COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1ère Chambre C
ARRÊT
DU 18 SEPTEMBRE 2008
No 2008/
A. F.
Rôle No 07/11377
ÉTABLISSEMENTS DCN SERVICES TOULON
SOCIÉTÉ DCNS
C/
C.H.S.C.T. No3 DE L'ÉTABLISSEMENT DCN SERVICES TOULON
Grosse délivrée
le :
à :
SCP BLANC
SCP TOUBOUL
réf 0711377
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 12 Juin 2007 enregistré au répertoire général sous le No 07/651.
APPELANTS :
ÉTABLISSEMENTS DCN SERVICES TOULON,
dont le siège est B.P. 517 - Place Monsenergue - 83010 TOULON CEDEX 9
SOCIÉTÉ DCNS,
venant aux droits de la société DCN,
dont le siège est 2, rue Sextius Michel - 75015 PARIS
représentés par la SCP BLANC AMSELLEM-MIMRAN CHERFILS, avoués à la Cour,
plaidant par la SCP FROMONT-BRIENS & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, substituée par Maître Hugues PELISSIER, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
C.H.S.C.T. No3 DE L'ETABLISSEMENT DCN SERVICES TOULON,
dont le siège est B.P. 517 - Place Monsenergue - 83011 TOULON CEDEX 9
représenté par la SCP DE SAINT FERREOL - TOUBOUL, avoués à la Cour, plaidant par Maître Juliette GOLDMANN, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Juin 2008 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Anne FENOT, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Guy ROMAN, Président
Madame Anne VIDAL, Conseiller
Madame Anne FENOT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Serge LUCAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2008.
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2008,
Signé par Monsieur Guy ROMAN, Président, et Monsieur Serge LUCAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société Etablissements DCN services Toulon (DCNS) est une société de construction navale qui conçoit, construit, répare et assure la maintenance de navires militaires.
La DCNS, qui envisageait de regrouper en une seule unité, les unités de production dédiées aux travaux sur les coques et structures des bâtiments de surface (UP/CS) et des sous marins UP/SQM, a présenté ce projet d'unification au comité d'établissement.
A la demande du comité d'établissement, le comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT) a été consulté sur ce projet et, à l'issue d'une réunion le 29 juin 2006, il a décidé de recourir sur le fondement de l'article L 236-9 du code du travail, à une expertise pour faire une étude sur les conséquences du changement d'organisation UP/SQM - UP/CS.
Le cabinet EMERGENCES a été choisi le 6 juillet 2006 comme expert par les quatre membres désignés par le CHSCT pour y procéder avec pour mission :
"- l'analyse des modifications des conditions de travail induites par cette réorganisation
- l'aide au CHSCT pour formuler un avis éclairé et d'éventuelles propositions de mesures de prévention et de sécurité en rapport avec cette réorganisation
- ainsi que toutes les autres initiatives permettant d'éclairer le CHSCT sur les particularités des situations de travail ainsi crées".
Le Cabinet EMERGENCES a adressé à la direction de la DCNS une convention d'expertise accompagnée d'un devis portant sur 19 jours d'intervention pour un montant total de 31359,12 euros.
Par un acte du 15 mai 2007, la DCNS a saisi le Président du Tribunal de Grande Instance de Toulon afin de faire annuler la délibération du CHSCT de recourir à l'expertise.
Par une ordonnance du 12 juin 2007, le Président du Tribunal de Grande Instance de Toulon statuant en la forme des référés, après avoir retenu que la condition d'urgence n'était pas remplie, a :
- débouté la société Etablissements DCN services Toulon (DCNS) tendant à l'annulation de la délibération du comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT) du 27 juin 2006
- ordonné à la DCNS de remettre dans un délai de 10 jours à compter de la signification de la décision et ce sous astreinte de 1000 euros par jour de retard les documents utiles à sa mission réclamée par l'expert
- condamné la DCNS à payer au CHSCT une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC
- ordonné l'exécution provisoire de la décision
La DCNS a interjeté appel de cette décision.
Par ses dernières écritures déposées le 11 juin 2008 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de son argumentation, la DCNS poursuit l'infirmation de la décision en faisant valoir pour l'essentiel que:
- la contestation de l'expertise n'est soumise à aucune condition d'urgence
- l'expertise n'est pas utile en ce que le projet de réorganisation qui touche la gestion de deux unités de production n'est pas un projet d'aménagement important au sens de l'article L 236-9 du code du travail puisqu'il porte essentiellement sur une évolution de l'organigramme et n'affecte pas les conditions d'hygiène, de sécurité ou les conditions de travail
- le changement consiste essentiellement dans l'existence de deux équipes mixtes et ne touche ainsi seulement qu'une quinzaine de salariés
- la direction a cherché un compromis puisqu'en l'absence d'impact sur les conditions d'hygiène, sécurité et conditions de travail l'expertise ne devait pas être prise en charge
- d'ailleurs le cabinet EMERGENCES n'a réalisé son expertise qu'en octobre 2007 et son rapport ne met en évidence aucun changement important des conditions de travail.
Elle déduit de l'ensemble de ces éléments que la délibération de recours à un expert en date du 27 juin 2006 doit être annulée.
Par ses dernières écritures déposées le 1er février 2008 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de son argumentation le CHSCT n°3 de l'établissement DCN Services Toulon conclut à la confirmation de la décision entreprise en faisant valoir que le premier juge a parfaitement motivé son rejet de la demande d'annulation en ce qu'il avait renvoyé à l'entreprise sa propre inertie.
En tout état de cause, il conclut au débouté des demandes sur le fond estimant que les conditions légales étaient parfaitement réunies compte tenu de l'importance du projet de regroupement, de son impact sur les cultures de métiers radicalement différents, de son impact encore sur les conditions de travail avec d'une part la perte de primes de zone pour les salariés travaillant avant exclusivement sur les sous marins, et, d'autre part l'augmentation du stress causé par les pics exceptionnels d'activités, autrefois gérés par le recours au CDD ou à la sous-traitance.
Il ajoute que le rapport déposé par EMERGENCES a confirmé l'augmentation de contraintes liées aux déplacements, à la pénibilité du travail ainsi qu'une augmentation de l'insatisfaction sur l'évolution des métiers.
Il soutient ainsi que la DCNS doit être déboutée de ses demandes et condamnée à lui payer 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Le Président du Tribunal de Grande Instance saisi sur le fondement de l'article L 236-9 du code du travail statue en la forme des référés mais par une décision au fond.
Par voie de conséquence, la condition d'urgence de l'article 808 du code de procédure civile n'est pas exigée.
Par ailleurs, dans la mesure où le CHSCT doit être consulté en amont, avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions d'hygiène et de sécurité ou les conditions de travail ainsi qu'avant toute transformation de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail, l'article L 236-9 a prévu dans l'hypothèse du recours par le CHSCT à une expertise, un délai très bref pour que l'expert rende son rapport et a imposé au juge de statuer en urgence s'il était saisi d'une contestation sur la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, le délai ou l'étendue de l'expertise.
L'urgence imposée pour le dépôt du rapport ou pour statuer sur une contestation constitue ainsi une condition qui bénéficie à l'employeur mais qu'on ne saurait lui opposer, puisqu'elle est exigée dans son seul intérêt afin que celui-ci ne voit pas le projet soumis à l'avis du CHSCT bloqué.
Il s'ensuit que c'est à tort que le premier juge a retenu que l'urgence était une condition de fond de ce contentieux qui s'imposait également à l'employeur.
L'ordonnance sera infirmée de ce chef.
Le projet produit aux débats et le compte rendu de la réunion exceptionnelle du comité d'établissement du 6 avril 2006 consulté sur ce projet établissent que les deux unités dont le regroupement est envisagé concernent des métiers proches (tôlerie-soudage-peinture) qui interviennent sur les coques et structures, l'une des bâtiments de surface, l'autre des sous-marins.
Les domaines de ces deux entités sont donc voisins et les équipes utilisent les mêmes techniques à l'exception de quelques spécificités liées notamment aux problèmes de ventilation et d'étanchéité propres aux sous marins.
Ce regroupement doit permettre par une gestion commune de ces unités, une baisse du recours à la sous traitance surtout dans les travaux dits stratégiques par la direction (c'est à dire des travaux présentant à la fois une difficulté technique majeure et un enjeu fort en terme de respect de délai) et un maintien des compétences techniques.
Si ces unités concernent globalement une centaine de personnes (72 pour l'UP/CS et 32 pour l'UP/SQM), quinze sont essentiellement touchées par cette restructuration en raison de la création de deux équipes mobiles de soudeurs et de tôliers appelées à intervenir indifféremment sur les bâtiments de surface ou sur les sous-marins au lieu d'être affectés comme ils l'étaient auparavant à l'un ou l'autre, les autres salariés ne devant pas voir leurs conditions de travail modifiées.
Il s'ensuit que l'essentiel du projet entraîne une modification de l'organigramme par la mutualisation de l'encadrement et du secrétariat.
Quant aux deux unités mixtes, elles travaillent déjà sur le même site à quelques centaines de mètres les unes des autres et la mixité des équipes n'est donc pas susceptible d'entrainer une augmentation importante des contraintes de ce chef dans la mesure où en toute hypothèse le personnel n'est pas a priori amené à se déplacer d'un chantier à l'autre plusieurs fois dans la même journée, et, où il est prévu d'assurer les déplacements par des véhicules d'entreprise.
Quant aux pertes de primes de zone éventuellement susceptibles d'être entraînées par ce regroupement, il s'agit d'un problème situé hors de la sphère de consultation du CHSCT.
Il suit de ce qui précède que le projet ne peut être qualifié d'importance au regard du nombre peu significatif de salariés touchés et du peu d'impact touchant aux conditions de travail de ces salariés, d'autant que les pics d'activité devraient être gérés par cette mutualisation des compétences sans raison particulière d'augmentation de stress, aucune modification des cadences ou des normes de productivités n'étant envisagée.
Lors de la réunion du comité d'établissement du 4 mai 2006, si la direction a estimé que la consultation du CHSCT n'était pas nécessaire, la majorité de ces membres a décidé de solliciter l'avis du CHSCT.
Dès lors c'est vainement que l'intimé rappelle que si l'employeur a pris l'initiative de saisir le CHSCT, il ne peut venir contester la délibération du recours à une mesure d'expertise puisqu'en l'espèce, manifestement la consultation du comité lui a été imposée et qu'il a toujours considéré qu'il ne s'agissait en toute hypothèse que d'une simple information sur un réaménagement peu important ne pouvant donner lieu à désignation d'un expert.
De même, l'intimé ne peut utilement soutenir que l'employeur a accepté le principe d'une expertise en proposant une expertise sur deux jours alors que la DCNS a uniquement cherché un terrain d'entente à la suite de la délibération et qu'elle a toujours soutenu qu'il ne s'agissait pas d'une expertise relevant de L 236-9.
Par voie de conséquence, dans la mesure où le projet concerné ne constitue pas un projet important modifiant les conditions d'hygiène et de sécurité ou les conditions de travail prévues au septième alinéa de l'article L 236-2, les conditions prévues par la loi pour recourir à une expertise ne sont pas remplies. La décision du CHSCT de recourir à une expertise sera annulée.
Il appartient cependant à l'employeur en l'absence d'abus démontré du CHSCT d'assumer les frais d'expertise et les frais de la procédure de contestation.
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, statuant en la forme des référés et en dernier ressort
- Infirme l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau
- Annule la décision du CHSCT n°3 de l'établissement DCN Services Toulon de recourir à une expertise prise le juin 2006
- Déboute le CHSCT n°3 de l'établissement DCN Services Toulon de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société Etablissements DCN services Toulon et dit qu'ils seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
Le GreffierLe Président