ARRÊT DU
11 Janvier 2023
DB/CR
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N° RG 21/00843
N° Portalis
DBVO-V-B7F-C5TU
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S.C.I. SCI JULYANN
C/
[E] [W]
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GROSSES le
à
ARRÊT n°
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Civile
Section commerciale
LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,
ENTRE :
S.C.I. JULYANN
RCS de [Localité 4] n°450 924 790
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Sylvia GOUDENÈGE-CHAUVIN,avocat postulante au barreau d'AGEN et par Me Franck MALET, avocat plaidant au barreau de [Localité 4]
APPELANTE d'un Jugement du Tribunal de Commerce d'AUCH en date du 23 Juillet 2021, RG 2020002374
D'une part,
ET :
Monsieur [E] [W]
né le 14 Septembre 1965 à [Localité 4]
de nationalité Française
Gérant de Société
[Adresse 3]
[Adresse 3]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/003800 du 05/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AGEN)
Représenté par Me Marie-Luce D'ARGAIGNON, avocate au barreau du GERS
INTIMÉ
D'autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue et plaidée en audience publique, sans opposition des parties, le 12 Octobre 2022 devant la cour composée de :
Jean-Yves SEGONNES, Conseiller ayant fait un rapport oral à l'audience
qui en a rapporté dans le délibéré de la cour, composée outre lui-même de Claude GATE, présidente de chambre et Dominique BENON, Conseiller,
en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés.
Greffière : Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière
ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
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FAITS :
Par acte sous seing privé du 29 juillet 2014, la SCI Julyann a donné à bail commercial à la SARL Laverie [E], gérée par [E] [W], un local à usage de laverie automatique et activités annexes situé [Adresse 2], à effet du 1er août 2014 jusqu'au 31 juillet 2023.
Le prix mensuel du bail a été fixé à 730 Euros HT, payable par termes d'avance le premier jour de chaque mois.
Il a été stipulé que le preneur prend à sa charge et ou rembourse au bailleur en sus des charges et prestations :
- le remboursement de la location des conteneurs de détritus mis à sa disposition s'il n'est pas directement preneur vis à vis de la collectivité locale,
- le gardiennage,
- le conditionnement d'air, la consommation d'eau, l'éclairage des parties communes,
- les frais d'entretien, de maintenance totale, de ravalement, de remplacement, de réparation des équipements de toute nature et des parties communes, les honoraires d'administration ou de gérance de l'immeuble, sans que cette énumération soit limitative.
Il a été stipulé que les charges sont payables d'avance au début de chaque mois avec le règlement du loyer, une provision égale à 1/12ème de la détermination des prestations, charges et investissements définis ci-dessus.
La provision mensuelle sur charges a été fixée à 50 Euros et celle pour consommation d'eau à 230 Euros.
Le 4 mai 2020, une assemblée générale extraordinaire de la SARL Laverie [E] a décidé de la dissolution anticipée de la société et de sa liquidation amiable en application des articles L. 237-1 à L 237-13 du code de commerce, [E] [W] étant désigné en qualité de liquidateur pour une durée de 6 mois.
Le registre du commerce et des sociétés a procédé à la radiation de la SARL Laverie [E] le 19 mai 2020 à effet du 5 mai 2020.
Le Centre de Formalité des Entreprises a enregistré cette dissolution le 25 mai 2020.
Le 7 juillet 2020, la SCI Julyann a fait constater par Me [R], huissier de justice à [Localité 4], que M. [W] déménageait les locaux.
L'huissier a interrogé celui-ci sur l'existence d'un arriéré de loyer de 2 mois, et a constaté l'état des locaux.
Par acte du 15 septembre 2020, la SCI Julyann a fait assigner [E] [W], pris à titre personnel, devant le tribunal de commerce d'Auch afin de le voir condamner à lui payer tout un ensemble de sommes au motif qu'il a commis des fautes à l'occasion de ses fonctions de de gérant et de liquidateur amiable de la SARL Laverie [E] :
- dissolution anticipée fautive pour échapper aux poursuites des créanciers,
- absence de paiement du passif.
Le 8 janvier 2021, sur déclaration de cessation des paiements, la SARL Laverie [E] a été placée en liquidation judiciaire, Me [Y] [H] étant désignée en qualité de liquidateur.
Par jugement rendu le 23 juillet 2021, le tribunal de commerce d'Auch a :
- condamné M. [E] [W] au paiement du loyer du mois d'avril 2020, soit la somme de 973,59 Euros majorée des intérêts légaux à compter du 9 juin 2020, date de la mise en demeure,
- débouté la SCI Julyann de sa demande à titre de dommages et intérêts,
- débouté la SCI Julyann de sa demande à titre de perte de chance,
- débouté la SCI Julyann de sa demande à titre des travaux de remise en état du local commercial,
- débouté la SCI Julyann de sa demande au titre des frais décaissés par elle pour procéder par huissier à toutes constatations utiles,
- débouté M. [E] [W] de sa demande de dommages et intérêts,
- rappelé que l'exécution provisoire est dorénavant de droit,
- condamné M. [E] [W] à verser à la SCI Julyann la somme de 1 000 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [E] [W] aux entiers dépens, liquidés pour le greffe à la somme de 73,22 Euros.
Le tribunal a estimé que M. [W] n'avait connaissance, lorsqu'il a dissout la société, que de la dette de loyer ; qu'en application du contrat de bail, la dissolution a entraîné sa résiliation ;
qu'en l'absence d'établissement d'un état d'entrée dans les lieux, ceux-ci étaient présumés avoir été reçus en bon état ; que toutefois le bailleur ne pouvait réclamer l'équivalent d'une remise à neuf, même si le preneur était parti sans l'en informer.
Par acte du 20 août 2021, la SCI Julyann a déclaré former appel du jugement en indiquant que l'appel porte sur les dispositions du jugement qui ont prononcé condamnation à son encontre et rejeté ses demandes, qu'elle cite dans son acte d'appel.
La clôture a été prononcée le 14 septembre 2022 et l'affaire fixée à l'audience de la Cour du 12 octobre 2022.
PRETENTIONS ET MOYENS :
Par dernières conclusions notifiées le 21 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la SCI Julyann présente l'argumentation suivante :
- Contexte du litige :
* elle a toujours eu du mal à être payée au point qu'en 2016, elle a été contrainte de délivrer un commandement de payer, lequel a donné lieu à une ordonnance de référé suspendant les effets de la clause résolutoire et accordant un délai au preneur pour régulariser.
* à compter d'avril 2020, la SARL Laverie [E] a cessé tout paiement.
* le 7 juillet 2020, le preneur a quitté les lieux 'à la cloche de bois', sans la prévenir, afin de la laisser en possession d'un local vide, dégradé, et avec un arriéré de loyer.
* elle a fait chiffrer le coût de remise en état des locaux.
- La responsabilité personnelle de M. [W] est engagée :
* selon l'article L. 223-22 du code de commerce, les gérants sont responsables des fautes commises dans leur gestion.
* M. [W] a convoqué une assemblée générale pour permettre à la société d'échapper aux poursuites de son bailleur, sans disposer d'aucun patrimoine, et alors qu'elle était en état de cessation des paiements, comme M. [W] l'a reconnu devant Me [R], au lieu de solliciter une liquidation judiciaire.
* il n'a sollicité cette liquidation que postérieurement à la clôture de la liquidation amiable et après avoir été assigné en justice, en dissimulant l'existence d'actifs d'un montant de 83 892,92 Euros comme l'indique le bilan simplifié arrêté au 7 décembre 2020.
* M. [W] a également manqué à ses obligations en qualité de liquidateur amiable, tel que prévu aux articles L. 237-12 et L. 225-254 du code de commerce, qui l'obligeaient à apurer le passif et provisionner les créances litigieuses, comme le prévoyait d'ailleurs la résolution de l'assemblée générale, au lieu de clôturer la liquidation en quelques jours sans déposer les comptes au tribunal de commerce.
* le tribunal ne pouvait retenir une absence d'intention frauduleuse qui n'est pas requise par les textes.
* M. [W] avait nécessairement connaissance de l'arriéré de loyers et des dégradations locatives.
* l'engagement de la responsabilité de M. [W] n'est pas subordonné à une déclaration de créance au passif de la SARL Laverie [E].
- Elle a été préjudiciée :
* loyers et charges impayés d'avril à juillet 2020 (date de libération des lieux) : 3 894,36 Euros.
* désordres sur le local : Me [R] a constaté l'état déplorable des lieux lors de la restitution et ses constatations, faites en présence de M. [W], font foi. Le montant des réparations est d'un total de 24 757,77 Euros.
* perte de chance de percevoir un loyer jusqu'au terme du bail, soit le 31 juillet 2023 : 90 % de 35 049,24 Euros, soit 31 544,31 Euros.
* conditions du départ : elle a été avisée du départ de son preneur par un voisin et a dû missionner son huissier de justice en urgence pour un coût de 1 214,89 Euros qui doit être mis à la charge de M. [W] ou en tous cas intégré dans les dépens ; le preneur a également enlevé le matériel d'exploitation alors que le contrat stipule qu'il constitue le gage du bailleur : 10 000 Euros.
* perte de chance de trouver un locataire : pour la période de juillet à décembre 2020 : 4 089,08 Euros.
- M. [W] produit des témoignages dépourvus de toute valeur probante.
- Il réclame des sommes indues :
* la taxe foncière est contractuellement à la charge du preneur et les contestations de M. [W] quant à la surface habitable ne sont basées que sur un constat d'huissier qui n'a pas eu accès à la totalité des locaux.
* elle n'a fait échouer aucun projet de vente du fonds.
Au terme de ses conclusions, (abstraction faite des multiples 'juger' qui constituent un rappel des moyens et non des prétentions) elle demande à la Cour de :
- déclarer l'attestation de Mme [I] [C] irrecevable,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [W] à lui payer la somme de 973,59 Euros avec intérêts,
- le réformer en ses autres dispositions,
- condamner M. [W] à lui payer :
* 2 920,77 Euros au titre des loyers et charges impayés ou subsidiairement à titre d'indemnité d'occupation, pour mai à juillet 2020, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 juin 2020,
* 24 757,77 Euros au titre des dépenses de remise en état du local commercial, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ou subsidiairement la somme de 20 482,11 Euros,
* 31 544,31 Euros à titre de perte de chance de percevoir l'intégralité des loyers et charges jusqu'au terme du contrat le 31 juillet 2023, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
* 1 214,89 Euros au titre des frais décaissés pour faire constater par huissier le 'départ à la cloche de bois' du locataire, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
* 10 000 Euros en indemnisation des tracas engendrés par la procédure compte tenu du démantèlement des meubles,
* 4 089,08 Euros au titre de la perte de chance de pouvoir relouer le local,
* 8 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux dépens incluant les frais d'établissement du procès-verbal de constat, avec distraction.
*
* *
Par conclusions d'intimé notifiées le 1er février 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, [E] [W] présente l'argumentation suivante :
- Sa responsabilité personnelle ne peut être engagée :
* la SARL Laverie [E] n'était plus en situation de régler ses dettes, et notamment les loyers dus à la SCI Julyann, ce qui nécessitait une liquidation amiable et la libération des lieux permettant au bailleur de reprendre rapidement possession des lieux.
* eu égard à l'impossibilité de régler le passif exigible avec l'actif disponible, il a finalement effectué une déclaration de cessation des paiements.
* lors de la liquidation, il n'avait connaissance que de la dette de loyer représentant le mois d'avril 2020.
* l'existence d'une procédure collective à laquelle le bailleur n'a déclaré aucune créance rend l'action engagée à l'encontre du liquidateur amiable irrecevable.
* le préjudice revendiqué n'est pas distinct de celui subi par les autres créanciers de a SARL Laverie [E].
- Le préjudice indemnisable est inexistant :
* faute de déclaration au passif, la SCI Julyann s'est privée de toute chance de percevoir des fonds.
* la situation de la société ne lui permettait pas de payer une quelconque créance.
* le bail a été résilié de plein droit en application de la clause relative à la dissolution amiable du fonds.
* il ne pouvait laisser les meubles sur place, ce qui aurait empêché le bailleur de les reprendre.
* il n'a été convoqué à aucun état des lieux de sortie contradictoire et les frais réclamés sont disproportionnés, alors que la société avait pris à bail des locaux nus en rachetant les machines appartenant au précédent exploitant.
- La SCI Julyann lui a causé préjudice :
* elle a réclamé paiement à la société des impôts fonciers sans que le bail ne le prévoie, et pour une surface de 58 m² alors qu'un constat d'huissier établi le 1er juillet 2019 atteste que la surface donnée à bail n'était que de 35 m².
* le bailleur a fait échouer des projets de vente du fonds à M. [Z], Mme [C] et M. [J].
* es-qualité de gérant et associé de la SARL Laverie [E], il est fondé à obtenir paiement de dommages et intérêts.
Au terme de ses conclusions, il demande à la Cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il a prononcé condamnation à son encontre,
- le confirmer sur le rejet de l'intégralité des demandes présentées par la SCI Julyann,
- la condamner à lui payer la somme de 20 000 Euros à titre de dommages et intérêts,
- subsidiairement :
- ordonner la compensation entre les créances réciproques,
- la condamner au paiement de 6 000 Euros en application des dispositions des articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- la condamner aux dépens avec distraction.
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MOTIFS :
1) Sur la demande que soit déclarée irrecevable une attestation établie par [I] [C] :
L'appelante demande à la Cour de déclarer ce document irrecevable au motif que la personne qui l'a établie n'y a pas annexé de pièce d'identité, que le document a été tapé à la machine au lieu d'être manuscrit, en violation des dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, et que Mme [C] rapporte des propos inexacts.
Mais les dispositions de l'article 202 ne sont pas prescrites à peine de nullité et la discussion sur le bien fondé des déclarations qu'elle contient relève de l'examen du fond de l'affaire.
La demande doit être rejetée.
2) Sur les fautes imputées à M. [W] :
En premier lieu, l'article L. 223-22 du code de commerce dispose :
'Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.'
La responsabilité personnelle du gérant est engagée lorsqu'il commet une faute intentionnelle d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales.
En l'espèce, la SARL Laverie [E] a cessé de payer le prix du bail commercial à compter d'avril 2020.
Dès le début du mois suivant, M. [W] a réuni une assemblée générale qui s'est tenue le 4 mai 2020 à 09H00 et a prononcé la dissolution anticipée et la liquidation amiable de la SARL Laverie [E], étant précisé que M. [W] détenait la majorité des parts sociales.
Selon l'état préparatoire du bilan simplifié arrêté au 5 mai 2020 :
- le résultat de l'exercice était déficitaire de 3 832,44 Euros,
- celui de l'exercice précédent était déficitaire de 12 523,82 Euros,
- le report à nouveau était négatif de 14 947,15 Euros,
- les capitaux propres étaient négatifs de 10 778,59 Euros,
- le total des dettes était de 61 285,86 Euros.
La SARL Laverie [E] a été radiée du registre du commerce et des sociétés dès le 19 mai 2020, date de la clôture des opérations de liquidation amiable, selon l'extrait du registre du commerce et des sociétés produit aux débats.
La SCI Julyann a mis en demeure la SARL Laverie [E] de lui payer la somme de 2 920,77 Euros le 9 juin 2020 puis la somme de 3 894,36 Euros le 3 juillet 2020.
Le constat établi le 7 juillet 2020 par Me [R], huissier de justice, atteste que dès le 7 juillet suivant, sans en avoir averti le bailleur, M. [W] a vidé le local commercial à l'aide d'un camion en en retirant quatre machines à laver professionnelles qui s'y trouvaient.
Présent sur les lieux, M. [W] a déclaré à l'huissier, d'une part, que les machines à laver lui appartenaient, mais a été dans l'incapacité d'en justifier et, d'autre part, que la SARL Laverie [E] était dans l'incapacité de payer les sommes qu'elle devait.
En second lieu, s'agissant de la liquidation amiable d'une société, le premier alinéa de l'article L. 237-12 du code de commerce dispose :
'Le liquidateur est responsable, à l'égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes commises par lui dans l'exercice de ses fonctions.'
La liquidation amiable d'une société impose l'apurement intégral du passif et en l'absence d'actif social suffisant pour y faire face, il appartient au liquidateur de différer la clôture et de solliciter l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la société.
En l'espèce, il est constant que M. [W] a fait clôturer la procédure de liquidation amiable quelques jour après la décision la prononçant, d'ailleurs sans déposer les comptes de liquidation, en n'effectuant strictement aucune démarche pour procéder à l'inventaire de l'actif et l'apurement du passif.
Alors même qu'il a ensuite déclaré à Me [R] qu'il n'avait pas de fonds, il n'a alors procédé à aucune déclaration de cessation des paiements.
Il résulte de ces éléments et de leur chronologie que M. [W] a réuni une assemblée générale pour prononcer la liquidation amiable de la société puis sa radiation immédiate du registre du commerce et qu'il a vidé le local commercial de ses matériels, à l'insu de la SCI Julyann, aussitôt aprèsque la SARL Laverie [E] a été mise en demeure par le bailleur de s'acquitter des sommes qui lui étaient dues.
Ce comportement a ainsi eu pour objet, non de mettre un terme à la société, en difficultés, en apurant le passif, mais au contraire de se soustraire au paiement du passif, et plus particulièrement d'éviter de payer les sommes dues au bailleur.
Il constitue tant une faute de gestion d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de la fonction de gérant, qu'une faute lors des fonctions de liquidateur amiable.
Dès lors, sa responsabilité personnelle peut être recherchée et le jugement doit être infirmé.
3) Sur les préjudices invoqués par la SCI Julyann :
En premier lieu, l'action en responsabilité pour faute engagée à l'encontre de M. [W] par la SCI Julyann n'est pas subordonnée à une déclaration au passif de la SARL Laverie [E].
En tout état de cause, le jugement de liquidation judiciaire fait état d'un actif limité à 3 000 Euros qui, par suite, ne peut permettre le versement du moindre dividende aux créanciers chirographaires, de sorte que l'absence de déclaration au passif de la part du bailleur n'a pas eu pour effet de le priver de la possibilité de percevoir des fonds.
En deuxième lieu, les sommes réclamée par la SCI Julyann sont les suivantes :
- Loyers impayés d'avril 2020 à juillet 2020 (date de libération effective des lieux) : 3 894,36 Euros. Cette somme est due.
- Remise en état des lieux :
L'article 1731 du code civil dispose 's'il n'a pas été fait d'état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire'.
En application de ce texte, la SARL Laverie [E] est présumée, faute d'état des lieux entre les parties, avoir reçu les locaux commerciaux en bon état.
M. [E] ne saurait tirer argument du fait qu'aucun état des lieux de sortie contradictoire n'a été établi alors qu'il a quitté les lieux à l'insu du bailleur qui ne l'a appris que grâce aux riverains.
Or, les constatations effectuées par Me [R] le 7 juillet 2020, en présence et avec l'autorisation de M. [W], ainsi que les photographies prises par l'officier ministériel attestent des dégradations suivantes :
* grille extérieure non sécurisée,
* porte d'entrée sortie de ses gonds,
* porte arrière brisée par M. [W] lui-même qui avait oublié les clés le matin même,
* local présentant un grand état de salissure,
* murs et cloisons dégradés,
* plomberie mise à nu,
* installation électrique dégradée.
Les devis produits aux débats attestent que la SCI Julyann a dû procéder aux remises en état d'un montant total de 24 757,77 Euros, ainsi détaillées :
* 7 655,13 Euros : facture de l'entreprise Miroiterie Midi-Pyrénées pour la réfection des portes et ouvertures,
* 1 308,88 Euros : facture de l'entreprise MR pour la réfection de la plomberie,
* 3 034,49 Euros : facture de l'entreprise HB Plâtrerie pour la réfection de l'électricité,
* 12 256,71 Euros : facture de l'entreprise HB Plâtrerie pour la réfection des cloisons,
* 502,56 Euros : facture Enedis pour la remise en état du raccordement au réseau électrique.
La somme de 24 757,77 Euros est due.
- Perte de chance de percevoir les loyers jusqu'à l'expiration du bail :
Il est acquis qu'indépendamment des manoeuvres auxquelles s'est livré M. [W] pour éviter de payer l'arriéré dû au bailleur, d'une part, le preneur était en état de cessation des paiements lors de la dissolution de cette société et, d'autre part, il avait cessé son activité.
Cette situation aurait dû aboutir à la liquidation de la SARL Laverie [E] et, ainsi, à la résiliation du bail soit dans le cadre d'une liquidation judiciaire qui aurait dû être prononcée dès le printemps 2020, soit dans le cadre d'une dissolution amiable donnant lieu au paiement des arriérés par le liquidateur amiable conformément à sa mission.
Le contrat stipule d'ailleurs 'en cas de fermeture du fonds de commerce ou d'arrêt de l'exploitation comme en cas de dissolution amiable, le présent bail sera également résilié de plein droit'.
Dès lors, l'état d'insolvabilité de la SARL Laverie [E] s'oppose à considérer qu'elle aurait pu être en situation de continuer les paiements au-delà de sa cessation d'activité.
Il n'existe ainsi aucune perte de chance de continuer à percevoir le prix du bail stipulé au contrat signé le 29 juillet 2014.
Le jugement qui a rejeté ce poste de demande doit être confirmé.
- Coût du constat établi par Me [R] : Cette dépense sera incluse dans l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Tracas et longueur de la procédure : Il ne s'agit pas d'un poste de préjudice mais des conséquences inhérentes de toute procédure judiciaire, de sorte que ce poste ne peut être admis.
- Perte de chance de pouvoir donner à bail le local dégradé :
Il ne peut être tenu pour établi que la SCI Julyann aurait trouvé un nouveau preneur aussitôt après la restitution des locaux.
Elle aurait dû y faire certains travaux de remise en état.
Dès lors, ce poste de préjudice ne peut être retenu.
Les sommes dues seront fixées à un total de 28 652,13 Euros.
En troisième lieu, compte tenu que la liquidation amiable imposait l'apurement total du passif, les fautes commises par M. [W] ont privé la SCI Julyann de la perception intégrale de cette somme.
Par conséquent, il doit être condamné à la payer à l'appelante avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation dès lors que les mises en demeure ont été adressées à la SARL Laverie [E] et non à M. [E] à titre personnel.
Le jugement sera réformé sur le montant alloué.
4) Sur la demande reconventionnelle présentée par M. [W] :
Vu les articles 31 et 125 alinéa 2 du code de procédure civile,
Vu la note en délibéré sollicitée par message RPVJ le 2 décembre 2022,
Vu la note transmise par la SCI Julyann le 8 décembre 2022,
Comme indiqué plus haut, M. [W] a cessé ses fonctions de liquidateur amiable de la SARL Laverie [E].
Désormais, seul le liquidateur désigné en justice suite à la liquidation de la SARL Laverie [E] a qualité pour présenter des demandes au nom de cette société.
M. [W] ne peut plus agir ni en qualité de gérant de la SARL Laverie [E] ni en qualité de liquidateur amiable.
Par conséquent, il n'est pas recevable à présenter une demande de répétition d'un indu relatif aux taxes foncières qui, à supposer qu'il soit avéré, devrait exclusivemenent être restitué à la SARL Laverie [E].
Il en est de même des dommages et intérêts réclamés pour avoir empêché la vente du fonds de commerce à M. [Z], Mme [C] et M. [J].
En effet, à supposer que le gérant de la SCI Julyann ait effectivement fait indûment obstacle à la vente du fonds, seule la SARL Laverie [E], propriétaire de ce fonds (selon la promesse de cession à [I] [C]), pourrait réclamer indemnisation du préjudice en découlant.
M. [W], qui ne subit aucun préjudice personnel distinct de celui susceptible d'être subi par la SARL Laverie [E], ne saurait contourner ce principe en indiquant agir, de façon générique, en qualité d'associé.
Ses demandes reconventionnelles doivent être déclarées irrecevables.
Enfin, l'équité nécessite d'allouer à l'appelante, en cause d'appel, la somme de 5 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
- la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
- DIT n'y avoir lieu à déclarer irrecevable l'attestation établie par [I] [C] ;
- INFIRME le jugement SAUF en ce qu'il a débouté la SCI de sa demande d'indemnisation à titre de perte de chance de percevoir les loyers jusqu'à l'expiration du bail et de pouvoir donner à bail le local dégradé ;
- STATUANT A NOUVEAU sur les points infirmés,
- CONDAMNE [E] [W] à payer à la SCI Julyann la somme de 28 652,13 Euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 septembre 2020, à titre de dommages et intérêts ;
- REJETTE les demandes d'indemnisation présentées par la SCI Julyann au titre des
tracas et de la longueur de la procédure ;
- DECLARE les demandes reconventionnelles présentées par [E] [W] irrecevables ;
- Y ajoutant,
- CONDAMNE [E] [W] à payer à la SCI Julyann, cause d'appel, la somme de 5 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE [E] [W] aux dépens de l'appel qui pourront être recouvrés directement par Me Goudenege-Chauvin pour ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Vu l'article 456 du code de procédure civile, le présent arrêt a été signé par Dominique Benon, conseiller ayant participé au délibéré en l'absence de Madame la présidente de chambre empêchée, et par Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE CONSEILLER