Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Marsala Sro a demandé au tribunal administratif de Toulon, par deux requêtes distinctes, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2011 à 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1701470 et 1701471 du 13 décembre 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 20MA00665, le 14 février 2020, la SARL Marsala Sro, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 13 décembre 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a considéré qu'elle avait un établissement stable en France alors que les salariés sont matériellement et juridiquement attachés au siège social de la société en Slovaquie ;
- elle a émis des factures " hors taxe sur la valeur ajoutée " ;
- les prestations de mise à disposition du personnel ont été rendues en France à un preneur assujetti redevable et c'est le preneur qui devait déclarer la taxe sur la valeur ajoutée ;
- elle n'est pas le redevable de l'opération et n'a pas encaissé la taxe sur la valeur ajoutée ;
- la position de l'administration induit une double taxation des prestations de service.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SARL Marsala Sro ne sont pas fondés.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 20MA00666, le 14 février 2020, la SARL Marsala Sro, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 13 décembre 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés en litige et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'administration était fondée à réintégrer dans ses résultats imposables le profit sur le trésor correspondant au montant de la taxe due ;
- l'administration a considéré qu'elle avait un établissement stable en France alors que les salariés ne sont pas des résidents français et sont matériellement et juridiquement attachés au siège social de la société en Slovaquie ;
- la rémunération des prestations de mise à disposition du personnel relève de l'activité de la société slovaque et l'administration n'apporte pas la preuve que cette prestation se rattache à l'établissement stable ;
- l'évaluation du résultat imposable n'a aucun fondement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SARL Marsala Sro ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention du 1er juin 1973 entre la France et la Tchécoslovaquie en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune, qui, en application de l'accord signé les 24 juin et 7 août 1996 et publié par le décret n° 98-845 du 16 septembre 1998, continue de produire ses pleins effets à l'égard de la Slovaquie ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné, par décision du 19 mars 2021, Mme Mylène Bernabeu, présidente, pour assurer les fonctions de présidente par intérim de la 3ème chambre à compter du 20 mars 2021, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Courbon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Marsala Sro, société de droit slovaque qui exerce une activité de travail temporaire dans le domaine du bâtiment, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, à l'issue de laquelle, après avoir constaté le défaut de présentation de comptabilité dans un procès-verbal dressé le 5 novembre 2015, le vérificateur a reconstitué son chiffre d'affaires et notifié, selon la procédure de taxation d'office, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2011 à 2013, assortis de la majoration de 80 % pour activité occulte. La SARL Marsala Sro relève appel du jugement du 13 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes tendant à la décharge des impositions supplémentaires ainsi mises à sa charge.
Sur la jonction des requêtes :
2. Les requêtes n° 20MA00665 et n° 20MA00666 sont dirigées contre le même jugement, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur le principe de l'imposition en France :
En ce qui concerne l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :
3. D'une part, aux termes de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 5 de la convention fiscale franco-tchécoslovaque du 1er juin 1973 tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur les revenus, applicable aux relations entre la France et la Slovaquie en vertu de l'accord conclu sous forme d'échange de lettres relatif à la succession en matière de traités entre la France et la Tchécoslovaquie signées les 24 juin et 7 août 1996 : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : a) Un siège de direction ; b) Une succursale ; c) Un bureau d'affaires commerciales (...) ". L'article 7 de cette convention stipule : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable ".
5. Il résulte de l'instruction et notamment des résultats de la demande d'assistance administrative internationale exercée auprès des autorités fiscales slovaques, ainsi que des éléments recueillis par l'administration fiscale dans le cadre du débat oral et contradictoire lors des opérations de contrôle, que la SARL Marsala Sro disposait au 424 Chemin Arthur à Toulon, au domicile de M. D..., son gérant, d'un local permanent pourvu du matériel informatique nécessaire à son activité et des moyens de communication utiles. Le vérificateur a également constaté que les contrats de mission temporaire étaient signés en France et les factures, rédigées en français, comportaient les coordonnées personnelles de M. D.... Par ailleurs, ce dernier, seul détenteur de la signature sur le compte bancaire de la société, était le seul représentant vis-à-vis des clients et des fournisseurs, négociait les contrats de mission temporaire, payait les salariés, assurait la gestion commerciale, rédigeait les factures et les transmettait à partir de la France, signait tous les contrats de missions temporaires ainsi que les factures. Il résulte enfin de l'instruction que la société requérante ne disposait en Slovaquie d'aucun local propre et que ses coordonnées étaient celles d'une entreprise de domiciliation ayant pour objet la location d'une adresse postale, la mise à disposition de services de secrétariat et de comptabilité.
6. Il résulte de ce qui précède que l'administration fiscale doit être regardée comme démontrant que la SARL Marsala Sro a exercé en France, au cours des années en litige, une activité par l'intermédiaire d'un établissement autonome au sens des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts. Elle établit également, par ces mêmes éléments, qu'elle dispose en France d'une installation fixe d'affaires caractérisant un établissement stable au sens des stipulations de l'article 5 de la convention fiscale entre la France et la Tchécoslovaquie du 1er janvier 1973, dont les bénéfices sont imposables en France.
En ce qui concerne l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée :
7. En application des dispositions de l'article 259 du code général des impôts, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, le lieu des prestations de services est situé en France lorsque le prestataire dispose en France d'un établissement stable à partir duquel le service est rendu.
8. Ainsi qu'il a été dit aux points 5 et 6, au cours de la période vérifiée, la SARL Marsala Sro a bien disposé, en France, d'un établissement stable à partir duquel ses services ont été réalisés. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale l'a assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée.
Sur le bien-fondé des impositions en litige :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
9. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". L'article R. 193-1 de ce livre dispose que : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ". Aux termes de l'article L. 66 du même livre : " Sont taxés d'office : / (...) 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 ; / 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes (...) ".
10. La société requérante, qui exerçait une activité en France, n'a pas souscrit les déclarations auxquelles elle était tenue. Elle n'établit, ni même n'allègue, que l'absence de respect de cette obligation résulterait d'une erreur de sa part. Par conséquent, l'administration était en droit de mettre en oeuvre à son endroit la procédure de taxation d'office sur le fondement du 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales s'agissant de l'impôt sur les sociétés, sans avoir à procéder à une mise en demeure en application de l'article L. 68 du même livre, en raison du caractère occulte de cette activité, et du 3° de l'article L. 66 de ce livre, s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée. La SARL Marsala Sro supporte donc la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions en litige, en application des dispositions des articles L. 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales.
En ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
11. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes de l'article 259 du même code : " Le lieu des prestations de services est situé en France : 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; / b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; (...) ". Le 1 de l'article 266 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " La base d'imposition est constituée : a. Pour les livraisons de biens, les prestations de services et les acquisitions intracommunautaires, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ; (...) ".
12. Il résulte de l'instruction, et ainsi qu'il a été dit précédemment, que la SARL Marsala Sro disposait, au cours des années d'imposition en litige, d'un établissement stable en France à partir duquel elle exerçait une activité économique de fourniture de prestations de travail temporaire à destination de chantiers situés exclusivement en France. Elle est, à ce titre, assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée en France. La société requérante ne conteste pas les montants des opérations taxables en France et la localisation des preneurs, qui sont deux sociétés françaises établies dans le Var. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a considéré que le prix payé par les clients de cette société était réputé toutes taxes comprises, a ramené les sommes encaissées par la société requérante à leurs montants hors taxes, puis a calculé la taxe sur la valeur ajoutée collectée par la société requérante. Si cette dernière fait valoir que les rappels en litige ont pour conséquence de taxer deux fois les mêmes prestations alors qu'elles ont déjà été autoliquidées par les sociétés clientes et qu'elle a établi des factures ne faisant pas apparaître de taxe sur la valeur ajoutée et sur lesquelles était mentionnée " exonération en vertu de l'article 283-1 du code général des impôts. TVA due par le preneur ", d'une part, elle ne produit aucune pièce comptable ou extra comptable et, d'autre part, en tout état de cause, ces circonstances sont sans influence sur le bien-fondé des rappels contestés dès lors que la société requérante ne peut qu'être considérée, compte-tenu de ce qui précède, comme la redevable de la taxe sur la valeur ajoutée en litige.
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :
13. D'une part, la SARL Marsala Sro reprend le moyen soulevé en première instance tiré de ce que c'est à tort que l'administration a réintégré dans ses résultats imposables le profit sur le trésor correspondant au montant de la taxe due sans apporter d'éléments nouveaux au soutien de ce moyen, qu'il y a lieu d'écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif au point 7 du jugement contesté.
14. D'autre part, en l'absence de présentation par la société requérante de sa comptabilité, l'administration a reconstitué ses recettes au titre des années 2011 à 2013 à partir des éléments en sa possession, à savoir les factures établies. La SARL Marsala Sro, en se bornant à faire valoir que l'activité de mise à disposition du personnel ne peut être rattachée à l'établissement stable en France et que l'évaluation du résultat imposable n'a aucun fondement, n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'exagération des bases d'imposition retenues.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Marsala Sro n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Les requêtes de la SARL Marsala Sro sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Marsala Sro et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 8 avril 2021, où siégeaient :
- Mme Bernabeu, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme B..., première conseillère,
- Mme C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 avril 2021.
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N° 20MA00665, 20MA00666
mtr