CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE A.C. c. FRANCE
(Requête no 15457/20)
ARRÊT
Art. 8 • Obligations positives • Vie privée • Absence de protection d’un migrant en qualité de mineur non accompagné du fait de la contestation de sa minorité par les autorités • Procédure d’évaluation de l’âge devant être entourée, in concreto, de garanties appropriées et suffisantes • Existence d’un cadre juridique national comportant, en principe, les garanties procédurales minimales requises • Lacunes dans les informations portées à la connaissance du requérant, à la fois incomplètes et imprécises • Renversement de la présomption de minorité dans des conditions concrètes ayant privé l’intéressé de garanties procédurales suffisantes • Manquement des autorités à leurs obligations
Art. 13 (+ Art. 8) • Existence de recours effectifs, en droit et en pratique
Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.
STRASBOURG
16 janvier 2025
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire A.C. c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
María Elósegui, présidente,
Mattias Guyomar,
Armen Harutyunyan,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Gilberto Felici,
Andreas Zünd,
Diana Sârcu, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,
Vu :
la requête (no 15457/20) dirigée contre la République française et dont un ressortissant guinéen, M. A.C. (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 30 mars 2020,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 3, 6 § 1, 8 et 13 combiné aux articles 3 et 8 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
la décision de ne pas dévoiler l’identité du requérant (article 47 § 4 du règlement de la Cour (« le règlement »),
la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement,
les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par le requérant,
les commentaires reçus du Défenseur des droits, que le président de la section avait autorisé à se porter tiers intervenant,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 novembre 2024,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne un migrant, ressortissant guinéen, s’étant déclaré mineur en situation d’isolement à son arrivée sur le territoire français (dit « mineur non-accompagné ou MNA »). Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié, en raison de la contestation de sa minorité par les autorités internes, de la prise en charge prévue par les dispositions liées à la protection de l’enfance en droit français. Il invoque des griefs relatifs aux articles 3, 6 § 1, 8 et 13 de la Convention.
EN FAIT
2. Le requérant réside à Limoges et a été représenté par Me J.-E. Malabre, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par M. F. Alabrune puis M. D. Colas, ses agents, qui se sont succédé dans les fonctions de directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
4. Le requérant est un ressortissant guinéen, se disant né le 26 avril 2004.
5. Il indique être orphelin de mère depuis 2018. Alors pris en charge par son frère, ils quittèrent ensemble la Guinée. Le requérant perdit néanmoins sa trace au Maroc. Il poursuivit seul sa route vers l’Europe, embarqua sur un zodiac puis fut secouru en mer, rapatrié en Espagne d’où il migra vers la France.
6. Se présentant comme mineur non accompagné, il fut pris en charge à titre provisoire le 23 janvier 2020 par le service de l’aide sociale à l’enfance du département de la Haute-Vienne, sur le fondement des articles L. 223-2 et L. 226-3 du Code de l’action sociale et des familles (« CASF ») prévoyant un accueil provisoire d’urgence.
7. Le 10 février 2020, un assistant socio-éducatif, à la suite d’un entretien d’évaluation mené le 5 février 2020 avec le requérant, parvint aux conclusions suivantes :
« Selon ses propos [A.C.] est né le 26 avril 2003, à Conakry, en Guinée. Il n’a aucun document d’état civil en sa possession.
L’itinéraire suivi via le Mali, la Mauritanie, le Maroc et l’Espagne semble cohérent.
Le voyage sur le continent Africain a été financé par son frère. Puis une personne rencontrée en Espagne lui a financé son voyage jusqu’à Bordeaux.
La procédure d’Appui à l’Évaluation de la Minorité en Préfecture n’a rien révélé de particulier.
Aucun élément ne permet de remettre en cause son isolement sur le territoire français.
Le discours d’[A.C.] peut être parfois confus. Lors de l’explication de son voyage sur le continent Africain, il raconte avoir beaucoup pleuré et demandé à rentrer chez lui.
Au vu du discours et de l’aspect physique d’[A.C.], la minorité n’est pas garantie. »
8. Le requérant précise que la date du 26 avril 2003 mentionnée dans le rapport constitue une erreur matérielle commise par les autorités françaises dès lors qu’il a constamment soutenu être né le 26 avril 2004.
9. Le 24 février 2020, un examen médico-légal, diligenté à la demande du procureur de la République, fut réalisé, à défaut de document d’identité, et conclut que l’âge physiologique du requérant, sans que l’on puisse l’affirmer avec certitude en l’état actuel de la science, était supérieur à 18 ans.
10. Le 6 mars 2020, le procureur de la République prononça un non-lieu à mesure d’assistance éducative concernant le requérant.
11. Le 9 mars 2020, le président du conseil départemental de la Haute‑Vienne mit fin à l’accueil provisoire d’urgence du requérant, avec effet immédiat. Cette décision portait les mentions suivantes :
« Vous avez été accueilli provisoirement, au titre des articles L.223-2 et [L.] 226-3 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), suite à votre déclaration d’être un mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de votre famille en date du 23/01/2020.
Vous avez été informé par courrier et, le cas échéant, par l’interprète, de la méthodologie et des conséquences de la procédure d’évaluation. Au regard de l’évaluation menée par le Département de la Haute-Vienne visant à établir votre minorité et votre isolement, j’ai le regret de vous informer que votre minorité n’est pas établie :
Motivation : (écriture manuscrite) non-lieu à assistance éducative décidé le 6 mars 2020
En conséquence, votre prise en charge prend fin le (écriture manuscrite) 09/03/2020 date à laquelle vous devez quitter le Service prévention et protection de l’enfance du Conseil départemental 87.
Le Procureur de la République est informé ou est à l’origine de cette décision (copie jointe de la décision du Parquet signée par le jeune).
Je vous informe que vous pouvez contester cette décision dans un délai de deux mois, à compter de la présente décision, en formant un recours administratif auprès du Président du Conseil départemental – 11 rue François Chénieux – 87031 – Limoges Cedex ou contentieux auprès du Tribunal administratif de Limoges par courrier recommandé à l’adresse suivante : Tribunal administratif de Limoges – 1 cours Vergniaud – 87000 – Limoges. »
12. Le requérant fut ainsi amené à quitter l’hôtel dans lequel il résidait jusqu’alors. Il soutient avoir été livré à lui-même, sans ressource, hébergement, relations ou nourriture.
13. Du 17 mars au 11 mai 2020, des mesures de confinement de la population furent mises en œuvre en France, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
14. Le requérant relate avoir erré dans la rue, dans des parcs, à la gare.
15. Le requérant fait mention d’une rencontre, aux alentours du 20 mars 2020, avec un adulte d’origine guinéenne, de passage à la gare de Limoges, auquel il fit part de la décision du 9 mars 2020. Ce dernier s’efforça ensuite de joindre, pour le compte d’A.C., des travailleurs sociaux, les services de l’hébergement d’urgence (115) ainsi qu’un avocat.
16. Le 25 mars 2020, le requérant saisit le juge des enfants à l’aide d’un avocat pour obtenir son admission à l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité, sur le fondement des articles 375 et suivants du code civil. Il sollicita alors l’octroi d’une mesure provisoire de mise à l’abri en application de l’article 375-5 du code civil.
17. Il introduisit le même jour un référé liberté, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (« CJA »), devant le tribunal administratif de Limoges tendant notamment à ce qu’il soit enjoint au président du conseil départemental de la Haute-Vienne de le mettre provisoirement à l’abri, d’assurer son hébergement, son alimentation, sa vêture et un suivi médical le cas échéant, jusqu’à la décision du juge des enfants ou, si elle était postérieure, la fin de l’état d’urgence sanitaire.
18. Par une ordonnance du 27 mars 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges, statuant sur le fondement de l’article L. 521‑2 du CJA, rejeta la requête de l’intéressé pour les motifs suivants :
« 6. D’une part, la décision contestée, qui n’avait pas à être précédée d’une procédure administrative contradictoire, est suffisamment motivée par l’indication de la mise en œuvre d’une évaluation de la situation de l’intéressé et du résultat de celle-ci, et contrairement à ce que soutient le requérant, il ressort des pièces du dossier qu’il a bien été procédé à l’évaluation de sa situation en application des dispositions de l’article [R.] 221‑11 du code de l’action sociale et des familles. D’autre part, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que la décision contestée n’ait pas mentionné cette faculté, M. [A.C.] a saisi le juge des enfants et, à ce jour, aucune mesure de placement n’a été prononcée par ce dernier, pas même à titre provisoire ainsi que l’article 375-5 le lui permet au cours de l’instruction devant lui. Par suite, et sans qu’il y ait lieu pour le juge administratif de se prononcer sur la minorité du requérant ni d’examiner les documents produits à cet effet qu’il appartiendra au juge des enfants d’apprécier, dès lors que le département de la Haute-Vienne a satisfait aux obligations qui lui incombaient à titre provisoire en application des articles L. 223-2 et R. 22[1]-11 du code de l’action sociale et des familles, le refus de poursuivre la prise en charge de M. [A.C.] ne révèle de la part du président du conseil départemental de la Haute-Vienne aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit à l’hébergement ou à la protection de l’intéressé, ni à son droit à la vie, à la dignité, l’intégrité physique et la santé ou encore à son droit au respect de sa vie privée et familiale ou à son droit à l’accès au juge et à un recours effectif.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur l’urgence, que les conclusions tendant à ce que des mesures soient ordonnées, sous astreinte, au département de la Haute-Vienne doivent être rejetées. »
19. Le 30 mars 2020, la Cour (le juge de permanence), saisie d’une demande de mesures provisoires présentée par le requérant, indiqua au gouvernement français, en vertu de l’article 39 du règlement, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant elle, de lui assurer logement et alimentation jusqu’à la fin du confinement. Cette décision fut notifiée aux parties le 31 mars 2020.
20. Le 1er avril 2020, le requérant releva appel devant le Conseil d’État de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Limoges du 27 mars 2020 (paragraphe 18 ci-dessus).
21. Le requérant précise avoir été hébergé les nuits précédant le 1er avril 2020 par des bénévoles. À partir de cette date, il fut pris en charge dans le cadre du dispositif de l’hébergement d’urgence (115). Selon lui, il aurait alors été mis à l’abri dans un hôtel en zone industrielle en périphérie de Limoges. Des bons alimentaires lui auraient été distribués mais n’auraient pu être utilisés que dans un restaurant associatif situé à une dizaine de kilomètres alors que les déplacements n’étaient, en raison de la crise sanitaire, pas autorisés. Il indique qu’aucune assistance ne lui fut apportée concernant le transport ou l’éducation.
22. Le 8 avril 2020, le Conseil d’État constata le non-lieu à statuer sur la requête d’appel. Il releva que le requérant était désormais pris en charge par les services de l’État en ce qui concernait son hébergement et l’allocation d’une aide alimentaire jusqu’à la fin du confinement.
23. Le même jour, le requérant introduisit devant le tribunal administratif un nouveau recours tendant à l’annulation de la décision d’interruption de prise en charge du président du conseil départemental de la Haute-Vienne du 9 mars 2020.
24. Le 2 juin 2020, le requérant fit parvenir un courriel de « relance » au tribunal pour enfants de Limoges afin de solliciter à nouveau l’octroi d’une mesure provisoire de mise à l’abri en application de l’article 375-5 du code civil.
25. Le 22 juin 2020, le requérant fut entendu par le juge des enfants.
26. L’intéressé quitta ensuite la ville de Limoges. Il indique être passé de squat en squat, dans des conditions difficiles et douloureuses. Les bénévoles l’ayant assisté, ainsi que son avocat, affirment qu’ils n’avaient, pendant une période indéterminée, plus de nouvelles de lui.
27. Le 24 juin 2020, l’expert en fraude documentaire et à l’identité rendit un rapport sur les documents d’état civil qui lui avaient été soumis. Tels que reproduits dans l’arrêt de la cour d’appel de Limoges du 21 janvier 2021 (paragraphe 33 ci-dessous), les éléments suivants y sont mentionnés :
« Par un rapport du 24 juin 2020, l’expert en fraude documentaire et à l’identité, sollicité par le juge des enfants, précisait que concernant le jugement supplétif, dont le support non sécurisé ne pouvait faire l’objet d’un examen documentaire, correspondait en la forme aux équivalents présents dans le fond documentaire de la police, tout comme les signatures du juge et du greffier, que les cachets humides étaient de bonne qualité mais qu’il convenait toutefois d’être prudent avec ce type de document non sécurisé et abondamment délivré en Guinée, dans des conditions de complaisance et très tardivement : celui-ci avait été délivré en décembre 2019. Concernant l’extrait du registre de l’état civil, dont le support non sécurisé ne pouvait faire l’objet d’un examen documentaire, il relevait que le cachet humide était de bonne qualité, l’analyse de l’extrait du casier judiciaire emportant les mêmes remarques, le brigadier de police faisant observer que les documents ne supportaient aucune légalisation des autorités consulaires françaises en Guinée ou des autorités consulaires guinéennes en France, pourtant nécessaire pour que le document puisse être produit sur [le] territoire [français]. La PAF concluait donc que les documents apparaissaient fortement douteux et non recevables et ce, d’autant plus que les actes ne présentant aucune photographie, il était impossible de déterminer si le porteur en était le véritable titulaire. »
28. Par un jugement du 1er juillet 2020, le juge des enfants de Limoges constata que la minorité du requérant ne pouvait être établie et prononça un non-lieu à assistance éducative :
« Par requête reçue le 26 mars 2020, Monsieur [A.C.] a saisi le Juge des enfants de Limoges par l’intermédiaire de son conseil, sollicitant son placement auprès de l’Aide sociale à l’Enfance du fait de sa situation de mineur non accompagné.
Il faisait valoir être né le 26 avril 2004 à CONAKRY en GUINEE, avoir quitté son pays en compagnie de son grand-frère dont il avait perdu la trace au Maroc, être arrivé en France en janvier 2020, avoir fait l’objet d’une prise en charge et d’évaluation sociale du Département de la Haute-Vienne avant d’être remis à la rue le 9 mars 2020.
Il précisait être en possession d’un acte de naissance confirmant sa minorité dont il disait toutefois ne pas pouvoir fournir l’original, l’ayant transmis au consulat de Guinée pour légalisation.
Par courriel du 18 juin 2020, l’avocat de M. [A.C.] indiquait que son client lui avait finalement présenté le jour même l’original d’un extrait de naissance, d’un jugement supplétif et d’un extrait de casier judiciaire reçus dans le courant du mois de mars, seules les copies de ces documents ayant été adressées au consulat de Guinée. (...)
À l’audience, [...le requérant] affirmait être (...) hébergé à l’hôtel dans le cadre du dispositif d’urgence sociale de droit commun. (...)
Motifs (...)
En l’espèce, l’isolement d’[A.C.] sur le territoire national n’est pas contesté.
En revanche, son état de minorité est remis en cause depuis son évaluation par le Département de la Haute-Vienne et son examen médico-légal.
Il appartient donc à M. [A.C.] qui sollicite le bénéfice d’une mesure d’assistance éducative de rapporter la preuve de sa minorité (cf arrêt du 4 novembre 2019 de la Cour d’appel de Limoges no19/00049).
S’agissant de l’examen osseux diligenté à la demande du Procureur de la République de Limoges le 17 février 2020, le compte rendu d’examen médico-légal ne précise aucune marge d’erreur dans ses conclusions, se contentant d’affirmer que « l’ensemble des constatations est en faveur d’un âge physiologique supérieur à 18 ans, sans que l’on puisse l’affirmer avec certitude en l’état actuel de la science ». Cet examen sera donc écarté des éléments pris en considération.
Concernant les documents d’état civil, le rapport d’analyse de la PAF relève qu’il ne s’agit pas de supports sécurisés et qu’ils ne sont pas légalisés mais ne note aucune falsification (forme correspondant aux formes connues et cachets humides de bonne qualité).
Concernant le jugement supplétif du 13 décembre 2019, la PAF rappelle l’existence en Guinée d’un trafic d’une ampleur colossale relatif à la délivrance frauduleuse de jugements supplétifs de déclaration de naissance visant à établir le statut de mineur non accompagné et qui sont délivrés à la demande, sans aucune vérification, sur la seule base du témoignage de deux personnes.
La PAF conclut au vu de ces éléments que les actes produits sont fortement douteux et non recevables.
À l’analyse de la PAF, il convient d’ajouter que le jugement supplétif est en date du 13 décembre 2019 alors que M. [A.C.] a affirmé [n’]avoir sollicité sa famille pour l’obtention de papiers qu’après son arrivée en France et que ce jugement a été rendu sur la base de deux témoins dont ni l’état civil précis ni l’adresse ne sont indiqués, ce qui accrédite l’absence de toute vérification préalable.
De plus, les faits relatés dans ce jugement supplétif sont d’autant plus fortement douteux que M. [A. C.] s’est dit né en 2003, et non en 2004, devant les services du Département de la Haute-Vienne (ainsi que lors de son examen médico-légal).
À cela s’ajoute[nt] les incohérences entre le récit de M. [A. C.] devant les services du Département de la Haute-Vienne et celui donné à l’audience, ainsi que son incapacité à resituer de manière constante dans le temps les événements les plus importants de sa vie récente.
Ainsi, il ne peut être retenu de force probante attachée aux actes d’état civil produits par M. [A.C.] dont l’état de minorité n’est pas établi.
En conséquence, il n’y pas lieu à intervention éducative au profit d’[A. C.]. »
29. Le requérant releva appel de ce jugement.
30. À la fin du mois d’octobre 2020, le requérant fut, selon ses déclarations, expulsé du squat « collège Maurice Scève » dans l’agglomération de Lyon. Il affirme que s’y réfugiaient, dans des conditions d’insalubrité et de promiscuité, plusieurs centaines de sans-abris. Il indique qu’à la suite de cette expulsion, il obtint, grâce à une maraude, quelques nuitées d’hébergement en hôtel et saisit le juge des enfants de Lyon. L’avocat qui l’assista à Lyon prit alors contact avec son avocat de Limoges et le juge des enfants de Lyon, dont l’audience était prévue le 4 novembre 2020, sursit finalement à statuer dans l’attente de la décision de la cour d’appel de Limoges. Le requérant précise qu’un bénévole l’accompagna à Paris en prenant en charge les frais de déplacement pour engager des démarches afin d’obtenir la légalisation de ses actes d’état civil au consulat de Guinée.
31. Du 30 octobre au 14 décembre 2020, des mesures de confinement de la population furent mises en œuvre en France, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
32. Le 15 décembre 2020, une audience eut lieu devant la cour d’appel de Limoges. Selon le requérant, il put y assister grâce à la prise en charge de ses frais par des bénévoles ou des associations.
33. Le 21 janvier 2021, la cour d’appel de Limoges infirma le jugement de non-lieu à assistance éducative du 1er juillet 2020 (paragraphe 28 ci‑dessus). Constatant la minorité du requérant, la cour d’appel ordonna qu’il soit pris en charge par le conseil départemental de la Haute-Vienne jusqu’à sa majorité, au motif que :
« Il appartient à la personne qui sollicite une mesure d’assistance éducative de rapporter la preuve de ce qu’elle est mineure.
Aux termes de l’article 47 du Code civil, tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, [des données] extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
En conséquence, la présomption de véracité attachée à un acte conforme à la loi de l’Etat d’origine n’est pas irréfragable et la preuve contraire peut être apportée par d’autres éléments, étant précisé qu’il n’est pas obligatoire de procéder à des vérifications.
Selon la coutume internationale et sauf dispense conventionnelle, les actes d’état civil étrangers doivent être légalisés pour être produits en France, cette légalisation, en l’état du droit applicable à la présente affaire, pouvant être effectuée par le chef de la chancellerie du ministère des affaires étrangères du pays dont il émane.
La Guinée ne faisant pas partie des pays qui bénéficient d’une dispense de légalisation, M. [A.C.] doit produire des actes comportant une légalisation.
C’est bien le cas des originaux de l’extrait du registre de l’état-civil et du jugement supplétif produits par [A.C.] devant la Cour d’appel qui comportent une légalisation de signature par le Ministère des affaires étrangères de la République de Guinée et par la chargée des affaires consulaires de Guinée à Paris.
Dès lors que ces actes d’état civil sont réguliers, les considérations d’ordre général de l’expert en fraude documentaire et à l’identité sur les conditions douteuses de délivrance de documents d’identité en Guinée et la tardiveté avec laquelle le jeune homme a produit ces documents ne peuvent suffire à considérer que les actes produits sont non recevables au regard de l’article 47 du Code civil.
Les autres éléments du dossier ne permettent pas de faire tomber la présomption de minorité découlant des actes d’état civil réguliers produits par le demandeur : la confusion relevée par l’évaluateur du Département dans les propos du jeune homme peut être liée au stress dans lequel ce type de parcours migratoire se déroule, la Cour faisant observer au demeurant que le récit fait d’[A.C.] n’est pas celui d’un jeune homme autonome comme peut l’être un adulte, son départ et la première partie de son voyage ayant été initiés et organisés par son frère aîné ; l’erreur sur l’année de naissance dans le rapport du Département, qui est au demeurant moins favorable au demandeur, n’est pas nécessairement imputable à [A.C.] ; quant à l’expertise osseuse et dentaire réalisée, qui ne mentionne pas la marge d’erreur en contrariété avec les dispositions de l’article 388 du Code civil, elle conclut en tout état de cause que l’âge physiologique, “sans que l’on puisse l’affirmer avec certitude dans l’état actuel de la science” est supérieur à 18 ans, le doute devant profiter au demandeur ; quant à l’aspect physique du demandeur, il est celui d’un jeune homme sans que l’on puisse lui donner un âge précis.
En conséquence, il convient d’infirmer le jugement dont appel et de confier [A.C.] à l’Aide Sociale à l’Enfance, son isolement sur le territoire français n’étant pas contesté. »
34. Du 26 janvier au 4 février 2021, le requérant fut hébergé en dispositif hôtelier puis, à compter de cette dernière date, à l’institut Don Bosco de Limoges. Il bénéficia alors d’une assistance éducative et financière et entreprit une formation en alternance pour une durée de deux ans.
35. Le 29 janvier 2021, le requérant demanda au juge des référés du tribunal administratif de Limoges, sur le fondement de l’article R. 541-1 du CJA, de condamner le département de la Haute-Vienne à lui verser une provision de 25 000 euros (EUR) en réparation des préjudices qu’il estimait avoir subis du fait de la décision du 9 mars 2020.
36. Le 2 juin 2021, il demanda au tribunal administratif de Limoges de condamner le département de la Haute-Vienne à lui verser la somme de 30 000 EUR en réparation des préjudices qu’il estimait avoir subis du fait de la décision du 9 mars 2020.
37. Par un jugement du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de Limoges joignit le recours en annulation au recours indemnitaire et au référé‑provision. Les conclusions à fin d’annulation furent rejetées comme irrecevables au motif que l’existence de la voie de recours dont disposait l’intéressé devant le juge des enfants en application des dispositions de l’article 375 du code civil s’opposait à ce qu’il forme un recours tendant à l’annulation de la décision de refus de prise en charge du président du conseil départemental devant le tribunal administratif. Les conclusions indemnitaires furent également rejetées comme irrecevables au motif que le requérant, étant mineur, n’avait pas qualité pour introduire une telle demande et qu’il n’avait pas procédé à la régularisation sollicitée sur ce point par la juridiction. Les conclusions relatives au référé‑provision furent alors considérées comme étant devenues sans objet.
38. Par une décision du 7 avril 2022, la préfète de la Haute-Vienne délivra au requérant, sur le fondement de l’article L. 421-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (« CESEDA »), un titre de séjour d’un an portant la mention « travailleur temporaire ». En revanche, le titre « vie privée et familiale » auquel il prétendait, prévu par les dispositions de l’article L. 423-22 du CESEDA, lui fut refusé.
39. Par une ordonnance du 2 juin 2022, la cour administrative d’appel de Bordeaux transmit au Conseil d’État l’appel relevé par le requérant à l’encontre du jugement du 9 décembre 2021, au motif que le jugement de première instance avait été rendu en premier et dernier ressort.
40. Par une décision du 3 novembre 2022, le Conseil d’État, sur le fondement de l’article L. 822-1 du CJA, n’admit pas le pourvoi en cassation qu’il avait présenté.
41. Le 29 juillet 2022, le requérant introduisit un recours en annulation auprès du tribunal administratif de Limoges à l’encontre de la décision par laquelle la préfète de la Haute-Vienne avait refusé de lui délivrer un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » (paragraphe 38 ci‑dessus). Ce recours fut rejeté le 6 novembre 2024.
42. Le 29 décembre 2022, le requérant fut convoqué à un entretien fixé le 9 janvier 2023 en vue d’une audition libre « concernant un potentiel usage de faux documents ». On lui reprocherait, selon lui, l’utilisation de faux documents d’état civil.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
1. Droit et pratique internes
43. Les mineurs étrangers non accompagnés sont pris en charge en France dans le cadre de la protection de l’enfance dont peut bénéficier tout mineur se trouvant sur le territoire national.
44. La politique de protection de l’enfance est définie à l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles (ci-après « CASF »), aux termes duquel :
« La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits (...) »
45. Le cinquième alinéa de ce même article précise que :
« La protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge. »
46. L’article L. 112-4 du CASF rappelle que :
« L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. »
47. La protection de l’enfance est assurée au niveau départemental, notamment dans le cadre du service de l’aide sociale à l’enfance, sous l’autorité du président du conseil départemental (article L. 221-2 du CASF). Les missions de ce service sont définies à l’article L. 221-1 du CASF :
« Le service de l’aide sociale à l’enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes :
1o Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique (...) aux mineurs (...) confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social (...)
3o Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1o du présent article ;
4o Pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal (...) »
1. Procédure d’admission à l’aide sociale à l’enfance des mineurs étrangers non accompagnés
1. Devant le président du conseil départemental
48. Lorsqu’une personne se disant mineur étranger non accompagné se présente aux services de l’aide sociale à l’enfance, elle bénéficie d’un accueil provisoire d’urgence prévu, à la date des faits du litige, par les dispositions de l’article L. 222-3 et du I de l’article R. 221-11 du CASF (L. 221-2-4 du même code depuis le 9 février 2022).
49. Les développements ci-après (paragraphes 50 à 55 ci-dessous) concernent la procédure dans sa version applicable aux faits de l’espèce. Les changements législatifs et réglementaires survenus ultérieurement seront précisés à la suite (paragraphes 56 à 57 ci-dessous).
50. En vertu du premier aliéna du I de l’article R. 221-11 du CASF, le président du conseil départemental met en place un accueil provisoire d’urgence pour une durée de cinq jours à compter du premier jour de prise en charge.
51. Au cours de cette période, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d’évaluer la situation de la personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement (premier alinéa du II de l’article R. 221-11 du CASF).
52. Cette évaluation est réalisée par les services du département ou déléguée à une structure du secteur public ou du secteur associatif (premier alinéa du III de l’article R. 221-11 du CASF). Les entretiens sont conduits par des professionnels justifiant d’une formation ou d’une expérience définie par arrêté, dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire, et se déroulent dans une langue comprise par l’intéressé (septième alinéa du II de l’article R. 221‑11 du CASF). L’évaluation est conduite selon les modalités précisées dans un référentiel national fixé par arrêté interministériel (second alinéa du III de l’article R. 221-11 du CASF).
53. L’article 8 de cet arrêté daté du 20 novembre 2019 pris en application de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles relatif aux modalités de l’évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille prévoit que :
« L’évaluation sociale porte a minima sur les six points d’entretien suivants :
1o Etat civil :
. le ou les évaluateurs recueillent les déclarations de la personne évaluée concernant sa situation personnelle, son état civil et son pays ainsi que sa région d’origine ;
. l’intéressé produit tout document concernant son état civil et précise les conditions d’obtention des documents produits. Le ou les évaluateurs tiennent compte des actes d’état civil émanant d’une administration étrangère dans les conditions prévues par l’article 47 du code civil. Ils informent l’intéressé des risques qu’il encourt en cas de présentation de faux. S’ils constatent des incohérences entre le document présenté et le récit de la personne, ils demandent des précisions à cette dernière et l’indiquent dans le rapport d’évaluation sociale.
2o Composition familiale :
. le ou les évaluateurs recueillent auprès de la personne évaluée tous éléments sur sa famille et ses proches dans son pays d’origine, l’identité et l’âge de ses parents et des membres de sa fratrie, la place qu’elle occupe au sein de cette dernière ;
. elle indique si elle a maintenu des liens avec sa famille depuis son arrivée sur le territoire français, notamment si elle a connaissance de la présence de membres de sa famille en France ou en Europe, ainsi que les liens qu’elle entretient avec ceux-ci ;
. les entretiens d’évaluation de la minorité et de l’isolement familial peuvent être le moment propice à l’amorce d’une recherche de la famille en vue d’une prise de contact.
3o Présentation des conditions de vie dans le pays d’origine :
. la personne évaluée décrit le contexte géopolitique de sa région d’origine, la situation économique de sa famille la plus proche, ainsi que la localisation actuelle de celle-ci, le niveau et le déroulement de sa scolarité et/ou de sa formation et enfin le travail ou toute autre activité qu’elle a pu exercer dans son pays d’origine ;
. le ou les évaluateurs prennent en compte la situation géopolitique du pays dont elle est ressortissante, telle qu’ils peuvent en avoir une connaissance objective issue notamment de la consultation du site du ministère chargé des affaires européennes et étrangères.
4o Exposé des motifs de départ du pays d’origine et présentation du parcours migratoire de la personne jusqu’à l’entrée sur le territoire français :
. le ou les évaluateurs recueillent auprès de la personne évaluée les motifs et la date de départ de son pays d’origine, ainsi que l’organisation et les modalités de financement de son parcours migratoire en précisant, le cas échéant, l’intervention de passeurs ;
. elle décrit son itinéraire entre le pays d’origine et le territoire français, en précisant la durée et les conditions du séjour dans chaque pays traversé, les démarches éventuellement engagées dans ces pays, et notamment sa prise en charge éventuelle par un service chargé de la protection de l’enfance.
5o Conditions de vie depuis l’arrivée en France :
. la personne évaluée précise la date et ses conditions d’entrée sur le territoire français, ses conditions de vie en France depuis son arrivée, et les conditions de son orientation vers le lieu de l’évaluation. Ces éléments sont complétés par les éléments recueillis dans le cadre de la mise à l’abri et communiqués à l’évaluateur ou aux évaluateurs.
6o Projet de la personne :
. afin de procéder à une orientation adaptée de la personne à l’issue de l’évaluation, le ou les évaluateurs recueillent son projet, notamment en termes de scolarité, de formation, d’insertion et de séjour ou d’asile ainsi que, lorsqu’un contact avec la famille a pu être établi, le projet parental.
Ces points sont abordés par le ou les évaluateurs dans l’ordre et selon le rythme qui leur semble le plus pertinent selon la situation de la personne évaluée. Ils peuvent les compléter par d’autres points en vue d’enrichir l’évaluation sociale. Toutefois, si la minorité et l’isolement de l’intéressé sont manifestes, le ou les évaluateurs en rendent compte sans délai au président du conseil départemental. Celui-ci apprécie l’opportunité de conclure l’évaluation sociale pour saisir sans délai l’autorité judiciaire aux fins d’assistance éducative. »
54. Cette évaluation peut s’appuyer sur les informations qui sont fournies, concernant l’authenticité des documents détenus par la personne, au président du conseil départemental par le préfet de département et, à Paris, par le préfet de police, sur des entretiens avec la personne et sur des examens radiologiques osseux réalisés dans les conditions prévues à l’article 388 du code civil (deuxième et sixième à huitième alinéas du II de l’article R. 221‑11 du CASF).
55. Au terme du délai de cinq jours, ou avant l’expiration de ce délai si l’évaluation a été conduite avant son terme, et sous réserve que la minorité de l’intéressé soit reconnue, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l’article L. 223-2 du CASF aux fins de placement provisoire et de saisine du juge des enfants (second alinéa de l’article 375-5 du code civil). En ce cas, l’accueil provisoire d’urgence se prolonge tant que n’intervient pas une décision de l’autorité judiciaire (premier alinéa du IV de l’article R. 221‑11 du CASF). En revanche, s’il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l’autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge et l’accueil provisoire prend fin (second alinéa du IV de l’article R. 221-11 du CASF).
56. La loi no 2022-140 du 7 février 2022 a créé un nouvel article L. 221‑2‑4 du CASF reprenant le dispositif d’accueil provisoire d’urgence et les modalités d’évaluation de l’âge de la personne, prévoyant un temps de répit pour les intéressés et soulignant que la majorité d’une personne se présentant comme mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ne peut être déduite de son seul refus opposé au recueil de ses empreintes, ni de la seule constatation qu’elle est déjà enregistrée dans certains traitements automatisés.
57. Dans leur version issue du décret no 2023-1240 du 22 décembre 2023, entré en vigueur le 25 décembre 2023, soit postérieurement aux faits du présent litige, les dispositions du I, du II et du III de l’article R. 221‑11 du CASF prévoient que l’accueil provisoire d’urgence peut être prolongé deux fois pour une même durée de cinq jours et que l’évaluation de la minorité et de l’isolement de la personne est effectuée à l’issue du temps de répit susmentionné au cours duquel les besoins en santé de la personne accueillie sont identifiés afin de l’orienter vers une prise en charge adaptée et au cours duquel elle est informée, dans une langue qu’elle comprend, des modalités et des enjeux attachés à l’évaluation.
2. Devant l’autorité judiciaire
58. En vertu du premier alinéa du IV de l’article R. 221-11 du CASF, dans sa version applicable au litige, devenu le premier alinéa du VI du même article depuis le 25 décembre 2023, si le président du conseil départemental conclut à la minorité et à l’isolement de la personne, il saisit le procureur de la République qui, après avoir pris une ordonnance de placement provisoire, saisira à son tour le juge des enfants (quatrième alinéa de l’article L. 223-2 du CASF et deuxième alinéa de l’article 375-5 du code civil, dans leur version applicable au litige). En vertu du 3o de l’article 375-3 du code civil, dans sa version applicable au litige, si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier à un service départemental de l’aide sociale à l’enfance. En vertu des dispositions du 3o de l’article L. 222-5 du CASF, dans sa version applicable au litige, le président du conseil départemental doit alors accueillir ce mineur.
2. Voies de recours à la disposition du mineur consécutivement au refus d’admission à l’aide sociale à l’enfance
59. Le second alinéa du IV de l’article R. 221-11 du CASF, dans sa version applicable au litige, devenu le second alinéa du VI du même article depuis le 25 décembre 2023, prévoit que si le président du conseil départemental estime que la situation de la personne ne justifie pas la saisine de l’autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision motivée de refus de prise en charge mentionnant les délais et modalités de mise en œuvre des voies de recours (article R. 223-2 du CASF, dans sa version applicable au litige). L’article 10 de l’arrêté du 20 novembre 2019 susmentionné (paragraphe 53 ci-dessus), dans sa version applicable au litige, reprend ces dispositions et précise que le président du conseil départemental informe la personne sur les droits reconnus aux personnes majeures notamment en matière d’hébergement d’urgence, d’aide médicale, de protection contre la traite des êtres humains, d’asile ou de séjour.
1. Devant le juge des enfants du tribunal judiciaire
60. En vertu du premier alinéa de l’article 375 du code civil, dans sa version applicable au litige, si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête du mineur lui-même.
61. Le juge des enfants est compétent, à charge d’appel, pour tout ce qui concerne l’assistance éducative (premier alinéa de l’article 375-1 du code civil, dans sa version applicable au litige). Depuis la loi no 2022-140 du 7 février 2022, cette même disposition précise que le juge des enfants doit systématiquement effectuer un entretien individuel avec l’enfant capable de discernement lors de son audience ou de son audition (cette obligation était déjà prévue, dans sa version applicable au litige, par l’article 1182 du code de procédure civile et par l’article 388-1 du code civil) et que, lorsque l’intérêt de l’enfant l’exige, le juge des enfants, d’office ou à la demande du président du conseil départemental, demande au bâtonnier la désignation d’un avocat pour l’enfant capable de discernement et la désignation d’un administrateur ad hoc pour l’enfant non capable de discernement (troisième et quatrième alinéas de l’article 375-1 du code civil). Les avocats peuvent être rémunérés à l’aide juridictionnelle.
62. Le juge des enfants peut également prendre une ordonnance de placement provisoire pendant l’instance principale dont il est saisi (premier alinéa de l’article 375-5 du code civil, dans sa version applicable au litige). Le procureur de la République peut aussi y procéder en cas d’urgence, à charge pour lui de saisir le juge compétent dans les huit jours, lequel réévaluera la mesure prise (deuxième alinéa de l’article 375-5 du code civil, dans sa version applicable au litige).
2. Devant le juge des référés des juridictions de l’ordre administratif
a) Les textes
63. Les articles L. 521‑2 et L. 523‑1 du code de justice administrative, relatifs au référé liberté, disposent que :
Article L. 521-2
« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
Article L. 523-1
« (...) Les décisions rendues en application de l’article L. 521-2 sont susceptibles d’appel devant le Conseil d’État dans les quinze jours de leur notification (...) »
b) La jurisprudence
64. La jurisprudence du Conseil d’État sur l’office du juge du référé liberté, dans le contentieux des mineurs non accompagnés, est bien établie.
65. Depuis une décision du 27 juillet 2016 (no 400055 – publiée au Recueil Lebon), le Conseil d’État reconnaît à ce juge, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA, la possibilité d’ordonner aux autorités publiques de prendre, à très bref délai, des mesures de sauvegarde dans le cadre de la protection des mineurs lorsqu’il constate qu’une carence caractérisée dans l’accomplissement de la mission du département relative à l’aide sociale à l’enfance entraîne des conséquences graves pour un mineur sans abri et en situation de danger mais confié à ce service par le juge des enfants et porte ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
66. Le Conseil d’État a également précisé l’office du juge des référés concernant la poursuite de l’accueil provisoire d’un mineur isolé (voir notamment l’ordonnance de référé no 440686 du 4 juin 2020) :
« 6. Il résulte de ces dispositions [articles 375, 375-3 et 375-4 du code civil et articles L. 221-1, L. 222-5, L. 223-2 et R. 221-11 du CASF] qu’il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants ou par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.
7. Il en résulte également que, lorsqu’il est saisi par un mineur d’une demande d’admission à l’aide sociale à l’enfance, le président du conseil départemental peut seulement, au-delà de la période provisoire de cinq jours prévue par l’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles, décider de saisir l’autorité judiciaire mais ne peut, en aucun cas, décider d’admettre le mineur à l’aide sociale à l’enfance sans que l’autorité judiciaire l’ait ordonné. L’article 375 du code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que soient prononcées, le cas échéant, les mesures d’assistance éducative que sa situation nécessite. Lorsque le département refuse de saisir l’autorité judiciaire à l’issue de l’évaluation mentionnée au point 4, au motif que l’intéressé n’aurait pas la qualité de mineur isolé, l’existence d’une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l’aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département.
8. Il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2, lorsqu’il lui apparaît que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire. »
3. Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge
67. L’article 388 du code civil dispose que :
« Le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de dix-huit ans accomplis.
Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé.
Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé.
En cas de doute sur la minorité de l’intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires. »
4. La représentation légale des mineurs non accompagnés
68. Un administrateur ad hoc peut être désigné dans les trois hypothèses suivantes pour un mineur non accompagné : d’une part, lorsqu’il se trouve en zone d’attente (article L. 221-5 du CESEDA dans sa version en vigueur à la date du litige, dispositions reprises à partir du 1er mai 2021 à l’article L. 343‑2 du même code), d’autre part, lorsque le mineur non-accompagné effectue une demande d’asile et qu’il ne bénéficie pas d’une tutelle départementale (article L. 741-3 du CESEDA dans sa version en vigueur à la date du litige, dispositions reprises à partir du 1er mai 2021 aux articles L. 521-9 à L. 521‑11 du même code), enfin, depuis le 9 février 2022, devant le juge des enfants lorsque l’enfant n’est pas capable de discernement (quatrième alinéa de l’article 375-1 du code civil).
69. Une fois la minorité et l’isolement d’une personne établis, il est nécessaire d’organiser la représentation légale du mineur qui ne découle pas des mesures d’assistance éducative ordonnées par le juge des enfants. La représentation légale est un attribut de l’autorité parentale laquelle peut être exercée dans le cadre d’une tutelle (article 390 du code civil) ouverte par le juge des affaires familiales ou d’une délégation de l’autorité parentale décidée par ce même juge (article 377 du code civil). Elle peut également être autorisée, à titre exceptionnel, pour des actes ponctuels, par le juge des enfants (deuxième alinéa de l’article 375-7 du code civil).
5. L’hébergement d’urgence
70. L’article L. 345-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoit que :
« Dans chaque département est mis en place, sous l’autorité du représentant de l’Etat, un dispositif de veille sociale chargé d’accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu’appelle leur état. Cette orientation est assurée par un service intégré d’accueil et d’orientation, dans les conditions définies par la convention conclue avec le représentant de l’Etat dans le département prévue à l’article L. 345-2-4. / Ce dispositif fonctionne sans interruption et peut être saisi par toute personne, organisme ou collectivité. »
71. Les deux premiers alinéas de l’article L. 345-2-2 du CASF disposent que :
« Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. / Cet hébergement d’urgence doit lui permettre, dans des conditions d’accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l’hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d’hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d’être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l’aide justifiée par son état, notamment un centre d’hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier. / L’hébergement d’urgence prend en compte, de la manière la plus adaptée possible, les besoins de la personne accueillie, notamment lorsque celle-ci est accompagnée par un animal de compagnie. »
72. Le Conseil d’État a par ailleurs précisé le champ d’application de ce dispositif d’hébergement, dans une décision du 13 juillet 2016, no 399829 :
« 6. Considérant qu’il appartient aux autorités de l’État (...) de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale ; qu’une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée ; qu’il incombe au juge des référés d’apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée ; que, les ressortissants étrangers qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d’asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l’article L. 743-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’ayant pas vocation à bénéficier du dispositif d’hébergement d’urgence, une carence constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l’issue de la période strictement nécessaire à la mise en œuvre de leur départ volontaire, qu’en cas de circonstances exceptionnelles (...) »
6. Statistiques et mesures d’exécution prises par le gouvernement français à la suite de l’arrêt de la Cour Khan c. France (no 12267/16, 28 février 2019)
73. Dans le cadre d’un bilan d’action présenté consécutivement à l’arrêt de la Cour Khan précité, le Gouvernement français a fait état des chiffres suivants :
« Le nombre des MNA [mineurs non-accompagnés] a fortement augmenté depuis dix ans en France. Ainsi, le nombre de MNA orientés par décision judiciaire vers les services des conseils départementaux était de 5 990 en 2015, 8 054 en 2016 (soit une augmentation de 34 %), 14 908 en 2017 (soit une augmentation de 85 %) et 17 022 en 2018 (soit une augmentation de 14 %). Il a été en très légère baisse en 2019, année au titre de laquelle 16 760 d’entre eux ont été orientés, puis 9 524 en 2020. Cependant ces chiffres sont à prendre avec précaution en raison de la crise sanitaire mondiale liée à la Covid-19, qui a entraîné des restrictions de déplacement et la fermeture des frontières. Ce nombre a recommencé à croître pour atteindre 11 315 MNA reconnus comme tels par l’autorité judiciaire au cours de l’année 2021, soit une augmentation de 18,8% par rapport à l’année précédente. Cette augmentation s’est confirmée en 2022. En effet, durant cette année, 14 782 jeunes ont été reconnus MNA par l’autorité judiciaire. En 2023, le nombre de MNA confiés aux départements par décisions judiciaires était de 19 370, soit une augmentation de 31 % par rapport à l’année 2022. Il s’agit du chiffre le plus élevé depuis la création de la cellule nationale MNA. (...)
Au niveau national, au regard des données de l’agence de service et de paiement (ci-après, « ASP »), pour l’année 2019, 36 911 personnes ont fait l’objet d’une mise à l’abri par les conseils départementaux dans le cadre du dispositif d’évaluation de la minorité et de l’isolement, pour un total de 589 130 nuitées, soit une moyenne de 16 nuitées par personne. Pour 2020, ce nombre s’élève à 494 511 nuitées pour 26 911 personnes mises à l’abri, soit une moyenne de 18,4 nuitées par personne. Pour 2021, 39 074 personnes ont fait l’objet d’une mise à l’abri par les conseils départementaux dans le cadre de ce dispositif, pour un total de 523 805 nuitées, soit un total de 13,4 nuitées. Pour 2022, 40 145 personnes mises à l’abri pour un total de 646 438 nuitées, soit une moyenne de 16 nuitées par personne. Les données sur 2023 ne sont pas encore exhaustives. »
74. Le Gouvernement a également présenté différentes actions parmi lesquelles se trouvent la rédaction et la diffusion de guides à destination des professionnels accueillant les individus se disant mineurs non accompagnés :
« Le ministère des Solidarités et de la Santé a (...) publié en 2019 un guide des bonnes pratiques en matière d’évaluation de la minorité et de l’isolement. Ce guide porte, en particulier, sur la connaissance des enjeux de la prise en charge spécifique des MNA, le parcours migratoire et les traumatismes des MNA, la législation appliquée au statut de mineur et de jeune majeur non accompagné, l’éthique et la prévention des risques socio-professionnels, et à la sensibilisation des évaluateurs et professionnels à la traite des êtres humains et à l’identification de potentielles victimes.
Le 30 novembre 2022, le Ministère des solidarités et de la santé a publié un guide de bonnes pratiques pour appuyer les acteurs de terrain dans la réalisation de l’évaluation des besoins en santé des personnes se présentant comme MNA, en se concentrant sur la période d’évaluation de la minorité et de l’isolement, au cours de la période de mise à l’abri. (...) Ce guide s’adresse aux professionnels de l’ASE et de la protection judiciaire de la jeunesse, aux professionnels de santé et aux professionnels mettant en œuvre les accueils de jour et mises à l’abri. Il s’adresse également aux services départementaux de l’ASE, responsables de la mise en œuvre des procédures et accompagnements des personnes se présentant comme MNA, et aux services chargés de l’évaluation de la minorité et de l’isolement. (...) Le guide précise également les modalités organisationnelles de cette évaluation et les règles relatives au consentement du jeune et au partage d’informations entre les différents intervenants. »
75. Le Gouvernement a également souligné la mise en œuvre d’un plan d’action :
« Un plan d’action stratégique pour la prise en charge des mineurs non accompagnés est actuellement en cours d’élaboration par le Ministère de la justice. Le déploiement de la stratégie nationale relative à l’évaluation et la prise en charge des MNA fait partie des actions à conduire dans le cadre de l’objectif stratégique 2.4 « assurer un accompagnement renforcé et coordonné pour les publics priorisés et particulièrement vulnérables » du Plan stratégique national 2023-2027 élaboré par la PJJ. Ce plan d’action vise notamment à renforcer la représentation légale, en enserrant notamment le prononcé de la tutelle par le juge aux affaires familiales dans des délais fixes et en précisant de façon explicite le cas de l’absence des titulaires de l’autorité parentale comme motif d’ouverture de la tutelle, puisque certains juges aux affaires familiales n’ouvrent pas de mesure de tutelle pour les MNA, au motif qu’ils ont toujours des parents vivants à l’étranger. »
2. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX
1. Nations unies
1. Convention des droits de l’enfant des Nations unies du 20 novembre 1989
76. Il est renvoyé au paragraphe 57 de l’arrêt Darboe et Camara c. Italie (no 5797/17, 21 juillet 2022) concernant les dispositions pertinentes de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant.
2. Comité des droits de l’enfant des Nations unies
77. En ce qui concerne les décisions du Comité des droits de l’enfant des Nations unies ainsi que les observations générales de ce Comité, il est renvoyé aux paragraphes 58 à 63 de l’arrêt Darboe et Camara précité.
78. Par ailleurs, le Comité des droits de l’enfant a été saisi par deux ressortissants pakistanais se disant mineurs à leur arrivée en France. Il a alors adopté les constatations suivantes concernant, le 25 janvier 2023, la communication no 130/2020 et, le 21 mai 2024, la communication no 132/2020[1].
79. Au stade de l’examen de la recevabilité de ces communications, le Comité a conclu que l’exception d’irrecevabilité présentée par l’État partie tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes ne pouvait être retenue dès lors que « compte tenu des délais déraisonnables pour statuer sur les recours de la part des autorités judiciaires de l’État partie (...), du caractère non suspensif de la procédure de recours et du manque d’adoption de mesures provisoires de protection en faveur de l’auteur pendant l’examen de sa demande, (...) la procédure de recours de l’État partie concernant la procédure de détermination de l’âge de l’auteur et sa demande de protection ne pouvait être considérée comme utile au sens de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif ».
80. Examinant ces communications au fond, le Comité a affirmé que :
« Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’un jeune qui affirme être mineur revêt une importance capitale puisque le résultat de cette procédure détermine si l’intéressé peut prétendre à la protection de l’État en sa qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits énoncés dans la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif que la détermination de l’âge repose sur une procédure régulière et que les décisions en résultant soient susceptibles de recours. Tant que la procédure de détermination de l’âge est en cours, l’intéressé doit avoir le bénéfice du doute et être traité comme un enfant. Par conséquent, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge. »[2]
« (...) Le Comité rappelle que les documents d’identité disponibles devraient être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire. Le Comité rappelle que la charge de la preuve n’incombe pas exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie ne jouissent pas du même accès aux éléments de preuve et que, souvent, l’État partie est le seul à disposer des informations pertinentes (...). Le Comité rappelle que les États parties ne sauraient agir dans un sens contraire à ce qu’établit un document d’identité original et officiel délivré par un pays souverain sans avoir officiellement contesté sa validité. »[3]
« Le Comité rappelle que ce n’est qu’en l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés, ce qui n’est pas le cas dans la présente communication, que « [p]our obtenir une estimation éclairée de l’âge, les États devraient procéder à une évaluation complète du développement physique et psychologique de l’enfant, qui soit effectuée par des pédiatres et d’autres professionnels capables de combiner différents aspects du développement. Ces évaluations devraient être faites sans attendre, d’une manière respectueuse de l’enfant qui tienne compte de son sexe et soit culturellement adaptée, comporter des entretiens avec l’enfant, dans une langue que l’enfant comprend (...) ». La personne évaluée devrait avoir le bénéfice du doute. Le Comité rappelle également son observation générale no 6 (2005) selon laquelle la détermination de l’âge ne devrait pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu, mais aussi sur son degré de maturité psychologique, devrait être menée scientifiquement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut d’enfant et à son sexe et équitablement et, en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé − qu’il convient de traiter comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur. »[4]
« (...) le Comité rappelle que, dans le contexte de l’évaluation de l’intérêt supérieur et dans le cadre des procédures de détermination de l’intérêt supérieur, le droit de faire appel de la décision devant une juridiction supérieure ou une autorité indépendante, avec effet suspensif, doit être garanti aux enfants. »[5]
« (...) le Comité rappelle que les États parties sont tenus d’assurer à tous les jeunes étrangers qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur le territoire, l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié et, le cas échéant, d’un interprète. Le Comité considère que le fait d’assurer la représentation de ces jeunes au cours de la procédure de détermination de l’âge constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendu. »[6]
81. Le Comité a conclu à un constat de violation des articles 3 (intérêt supérieur de l’enfant) et 12 (opinion de l’enfant) de la Convention internationale des droits de l’enfant dans les deux communications. À titre d’exemple, la violation était fondée sur les motifs suivants dans la constatation 130/2020 :
« Le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a affirmé être mineur et a présenté des preuves à l’appui de ses dires, n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection des droits qu’il tient de la Convention. En l’espèce, compte tenu en particulier des faits suivants : a) l’évaluation initiale conduite pour déterminer l’âge de l’auteur a été sommaire ; b) l’auteur n’était pas accompagné d’un représentant pendant la procédure administrative, ni d’un traducteur en sa langue maternelle ; c) les recours n’étaient pas suspensifs ; et d) les documents qu’il a présentés ont été jugés sans valeur probante sans que l’État partie ait procédé à un examen en bonne et due forme des informations qu’ils contenaient, ni, s’il doutait de leur validité, qu’il en demande confirmation aux autorités consulaires du Pakistan en France, et ce jusqu’à la décision de la cour d’appel, soit presqu’un an et demi après l’arrivée de l’auteur en France, celui-ci étant entre-temps devenu majeur, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale dans la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’auteur a été soumis, en violation des articles 3 et 12 de la Convention. »[7]
82. Le Comité a en outre reconnu une violation des articles 20 (par. 1) (protection de l’enfant privé de son milieu familial) et 37 (al. a) (interdiction des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants). À titre d’exemple, la violation était fondée sur les motifs suivants dans la constatation 130/2020 :
« Le Comité prend également note des affirmations de l’auteur selon lesquelles les autorités de l’État partie ne l’ont pas protégé, en dépit de la situation d’abandon et de grande vulnérabilité dans laquelle il se trouvait dans le contexte de la pandémie de COVID-19, en violation de l’article 20 (par. 1) de la Convention. Le Comité considère que les allégations de l’auteur à cet égard soulèvent en substance également une violation de l’article 37 (al. a)) de la Convention. Le Comité note en particulier que l’auteur a été en situation de rue depuis son arrivée en France, le 25 août 2019, jusqu’à son dix-huitième anniversaire, le 31 décembre 2020, et qu’il n’a bénéficié ni d’un accueil provisoire d’urgence, en conformité avec la législation, ni d’aucune mesure de protection, ni d’une assistance éducative. Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a déclaré à la cour d’appel qu’il habitait avec un ami et qu’il n’a jamais explicitement demandé de mesures provisoires dans l’attente d’une décision judiciaire. Cependant, le Comité note les requêtes répétées du conseil de l’auteur auprès des autorités judiciaires faisant état de la situation de précarité et d’indignité dans laquelle se trouvait l’auteur et demandant son placement auprès de l’aide sociale à l’enfance. Le Comité note également que le Défenseur des droits a constaté que, dans les faits, des individus se déclarant mineurs et produisant une preuve de leur minorité ne bénéficient pas de la présomption de minorité et donc d’une protection, alors que le processus de détermination de l’âge ne s’est pas achevé par une décision juridictionnelle définitive. Le Comité rappelle que les États parties sont obligés d’assurer la protection de tous les enfants migrants privés de leur milieu familial en leur garantissant, entre autres, l’accès aux services sociaux, à l’éducation et à un logement adéquat, et d’accorder le bénéfice du doute à tous les jeunes migrants qui affirment être des enfants, pendant la procédure de détermination de leur âge, et de les traiter comme des enfants. Le Comité considère, en tout cas, que les enfants ne doivent pas être tenus de demander explicitement des mesures provisoires de protection pendant la procédure de détermination de leur âge puisqu’il s’agit d’une obligation ex officio des États parties compte tenu de la vulnérabilité particulière des enfants migrants non accompagnés. En conséquence, le Comité considère que ces faits constituent une violation des articles 20 (par. 1) et 37 (al. a)) de la Convention. »[8]
3. Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 45/158 du 18 décembre 1990
83. Il est renvoyé aux paragraphes 64 et 65 de l’arrêt Darboe et Camara précité concernant les observations générales conjointes no 3 (2017) et no 4 (2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 22 (2017) du Comité des droits de l’enfant sur les principes généraux relatifs aux droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales.
2. Conseil de l’Europe
1. Comité des ministres
84. En ce qui concerne les dispositions pertinentes de la Recommandation CM/Rec(2019)11 du Comité des Ministres intitulée « Un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration », il est renvoyé au paragraphe 66 de l’arrêt Darboe et Camara précité.
85. Le comité des ministres a également formulé une nouvelle Recommandation CM/Rec(2022)22 aux États membres, adoptée le 14 décembre 2022, relative aux principes des droits de l’homme et lignes directrices en matière d’évaluation de l’âge dans le contexte de la migration. Il est ainsi « recommandé aux gouvernements des États membres de prendre ou de renforcer, dans leur législation ou dans leur pratique, toutes les mesures qu’ils jugent nécessaires en vue de mettre en œuvre les principes et les lignes directrices suivants:
1. en matière d’évaluation de l’âge dans le contexte de la migration, le principe fondamental qui sous-tend tous les autres principes est le respect de la dignité de chaque enfant en tant qu’être humain et titulaire de droits. Les lois, les procédures et les pratiques relatives à l’évaluation de l’âge devraient se fonder sur le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales des enfants;
2. les États devraient veiller à ce que les personnes soumises à une procédure d’évaluation de l’âge soient présumées mineures tant que cette procédure n’indique pas le contraire;
3. les États devraient disposer d’un processus d’évaluation de l’âge clairement établi, qui obéisse à une approche pluridisciplinaire combinant des connaissances, des méthodes et des pratiques fondées sur des preuves, et qui soit centré sur l’enfant;
4. un examen médical visant à évaluer l’âge ne devrait être pratiqué que si des doutes raisonnables subsistent quant à l’âge estimé de la personne une fois que les autres mesures de l’approche pluridisciplinaire ont été exploités, avec le consentement éclairé de la personne et dans le respect des principes de la proportionnalité et de l’intérêt supérieur de l’enfant;
5. un cadre clair réglementant l’orientation vers une procédure d’évaluation de l’âge, la mise en œuvre du processus et de la procédure d’évaluation de l’âge ainsi que le processus de prise de décisions devraient être en place, complétés si nécessaire par des instructions et des consignes supplémentaires;
6. l’évaluation de l’âge devrait être réalisée par des professionnels désignés, conformément aux obligations et aux normes professionnelles pertinentes, et une formation professionnelle adéquate devrait être assurée à toutes les personnes responsables de l’évaluation de l’âge et des procédures afférentes;
7. la décision sur l’évaluation de l’âge résultant de la procédure pluridisciplinaire devrait être notifiée à la personne, d’une manière adaptée aux enfants et, le cas échéant, au parent, tuteur ou représentant légal, et contenir des informations sur les motifs juridiques et factuels de la décision, éléments probants à l’appui, et des informations sur les voies de recours effectives. La décision devrait pouvoir faire l’objet d’un réexamen ou d’un recours devant une autorité indépendante;
8. le droit de l’enfant à la vie privée et familiale devrait être garanti dans le cadre du traitement des données à caractère personnel aux fins de l’évaluation de l’âge;
9. les États sont encouragés à promouvoir la recherche, les échanges de bonnes pratiques et la coopération afin de garantir des procédures d’évaluation de l’âge respectueuses des droits de l’homme; ».
86. Concernant en particulier la présomption de minorité rappelée au point 2 de la Recommandation, il est précisé dans l’annexe à cette dernière :
« 22. En application de la présomption de minorité, les États devraient traiter la personne comme s’il s’agissait d’un enfant et garantir ses droits dès l’orientation vers une procédure d’évaluation de l’âge et pendant toute la durée de la procédure, et s’assurer que la personne est orientée sans retard ni discrimination vers des services adéquats de protection de l’enfance et qu’elle y a effectivement accès.
(...)
Bénéfice du doute
24. Si un doute raisonnable subsiste à l’issue de la procédure d’évaluation de l’âge, la personne devrait être considérée comme un enfant.
25. La marge d’erreur applicable à chaque élément de la procédure d’évaluation de l’âge devrait être enregistrée et chaque élément devrait être dûment pondéré en fonction de la validité scientifique des résultats. La marge d’erreur devrait bénéficier à l’enfant. »
2. Plan d’action du Conseil de l’Europe sur la protection des personnes vulnérables dans le contexte des migrations et de l’asile en Europe (2021-2025)
87. Ce plan prévoit notamment l’action suivante, concernant les procédures d’évaluation de l’âge des mineurs :
Pilier 1 – Assurer la protection et promouvoir les garanties en identifiant et en réduisant la vulnérabilité (droits de l’homme)
1.1. Promouvoir des procédures efficaces de détection de la vulnérabilité et les garanties qui en découlent
Élaborer un projet de mémorandum explicatif et compléter les lignes directrices relatives aux principes des droits de l’homme ainsi que celles relatives à l’évaluation de l’âge des mineurs, et mettre au point une action ciblée sur les garanties dans les procédures d’évaluation de l’âge, y inclus une formation pour les professionnels concernés.
3. Autres instruments du Conseil de l’Europe
88. Il est renvoyé aux paragraphes 67 à 74 de l’arrêt Darboe et Camara précité concernant les nombreuses résolutions et recommandations formulées entre 2011 et 2022 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relativement aux enfants migrants non accompagnés, le document thématique du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe de février 2017, le rapport thématique sur les enfants migrants et réfugiés préparé par le Représentant spécial du Secrétaire Général sur les migrations et les réfugiés du 10 mars 2017, la décision Eurocef du 15 juin 2018, les conclusions de 2019 du Comité européen des droits sociaux, les rapports du GRETA des 22 septembre 2014, 30 janvier 2017 et 25 janvier 2019, la stratégie du Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant pour 2016-2021 de mars 2016 et d’autres instruments du Conseil de l’Europe.
3. Le droit de l’Union européenne
89. Concernant le droit de l’Union européenne, il est renvoyé à la Résolution du Conseil de l’Union européenne du 26 juin 1997 relative aux mineurs non accompagnés ressortissants de pays tiers présentée au paragraphe 79 de l’arrêt Darboe et Camara précité.
90. Il est également renvoyé au plan d’action pour les mineurs non accompagnés (2010-2014) de l’Union européenne, résumé aux paragraphes 80 à 82 de l’arrêt Darboe et Camara précité.
EN DROIT
1. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
1. Sur la qualité pour agir du requérant
91. La Cour a déjà examiné des affaires dans lesquelles un mandat de représentation avait été remis par un requérant mineur (Rahimi c. Grèce, no 8687/08, 5 avril 2011) ou par un requérant dont l’âge n’avait pas pu être déterminé avec certitude (Ahmade c. Grèce, no 50520/09, 25 septembre 2012 et, Darboe et Camara, précité, §§ 99-103).
92. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de cette approche en l’espèce et reconnaît la qualité pour agir devant elle du requérant.
2. Sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes
93. Le Gouvernement soutient que la requête est irrecevable au motif que le requérant n’a pas satisfait à l’obligation d’épuisement des voies de recours internes.
94. Il souligne, en premier lieu, que, le 30 mars 2020, date de sa demande de mesures provisoires et date d’introduction de sa requête, il n’avait ni fait appel devant le Conseil d’État de l’ordonnance du 27 mars 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Limoges, celui-ci n’ayant été présenté que le 1er avril 2020, ni fait appel du jugement de non-lieu à assistance éducative du juge des enfants du 1er juillet 2020, cette requête en appel n’intervenant que le 10 juillet 2020, ni saisi le tribunal administratif de Limoges d’une demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision d’interruption de prise en charge et d’hébergement prise par le président du conseil départemental de la Haute-Vienne, cette requête n’ayant introduite que le 1er avril 2020, ni saisi le tribunal administratif de Limoges d’une requête en référé provision cette saisine n’intervenant que le 29 janvier 2021 ni, enfin, saisi le tribunal administratif de Limoges d’une demande indemnitaire, cette requête n’ayant été présentée que le 2 juin 2021.
95. En second lieu, répondant à l’argument tiré du défaut de caractère suspensif, et, par suite, effectif, des recours à la disposition du requérant, le Gouvernement fait valoir que lorsqu’elle est saisie d’un grief relatif à l’article 8 de la Convention, la Cour n’exige pas de recours suspensif. Par ailleurs, il souligne que, dans le cadre d’un grief soulevé sous l’angle de l’article 3 de la Convention, la Cour n’exige un tel recours que pour les décisions d’éloignement du territoire. Il considère que cette exception doit être d’interprétation stricte. Il en conclut que concernant un grief relatif à une violation de l’article 3 de la Convention tiré d’un défaut de prise en charge et d’hébergement, la condition tenant à l’existence d’un recours effectif n’exige pas que l’intéressé dispose d’un recours de plein droit suspensif. Il rappelle que si aucun des recours offerts par le droit interne ne répond, à lui seul, aux exigences de l’article 13 de la Convention, l’ensemble des recours de droit interne peut y répondre. Il souligne que l’organisation des voies de recours internes relève de la marge d’appréciation des États. Il mentionne enfin que l’obligation pour le requérant d’épuiser les voies de recours internes s’apprécie à la date de la demande de mesures provisoires, le cas échéant, ou en l’absence d’une telle demande, à la date d’introduction de la requête devant la Cour.
96. Le Gouvernement souligne que, dans l’affaire S.M.K. c. France ((déc.)[cté], no14356/19, § 27, 3 février 2022), la Cour a considéré, en cas de défaut de prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance, que tant la saisine du juge des enfants d’une demande de protection fondée sur les articles 375 et suivants du code civil que la saisine du juge des référés du tribunal administratif d’une requête en référé liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA constituaient des recours effectifs pour que le requérant puisse formuler son grief tiré de la méconnaissance des articles 3 et 8 de la Convention.
97. Il ajoute que la voie de recours en appel contre la décision du juge des enfants doit en l’espèce être regardée comme effective puisqu’elle a conduit à donner gain de cause au requérant.
98. Le Gouvernement souligne par ailleurs, concernant les éléments concrets qui auraient, selon le requérant, fait obstacle à l’épuisement des voies de recours internes, d’une part, que la légalisation de ses actes d’état civil n’était pas aussi difficile à obtenir qu’il le prétend, et, d’autre part, que les allégations de l’intéressé selon lesquelles le juge des enfants n’ordonne jamais de placement provisoire lorsque la minorité d’une personne est contestée n’est aucunement étayée. Le Gouvernement conteste enfin fermement les allégations du requérant relatives à des taux d’annulation variables selon les juridictions ou les magistrats et rappelle que la juridiction administrative est indépendante de l’exécutif. Il conteste les données produites par le requérant à cet égard et qualifie les allégations de l’intéressé relatives au tribunal administratif de Limoges de diffamatoires et celles relatives au président de ce tribunal de calomnieuses.
99. Le requérant n’a pas répliqué expressément à cette exception d’irrecevabilité mais a produit des commentaires au fond, en ce qui concerne notamment le caractère effectif des recours à sa disposition.
100. Rappelant qu’elle tolère que le dernier échelon des recours internes soit atteint après le dépôt de la requête, mais avant qu’elle ne soit appelée à se prononcer sur la recevabilité de celle-ci (Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 90, 19 décembre 2018), la Cour considère, en tout état de cause, qu’en l’espèce, la question soulevée par l’exception invoquée par le Gouvernement est étroitement liée à celles qu’elle devra aborder lors de l’examen du bien-fondé des griefs que le requérant a formulés sur le terrain des articles 8 et 13 combiné à l’article 8. Il convient dès lors de joindre cette question à l’examen du fond de ces griefs (Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 111, CEDH 2012).
3. Sur l’étendue du litige
101. Le Gouvernement considère que le requérant, dans ses écritures relatives aux demandes de satisfaction équitable, se plaint de la nature du titre de séjour qui lui a été délivré. Il soutient qu’il s’agirait d’un nouveau grief relatif à la précarité de sa situation administrative, soulevé trois ans et demi après l’introduction de sa requête, qui ne serait en tout état de cause pas fondé. Il demande à ce qu’il soit déclaré irrecevable en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
102. La Cour considère qu’à supposer que le requérant ait entendu présenter un nouveau grief au stade de ses demandes de satisfaction équitable, celui-ci ne se rattache pas directement aux griefs initialement soulevés devant elle dans le cadre de la présente requête. En conséquence, et en tout état de cause, elle ne saurait étendre son contrôle à ce grief.
2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DEs ARTICLES 3 et 13 combiné à l’article 3 DE LA CONVENTION
103. Le requérant se plaint, d’une part, de ses conditions de vie lors de la période pendant laquelle il n’a pas été pris en charge par les autorités internes avant sa majorité, et, d’autre part, de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour formuler ses griefs sur le terrain de l’article 3 de la Convention. Il invoque les articles 3 de la Convention et 13, combiné à 3, aux termes desquels :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
et
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
1. Arguments des parties
1. Le requérant
104. Le requérant décrit ses conditions de vie lors de la période pendant laquelle il n’a pas été pris en charge avant sa majorité de la manière suivante.
105. Il affirme avoir été mis à l’abri antérieurement à l’évaluation de son âge, jusqu’au 9 mars 2020, date à laquelle il fut expulsé, sans préavis, de sa chambre d’hôtel.
106. Il indique avoir été abordé vers le 20 mars 2020 par un adulte d’origine guinéenne qui aurait remarqué son état de détresse et l’aurait orienté vers des travailleurs sociaux, le service de l’hébergement d’urgence et un avocat. Il décrit les obstacles liés à l’impossibilité de se rendre dans des services publics ou associations durant la crise sanitaire (paragraphes 15 et 21 ci-dessus). Il dit avoir eu des difficultés à lire le français et à envoyer les documents demandés par ses interlocuteurs, n’ayant été scolarisé que de 7 à 14 ans.
107. Il mentionne avoir dû passer des jours à la rue et souligne notamment que la température à Limoges la nuit du 27 mars 2020 était de 1 degré. Il fait valoir qu’alors qu’il était hébergé en hôtel, à la suite de l’indication de la mesure provisoire par la Cour, les bons alimentaires qui lui étaient fournis n’étaient valables que dans une structure située à une dizaine de kilomètres dans un contexte de crise sanitaire où les déplacements à une telle distance étaient interdits (paragraphe 21 ci-dessus).
108. Il dit avoir souvent erré, sans ressources, sans relations, contacts ni nourriture. Il indique avoir été livré à lui-même, avoir dormi dans des gares, dans des parcs ou lieux de regroupement précaires. Il explique avoir quitté la ville de Limoges en l’absence de prise en charge envisageable (paragraphe 26 ci-dessus), et, après être passé de squat en squat, avoir été expulsé de l’un d’eux, où il vivait avec d’autres personnes sans domicile fixe dans des conditions indignes (paragraphe 30 ci-dessus). Il dit également avoir été dépendant de l’aide matérielle de bénévoles s’agissant d’hébergements ponctuels ou d’aide administrative (paragraphes 21, 26 et 30 ci-dessus).
109. Il déplore ne pas avoir été protégé, ni contre le risque de contamination, ni contre les risques de prostitution, de mauvaises rencontres ou de violence.
110. Le requérant soutient en outre que le Gouvernement ne peut sérieusement soutenir qu’il aurait pu saisir les services de l’hébergement d’urgence dans la mesure où les appels à ce service n’aboutissent pas, en raison, d’une part, du refus d’y accueillir des mineurs, et, d’autre part, de leur saturation. Il produit deux attestations en ce sens émanant d’associations.
111. Il fait enfin valoir qu’aucun recours effectif n’était à sa disposition en droit français pour se plaindre de ces faits qu’il considère comme étant constitutifs de traitements contraires à l’article 3 de la Convention.
2. Le Gouvernement
112. Le Gouvernement soutient que le requérant, qui ne produit aucun élément concret au soutien de ses allégations, ne peut être regardé comme ayant été dans une situation de dénuement matériel telle que le seuil requis par l’article 3 de la Convention serait atteint.
113. Il rappelle que l’intéressé, ayant affirmé être mineur à son arrivée en France a été présenté à l’aide sociale à l’enfance et fut pris en charge dans l’attente de la décision du département. Il insiste sur le fait que les autorités internes ont mis en œuvre à l’égard de l’intéressé toutes les mesures qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles.
114. Le Gouvernement poursuit en relevant que, contrairement à ce qu’il soutient, le requérant a été pris en charge dans le cadre de l’hébergement d’urgence prévu par l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles à partir du 1er avril 2021. Il ajoute que, postérieurement au 9 mars 2020, il n’a entrepris aucune démarche pour bénéficier de ce dispositif, ni, a fortiori, n’a fait valoir ses droits devant la juridiction administrative. Il affirme que l’attestation qu’il produit pour établir la saturation du dispositif ne le concerne pas et qu’il ne saurait utilement se prévaloir d’un risque d’éloignement pour justifier ne pas avoir pris contact avec ces services.
2. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
115. La Cour a dit à de nombreuses reprises que pour tomber sous le coup de l’interdiction contenue à l’article 3 de la Convention, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des circonstances de l’espèce, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (M.S.S. c. Belgique et Grèce précité, § 219, Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, § 114, 17 juillet 2014, et Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 94, CEDH 2014 (extraits)).
116. Il convient également de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 55, CEDH 2006-XI, et Darboe et Camara, précité, § 173).
117. La Cour souligne enfin que l’article 13 n’est applicable que si le requérant peut prétendre « de manière défendable » avoir été victime d’une violation d’un autre droit prévu par la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 52, série A no 131).
2. Application au cas d’espèce
118. La Cour note que les deux parties s’accordent sur le fait, d’une part, que le requérant a été pris en charge à son arrivée en France dans le cadre de l’accueil provisoire d’urgence jusqu’au 9 mars 2020, d’autre part, qu’à la suite de l’indication d’une mesure provisoire par la Cour, le 31 mars 2020, il a été mis à l’abri dans le cadre de l’hébergement d’urgence à partir du 1er avril 2020, et, enfin, qu’il a été confié à l’aide sociale à l’enfance à compter de l’arrêt de la cour d’appel de Limoges reconnaissant sa minorité, le 21 janvier 2021.
119. La Cour relève que, bien qu’assisté par un professionnel du droit, le requérant se borne à des allégations générales et n’apporte que peu de précisions factuelles, corroborées par les éléments probants dont il pourrait disposer, relatives à ses conditions de vie concrètes au cours de la période pendant laquelle il ne fut pas pris en charge par les autorités internes. Elle considère qu’il fait valoir, de manière trop peu circonstanciée, s’être trouvé dans un grand dénuement sans fournir d’informations suffisamment précises ou étayées, pour l’ensemble de la période, sur la façon dont il a pu se nourrir, se laver, et éventuellement être hébergé ou se soigner (voir, pour des exemples récents, M.D. c. France, no 50376/13, §§ 108-110, 10 octobre 2019, et, S.M.K. c. France, précité, § 21) alors au demeurant qu’il fut hébergé en application de la mesure provisoire au-delà de la durée de cette dernière (paragraphe 28 ci-dessus), laquelle devait prendre fin à l’issue du confinement (paragraphe 19 ci-dessus).
120. La Cour rappelle que pour considérer atteint le seuil de gravité inhérent à l’article 3 de la Convention, et caractériser la circonstance, particulièrement grave, que l’action de l’État défendeur, ou son inaction, aurait engendré, pour le requérant, un traitement inhumain et dégradant, elle doit s’appuyer sur des éléments factuels suffisamment solides. Elle considère, sans faire peser exclusivement la charge de la preuve sur le requérant, mais en soulignant qu’il est assisté d’un avocat devant la Cour à un tel stade de la procédure, qu’elle ne saurait inférer une telle violation en présumant une succession probable de faits. Elle ne saurait pas plus l’induire de l’extrême vulnérabilité qu’elle reconnaît au mineur non accompagné, laquelle ne peut pallier, à elle seule, les carences constatées dans l’établissement des faits.
121. Dans ces conditions et tout en reconnaissant les difficultés auxquelles le requérant a été confronté, la Cour considère, au vu des seuls éléments présentés devant elle, que le seuil de gravité exigé pour caractériser l’existence d’un traitement contraire à l’article 3 de la Convention ne saurait être regardé comme atteint.
122. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
123. Le grief relatif à l’article 3 de la Convention ne pouvant en l’espèce passer pour défendable, la Cour en déduit que le grief tiré de la méconnaissance de l’article 13, combiné à l’article 3, est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et qu’il doit en conséquence être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
124. Le requérant soutient que l’absence de protection ayant découlé du refus des autorités internes de lui reconnaître la qualité de mineur non accompagné doit s’analyser en une violation de son droit au respect de la vie privée. Il invoque l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1. Arguments des parties
1. Le requérant
125. Le requérant soutient, en premier lieu, qu’il n’a pas été mis en mesure de faire valoir sa minorité devant les autorités internes.
126. Tout d’abord, il déplore qu’il ait été mis fin à sa prise en charge en pleine crise sanitaire dans des circonstances ne lui permettant pas de démontrer qu’il était mineur, étant alors sans ressources et sans contact sur le territoire français, n’étant pas hébergé ni ne pouvant se nourrir correctement.
127. Ensuite, il fait valoir qu’il n’avait pas connaissance de la circonstance que son état civil était contesté et souligne qu’en raison de la crise sanitaire, il lui était concrètement impossible de se rendre au consulat de Guinée à Paris, fermé, pour y obtenir l’authentification de son acte d’état civil ou la délivrance de documents attestant de cet état civil.
128. Enfin, il se plaint des inexactitudes ou imprécisions commises par le président du conseil départemental de la Haute-Vienne concernant les voies et délais de recours indiquées dans la décision de refus de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance.
129. Le requérant critique, en second lieu, les modalités de preuve auxquelles l’établissement de sa minorité a été soumis.
130. Tout d’abord, il souligne avoir constamment soutenu être né le 26 avril 2004 bien que les autorités françaises aient retenu, de manière erronée, la date du 26 avril 2003.
131. Ensuite, il se plaint de la circonstance que l’évaluation de son âge ait été réalisée au terme d’un entretien sommaire par un agent ayant conclu que « la minorité n’[était] pas garantie ». Il déplore de manière plus générale le caractère stéréotypé des rapports d’évaluation du conseil départemental de la Haute-Vienne et des décisions de refus de prise en charge.
132. Par ailleurs, il se plaint des exigences requises en matière de légalisation des actes d’état civil par les autorités internes, qui ne sont, selon lui, pas conformes à l’état du droit en vigueur. Il conteste les conclusions du rapport documentaire de la police aux frontières rendues sur les documents d’état civil qu’il avait présentés.
133. Enfin, concernant l’examen radiologique de détermination de l’âge, le requérant, affirmant que le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire, déplore que la décision de ce dernier soit intervenue de manière automatique, sans que ne lui soit donné le choix de refuser cet examen, alors au demeurant qu’il se trouvait sans représentant légal.
2. Le Gouvernement
134. Le Gouvernement soutient, en premier lieu, que les autorités internes n’ont pas été indifférentes à la situation du requérant et lui ont permis de faire valoir ses droits.
135. Il rappelle tout d’abord que la minorité est une condition d’accès au dispositif de protection de l’enfance, que le département est en charge de l’évaluation de l’âge et de l’isolement, que l’individu se présentant comme mineur est mis à l’abri le temps de cette évaluation et que le procureur de la République est informé de ces démarches. Le Gouvernement poursuit en précisant que cet hébergement prend fin en cas de majorité de l’individu ou, s’il est reconnu mineur, le jour de la décision du juge des enfants de le placer auprès des services de l’aide sociale à l’enfance.
136. Le Gouvernement fait valoir qu’en l’espèce, le requérant a été pris en charge par le service départemental de l’aide sociale à l’enfance dans le cadre de l’accueil provisoire d’urgence dans l’attente de l’évaluation de son âge et jusqu’à la transmission au conseil départemental de la décision du procureur de la République de ne pas saisir le juge des enfants. Le requérant a ensuite été informé de la décision du président du conseil départemental de ne pas poursuivre sa prise en charge, ce qui déliait l’administration de toute obligation de mise à l’abri dans le cadre de la protection de l’enfance, même en cas de saisine par l’intéressé du juge des enfants. Si des dispositions spécifiques ont été prises pour les mineurs non accompagnés durant le confinement, le requérant n’en a pas bénéficié car il était déjà considéré comme majeur au moment où elles ont été mises en œuvre. Le Gouvernement souligne ensuite que le juge des enfants a ordonné une expertise avant‑dire‑droit des documents présentés par le requérant et que, tant ce juge que le juge des référés du tribunal administratif ont procédé à un examen approfondi de sa situation.
137. Le Gouvernement fait valoir qu’à partir du 9 mars 2020, le requérant, considéré comme majeur, était éligible aux mesures de mise à l’abri prévues pour les plus de 18 ans et ne pouvait plus prétendre à celles mises en place pour les mineurs. Le Gouvernement souligne que certains majeurs, à leur arrivée sur le territoire, déclarent être mineurs pour bénéficier d’un dispositif d’accueil plus avantageux, lequel doit cependant être réservé aux seuls enfants afin qu’ils puissent être protégés de la présence d’individus majeurs dans les lieux d’accueil. Le Gouvernement affirme que pour ces raisons il serait contraire aux intérêts des mineurs que le juge des enfants ordonne systématiquement une protection provisoire.
138. Le Gouvernement souligne que la décision de refus de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance faisait mention des voies et délais de recours ouverts au requérant pour la contester.
139. Le Gouvernement décrit, en second lieu, les preuves examinées par les autorités internes, administratives puis juridictionnelles, pour déterminer si l’intéressé était ou non mineur. Il soutient que cette analyse repose sur un faisceau d’indices, prenant en compte notamment, outre l’évaluation menée par les services du conseil départemental, la production ou l’absence de production de documents d’identité probants au sens de l’article 47 du code civil et les résultats de l’examen radiologique de détermination de l’âge éventuellement ordonné par l’autorité judiciaire.
140. Le Gouvernement soutient qu’en l’espèce M. A.C. n’a pas présenté d’emblée d’éléments permettant d’établir sa minorité. Il souligne que le requérant, qui avait indiqué lors de l’entretien d’évaluation être né le 26 avril 2003, a été reçu par un éducateur spécialisé lequel a conclu, sur le fondement des éléments recueillis, que sa minorité déclarée ne pouvait être garantie. Un examen médico-légal a alors été mené, avec son accord, contrairement à ce qu’il soutient, dont il est ressorti que son âge physiologique était supérieur à 18 ans. Le Gouvernement insiste sur le fait que les résultats de cet examen n’étaient pas déterminants mais ont été pris en compte en sus du défaut de document d’identité et des conclusions du rapport d’évaluation administrative. Le procureur de la République en a déduit qu’il n’y avait pas lieu de saisir le juge des enfants.
141. Le Gouvernement précise que le requérant a, pour la première fois, dans le cadre d’une demande de protection dont il a saisi le juge des enfants, présenté l’original d’un extrait du registre de transcription des naissances, ainsi qu’un jugement supplétif et un extrait de casier judiciaire guinéens indiquant comme date de naissance le 26 avril 2004. Le Gouvernement fait valoir que le juge des enfants a sollicité une expertise de ces documents dont il est ressorti qu’ils apparaissaient fortement douteux et non recevables. Le Gouvernement ajoute qu’au vu de l’ensemble de ces éléments le juge des enfants a conclu que la minorité du requérant ne pouvait être établie. Il rappelle à cet égard qu’ainsi que le juge la Cour, lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de celle-ci de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes.
142. Le Gouvernement souligne que ce n’est que postérieurement à ce jugement du juge des enfants que le requérant a fait procéder à la légalisation de ses actes d’état civil, ce qui a permis à la cour d’appel de Limoges de constater, en l’absence d’éléments susceptibles de faire tomber la présomption de minorité, que le requérant était mineur et d’ordonner sa prise en charge par le conseil départemental jusqu’à sa majorité, ce qui fut immédiatement exécuté.
2. Observations du Défenseur des droits
143. À titre liminaire, le Défenseur des droits fait valoir que les questions soulevées par la présente affaire doivent être examinées notamment sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Il se réfère en particulier à l’arrêt Darboe et Camara, précité, invitant la Cour à ne pas faire de différence entre les mineurs non accompagnés selon qu’ils ont ou non sollicité une protection au titre de l’asile dans l’État défendeur. Il renvoie à un ouvrage rédigé par ses services et publié en février 2022 intitulé Les mineurs non accompagnés au regard du droit.
144. En premier lieu, le Défenseur des droits soutient que les exigences de protection des mineurs non accompagnés sont définies dans différents instruments juridiques européens et internationaux qui attestent d’un consensus fort autour de la mise en place de garanties procédurales dans le cadre de l’évaluation de la minorité. Il souligne que la Cour considère les mineurs, en situation d’illégalité dans un pays inconnu, comme les personnes les plus vulnérables de la société et que sa jurisprudence implique que les États prennent des mesures adéquates pour les protéger.
145. En deuxième lieu, le Défenseur des droits relève que la procédure d’évaluation de l’âge d’un mineur non accompagné est décisive pour ses droits et que le défaut de reconnaissance peut engendrer sa mise à la rue, son placement en rétention ou son éloignement du territoire. Il soutient qu’en cas de contestation, par les autorités internes, de la minorité déclarée d’une personne, cette dernière devrait se voir accorder le bénéfice du doute et bénéficier d’une protection spécifique durant l’ensemble de la procédure, jusqu’à l’obtention d’une décision judiciaire définitive.
146. En troisième lieu, le Défenseur des droits relève avoir constaté en France des défaillances dans la prise en charge des mineurs non accompagnés.
147. Il relève tout d’abord que le droit français ne prévoit pas l’assistance d’un représentant légal pendant l’évaluation de l’âge des mineurs non accompagnés.
148. Il constate que les documents d’identité qu’ils peuvent présenter ne sont pas suffisamment examinés et appelle l’attention de la Cour sur les stéréotypes et les appréciations subjectives qui affectent de nombreux entretiens menés dans le cadre de l’évaluation de l’âge. Réitérant son opposition à la réalisation de tels examens, il soutient que le recours aux expertises médicales d’âge osseux doit être conforme aux droits et à l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’il ne doit être utilisé qu’à titre subsidiaire et que l’intéressé doit bénéficier d’informations suffisantes à ce sujet.
149. Il déplore que les évaluations soient rarement menées de manière pluridisciplinaire. Il souligne que les décisions de refus d’admission à l’aide sociale à l’enfance ne sont pas toujours motivées ni expliquées aux intéressés dans une langue qu’ils comprennent, qu’elles ne leur sont pas nécessairement notifiées et ne mentionnent pas systématiquement, ou bien de manière erronée, les voies de recours disponibles pour les contester. Il dénonce en outre le fait que les mineurs ne reçoivent pas copie du rapport d’évaluation effectué par le département.
150. Il souligne enfin avoir observé que les mineurs non accompagnés se retrouvent souvent à la rue, livrés à eux-mêmes, dans un dénuement matériel et psychologique total, exposés à divers dangers. Il fait valoir que la situation de dénuement des mineurs non accompagnés s’est aggravée avec la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid 19 et que, dès le mois de mars 2020, ses services ont alerté les autorités locales et le Gouvernement des obstacles rencontrés par ces personnes. Il poursuit en affirmant que la prise en charge de mineurs non accompagnés au sein du dispositif d’hébergement d’urgence dédié aux adultes, au demeurant saturé, n’est pas adaptée.
3. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
151. La Cour considère que la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002-III, et Darboe et Camara, précité, § 123), qui recouvre l’intégrité physique et psychologique de la personne et peut donc englober de multiples aspects de l’identité d’un individu, tels l’identification et l’orientation sexuelle, le nom, ou des éléments se rapportant au droit à l’image (S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 66, CEDH 2008, et Darboe et Camara, précité, § 123). L’article 8 protège en outre un droit à l’épanouissement personnel et celui de nouer et de développer des relations avec autrui et avec le monde extérieur (voir, par exemple et avec les références qui s’y trouvent citées, Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003-III, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 95, 25 septembre 2018, et Milićević c. Monténégro, no 27821/16, § 54, 6 novembre 2018, et Darboe et Camara, précité, § 123). L’obligation des États de protéger ce droit est d’autant plus importante lorsque, comme en l’espèce, la personne concernée est un mineur non accompagné évoluant dans un contexte de migration qui le rend particulièrement vulnérable.
152. La Cour considère qu’au vu de l’objet de la présente requête l’article 8 de la Convention trouve à s’appliquer.
153. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé et ne se heurte par ailleurs à aucun des autres motifs d’irrecevabilité énoncés à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
a) Principes généraux
154. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’intérêt supérieur des enfants doit primer dans toutes les décisions qui les concernent. Cette idée reflète le large consensus qui existe en la matière et que traduit notamment l’article 3 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (Vavřička et autres c. République tchèque [GC], nos 47621/13 et 5 autres, § 287, 8 avril 2021, et les jurisprudences qui y sont citées).
155. La Cour considère ainsi que l’âge d’une personne est un moyen d’identification personnelle et que la procédure d’évaluation de l’âge d’un individu se déclarant mineur ainsi que les garanties procédurales y afférentes sont essentielles pour garantir à l’intéressé tous les droits découlant de son statut de mineur (Darboe et Camara, précité, § 124).
156. Elle souligne l’importance des procédures d’évaluation de l’âge dans le contexte migratoire. Les législations interne, européenne et internationale protectrices des droits des enfants ne deviennent applicables qu’à partir du moment où ceux-ci sont reconnus comme tels. L’établissement de la minorité d’une personne est donc la première étape vers une reconnaissance de ses droits et la mise en place de tous les dispositifs de prise en charge nécessaires. En effet, si un mineur est reconnu à tort comme étant adulte, des mesures portant gravement atteinte à ses droits peuvent être prises à son égard (Darboe et Camara, précité, § 125).
157. La Cour admet toutefois que les autorités nationales se trouvent devant une tâche délicate lorsqu’elles doivent évaluer l’authenticité d’actes d’état civil, en raison des difficultés résultant parfois du dysfonctionnement des services de l’état civil de certains pays d’origine des migrants et des risques de fraude qui y sont associés. Les autorités nationales sont en principe mieux placées pour établir les faits sur la base des preuves recueillies par elle ou produites devant elles (Z.M. c. France, no 40042/11, § 60, 14 novembre 2013) et il faut donc leur réserver un certain pouvoir d’appréciation à cet égard (Mugenzi c. France, no 52701/09, § 51, 10 juillet 2014).
158. Enfin, la Cour rappelle que le souci des États de déjouer les tentatives de contournement des restrictions à l’immigration ne doit pas priver les mineurs étrangers, de surcroît non accompagnés, de la protection liée à leur état. Il y a donc nécessité de concilier la protection des droits fondamentaux et les impératifs de la politique d’immigration des États (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 81, et Darboe et Camara, précité, § 152).
b) Application au cas d’espèce
159. Le requérant se plaint en substance d’un manquement de l’État à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour le protéger, alors qu’il avait déclaré être mineur non accompagné, et pour lui assurer le bénéfice de garanties procédurales suffisantes dans le cadre de l’évaluation de son âge. La Cour considère qu’il y a lieu d’examiner la présente affaire sous l’angle des obligations positives incombant à la France au titre de l’article 8 de la Convention.
160. La Cour souligne que cette disposition ne contient, concernant la protection à accorder aux mineurs non accompagnés, aucune obligation de résultat d’ordre matériel.
161. Ainsi, compte tenu de la manière dont le requérant a formulé ses griefs, la Cour, afin de déterminer si les exigences de l’article 8 de la Convention ont été satisfaites en l’espèce, s’attachera, dans un premier temps, à identifier le cadre juridique national et international qui était applicable au moment des faits litigieux puis recherchera, dans un second temps, si les autorités ont pris des mesures raisonnables pour garantir les droits procéduraux du requérant au cours de l’évaluation de son âge (Darboe et Camara, précité, § 130).
1. Dispositions juridiques nationales et internationales applicables au moment des faits
162. La Cour rappelle, à titre liminaire, qu’il ne lui appartient pas, dans le cadre du contrôle qu’elle effectue pour rechercher si les obligations découlant de l’article 8 de la Convention ont été respectées, de se prononcer sur la conformité de la situation litigieuse avec les normes juridiques nationales et internationales qui lui sont applicables. Néanmoins, elle considère qu’il lui appartient de prendre en considération, dans son examen, ce cadre juridique dans la mesure où il témoigne d’une reconnaissance générale de la nécessité d’accorder une protection spéciale aux migrants mineurs non accompagnés (Darboe et Camara, précité, § 141).
163. La Cour précise ensuite que, dans l’arrêt Darboe et Camara précité, elle était saisie d’un litige relatif à un mineur non accompagné ayant présenté une demande de protection internationale, ce qui entraînait l’applicabilité du cadre juridique défini par le droit de l’Union européenne dans pareille situation.
164. Or, la Cour relève qu’il ne ressort pas des pièces qui lui sont soumises que le requérant aurait, en l’espèce, présenté une demande de protection internationale.
165. La Cour note, en premier lieu, que la législation française prévoit un certain nombre de garanties pour une personne se présentant aux autorités internes comme mineure non accompagnée et pour laquelle un doute existe quant à sa minorité (paragraphes 43 à 67 ci-dessus). Cette personne est tout d’abord accueillie à titre provisoire jusqu’à l’issue de la procédure d’évaluation de son âge (paragraphe 48 ci-dessus). Un entretien est réalisé, dans un cadre pluridisciplinaire, par des professionnels justifiant d’une formation spécifique, dans une langue que cette personne comprend (paragraphe 52 ci-dessus). La Cour relève que les autorités internes mettent en œuvre différentes actions afin de renforcer la formation de ces professionnels (paragraphes 74 et 75 ci-dessus). Le contenu de l’entretien est défini par arrêté et porte sur six points différents, au minimum, dont l’état civil de la personne et ses conditions de vie depuis son arrivée en France (paragraphe 53 ci-dessus). Les services départementaux, en charge de l’évaluation de l’âge, ont également la possibilité de saisir les services de l’État afin de s’assurer de l’authenticité des documents présentés par l’intéressé, le cas échéant (paragraphe 54 ci-dessus). Les textes applicables prévoient par ailleurs que les autorités internes procèdent aux « investigations nécessaires » pour évaluer la situation de la personne (paragraphe 51 ci‑dessus). Si des examens radiologiques osseux peuvent être réalisés, ils ne le sont qu’à titre subsidiaire, en l’absence de documents d’identité valables et si l’âge allégué ne paraît pas vraisemblable. Ils ne peuvent être ordonnés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé (paragraphe 67 ci-dessus). Enfin, la personne est informée des motifs du refus de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, des voies et délais de recours, ainsi que des droits reconnus aux personnes majeures (paragraphe 59 ci-dessus).
166. La Cour relève en outre l’évolution introduite par la loi no 2022-140 du 7 février 2022, postérieure au cas d’espèce, qui prévoit désormais un temps de répit pour la personne se présentant comme mineure non accompagnée, lequel permet, avant la mise en œuvre de la procédure d’évaluation de son âge, la prise en compte de ses besoins en santé (paragraphes 56 et 57 ci-dessus).
167. La Cour relève, en second lieu, que les instruments internationaux précités (paragraphes 76 à 88 ci-dessus) soulignent la grande vulnérabilité d’un enfant migrant non accompagné. La Cour détaillera ci-après les standards que les États sont invités à atteindre dans ce cadre, tout en rappelant que ces instruments n’ont, en l’espèce, pas de caractère juridiquement contraignant.
168. Ils s’accordent, de manière générale, à reconnaître la nécessité d’octroyer à la personne un certain nombre de garanties, y compris en dehors des procédures d’asile. Il est ainsi préconisé de ne procéder à l’évaluation de son âge qu’en cas de doute sur sa minorité, dans un cadre multidisciplinaire prenant suffisamment en compte les différents aspects culturels et sociaux. Il est également relevé que les examens médicaux ne peuvent être effectués qu’en dernier ressort et que les examens physiques de maturité sexuelle doivent être proscrits. Ils recommandent de fournir à l’intéressé des informations lui permettant de prendre part au processus de détermination de son âge, dans une langue comprise, avec l’assistance d’un tuteur. Ces instruments soulignent enfin la nécessité d’une prise en charge de l’intéressé au cours de la procédure d’évaluation, notamment son hébergement, et insistent sur la nécessité de prévoir des voies de recours effectives contre les décisions ne reconnaissant pas sa minorité.
169. La Cour rappelle en outre que ces instruments internationaux reconnaissent clairement l’importance primordiale de l’intérêt supérieur de l’enfant et du principe de la présomption de minorité applicable aux enfants migrants non accompagnés qui arrivent sur le territoire européen (Darboe et Camara, précité, § 139).
2. L’obligation positive des autorités nationales de protéger les droits du requérant afférents à son statut de mineur non accompagné
170. La Cour relève que, dans l’arrêt Darboe et Camara précité, elle avait fait porter son contrôle sur deux aspects des droits procéduraux du requérant afférents à son statut de mineur non accompagné demandeur d’une protection internationale et qui découlaient spécialement du régime juridique applicable aux demandeurs d’asile : la représentation du mineur et la communication d’informations adéquates pendant le processus d’évaluation de son âge (Darboe et Camara, précité, §§ 142-157).
171. Au cas d’espèce, la Cour considère, compte tenu de l’absence de demande d’asile présentée par le requérant et, partant, du régime juridique applicable à la situation litigieuse (paragraphes 43 à 67 ci-dessus), lequel, sans prévoir obligatoirement la désignation ab initio d’un représentant légal comporte des dispositions matérielles protectrices des intérêts de la personne concernée, qu’il n’y a pas lieu de faire porter son contrôle exactement sur les mêmes aspects que ceux qu’elle a retenus dans l’arrêt Darboe et Camara précité.
172. Elle considère qu’il lui appartient, dans la présente affaire, de rechercher si la procédure d’évaluation de l’âge du requérant, qui déclarait être mineur à la date à laquelle il s’est présenté aux autorités françaises, a été entourée, in concreto, dans le respect de son intérêt supérieur et eu égard à sa particulière vulnérabilité, de garanties appropriées et suffisantes se traduisant par la communication des informations de nature à lui permettre, dans le cadre du processus décisionnel, d’assurer la protection effective de ses intérêts (mutatis mutandis, H.F. et autres c. France [GC], nos 24384/19 et 44234/20, § 282, 14 septembre 2022). De l’ensemble des éléments rappelés aux paragraphes 165 à 169 ci-dessus, la Cour déduit que le cadre juridique français offre en principe aux mineurs étrangers non accompagnés des garanties procédurales répondant aux exigences de l’article 8 de la Convention rappelées ci-dessus. Néanmoins, pour être regardées comme adéquates au cas d’espèce, la Cour souligne que leur mise en œuvre aurait dû mettre le requérant effectivement à même de contester utilement les motifs retenus par les autorités internes pour renverser la présomption de minorité dont il bénéficiait.
173. Pour effectuer ce contrôle, la Cour entend tout d’abord rappeler le déroulement de la prise en charge de l’intéressé dans le cadre du processus d’évaluation de son âge.
174. Elle relève que le requérant, lorsqu’il s’est présenté aux autorités internes, n’a pas, selon les mentions du rapport d’évaluation, non contredit sur ce point, produit de document d’état civil (paragraphe 7 ci-dessus). L’autorité administrative, en l’absence d’un tel document, s’est alors fondée sur un faisceau d’indices comprenant le discours de l’intéressé et son apparence physique. La Cour relève qu’au terme de cette analyse, l’autorité administrative a conclu que « la minorité n’[était] pas garantie » (paragraphe 7 ci-dessus).
175. La Cour constate en outre qu’en l’absence de conclusions décisives résultant de l’évaluation administrative effectuée par les services départementaux, le procureur de la République a demandé à ce que l’intéressé se soumette à un examen physiologique (paragraphe 9 ci-dessus). D’après les allégations des parties, les conclusions de cet examen médical faisaient mention d’un âge physiologique supérieur à 18 ans, sans que l’on puisse l’affirmer avec certitude en l’état actuel de la science (paragraphe 9 ci‑dessus).
176. La Cour note que tout au long de ce processus de détermination de l’âge, le requérant a pu effectivement bénéficier, dans le respect de la présomption de minorité, d’un accueil provisoire d’urgence (paragraphe 6 ci‑dessus). La Cour rappelle que les résultats de ces examens administratifs et médicaux ont conduit à renverser la présomption de minorité et, en conséquence, à mettre fin à la protection du requérant en qualité de mineur non accompagné.
177. La Cour relève que le requérant se plaint de n’avoir été ni suffisamment ni utilement informé au cours de cette procédure d’évaluation, ce qui l’aurait empêché d’établir devant les autorités internes qu’il était mineur. Elle s’attachera donc à apprécier s’il a, en l’espèce, bénéficié d’informations adéquates lui permettant d’assurer effectivement la protection de ses intérêts au cours du processus décisionnel.
178. La Cour souligne tout d’abord qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les conclusions de l’évaluation administrative auraient été remises à l’intéressé par les services du département ou qu’il lui aurait été indiqué qu’il pouvait en obtenir copie. Selon ses allégations, elles ne furent portées à sa connaissance que dans le cadre de la défense présentée par l’administration au stade du référé liberté devant le juge administratif (paragraphe 18 ci‑dessus).
179. La Cour note ensuite que rien n’établit que le requérant aurait effectivement reçu copie des conclusions de l’examen physiologique qui avait été pratiqué (Darboe et Camara, précité, § 147). Au demeurant, ainsi que l’ont retenu les juridictions internes (paragraphes 28 et 33 ci-dessus), aucune mention n’y avait été portée de la marge d’erreur que présentent les résultats de tels examens en l’état actuel de la science.
180. La Cour relève, en outre, que le non-lieu à assistance éducative décidé par le procureur de la République le 6 mars 2020 ne comportait aucune motivation. La décision du président du conseil départemental du 9 mars 2020 se bornait quant à elle, de manière stéréotypée, à un renvoi vers l’évaluation de l’âge effectuée par les services départementaux, d’une part, et à la décision du procureur de la République du 6 mars 2020, d’autre part, sans comporter de motivation personnalisée susceptible d’éclairer le requérant sur les raisons ayant conduit à ce que sa minorité soit écartée.
181. La Cour relève enfin, que les mentions, dans la décision portant refus de prise en charge du 9 mars 2020, des voies et délais de recours étaient incomplètes et imprécises. En effet, aucune mention n’y était faite de la possibilité de saisir le juge des enfants, d’une part, et rien n’indiquait que la saisine du tribunal administratif n’était recevable que dans le cadre de l’introduction d’un référé liberté, d’autre part (paragraphe 11 ci-dessus).
182. D’un tel cumul de lacunes dans les informations portées à la connaissance du requérant, à la fois incomplètes et imprécises, alors que sa minorité était en cause et qu’il devait, de ce fait, être regardé comme présentant une vulnérabilité particulière, la Cour conclut que la présomption de minorité dont il bénéficiait a été renversée dans des conditions concrètes qui l’ont privé de garanties procédurales suffisantes.
183. Ces éléments suffisent à la Cour pour constater que, malgré l’existence d’un cadre juridique interne comportant en principe les garanties procédurales minimales requises, les autorités compétentes n’ont pas, en l’espèce, agi avec la diligence raisonnable et ont manqué à leur obligation positive de garantir le droit du requérant au respect de sa vie privée (Darboe et Camara, précité, § 157).
184. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
4. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 combiné à l’article 8 de la convention
185. Le requérant soutient avoir été privé d’un recours effectif à l’encontre de la décision de refus de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, en raison, notamment, de l’absence de voie de recours à caractère suspensif et de l’appréciation des preuves qu’il avait fournies pour démontrer sa minorité. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention ainsi que l’article 13 de la Convention, combiné à l’article 8.
186. Maîtresse de la qualification juridique des faits (Tarakhel, précité, § 55), la Cour estime plus approprié d’examiner ces griefs uniquement sous l’angle de l’article 13 de la Convention, combiné à l’article 8, aux termes duquel :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
1. Arguments des parties
1. Le requérant
187. Le requérant soutient qu’il n’existait pas de recours ayant un caractère suspensif à l’encontre de la décision de refus de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance.
188. Il affirme que, lorsque la minorité d’une personne est contestée, le juge des enfants n’ordonne jamais, pour les étrangers isolés, de mesures provisoires. Il souligne avoir sollicité une telle mesure, en vain, malgré un courrier de relance.
189. Le requérant soutient ensuite que le délai moyen de jugement devant le cabinet de juge des enfants de Limoges était de deux à trois mois et que le confinement n’a eu qu’une influence à la marge sur ce délai.
190. Concernant l’effectivité des autres voies de recours, le requérant fait valoir que, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, un référé liberté n’est pas toujours traité en quarante-huit heures. Il met en cause l’impartialité du président du tribunal administratif de Limoges. Enfin, il souligne que le recours indemnitaire qu’il a introduit devant le tribunal administratif a été rejeté au motif qu’il était mineur et ne pouvait agir en justice que par le biais de son représentant légal, ce qui rendait cette voie de recours également ineffective.
2. Le Gouvernement
191. Le Gouvernement soutient que le requérant disposait de plusieurs recours effectifs au sens de l’article 13 de la Convention dont il a en partie fait usage.
192. Il précise, en premier lieu, que le recours de plein droit suspensif n’est exigé par la Cour que dans des cas circonscrits et nomme à ce titre les mesures d’expulsions du territoire contestées sur le fondement des articles 2 et 3 de la Convention ainsi que 4 du Protocole no 4.
193. Le Gouvernement fait valoir, en deuxième lieu, que la saisine du juge des enfants sur le fondement de l’article 375 du code civil constituait un recours approprié dès lors que ce juge pouvait ordonner, à titre provisoire, pendant l’instance, des mesures de protection de la personne concernée. Il ajoute que le mineur pouvait saisir directement ce juge malgré son incapacité générale à agir en justice. Il affirme que le recours devant le juge des enfants ne saurait être suspensif dès lors qu’il reviendrait à créer une présomption de minorité malgré une évaluation administrative concluant à la majorité de l’intéressé et ne permettrait plus en conséquence de conserver la spécificité du dispositif de prise en charge des mineurs non accompagnés.
194. Le Gouvernement explique qu’en l’espèce, le juge des enfants, saisi le 25 mars 2020 à la suite de la décision du président du conseil départemental du 9 mars 2020, a rigoureusement examiné la situation de l’intéressé, après avoir ordonné une expertise documentaire des éléments d’état civil produits à l’instance. Il soutient que le délai qui s’est écoulé entre sa saisine et sa décision est dû au confinement mis en place en raison de l’épidémie de Covid‑19, du 17 mars au 11 mai 2020. Le Gouvernement indique qu’en règle générale la première audience devant le juge des enfants, en cas de demande de placement, se tient dans un délai de deux à trois semaines suivant sa saisine.
195. Le Gouvernement soutient qu’à la suite de la décision du juge des enfants, l’aide sociale à l’enfance n’avait aucune obligation de prendre l’intéressé en charge, malgré l’appel formé contre ce jugement. Il affirme par ailleurs que la cour d’appel de Limoges ayant ordonné cette prise en charge, le recours revêtait un caractère effectif. Il précise que cet arrêt a bien été exécuté.
196. Le Gouvernement soutient, en troisième lieu, que le requérant disposait de recours devant la juridiction administrative. Bien que le recours en annulation ait été irrecevable, en raison du recours dont disposait l’intéressé devant le juge des enfants, il pouvait toutefois saisir le juge administratif d’un référé liberté en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, sans que la condition de capacité ne soit requise. Le Gouvernement affirme que, selon une jurisprudence constante, le juge administratif contrôle dans ce cadre s’il existe une carence caractérisée dans l’accomplissement de la mission de protection du conseil départemental de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il précise qu’en cas de changement de circonstances de droit ou de fait, l’intéressé peut de nouveau saisir le juge des référés.
197. Le Gouvernement soutient qu’en l’espèce le juge des référés, saisi après l’évaluation effectuée par le département et la saisine du juge des enfants par l’intéressé, a déclaré recevable le référé liberté et examiné rigoureusement le bien-fondé de la demande. Il soutient que, dès lors que l’intéressé n’était pas visé par une mesure d’éloignement, cette voie de recours, bien que non suspensive, était effective, y compris l’appel devant le Conseil d’État. Il ajoute contester fermement les propos tenus par le requérant concernant le président du tribunal administratif de Limoges.
198. Le Gouvernement fait enfin valoir que le requérant disposait d’un recours devant la juridiction administrative dans le cadre de l’hébergement d’urgence prévu par l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles.
199. Le Gouvernement conclut en relevant que, dans l’affaire S.M.K. c. France, précitée, la Cour a estimé qu’en cas de défaut de prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance les recours à la disposition des justiciables étaient effectifs pour faire valoir des griefs relatifs aux articles 3 et 8 de la Convention et que, contrairement à l’affaire Khan, précitée, les décisions judiciaires internes, de même que la mesure provisoire indiquée par la Cour, ont en l’espèce été entièrement exécutées.
2. Observations du Défenseur des droits
200. Le Défenseur des droits soutient que le recours devant le juge des enfants n’est pas effectif au sens de l’article 13 de la Convention. Il déplore que la saisine de ce juge ne soit pas suspensive de la décision départementale de refus d’admission à l’aide sociale à l’enfance, ni, a fortiori, de la procédure d’appel et de cassation, ce dont résulte un défaut de mise à l’abri de la personne se déclarant mineure. Il poursuit en indiquant que le mineur n’est pas assisté par un représentant légal et que les voies de recours ne lui sont pas toujours expliquées.
201. Il constate également l’absence de célérité dans l’examen des recours des mineurs non accompagnés, faisant état de délais d’audiencement excessivement longs et d’absence de délai de jugement contraint par des textes, le juge ne pouvant tout au plus qu’ordonner des mesures provisoires dans l’attente d’une décision au fond. À cet égard, le Défenseur des droits fait valoir être régulièrement saisi de témoignages attestant d’une première audience devant le juge des enfants dans un délai de plus de six mois, voire dix mois, suivant l’introduction d’une requête, la personne étant parfois devenue majeure le jour où le juge des enfants statue ce qui entraîne le rejet de la requête comme dépourvue d’objet. Il fait également état de longs délais en appel et en cassation. Il rappelle que la Cour de cassation ne statue qu’en droit et renvoie le dossier à l’appréciation souveraine des juges du fond.
3. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
202. Se référant aux conclusions susmentionnées (paragraphe 184 ci‑dessus), la Cour considère que le requérant a un grief défendable à faire valoir au titre de la Convention. L’article 13 trouve donc à s’appliquer en l’espèce.
203. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé et ne se heurte par ailleurs à aucun des autres motifs d’irrecevabilité énoncés à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
a) Principes généraux
204. L’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils s’y trouvent consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne permettant d’examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et d’offrir un redressement approprié.
205. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle.
206. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup d’autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI, Hirsi Jamaa et autres, précité, § 197, et Khlaifia et autres, précité, § 268).
b) Application au cas d’espèce
1. Cadre juridique
207. La Cour relève, en premier lieu, que lorsqu’une personne se disant mineur non accompagné se voit opposer une décision de refus de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance par le président du conseil départemental, le cadre législatif français existant permet que le juge des enfants ordonne, à titre provisoire, en application de l’article 375-5 du code civil (paragraphe 62 ci-dessus), des mesures d’assistance éducative.
208. Ainsi, bien que le recours ouvert devant le juge des enfants n’ait pas en lui-même pour effet de suspendre la décision de refus de prise en charge, il appartient au juge des enfants ou, en cas d’urgence, au procureur de la République, en cas de doute sur la minorité d’un étranger isolé et, par suite, en application même de la présomption de minorité, d’ordonner sa prise en charge provisoire par le département. La Cour relève qu’il s’agit d’un pouvoir propre du juge des enfants ou du procureur de la République.
209. La Cour constate également que le recours devant le juge des enfants est susceptible d’aboutir à l’octroi de mesures d’assistance éducatives permettant notamment que le mineur non accompagné soit confié à un service départemental de l’aide sociale à l’enfance (article 375-3 3o du code civil) (paragraphe 60 ci-dessus), pour une durée de deux ans maximum, renouvelable par décision motivée.
210. La Cour souligne, en second lieu, que dans l’attente de la décision du juge des enfants, le requérant peut saisir le juge administratif du référé liberté, qui, en vertu de l’article L. 521-2 du CJA (paragraphe 63 ci-dessus), se prononce dans un délai de quarante-huit heures et a le pouvoir d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire lorsque l’appréciation portée par cette autorité interne sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité (paragraphes 64 à 66 ci-dessus).
211. La Cour en conclut que les recours offerts par le droit interne remplissent, combinés entre eux, les exigences de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention en permettant qu’un mineur non accompagné soit pris en charge à titre provisoire par le département, malgré une décision initiale de refus, dans l’attente que le juge des enfants se prononce sur sa minorité et son isolement.
2. Cas d’espèce
α) Recours devant le juge des enfants
212. La Cour relève, en premier lieu, que, le 25 mars 2020, le requérant, assisté par un avocat, sollicita, sur le fondement des articles 375 et suivants du code civil, un placement à l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité, y compris à titre provisoire (paragraphe 16 ci-dessus). D’après les mentions du jugement de première instance, il joignit à sa demande un acte de naissance « dont il disait toutefois ne pouvoir fournir l’original, l’ayant transmis au consulat de Guinée pour légalisation » (paragraphe 28 ci-dessus). Ce même jugement précise que ce n’est que par courriel du 18 juin 2020 que son avocat informa le juge des enfants de la circonstance que son client était en possession d’un extrait d’acte de naissance original, d’un jugement supplétif et d’un extrait de casier judiciaire reçus dans le courant du mois de mars « seules les copies de ces documents ayant été adressées au consulat de Guinée » (paragraphe 28 ci-dessus).
213. La Cour relève, d’une part, que le requérant fut entendu par le juge des enfants le 22 juin 2020, d’autre part, que, sollicité pour analyser les documents soumis par le requérant, un expert documentaire de la police aux frontières rendit son rapport le 24 juin 2020 et, enfin, que, dès le 1er juillet 2020, le juge des enfants décida qu’il n’y avait pas lieu à assistance éducative (paragraphe 28 ci-dessus).
214. La Cour constate qu’après avoir considéré que l’isolement de l’intéressé n’était pas contesté, ce juge s’est attaché à prendre en considération un faisceau d’indices pour évaluer si le requérant pouvait ou non être considéré comme mineur (paragraphe 28 ci-dessus).
215. La Cour relève, en second lieu, que la cour d’appel, devant laquelle étaient produits pour la première fois les originaux de l’extrait du registre de l’état civil et du jugement supplétif légalisés par la chargée des affaires consulaires de Guinée à Paris, écarta les conclusions de l’expertise documentaire au motif qu’elles ne faisaient mention que de considérations d’ordre général qui ne permettaient pas de considérer que les actes produits n’étaient pas recevables au regard de l’article 47 du Code civil. Elle constata également que les autres éléments du dossier ne permettaient pas de renverser « la présomption de minorité découlant des actes d’état civil réguliers produits par le demandeur » (paragraphe 33 ci-dessus).
216. De ces constatations, la Cour retient qu’après avoir saisi le juge des enfants le 25 mars 2020, ce n’est que le 18 juin 2020 que la partie requérante a indiqué à ce juge être en possession de documents d’état civil originaux. La Cour note que moins de deux semaines ont séparé le moment où le requérant avait produit ces documents du moment où le juge des enfants, après l’avoir entendu, a rendu sa décision, appuyée sur une expertise documentaire.
217. Par ailleurs, après avoir apporté, notamment, devant le juge d’appel des documents d’état civil légalisés par le consulat de Guinée en France, le requérant obtint finalement gain de cause.
β) Recours devant le juge des référés de la juridiction administrative
218. Saisi dans le cadre d’un référé liberté en application de l’article L. 521-2 du CJA, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges rejeta la requête présentée par M. A.C. Il décida que le refus de poursuivre la prise en charge de M. A.C. ne révélait de la part du président du conseil départemental de la Haute-Vienne aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit à l’hébergement ou à la protection de l’intéressé, ni à son droit à la vie, à la dignité, l’intégrité physique et la santé ou encore à son droit au respect de sa vie privée et familiale ou à son droit à l’accès au juge et à un recours effectif (paragraphe 18 ci-dessus).
219. Si le requérant releva appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État, le juge des référés décida, au vu de l’indication d’une mesure provisoire par la Cour, qu’il n’y avait plus lieu à statuer en raison de la mise à l’abri de l’intéressé (paragraphe 22 ci-dessus).
γ) Conclusion
220. Au vu des considérations qui précèdent, la Cour considère que le requérant, qui, en droit, avait à disposition des recours susceptibles de redresser la violation alléguée de l’article 8 de la Convention, doit être regardé comme ayant bénéficié, en pratique, au vu des circonstances de l’espèce, de recours effectifs.
221. Partant, la Cour considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention combiné à l’article 8.
5. ARTICLE 39 DU RèGLEMENT DE LA COUR
222. La Cour note que la mesure provisoire indiquée au Gouvernement le 30 mars 2020 en vertu de l’article 39 de son règlement (paragraphe 19 ci‑dessus) est devenue sans objet, eu égard à la levée du confinement.
6. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
223. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage moral
224. Le requérant demande 50 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi. Il soutient qu’il a perdu une chance d’être pris en charge comme mineur, tant en ce qui concerne l’hébergement que l’assistance éducative. Il indique que son préjudice résulte également des conditions dans lesquelles il a dû vivre en France en tant que mineur pendant la crise sanitaire, sans hébergement, dans une situation d’isolement, sans ressources et sans pouvoir exercer ses besoins les plus fondamentaux. Il se plaint enfin de la circonstance que les autorités internes lui aient imputé d’avoir menti sur son âge et fait usage de documents frauduleux.
225. Le Gouvernement fait valoir, à titre principal, que la demande de satisfaction équitable ne saurait prospérer dès lors, d’une part, que la demande n’est pas ventilée par article, et, d’autre part, que le requérant n’explicite pas le préjudice moral qu’il estime avoir subi, s’abstenant d’indiquer ses conditions personnelles d’existence pendant la période considérée. Le Gouvernement, à titre subsidiaire, soutient que si la Cour devait conclure à une méconnaissance par la France de dispositions de la Convention, le constat de violation pourrait, à lui seul, constituer une satisfaction suffisante pour l’intéressé. Le Gouvernement fait valoir, à titre infiniment subsidiaire, que le montant sollicité par le requérant est excessif et que, si la Cour venait à considérer qu’une satisfaction équitable devait être accordée au requérant, son montant devrait être ramené à de plus justes proportions qu’il fixe en l’espèce à 2 000 EUR.
226. En l’espèce, la Cour considère qu’eu égard à la violation constatée ci-dessus il est équitable d’accorder une somme de 5 000 EUR au requérant.
2. Frais et dépens
227. Le requérant réclame 33 000 EUR (toutes taxes comprises) au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre des procédures menées devant la Cour sur le fondement des articles 34 de la Convention et 39 du Règlement. Il soutient qu’eu égard à l’urgence et à son insolvabilité, l’avocat qui le représente a accepté d’intervenir devant les juridictions internes au titre de l’aide juridictionnelle bien que le montant alloué dans ce cadre n’ait pas couvert l’ensemble des frais en ayant résulté. Il mentionne que son avocat est intervenu pro bono pour le surplus. Il souligne donc que s’il n’a pas avancé de frais, ce qu’il n’aurait en tout état de cause pu faire, il reste débiteur auprès de son avocat. Il fournit une facture pro-forma actualisée en précisant qu’elle n’a été ni émise ni passée en comptabilité à ce jour par son avocat pour que ce dernier ne soit pas obligé de le poursuivre en paiement alors qu’il ne perçoit qu’un salaire de 420 euros bruts mensuels dans le cadre de son apprentissage. Il insiste sur le fait qu’il n’en demeure pas moins débiteur du travail effectué, peu important que l’exigibilité de ces sommes soit différée. Il présente une facture détaillant 20 heures de travail effectuées dans le cadre de la demande de mesure provisoire et 90 heures concernant la requête au fond, chaque heure étant facturée 250 EUR hors taxes.
228. Le Gouvernement soutient, en premier lieu, que les frais dont le requérant sollicite le remboursement ne sont aucunement établis dans leur réalité dès lors que l’intéressé reconnaît lui-même n’avoir rien déboursé pour sa défense devant la Cour. Il poursuit en soulignant que, contrairement à ce qu’il soutient, il n’en est pas redevable, la facture qu’il présente n’ayant pas été éditée ni passée en comptabilité. En deuxième lieu, le Gouvernement, se référant à l’article 10 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 et à l’article 11-3 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat, lesquels prohibent les pactes de quota litis, fait valoir que le requérant n’ayant exposé aucun frais d’avocat, ce dernier étant intervenu pro bono, il ne peut solliciter le remboursement de frais et dépens destinés à constituer, en fonction du résultat de la procédure, la rémunération exclusive de son conseil. En troisième lieu, le Gouvernement soutient que le requérant ne peut cumuler les services d’un avocat pro bono et la demande d’assistance judiciaire présentée devant la Cour sans se trouver dans une situation d’enrichissement sans cause. Le Gouvernement soutient, en quatrième et dernier lieu, que le montant sollicité par le requérant est manifestement excessif au regard de la nature du préjudice allégué et des circonstances de l’affaire. Il en conclut que la demande doit être rejetée, ou à titre subsidiaire, ramenée à une somme plus raisonnable de 1 000 EUR.
229. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
230. La réalité des honoraires d’un représentant est établie si le requérant les a payés ou doit les payer. Partant, les honoraires d’un représentant ayant agi à titre gracieux n’ont pas réellement été déboursés. La situation n’est pas la même lorsqu’il s’agit d’honoraires auxquels un représentant n’a pas renoncé, mais qu’il n’a simplement pas cherché à recouvrer ou dont il a différé le recouvrement. La réalité des honoraires dus à un représentant en vertu d’un accord rendant leur exigibilité conditionnelle ne peut passer pour établie que si celui-ci est susceptible d’être sanctionné en justice dans le pays concerné (Merabishvili c. Géorgie [GC], no 72508/13, § 371, 28 novembre 2017).
231. En l’espèce, le requérant n’a pas produit de documents montrant qu’il avait payé ou avait l’obligation juridique de payer les honoraires facturés par son représentant. En l’absence de pareils documents, la Cour n’est pas en mesure de trancher les points abordés dans le paragraphe précédent. Elle ne voit donc rien qui puisse l’amener à admettre la réalité des frais et dépens dont le remboursement est demandé par le requérant (Merabishvili, précité, § 372).
232. Il s’ensuit que la demande pour frais et dépens doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare, à l’unanimité, les griefs relatifs aux articles 8 et 13 combiné à l’article 8 recevables et le surplus de la requête irrecevable ;
2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné à l’article 8 de la Convention ;
4. Dit, à l’unanimité, que la mesure provisoire indiquée au Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement est devenue sans objet ;
5. Dit, par six voix contre une, que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention :
a) la somme de 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 janvier 2025, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Victor Soloveytchik María Elósegui
Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge S. Mourou-Vikström.
V.S.
M.E.I.
OPINION en partie dissidente
DE LA JUGE MOUROU-VIKSTRÖM
Je ne peux pas me rallier au vote de la majorité qui a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention dans cette affaire.
L’accueil des personnes qui, comme le requérant, se présentent à la frontière d’un État européen en se déclarant mineur et en demandant hébergement, aide et protection, parallèlement ou indépendamment de la formalisation d’une demande d’asile, pose une multitude de questions d’ordre humain, politique et juridique auxquelles la France a répondu en mettant en place un système abouti et solide garantissant les droits de toute personne en situation de migration et alléguant de son état de minorité. Mais si les États doivent appliquer la présomption de minorité, ils doivent aussi être en mesure de mener des investigations afin d’établir la réalité de l’âge allégué et de se prémunir contre des récits dénués de toute vraisemblance.
Dans la présente affaire, la chambre a considéré,
. sans remettre en question le régime protecteur en lui-même, qu’en l’espèce, sa mise en application a été jalonnée de défaillances préjudiciables au requérant, ce dont elle a déduit qu’il y avait fondement et matière au constat d’une violation ;
. que l’arrêt Darboe et Camara c. Italie (no 5797/17, 21 juillet 2022) est un précédent dont les principes et critères sont transposables à la présente affaire et conduisent nécessairement à un constat de violation.
La chambre s’est privée, à mon sens, d’une analyse comparative qui lui aurait permis de différencier sensiblement la présente affaire de l’affaire italienne précitée. Elle a favorisé une approche axée sur des défauts procéduraux, certes réels pour certains, mais dont la portée n’a pas attenté aux droits fondamentaux du requérant, et ce, au détriment d’une analyse globale de la manière dont les autorités nationales françaises ont su traiter leur doute légitime, sans jamais renier les droits du requérant.
Ainsi, avant d’analyser les défaillances relevées par la chambre, il convient de noter que même dans un contexte de doutes sérieux et étayés, le requérant n’a pas été privé de l’exercice de recours nationaux et internationaux judiciaires et administratifs, qui lui ont in fine permis d’obtenir gain de cause et de se voir confié à l’aide sociale à l’enfance.
1. Le doute des autorités quant à la déclaration de minorité est fondé sur des éléments objectifs
. Le requérant s’est présenté initialement sans document d’identité attestant de son âge. L’assistant socio-éducatif a fait part de ses réserves après l’entretien d’évaluation en ces termes : « Au vu du discours et de l’aspect physique, la minorité n’est pas garantie ». De plus, la date de naissance du 16 avril 2003 notée par l’éducateur dans son rapport était remise en cause par le requérant qui dénonçait une erreur matérielle affirmant être en réalité né en 2004, et donc plus jeune d’une année.
. L’examen osseux pratiqué à la demande du procureur de la République faisait l’objet d’un compte rendu selon lequel « l’ensemble des contestations est en faveur d’un âge physiologie supérieur à 18 ans, sans que l’on puisse l’affirmer avec certitude en l’état actuel de la science ».
Ces éléments étaient raisonnablement de nature à faire naître un fort doute dans l’esprit des autorités et à justifier que le procureur de la République prononce un non-lieu à assistance éducative relayé par une décision du président du conseil départemental qui mettait fin à l’accueil provisoire d’urgence.
Au cours de la procédure menée devant le juge des enfants, un document d’identité sans photographie ainsi qu’un jugement supplétif furent produits. Un expert en fraude documentaire mandaté pour vérifier l’authenticité de ces documents attira le 24 juin 2020 l’attention des autorités sur les fraudes liées à ce type de documents qui étaient abondamment délivrés en Guinée, par complaisance.
S’agissant plus spécifiquement de la question des jugements supplétifs de déclaration de naissance délivrés par les autorités guinéennes, la police aux frontières (PAF), dont l’analyse est reprise par le juge des enfants, rappelle l’existence d’un trafic d’une ampleur colossale relatif à la délivrance frauduleuse de jugements supplétifs visant à établir le statut de mineur non accompagné et délivré à la demande, sans aucune vérification.
Il peut en être déduit que les autorités nationales administratives et judiciaires disposaient d’un faisceau d’éléments permettant de mettre en doute la vraisemblance des affirmations du requérant quant à son âge et donc à son état de minorité. La présomption de minorité et la protection qu’elle appelle si elles ont été initialement appliquées par les autorités, ont par la suite été renversée pour l’une et abandonnée pour l’autre.
Même si la minorité du requérant a finalement été posée par la cour d’appel de Limoges, les autorités de poursuite françaises n’en ont pas pour autant abandonné leurs fortes suspicions quant à l’authenticité de documents légalisant les actes d’état civil puisque le requérant a été convoqué pour le 9 janvier 2023 dans le cadre d’une procédure pénale ouverte du chef d’usage de faux.
2. Les recours exercés ont permis au requérant de faire valoir ses droits
Il est difficile de souscrire à l’analyse de la chambre qui estime que le requérant n’a pas été en mesure d’assurer effectivement la protection de ses intérêts, en raison d’une absence d’information à la fois sur la procédure d’évaluation et sur les résultats des tests osseux. En effet, même à considérer que les éléments ci-dessus évoqués (évaluation et examen médico-légal) ne lui aient pas été immédiatement et directement transmis, ce que conteste le Gouvernement, une telle défaillance ne lui aurait été préjudiciable que si elle avait porté atteinte à son droit au recours. Or, le requérant les a exercés dans les délais prescrits, portant même son action en référé-liberté devant le Conseil d’État. Le requérant ne peut donc en tirer aucun argument au soutien d’une violation de l’article 8 de la Convention.
Le juge des enfants a également été saisi en parallèle démontrant l’agilité procédurale du requérant. Si le juge des enfants a émis les plus grands doutes sur l’état de minorité du requérant compte tenu des éléments probatoires en sa possession et caractérisés par des incohérences, voire de possibles fraudes, en revanche la cour d’appel de Limoges a infirmé sa décision, reconnaissant au requérant son état de minorité et les droits qui en découlent.
Ainsi après avoir exercé deux actions administratives en référé, outre un recours administratif en annulation et deux recours judicaires, sans compter la saisine de la CEDH au titre des mesures provisoires, soit six actions en justice, le requérant a obtenu la protection et l’hébergement en qualité de mineur.
Il est difficile de suivre le raisonnement de l’arrêt qui affirme que les mentions figurant dans la décision de refus de prise en charge du 9 mars 2020 étaient imprécises et incomplètes, alors que le requérant, assisté d’un avocat, l’a contesté dans le délai de deux mois par la voie du référé-liberté, et a, le même jour, saisi le juge des enfants pour obtenir sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance sur le fondement de l’article 375 du code civil.
3. Les différences avec l’arrêt Darboe et Camara c. Italie
L’arrêt de la chambre relève d’emblée que l’affaire Darboe et Camara précitée se distingue par le statut du requérant qui est demandeur d’asile dans l’affaire italienne, à la différence de la présente affaire. Dans l’affaire italienne le requérant a été placé dans un centre pour majeur avant même que le test d’évaluation de son âge n’ait été effectué.
L’un des principaux griefs soulevés dans l’affaire italienne reposait sur l’absence d’indication d’une « marge d’erreur » dans le rapport médical établi au vu de l’examen osseux pratiqué. En effet, il était uniquement indiqué que les radiographies effectuées correspondaient à celle d’un homme de plus de 18 ans. Aucune possibilité d’erreur ou d’imprécision n’était donc évoquée, laissant supposer que l’établissement de la majorité ressortait d’une vérité scientifique absolue, et donc incontestable. Or, dans la présente affaire, plus qu’une marge d’erreur, le rapport mentionne « l’ensemble des constatations est en faveur d’un âge physiologique supérieur à 18 ans, sans que l’on puisse l’affirmer avec certitude en l’état actuel de la science ». Le rapport faisait donc état de réserves quant à l’exactitude et la précision des résultats et donc de l’établissement d’un âge supérieur à 18 ans. Le requérant disposait donc de toute latitude pour le remettre en cause, en l’état d’une évaluation scientifique sujette à caution.
Par ailleurs, dans l’affaire Darboe et Camara précitée, le défaut d’application de la présomption de minorité sanctionné par la Cour reposait sur une combinaison d’éléments qui sont inexistants dans la présente affaire (absence de désignation d’un tuteur pour l’accompagner au cours de la procédure de demande d’asile, absence d’un médiateur culturel ou d’un interprète, placement dans un centre surpeuplé pour adultes, affirmation catégorique de la majorité au regard d’un test osseux dont la fiabilité n’était pas absolue...).
Mais la principale différence réside dans le fait que dans l’affaire Darboe et Camara précitée le requérant n’a pas pu exercer de recours et donc contester l’établissement de sa majorité, en raison du défaut de communication d’une mesure administrative ou judicaire prise au regard d’une évaluation de son âge, tandis que le requérant dans la présente affaire les a multipliés avec succès jusqu’en appel.
Les différences avec l’affaire Darboe et Camara précitée sont substantielles et ne permettent pas de dégager des correspondances qui conduiraient à une violation de l’article 8 de la Convention dans la présente affaire dans laquelle l’État pouvait légitimement nourrir des doutes quant à l’état de minorité du requérant et se devait de les dissiper ou de les confirmer.
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[1] CRC/C/96/D/130/2020 et CRC/C/96/D/132/2020
[2] CRC/C/96/D/130/2020, paragraphe 8.3 et CRC/C/96/D/132/2020, paragraphe 8.3
[3] CRC/C/96/D/130/2020, paragraphe 8.5 et CRC/C/96/D/132/2020, paragraphe 8.3
[4] CRC/C/96/D/130/2020, paragraphe 8.6 et CRC/C/96/D/132/2020, paragraphe 8.6
[5] CRC/C/96/D/130/2020, paragraphe 8.7 et CRC/C/96/D/132/2020, paragraphe 8.7
[6] CRC/C/96/D/130/2020, paragraphe 8.8 et CRC/C/96/D/132/2020, paragraphe 8.8
[7] CRC/C/96/D/130/2020, paragraphe 8.9
[8] CRC/C/96/D/130/2020, paragraphe 8.11