Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir, la décision du 3 mai 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré les décisions implicites de rejet des recours hiérarchiques, nées les 11 janvier 2021 et 12 avril 2021, a annulé les décisions de l'inspectrice du travail des 7 juillet 2020 et 5 novembre 2020 et a autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 2105668 du 2 novembre 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 3 mai 2021 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 décembre 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Desmazières, aux droits de laquelle sont venues la SCP Alpha et
la SELAS MJS Partners, mandataires judiciaires liquidateurs, représentés par Me Monrosty, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter toute demande tendant à l'annulation de la décision du 3 mai 2021 de la ministre du travail.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que la ministre ne pouvait, pour apprécier le motif économique du licenciement, se fonder sur le seul constat de l'existence d'un premier jugement du tribunal de commerce plaçant l'entreprise en redressement judiciaire et d'un second arrêtant un plan de redressement par voie de continuation ; en l'occurrence, le motif économique est justifié dès lors que les suppressions de postes, dont celui de M. B..., ont été envisagées pendant la période d'observation et qu'elles participent du plan de licenciement visé par l'article L. 631-17 du code de commerce ; la mise en œuvre effective de ces licenciements, autorisée par le juge commissaire, pouvait ainsi être différée dans le temps, dans le cadre du plan de redressement par voie de continuation ;
- c'est également à tort que le tribunal a considéré qu'elle ne justifiait pas d'une recherche sérieuse de reclassement ; dès lors que l'emploi avait été supprimé avant que M. B... ne soit placé en arrêt de travail, elle n'était pas tenue de soumettre son salarié à l'examen de reprise du travail prévu par l'article R. 4624-31 du code du travail.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2024, M. A... B..., représenté par Me Kappopoulos, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Desmazières de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Desmazières ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2024, le ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut à ce qu'il soit fait droit à la requête de la société Desmazières, à l'annulation du jugement et au rejet de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille.
Par une ordonnance du 4 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 4 juillet 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Aloyau, représentant la SCP Alpha et la SELAS MJS Partners agissant en qualité de mandataires liquidateurs de la société Desmazières, et de Me Kappopoulos, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., employé depuis 1988 par la société Desmazières en qualité d'électromécanicien au siège de Lesquin, détenait le mandat de délégué syndical jusqu'au 17 février 2019 et de représentant de proximité au comité social et économique (CSE) depuis le 14 novembre 2019. La société Desmazières a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par un jugement du tribunal de commerce de Lille-Métropole du 5 février 2018. Le 22 janvier 2020, la société Desmazières a sollicité auprès de l'inspection du travail de l'unité de contrôle Lille-Est, l'autorisation de licencier pour motif économique M. B.... Par une décision du 5 novembre 2020, l'inspectrice du travail compétente a refusé d'accorder cette autorisation. Par une décision du 3 mai 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, saisie d'un recours hiérarchique formé par la société Desmazières, a, d'une part, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 5 novembre 2020 et d'autre part, autorisé le licenciement de M. B.... La société Desmazières, aux droits de laquelle sont venues la SCP Alpha et la SELAS MJS Partners agissant en qualité de mandataires liquidateurs, relève appel du jugement du 2 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 3 mai 2021 de la ministre en charge du travail, en tant qu'elle a autorisé le licenciement de M. B....
Sur le bien-fondé du jugement :
2. L'article L. 631-17 du code de commerce, relatif à la possibilité de procéder à des licenciements économiques lorsqu'une entreprise est placée en période d'observation dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire, dispose que : " Lorsque des licenciements pour motif économique présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d'observation, l'administrateur peut être autorisé par le juge-commissaire à procéder à ces licenciements (...) ". En vertu de ces dispositions, lorsqu'une entreprise est placée en période d'observation dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire, l'administrateur judiciaire ne peut procéder à des licenciements pour motif économique que s'ils présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable et après autorisation, non nominative, du juge-commissaire désigné par le tribunal de commerce. Si le salarié dont le licenciement est envisagé bénéficie du statut protecteur, l'administrateur doit, au surplus, obtenir préalablement l'autorisation nominative de l'inspecteur du travail qui vérifie, outre le respect des exigences procédurales légales et des garanties conventionnelles, que ce licenciement n'est pas en lien avec le mandat du salarié, que la suppression du poste en cause est réelle et a été autorisée par le juge-commissaire, que l'employeur s'est acquitté de son obligation de reclassement et, enfin, qu'aucun motif d'intérêt général ne s'oppose à ce que l'autorisation soit accordée. En revanche, il résulte des dispositions du code de commerce citées
ci-dessus que le législateur a entendu que, pendant la période d'observation, la réalité des difficultés économiques de l'entreprise et la nécessité des suppressions de postes soient examinées par le juge de la procédure collective dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire. Dès lors qu'un licenciement a été autorisé par une ordonnance du juge-commissaire, ces éléments du motif de licenciement ne peuvent être contestés qu'en exerçant les voies de recours ouvertes contre cette ordonnance et ne peuvent être discutés devant l'administration.
3. Toutefois, ainsi qu'il vient d'être dit, il découle des termes mêmes de l'article L. 631-17 du code de commerce que l'autorisation délivrée par le juge-commissaire de procéder à des licenciements qui présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d'observation ne peut être prise que durant cette période. Dans ces conditions, l'administration ne peut légalement autoriser un licenciement demandé sur le fondement d'une autorisation délivrée par le juge-commissaire si la période d'observation a expiré à la date à laquelle l'employeur la saisit de sa demande.
4. Il ressort des pièces du dossier que par un jugement en date du 5 février 2018, le tribunal de commerce de Lille Métropole a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la société Desmazières et a fixé à six mois la période d'observation pendant laquelle des propositions tendant à la continuation ou à la cession de l'entreprise devaient être établies. Pour la mise en place du plan de continuation, les co-administrateurs judiciaires ont envisagé un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) conduisant à la fermeture de vingt-sept magasins à l'enseigne " ... " et à des suppressions de postes au niveau du siège de Lesquin, dont notamment à la direction immobilière employant trois salariés sur des postes d'électromécaniciens parmi lesquels M. B.... Le 26 novembre 2018, les co-administrateurs judiciaires ont notifié à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) des Hauts-de-France, un projet de licenciement économique collectif faisant l'objet d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) ainsi qu'une demande de validation d'un accord collectif majoritaire signé le 18 novembre précédent avec les représentants des organisations syndicales, prévoyant la suppression de cent seize emplois. Par une décision du 28 novembre 2018, la Direccte
des Hauts-de-France a validé cet accord collectif au visa duquel, par une ordonnance du 5 décembre 2018, le juge commissaire a autorisé les administrateurs judiciaires à procéder au licenciement de quatre-vingt-quatorze salariés employés dans trente-quatre magasins à l'enseigne " ... " et vingt-deux salariés du siège de Lesquin, dont six à la direction immobilière.
5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que par un jugement du 4 février 2019, le tribunal de commerce de Lille-Métropole a arrêté le plan de redressement par voie de continuation de la société Desmazières, décision qui, en vertu des articles L. 631-19 et L. 626-1 du code de commerce, a mis fin à la période d'observation. A compter de cette date, aucune demande de licenciement ne pouvait être sollicitée sur le fondement des dispositions de l'article L. 631-17 du code de commerce. Aussi, contrairement à ce que soutient l'appelante, l'autorisation de licencier M. B..., qu'elle a présentée le 22 janvier 2020, ne peut être regardée comme l'ayant été durant la période d'observation, ni a fortiori comme se rattachant à cette période. Dans ces conditions, et alors que le jugement du tribunal de commerce du 4 février 2019 arrêtant le plan de redressement de l'entreprise ne comporte aucune indication quant au nombre de salariés du siège dont le licenciement est autorisé, ainsi qu'aux catégories socio-professionnelles concernées, il appartenait au ministre chargé du travail d'apprécier la réalité du motif économique. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'en autorisant le licenciement de M. B... pour motif économique en se fondant sur la simple référence aux jugements du tribunal de commerce de Lille-Métropole des 5 février 2018 et 4 février 2019 plaçant successivement la société Desmazières en redressement judiciaire puis arrêtant un plan de redressement par voie de continuation, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a entaché sa décision d'erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le respect de l'obligation de reclassement du salarié protégé, que la société Desmazières, aux droits de laquelle sont venues la SCP Alpha et la SELAS MJS Partners agissant en qualité de mandataires liquidateurs, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 3 mai 2021 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion autorisant le licenciement de M. B....
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCP Alpha et de la SELAS MJS Partners agissant en qualité de mandataires liquidateurs de la société Desmazières une somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Desmazières, aux droits de laquelle sont venues la SCP Alpha et la SELAS MJS Partners agissant en qualité de mandataires liquidateurs, est rejetée.
Article 2 : La SCP Alpha et la SELAS MJS Partners agissant en qualité de mandataires liquidateurs de la société Desmazières, verseront à M. B... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP Alpha et à la SELAS MJS Partners agissant en qualité de mandataires liquidateurs de la société Desmazières, à M. A... B... et à la ministre du travail et de l'emploi.
Copie en sera transmise à la société Desmazières.
Délibéré après l'audience publique du 15 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
La présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
N° 23DA02380 2