Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 et 9 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Imapôle demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision du 18 septembre 2024 par laquelle le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins l'a radiée du tableau de l'ordre à compter du 11 octobre 2024 ;
2°) de mettre à la charge du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision la radiant du tableau de l'ordre porte une atteinte grave et immédiate à ses intérêts, à celui de ses employés et de ses patients ainsi qu'à l'intérêt public de protection de la santé, en ce qu'elle conduira à la cessation de son activité et emportera des conséquences irréversibles, même en cas de révocation ultérieure de la décision de radiation, de nature à gravement affecter l'offre de soins dans le bassin lyonnais ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- cette décision est insuffisamment motivée et a été prise au terme d'une procédure irrégulière, faute qu'elle ait été dûment mise en demeure de se justifier et de régulariser sa situation ;
- cette décision est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle se fonde sur l'interdiction de principe qui serait faite à un médecin associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral de prendre des participations dans une société d'investissement détenant des parts de cette société d'exercice libéral et non constituée en société de participations financières de professions libérales, au motif que le positionnement d'un médecin y exerçant et par ailleurs investisseur à titre privé ne pourrait être regardé comme exempt d'un risque de conflit d'intérêts au sens de l'article R. 4127-26 du code de la santé publique ;
- cette décision est illégale en ce qu'elle rejette son recours contre la décision par laquelle le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins l'a radiée du tableau de l'ordre à compter du 13 septembre 2024.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2024, le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 8 000 euros soit mis à la charge de la société Imapôle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 9 octobre 2024, le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ;
- l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Imapôle, d'autre part, le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins ainsi que le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 octobre 2024, à 10 heures :
- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Imapôle ;
- les représentants de la société Imapôle ;
- Me Rousseau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins ;
- la représentante du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins ;
- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins ;
- le représentant du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins ;
à l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il résulte de l'instruction que la société Imapôle, inscrite au tableau de l'ordre des médecins du département du Rhône depuis sa constitution en 2011 et qui regroupait initialement exclusivement des médecins radiologues exerçant dans cette société, est devenue en 2020 une société d'exercice libéral par actions simplifiée, avec, comme nouvel associé, la société Imasauv devenue la société Imaone. Au vu de la modification des statuts de la société Imapôle, le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins a décidé de prononcer sa radiation du tableau de l'ordre, par une décision contre laquelle la société a formé un recours administratif et dont elle a obtenu la suspension en référé, par une ordonnance du 12 septembre 2024 du juge des référés du Conseil d'Etat. Toutefois, le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins a rejeté son recours et fixé au 11 octobre 2024 la date d'effet de sa radiation du tableau de l'ordre, par une décision du 18 septembre 2024 contre laquelle la société a formé un nouveau recours administratif devant le conseil national de l'ordre des médecins et dont elle demande la suspension sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.
3. Le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins justifie d'un intérêt suffisant au rejet de la requête de la société Imapôle. Son intervention est, par suite, recevable.
4. En premier lieu, s'agissant de la condition d'urgence, l'exécution de la décision de radiation de la société Imapôle du tableau de l'ordre des médecins aurait pour effet, en application des dispositions de l'article 42 de l'ordonnance du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées, de lui interdire d'exercer son activité. Il résulte de l'instruction et des échanges à l'audience que si les médecins exerçant au sein de la société pourraient continuer à recevoir des patients en leur nom propre, la radiation de la société du tableau de l'ordre conduirait au retrait de ses autorisations d'exploitation d'équipements matériels lourds, aujourd'hui mis à disposition de plusieurs centaines de patients par jour au sein du Médipôle Lyon-Villeurbanne, ainsi qu'à la suspension du versement par la caisse primaire d'assurance-maladie des forfaits techniques, qui représentent 80% de son chiffre d'affaires. Dans ces conditions, l'exécution de la décision de radiation porterait gravement atteinte aux intérêts de la société et de ses employés, mais aussi des patients du bassin de Lyon. Par suite et nonobstant les reproches formulés à l'encontre de la société, qui ne mettent pas en cause la santé des personnes dans des conditions susceptibles de caractériser l'urgence qui s'attacherait à rendre effective sa radiation, la condition d'urgence requise par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.
5. En second lieu, le moyen tiré de ce que le conseil régional de l'ordre des médecins a commis une erreur de droit en fondant la décision de radiation contestée sur le motif tiré de ce que des dispositions statutaires permettant à un médecin associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral de prendre des participations dans une société tierce détenant des parts de cette société d'exercice libéral et non constituée en société de participations financières de professions libérales doivent être regardées comme méconnaissant le principe d'indépendance professionnelle et l'article R. 4127-26 du code de la santé publique, aux termes duquel " un médecin ne peut exercer une autre activité que si un tel cumul est compatible avec l'indépendance et la dignité professionnelles et n'est pas susceptible de lui permettre de tirer profit de ses prescriptions ou de ses conseils médicaux ", est de nature, en l'état de l'instruction et alors qu'il ne résulte d'aucune disposition de la loi du 31 décembre 1990 ni de l'ordonnance du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées qu'il serait a priori interdit à un professionnel exerçant de prendre une telle participation, à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la décision du 18 septembre 2024 du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins radiant la société Imapôle du tableau de l'ordre doit être suspendue jusqu'à ce que le conseil national de l'ordre des médecins statue sur le recours administratif formé contre cette décision.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins la somme de 3 000 euros à verser à la société Imapôle au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, celles-ci font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins est admise.
Article 2 : L'exécution de la décision du 18 septembre 2024 par laquelle le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins a radié la société Imapôle du tableau de l'ordre des médecins est suspendue jusqu'à ce que le conseil national de l'ordre des médecins statue sur le recours formé contre cette décision.
Article 3 : Le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins versera la somme de 3 000 euros à la société Imapôle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Imapôle, au conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins et au conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins.
Fait à Paris, le 10 octobre 2024
Signé : Suzanne von Coester