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20/11/2020 | FRANCE | N°19NT02141

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 20 novembre 2020, 19NT02141


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 14 septembre 2017 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Bayeux a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la dégradation de son état de santé ainsi que la décision implicite par laquelle il a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1701813, 1701837 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision litigieuse du 14 septembre

2017, a enjoint au centre hospitalier de Bayeux de réexaminer la demande présentée...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 14 septembre 2017 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Bayeux a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la dégradation de son état de santé ainsi que la décision implicite par laquelle il a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1701813, 1701837 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision litigieuse du 14 septembre 2017, a enjoint au centre hospitalier de Bayeux de réexaminer la demande présentée par M. D... tendant à ce que son accident soit reconnu imputable au service et a rejeté le surplus.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 5 juin 2019, 16 avril 2020, 26 avril 2020 et 19 octobre 2020 M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 4 avril 2019 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le directeur du centre hospitalier de Bayeux a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

2°) d'annuler cette décision implicite ;

3°) d'enjoindre au directeur du centre hospitalier de Bayeux de réexaminer sa demande de protection fonctionnelle dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bayeux la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le directeur du centre hospitalier de Bayeux ne pouvait prendre la décision contestée sans manquer à l'impartialité ;

- c'est à tort que les premiers juges, à l'issue d'un raisonnement non conforme à la jurisprudence du Conseil d'Etat, ont estimé qu'il n'avait pas été victime de harcèlement moral au travail ;

- il a fait l'objet d'une atteinte illégale et répétée de son droit de grève, d'un refus persistant et infondé de reconnaître l'imputabilité au service de l'altération de son état de santé, d'un traitement humiliant de la part de son employeur, notamment lors de l'épisode de gale qui a touché son service en novembre 2016 et de commentaires désobligeants de la part de certains de ses collègues ;

- un rapport remis au CHSCT en septembre 2017 atteste que les conditions de travail sont dégradées au sein du centre hospitalier de Bayeux.

Par un mémoire enregistré le 6 janvier 2020, le centre hospitalier de Bayeux, représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour que soit mise à la charge de M. D... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... a été recruté en 2007 par le centre hospitalier de Bayeux comme

aide-soignant de classe normale. Il a été affecté à l'unité psychiatrique sur un poste de nuit. A la suite d'un conflit avec son employeur sur les modalités de l'exercice du droit de grève, il a été placé le 23 janvier 2017 en congé pour maladie avec un diagnostic de syndrome dépressif réactionnel. Il a demandé au centre hospitalier de Bayeux de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie, ce qui lui a été refusé par une décision du 14 septembre 2017. Il a également sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle par un courrier notifié le 28 juillet 2017 à son employeur, ce qui lui a également été refusé, cette fois par une décision implicite. Par deux requêtes distinctes, M. D... a saisi le tribunal administratif de Caen de demandes tendant à l'annulation de ces deux décisions. Après avoir joint les deux demandes, le tribunal a annulé la décision du 28 juillet 2017 pour vice de procédure et rejeté le surplus. M. D... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision implicite par laquelle le directeur du centre hospitalier de Bayeux a rejeté sa demande de protection fonctionnelle.

Sur la légalité de la décision implicite du directeur du centre hospitalier de Bayeux :

En ce qui concerne la cadre juridique :

2. D'une part, lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet.

3. Si la protection résultant du principe rappelé au point précédent n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

4. Il résulte du principe d'impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison de tels actes ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l'autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné.

5. D'autre part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

En ce qui concerne les faits reprochés :

7. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est entré en conflit avec la direction du centre hospitalier de Bayeux à partir de mars 2016 à propos de l'exercice de son droit de grève (son employeur lui reprochant de ne pas observer de délai de prévenance et le menaçant de sanctions et lui-même contestant les modalités d'assignation des agents les jours de grève) et qu'il a été placé, à la suite de cet épisode, en congé pour maladie du 23 janvier au

4 septembre 2017. M. D... établit ainsi l'existence d'une suspicion de harcèlement.

8. Toutefois, et en premier lieu, si par des courriers du 30 mars 2016 et du 17 janvier 2017 son employeur a rappelé de manière ferme à M. D... ses obligations en matière d'exercice de son droit de grève et qu'il l'a averti que des sanctions disciplinaires pourraient être engagées à son encontre en cas de nouveaux manquements, il n'a pas, en l'espèce, excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, d'autant qu'il a également tenté d'apaiser le conflit l'opposant à M. D... en lui faisant par exemple des propositions en matière de délai de prévenance, auxquelles celui-ci n'a d'ailleurs donné aucune suite.

9. En deuxième lieu, si le centre hospitalier a refusé le 14 septembre 2017 de reconnaître l'imputabilité au service de l'altération de l'état de santé de M. D... à partir de janvier 2017, cette décision, au demeurant appuyée sur un avis défavorable de la commission de réforme du 30 août 2017, n'est pas en soi constitutive de harcèlement moral.

10. En troisième lieu, ni la circonstance que M. D... aurait participé à un entretien de recrutement sur un poste finalement supprimé par son employeur, ni celle, pour regrettable qu'elle soit, que ce dernier n'a pas tenu compte de l'alerte qu'il a lancée en novembre 2016 lorsqu'un des patients soignés dans son service s'est trouvé porteur d'une maladie contagieuse, ne traduisent une volonté de lui nuire de nature à révéler l'existence d'un harcèlement moral.

11. En quatrième lieu, les commentaires désobligeants dont M. D... prétend avoir été la cible de la part de certains de ses collègues et patients sont insuffisamment caractérisés et répétés pour être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral et, en tout état de cause, n'émanent pas de son employeur. En outre, ainsi qu'il ressort de témoignages versés au dossier par le centre hospitalier de Bayeux, ces commentaires critiques ne sont pas étrangers au comportement de M. D..., notamment à son refus répété de signaler à sa hiérarchie sa participation aux mouvements de grève qui, à plusieurs reprises, a mis en difficulté des collègues non-grévistes.

12. En dernier lieu, l'étude sociale réalisée en septembre 2017 par un cabinet indépendant à la demande du CHSCT du centre hospitalier de Bayeux, par son caractère général, ne permet de tirer aucune conclusion sur les faits de harcèlement moral dont M. D... se dit la victime.

13. Il résulte de ce qui précède que la situation de harcèlement moral dont se prévaut M. D... n'est pas établie et que, dans le cadre du conflit qui l'opposait au directeur du centre hospitalier de Bayeux, ce dernier a fait un usage normal de son pouvoir hiérarchique. Par conséquent, ce directeur a pu légalement, d'une part, se prononcer sur la demande de protection fonctionnelle dont il avait été saisi sans manquer à l'impartialité et, d'autre part, rejeter cette demande, dès lors qu'elle concernait un différend l'opposant, dans le cadre du service, à un agent public placé sous son autorité.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction de la requête doivent donc être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier de Bayeux, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, verse à M. D... la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de M. D... la somme de 500 euros à verser au centre hospitalier de Bayeux au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : M. D... versera au centre hospitalier de Bayeux la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au centre hospitalier de Bayeux.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, président assesseur,

- M. C..., premier conseiller,

- Mme Le Barbier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 novembre 2020.

Le rapporteur

E. C...Le président

C. Brisson

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19NT02141


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02141
Date de la décision : 20/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : DESERT PAULINE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-20;19nt02141 ?
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