4o Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 07 MAI 2008
No 2008 / 190
Rôle No 06 / 19980
Evelyne X...
C /
S. A. R. L. MM2
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 13 Novembre 2006 enregistré au répertoire général sous le no 03 / 2078.
APPELANTE
Madame Evelyne X...
née le 11 Février 1923 à CANNES (06400),
demeurant...-75017 PARIS
représentée par la SCP LATIL- PENARROYA- LATIL- ALLIGIER, avoués à la Cour,
assistée de la SCP RISTAINO- BROCQUET- GUILLOT, avocats au barreau de GRASSE
INTIMEE
S. A. R. L. MM2, au capital de 8 000 euros, inscrite au r. c. s de CANNES, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège sis,
demeurant 18, rue d'Antibes-06400 CANNES
représentée par la SCP BLANC AMSELLEM- MIMRAN CHERFILS, avoués à la Cour,
assistée de Maître Renaud GUILIERI, avocat au barreau de NICE substitué par Maître Frédéric MORISSET, avocat au barreau de NICE
*- *- *- *- *
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 04 Mars 2008 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Brigitte BERNARD, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Brigitte BERNARD, Président
Madame Marie- Françoise BREJOUX, Conseiller
Monsieur Michel NAGET, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marie- Christine RAGGINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Mai 2008.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Mai 2008,
Signé par Madame Brigitte BERNARD, Président et Madame Marie- Christine RAGGINI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Par acte du 23 avril 1987 et prenant effet le 1er octobre 1987, Evelyne X... a donné à bail commercial à la SARL MM2 des locaux sis 18, rue d'Antibes à CANNES (Alpes Maritimes), dans lesquels est exploité un fonds de commerce de prêt- à- porter.
Le loyer initial était de 12. 195, 52 Euros l'an.
Les parties sont d'accord sur le principe du renouvellement le 29 septembre 2002 et conviennent que, le bail ayant duré plus de douze ans par l'effet de la tacite reconduction, le plafonnement est exclu et le prix du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative.
La bailleresse a proposé un loyer annuel de 100. 000 Euros avant de le porter à 162. 657 Euros.
Par acte du 20 mars 2003, la SARL MM2 a assigné Evelyne X... devant le Tribunal de Grande Instance de GRASSE.
Par jugement du 20 novembre 2003, le Tribunal de Grande Instance de GRASSE a ordonné une expertise, confiée à Sylvie D.... Le rapport a été déposé le 22 juillet 2005.
Par jugement du 13 novembre 2006, le Tribunal de Grande Instance de GRASSE a :
- fixé le montant annuel du loyer du bail renouvelé le 29 septembre 2002 à 87. 242 Euros, hors taxe et charges,
- dit que les sommes à régler au titre du loyer ci- dessus arrêté produiront intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 2002 et pour chaque échéance due,
- débouté les parties de toutes autres demandes, y compris celles réciproques formulées au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamné les parties à payer chacune la moitié des dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire,
- ordonné l'exécution provisoire.
Par acte du 27 novembre 2006, Evelyne X... a fait appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions signifiées le 19 février 2008 et auxquelles il est renvoyé, Evelyne X... demande à la Cour :
- de réformer le jugement,
- de fixer le prix du loyer annuel du bail renouvelé à compter du 29 septembre 2002 à la somme de 203. 098 Euros HT et HC,
- de juger que les sommes dues au titre de l'arriéré de loyer produiront des intérêts au taux légal, les intérêts courant sur la différence entre le loyer réglé et le loyer exigible à compter de chaque échéance trimestrielle,
- de condamner le preneur au paiement de la somme de 5. 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens.
A l'appui de ses demandes, l'appelante demande l'application de la 2ème méthode d'évaluation retenue par l'expert, à savoir celle comportant des baux avec décapitalisation du pas de porte. Cette solution découlerait de la définition de la valeur locative, telle que retenue par la pratique.
Remettant en cause un abattement forfaitaire de 10 % retenu par l'expert judiciaire sur la valeur locative, elle se fonde sur un rapport amiable, C..., pour justifier sa critique.
Par ailleurs, concernant l'abattement devant être retenu au titre de l'article 606 du Code civil à charge du preneur et évalué à 15 %, l'appelante estime qu'il a déjà été retenu à 5 % dans une affaire similaire en 2005, l'expert C... le fixant en l'espèce à 3 %.
Dans ses dernières écritures signifiées le 28 février 2008 et auxquelles il est renvoyé, la SARL MM2 demande à la Cour :
- de déclarer recevable son appel incident,
- de débouter l'appelante de toutes ses demandes et de confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a fixé le montant du nouveau loyer annuel à la somme de 87. 242 Euros,
- de fixer le montant à la somme de 74. 176 Euros à compter du 1er octobre 2002,
- de condamner Evelyne X... au paiement de la somme de 2. 500 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens.
A l'appui de ses demandes, le preneur écarte la décapitalisation de la cession de droit au bail comme étant une " hérésie juridique ", écartée d'ailleurs en 1ère instance, par la majorité de la doctrine et jamais reconnue par la Cour de cassation, selon lui. Le preneur à bail se fonde alors sur une valeur retenue dans une procédure ayant opposé les parties le 1er janvier 2001 sur un local au.... Il estime en outre le rapport d'expertise D... comme multipliant les contradictions avec les valeurs antérieurement retenues et commettant des erreurs quant aux dates de prise en compte.
Par ailleurs, la SARL MM2 demande l'application d'un abattement de 20 % sur le montant de la valeur locative, étant tenu aux réparations de l'article 606 du Code civil, outre la soustraction de la taxe foncière.
SUR CE, LA COUR
Considérant que la recevabilité de l'appel n'est pas critiquée.
Considérant qu'est en litige le prix du loyer du bail commercial, renouvelé pour 9 ans à compter du 29 septembre 200 entre Evelyne X... et la SARL MM2.
Qu'Evelyne X... a notifié à la SARL MM2 un congé le 28 mars 2002, avec offre de renouvellement pour le 29 septembre 2002.
Considérant que le prix du loyer du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative des locaux loués, le bail ayant duré plus de 12 ans, au 29 septembre 2002.
Considérant que la SARL MM2 exploite un fonds de commerce de prêt à porter et d'articles d'habillement de luxe et accessoires, au 18, rue d'Antibes à CANNES.
Considérant qu'il résulte des constatations de l'expert judiciaire Sylvie D... dans son rapport du 22 juillet 2005, que les locaux loués sont situés en plein centre ville, en partie basse de la rue d'Antibes, qui bénéficie d'une excellente commercialité, en rez- de- chaussée d'un immeuble ancien élevé de 5 étages.
Que les locaux ont une surface de vente sur rue de 46, 38 m ² et un accès par une porte vitrée, prolongée par deux vitrines. Que la surface utile pondérée des locaux est de 89 m ², ce qui n'est plus contesté en appel.
Considérant que pour fixer la valeur locative, il y a lieu de se référer à des prix pratiqués dans le voisinage pour des locaux équivalents, eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles 23-1 à 23-4 du décret du 30 septembre 1953.
Considérant que dans le choix des éléments de comparaison, il y a lieu de prendre en considération des loyers initiaux de marché et renouvelés amiablement ainsi que des loyers judiciairement fixés.
Considérant par ailleurs, qu'il est utile de tenir compte, y compris pour procéder au renouvellement d'un loyer, consenti initialement sans pas de porte, de l'intégration aux loyers périodiques sans pas de porte, par l'opération dite de décapitalisation sur 9 ans, des droits d'entrée versés au bailleur et des droits de cession versés au cédant du droit au bail, le montant d'un loyer pouvant varier considérablement, selon notamment que la location a été conclue ou non avec un pas de porte, et ce dans la mesure où, ces loyers avec décapitalisation sont des références pertinentes, eu égard aux éléments mentionnés aux articles 23-1 et 23-4 du décret de 1953.
Considérant qu'en l'espèce, l'expert judiciaire s'est attaché à fournir deux estimations, l'une correspondant à un loyer périodique simple, l'autre à une valeur locative comprenant des loyers périodiques et des loyers avec décapitalisation du pas de porte sur 9 ans.
Que le choix de la Cour se portera sur cette deuxième estimation, seule susceptible d'approcher une valeur de marché, en incluant cependant dans les prix pratiqués dans le voisinage, le coût locatif d'un nouvel exploitant à la date de référence.
Que c'est, à juste titre, que l'expert amiable C... affirmait, dans son rapport du 7 septembre 2006, que " refuser la décapitalisation revient à dénier au bailleur le bénéfice de l'évolution économique du secteur, alors même que par l'emplacement, il fournit l'essentiel du chiffre d'affaires du preneur et partant le droit au bail qu'il est susceptible de demander au cessionnaire ".
Que l'expert judiciaire n'était pas éloigné de cette opinion dans sa réponse aux dires de Me E... du 16 février 2005, en page 47 du rapport.
Qu'enfin, tenir compte de la décapitalisation permet encore une fois de rapprocher la valeur locative de celle du marché, pour des locaux équivalents, sachant qu'à la date de référence du 29 septembre 2002, comme Sylvie D... l'a souligné, les nouvelles location se négociaient à des prix, sans cesse croissants, dans la rue d'Antibes, artère à forte commercialité.
Considérant que dans son rapport, l'expert judiciaire, après avoir analysés les dires des parties et écarté certains termes de comparaison non pertinents, comme celui du 91 rue d'Antibes, trop ancien, proposé par la SARL MM2, a retenu 11 références pour obtenir une valeur locative moyenne de 1 453 € le m ² l'an.
Considérant toutefois que parmi ces références, seules 9 sont pertinentes ; que doivent être écartées, en effet, le 79 rue d'Antibes, dont le bail est renouvelé à compter du 1er décembre 2003 et le 106 rue d'Antibes, pour le même motif, le bail étant renouvelé à compter de janvier 2004, soit bien après la date de référence du 29 septembre 2002.
Que par ailleurs, comme le fait observer l'expert amiable C... dans son rapport du 18 février 2008, l'expert judiciaire a commis une erreur sur la surface d'une des références, celle du 1 rue d'Antibes, qui est de 135 m ² pondérés et non de 155 m ², ce qui donne, après rectification, une valeur métrique, après décapitalisation de 1 556 € le m ² l'an au lieu de 1356 € le m ².
Considérant que la SARL MM2 ne produit pas de nouvelles références en appel ; que la bailleresse, se fondant sur le rapport C... du 18 février 2008, soutient qu'il convient aussi de retenir le 16 rue d'Antibes, soit le loyer de la boutique " un pour ailleurs " ayant pour activité le prêt à porter femme, le 8 rue d'Antibes, concernant les boutiques de FRANCE TÉLÉCOM, et les locaux à l'enseigne ZARA, au 9 rue d'Antibes.
Que ces derniers locaux, d'une surface de 432 m ², ne sont pas une référence pertinente ; qu'en revanche, sont des termes de comparaison valables le 16 rue d'Antibes, d'une surface de 158 m ² pondérés et dont le bail est renouvelé le 1er septembre 2001 ainsi que le 8 rue d'Antibes, les locaux étant réunis en une seule boutique mais faisant l'objet de deux baux distincts à effet au 1er décembre 2001.
Qu'ainsi le 16 rue d'Antibes, a un loyer renouvelé après décapitalisation du droit au bail exclusivement de 1 785 € le m ² l'an, suivant le rapport en date du 8 septembre 2006 de l'expert amiable François F..., qui le retient également, tandis que les locaux de FRANCE TÉLÉCOM ont un loyer, pour le premier local de 37 m ² de 1 836 € le m ² l'an et pour le deuxième local de 42 m ² de 2 018 € le m ² l'an, la Cour privilégiant ici aussi le calcul de François F... plus précis.
Considérant, en conséquence, que la valeur locative moyenne des termes de comparaison s'élève à 1 972 € le m ² l'an (1 900 € + 1 350 € + 1 646 € + 1 088 € + 1 304 € + 1 551 € + 563 € + 1 081 € + 1 556 € + 1 785 € + 1 836 € + 2 018 €).
Que ce ratio moyen se situer dans la tranche moyenne à haute des valeurs locatives, retenues dans les rapports des experts amiables LAMY, du 4 octobre 2002, MARX du 4 septembre 2006 et F... du 8 septembre 2006 compte tenu de l'emplacement des locaux litigieux dans la rue d'Antibes, le rapport de l'expert G... de la H... ayant été, quant à lui, critiqué, justement, par l'expert judiciaire sur les loyers trop bas référencés par ses soins.
Considérant qu'il n'y a pas lieu d'appliquer un coefficient réducteur de 10 % à cette valeur locative de 1 972 €, les prix postérieurs à la date de référence ayant été écartés, et la pondération ainsi que le calcul d'une valeur moyenne tenant compte de la surface des locaux loués à la SARL MM2.
Considérant encore que, l'abattement à appliquer au loyer principal, qui s'établit donc à (1972 € x 89 m ²) 175 508 € l'an, hors taxes et charges avant abattement, à compter du 29 septembre 2002, pour tenir compte des charges supportées par le preneur et normalement assumées par la bailleresse, fixé à 10 % par le tribunal sera réduit à 5 %.
Qu'en effet, la clause du bail, mettant à la charge de la SARL MM2 les grosses réparations, y compris celles de l'article 606 du code civil représente, certes, un supplément de loyer mais qu'il ne convient pas de le majorer à 10 %, compte tenu de ce que les locaux loués font partie d'un bâti, dont ils représentent, selon la bailleresse non contredite sur ce pourcentage, 10 % de la surface utile ; que la charge des gros travaux par le preneur ne saurait ainsi excéder sa quote- part correspondant aux locaux loués. Que le taux de 5 % rapproché, en outre, du montant du loyer annuel est donc suffisant.
Qu'il convient enfin de soustraire la taxe foncière, soit 868 € au loyer annuel renouvelé que la Cour fixe, au vu de l'ensemble de ces éléments, à la somme annuelle de 165 864, 60 € arrondie à 165 865 € l'an, hors taxes et charges à compter du 29 septembre 2002.
Considérant que le jugement entrepris sera ainsi infirmé.
Considérant que la SARL MM2 sera tenue de payer les intérêts au taux légal sur la différence entre l'ancien et le nouveau loyer, à compter du 29 septembre 2002, au fur et à mesure des échéances trimestrielles.
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés par elles en première instance et en appel et de partager les dépens d'appel par moitié, entre les parties, le jugement entrepris étant confirmé sur les dépens et le partage des frais de l'expertise judiciaire par moitié entre les parties.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, en audience publique.
- Reçoit l'appel.
- Infirme le jugement entrepris, hormis en ses dispositions relatives à l'article 700 du Code de Procédure Civile, aux dépens et au partage par moitié entre les parties des frais de l'expertise judiciaire.
Statuant à nouveau :
- Fixe le montant annuel du loyer du bail renouvelé, à compter du 29 septembre 2002, pour les locaux, sis 18, rue d'Antibes à CANNES, à la somme de 175 508 €, hors taxes et charges en sus.
- Dit que la SARL MM2 sera tenue de payer les intérêts au taux légal sur la différence entre l'ancien et le nouveau loyer, à compter du 29 septembre 2002, et pour chaque échéance trimestrielle due.
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
- Fait masse des dépens d'appel et les partage par moitié entre les parties. Admet la SCP LATIL- PENARROYA- LATIL- ALLIGIER et la SCP BLANC- AMSELLEM- MIMRAN- CHERFILS, avoués au bénéfice de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,