Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL ABI France a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les sociétés qui ont été mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016.
Par un jugement n°2103112 du 29 décembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 février 2024, la SARL ABI France, représentée par Me Perrée, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 29 décembre 2023 ;
2°) de prononcer le dégrèvement des sommes de 25 391 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et de 31 807 euros au titre de l'impôt sur les sociétés ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée : c'est à tort que le service a remis en cause le bénéfice de la dispense de taxe sur la valeur ajoutée prévue à l'article 257 bis du code général des impôts ; la société a cédé une activité autonome en apportant le 17 décembre 2015 une branche complète d'activité à la société CMA Licensing ; la solution CMA-Justice existait et était fonctionnelle au jour de l'apport ; les moyens humains ont été transférés au profit de la société bénéficiaire de l'apport ; l'absence de passif s'explique par la nature même de l'activité de mise en relation en ligne n'emportant pas d'autres coûts que ceux de développement informatique, déjà payés ; le service ne conteste pas la fonctionnalité du site de mise en relation entre un avocat et un justiciable ; elle se prévaut sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF de la doctrine administrative (BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-10) ;
- en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés : les dépenses déclarées étaient éligibles au crédit d'impôt prévu par le k du II de l'article 244 quater B du code général des impôts ; le projet innovant développé par la SARL ABI France correspond à une solution complète de bureau virtuel, que chaque utilisateur peut utiliser indépendamment de toute plateforme de mise en relation ; cette technologie utilise la VOiP et non la technologique analogique ; plusieurs acteurs ont reconnus le caractère innovant du projet ; aucune application ne proposait autant de fonctionnalités.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 juillet 2024, le ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Viéville,
- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) ABI France, qui exerce une activité de négoce de matériel et de solutions informatiques, a fait l'objet en 2018 d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016. Par une proposition de rectification du 12 juillet 2018, le service a, d'une part, remis en cause le bénéfice du régime de l'article 257 bis du code général des impôts, sous lequel a été placé l'apport d'une activité dénommée " CMA-Justice ", le 17 décembre 2015 au profit de la société CMA-Licensing et, d'autre part, estimé que l'ensemble des dépenses concernant la conception d'une plate-forme multi-services dénommée " CMA-Life ", utilisant la technologie " CMA-Connect " et la plate-forme " CMA-justice " n'étaient pas éligibles au k du II de l'article 244 quater B du code général des impôts. Postérieurement au rejet de sa réclamation le 16 avril 2021, la SARL ABI France a demandé la décharge des impositions à la taxe sur la valeur ajoutée et à l'impôt sur les sociétés mis à sa charge devant le tribunal administratif de Rennes. Par un jugement du 29 décembre 2023 dont la société ABI France relève appel, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la requête.
Sur la taxe sur la valeur ajoutée :
En ce qui concerne la loi fiscale :
2. Aux termes de l'article 257 bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 : " Les livraisons de biens et les prestations de services, réalisées entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée, sont dispensées de celle-ci lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, la notion de " transmission à titre onéreux ou à titre gratuit ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens " doit être interprétée à la lumière des arrêts du 27 novembre 2003, C-497/01, et du 10 novembre 2011, C-444/10, par lesquels la Cour de justice de l'union Européenne a jugé que la notion de transmission d'une universalité totale ou partielle de biens couvre le transfert d'un fonds de commerce ou d'une partie autonome d'une entreprise, comprenant des éléments corporels et, le cas échéant, incorporels qui, ensemble, constituent une entreprise ou une partie d'entreprise susceptible de poursuivre, de manière durable, une activité économique autonome.
3. Il résulte de l'instruction que pour remettre en cause l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée appliquée à l'apport consenti par la SARL ABI France le 17 décembre 2015, le service a considéré que l'absence de salarié, de clientèle, d'activité et de proposition commerciale effective associés à l'apport de la solution informatique empêchait de la considérer comme l'apport d'une activité économique autonome susceptible d'être poursuivie de manière durable. Si la société appelante soutient que la solution existait et fonctionnait au jour de l'apport, cette seule circonstance n'est pas suffisante à démontrer la réalité d'une activité économique autonome. Il résulte de l'instruction qu'aucun moyen matériel et humain n'a été associé à l'apport de la solution informatique dénommée CMA-justice, qu'aucune facture de prestation en lien avec la commercialisation des services qu'offre la plateforme n'a été produite pour la période antérieure à l'apport. Dans ces conditions, la SARL ABI France doit être regardée comme ayant seulement procédé à la vente d'un logiciel et n'a pas apporté une activité informatique autonome constituant une universalité totale ou partielle de biens susceptible de poursuivre, en tant que tel, de manière durable, une activité économique autonome. Il suit de là, que c'est à bon droit que le service a refusé à la SARL ABI France le bénéfice de la dispense de taxe sur la valeur ajoutée, prévue à l'article 257 bis du code général des impôts, pour l'apport de la solution informatique dénommée " CMA-Justice " à la société CMA-Licensing.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
4. En deuxième lieu, la SARL ABI France invoque, sur le terrain de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, le bénéfice de l'interprétation de la loi fiscale énoncée au paragraphe n°30 du BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-10. Toutefois, l'administration n'a pas procédé au paragraphe n° 30 du BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-10, à une interprétation de l'article 257 bis du code général des impôts autre que celle dont il vient d'être fait application.
Sur l'impôt sur les sociétés :
5. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au 31 décembre 2016 : " I.- Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 duodecies, 44 terdecies à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) / II.- Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : / (...) / k) Les dépenses exposées par les entreprises qui satisfont à la définition des micro, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 (...) et définies comme suit : / 1° Les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits autres que les prototypes et installations pilotes mentionnés au a ; / 2° Les dépenses de personnel directement et exclusivement affecté à la réalisation des opérations mentionnées au 1° ; / 3° Les autres dépenses de fonctionnement exposées à raison des opérations mentionnées au 1° ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à la somme de 75 % des dotations aux amortissements mentionnées au 1° et de 50 % des dépenses de personnel mentionnées au 2° ; / (...) / Pour l'application du présent k, est considéré comme nouveau produit un bien corporel ou incorporel qui satisfait aux deux conditions cumulatives suivantes : / - il n'est pas encore mis à disposition sur le marché ; / - il se distingue des produits existants ou précédents par des performances supérieures sur le plan technique, de l'écoconception, de l'ergonomie ou de ses fonctionnalités. / Le prototype ou l'installation pilote d'un nouveau produit est un bien qui n'est pas destiné à être mis sur le marché mais à être utilisé comme modèle pour la réalisation d'un nouveau produit. (...) ".
6. La SARL ABI France a demandé le bénéfice du crédit d'impôt innovation prévu par le k du II de l'article 244 bis du code général des impôts au titre de l'année 2016 pour l'ensemble des dépenses relatives aux opérations de conception de la plateforme " CMA-Justice ", pour celles exposées pour le développement de la plateforme de mise en relation dénommée " CMA-Life ", qui s'adresse aux professionnels désireux de proposer et de valoriser leur expertise, ainsi que pour les dépenses relatives, au développement de la technologie " CMA-Connect ", sur laquelle repose la plateforme " CMA-Life ".
7. Le caractère innovant du projet CMA-Connect a été reconnu par le service dans sa réponse aux observations du contribuable et un crédit d'impôt à hauteur de 7 600 euros a été accepté. Pour refuser l'éligibilité au crédit d'impôt innovation de l'ensemble des dépenses exposées par la SARL ABI rappelées ci-dessus, le service a retenu que ces dépenses concernaient soit un autre projet, soit ne répondaient pas au critère d'éligibilité. Il résulte de l'instruction que les dépenses que la société demande au service de prendre en compte pour le calcul du montant du crédit d'impôt portent sur des actions de communication ou de formation qui ne sont pas éligibles ou ont été exposées au titre d'une période antérieure à celle en litige. La SARL ABI ne conteste pas utilement les différents motifs du service pour refuser l'éligibilité des dépenses et ne peut, par suite, demander que l'ensemble des dépenses qu'elle mentionne soit pris en compte pour le calcul du montant du crédit d'impôt prévu par les dispositions du k du II de l'article 244 quater B du code général des impôts.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL ABI France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016.
Sur les frais de justice :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance soit condamné à verser la somme que demande la SARL ABI France au titre des frais de justice.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL ABI France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL ABI France et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Quillévéré, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- M. Viéville, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 novembre 2024.
Le rapporteur
S. VIÉVILLELe président
G. QUILLÉVÉRÉ
La greffière
A. MARCHAIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24NT0061302