Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2018 par lequel la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation lui a infligé une sanction disciplinaire de déplacement d'office, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1910773 du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique qui n'a pas été communiqué, enregistrés les 7 septembre 2021 et 4 octobre 2022, Mme B..., représentée par Me Candas, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 13 juillet 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2018 par lequel la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation lui a infligé une sanction disciplinaire de déplacement d'office, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation de retirer de son dossier individuel l'ensemble des pièces relatives à la sanction contestée, y compris les pièces annexées à la procédure disciplinaire ayant conduit à l'adoption de cette sanction ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation, d'une erreur de qualification des faits et d'une dénaturation des pièces du dossier et de ses écritures ;
- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ;
- ils sont entachés d'une erreur de qualification juridique ;
- la sanction est disproportionnée ;
- elle est constitutive d'un détournement de pouvoir et de procédure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2022, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,
- et les observations de Me Candas, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ingénieure de recherches hors classe, a exercé les fonctions de cheffe de bureau des systèmes d'information et de l'informatique de proximité à la division d'aide à la décision au sein de la direction générale de la santé (DGS) du ministère chargé de la santé à compter du 1er octobre 2015. Par une décision du 20 juillet 2018, elle a été suspendue de ses fonctions à titre conservatoire et par un arrêté du 21 novembre 2018, la ministre chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire de déplacement d'office. Mme B... relève régulièrement appel du jugement du 13 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce dernier arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé de la décision en litige. Par suite, Mme B... ne peut utilement soutenir que les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur d'appréciation, d'une erreur de qualification des faits et d'une dénaturation des pièces du dossier et de ses écritures, les moyens ainsi relevés tendant uniquement à contester le bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal administratif.
Sur le bien-fondé de l'arrêté attaqué :
3. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat applicable à la date de la décision attaquée : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) Deuxième groupe : (...) - le déplacement d'office. (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. En l'absence de disposition législative contraire, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen, notamment en relatant elle-même des agissements imputés à l'agent, qu'elle a constatés ou qui lui ont été rapportés.
En ce qui concerne la matérialité des faits :
S'agissant des remarques portant sur l'apparence physique d'un agent de son bureau :
4. La décision attaquée retient que Mme B... a exprimé publiquement des remarques désobligeantes et humiliantes sur l'apparence physique d'un agent de son service. Ces faits sont attestés, d'une part, par cet agent dont le récit a été recueilli au cours de l'enquête administrative ouverte par l'administration et qui ont révélé le caractère réitéré de tels propos et, d'autre part, par plusieurs témoignages produits dans le cadre de la procédure disciplinaire, attestant en des termes convergents de la tenue de paroles discriminantes. Contrairement à ce que soutient l'intéressée, l'absence de crédibilité de ces attestations ne saurait résulter de la seule contestation de leur date d'édiction. De même, le défaut de retranscription exacte des paroles prononcées au cours d'une réunion qui s'est tenue le 26 février 2018 ou la circonstance que l'agent victime de tels remarques n'ait pas souhaité rédiger un témoignage direct, par crainte de représailles, ne suffisent pas à remettre en cause la nature même des propos tenus par Mme B... qui ne sont démentis par aucune pièce justificative présentée par l'intéressée. Par ailleurs, compte tenu de la nature des paroles prononcées, l'intéressée ne peut sérieusement soutenir qu'elles auraient été exprimées dans le cadre d'échanges amicaux sans aucune intention dévalorisante ou vexatoire.
S'agissant du comportement et des propos de la requérante envers ses agents :
5. La décision en litige retient également un comportement et des propos visant la valeur professionnelle des agents et discréditant le collectif de travail caractérisés, d'une part, par des remarques violentes, désobligeantes et vexatoires à l'endroit d'agents et, d'autre part, par la circonstance qu'elle interrompt systématiquement et brutalement ses collaborateurs en réunion. Contrairement à ce que soutient Mme B..., la matérialité de ces faits est démontrée par de multiples témoignages, courriels et par un compte-rendu du chef de la division ressources de la DGS établis au cours de l'année 2018 et ne visent pas uniquement deux des agents placés sous son autorité. En outre, le directeur des ressources de la DGS a été alerté sur les pratiques managériales de Mme B..., en mars 2018 par l'assistante de prévention de direction, puis en avril 2018 par le médecin de prévention saisi par des agents placés sous l'autorité de la requérante pour des faits de souffrance au travail. Enfin, il ne ressort d'aucune des pièces produites que ces témoignages précis et concordants, ou même seulement l'un d'entre eux, auraient été recueillis sous la contrainte ou qu'ils seraient inexacts.
S'agissant des critiques acerbes et discourtoises sur le fonctionnement du service :
6. La décision attaquée reproche à Mme B... d'avoir évoqué régulièrement l'organisation interne du travail de la division d'aide à la prise de décision de la direction générale de la santé en des termes critiques, notamment à l'endroit de ses supérieurs hiérarchiques, acerbes et discourtois. Ces faits sont corroborés par les courriers électroniques échangés par l'intéressée notamment avec son supérieur hiérarchique direct, chef de la division d'aide à la prise de décision, son adjoint et la directrice de projet de modernisation de la direction générale de la santé. Contrairement à ce que soutient Mme B..., le témoignage de sa précédente supérieure hiérarchique directe recueilli au cours de la séance du conseil de discipline ne permet pas de remettre en cause les reproches formulés à son encontre dans le cadre de ses relations professionnelles, quand bien ses compétences techniques et son investissement ont été salués et n'ont d'ailleurs jamais été contestés.
S'agissant du déroulé de l'enquête administrative :
7. La décision en litige retient que Mme B... a perturbé le déroulement de l'enquête administrative ouverte à la suite des plaintes de certains agents. Les pièces produites au dossier, constitués par des témoignages et des échanges de courriels, établissent les tentatives multiples de l'intéressée visant, d'une part, à identifier les agents qui avaient attesté de ses agissements en les interrogeant au cours d'entretiens et, d'autre part, à recueillir des attestations en sa faveur. A ce titre, si Mme B... conteste avoir volontairement et artificiellement entretenu un doute sur la pérennité du contrat de travail d'un agent qui n'a pas souhaité s'exprimer sur la procédure disciplinaire en cours, il est constant qu'elle n'a pas adressé de rapport pourtant nécessaire à la transformation de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
8. Il résulte des énonciations des points 4 à 7 du présent arrêt, que le moyen tiré de ce que les faits reprochés à Mme B... ne seraient pas matériellement établis doit être écarté.
En ce qui concerne la qualification juridique des faits :
9. Il ressort de ce qui a été exposé précédemment que la sanction prise à l'encontre de Mme B... ne repose pas sur deux faits isolés, contrairement à ce qu'elle soutient. Ainsi que l'ont relevé à bon droit les juges de première instance, les griefs retenus à son encontre traduisent une méconnaissance de ses responsabilités d'encadrement, révèlent un comportement inadapté dans ses relations de travail avec ses collègues et sa hiérarchie comme une absence complète de conscience et de remise en cause de son mode de direction conflictuel et des répercussions sur son entourage professionnel et sur le fonctionnement du service au sein duquel a été instauré un climat de travail délétère. Ils constituent en outre des manquements aux obligations de dignité et d'exemplarité. De tels faits constituent des fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire. Si Mme B... soutient que les faits reprochés coïncident avec un changement de direction, aucun reproche ne lui ayant été adressé antérieurement, il ressort toutefois du témoignage de sa précédente supérieure hiérarchique recueilli au cours de la séance du conseil de discipline que celle-ci a notamment évoqué son " franc-parler ", un certain " entêtement " et un caractère directif, tranchant avec le milieu policé qui est celui de la direction générale de la santé, a également évoqué avoir été conduite de nombreuses fois à " calmer le jeu " et être intervenue dans les appréciations insuffisamment nuancées, très directes et radicales portées par Mme B... sur le travail de ses collaborateurs, admettant que l'intéressée devrait davantage maîtriser ses propos. Par ailleurs, si elle fait valoir que cette procédure est contemporaine de l'annonce faite aux agents de son service, d'une maladie
auto-immune handicapante dont elle est atteinte, à laquelle s'ajoute une déficience auditive et l'a contrainte à un traitement impliquant de nombreuses absences, elle ne justifie par aucune pièce médicale que cette pathologie aurait eu des conséquences sur ses relations de travail. Elle ne démontre pas davantage qu'une surcharge de travail l'aurait exposée à un risque sanitaire qui n'aurait pas été pris en considération et aurait eu une incidence sur les faits qui lui sont reprochés.
Sur la proportionnalité de la sanction prononcée :
10. Si l'intéressée fait valoir l'absence d'antécédent disciplinaire et évoque son état de santé et une surcharge de travail, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que ces circonstances auraient été susceptibles d'avoir altéré son comportement sur le plan professionnel. Par suite, compte tenu des griefs retenus et de leurs répercussions sur le fonctionnement du service, la sanction prononcée du déplacement d'office n'est entachée d'aucune erreur d'appréciation. Le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction doit ainsi être écarté.
Sur le détournement de pouvoir et de procédure :
11. Aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 applicable à la date de la décision attaquée : " La liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires. Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. (...) ".
12. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime de discrimination, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence de tels agissements. Il incombe ensuite à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que ceux-ci sont justifiés par des considérations étrangères à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
13. Mme B... soutient avoir été victime de discrimination à raison de son état de santé. Elle se prévaut à ce titre de la concomitance entre la procédure disciplinaire engagée, l'annonce de sa maladie et sa demande d'attribution d'une place de stationnement prioritaire à la suite de la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé. Elle fait valoir également qu'une procédure de placement d'office en congé de maladie a été engagée postérieurement à la sanction prononcée. Toutefois et alors que la sanction prononcée n'est entachée d'aucune illégalité ainsi qu'il a été dit aux points 4 à 10, la seule coïncidence des éléments de faits ci-dessus énoncés avec la procédure disciplinaire engagée, ne suffit pas à présumer l'existence d'une discrimination à raison de son état de santé. Par suite, le moyen tiré du détournement de pouvoir et de procédure qui en résulterait doit être écarté.
14. Mme B... fait valoir qu'aucun arrêté d'affectation n'a été pris à la suite de la sanction prononcée, la privant de toute réaffectation effective, à l'exception d'une période de six mois pendant laquelle elle a occupé un poste de chargé de mission et soutient que le poste qu'elle occupait antérieurement est demeuré vacant. Toutefois ces faits qui ne peuvent caractériser une situation de discrimination à raison de son état de santé et qui sont intervenus postérieurement à la sanction prononcée, ne peuvent être utilement invoqués au soutien du moyen tiré de ce que la décision de sanction prononcée serait entachée d'un détournement de pouvoir et de procédure.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'annulation et d'injonction et celles relatives aux frais liés à l'instance doivent également être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Soyez, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 7 juillet 2023.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA04977