Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 26 mars 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, de mettre à la charge de l'Etat l'indemnisation intégrale de ses préjudices et d'enjoindre au ministre de la défense de faire procéder à une évaluation de l'ensemble des préjudices imputables aux maladies radio-induites dont il a été victime ;
Par jugement n° 1203867 du 2 juillet 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 26 août 2015 et 8 décembre 2016, M. B..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° d'annuler la décision de rejet de sa demande tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
3° de condamner l'Etat et le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à l'indemniser intégralement des préjudices qu'il a subis ;
4° d'enjoindre au ministre de la défense et au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de faire procéder, dans un délai de trois mois à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à une évaluation de l'ensemble des préjudices imputables aux maladies radio-induites dont il a été victime ;
5° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il remplit la condition médicale et la condition géographique prévues par la loi n°2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; il appartient à l'administration de prouver que le risque était négligeable ;
- le comité d'indemnisation a employé une méthodologie fondée sur des mesures dosimétriques censées enregistrer les doses de rayonnement reçues ou sur l'attribution d'un dose forfaitaire ; cette méthodologie n'est pas fiable ;
- il a séjourné à Mururoa, dans une zone contaminée, à bord du bâtiment base " Maurienne " puis du bâtiment de débarquement de chars " Argens ", figurant sur la liste des bâtiments de la Marine nationale touchés par des retombées radioactives ; un relevé dosimétrique révèle qu'il a été victime d'une irradiation externe, mais il n'a pas pour autant bénéficié d'une surveillance de contamination interne immédiate ; son affectation sur le navire " Argens " n'a donné lieu à aucun contrôle de son exposition au risque d'irradiation ;
- les conditions de vie à bord pendant et après le service l'amenaient à descendre à terre sur l'atoll de Mururoa, à consommer des denrées et de l'eau issus de milieux contaminés, à sa baigner dans le lagon ;
- les tirs effectués selon diverses modalités techniques lors des différentes campagnes successives d'expérimentation ont été particulièrement polluants et ont généré des pollutions durables et disséminées sur l'atoll et sur les navires alimentés en eau de mer comme les bâtiments base ; les mesures de sécurité et de protection étaient insuffisantes face à des risques de contamination externe et interne aléatoires et non maîtrisables, car dépendant de déplacements de masses d'air eux-mêmes imprévisibles, notamment s'agissant des basses couches atmosphériques, mal connues des météorologues et concentrant pourtant l'essentiel des éléments radioactifs à l'issue des explosions.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- les conclusions de Mme Rudeaux, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., pour M.B....
1. Considérant que M. B...a servi dans le cadre de son service national en qualité de médecin embarqué à bord du bâtiment-base " Maurienne ", du 24 juillet au 28 août 1967, puis à bord du bâtiment de débarquement de chars " Argens " du 28 août 1967 au 30 novembre 1967 ; que ces bâtiments de marine ont, au cours de cette période, réalisé des mission au Centre d'Expérimentation du Pacifique ; que M. B...a été atteint par un cancer du rein et un cancer cutané, diagnostiqués respectivement en 2004 et 2005 ; qu'il a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que, par une décision du 26 mars 2012, le ministre de la défense a, conformément à la recommandation émise par le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), rejeté la demande d'indemnisation présentée par M.B... ; que celui-ci relève appel du jugement en date du 2 juillet 2015 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cette décision et à ce qu'il soit enjoint au ministre de procéder à la réparation intégrale de son préjudice ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français modifiée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi précise que : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. " ; qu'aux termes du I de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable au litige : " Les demandes d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...) " et qu'aux termes du II de ce même article : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret du 11 juin 2010 pris pour l'application de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;
4. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;
5. Considérant que M. B...remplit les conditions de temps et de lieu de séjour définies par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; qu'il est atteint d'une des maladies inscrites sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; qu'il bénéficie ainsi d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, pour rejeter sa demande d'indemnisation, le ministre a fait valoir que le risque attribuable aux essais nucléaires français était négligeable, conformément à la recommandation du CIVEN qui avait indiqué que, compte tenu du niveau de l'exposition aux rayonnements ionisants de l'intéressé, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont il était atteint, évaluée à 0,05 %, était très inférieure à 1 % ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la méthode retenue par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires, s'appuie sur une pluralité de critères, recommandés par l'Agence internationale de l'énergie atomique, notamment sur les conditions particulières d'exposition de l'intéressé, et qui, pour le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants, prend en compte, au titre de la contamination externe, les résultats de mesures de surveillance individuelles ou collectives disponibles ou en leur absence, la dose équivalente à la valeur du seuil de détection des dosimètres individuels pour chaque mois de présence basée sur des données de surveillance radiologique atmosphérique permanente effectuée dans les centres d'essais nucléaires, et, au titre de la contamination interne, les résultats des mesures individuelles de surveillance, ou en leur absence, les résultats des mesures de surveillance d'individus placés dans des situations comparables ; que ces critères, ainsi qu'il a été dit ci-dessus aux points 3 et 4, ne méconnaissent pas les dispositions de la loi et permettent, sur ce fondement, d'établir, le cas échéant, le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont souffre l'intéressé ; qu'ainsi M. B... n'est pas fondé à soutenir que la méthode utilisée par le CIVEN n'était pas pertinente ;
7. Considérant que M. B...a servi dans le cadre de son service national en qualité de médecin embarqué à bord du bâtiment-base " Maurienne ", du 24 juillet au 28 août 1967, soit près de trois semaines après l'essai atmosphérique " Arcturus ", réalisé le 2 juillet 1967, à Mururoa, dans la zone Denise, et non concomitamment à ce tir ; que deux dosimétries externes individuelles, examens dont le ministre établit la fiabilité en se prévalant du rapport établi en 2008 par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, ont été réalisées pour les mois de juillet et août 1967, dont les résultats ont été, pour la première, nul et, pour l'autre, égal à 0,35 millisieverts (mSv), révélant ainsi une irradiation externe faible, dont le CIVEN a tenu compte dans ses calculs de la probabilité de causalité entre l'exposition de M. B...aux risques radio-induits et la maladie dont il souffre ; que le requérant, dont le dossier médical révèle qu'il a été classé parmi les personnels de catégorie A susceptibles d'être exposés à des rayonnements ionisants, a également bénéficié d'une surveillance dosimétrique interne au moyen d'une anthropo-radiométrie réalisée le 28 août 1967, à la fin de sa période d'affectation en Polynésie, et cet examen, qui permet de mesurer avec une grande sensibilité la totalité de l'activité de radionucléides absorbés présents dans l'organisme, n'a rien révélé d'anormal ; que ces examens, réalisés suivant une périodicité suffisante durant la période de séjour limitée de 34 jours de M. B...dans le Pacifique à proximité des sites d'expérimentation, et, s'agissant de l'examen interne, immédiatement après la fin de la période au cours de laquelle l'intéressé aurait été exposé à des risques, doivent être considérés comme suffisants et adaptés, M. B...n'apportant aucune précision sur les raisons pour lesquelles, à raison de ses fonctions, il aurait été particulièrement exposé à des risques radio-induits, et l'administration faisant également valoir que les dosimétries d'ambiance réalisées sur le bâtiment " Maurienne " étaient négatives durant la période en cause ; que les affirmations de M. B...selon lesquelles, à l'occasion son séjour sur l'atoll, comme les autres militaires, il descendait librement à terre, aurait consommé des fruits et de l'eau qui n'étaient pas importés, issus de milieux contaminés, et se serait baigné et aurait fait de la plongée sous-marine dans le lagon ne suffisent pas pour révéler, en ce qui le concerne, une exposition à des risques radio-induits qui aurait nécessité des mesures de suivi particulières, plus poussées que celles auxquelles il a été soumis, l'administration faisant au surplus valoir en défense que des précautions alimentaires et sanitaires étaient mises en oeuvre, conduisant notamment à la consommation d'aliments et de bouteilles d'eau importés, et que des consignes étaient données aux personnels en ce sens ; qu'il ne résulte pas non plus de l'instruction que M. B...aurait été exposé à des risques radio-induits et aurait dû faire l'objet de mesures de protection et de surveillance particulières et supplémentaires du fait de sa présence du 28 août 1967 au 3 septembre 1967 sur le bâtiment de débarquement de chars " Argens ", à bord duquel il a quitté la Polynésie pour rejoindre en métropole le port de Lorient, le requérant n'ayant d'ailleurs demandé à être indemnisé qu'au titre des conséquences de son affectation à bord du " Maurienne " et aucun essai nucléaire n'ayant été réalisé au cours de cette période ; qu'enfin, l'existence d'opérations, d'événements ou de situations à raison desquels M. B...aurait été personnellement exposé à des risques liés à des rayonnements ionisants ou à la présence de matériaux radioactifs ne ressort pas des développements et des tableaux produits par le requérant, récapitulant, de 1960 à 1975, l'ensemble de essais et types d'essais nucléaires réalisés, ainsi que les traces ou répercussions qui auraient été enregistrées de leur fait en différentes zones du Pacifique ; que, dans ces conditions, alors au surplus que le cancer du rein et le cancer cutané, de M. B...ont été diagnostiqués respectivement en 2004 et 2005, à l'âge de 65 et 66 ans, soit 36 et 37 années après l'affectation du requérant dans le Pacifique, le ministre rapporte la preuve que le risque attribuable aux essais nucléaires pouvait être regardé comme négligeable et que la présomption légale d'imputabilité de la maladie dont est atteint M. B... à l'exposition aux rayonnement ionisants doit être écartée ; que, par suite, en l'absence de démonstration d'un lien de causalité certain et direct entre l'exposition de M. B... aux rayonnements ionisants résultant des essais nucléaires français et la maladie dont il est atteint, le ministre de la défense était fondé à rejeter sa demande d'indemnisation ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions indemnitaires, ses conclusions présentées à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761 -1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
N°15VE02806 2