu’au vu des circonstances et du degré d’urgence, la possibilité matérielle d’associer l’intéressée à ce qui constituait l’étape cruciale du processus, à savoir la procédure devant la juge de permanence, était considérablement restreinte. La situation limitait aussi grandement les possibilités dont disposait la juge de permanence pour recueillir davantage de renseignements factuels sur la situation dont elle était saisie. Il était donc d’autant plus important de communiquer à l’instance décisionnelle une base factuelle adéquate en vue de l’adoption d’une décision qui, quelle qu’elle fût, aurait des conséquences extrêmement cruciales pour la requérante.

177. En ce qui concerne la menace imminente qui pesait sur la vie de la requérante, il est clair que la juge a été suffisamment informée de ce point vital. À l’inverse, pour ce qui est de l’autonomie de la requérante, les informations transmises au sujet du refus de traitement exprimé par l’intéressée étaient incorrectes (paragraphe 159 ci-dessus) et incomplètes : il n’y était fait référence ni au formulaire de consentement éclairé ni aux directives médicales anticipées. La Cour a pris note de l’argument du Gouvernement consistant à dire que la décision exprimée par la requérante la veille des faits en cause ne pouvait pas être automatiquement considérée comme sa position définitive sur la question étant donné qu’elle avait été prise à un moment où l’on considérait qu’un autre traitement était possible à l’hôpital de La Paz, où l’intéressée allait être transférée. Le Gouvernement a déclaré à l’audience qu’il ressortait de la pratique de l’hôpital de La Paz que certains de ses patients changeaient d’avis au sujet d’un refus de traitement lorsqu’ils réalisaient que leur vie était en jeu. La requérante a quant à elle déclaré qu’elle serait demeurée fidèle à l’enseignement de sa religion, quelles qu’en fussent les conséquences. La Cour tient à souligner que ce qui est en jeu en l’espèce, c’est le droit d’un patient capable de discernement de décider de manière autonome des soins de santé qui lui sont dispensés. Ce droit inclut à l’évidence la liberté de revenir sur sa décision tout autant que celle de la confirmer. La question de savoir si la requérante était en capacité de le faire était cruciale, étant donné que celle-ci avait fait enregistrer des directives médicales anticipées afin de s’assurer que son refus des transfusions sanguines demeurerait valide au regard du droit espagnol si elle venait à se trouver dans l’incapacité de prendre pareille décision au moment voulu. Or cette question n’a pas été portée à l’attention de la juge immédiatement. Si le médecin légiste y a fait allusion au cours de l’examen de la demande, elle n’a toutefois pas été expressément abordée dans la décision qui a été rendue. Elle a plutôt reçu une réponse négative implicite lorsque l’autorisation a été donnée d’administrer directement le traitement nécessaire sans qu’il soit besoin de recueillir le consentement de la patiente. La Cour observe en outre qu’aucune mention n’a été faite de la garantie prévue par le droit interne dans les cas où le consentement du patient ne peut être recueilli, à savoir la consultation, lorsque les circonstances le permettent, de proches du patient ou de personnes ayant des liens de facto avec celui-ci (article 9 § 2 b) de la loi no 41/2002). De plus, aucune mesure de cet ordre n’a été prise à la suite de la notification de la décision à l’hôpital de La Paz.

178. Au sujet du contrôle de la décision en appel, la Cour relève que c’est à cette occasion que la requérante a pour la première fois été entendue par les autorités judiciaires et que, comme indiqué ci-dessus, elle a alors contesté à la fois la base factuelle et la légalité de la décision en cause (paragraphes 37‑39 ci-dessus). Deux éléments clés de l’arrêt rendu par l’Audiencia Provincial ont été relevés ci-dessus, concernant respectivement les capacités de la requérante et la version non signée du formulaire de consentement éclairé (paragraphes 170-171 ci-dessus).

179. En ce qui concerne le premier de ces éléments, la Cour estime que la position de la juridiction d’appel selon laquelle la requérante était en mesure de décider librement d’accepter ou de refuser une transfusion sanguine semble appeler la question de savoir pourquoi l’autorisation de procéder au traitement a été formulée sans réserve, comme s’il y avait des raisons de penser, ou du moins de soupçonner, que l’intéressée avait alors perdu sa capacité de prendre une décision. Comme noté ci-dessus, cette décision a eu pour effet de priver la requérante, à son insu, du pouvoir de donner ou de refuser son consentement à un traitement médical. Pour la Cour, il n’est pas évident que cela se concilie avec un cadre interne tel que celui applicable en Espagne, qui accorde une grande importance au respect des souhaits des patients capables de discernement.

180. Au sujet du deuxième de ces éléments, l’Audiencia Provincial a considéré que la requérante n’avait pas expliqué l’absence de sa signature. Cette juridiction n’a pas cherché à en savoir davantage sur ce point, qui est donc demeuré sans réponse. Encore aujourd’hui, et malgré les observations complémentaires produites par les parties, l’absence de la signature de la requérante sur la version du document qu’elle s’est procurée, auprès d’un hôpital public qui l’avait traitée, aux fins de la procédure menée en appel demeure inexpliquée. Les deux parties confirment que l’intéressée a signé le document à la date en question, ce qui est également attesté par les notes médicales prises à l’époque et par l’autorité sanitaire régionale. Étant donné que le cadre interne requiert que les refus de traitement soient exprimés par écrit et qu’en dernière analyse le contrôle de la décision rendue par la juge de permanence était centré sur ce point, la Cour peine à comprendre pourquoi une question aussi cruciale n’a en fin de compte pas été élucidée par la juridiction compétente. De plus, il apparaît à la Cour qu’il devrait découler de la position adoptée par la juridiction d’appel concernant la capacité de la requérante à décider de son traitement que l’intéressée aurait dû se voir accorder la possibilité de le faire sous la forme écrite requise. Ce point n’a toutefois pas été examiné. Étant donné que le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours d’amparo, les deux points susmentionnés demeuraient inexplorés à la fin de la procédure interne.

181. La Cour a pleinement conscience du fait que les actions qui ont été entreprises par les membres du personnel des deux hôpitaux à l’égard de la requérante le jour en question étaient motivées par le souci impérieux d’assurer à une patiente dont ils avaient la charge un traitement effectif, dans le respect de la norme la plus fondamentale de la profession médicale. La Cour ne remet pas en cause leurs appréciations de la gravité de l’état dans lequel se trouvait alors la requérante, de l’urgence qu’il y avait à lui administrer les soins requis et des options médicales disponibles étant donné les circonstances, et elle ne conteste pas que la vie de la requérante ait été sauvée ce jour-là.

182. Néanmoins, l’autorisation accordée par la juge de permanence d’administrer tout traitement considéré comme nécessaire a été donnée à l’issue d’un processus décisionnel qui a pâti de l’omission d’informations essentielles concernant l’enregistrement des souhaits de la requérante, lesquels avaient été consignés par écrit sous différentes formes et à différents moments. Étant donné que ni la requérante ni quiconque ayant des liens avec elle n’a eu connaissance de la décision qui avait été rendue par la juge de permanence, il n’était pas possible, même théoriquement, qu’il fût remédié à cette omission. Or ni ce point ni la question de la capacité de la requérante à prendre une décision n’ont été abordés de manière adéquate dans le cadre de la procédure qui a été menée par la suite. À la lumière de ces considérations, on ne saurait dire que le système interne ait apporté une réponse adéquate au grief de la requérante consistant à dire que c’était à tort que l’on avait passé outre à ses souhaits (Reyes Jimenez, précité, §§ 37-38 ; voir également le paragraphe 138 ci-dessus).

‒ Conclusion

183. De l’avis de la Cour, les défaillances relevées ci-dessus (paragraphes 172-182) indiquent que l’ingérence litigieuse a résulté d’un processus décisionnel qui, tel qu’il s’est déroulé en l’espèce, n’a pas assuré un respect suffisant de l’autonomie de la requérante telle que protégée par l’article 8 de la Convention, autonomie que celle-ci souhaitait exercer dans le but de se conformer à un enseignement important de sa religion.

184. Il s’ensuit qu’il y a eu en l’espèce violation du droit de la requérante au respect de sa vie privée tel que protégé par l’article 8 de la Convention lu à la lumière de l’article 9.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

185. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

186. La requérante réclame 45 000 euros (EUR) pour le préjudice moral qu’elle estime avoir subi à raison de l’hystérectomie qui a été pratiquée sur sa personne, selon elle sans son consentement, et des transfusions sanguines qui lui ont été administrées alors qu’elles allaient à l’encontre de ses souhaits et de ses convictions religieuses profondes. Elle soutient que ces actes s’analysent en des atteintes flagrantes à ses droits tels qu’ils sont protégés par la Convention, qu’ils étaient contraires à sa dignité, à son autodétermination et à sa conscience religieuse, et qu’ils ont fait naître chez elle un fort sentiment d’humiliation.

187. Le Gouvernement s’oppose à la mention que fait la requérante de l’hystérectomie dans ce contexte, arguant que l’intéressée n’a pas contesté cet acte au cours de la procédure interne et que dans le cadre de cette procédure sa position était de dire que les actes chirurgicaux qui avaient été pratiqués sur sa personne revêtaient une importance moindre que le fait que les médecins eussent été autorisés à lui sauver la vie. Eu égard aux circonstances de l’espèce, le Gouvernement estime que, dans l’hypothèse où la Cour constaterait une violation, ce constat constituerait en lui-même une réparation suffisante pour tout préjudice moral subi par la requérante. Il ajoute que, sans les interventions médicales dont elle a fait l’objet, la requérante serait certainement décédée, et qu’elle n’aurait alors pas pu saisir la Cour. Selon lui, le fait qu’on lui ait sauvé la vie devrait être considéré comme une compensation suffisante pour toute méconnaissance de ses droits.

188. La Cour rappelle qu’octroyer aux requérants des sommes à titre de satisfaction équitable ne fait pas partie de ses tâches principales mais est accessoire à sa fonction au regard de l’article 19 de la Convention consistant à veiller au respect par les États de leurs obligations résultant de la Convention (Nagmetov c. Russie [GC], no 35589/08, § 64, 30 mars 2017). Dans l’exercice de ce pouvoir, la Cour dispose d’une certaine latitude, comme en témoignent l’adjectif « équitable » et le membre de phrase « s’il y a lieu » (Yüksel Yalçınkaya c. Türkiye [GC], no 15669/20, § 422, 26 septembre 2023, et Molla Sali c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 20452/14, § 32, 18 juin 2020, avec les références qui y sont citées). Selon les circonstances, elle peut aussi considérer qu’un constat de violation représente une satisfaction équitable suffisante et dès lors rejeter les demandes présentées sur ce terrain (Nagmetov, précité, § 70, avec les références qui y sont citées). Concernant la satisfaction équitable pour préjudice moral, la Cour est guidée par le principe de l’équité, qui implique une certaine souplesse et un examen objectif de ce qui est juste, équitable et raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, c’est-à-dire non seulement de la situation du requérant, mais aussi du contexte général dans lequel la violation a été commise (Yüksel Yalçınkaya, précité, § 423, Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90 et 8 autres, § 224, CEDH 2009, Al-Jedda c. Royaume-Uni [GC], no 27021/08, § 114, CEDH 2011, et Nagmetov, précité, § 73).

189. La Cour tient à préciser que le constat de violation auquel elle est parvenue concernant le grief de la requérante se fonde sur l’appréciation selon laquelle le processus décisionnel qui a été suivi dans cette affaire n’a pas été mené de manière à assurer un respect suffisant de l’autonomie de l’intéressée. Il ressort des observations présentées par l’intéressée à l’appui de sa demande de satisfaction équitable que les faits de l’espèce lui ont causé une détresse considérable. La Cour juge donc approprié de lui octroyer une réparation pour préjudice moral.

190. À la lumière des considérations qui précèdent, la Cour, statuant en équité, octroie à la requérante, pour préjudice moral, 12 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

2. Frais et dépens

191. La requérante demande 14 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour les frais et dépens qu’elle dit avoir engagés devant la Cour. À l’appui de ces prétentions, elle produit un contrat de services juridiques daté du 20 décembre 2019 qu’elle a conclu avec les deux avocats qui la représentaient alors, Me Muzny et Me García Martín. Par ce contrat, elle s’est engagée à verser à chacun de ses représentants 1 500 EUR pour la préparation de la requête devant la Cour, ainsi que 1 000 EUR pour l’élaboration de sa réponse aux observations présentées par le Gouvernement devant la chambre. Ce contrat a acquis une force contraignante lorsque la requérante et ses représentants l’ont signé, le règlement devant intervenir dans un délai de trois mois à compter de la date de la décision de la Cour en l’espèce. À la suite du dessaisissement de la chambre au profit de la Grande Chambre, la requérante a conclu le 9 août 2023 avec Me Muzny, Me García Martín et Me Brady un contrat supplémentaire prévoyant le versement à chacun des trois représentants de 3 000 EUR pour la préparation des observations écrites soumises par l’intéressée à la Grande Chambre et pour leur participation à l’audience.

192. En ce qui concerne les prétentions de la requérante pour les frais et dépens qu’elle dit avoir exposés dans le cadre de la procédure devant la chambre, le Gouvernement estime que la requérante n’a pas prouvé les avoir réellement encourus. Il ne formule aucun commentaire concernant la demande de remboursement supplémentaire présentée par la requérante pour les frais et dépens qu’elle dit avoir engagés aux fins de la procédure devant la Grande Chambre.

193. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Aux termes de l’article 60 §§ 2 et 3 du règlement, les prétentions soumises au titre de l’article 41 doivent être chiffrées et ventilées par rubrique, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie (Yüksel Yalçınkaya, précité, § 429, et Karácsony et autres c. Hongrie [GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 189, 17 mai 2016). La réalité des honoraires d’un représentant est établie si le requérant les a payés ou doit les payer en vertu d’une obligation légale ou contractuelle (Merabishvili c. Géorgie [GC], no 72508/13, § 371, 28 novembre 2017, avec les références qui y sont citées). Quant au nombre d’avocats que nécessitait l’affaire et aux taux facturés, il s’agit d’éléments que la Cour prend en considération selon qu’il convient lorsqu’elle apprécie le caractère raisonnable des frais et dépens (voir, par exemple, Yüksel Yalçınkaya, précité, § 429, et Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000-XI).

194. En l’espèce, la Cour estime qu’au vu du contrat de services juridiques et du contrat complémentaire, la requérante est juridiquement tenue de payer les honoraires facturés par ses avocats (pour une conclusion similaire, voir, parmi de nombreux autres exemples, Yüksel Yalçınkaya, précité, § 430, Toptanış c. Turquie, no 61170/09, §§ 60-62, 30 août 2016, et Bilgen c. Turquie, no 1571/07, §§ 104-106, 9 mars 2021). Elle considère en outre que le montant réclamé n’est pas excessif au regard du travail juridique qu’ont requis la procédure devant la chambre puis la procédure devant la Grande Chambre. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’octroyer à la requérante la totalité du montant qu’elle demande pour les frais et dépens, à savoir 14 000 EUR.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention lu à la lumière de l’article 9 ;
3. Dit, par neuf voix contre huit, que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois, la somme de 12 000 EUR (douze mille euros) pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme ;
4. Dit, à l’unanimité, que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois, la somme de 14 000 EUR (quatorze mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt sur cette somme ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme à Strasbourg, le 17 septembre 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Marialena Tsirli Síofra O’Leary
Greffière Présidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante de la juge Elósegui ;

– opinion concordante du juge Ktistakis, à laquelle se rallie la juge Mourou-Vikström ;

– opinion en partie concordante et en partie dissidente de la juge Seibert‑Fohr, à laquelle se rallient les juges Kucsko-Stadlmayer, Pastor Vilanova, Ravarani, Kūris, Lubarda, Koskelo et Bormann.

S.O.L.
M.T.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE ELÓSEGUI

(Traduction)

1. Tout d’abord, je voudrais souligner que je souscris entièrement à la conclusion unanime formulée par la Grande Chambre dans cette affaire. Cette opinion concordante a pour objectif de mettre en exergue certains aspects découlant de cet arrêt que je considère comme importants si l’on veut éviter que des violations de ce type ne se reproduisent, du moins en Espagne.

I. LE DROIT ESPAGNOL RELATIF AUX DROITS DES PATIENTS

2. Comme il ressort clairement de l’arrêt, l’Espagne dispose d’une législation vaste et détaillée concernant la protection des droits des patients. En 2002, un texte important a été adopté, la loi no 41/2002, qui porte sur l’autonomie du patient ainsi que sur les droits et obligations en matière d’information et de documentation cliniques. Cette loi régit à la fois le consentement éclairé et le refus de traitement, notamment lorsqu’ils sont exprimés dans des directives médicales anticipées. En outre, le registre national des directives médicales anticipées visé à l’article 11 § 5 de la loi no 41/2002 a été établi par le décret royal no 124/2007 du 2 février 2007.

II. ÉGALITÉ DANS L’EXERCICE DES DROITS, notamment DU DROIT AUX SOINS DE SANTÉ, SUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE national

3. Plus important encore, la Constitution instaure le principe selon lequel les patients ont des droits identiques sur l’ensemble du territoire espagnol. Comme l’indique le paragraphe 56 du présent arrêt :

« La Constitution espagnole dispose que les communautés autonomes peuvent se déclarer compétentes en matière de soins de santé (article 148). Toutes les communautés autonomes d’Espagne, y compris celles de Castille-et-León et de Madrid, ont fait ce choix. L’État conserve toutefois la compétence exclusive de la coordination générale des soins de santé, c’est-à-dire de la définition des normes minimales que doivent respecter les services publics de santé, de l’établissement des moyens et systèmes destinés à faciliter l’échange d’informations, et de la supervision de la coordination entre les autorités sanitaires de l’État et celles des communautés autonomes dans l’exercice par elles de leurs fonctions respectives (voir, de manière générale, l’article 149) ».

III. UNE MEILLEURE COORDINATION ENTRE LES HÔPITAUX est SOUHAITABLE

4. L’Espagne s’est dotée d’une législation et d’une réglementation sur le consentement éclairé ainsi que sur le recours aux directives anticipées. Dans la pratique, une meilleure coordination entre les hôpitaux des différentes communautés autonomes serait souhaitable. Comme il ressort clairement de l’arrêt, la requérante a fait usage de tous les moyens que la loi lui offrait et, malgré tout, ses souhaits tels qu’elle les avait formulés dans des documents qu’elle avait signés ont néanmoins été ignorés, à cause de diverses erreurs qui sont imputables aux autorités intervenues dans l’affaire. Les autorités nationales, ainsi que les médecins et les juges concernés, ne peuvent pas se cacher derrière des erreurs commises par d’autres et encore moins accuser la requérante d’avoir manqué à ses obligations ; il faut en tirer des enseignements pour l’avenir.

IV. LES défaillances DU PROCESSUS DÉCISIONNEL CONCERNANT LE DROIT DE LA REQUÉRANTE À L’AUTONOMIE

5. Il convient de noter pour commencer qu’au cours de l’audience publique dans cette affaire (dont l’enregistrement est disponible sur le site Internet de la Cour), il a été établi sans l’ombre d’un doute que la requérante s’est rendue à l’hôpital de Soria en 2018 pour demander une copie de son dossier médical et notamment une copie du formulaire de consentement éclairé qu’elle avait signé le 6 juin 2018 et qui confirmait son refus des transfusions sanguines motivé par des raisons d’ordre religieux. Elle entendait présenter ce document à titre de preuve dans le cadre d’une procédure judiciaire. Étonnamment, l’hôpital lui a remis un document qui ne portait pas sa signature, alors qu’elle l’avait certainement signé. Il serait absurde et contraire à toute logique qu’elle ne l’eût pas fait. Cette erreur, imputable à l’administration de l’hôpital (dont nous ne savons pas si elle a été commise de bonne ou de mauvaise foi), a été utilisée au détriment de la requérante par l’Audiencia Provincial de Madrid. Toutefois, lorsque, le 4 février 2020 (alors qu’elle avait déjà saisi la Cour de sa requête), la requérante s’est de nouveau présentée à l’hôpital de Soria pour se faire remettre une copie du formulaire de consentement éclairé, elle en a reçu un exemplaire qui portait sa signature ainsi que celle du médecin. On ignore toujours pourquoi, en 2018, l’hôpital de Soria lui avait remis un document sur lequel figurait uniquement la signature du médecin.

6. Dès avant l’audience devant la Grande Chambre, il a été démontré (et admis par le Gouvernement) que le 18 octobre 2021, le directeur général du ministère de la Santé de Castille-et-León (Consejería de Sanidad, Junta de Castilla y León), dont relève l’hôpital de Soria, avait remis, à la demande du Gouvernement, un rapport qui comportait les passages suivants :

« 1. Le Document 11, intitulé « Demande d’enregistrement dans le registre des directives anticipées de Castille-et-León », en date du 4 août 2017, bien qu’il ne soit pas formellement inclus dans le dossier médical de la partie intéressée, est accessible via un lien présent dans l’application électronique Jimena (compilant les antécédents cliniques) qui renvoie vers le registre des directives anticipées.

2. Le formulaire de consentement éclairé daté du 6 juin 2018, signé par la patiente et par un médecin, se trouve dans le dossier médical de la patiente et la patiente peut y accéder à tout moment.

3. Le document de « Refus du sang » daté du 4 août 2017 ne figure pas dans le dossier médical de la patiente. »

Je me demande pourquoi ce dernier document, d’une importance cruciale, n’a pas été versé au dossier médical de la requérante.

V. LE transport du DOSSIER MÉDICAL DE LA REQUÉRANTE AVEC celle-ci DANS L’AMBULANCE

7. Les erreurs s’étaient déjà accumulées. En Espagne, les ambulances sont tenues de disposer d’une copie du dossier médical du patient qu’elles transportent. À l’époque considérée, à la différence de la pratique qui est désormais établie dans nombre de communautés autonomes, les ambulances n’étaient pas équipées d’un système électronique d’accès direct aux dossiers médicaux des patients conservés à l’hôpital. Cependant, comme la Grande Chambre l’a établi, une copie du dossier médical de l’intéressée a été transportée avec elle dans l’ambulance (paragraphe 22 du présent arrêt). La Cour s’abstient prudemment de se prononcer sur la teneur de ce dossier médical.

8. Cela ne m’empêche pas de conclure, au vu des faits, qu’il a été prouvé que ce qui a motivé le transfert de la requérante depuis l’hôpital de Soria vers celui de La Paz à Madrid était son refus, en qualité de témoin de Jéhovah, de recevoir des transfusions sanguines. Les documents présentés par le Gouvernement indiquent clairement qu’il y avait eu une communication préalable sur ce point entre les deux hôpitaux dans la perspective d’une opération planifiée que devait subir la requérante. Il ne s’agissait donc pas d’une situation d’urgence dans laquelle, par exemple, le nom de la partie victime d’un accident n’aurait même pas été connu du personnel médical.

9. Ce qui diffère dans le cas de la requérante, c’est qu’une opération qui aurait pu être pratiquée sans transfusion sanguine avait été prévue mais que l’état de la patiente s’est ensuite dégradé. Pareille situation n’excuse toutefois en rien le fait que l’hôpital vers lequel la patiente a été transférée ait ignoré les formulaires de consentement éclairé, ainsi que les directives médicales anticipées de la patiente.

VI. LES défaillances DANS LA COMMUNICATION ENTRE LES deux HÔPITAUX ainsi qu’ENTRE LES MÉDECINS ET LA JUGE DE PERMANENCE

10. Le fait que les deux hôpitaux soient situés dans deux communautés autonomes différentes ne saurait en aucun cas servir d’excuse pour les défaillances qui ont émaillé la communication entre eux, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement. Son assertion suscite à la fois inquiétude et perplexité et soulève une question : les droits consacrés par la Constitution et établis dans la législation nationale contraignante applicable sur l’ensemble du territoire national, ainsi que le recours à un cadre réglementé pour la protection des droits des patients, cessent-ils d’exister lorsqu’un patient est transféré dans une autre région située à deux heures de route ?

11. Nous devons maintenant nous pencher sur toutes les observations absurdes qui ont été avancées au sujet de la relation entre les médecins de l’hôpital de La Paz et la juge de permanence. Ma longue expérience en matière de droits des patients en Espagne me conduit à faire porter mon attention sur un certain nombre de faits à ce sujet. Comme je l’ai déjà indiqué dans d’autres opinions concordantes sur le droit au consentement éclairé, j’ai siégé au sein du comité de bioéthique d’Aragón depuis sa création en 2013 jusqu’à mon élection à la Cour en 2018. J’ai aussi été membre du comité d’éthique de l’hôpital Lozano Blesa, qui est rattaché à l’université de Saragosse, pendant quinze ans. Je comprends que dans une situation d’urgence dans laquelle la vie d’un patient est en danger et dans laquelle il existe une incertitude concernant les souhaits de l’intéressé, en l’absence d’information (imputable à un défaut de coordination entre les hôpitaux, comme dans le cas de la requérante, et non à une situation d’urgence inattendue), le juge de permanence doive être consulté.

12. Lorsque les souhaits du patient ne sont pas clairs, qu’il n’existe pas de directives médicales anticipées qui auraient déjà été établies, ou que la vie du patient est en danger et que celui-ci se trouve sous la responsabilité d’un hôpital, alors les médecins ont besoin de certitude et doivent solliciter le consentement du patient si celui-ci est conscient ou, lorsqu’il est inconscient, se renseigner auprès de sa famille. En cas de doute, la préservation de la vie prime. La vie est une valeur constitutionnelle et l’État (représenté par les juges et les médecins) a l’obligation de la préserver. Les juges et les médecins sont également investis d’une responsabilité civile, administrative et pénale. Par exemple, l’article 142 § 1 du code pénal espagnol établit l’infraction d’homicide par négligence grave.

13. étant donné que la télécopie envoyée par les médecins de l’hôpital de La Paz à la juge de permanence indiquait que la requérante était une patiente adulte témoin de Jéhovah qui refusait les transfusions sanguines (paragraphe 25 du présent arrêt), on peine à comprendre pourquoi la juge a choisi d’appliquer dans sa motivation l’arrêt, bien connu en Espagne, qui avait été rendu par le Tribunal constitutionnel le 27 juin 1990. L’affaire en question portait sur l’obligation d’alimenter des prisonniers appartenant à un groupe terroriste précis qui avaient entamé une grève de la faim pour faire pression sur l’administration et protester contre le fait qu’ils avaient été répartis dans plusieurs prisons espagnoles. Depuis cette affaire, comme indiqué dans le présent arrêt, le Tribunal constitutionnel espagnol a toutefois développé une jurisprudence consolidée sur l’obligation de respecter le consentement éclairé d’un adulte doué de discernement lorsque ce consentement a été formulé de manière claire, ce qui concorde également avec la jurisprudence de la Cour.

VII. LES LACUNES DANS L’INFORMATION Donnée à LA REQUÉRANTE AU SUJET DE L’intervention DE LA JUGE DE PERMANENCE

14. Qui plus est, lorsque la patiente est arrivée à l’hôpital, elle était consciente. Et pourtant, on ne lui a pas posé de questions et on ne lui a pas non plus dit que la juge de permanence avait autorisé les médecins à recourir à tout traitement qu’ils jugeaient nécessaire pour lui sauver la vie. Lorsque le patient est conscient, un taux d’hémoglobine faible ne dispense pas les médecins de l’obligation de le consulter. Il est tout à fait possible, et il n’appartient pas à la Cour de statuer sur ce point, qu’il n’y ait eu absolument aucun moyen d’opérer la patiente sans utiliser de sang et que, sans transfusion sanguine, celle-ci serait morte. Or, comme son représentant l’a déclaré lors de l’audience publique en présence de l’intéressée, la requérante ne souhaitait pas mourir.

VIII. LES LACUNES DANS LA COMMUNICATION AVEC LA REQUÉRANTE À L’HÔPITAL DE LA PAZ

15. C’est précisément pour cette raison que la requérante ne se plaint pas d’un non-respect de la lex artis de la part des médecins, mais plutôt d’avoir été exclue de la prise de décisions concernant sa propre santé et/ou sa propre vie. C’est d’ailleurs le principal argument qu’elle a avancé dans son recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel, et cela explique aussi pourquoi elle n’a pas engagé de recours administratif contre l’hôpital de La Paz ni poursuivi les médecins concernés pour négligence médicale. Elle se plaignait de ne pas avoir été consultée au sujet de son traitement alors qu’elle avait préalablement fait usage de tous les moyens que lui offrait le droit espagnol pour faire connaître ses souhaits.

IX. LES DÉFAILLANCES dans la procédure DU TRIBUNAL CONSTITUTIONNEL

16. Dans cet enchaînement de défauts dans la protection juridique, le dernier maillon réside dans le fait que le Tribunal constitutionnel a déclaré le recours d’amparo formé par la requérante irrecevable au motif qu’il n’y avait « manifestement pas d’atteinte à un droit fondamental protégé dans le cadre du recours d’amparo », étant donné que l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 27 juin 1990 avait été la décision de principe qui avait permis l’établissement des garanties constitutionnelles en matière de consentement éclairé. Peut-être aurait-il été plus compréhensible que la décision d’irrecevabilité de ce recours se fût fondée sur le fait qu’il existait déjà une jurisprudence consolidée et que l’affaire de la requérante ne revêtait pas une importance constitutionnelle particulière. Cependant, déclarer ce recours irrecevable au motif d’une absence d’atteinte à un droit fondamental énoncé dans la Constitution défie la logique. De plus, la motivation du recours, développée sur 30 pages, était bien argumentée.

X. LES LACUNES DANS L’ACCessibilité des DIRECTIVES médicales ANTICIPÉES

17. L’Espagne doit faire en sorte que tous les hôpitaux vers lesquels un patient est susceptible d’être transféré puissent accéder aux directives médicales anticipées par le biais de systèmes informatiques. Il est absurde que le registre national des directives médicales anticipées, dans lequel tous les patients qui ont fait usage de ce droit ont placé leur confiance, ne soit pas accessible facilement sur tout le territoire espagnol. Dans le cas de la requérante, par exemple, étant donné que l’accès à ses directives médicales anticipées était possible via le système Jimena dans la communauté de Castille-et-León, les clés d’accès requises auraient pu être communiquées à l’hôpital de La Paz ou être indiquées dans le dossier médical de la patiente qui avait été transféré avec elle.

XI. LA RÉGLEMENTATION DE LA COMMUNAUTÉ AUTONOME DE CASTILLE-ET-LEÓN SUR LES DIRECTIVES médicales ANTICIPÉES ET L’ACCÈS À CES DIRECTIVES PAR LES MÉDECINS

18. Les dispositions du décret no 30/2007 du gouvernement de Castille-et-León du 22 mars 2007 régissant les directives médicales anticipées et créant le registre des directives médicales anticipées de Castille-et-León se lisent comme suit en leurs parties pertinentes (caractères gras ajoutés) :

Article 14. Incorporation des données

« Les données contenues dans les directives médicales anticipées sont intégrées dans le fichier automatisé, appelé registre des directives médicales anticipées, par l’unité administrative responsable de cette fonction ».

Article 15. Transmission des directives médicales anticipées aux établissements de santé

« 1. Si, après l’enregistrement dans le registre des directives médicales anticipées, la personne concernée souhaite que ses directives médicales anticipées soient versées à son dossier médical, la personne responsable du registre délivre un certificat d’enregistrement, lequel est adressé, avec les directives médicales anticipées, à l’établissement de santé indiqué par l’auteur de la demande d’enregistrement, et l’établissement prend les mesures nécessaires pour en préserver la confidentialité, conformément aux dispositions de la réglementation en vigueur.

2. Si les directives médicales anticipées n’ont pas été enregistrées dans le registre des directives médicales anticipées de Castille-et-León et que la personne concernée souhaite qu’elles soient versées à son dossier médical, il lui appartient de le remettre à l’établissement de santé, ou, si elle n’est pas en mesure de le faire, cette tâche incombera à l’un de ses proches, à son représentant légal ou au représentant désigné dans les directives médicales anticipées mêmes. »

Article 20. Conservation des directives médicales anticipées consignées dans le registre

« 1. Le registre des directives médicales anticipées de Castille-et-León archive et conserve une copie papier des directives médicales anticipées qui y sont enregistrées.

2. Les directives médicales anticipées qui ont été consignées dans le registre des directives médicales anticipées de Castille-et-León ainsi que les documents qui les accompagnent sont archivés et conservés jusqu’à ce qu’ils soient retirés ou que cinq ans se soient écoulés depuis le décès de la personne concernée, à moins qu’ils ne [constituent] des preuves documentaires dans le cadre d’une procédure judiciaire ou administrative, auquel cas ils sont conservés jusqu’à ce qu’une décision judiciaire définitive ou une décision administrative définitive soit rendue. »

Article 21. Accès

« 1. La personne qui est l’auteur de directives médicales anticipées qui ont été enregistrées, ainsi que le ou les représentants qui sont désignés dans ces directives médicales anticipées peuvent à tout moment accéder au registre des directives médicales anticipées de Castille-et-León afin de consulter lesdites directives.

2. Afin d’assurer le respect des directives médicales anticipées exprimées par les patients et enregistrées conformément aux dispositions du présent décret, dans les situations où il est nécessaire de prendre des décisions cliniques pertinentes et où le patient n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, le médecin responsable de la prise en charge du [patient] consulte le registre des directives médicales anticipées de Castille-et-León pour vérifier si le patient a déposé des directives médicales anticipées et, si tel est le cas, pour en consulter le contenu.

3. L’accès par le médecin responsable de la prise en charge [de la personne concernée], dans les établissements de santé tant publics que privés, doit se faire par des moyens électroniques qui garantissent la confidentialité des données et l’identification de la personne demandant les informations comme des informations communiquées, de sorte qu’une trace de cet accès soit conservée. Les mesures nécessaires sont prises pour que l’information soit disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, chaque jour de l’année ».

OPINION CONCORDANTE DU JUGE KTISTAKIS, À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE MOUROU-VIKSTRÖM

(Traduction)

1. J’ai voté en faveur de la conclusion selon laquelle il y avait eu violation de l’article 8 de la Convention, lu à la lumière de l’article 9. Je suis toutefois convaincu que la présente affaire offrait à la Grande Chambre l’occasion d’affirmer clairement les principes que sont l’autodétermination et l’autonomie personnelle, et je regrette qu’elle ait choisi de ne pas le faire.

2. Il s’agit de principes : a) que la Cour a exposés en détail en 2010 (Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres c. Russie, no 302/02, §§ 135-136, 10 juin 2010) et plus récemment en 2022 (Taganrog LRO et autres c. Russie, nos 32401/10 et 19 autres, § 162, 7 juin 2022), b) qui ressortent clairement de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (la Convention d’Oviedo, plus précisément de ses articles 5 et 9 – paragraphes 71-72 de l’arrêt), c) qui ressortent également du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Observation générale no 14 sur le droit à la santé – paragraphe 79 de l’arrêt) et de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (Observation générale no 1 sur l’article 12, relatif à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité, § 42), d) qui sont reconnus (explicitement ou implicitement) par 24 (des 39) États parties à la Convention étudiés, y compris l’État défendeur (paragraphes 81-86 de l’arrêt), et, surtout, e) dont le respect a été recommandé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, au paragraphe 1 de sa Résolution 1859 (2012), dans les termes suivants :

« On s’accorde à penser, sur la base de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme concernant le droit au respect de la vie privée, qu’aucune intervention ne peut être pratiquée sur une personne sans qu’elle ait donné son consentement. De ce droit fondamental découlent les principes d’autonomie personnelle et de consentement en vertu desquels tout patient majeur capable ne doit pas être manipulé et, si sa volonté est clairement exprimée, elle doit prévaloir même si cela signifie le refus d’un traitement : nul ne peut être contraint de subir un traitement médical contre sa volonté. » (paragraphe 74 de l’arrêt)

3. Il serait donc raisonnable de considérer que l’arrêt devrait être fondé sur les principes d’autodétermination et d’autonomie personnelle, et que la juge de permanence aurait dû être tenue pour responsable de tout défaut de respect de ces principes. Or, à l’inverse, l’arrêt évite de promouvoir les principes d’autodétermination et d’autonomie personnelle. Je ne suis pas d’accord avec cette approche, et, sur ce point, je voudrais reprendre les termes employés par la Cour dans l’arrêt Taganrog LRO et autres (précité, § 162) :

« La liberté de choix et l’autodétermination sont des éléments fondamentaux de la vie et (...), en l’absence de tout élément révélateur d’une nécessité de protéger la santé publique, l’État doit s’abstenir de toute ingérence dans l’exercice de la liberté de choix de l’individu en matière de soins médicaux, étant donné que pareille ingérence ne peut que diminuer, et non accroître, la valeur de la vie ».

Il convient de noter que la position adoptée par la requérante ne met nullement en péril la santé publique. Ce point sera évoqué plus en détail ci‑dessous.

4. L’un des aspects essentiels du point de vue (plutôt paternaliste) qui a été adopté dans le cadre de l’appréciation réalisée en l’espèce est l’« apparition » de l’article 2 de la Convention et des obligations positives incombant aux États. D’une part, l’arrêt isole les deux arrêts antérieurs – qui concernent spécifiquement le sujet en cause –, à savoir Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres et Taganrog LRO et autres, où le droit des témoins de Jéhovah de refuser les transfusions sanguines est reconnu à la lumière des principes d’autodétermination et d’autonomie personnelle (paragraphe 140 de l’arrêt rendu dans la présente affaire). D’autre part, il accorde une importance injustifiée à l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC] (no 56080/13, 19 décembre 2017 ; voir les paragraphes 130, 141, 145 et 147 de l’arrêt rendu dans la présente affaire).

5. En ce qui concerne cette dernière observation, je voudrais souligner que l’affaire Lopes de Sousa Fernandes se distingue de la présente affaire à la fois par ses faits et par les intérêts qui y étaient en jeu. Cette affaire portait sur l’obligation positive matérielle incombant à l’État dans les cas de décès dont il est allégué qu’ils ont été provoqués par une négligence médicale. Or, à l’inverse de la requérante dans l’affaire Lopes de Sousa Fernandes, la requérante dans la présente affaire n’invoque pas l’article 2, elle ne fait pas valoir la responsabilité de l’État en matière d’adoption de mesures positives visant à la protection de la vie, elle ne met pas en cause la responsabilité civile des prestataires de soins de santé et, surtout, elle n’allègue aucunement que les soins médicaux disponibles en Espagne ne sont pas adéquats. Au contraire, elle soulève des questions qui sont les mêmes que celles déjà abordées dans les arrêts Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres et Taganrog LRO et autres. La question fondamentale sur laquelle portent ces deux arrêts est celle de savoir si la protection de la « santé » justifie l’imposition d’une restriction au droit des témoins de Jéhovah de refuser, sur le fondement de leur droit individuel (article 9) et collectif (article 11) de manifester leur religion, que des transfusions sanguines leur soient administrées. Étant donné que c’est la requérante et elle seule (et non la communauté religieuse) qui a saisi la Cour de la présente affaire, la Grande Chambre a examiné la requête sous l’angle des articles 8 et 9 (en excluant l’article 11). Cependant, c’est indubitablement la même question juridique qui se trouve au cœur de ces trois affaires : la protection de la « santé » justifie-t-elle l’imposition de restrictions au droit des témoins de Jéhovah de refuser que des transfusions sanguines leur soient administrées ?

6. La Grande Chambre avait bien évidemment le droit de prendre ses distances avec les arrêts rendus dans les affaires Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres et Taganrog LRO et autres pour adopter une position plus paternaliste. Cependant, elle aurait dû le faire d’une manière convaincante et méthodologiquement rigoureuse. Si la requérante de la présente affaire avait mis en danger la vie (ou la santé) d’autrui par sa conduite, par exemple en refusant le vaccin anti-COVID, alors il aurait été possible de prendre en compte l’article 2 (sous l’angle des obligations positives qui en découlent) dans le cadre de l’analyse relative aux « droits d’autrui » au sens du deuxième paragraphe de l’article 8. Toutefois, la requérante n’a pas mis en danger la vie ou la santé d’autrui, ni la santé publique. Elle ne tire pas argument de sa propre santé non plus. Au contraire, elle fonde sa thèse sur son autonomie personnelle et ses convictions religieuses. Les paragraphes 125-127 de l’arrêt rendu en l’espèce illustrent très précisément sa situation. On y retrouve le schéma classique de l’article 8 : la reconnaissance du droit du patient à l’autonomie (paragraphe 1) et la restriction (il)légale de ce droit au motif de considérations de santé (paragraphe 2) dans une société démocratique. À aucun moment l’article 2 n’est invoqué.

7. En conclusion, la Grande Chambre avait pour elle tous les éléments nécessaires (la jurisprudence des sections, les évolutions du droit des traités internationaux dans le domaine des droits de l’homme, l’incitation formulée par l’APCE, la législation de la majorité des États parties à la Convention, ainsi que la législation avancée de l’État défendeur (l’Espagne)) pour pouvoir formuler avec clarté et autorité les principes d’autodétermination et d’autonomie personnelle.

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE ET EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE SEIBERT-FOHR, À LAQUELLE SE RALLIENT LES JUGES KUCSKO-STADLMAYER, PASTOR VILANOVA, RAVARANI, KŪRIS, LUBARDA, KOSKELO ET BORMANN

(Traduction)

1. Nous souscrivons pleinement à la conclusion selon laquelle il y a eu violation de l’article 8 de la Convention, lu à la lumière de l’article 9, pour les motifs qui sont exposés dans l’arrêt. Le processus décisionnel qui a conduit à l’autorisation des transfusions sanguines présentait des défaillances à plusieurs égards (paragraphes 172-182 de l’arrêt rendu en l’espèce), de sorte qu’il n’a pas assuré un respect suffisant de l’autonomie de la requérante (paragraphe 183). Les médecins de l’hôpital de La Paz qui ont contacté la juge de permanence pour lui demander comment ils devaient procéder n’avaient apparemment connaissance ni du refus écrit des transfusions sanguines, document qui avait été signé à l’hôpital de Soria la veille du transfert de la requérante, ni des directives médicales anticipées établies par l’intéressée. Partant, la juge de permanence a dû statuer en s’appuyant sur une base factuelle qui était incomplète (paragraphes 175 et 177). Par ailleurs, l’autorisation qui a été accordée était formulée en des termes inconditionnels, malgré l’incertitude qui existait concernant le point de savoir si la requérante était capable de refuser, sous la forme requise et dans le temps qu’il restait pour ce faire, l’administration d’une transfusion sanguine, en ayant conscience des implications de sa décision (paragraphes 25, 161, 165 et 177). Enfin, la procédure subséquente n’a pas abordé ces questions de manière adéquate et elle n’a donc pas apporté une réponse adéquate au grief de la requérante (paragraphes 179 et 182).

2. Nous souscrivons pleinement à ces conclusions ; notre seul désaccord avec l’arrêt concerne l’octroi d’une réparation pour dommage moral. La requérante demandait 45 000 EUR au titre du dommage moral qu’elle estimait avoir subi à raison de l’hystérectomie qui avait été pratiquée sur elle sans son consentement, et des transfusions sanguines qui lui avaient été administrées alors qu’elles allaient à l’encontre de ses souhaits (paragraphe 186). Or l’hystérectomie ne fait absolument pas partie des éléments sur lesquels se fonde le constat de violation auquel est parvenue la Cour (paragraphe 183, avec les références aux paragraphes 172-182 qui y figurent). Elle n’était l’objet ni du recours formé par la requérante devant l’Audiencia Provincial ni de la procédure menée devant cette juridiction (paragraphes 36-39 et 43). De fait, la requérante a déclaré devant l’Audiencia Provincial qu’elle avait refusé non pas « toutes les formes de traitement » mais seulement les transfusions sanguines (paragraphe 37). En outre, dans la procédure qu’elle a engagée au niveau interne dans le but d’obtenir qu’il soit remédié à ses griefs, la requérante n’a contesté aucune des appréciations et décisions médicales dont elle avait fait l’objet (paragraphes 91 et 130). Par ailleurs, il convient de préciser que le constat de violation est fondé non pas sur l’administration de transfusions sanguines à la requérante alors qu’elles allaient à l’encontre de ses souhaits, mais sur la conclusion selon laquelle le processus décisionnel qui a abouti à l’autorisation de ces transfusions sanguines n’a pas assuré un respect suffisant de l’autonomie de la requérante (paragraphe 183).

3. Dans le cadre de l’appréciation de l’étendue de la responsabilité de l’État au regard de l’article 8, lu à la lumière de l’article 9, il convient également de prêter attention au contexte suivant. Si toute transfusion sanguine administrée dans une situation d’urgence dont il s’avère, par la suite, qu’elle allait à l’encontre des souhaits du patient devait s’analyser en une violation de la Convention, cela aurait un effet dissuasif sur l’administration des soins médicaux d’urgence. La question décisive qui se pose au regard de la Convention est donc celle de savoir si les souhaits précédemment exprimés par le patient, pour autant qu’ils étaient connus au moment de l’intervention, ont suffisamment été pris en compte (paragraphes 149-150 ; voir aussi l’article 9 de la Convention d’Oviedo et le paragraphe 62 du rapport explicatif qui porte sur cette disposition, tous deux cités au paragraphe 72 de l’arrêt). Ce point ne peut faire l’objet d’une appréciation a posteriori : il dépend de chaque situation particulière telle qu’elle se présente dans les circonstances pertinentes. Partant, le fait que la requérante a exprimé son désaccord concernant les transfusions sanguines qui lui avaient été administrées lorsqu’elle en a été informée le lendemain ne saurait être déterminant. Pour cette raison, en fondant son constat de violation sur le processus décisionnel, la Cour a constaté une violation essentiellement procédurale, sans aborder la question de savoir comment il aurait fallu statuer sur la demande d’autorisation (voir aussi le paragraphe 189).

4. Ceci a également des implications pour la question de savoir s’il y a lieu d’accorder une réparation pour dommage moral au titre de l’article 41 de la Convention. La Cour a expliqué dans sa jurisprudence antérieure qu’eu égard à ce qui est juste, équitable et raisonnable au vu de l’ensemble des circonstances de la cause, elle peut considérer que le constat d’une violation constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante et que l’octroi d’une indemnité pécuniaire ne s’impose pas. Cela concerne notamment des affaires où, comme dans le cas d’espèce, il est estimé que la violation constatée est liée à des défaillances d’ordre procédural (comparer par exemple avec Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 76 in fine, CEDH 1999-II, Öcalan c. Turquie (no 2), nos 24069/03 et 3 autres, § 215, 18 mars 2014, Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09 et 2 autres, § 136, CEDH 2013 (extraits), Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 131, CEDH 2016, Janowiec et autres c. Russie [GC], nos 55508/07 et 29520/09, § 220, CEDH 2013, et Stollenwerk c. Allemagne, no 8844/12, § 49, 7 septembre 2017).

5. Outre le caractère procédural de la violation constatée, qui ne se rapporte pas aux interventions médicales en tant que telles, plusieurs autres éléments plaident en faveur de la conclusion selon laquelle le constat d’une violation aurait en lui-même constitué une satisfaction équitable dans les circonstances de l’espèce. En premier lieu, il faut reconnaître que le personnel médical de l’hôpital de La Paz et la juge de permanence se sont trouvés face à une situation difficile le 7 juin 2018, l’état de santé de la requérante s’étant si gravement dégradé au cours de son transfert que, selon l’appréciation portée par les médecins, l’instabilité hémodynamique de l’intéressée impliquait que le recours à un autre traitement – par exemple à une embolisation de l’artère utérine, possibilité dont l’évaluation était le motif du transfert de la requérante – n’était plus envisageable. Lorsqu’ils ont appris que la requérante avait exprimé oralement un refus, les médecins de l’hôpital de La Paz ont été confrontés à un dilemme, ainsi qu’à un risque de voir leur responsabilité pénale engagée, en raison de l’absence de preuve claire d’un refus valablement formulé (paragraphe 112). Lorsque l’ambulance est arrivée, ils ont estimé qu’ils se trouvaient en présence d’une urgence clinique grave, que celle-ci ne leur laissait aucune autre solution et que l’intervention chirurgicale devait commencer immédiatement (paragraphe 109).

6. La Cour a donc reconnu dans l’arrêt que les actions entreprises par les médecins étaient motivées par le souci impérieux d’assurer à une patiente dont ils avaient la charge un traitement effectif, dans le respect de la norme la plus fondamentale de la profession médicale (paragraphe 181), à savoir la préservation de la vie et la protection de la santé. La Cour n’a pas remis en cause leurs appréciations de la gravité de l’état dans lequel se trouvait alors la requérante, de l’urgence qu’il y avait à lui administrer les soins requis et des options médicales disponibles étant donné les circonstances. Il convient d’ajouter que, eu égard au caractère urgent du risque pour la vie de la requérante, la juge de permanence n’avait pas le temps d’examiner l’affaire plus en détail.

7. Par ces observations, nous n’entendons pas mettre en doute la conclusion selon laquelle, envisagé dans son ensemble, le processus décisionnel était vicié ; néanmoins, dans ces circonstances, les transfusions sanguines ne sauraient être assimilées à un « viol », contrairement à ce que soutient la requérante (paragraphe 35). Rien n’indique que le personnel médical ou la juge de permanence aient fait preuve de mauvaise foi. Étant donné qu’il n’a pas été fait usage de voies de recours qui auraient permis d’établir les faits pertinents au niveau interne, toute autre conclusion serait une pure spéculation. Il est important de noter que le préjudice allégué dont il est question, à savoir l’administration des transfusions sanguines, était une conséquence directe de la pathologie sous-jacente de la requérante.

8. En outre, force nous est de constater que la vie de la requérante a été sauvée ce jour-là. Elle a survécu grâce à une intervention médicale qui, selon l’appréciation médicale faite par les médecins, était nécessaire pour lui sauver la vie – laquelle est une valeur fondamentale, protégée par les obligations positives qui découlent de l’article 2 de la Convention, ainsi qu’une condition préalable absolue pour la jouissance de tout autre droit ou liberté consacré par la Convention, y compris la liberté de religion. Bien que la requérante affirme qu’elle aurait confirmé son refus si la question lui avait été posée au moment des faits, lorsqu’il a été demandé à l’intéressée lors de l’audience publique si elle aurait été prête à mourir faute de transfusion sanguine, son représentant a répondu qu’elle souhaitait et souhaite toujours vivre. De plus, dans les observations qu’elle avait produites avant cette audience, la requérante soutenait que l’enjeu de l’affaire était sa liberté de vivre conformément à ses convictions religieuses (paragraphe 49). Or on voit mal comment elle aurait pu rester en vie si les transfusions sanguines ne lui avaient pas été administrées. Même si nous avons conscience du dilemme auquel la requérante s’est vue confrontée, nous considérons que celui-ci ne résultait d’aucune des défaillances du processus décisionnel qui ont conduit la Cour à constater une violation.

9. Enfin, la requérante a déclaré que, pour elle, ce qui était en jeu n’était pas la question d’une éventuelle négligence médicale mais essentiellement une question de principe (paragraphe 91). Elle a reconnu qu’elle aurait pu tenter d’exercer un recours civil aux fins de solliciter l’octroi d’une réparation mais qu’elle avait décidé de ne pas le faire. La Cour ayant statué sur une question qui, pour la requérante, est une question de principe, nous ne voyons pas pourquoi elle devrait accorder, dans le contexte de la requête dont il est question en l’espèce, une réparation que l’intéressée n’a pas demandée dans le cadre de la procédure interne.

10. À la lumière de ces considérations, et eu égard à ce qui est juste, équitable et raisonnable au vu de l’ensemble des circonstances de la cause, notamment de la nature des violations constatées et du contexte de l’affaire (paragraphe 4 de la présente opinion), il existe à nos yeux des raisons convaincantes de conclure que le constat d’une violation aurait constitué en lui-même une satisfaction équitable suffisante et qu’il n’y avait pas lieu d’octroyer une indemnité pécuniaire au titre du dommage moral.

* * *

[1] Il s’agit d’une procédure très peu invasive qui se substitue à l’hystérectomie ou à l’ablation d’un myome (myomectomie). Elle consiste à bloquer les artères qui alimentent le myome, ce qui entraîne son atrophie.

[2] Pour davantage d’informations, voir la section « Le droit et la pratique internes » ci-dessous.

[3] L’Albanie, l’Andorre, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Islande, la Lettonie, la Lituanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Norvège, le Portugal, la République de Moldova, la République slovaque, la République tchèque, la Roumanie, Saint‑Marin, la Serbie, la Slovénie, la Suisse et la Türkiye. Sept États membres ont signé la Convention d’Oviedo mais ne l’ont pas ratifiée : l’Arménie, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, la Suède et l’Ukraine.

[4] Adoptée par la 54e Assemblée générale de l’AMM, Helsinki, Finlande, septembre 2003, réaffirmée par la 194e Session du Conseil de l’AMM, Bali, Indonésie, avril 2013, et réaffirmée avec des révisions mineures par le 224e Conseil de l’AMM, Kigali, Rwanda, octobre 2023.

[5] Adoptée par la 34e Assemblée médicale mondiale, Lisbonne, Portugal, septembre/octobre 1981, amendée par la 47e Assemblée générale de l’AMM, Bali, Indonésie, septembre 1995, révisée par la 171e Session du Conseil de l’AMM, Santiago, Chili, octobre 2005 et réaffirmée par la 200e Session du Conseil de l’AMM, Oslo, Norvège, avril 2015.

[6] Décision no CK 155/05 du 27 octobre 2005.


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