Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler l'arrêté du 10 septembre 2020 par lequel le préfet de la Haute-Corse a déclaré d'utilité publique, au bénéfice de la commune de Crocicchia, la " régularisation d'une voie communale " qui dessert le hameau de Nove Piane, sur le territoire communal, et déclaré cessibles les parcelles nécessaires à cette opération, dont deux parties d'une surface de 443 et de 638 m2 de la parcelle cadastrée section B n° 142 qui lui appartient et, d'autre part, de mettre à la charge de cette commune et de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2100044 du 6 avril 2023, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 septembre 2020 en tant qu'il déclare cessible ces deux parties de cette parcelle cadastrée section B n° 142 et a mis à la charge de l'Etat et de la commune de Crocicchia une somme de 800 euros à verser, chacun, à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, avant de rejeter le surplus des conclusions de la demande de première instance présentée par cette dernière.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 26 mai 2023, et les 11 mars, 5 avril et 2 mai 2024, un mémoire récapitulatif produit en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 13 juin 2024, et un nouveau mémoire, enregistré le 4 juillet 2024 et non communiqué, Mme A..., représentée par Me Meloni, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 6 avril 2023 en ce qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 10 septembre 2020 en tant qu'il porte déclaration d'utilité publique, ensemble, et dans cette même mesure, cet arrêté ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Crocicchia une somme de 5 000 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur son appel partiel et l'irrégularité du jugement attaqué :
- c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de ce que la délibération du conseil municipal de Crocicchia du 18 mai 2018 a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales ;
- s'agissant de la réponse apportée par lesdits juges au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 112-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique,
le point 10 du jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit confinant à une méconnaissance du champ d'application de la loi et d'une dénaturation des pièces du dossier ; la commune de Crocicchia n'a pas joint au dossier d'enquête publique transmis au préfet les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ;
- s'agissant du caractère d'utilité publique de l'opération projetée :
. le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce que le tribunal administratif de Bastia n'a pas vérifié si l'expropriation projetée répond à une finalité d'intérêt général ;
. ce jugement est également insuffisamment motivé sur les conditions d'insécurité de la route qui rendraient l'expropriation d'utilité publique ;
. les premiers juges ont reconnu à tort l'intérêt public de l'opération ;
- l'avis des services des domaines n'a pas été sollicité en méconnaissance des dispositions de l'article R. 1211-3 du code général de la propriété des personnes publiques qui s'appliquent en l'espèce grâce aux dispositions combinées des articles R. 1211-9 du même code et R. 1311-5 du code général des collectivités territoriales ; elle a donc été, avec la personne expropriante, privée d'une garantie ; ce moyen nouveau est recevable ;
- l'évaluation sommaire fournie dans le dossier d'enquête publique n'a pas été réalisée conformément aux dispositions des articles R. 1311-5 du code général des collectivités territoriales et R. 1211-3 du code général de la propriété des personnes publiques ;
Sur l'appel incident de la commune de Crocicchia :
- la commune de Crocicchia n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, l'arrêté préfectoral du 10 septembre 2020 a été annulé en tant qu'il porte cessibilité
dès lors qu'aucun document d'arpentage n'a été produit avant son édiction ;
Sur l'effet dévolutif de l'appel :
- elle excipe de l'illégalité de la délibération du conseil municipal de Crocicchia du
18 mai 2018 :
. cette délibération a été adoptée en méconnaissance les dispositions des articles
L. 2121-10 et L. 2121-11 du code général des collectivités territoriales ;
. elle a été adoptée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales dont il découle que tout dossier d'enquête publique transmis au préfet doit être accompagné de la délibération sollicitant l'ouverture d'une enquête préalable à la déclaration d'utilité publique ;
- sur les vices tenant au déroulement de l'enquête publique :
. en méconnaissance de dispositions de l'article R. 112-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, le dossier d'enquête publique ne comprend pas de mentions quant aux caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; cette incomplétude l'a privée d'une garantie substantielle et constitue un vice qui entache d'illégalité la procédure d'enquête publique ;
. les dispositions des articles R. 1311-5 du code général des collectivités territoriales et R. 1211-3 du code général de la propriété des personnes publiques ont été méconnues ;
- sur le rapport du commissaire enquêteur :
. les dispositions de l'article R. 112-19 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ont été méconnues ;
. ce rapport est entaché d'une erreur de fait ;
. il est entaché d'un parti pris ;
- l'utilité publique de l'opération n'est pas établie et l'arrêté en litige est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard du bilan coût/avantages ;
- l'opération est entachée d'un détournement de pouvoir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- Mme A... ne peut utilement se prévaloir, pour contester le jugement attaqué devant la Cour, de ce que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'une erreur de droit ou encore d'une dénaturation ;
- les autres moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés et, pour le reste, il reprend à son compte les écritures produites en première instance par le préfet de la Haute-Corse.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 novembre 2023, et les 25 mars et 5 avril 2024, et un mémoire récapitulatif produit en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistré le 10 juin 2024, la commune de Crocicchia, représentée par Me Muscatelli, conclut, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, et par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il annule l'arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 septembre 2020 en tant qu'il déclare cessibles, à son profit, deux parties de la parcelle cadastrée section B n° 142 appartenant à Mme A..., et, enfin, à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de cette dernière au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
Sur ses conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bastia :
- ses conclusions à fin d'appel incident sont recevables dès lors qu'elles portent sur un litige qui n'est pas distinct de celui engagé par Mme A..., à travers son appel principal ;
- ses conclusions à fin d'appel incident sont fondées : les premiers juges ont, au point 21 de leur jugement attaqué, à la fois dénaturé les pièces du dossier et inexactement qualifié les faits de l'espèce ; contrairement à ce qu'il a été jugé en première instance, la déclaration de cessibilité a été précédée d'un document d'arpentage et Mme A... n'a donc pas été privée d'une garantie ;
Sur ses conclusions tendant au rejet de la requête et des conclusions de première instance présentées par Mme A... :
- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 112-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est inopérant ;
- le nouveau moyen présenté en appel et tiré de l'absence de l'avis du directeur départemental des finances publiques au sein du dossier soumis à enquête publique est également inopérant ;
- les autres moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Un courrier du 14 mai 2024, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 17 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Par des lettres du 22 octobre 2024, la Cour a informé les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'elle était susceptible de fonder son arrêt sur le moyen, relevé d'office, tiré ce que, dans l'hypothèse où elle annulerait l'arrêté préfectoral du 10 septembre 2020 en tant qu'il déclare d'utilité publique, au bénéfice de la commune de Crocicchia, la " régularisation d'une voie communale ", les conclusions à fin d'appel incident présentées par la commune de Crocicchia devraient être rejetées, cette annulation emportant, par voie de conséquence, celle de ce même arrêté préfectoral en tant qu'il déclare cessibles, au profit de cette même commune, les deux parties de la parcelle cadastrée section
B n° 142 appartenant à Mme A....
Par des courriers du 28 octobre 2024, les parties ont été informées de ce que la Cour était susceptible, dans le prolongement la décision n° 437634 du Conseil d'Etat du 9 juillet 2021, classée en A, de surseoir à statuer sur la requête, dans l'attente de la régularisation des vices tenant :
. s'agissant de l'arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 septembre 2020 en tant qu'il porte déclaration d'utilité publique, à l'absence de consultation du directeur départemental des finances publiques, en méconnaissance des dispositions combinées des articles R. 1311-5 du code général des collectivités territoriales, et R. 1211-3 et R. 1211-9 du code général de la propriété des personnes publiques ;
. s'agissant de ce même arrêté en tant qu'il déclare cessibles les deux parties de la parcelle cadastrée section B n° 142 appartenant à Mme A..., à l'absence de document d'arpentage, en méconnaissance des dispositions combinées des articles R. 132-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.
Par un mémoire distinct, enregistré le 31 octobre 2024 et " suscit[é] par l'invitation de la Cour du 28 octobre 2024 à produire des observations sur un sursis à statuer ", Mme A..., représentée par Me Meloni, demande à la Cour, en application des dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité du " principe jurisprudentiel fondé sur l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme " aux articles 6, 12, 15, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
Elle soutient que :
- l'interprétation jurisprudentielle contestée est applicable au litige ou à la procédure en cours ;
- elle invoque la non-conformité du principe jurisprudentiel en cause au droit à un procès équitable devant la juridiction administrative ainsi qu'au droit à une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, en méconnaissance des stipulations des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- ce principe jurisprudentiel n'est pas davantage conforme aux articles 12, 15 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- le Conseil constitutionnel n'a pas eu à connaître de la conformité de ce principe jurisprudentiel à ces articles 6, 12, 15, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et aucune question prioritaire de constitutionnalité ne porte actuellement sur cette question au vu des sites Internet du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation ;
- sa question prioritaire de constitutionnalité présente un caractère sérieux.
Par des observations en réponse au courrier susvisé qui lui a été adressé le 28 octobre 2024, enregistrées le 31 octobre 2024, Mme A..., représentée par Me Meloni, indique que le sursis à statuer retenu dans la décision n° 437634 du Conseil d'Etat du 9 juillet 2021 n'est pas transposable dans la présente affaire et que, dans l'hypothèse où la Cour favoriserait la régularisation de l'arrêté préfectoral litigieux, elle serait fondée à soutenir qu'elle n'a pas eu droit à un procès équitable, en méconnaissance des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et qu'en procédant d'office à une régularisation, sans que l'administration l'ait demandée, dans une matière où aucun texte ne le prescrit, la Cour instaurerait un déséquilibre entre ses droits et l'intérêt général.
Par des observations en réponse, enregistrées le 31 octobre 2024, la commune de Crocicchia, représentée par Me Muscatelli, indique que :
- le principe prétorien dégagé par le Conseil d'Etat à travers sa décision n° 437634 du 9 juillet 2021, qui s'inspire de dispositions législatives mais ne repose sur aucune, permettant la régularisation des vices de procédure, a vocation à s'appliquer au cas d'espèce, dans l'hypothèse où la juridiction ne rejetterait pas la requête de Mme A... ;
- il n'y a pas lieu à question prioritaire de constitutionnalité dès lors que Mme A... ne conteste aucune disposition législative mais un principe jurisprudentiel ;
- l'administration pourra, en cas d'annulation de l'acte contesté pour vice de procédure, reprendre la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique ; il est donc de bonne justice d'éventuellement permettre une régularisation sans que cela n'affecte le droit au procès équitable de Mme A... ;
- il appartiendra à Mme A..., si elle s'estime fondée à le faire, de saisir la juridiction administrative d'un recours indemnitaire contre l'Etat en raison de son prétendu préjudice né du délai excessif de jugement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Figlié, substituant Me Meloni, représentant Mme A..., et celles de Me Giansilly, substituant Me Muscatelli, représentant la commune de Crocicchia.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte du 4 août 2004, Mme A... a hérité, de sa mère, de biens immobiliers comprenant la parcelle cadastrée section B no 142, sur le territoire de la commune de Crocicchia. Or, à compter de l'année 1967, un chemin d'environ un kilomètre linéaire, traversant notamment cette parcelle, a été utilisé puis aménagé, en 1974, pour permettre aux résidents du hameau de Nove Piane, situé en amont, d'accéder directement à la route départementale (RD) n° 515. Par une délibération du 18 mai 2018, le conseil municipal de Crocicchia a autorisé son maire à engager une procédure d'expropriation " afin de régulariser l'implantation de la voie publique construite sur des terrains privés ". Par un arrêté du 6 août 2019, le préfet de la Haute-Corse a prescrit l'ouverture d'une enquête conjointe d'utilité publique et parcellaire, laquelle s'est déroulée
du 20 août au 13 septembre 2019. Puis, par un arrêté du 10 septembre 2020, le représentant de l'Etat a, à la fois, déclaré d'utilité publique, au bénéfice de la commune de Crocicchia, " la régularisation d'une voie communale " et déclaré cessibles les parcelles nécessaires à cette opération, dont deux parties d'une surface respective de 443 et 638 m2 de la parcelle cadastrée section B n° 142. Saisi par Mme A..., le tribunal administratif de Bastia a, à l'article 1er de son jugement susvisé du 6 avril 2023, annulé cet arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 septembre 2020 mais uniquement en tant qu'il déclare cessible ces deux parties. Dans la présente instance, Mme A... relève appel de l'article 2 de ce jugement qui rejette le surplus de ses conclusions portant sur ce même arrêté préfectoral en tant qu'il porte déclaration d'utilité publique. Par la voie de l'appel incident, la commune de Crocicchia demande à la Cour l'annulation de l'article 1er de ce même jugement.
Sur l'appel principal de Mme A... :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 1211-9 du code général de la propriété des personnes publiques : " La consultation du directeur départemental des finances publiques préalable aux acquisitions immobilières poursuivies par les collectivités territoriales (...) a lieu dans les conditions fixées aux articles R. 1311-3, R. 1311-4 et R. 1311-5 du code général des collectivités territoriales. "
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 1311-5 du code général des collectivités territoriales : " Dans le cas des acquisitions poursuivies par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique, les dispositions de l'article R. 1211-3 du code général de la propriété des personnes publiques sont applicables. " Or, cet article R. 1211-3 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que : " En cas d'acquisition poursuivie par voie d'expropriation pour cause d'utilité publique, l'expropriant est tenu de demander l'avis du directeur départemental des finances publiques : / 1° Pour produire, au dossier de l'enquête mentionnée à l'article L. 110-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, l'estimation sommaire et globale des biens dont l'acquisition est nécessaire à la réalisation des opérations prévues aux articles R. 112-4 et R. 112-5 du même code ; / 2° Avant de procéder aux notifications des offres amiables prévues à l'article L. 311-4 et R. 311-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et des propositions prévues à l'article R. 311-6 du même code ; / 3° Avant l'intervention des accords amiables mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 321-3 et au quatrième alinéa de l'article R. 311-20 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. "
4. Il résulte de ces dispositions que l'administration est tenue de solliciter l'avis du directeur départemental des finances publiques, notamment afin de fournir, dans le dossier d'enquête publique, une appréciation sommaire des acquisitions à réaliser.
5. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. L'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte.
6. La consultation du directeur départemental des finances publiques prévue par les dispositions citées plus haut au point 3 du présent arrêt constitue une garantie tant pour le public et la personne expropriée que pour la personne publique expropriante.
7. En l'espèce, il est constant que le maire de Crocicchia n'a pas sollicité l'avis du directeur départemental des finances publiques pour élaborer l'estimation sommaire et globale des parcelles dont l'acquisition restait à réaliser et qu'il a ainsi méconnu l'obligation que lui imposait l'article R. 1211-3 du code général de la propriété des personnes publiques. Ainsi, le public, les personnes expropriées et la commune intimée ont été privés de la garantie que constitue la consultation du directeur départemental des finances publiques. Dès lors, cette irrégularité est de nature à entacher la légalité de l'arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 septembre 2020 en tant qu'il porte déclaration d'utilité publique, au bénéfice de la commune de Crocicchia, de la " régularisation d'une voie communale " desservant le hameau de Nove Piane. Il y a donc lieu d'accueillir ce moyen soulevé pour la première fois en cause d'appel.
8. Alors qu'aucun des autres moyens de la requête n'est mieux à même de régler le litige, il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 septembre 2020 en tant qu'il déclare d'utilité publique, au bénéfice de la commune de Crocicchia, la " régularisation d'une voie communale ". Dans cette mesure, ce jugement et cet arrêté doivent être annulés.
Sur l'appel incident de la commune de Crocicchia :
9. Ainsi qu'en ont été informées les parties, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, par un moyen relevé d'office qu'il convient d'accueillir, l'illégalité de l'arrêté préfectoral contesté en tant qu'il porte déclaration d'utilité publique entraîne, par voie de conséquence, son illégalité en tant qu'il déclare cessibles, au profit de la commune de Crocicchia, les deux parties de la parcelle cadastrée section B n° 142 qui appartient à Mme A.... Les conclusions à fin d'appel incident présentées par la commune de Crocicchia ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
10. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le juge administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
11. Si, en réponse à l'invitation qui lui a été adressée le 28 octobre 2024, Mme A... soutient que le " principe jurisprudentiel fondé sur l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme " méconnaît les articles 6, 12, 15, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ce " principe jurisprudentiel " n'est en tout état de cause pas applicable au présent litige dès lors que la Cour, eu égard à la nature de l'arrêté préfectoral contesté, n'a pas décidé de surseoir à statuer. En conséquence, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
Sur les frais liés au litige :
12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "
13. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par la commune de Crocicchia et non compris dans les dépens.
14. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, et sur le fondement de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de la commune intimée une somme de 2 000 euros à verser à l'appelante.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A....
Article 2 : Le jugement n° 2100044 du tribunal administratif de Bastia du 6 avril 2023 est annulé en ce qu'il rejette les conclusions présentées par Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 septembre 2020 en tant qu'il déclare d'utilité publique, au bénéfice de la commune de Crocicchia, la " régularisation d'une voie communale ". Dans cette mesure, cet arrêté est également annulé.
Article 3 : La commune de Crocicchia versera à Mme A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions à fin d'appel incident présentées par la commune de Crocicchia ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse A..., au ministre de l'intérieur et à la commune de Crocicchia.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.
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No 23MA01321