LA COUR,
Vu les mémoires produits ; Vu les conclusions écrites du Ministère Public du 17 juin 2009 ; Sur les deux moyens de cassation réunis de la violation de la loi, notamment les articles 2, 3 et 5 de l’Annexe IV de l’Accord de Bangui, et du défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article 2, alinéa 1 de l’Annexe IV de l’Accord de Bangui, « la présente annexe est applicable à tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre nouvelle » ; Vu ledit texte et l’article 206-6° du Code de procédure civile, commerciale et administrative ; Attendu, selon l’arrêt attaqué (Ac, 11 novembre 2005) que, reprochant à la SIFAM-CI d’avoir mis sur le marché une copie du modèle de la cuvette dénommée « MAYA 60 », la société SOGEC-IVOIRE, fabricante d’ustensiles ménagers en aluminium a assigné la susnommée en contrefaçon de modèle et concurrence déloyale devant le Tribunal de Première Instance d’Ac ; que cette juridiction l’a déboutée de sa demande ; que la Cour d’Appel a confirmé cette décision ; Attendu que pour statuer ainsi, l’arrêt attaqué retient que, non seulement le modèle litigieux n’est pas original mais encore, qu’il est différent de celui de la SIFAM-CI ; Attendu qu’en déterminant de la sorte, alors que ce modèle protégé a une physionomie propre, la Cour d’Appel a non seulement violé l’article 2, alinéa 1 de l’Annexe IV de l’Accord de Bangui, mais aussi manqué de donner une base légale à sa décision par insuffisance de motifs ; qu’il y a lieu de casser et annuler l’arrêt attaqué et d’évoquer en application de l’article 28 de la Loi n° 97-243 du 25 avril 1997 ; Sur l’évocation
Sur la contrefaçon Attendu que le bénéfice de la protection instaurée par l’Annexe IV de l’Accord de Bangui est subordonné non seulement au caractère novateur du modèle déposé, mais aussi à son originalité ; que la nouveauté au sens dudit annexe est caractérisée si, aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué à la date du dépôt de la demande d’enregistrement ; Attendu qu’il ressort des productions que, le modèle de la SOGEC-IVOIRE a été déposé à l’OAPI le 06 avril 1995 ; qu’il présente une contexture différente de celle des ustensiles ordinaires rencontrées sur les marchés ; que celui de la SIFAM-CI dénommé « cuvette 60 » ressemble à ce modèle ; que c’est à tort que la défenderesse au pourvoi oppose à la SOGEC- IVOIRE, le manque d’originalité de son modèle ; Sur la réparation du préjudice Attendu que la réplique du modèle litigieux étant constitutive de concurrence déloyale ayant causé un préjudice à la SOGEC-IVOIRE, il y a lieu de condamner la SIFAM-CI à lui payer la somme de 10 millions de francs en réparation du préjudice ;
PAR CES MOTIFS
- Casse et annule l’arrêt attaqué ; Evoquant, - Déclare la SIFAM-CI responsable de contrefaçon de modèle ; - La condamne à payer à la SOGEC-IVOIRE, la somme de 10 millions de francs en
réparation du préjudice ; - Laisse les dépens à la charge du Trésor Public. Président : M. BOGA TAGRO, Rapporteur Conseillers : M. CHAUDRON Maurice M. AGNIMEL MELEDJE M. KOUAME KRAH Greffier : Me AHISSI N’DA Jean-François.
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Observations
Les dessins et modèles sont perçus comme les parents pauvres de la propriété intellectuelle. Ce n’est, cependant, pas à dire que les questions qu’ils soulèvent sont d’importance mineure. Le “ monde ” des dessins et modèles est peuplé de questions controversées. L’une de ces questions en proie aux interminables débats dans les « salons » de la doctrine et dans les temples de Thémis est celle se rapportant aux conditions requises pour la protection des dessins et modèles. Les solutions en la matière sont balbutiantes, imprécises, équivoques. L’arrêt de la Chambre judiciaire de la Cour Suprême, en date du 04 février 2010, témoigne de la confusion qui règne autour des conditions de protection des dessins et modèles industriels.
Les faits de l’espèce sont des plus simples. La société SOGEC-IVOIRE, fabricante d’ustensiles ménagers, avait commercialisé une cuvette dénommée « MAYA 60 ». La société SIFAM-CI, à son tour, mit sur le marché une cuvette dénommée « cuvette 60 ». La société SOGEC-IVOIRE entreprend d’assigner en contrefaçon et en concurrence déloyale la société SIFAM-CI devant le Tribunal de Première Instance d’Ac, en agitant le moyen selon lequel, cette dernière aurait mis sur le marché une copie du modèle de sa cuvette « MAYA 60 ». Elle n’obtiendra pas gain de cause, la juridiction d’instance la déboutant de sa demande, La Cour d’Appel invitée, par la suite, à se prononcer, confirme le jugement de débouté. Selon la juridiction d’appel, le modèle en cause n’est pas original ; de plus, il apparaît tout à fait différent de celui réalisé par l’intimée, la SIFAM-CI. La voie de la cassation s’ouvre alors pour la SOGEC-IVOIRE qui, le 18 mai 2007, forme un pourvoi La question fondamentale qui s’élève devant le juge de cassation et dont l’analyse apparaît quasiment inévitable dans le contexte des modèles industriels, se dessine sous les traits suivants : quel est le critérium de la protection d’un modèle ? La Haute juridiction, avant de s’appesantir sur cette préoccupation, prononce la cassation et l’annulation de l’arrêt d’appel pour violation de l’article 2, alinéa 1 de l’Annexe IV de l’Accord de Bangui dans la mesure où, le modèle de la SOGEC-IVOIRE a une physionomie propre. Evoquant, elle rappelle que, la protection accordée par l’Annexe IV est soumise, d’une part au caractère novateur du modèle déposé, d’autre part à son originalité. Rappelant le sens de la nouveauté selon l’Annexe IV et l’appliquant à l’espèce, les Hauts magistrats concluent à la ressemblance entre le modèle de cuvette de la SIFAM-CI et celui de la SOGEC-IVOIRE. Dès lors, selon la Chambre judiciaire, la défenderesse au pourvoi n’est pas fondée à se prévaloir du manque d’originalité du modèle de la demanderesse. La condamnation de la défenderesse au pourvoi en réparation du préjudice causé à la SOGEC-IVOIRE n’étant qu’une suite logique du constat de la contrefaçon, n’appelle pas de développements particuliers. C’est pourquoi nous ne nous y attarderons pas. La solution du juge suprême ajoute à la confusion qui règne dans la définition des critères de protection des modèles industriels. Deux critères sont énoncés : la nouveauté et l’originalité. Si le critère de la nouveauté du modèle est expressément visé par l’Annexe IV de l’Accord de Bangui, celui touchant à l’originalité y est invisible. L’usage de ce dernier critère, emprunté au régime spécifique de la protection par le droit d’auteur en raison de la « filiation » des deux régimes, apparaît incertain. I - La nouveauté du modèle : un critère sûr La Chambre judiciaire de la Cour Suprême, pour caractériser la contrefaçon du modèle de la SOGEC-IVOIRE par la SIFAM-CI, se réfère à l’alinéa 2 de l’Annexe IV de l’Accord de Bangui. Le critère proposé par cette disposition du texte communautaire est celui de la nouveauté du modèle. Dès lors que le modèle est nouveau, il bénéficie de la protection par le droit des dessins et modèles (encore faut-il qu’il soit enregistré à l’OAPI). Dans la mesure où le modèle est protégé en raison de sa nouveauté, tout autre modèle qui ne s’en démarquerait pas parce que lui ressemblant serait considéré comme étant de la contrefaçon. C’est ce que retient le juge suprême quand, après avoir fait remarquer que, le modèle déposé par la SOGEC-IVOIRE à l’OAPI, le 06 avril 1995 « présente une contexture différente de celle des ustensiles ordinaires rencontrés sur les marchés », il observe que celui de la défenderesse, la SIFAM-CI, « ressemble à ce modèle ».
La nouveauté1, au sens de l’alinéa 2 de l’article 2 du texte communautaire est caractérisée, si le modèle « n’a pas été divulgué en tout lieu du monde, par une publication sous forme tangible, par un usage ou par tout autre moyen avant la date de dépôt ou, le cas échéant, avant la date de priorité de la demande d’enregistrement ». En d’autres termes, comme l’a, à juste titre, interprété le juge suprême, le modèle est nouveau, si aucun modèle identique n’a été divulgué à la date du dépôt de la demande d’enregistrement. Comme on peut l’observer, la nouveauté s’entend de la spécificité du modèle par rapport à l’état de l’art antérieur. Le critère de nouveauté est une condition objective. La mise en œuvre de ce critère suppose une comparaison entre le modèle en cause et ceux qui lui préexistent2. C’est bien une appréciation objective qui consiste à constater l’absence d’antériorité. Certes, une comparaison doit être faite entre le modèle en cause et les modèles antérieurs. Mais concrètement, comment juge-t-on qu’un modèle identique n’a pas été divulgué avant la date de dépôt de la demande ? Autrement dit, comment se caractérise matériellement la nouveauté d’un modèle par rapport à des modèles existants ? Pour conclure à la nouveauté d’un modèle, il convient de se référer à sa configuration extérieure. La recherche de la nouveauté commande d’appréhender le modèle dans sa globalité, entendez l’agencement du modèle dans son entièreté. D’où l’expression « nouveauté de toutes pièces » pour caractériser cette hypothèse. On peut alors soutenir que, l’agencement d’éléments mineurs constitutifs du modèle peut suffire à donner à ce modèle le caractère de nouveauté, si l’agencement ainsi réalisé conduit à faire apparaître l’ensemble comme globalement nouveau. On comprend pourquoi la jurisprudence estime qu’un modèle ne peut bénéficier de la protection sur la base d’une absence de nouveauté, si l’ensemble des éléments qui caractérisent ledit modèle sont antériorisés3. On peut remarquer qu’il n’est pas strictement nécessaire que le modèle soit d’une nouveauté absolue. Certains des éléments qui le composent, s’ils sont nouveaux, suffiraient à le rendre nouveau. Il en découle que, des éléments antérieurement connus, combinés avec des éléments nouveaux, pourraient être suffisants pour appréhender un modèle comme entièrement nouveau. Mieux, une combinaison d’éléments qui sont tous antérieurement connus séparément peut suffire à considérer le modèle comme intégralement nouveau4. On observe que, finalement, le modèle, reçu comme nouveau, est celui qui n’exprime pas de ressemblance par rapport aux modèles qui lui préexistent. Cela ne revient pas à dire que le modèle nouveau est celui qui est différent de ceux qui lui préexistent. En effet, la contrefaçon s’apprécie d’après les ressemblances et non d’après les différences5. Il y a donc contrefaçon 1 La nouveauté exigée en matière de dessins et modèles n’est pas celle du droit des brevets. Elle est appréciée
de façon beaucoup moins rigoureuse, dans la mesure où le créateur d’un dessin ou d’un modèle tente généralement de s’inspirer de ce qui a été déjà fait ou des tendances de la mode, alors qu’une telle filiation est dangereuse, voire interdite en matière de brevets, compte tenu de l’état de la technique.
2 Sophie ALMA-DELETTRE, observations sous Com., 3 mai 2000 et Paris, 28 novembre 200 l, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, p. 224.
3 Paris, 6 juillet 1994. D. 1996. Somm. Comm. 285. obs. BURST : « Seule une antériorité de toutes pièces est susceptible de détruire la nouveauté d’un modèle ».
4 En ce sens, v. Parts. 28 novembre 2001, JCP E, 2002. Chron. 1043. obs. F. GREFFE ; Ann. propr. ind. avr. 2002. comm., n° 1., obs. F. GREFFE.
5 Af Ad C, « Droit des dessins et modèles », D. 2006 (complément), Cahier droit des affaires, p. 2609.
lorsque le modèle en cause reproduit les caractéristiques essentielles du modèle protégé et que les différences ne sont pas significatives puisqu’elles ne portent pas sur ces caractéristiques6. L’application du critère de l’originalité n’est traditionnellement pas sujet à controverse. On ne peut pas en dire autant de celui de l’originalité. II - L’originalité : un critère incertain Le droit des dessins et modèles est à la croisée de la propriété industrielle et de la propriété littéraire et artistique. Il s’agit d’une catégorie intermédiaire dont le régime tient à la fois de la propriété industrielle et de la propriété littéraire et artistique. Le droit des dessins et modèles semble avoir emprunté au droit d’auteur, le critère de l’originalité. Il suffit pour cela de se référer à certaines décisions qui, cumulant les conditions de nouveauté et d’originalité, attestent de cet emprunt. L’arrêt de la Chambre judiciaire, sous examen, est illustratif de cette option. En effet, l’arrêt met en exergue deux (2) critères : la nouveauté et l’originalité. Nous avons déjà égrené quelques mots sur le premier critère, notamment sur la façon dont il est appréhendé. Le critère de l’originalité, évoqué par la Cour Suprême, semble poser des difficultés d’application dans le contexte du droit des dessins et modèles. La Haute juridiction, dans la mise en œuvre de ce critère, laisse l’observateur perplexe. En concluant, après avoir relevé la nouveauté du modèle de la SOGEC-NOIRE et constaté la ressemblance à ce modèle de celui de la SIFAM, que celle-ci conteste à tort le manque d’originalité du modèle de celle-là, le juge suprême semble lier ou rattacher l’originalité à la nouveauté. Pour dire la chose autrement, la Chambre judiciaire semble soutenir que, le modèle, dès lors qu’il est nouveau, est, par cela même, original. Si l’originalité se déduit de la nouveauté, pourquoi alors avoir pris la peine de les présenter comme des critères spécifiques dont la réunion doit conduire à bénéficier de la protection du modèle ?7 Cette préoccupation s’inscrit dans celle plus générale de la nécessité du critère d’originalité, qui est l’expression de la personnalité de l’auteur, comme condition de la protection du modèle. D’emblée, il faut observer que l’Annexe IV de l’Accord de Bangui n’a pas subordonné la protection à la démonstration de l’originalité du modèle. On peut alors penser que, la protection d’un modèle par le droit des dessins et modèles ne requiert pas la mise en œuvre du critère de l’originalité. Les juridictions nationales des Etats membres de l’OAPI devraient normalement se contenter de la démonstration de la nouveauté. Tel ne fut pas le cas dans notre espèce. Cette position de la Cour Suprême se rapproche de celle de la jurisprudence dominante française, qui exige la réunion cumulative des conditions de nouveauté et d’originalité.8
6 Paris, 9 avril 1992, PIBD 1992, III, p. 509. 7 La Cour suprême énonce que « le bénéfice de la protection instaurée par l’annexe IV de l’Accord de Bangui
est subordonné non seulement au caractère novateur du modèle déposé mais aussi à son originalité ». Elle relève, comme on peut le voir, deux conditions cumulatives : le caractère novateur (la nouveauté) et l’originalité.
8 Paris, 27 novembre 1996, JCP E. 1997. 655. chrono F. GREFFE ; Com., 13 février 1996. D. 1998. Jur. 290. note F. GREFFE; Com., 3 mai 2000 précité, in Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, p. 222.
L’autonomie de l’originalité par rapport à la nouveauté n’emporte pas l’adhésion de tous les esprits. Il a été suggéré de substituer purement et simplement la nouveauté à l’originalité9. Cela dit, cette proposition n’a pas encore été intégrée dans la démarche de la jurisprudence contemporaine, qui fait toujours appel à la condition d’originalité du modèle. Si l’on veut retenir l’originalité comme critère complémentaire à la nouveauté, en vue d’ouvrir les portes de la protection aux dessins et modèles, il importe de lui donner un contenu propre et concret. L’originalité ne doit donc pas « être caractérisée à la légère »10. L’originalité est une notion difficile à découvrir. La Loi du 25 juillet 1996 sur la propriété littéraire et artistique11, en son article 10, a esquissé une définition de l’originalité. Selon cette disposition, une « œuvre originale » s’entend d’une œuvre qui, dans ses éléments caractéristiques et dans sa forme, ou dans sa forme seulement, permet d’individualiser son auteur. Cette définition de l’originalité est empruntée au régime du droit d’auteur. Cet emprunt est justifié, comme cela a été déjà souligné, par le fait que les droits et dessins sont au carrefour du droit d’auteur et du droit de la propriété industrielle. La juridiction suprême, en énonçant l’originalité en complément de la nouveauté, seul critère visé par l’Annexe IV de l’Accord de Bangui, a peut-être voulu marquer cette place spécifique du droit des dessins et modèles. Toutefois, le « raccourci » emprunté pour conclure à l’originalité du modèle de la demanderesse au pourvoi apparaît hasardeux et témoigne de la difficulté à tracer une frontière étanche entre la nouveauté et l’originalité. La législation communautaire ne faisant pas de l’originalité une condition de la protection du modèle, les tribunaux des Etats parties seraient bien avisés de ne pas s’encombrer d’un critère aussi flou12 que celui d’originalité.
Aa B,
Juriste
9 Ae A, L’autonomie du régime de protection des dessins et modèles, Essai d’une théorie générale
des droits de propriété intellectuelle, Librairie de l’Ab Ah et Cie, 1974, p. 128. 10 Ad Ag, « Chronique de droit de la propriété intellectuelle », JCP G, 2009, n° 25, p. 46. 11 Loi n° 96-564 du 25 juillet 1996 relative à la protection des œuvres de l’esprit et aux droits des auteurs, des
artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et vidéogrammes. 12 Sur la notion de « flou » en rapport avec le droit, voir Ae X, « Le flou et le droit », (éditorial),
Actualités Juridiques, 2005, n° 46, p. 3.