Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 6 janvier 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Kalhyge 4 à procéder à son licenciement pour refus d'application de l'accord de performance collective du 20 juillet 2020 et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2101981 du 12 octobre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de Mme A....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 7 décembre 2023 et des mémoires complémentaires enregistrés les 13 mars 2024 et 3 mai 2024, Mme B... A..., représentée par Me Brea, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler la décision en date du 6 janvier 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Kalhyge 4 à procéder à son licenciement ;
3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société Kalhyge 1 venant aux droits de la société Kalhyge 4, le paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est compétente ;
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce qu'un détournement de procédure aurait été commis ;
- elle entend exciper de l'illégalité de l'accord de performance collective, laquelle est recevable, et de son inopposabilité à son égard ;
- l'accord de performance collective est entaché d'illégalité dès lors que la négociation de l'accord était déloyale et " séparée " et que le directeur de l'établissement a exercé des pressions pour faire obstacle au droit de grève ; Mme C... n'a pas été convoquée à la réunion au cours de laquelle l'accord a été signé ; cette dernière a subi une discrimination syndicale ; le consentement des syndicats, qui n'ont pas été rendus destinataires au préalable de la version de l'accord qui a finalement été signée, a été vicié ; les avocats ont signé des contre-lettres concernant l'application de la clause de mobilité géographique ; la pertinence de cet accord n'est pas établie, les difficultés économiques n'étant pas prouvées ;
- l'accord lui a été appliqué alors même qu'elle en avait refusé les termes ;
- l'accord de performance collective doit être requalifié d'accord collectif de droit commun ;
- les dispositions du IV de l'article L. 2254-2 du code du travail ont été méconnues puisqu'elle n'a pas été informée, par un moyen conférant une date certaine et précise, du contenu de l'accord ;
- il existe un lien entre l'exercice de son mandat syndical et le licenciement ;
- la décision révèle l'existence d'un détournement de procédure.
Par mémoires en défense enregistrés les 20 février 2024 et 9 avril 2024, la société Kalhyge 1 venant aux droits de la société Kalhyge 4, représentée par Me Sadaoui, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de Mme A... ;
2°) d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... le paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la Cour est incompétente pour statuer sur la légalité de l'accord de performance collective et que les moyens de la requête sont infondés.
La requête a été communiquée à la ministre du travail, de la santé et des solidarités qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Brea pour Mme A... et de Me Arpante substituant Me Sadaoui pour la société Kalhyge 1.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... exerçait, au sein de la société Kalhyge 4, les fonctions d'ouvrière - agent de production multipostes depuis 1986. Elle a été élue titulaire au comité social et économique de l'établissement de Marseille le 5 juin 2018. Le 20 juillet 2020, la société Kalhyge 4 a conclu avec la CGT, syndicat majoritaire, un accord de performance collective intitulé " Rebond Khalhyge 4 ", en application de l'article L. 2254-2 du code du travail. Mme A... a informé son employeur de son refus de voir appliquer l'accord de performance collective à son contrat de travail par courrier du 12 octobre 2020. Après avis du comité social et économique en date du 13 novembre 2020, la société Kalhyge 4 a sollicité, le 20 novembre 2020, l'autorisation de la licencier auprès des services de l'inspection du travail. Par une décision du 6 janvier 2021, l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle Marseille Centre de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a autorisé le licenciement de Mme A..., lequel est intervenu le 11 janvier suivant. Mme A... interjette appel du jugement du 12 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la décision précitée du 6 janvier 2021.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Par un mémoire enregistré le 31 août 2023, lequel a été communiqué ce qui a eu pour effet de rouvrir l'instruction qui avait été close au 15 octobre 2021, Mme A... a soulevé le moyen tiré de ce que la procédure révèlerait en réalité l'existence d'un licenciement économique et non d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse pour refus de l'accord de performance collective signé le 20 juillet 2020, ce qui serait constitutif d'un détournement de procédure. Le jugement attaqué a omis de statuer sur ce moyen qui n'était pas inopérant. Il est, par suite, entaché d'irrégularité. Il y a lieu, dès lors, de l'annuler et de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées par Mme A....
Sur la légalité de la décision de l'inspectrice du travail du 6 janvier 2021 :
En ce qui concerne l'exception d'incompétence soulevée par la société Kalhyge 1 :
3. Aux termes de l'article L. 2254-2 du code du travail : " " I. - Afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l'emploi, un accord de performance collective peut : - aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition ; - aménager la rémunération au sens de l'article L. 3221-3 dans le respect des salaires minima hiérarchiques mentionnés au 1° du I de l'article L. 2253-1 ; - déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise. / II. - L'accord définit dans son préambule ses objectifs et peut préciser : 1° Les modalités d'information des salariés sur son application et son suivi pendant toute sa durée, ainsi que, le cas échéant, l'examen de la situation des salariés au terme de l'accord ; 2° Les conditions dans lesquelles fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux salariés pendant toute sa durée : - les dirigeants salariés exerçant dans le périmètre de l'accord ; - les mandataires sociaux et les actionnaires, dans le respect des compétences des organes d'administration et de surveillance ; 3° Les modalités selon lesquelles sont conciliées la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés ; 4° Les modalités d'accompagnement des salariés ainsi que l'abondement du compte personnel de formation au-delà du montant minimal défini au décret mentionné au VI du présent article. / Les dispositions des articles L. 3121-41, L. 3121-42, L. 3121-44 et L. 3121-47 s'appliquent si l'accord met en place ou modifie un dispositif d'aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine. / Les articles L. 3121-53 à L. 3121-66 s'appliquent si l'accord met en place ou modifie un dispositif de forfait annuel, à l'exception de l'article L. 3121-55 et du 5° du I de l'article L. 3121-64 en cas de simple modification. / Lorsque l'accord modifie un dispositif de forfait annuel, l'acceptation de l'application de l'accord par le salarié conformément aux III et IV du présent article entraîne de plein droit l'application des stipulations de l'accord relatives au dispositif de forfait annuel. / III. - Les stipulations de l'accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise. / Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l'application de l'accord. / IV. - Le salarié dispose d'un délai d'un mois pour faire connaître son refus par écrit à l'employeur à compter de la date à laquelle ce dernier a informé les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l'existence et du contenu de l'accord, ainsi que du droit de chacun d'eux d'accepter ou de refuser l'application à son contrat de travail de cet accord. / V. - L'employeur dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement. Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse. Ce licenciement est soumis aux seules modalités et conditions définies aux articles L. 1232-2 à L. 1232-14 ainsi qu'aux articles L. 1234-1 à L. 1234-11, L. 1234-14, L. 1234-18, L. 1234-19 et L. 1234-20. / VI. - Le salarié peut s'inscrire et être accompagné comme demandeur d'emploi à l'issue du licenciement et être indemnisé dans les conditions prévues par les accords mentionnés à l'article L. 5422-20. En l'absence des stipulations mentionnées au 4° du II du présent article, l'employeur abonde le compte personnel de formation du salarié dans des conditions et limites définies par décret. Cet abondement n'entre pas en compte dans les modes de calcul des droits crédités chaque année sur le compte et du plafond mentionné à l'article L. 6323-11 ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2232-12 du même code : " La validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa signature par, d'une part, l'employeur ou son représentant et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 2262-14 du code du travail : " Toute action en nullité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif doit, à peine d'irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois à compter : 1° De la notification de l'accord d'entreprise prévue à l'article L. 2231-5, pour les organisations disposant d'une section syndicale dans l'entreprise ; 2° De la publication de l'accord prévue à l'article L. 2231-5-1 dans tous les autres cas. / Ce délai s'applique sans préjudice des articles L. 1233-24, L. 1235-7-1 et L. 1237-19-8 du code du travail ".
4. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que seul le juge judiciaire est compétent pour statuer sur des conclusions tendant à l'annulation d'un accord de performance collective ou, comme sollicité au cas d'espèce par la requérante, sur des conclusions tendant à ce qu'il soit procédé à la requalification dudit accord en accord de droit commun, dès lors qu'il s'agit d'un accord conclu entre personnes de droit privé dont l'objet est, en application des dispositions du code du travail, d'aménager la durée du travail, la rémunération et les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique.
5. Toutefois, s'agissant des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur le motif spécifique visé au V de l'article L. 2254-2 du code du travail, qui constitue, par application de ces dispositions, une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'une part, la validité de l'accord de performance collective au sens de l'article L. 2232-12 précité du code du travail en s'assurant que celui-ci a été signé, sans vice du consentement, par l'employeur ou son représentant et une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, d'autre part, de s'assurer de son opposabilité au salarié qui doit avoir été au préalable dûment informé et avoir exprimé sans ambiguïté son refus et enfin, de vérifier l'absence de détournement de procédure. En revanche, il ne lui appartient pas de vérifier la pertinence de la signature d'un tel accord au regard des nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver ou de développer l'emploi. Par suite, le juge de l'excès de pouvoir est compétent, dans la stricte limite de la compétence de l'inspecteur du travail, pour statuer sur l'exception d'illégalité de l'accord de performance collective.
En ce qui concerne la validité de l'accord de performance collective :
6. Il ressort des pièces du dossier que l'accord de performance collective a été signé par le représentant syndical de la CGT, syndicat majoritaire.
7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à l'issue de la dernière réunion du 9 juillet 2020, les syndicats représentatifs se sont vus adresser le jour même par la directrice des ressources humaines, par courrier électronique, les modifications apportées au projet d'accord surlignées en jaune, parmi lesquelles l'article 18 relatif à la clause de mobilité géographique.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient la requérante, Mme C..., représentante syndicale CFDT, avait été convoquée à la réunion du comité central social et économique qui s'est tenue le 20 juillet, à laquelle elle était d'ailleurs présente ainsi qu'en atteste le procès-verbal dudit comité, et à l'issue de laquelle l'accord de performance collective a été signé par le représentant syndical de la CGT.
9. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'accord de performance collective résulterait de pressions exercées sur les salariés par le directeur de la société Kalhyge 4 à la suite d'un mouvement de grève initié le 9 juillet, aurait fait l'objet d'une " négociation séparée " ou d'une signature de contre-lettres ou révèlerait une discrimination syndicale à l'égard de la représentante du syndicat CFDT.
En ce qui concerne l'opposabilité de l'accord de performance collective à Mme A... :
10. Aux termes du IV précité de l'article L. 2254-2 du code du travail : " IV. - Le salarié dispose d'un délai d'un mois pour faire connaître son refus par écrit à l'employeur à compter de la date à laquelle ce dernier a informé les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l'existence et du contenu de l'accord, ainsi que du droit de chacun d'eux d'accepter ou de refuser l'application à son contrat de travail de cet accord ".
11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par une lettre du 23 juillet 2020 notifiée à l'intéressée par lettre recommandée avec accusé de réception le 27 juillet 2020, soit à une date certaine et précise, Mme A... a été informée de l'existence de l'accord de performance collective signé le 20 juillet 2020 et invitée à faire connaître, dans un délai de trois mois, au demeurant supérieur à celui prévu par les dispositions précitées, son acceptation ou son refus d'application à son contrat de travail dudit accord. S'il est constant qu'à ce courrier était jointe une synthèse du contenu de l'accord et non l'accord lui-même, ladite lettre précisait toutefois que le texte intégral était mis à la disposition de l'intéressée sur le site intranet de l'entreprise ou qu'une copie pouvait lui être remise au service des ressources humaines. Par suite, le moyen tiré de ce que l'intéressée n'aurait pas été informée par un moyen conférant une date certaine et précise tant de l'existence que du contenu de l'accord doit être écarté.
12. En second lieu, si Mme A... fait valoir que son employeur aurait fait application de l'accord de performance collective à son contrat en dépit du refus qu'elle a exprimé, en diminuant le montant de sa prime d'ancienneté, ledit moyen est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement.
En ce qui concerne l'absence de lien avec le mandat syndical exercé par Mme A... :
13. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et alors que tous les salariés de l'entreprise, y compris ceux qui n'étaient pas protégés, ayant refusé l'accord de performance collective ont été licenciés, que le licenciement de l'intéressée serait en lien avec l'exercice de son mandat syndical.
En ce qui concerne le détournement de procédure :
14. Si la requérante fait valoir que tous les salariés licenciés n'ont pas été remplacés, ce qui révèlerait le fait que l'employeur souhaitait en réalité procéder à leur licenciement économique et serait constitutif d'un détournement de procédure, il ressort des pièces du dossier et notamment des déclarations mensuelles obligatoires des mouvements de main d'œuvre produites par la société Kalhyge 1 que les effectifs de l'entreprise ont été, après la signature de l'accord de performance collective, stables. Par suite, le moyen précité doit être écarté.
15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail en date du 6 janvier 2021 doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
16. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par Mme A... doivent, dès lors, être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées, tant en première instance qu'en appel, par la société Kalhyge 1 en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2101981 du tribunal administratif de Marseille du 12 octobre 2023 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de première instance et d'appel présentées par Mme A... sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Kalhyge 1 en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance et en appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la société Kalhyge 1 et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2024.
N° 23MA02921 2
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