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19/11/2024 | FRANCE | N°24MA00446

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 19 novembre 2024, 24MA00446


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... C... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'enjoindre à la commune de Crocicchia de mettre fin à l'emprise qu'elle estime irrégulière sur la parcelle cadastrée section B n° 142 dont elle est propriétaire, dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, d'autre part, de condamner cette commune à lui verser une somme totale de 85 000 euros en réparation des préjudices qu'elle e

stime avoir subis du fait de cette emprise, avec intérêts au taux légal à compter d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'enjoindre à la commune de Crocicchia de mettre fin à l'emprise qu'elle estime irrégulière sur la parcelle cadastrée section B n° 142 dont elle est propriétaire, dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, d'autre part, de condamner cette commune à lui verser une somme totale de 85 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de cette emprise, avec intérêts au taux légal à compter de la réception de sa réclamation indemnitaire préalable, soit le 9 septembre 2021, et, enfin, de mettre à la charge de ladite commune la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2101178 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Bastia a rejeté tant sa demande que les conclusions présentées par la commune de Crocicchia sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 février et 14 juillet 2024, Mme A..., représentée par Me Meloni, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 22 décembre 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 20 septembre 2021 par laquelle le maire de Crocicchia a refusé de mettre fin à l'emprise en cause ;

3°) d'enjoindre à la commune de Crocicchia de mettre fin à cette emprise irrégulière, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de condamner la commune de Crocicchia à lui verser la somme de 75 000 euros, au titre du préjudice né de cette occupation irrégulière, et la somme de 10 000 euros, au titre du préjudice moral résultant de cette occupation, et d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter à la réception de sa réclamation indemnitaire préalable, soit le 9 septembre 2021, avec capitalisation desdits intérêts ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Crocicchia une somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'emprise irrégulière est manifeste et le jugement attaqué qui l'a reconnue doit être confirmé sur ce point ;

- depuis au moins 1974, la commune de Crocicchia s'est appropriée de façon illégale une partie de ses parcelles pour en faire une voie publique et son appel incident est infondé ;

- le jugement attaqué est infondé en tant qu'il a considéré que l'emprise irrégulière était régularisable ; le tribunal administratif de Bastia a dénaturé les pièces du dossier et s'est fondé sur des faits erronés ; la circonstance que la commune de Crocicchia a diligenté une procédure d'expropriation n'a pas pour effet de régulariser l'emprise irrégulière ni avant, ni après l'arrêté préfectoral du 10 septembre 2020 ;

- s'agissant des inconvénients de la présence de l'ouvrage sur des intérêts privés, cette emprise irrégulière l'empêchant de louer son terrain à un exploitant agricole, elle subit une perte financière, d'autant que le morcellement de sa parcelle " en zigzag " est préjudiciable à sa valorisation ;

- la démolition de l'ouvrage n'entraînera pas une atteinte excessive à l'intérêt de

quatre personnes, dans la mesure où une voie carrossable dessert déjà le hameau ;

- l'installation irrégulière d'un ouvrage public sur la parcelle d'une personne privée constitue pour celle-ci une privation de jouissance de ses droits de propriété et cette privation est indemnisable ;

- ses demandes d'un montant de 75 000 euros, au titre du préjudice né de cette occupation irrégulière, et de 10 000 euros, au titre du préjudice moral, sont fondées.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 juin et 11 août 2024, la commune de Crocicchia, représentée par Me Muscatelli, conclut, à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que l'indemnité allouée à Mme A... ne dépasse pas la somme de 1 000 euros et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sur les conclusions de Mme A... tendant à mettre fin à la prétendue emprise irrégulière :

. les premiers juges ont commis une erreur de qualification des faits dès lors qu'à supposer même que la voie en cause ait été créée à l'époque sans l'accord du propriétaire de la parcelle cadastrée section B n° 142, cette création constituerait, non pas une emprise irrégulière de sa part, mais un empiètement de la part de l'association syndicale libre (ASL) Nove Piane qui, à ce jour, est dissoute ; c'est par erreur qu'elle a cru, pendant un temps, que la voie en cause pouvait être qualifiée d'ouvrage public ;

. si la Cour devait considérer que l'ouvrage en litige devrait être qualifié d'ouvrage public relevant de sa propriété, de sa garde ou de son entretien, une régularisation appropriée est possible ; la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique en cours et le jugement n° 2100044 du tribunal administratif de Bastia du 6 avril 2023 le confirment ; un vice de procédure n'étant pas de nature à faire obstacle sur le principe à une décision administrative mais imposant, le cas échéant, une reprise de la procédure, à supposer même que ce vice de procédure soit confirmé par la Cour, le principe de la régularisation de l'ouvrage ne serait pas remis en cause ;

- sur les conclusions indemnitaires présentées par Mme A... :

. au principal, elle ne saurait être condamnée à verser une quelconque somme d'argent en réparation d'une emprise irrégulière qu'elle n'a pas commise ;

. à titre subsidiaire, et si la Cour devait considérer l'existence d'une emprise irrégulière de sa part, elle serait, d'une part, fondée à opposer la prescription quadriennale prévue à

l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 pour ce qui est de la réparation du préjudice lié à l'emprise irrégulière évaluée par Mme A... à la somme de 75 000 euros ; Mme A... ne peut que solliciter réparation d'un préjudice pour les années postérieures à compter de 2017 ; d'autre part, les indemnités demandées en lien avec les prétendus préjudices subis ne sont pas justifiées et se révèlent, en tout état de cause, manifestement excessives ; le préjudice total de Mme A... ne saurait, dans la meilleure hypothèse pour cette dernière, dépasser une somme totale de 1 000 euros.

Un courrier du 14 mai 2024, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.

Par une ordonnance du 20 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Figlié, substituant Me Meloni, représentant Mme A..., et celles de Me Giansilly, substituant Me Muscatelli, représentant la commune de Crocicchia.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte du 4 août 2004, Mme A... a hérité, de sa mère, de biens immobiliers comprenant la parcelle cadastrée section B no 142, sur le territoire de la commune de Crocicchia. Or, à compter de l'année 1967, un chemin traversant notamment cette parcelle, a été utilisé puis aménagé, en 1974, pour permettre aux résidents du hameau de Nove Piane, situé en amont, d'accéder directement à la route départementale (RD) n° 515. Estimant que ce chemin constituait une emprise irrégulière, Mme A..., a, par un courrier du 7 septembre 2021, demandé au maire de Crocicchia la remise en état de cette parcelle et le versement d'une somme totale de 85 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subi du fait de cette emprise. Après que, par une décision du 20 septembre 2021, qui a eu pour seul effet de lier le contentieux et dont elle ne peut dès lors utilement solliciter l'annulation, le maire de Crocicchia a refusé de faire droit à cette demande, Mme A... a saisi le tribunal administratif de Bastia afin qu'il enjoigne à la commune de Crocicchia de faire cesser cette emprise et qu'il la condamne à lui verser cette indemnité de 85 000 euros. Dans la présente instance, Mme A... relève appel du jugement du 22 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande tandis qu'en défense, la commune de Crocicchia se borne à conclure au rejet de la requête.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

2. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part, les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

S'agissant de l'existence d'une emprise irrégulière par la voie desservant le hameau

Nove Piane :

3. Il résulte de l'instruction que, par une délibération du 18 mai 2018, le conseil municipal de Crocicchia a autorisé son maire à engager une procédure d'expropriation " afin de régulariser l'implantation de la voie publique construite sur des terrains privés ". En introduction aux débats de la séance du conseil municipal qui s'est tenue alors, le maire a reconnu que, comme il l'est encore mentionné dans la notice explicative jointe au dossier soumis à enquête publique, afin de desservir le hameau Nove Piane, la commune de Crocicchia avait fait aménager en 1974 la route qui serpente à l'intérieur, notamment, de la parcelle cadastrée section B n° 142.

Au demeurant, par un arrêté du 10 septembre 2020, le préfet de la Haute-Corse a déclaré d'utilité publique, au bénéfice de la commune de Crocicchia, " la régularisation d'une voie communale ". Or, la commune intimée n'établit pas l'existence d'une servitude de passage et ne justifie par ailleurs d'aucun titre l'ayant autorisé à implanter cet ouvrage en l'absence d'une telle servitude. Par suite, cette voie est irrégulièrement implantée sur deux parties de la parcelle appartenant à Mme A.... Ainsi, si elle n'emporte pas extinction du droit de propriété de l'appelante, elle constitue une emprise irrégulière.

S'agissant de la régularisation de l'implantation de la voie desservant le hameau de

Nove Piane :

4. Le juge ne peut déduire le caractère régularisable d'un ouvrage public irrégulièrement implanté, qui fait obstacle à ce que soit ordonnée sa démolition, de la seule possibilité pour son propriétaire, compte tenu de l'intérêt général qui s'attache à l'ouvrage en cause, de le faire déclarer d'utilité publique et d'obtenir ainsi la propriété de son terrain d'assiette par voie d'expropriation, mais est tenu de rechercher si une procédure d'expropriation avait été envisagée et était susceptible d'aboutir.

5. Ainsi qu'il a été rappelé, par une délibération du 18 mai 2018, le conseil municipal de Crocicchia a autorisé son maire à engager une procédure d'expropriation " afin de régulariser l'implantation de la voie publique construite sur des terrains privés ". Par un arrêté du 6 août 2019, le préfet de la Haute-Corse a prescrit l'ouverture d'une enquête conjointe d'utilité publique et parcellaire, laquelle s'est déroulée du 20 août au 13 septembre 2019. Puis, par un arrêté du 10 septembre 2020, le préfet de la Haute-Corse a, à la fois, déclaré d'utilité publique, au bénéfice de la commune de Crocicchia, " la régularisation d'une voie communale " et déclaré cessibles les parcelles nécessaires à cette opération, dont deux parties d'une surface respective de 443 et 638 m2 de la parcelle cadastrée section B n° 142 qui appartient à Mme A.... Saisi par cette dernière, le tribunal administratif de Bastia a, par le jugement n° 2100044 du 6 avril 2023, annulé l'arrêté préfectoral du 10 septembre 2020 en tant qu'il a déclaré cessibles, au profit de la commune de Crocicchia, ces deux parties au motif qu'un document d'arpentage n'avait pas été préalablement réalisé, en méconnaissance des dispositions combinées des articles R. 132-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et 7 du décret susvisé du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière. Si, tout en confirmant cette annulation, la Cour a, par un arrêt n° 23MA01321 du 19 novembre 2024, également annulé ce même arrêté en tant qu'il déclare d'utilité publique, au bénéfice de la commune de Crocicchia, la " régularisation d'une voie communale ", elle l'a fait au motif pris de ce que le maire n'avait pas sollicité l'avis du directeur départemental des finances publiques, en méconnaissance des dispositions combinées des articles R. 1211-3 et R. 1311-9 du général code de la propriété des personnes publiques, et R. 1311-5 du code général des collectivités territoriales, tout en jugeant qu'aucun des autres moyens soulevés par Mme A..., dont celui tiré de l'absence d'utilité publique de l'opération, n'était mieux à même de régler le litige. Dans ces conditions, ces annulations ne font pas obstacle à ce qu'une nouvelle procédure d'expropriation puisse aboutir dans des conditions régulières. Par suite, et alors que, par ses écritures et les pièces qu'elle produit dans la présente instance, Mme A... ne remet pas davantage en cause l'utilité publique de l'opération litigieuse, ses conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin sous astreinte à l'emprise irrégulière doivent être rejetées.

S'agissant des conclusions indemnitaires :

Quant à l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Crocicchia :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi susvisée du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ".

Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement (...) ".

7. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi.

8. Pour l'application de ces règles, la créance du propriétaire d'un bien immobilier relative à l'indemnisation des préjudices résultant pour lui de l'occupation irrégulière, sans extinction du droit de propriété, de ce bien par une personne publique présente un caractère continu et évolutif et doit, en conséquence, être rattachée à chacune des années au cours desquelles ces préjudices ont été subis.

9. Il résulte de l'instruction que Mme A... a saisi le maire de Crocicchia d'une réclamation indemnitaire préalable en septembre 2021, qui a interrompu le cours de la prescription quadriennale. En conséquence, les créances nées antérieurement à l'année 2017 sont prescrites, et ne peuvent donner lieu à indemnisation. Par suite, et dans cette seule mesure, l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Crocicchia doit être accueillie.

Quant à la réparation des préjudices subis par Mme A... sur la période indemnisable :

10. Si la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée porte atteinte au libre exercice de son droit de propriété par celle-ci, elle n'a, toutefois, pas pour effet l'extinction du droit de propriété sur cette parcelle. Par suite, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant de l'occupation irrégulière de cette parcelle et tenant compte de l'intérêt général qui justifie le maintien de cet ouvrage.

11. Il résulte de l'instruction que la présence de la voie litigieuse, qui n'emporte pas extinction du droit de propriété de Mme A..., sur deux parties de la parcelle cadastrée section B n° 142 qui lui appartient, porte néanmoins atteinte à son droit de propriété et est à l'origine d'un préjudice de perte de jouissance et d'un préjudice moral. Eu égard à la surface concernée, à la période indemnisable, à la nature de cette parcelle constituée par une forêt de châtaigniers, ainsi qu'à l'intérêt général justifiant le maintien de cette voie, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, en fixant l'indemnité due à ce titre, à Mme A..., à la somme de 1 000 euros.

12. Il résulte de tout de ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia n'a pas fait droit à ses conclusions indemnitaires à hauteur de la somme de 1 000 euros.

Sur les intérêts :

13. Lorsqu'ils ont été demandés et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.

14. Mme A... a droit, ainsi qu'elle le demande, aux intérêts au taux légal sur la somme de 1 000 euros à compter du 9 septembre 2021, date de réception par les services de la commune de Cocicchia de sa réclamation indemnitaire préalable.

Sur la capitalisation des intérêts :

15. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, y compris pour la première fois en appel. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

16. En l'espèce, la capitalisation des intérêts a été demandée par Mme A..., pour la première fois devant la Cour, par un mémoire enregistré le 14 juillet 2024. A cette date, les intérêts étaient dus au moins pour une année entière. Il y a donc lieu de faire droit à cette demande à compter de cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci.

Sur les frais liés au litige :

17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

18. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A..., laquelle n'a pas la qualité de partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, le versement d'une somme quelconque à la commune de Crocicchia au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

19. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune intimée le versement d'une somme de 2 000 euros à Mme A... sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La commune de Crocicchia versera à Mme A... une somme de 1 000 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 9 septembre 2021. Les intérêts échus à la date du 14 juillet 2024, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates, pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement n° 2101178 du tribunal administratif de Bastia du 22 décembre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Crocicchia versera à Mme A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse A... et à la commune de Crocicchia.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.

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No 24MA00446


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