Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune de Bellaing à lui verser la somme globale de 207 207,85 euros en réparation des agissements de harcèlement moral dont il a été victime.
Par un jugement n° 1609908 du 12 novembre 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 janvier 2020 et un mémoire enregistré le 19 mai 2021, M. B..., représenté par Me Hugues Boguet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune de Bellaing à lui verser les sommes de 47 432,98 euros au titre de la perte de salaire, de 47 266,33 euros au titre de la perte de chance dans l'évolution de sa carrière, de 62 508,54 euros au titre de la perte de retraite, de 50 000 euros au titre des dommages et intérêts pour les troubles subis ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Bellaing la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me Hugues Boguet pour M. B... et de Me Emmanuel Régis pour la commune de Bellaing.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... était secrétaire de mairie de la commune de Bellaing depuis le 1er janvier 1976. Placé en congé de longue maladie à compter du 23 février 2009, il a repris en mi-temps thérapeutique, le 23 février 2015. Le 5 septembre 2016, il a demandé à la commune de l'indemniser en réparation des agissements de harcèlement moral dont il s'estimait victime. La commune a rejeté cette demande, le 3 novembre 2016. M. B... a saisi le tribunal administratif de Lille qui a rejeté ses conclusions indemnitaires par jugement du 12 novembre 2019. Il relève appel de ce jugement.
Sur l'exception de prescription quadriennale :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites au profit de l'État, des départements et des communes, sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ". L'article 2 de la même loi précise que : " La prescription est interrompue par :... / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ". L'article 3 dispose que " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ".
En ce qui concerne le préjudice financier :
3. Lorsqu'un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit, le fait générateur de la créance se trouve en principe dans les services accomplis par l'intéressé. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à ces services court, sous réserve des cas prévus à l'article 3 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au titre de laquelle ils auraient dû être rémunérés, y compris lorsque le litige porte sur un prélèvement indu, à la condition qu'à cette date l'étendue de cette créance puisse être mesurée.
4. En l'espèce, M. B... demande l'indemnisation des pertes de salaires résultant de la perception d'un demi-traitement de 2010 à février 2015, selon ses écritures. Toutefois, il n'a formé une demande préalable pour la perception de ces sommes que le 5 septembre 2016. Par suite, les créances relatives aux rémunérations antérieures au 1er janvier 2012 sont, en tout état de cause, prescrites, comme le soutient la commune de Bellaing en défense.
En ce qui concerne le préjudice moral :
5. Lorsque la responsabilité de l'administration est recherchée, pour un préjudice qui revêt un caractère continu et évolutif, la créance indemnitaire doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 cité au point 2, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date il soit entièrement connu dans son existence et dans son étendue. Il en va ainsi lorsque la responsabilité de l'administration est recherchée à raison d'actes de harcèlement moral.
6. En l'espèce, M. B... se prévaut de faits intervenus lors de sa reprise du travail suite à des arrêts de maladie du 5 janvier au 22 février 2009, voire de faits remontant à 1999. Or, les demandes d'indemnisation en réparation du préjudice moral sont prescrites, en application de ce qui a été dit au point 5, pour les faits antérieurs à l'année 2012.
Sur les agissements de harcèlement moral :
7. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
En ce qui concerne les conditions matérielles de travail :
8. M. B... soutient d'abord que son bureau était isolé et mal chauffé, qu'il n'avait pas accès aux toilettes et également qu'il ne disposait pas du matériel lui permettant d'effectuer son travail.
9. Le médecin de prévention avait émis un avis favorable à la reprise de M. B..., le 20 février 2015, en préconisant que le mi-temps ait lieu si possible, le matin en évitant les lieux de travail confinés et non éclairés par la lumière naturelle. Si la commune a imposé à M. B... de travailler l'après-midi, compte tenu de l'absence le matin des élus, avec qui il devait travailler, il résulte de l'instruction qu'il disposait d'un bureau lumineux à l'étage de la mairie. Les préconisations du médecin de prévention étaient ainsi globalement respectées. Si l'appelant soutient par ailleurs que son bureau était mal chauffé, il n'établit pas que ses conditions matérielles d'installation l'empêchaient de travailler en raison d'une température basse.
10. Si M. B... soutient qu'il n'avait pas accès aux toilettes, le digicode de la porte d'accès ne lui ayant pas été communiqué, la commune a produit en première instance, des attestations du personnel communal indiquant que le maire avait demandé de ne pas verrouiller cette porte avec le digicode afin que l'accès aux toilettes soit libre pour M. B....
11. Si M. B... indique qu'il ne disposait pas du matériel adapté pour exercer ses fonctions, il résulte de ses propres écrits, rédigés alors qu'il était en poste, qu'il n'était pas privé d'accès internet mais que celui-ci était coupé à certains moments. De même, le seul fait que son ordinateur soit doté d'un système d'exploitation " Windows XP " ne démontre pas que celui-ci était obsolète alors que ce système a été commercialisé à compter de 2001 jusqu'en 2014. De même si M. B... soutient qu'il n'avait pas de poste téléphonique, ni d'accès au registre des délibérations, alors que la commune le conteste expressément, aucune pièce du dossier, ne permet d'établir que M. B... ait été privé de matériel ou de documentation nécessaire pour effectuer les tâches qui lui étaient demandées.
En ce qui concerne la charge de travail :
12. Si, dès sa reprise, M. B... a été destinataire de notes lui indiquant les travaux qui lui étaient assignés à savoir la réalisation de fiches sur la déclaration d'utilité publique, sur le plan communal de sauvegarde, sur l'agenda d'accessibilité, et si en outre, se sont ajoutées d'autres demandes avant la fin de la première semaine de reprise, alors qu'il était en mi-temps thérapeutique, ces tâches étaient échelonnées dans le temps, à des échéances qui ne paraissaient pas irréalistes.
13. Si M. B... a indiqué en réponse à deux demandes qu'elles ne correspondaient pas aux missions de son grade, les autres tâches qui lui étaient assignées, nécessitaient une expertise correspondant à son grade et étaient en lien direct avec sa fiche de poste. En sens inverse, la note rédigée par M. B... sur la mise en place d'un double sens cyclable dans une rue de la commune accrédite les critiques des élus sur le caractère très général et peu opérationnel des productions de M. B....
En ce qui concerne les relations avec les élus :
14. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté, que moins d'une semaine après sa reprise, le 2 mars 2015, M. B... a refusé de participer à une réunion au prétexte qu'il aurait été humilié au cours de précédentes réunions. Il n'établit pas toutefois la réalité de ces dires autrement que par ses propres déclarations. Il est en revanche établi que M. B..., pour sa part, a refusé de communiquer oralement avec l'un des adjoints au maire.
15. Il résulte également de l'instruction et n'est pas non plus contesté, qu'à de nombreuses reprises et dès le 27 février 2015, quatre jours après sa reprise, M. B... a tenu des propos ironiques, voire insultants à l'égard d'élus en les qualifiant de " héros du jour ", " bouffon " ou " dompteur de fauve ". S'il soutient que ces expressions étaient utilisées en réponse à des provocations des élus, il ne l'établit pas. Au contraire, les demandes de tâches ou de corrections de ces travaux qui lui ont été faites, l'ont, au vu des pièces du dossier, toujours été faites en termes courtois et respectueux.
En ce qui concerne les suspensions :
16. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. ".
17. M. B... a fait l'objet d'une suspension de fonctions de quatre mois, à compter du 30 mars 2015, puis d'une nouvelle suspension à compter du 25 novembre 2015. Il n'est pas contesté que la commune n'a pas saisi le conseil de discipline à la suite de ces suspensions, en méconnaissance des dispositions citées au point 16. Toutefois, M. B... a demandé la liquidation de ses droits à la retraite à compter du 21 février 2016, la commune a donc pu considérer inopportune l'engagement d'une procédure disciplinaire à la suite de la seconde suspension et ni ces suspensions, ni leur absence de suite ne peuvent être regardées comme motivées par des considérations étrangères à l'intérêt du service. L'intéressé n'a d'ailleurs pas contesté les décisions de suspension.
En ce qui concerne les évaluations et la notation :
18. Si M. B... soutient sans être contredit qu'il n'a pas fait l'objet d'entretien d'évaluation, il était en congé de longue maladie du 23 février 2009 au 22 février 2015, ce qui rendait difficile l'appréciation de ses mérites professionnels au titre de ces années. Par ailleurs, compte tenu de son départ à la retraite, le 21 février 2016, la commune a pu considérer comme inopportun de procéder à une évaluation au titre de l'année 2015, sans que ces circonstances ne puissent être attribuées à des considérations étrangères à l'intérêt du service.
19. Si M. B... soutient, sans toutefois l'établir mais sans que cela soit non plus sérieusement contesté que, sa note a baissé alors même qu'il n'avait pas fait l'objet d'un entretien professionnel, le fait qu'il ait manqué de respect à l'égard des élus, ce qui est établi ainsi qu'il a été dit au point 15, peut expliquer une telle baisse et celle-ci ne peut pas plus être attribuée à des considérations étrangères à l'intérêt du service.
En ce qui concerne les incidents du 25 mars 2015 et du 25 novembre 2015 :
20. Le 25 mars 2015, M. B... après avoir déclaré au maire que sa présence l'incommodait, se plaint d'avoir été agressé par ce dernier qui aurait violemment poussé un fauteuil dans ses jambes. M. B... a déposé une main courante et a fait l'objet d'une incapacité temporaire totale de trois jours, reconnue par un médecin. En sens inverse, le maire soutient que c'est M. B... qui lui a jeté un tabouret dans les jambes et est à l'origine de l'altercation. Les pièces produites par les parties ne permettent pas d'établir la matérialité des faits et de considérer qu'ils témoigneraient du harcèlement moral allégué par M. B....
21. Le 26 novembre 2015, le maire portait plainte, estimant avoir été agressé par M. B... dans le bureau de ce dernier, en présence d'un de ses adjoints. En sens inverse, M. B... a également porté plainte, estimant avoir été agressé par le maire et par l'adjoint et faisait mention d'une incapacité totale de trois jours, reconnue par certificat médical. Par un arrêt du 12 décembre 2019, la cour d'appel de Douai a relaxé M. B... pour ces faits au bénéfice du doute. Ces faits dont les circonstances exactes ne sont donc pas établies, ne permettent pas non plus de considérer qu'ils témoigneraient du harcèlement moral allégué par M. B....
En ce qui concerne l'état de santé de M. B... :
22. Il résulte de l'instruction que M. B... a connu une dépression sévère depuis 1999 et se poursuivant après sa reprise de travail, le 23 février 2015. L'intéressé a lié sa pathologie à son contexte professionnel sans toutefois que l'imputabilité au service de son affection soit reconnue. Les expertises psychiatriques que produit l'appelant évoquent une personnalité névrotique et un sentiment de persécution. Toutefois, l'expertise ordonnée dans le cadre de la procédure pénale ne note aucun signe paranoïaque, ni névrotique. En tout état de cause, aucune pièce ne démontre une dégradation de l'état de santé de M. B... liée aux faits de harcèlement qu'il estime avoir subis depuis sa reprise du travail, le 23 février 2015.
23. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 22 que M. B... fait état de faits qui peuvent laisser présumer des agissements de harcèlement moral, limités uniquement aux suspensions non suivies de saisine du conseil de discipline et à l'absence d'évaluation. Mais la commune apporte des explications en lien avec l'intérêt du service. Si elle a insuffisamment pris en compte les difficultés d'une reprise sereine du travail par M. B... en mi-temps thérapeutique à compter du 23 février 2015, compte tenu de la personnalité, de l'état de santé et de l'historique conflictuel avec cet agent, M. B... a de son côté manifesté dès sa reprise, une attitude irrespectueuse à l'égard des élus et un comportement déplacé. Compte tenu de tous ses éléments, il n'est pas établi que M. B... ait subi des agissements répétés de harcèlement moral ayant entraîné la dégradation de ses conditions de travail et de sa santé. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions indemnitaires. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement de la commune de Bellaing.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Bellaing au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de Bellaing.
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N°20DA00037
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