L’obligation prévue par l’article 101 AUDCG ne s’impose pas, dès lors qu’il n’existe aucun créancier inscrit sur l’immeuble objet du fonds de commerce. Par conséquent, il y a lieu de prononcer la résiliation du bail liant les parties et d’ordonner l’expulsion du locataire.
En déboutant le bailleur de sa demande, la Cour d’Appel a violé l’article suscité et sa décision encourt la cassation.
Cour Suprême de Côte d’Ivoire, Chambre Judiciaire, formation civile, Arrêt N° 135 du 15 mars 2007 – Affaire : M. T c/ Etablissement privé laïc maternel et secondaire dit « LES FLAMANTS ROSES ». – Le Juris-Ohada n° 1/2010 (Janvier – Février – Mars), page 44.
La Cour,
Vu l’exploit de pourvoi en cassation du 09 juin 2006 ; Vu les pièces du dossier ;
Sur le moyen unique de cassation tiré de la violation de la loi ou erreur dans l’application ou l’interprétation de la loi, notamment de l’article 101, alinéa 4 de l’Acte uniforme relatif au Droit Commercial Général :
Attendu que le texte susvisé dispose que « le bailleur qui entend poursuivre la résiliation du bail dans lequel est exploité un fonds de commerce doit notifier sa demande aux créanciers » ;
Vu ledit texte ;
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué (Abidjan, 26 juillet 2005), que par convention du 03 août 1993, la succession de feu Jean T. donnait à bail pour une période de dix ans à D., sa cour comprenant un hangar et un bâtiment que le locataire était autorisé à aménager pour y installer une école primaire privée, moyennant un loyer mensuel de 75.000 F après déduction des impenses d’un montant mensuel de 15.000 F ; que suivant une seconde convention du 26 décembre 2002, la succession sus indiquée reconduisait pour une période de dix ans le contrat initialement conclu avec D. et autorisait encore celui-ci à effectuer des constructions supplémentaires, à la suite desquelles les deux parties procéderaient à une reddition de compte pour déterminer le montant exact des impenses et revoir le loyer à la hausse ; que le Tribunal d’Abidjan, saisi par T., mandataire d’une partie des membres de ladite succession, condamnait par jugement n° 751 du 21 mars 2005, D. à payer à celui-ci, la somme de 610.000 F au titre des arriérés de loyers échus et impayés, prononçait la résiliation du bail liant les parties, ordonnait l’expulsion de D. des lieux qu’il occupait tant de sa personne, de ses biens que de tous occupants de son chef ; que la Cour d’Appel infirmait le jugement entrepris, en ce qu’il a prononcé la résiliation du bail et, statuant à nouveau, déboutait T. de sa demande en résiliation dudit bail et en expulsion et condamnait D. à lui payer la somme de 1.120.000 F à titre d’arriérés de loyers échus et impayés ;
Attendu que pour débouter T. de sa demande en résiliation du bail et en expulsion de son locataire, la Cour d’Appel a relevé que s’agissant d’un bail commercial ou professionnel, l’article 101 de l’Acte uniforme relatif au Droit commercial Général fait obligation au bailleur qui entend poursuivre la résiliation du bail dans lequel est exploité un fonds de commerce, de notifier sa demande aux créanciers inscrits ; que le jugement prononçant la résiliation ne peut intervenir qu’après l’expiration d’un délai d’un mois suivant la notification de la demande aux créanciers inscrits ; que T. ne rapporte pas la preuve que cette formalité d’ordre public, selon l’article 102 de l’Acte uniforme, a été observée ;
Attendu cependant qu’en l’espèce, il n’existe aucun créancier inscrit sur l’immeuble objet du fonds de commerce, de sorte que l’obligation prévue par l’article 101, alinéa 4 susvisé ne s’impose pas ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’Appel a violé ledit texte ; d’où il suit que le moyen est fondé ; qu’il convient de casser et annuler partiellement l’arrêt attaqué et d’évoquer l’affaire, conformément à la loi ;
SUR L’EVOCATION
Attendu que T. sollicite la résiliation du bail le liant à D. et expulsion de ce dernier pour non- paiement de loyer ;
Attendu qu’il et constant que D. est débiteur de plusieurs mois de loyers échus ; qu’il convient de prononcer la résiliation du bail liant les parties et d’ordonner son expulsion des locaux qu’il occupe tant de sa personne, de ses biens que de tous occupants de son chef ;
PAR CES MOTIFS
- Casse et annule partiellement l’arrêt attaqué, en ce qu’il a débouté T. de sa demande en réalisation du bail et en expulsion ;
Evoquant,
- Prononce la résiliation du bail liant les parties ;
- Ordonne l’expulsion de D. des locaux qu’il occupe tant de sa personne, de ses biens que de tous occupants de son chef.
PRESIDENT: M. Ai A.
__________
� NOTE : L’alinéa 4 de l’article 101 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général (résiliation judiciaire du bail) fait obligation au bailleur, qui entend poursuivre la résiliation du bail dans lequel est exploité un fonds de commerce, de notifier sa demande aux créanciers inscrits.
Quelle attitude doit adopter le bailleur, lorsqu’il n’existe pas de créancier inscrit ?
Autrement dit, l’obligation à lui faite, s’impose-t-elle en l’absence de créancier inscrit ?
C’est à cette question qu’a répondu la Haute Cour, dans l’arrêt ci-dessus publié, qui vient solutionner une des difficultés d’application de l’article 101 qui, d’une part, ne précise pas comment le bailleur doit informer des créanciers dont il ne connaît pas l’existence, et d’autre part, ne prévoit pas la sanction en cas de défaillance du bailleur.
L’intérêt de toutes ces préoccupations est, qu’aux termes de l’article 105 dudit Acte, l’article 101 est d’ordre public et que l’Acte uniforme ne règle pas l’hypothèse où il n’existe pas de créancier inscrit sur le fonds de commerce exploité.
L’existence de créancier inscrit étant la condition indispensable pour que l’alinéa 4 de l’article 101 soit applicable (I), quelle est la sanction du défaut de notification de la demande de résiliation ? (II).
I.- DE L’APPLICATION DE L’ARTICLE 101, ALINEA 4 AUDCG
L’obligation pesant sur le bailleur, de notifier la demande de résiliation judiciaire du bail, ne peut être effectuée que s’il existe des créanciers inscrits sur le fonds de commerce ou sur l’un des éléments du fonds, car ce sont eux qui bénéficient de la protection édictée par l’Acte uniforme.
Ils doivent donc être avertis de la procédure en cours, pour leur permettre de prendre, le cas échéant, toutes dispositions utiles afin de sauvegarder leurs intérêts (dans ce sens, Ah Aa, Le droit des Affaires en Afrique, PUF 2001, p. 62 ; B Ab Aj et Ag Ac C, Ohada, droit commercial général. Bruylant Bruxelles 2002, p. 311 p. 193 ; LAMY, Droit commercial, éd. 2004 n° 729 et 1149).
Il s’agit donc d’informer les créanciers inscrits, du risque de disparition que court le droit au bail, un des éléments du fonds de commerce qui a le plus de valeur économique.
Mais, le bailleur ne peut exécuter l’obligation qui pèse sur lui, que s’il a connaissance de l’existence de ces créanciers inscrits.
Dès lors, comment faire la preuve de l’existence de ces créanciers ?
Comment peut-il prendre connaissance de leur existence ? (B). Encore faut-il qu’il s’agisse des créanciers inscrits protégés (A).
A.- Les créanciers inscrits protégés
De quels créanciers parle l’Acte uniforme ?
Il ne peut s’agir que des créanciers inscrits au moment du déclenchement de la procédure de résiliation. Ce qui exclut les créanciers chirographaires (peu importe qu’ils soient représentés par un syndic ou un mandataire liquidateur de faillite : CA Bordeaux, 11 avril 1951, JCP éd. G 2951, II n° 6586 RTD Com. 1952, p. 70 ; CA Rouen, 20 février 1969, D. 1969, Som, p. 106).
Les créanciers inscrits sont ceux qui bénéficient d’une inscription sur le fonds de commerce ou sur l’un des éléments du fonds, c’est le cas notamment des créanciers nantis sur l’outillage ou le matériel d’équipement tel que visé par l’article 91 AUDS).
Il s’agit donc de ceux inscrits au titre du nantissement sur le fonds de commerce, du privilège du vendeur ou de ceux nantis sur le matériel ou d’autres éléments pris individuellement.
Seuls ceux-ci sont visés par l’Acte uniforme (il faut certainement compter parmi eux, les cessionnaires de la sûreté, qui ont fait mentionner la subrogation en marge de l’inscription. Encore faut-il que cette subrogation ne résulte pas d’une collusion frauduleuse : CA Paris, 18 nov. 1988, D.D. 1989, IR, P5).
Ce sont les créanciers qui ont intérêt à la poursuite de l’exploitation et donc, au maintien du bail, qui bénéficient des dispositions de l’article 101 AUDCG. L’on comprend pourquoi lesdites dispositions ne peuvent être invoquées ni par les créanciers chirographaires, ni par le locataire lui-même (cf. Cass. 3e civ., 22 mai 1973, Bull civ. III, n° 358 p. 258 ; Cass. 3e civ.,
6 déc. 1995, Bull. Civ. III, n° 249 p. 168. En droit français, l’équivalent de l’article 101, alinéa 4 AUDCG est l’article L.143-2 du Code de Commerce).
Le champ d’application de l’article 101, alinéa 4 AUDCG étant déterminé, la question se pose maintenant de savoir comment le bailleur peut avoir connaissance de leur existence pour exécuter son obligation.
B.- La connaissance des créanciers inscrits par le bailleur
Une distinction doit être opérée selon qu’il s’agit des créanciers nantis sur le fonds ou du privilège du vendeur, et des autres créanciers inscrits, car les problèmes ne se posent pas dans les mêmes termes.
1.- Les créanciers nantis sur le fonds et le privilège du vendeur
Pour le créancier nanti sur le fonds et le privilège du vendeur, l’article 81 de l’AUDS fait obligation au créancier inscrit, de notifier au bailleur d’immeuble dans lequel est exploité le fonds, le bordereau d’inscription.
C’est donc de cette façon que le bailleur est informé de son existence. Ainsi, le moment venu, lorsqu’il voudra résilier le bail, le bailleur pourra à son tour lui notifier son intention.
A défaut, le créancier inscrit ne peut se prévaloir de l’article 87 AUDS, puisqu’il n’a pas lui- même notifié sa propre inscription au bailleur, qui de ce fait, ne pourra pas lui notifier sa demande de résiliation du bail.
Il en résulte que l’obligation du bailleur prévue par l’article 101, alinéa 4 AUDCG va de pair avec celle faite aux créanciers inscrits par l’article 81 AUDS, en cas de nantissement du fonds.
Dès lors, le preneur dont l’inscription ou RCCM n’est pas établie, ne peut invoquer plus de droit que n’en a le créancier nanti (dans ce sens, C.A Dakar, ch. Civ. et com., arrêt n° 38 du 18 janvier 2002. Ohada J-04-72, cité par ISSA-SAYEGH Joseph, in Répertoire Ad Af 2000-2005, p. 317 n° 154 bis).
Mais, quid des créanciers autres que le créancier nanti ou bénéficiant du privilège du vendeur ?
2.- Les créanciers inscrits autres que le créancier nanti sur le fonds et le privilège du vendeur
Ces créanciers devant être inscrits au registre du commerce et du crédit mobilier, le bailleur ne doit-il pas s’adresser au greffe pour connaître l’état exact des créanciers auxquels il doit notifier sa demande de résiliation ?
Il s’agit donc d’une vérification de l’état des inscriptions, en vue de l’exécution de l’obligation qui pèse sur lui. Il lui incombe dès lors, de procéder à cette vérification.
L’intérêt de la question réside dans le fait que l’article 101 s’applique au bail commercial, de façon générale.
Par conséquent, les créanciers protégés dépassent le cadre particulier du créancier nanti sur le fonds de commerce ou du vendeur du fonds.
Dans ces hypothèses autres que celles du créancier nanti sur le fonds ou du vendeur, comment le bailleur peut-il avoir connaissance des créanciers inscrits sur le fonds pour leur notifier sa demande de résiliation de bail ?
Comme nous l’avons souligné plus haut, il peut s’agir des créanciers bénéficiant d’un nantissement sur le matériel ou d’une cession de sûreté avec inscription subrogatoire.
Dans ces hypothèses, l’article 81 AUDS n’est pas applicable. Dès lors, comment ces créanciers peuvent-ils être révélés au bailleur ?
Pour connaître ces créanciers inscrits, le greffe devra, à la demande du bailleur, lui délivrer un certificat attestant de l’existence ou non de créancier inscrit. Ce qui aurait permis, en l’espèce, de comprendre sans difficulté la décision de la Haute Cour, qui affirme qu’il n’existe aucun créancier inscrit.
On peut alors se demander si l’inexistence de créanciers est due à la non notification de leur inscription au bailleur, ou est-ce tout simplement parce qu’il n’y a pas de créancier inscrit au RCCM ?
La réponse n’est pas la même selon le cas.
En effet, s’il s’agit de créanciers nantis sur le fonds, qui ne se sont pas révélés au bailleur en lui notifiant leur bordereau d’inscription, l’article 81 AUDS est sans équivoque, ils ne peuvent se prévaloir des dispositions de l’article 87 AUDS.
En revanche, lorsque l’article 81 AUDS n’est plus applicable, il revient au bailleur de rechercher les créanciers inscrits, afin de leur opposer la résiliation du bail à intervenir. Il doit alors demander au greffe de lui fournir cette preuve. C’est à partir de ce justificatif qu’il saura si oui ou non il y a des créanciers inscrits.
En cassant l’arrêt attaqué pour violation de l’article 101, alinéa 4 AUDCG, la Haute Cour n’apporte ou ne fait référence à aucun justificatif de l’existence ou non de créancier inscrit.
La référence au certificat délivré par le greffe et attestant la non inscription aurait permis de mieux comprendre la décision de la Haute Cour, qui intervient dans le cadre des sanctions du défaut de notification de la demande de résiliation du bail par le bailleur.
II.- DE LA SANCTION DU DEFAUT DE NOTIFICATION DE LA DEMANDE DE RESILIATION DU BAIL
La Cour d’Appel, motif pris du non-respect de l’article 101, alinéa 4 AUDCG, a débouté le bailleur de sa demande, celui-ci ne rapportant pas la preuve qu’il a exécuté son obligation d’information des créanciers nantis sur le fonds.
Autrement dit, la résiliation ne peut être prononcée tant que la formalité prévue n’est pas exécutée. Ce qui pose le problème de la sanction encourue par le bailleur, lorsqu’il ne notifie pas la demande de résiliation.
La demande doit-elle être rejetée pour défaut de notification, ou la résiliation intervenue doit- elle être déclarée inopposable aux créanciers inscrits protégés ?
A.- L’absence de notification, motif du rejet de la demande
En rejetant la demande, et donc en déboutant le bailleur, la Cour d’Appel fait de la formalité prévue par l’article 101, alinéa 4, une cause de résiliation du bail. Ce qui n’est pas le cas, puisque l’article 101, en son alinéa 2, donne les causes de la résiliation du bail.
En effet, aux termes de cet alinéa, le bail peut être résilié pour non paiement du loyer ou pour non exécution d’une clause du bail. C’est donc ces causes objectives qui peuvent amener le juge à résilier ou non le bail.
La formalité prévue n’est donc pas une condition de fond, même si l’article 101 est d’ordre public. Dès lors, la non notification de la demande ne peut être un motif de rejet de la demande de résiliation.
En revanche, lorsque la résiliation est prononcée, le jugement doit être déclaré inopposable aux créanciers inscrits, si le bailleur ne leur a pas notifié la demande.
B.- L’inopposabilité du jugement aux créanciers inscrits protégés
La résiliation demandée peut être prononcée par le juge, lorsque la demande est fondée, comme nous l’avons souligné plus haut.
C’est pour prendre en compte la gravité de cette décision, relativement aux intérêts des créanciers inscrits protégés, que le législateur OHADA a exigé que le bailleur leur notifie sa demande de résiliation, pour leur permettre de prendre les précautions en vue de sauvegarder lesdits intérêts.
Dès lors, seuls ces créanciers peuvent attaquer le jugement, pour n’avoir pas été informés dès l’entame de la procédure de résiliation.
La résiliation du bail peut donc tout naturellement être prononcée.
Mais elle est inopposable à ces créanciers, si la formalité n’a pas été respectée. Encore faut-il que le bailleur ait connaissance de leur existence, pour leur notifier sa demande.
Qu’en est-il s’il n’y a pas de créancier inscrit ?
C.- L’absence de créancier inscrit protégé
Le bailleur ne peut exécuter son obligation que s’il a connaissance des créanciers inscrits. Ce qui signifie que ces créanciers existent bel et bien. Mais, que doit-il faire lorsque ces créanciers n’existent pas ?
Pour savoir qu’il n’y a pas de créancier inscrit, le bailleur doit comme nous l’avons expliqué plus haut, rapporter au juge la preuve de l’inexistence de créancier inscrit sur le fonds.
Il doit, dans cette hypothèse, produire ne serait-ce qu’un certificat du greffe attestant la non inscription de créancier.
La juridiction saisie se prononce alors sur la base d’élément justifiant l’inexistence de créancier.
Dès cet instant, il apparaît que l’obligation du bailleur de notifier sa demande de résiliation du bail n’a plus sa raison d’être, et partant, on ne peut plus lui imposer une telle obligation.
Il ne s’agit donc pas dans cette hypothèse, de rapporter la preuve de la notification de la demande de résiliation du bail, aucun créancier n’étant inscrit sur le fonds, mais plutôt de démontrer que l’obligation n’a plus sa raison d’être, la preuve étant faite de l’inexistence d’aucun créancier inscrit.
Et c’est, nous pensons, la signification de la décision de la Haute Cour, qui malheureusement, affirme l’inexistence d’aucun créancier inscrit, sans faire état de la preuve fournie par le bailleur, ou qu’il devrait fournir.
Sinon, l’obligation ne s’imposant pas en pareille hypothèse, c’est naturellement que la Haute Cour, a fait droit à la demande du bailleur, en prononçant la résiliation du bail et en ordonnant l’expulsion du locataire, du fait du non-paiement de plusieurs mois de loyer.
BROU Ae Ak Docteur en Droit des Affaires, Maître Assistant des facultés de Droit
Magistrat __________