8o Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 18 SEPTEMBRE 2008
No 2008 / 437
Rôle No 08 / 01371
S. A. R. L. MEDITERRANEAN FRUIT JUICES
S. A. R. L. ESTALIE
C /
S. C. P. DOUHAIRE Z...
Jean-Pierre Y...
Grosse délivrée
à : BLANC
LIBERAS
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 21 Janvier 2008 enregistré au répertoire général sous le no 2007L3815.
APPELANTES
S. A. R. L. MEDITERRANEAN FRUIT JUICES, prise en la personne de son gérant en exercice, dont le siège est sis 130 Chemin de Morgiou-Domaine de Marsanges Bât. B2-13009 MARSEILLE
représentée par la SCP BLANC AMSELLEM-MIMRAN CHERFILS, avoués à la Cour,
plaidant par Me Willi SCHWANDER, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE
S. A. R. L. ESTALIE, prise en la personne de son gérant en exercice,, dls
1 Boulevard Jean Mermoz-13380 PLAN DE CUQUES
représentée par la SCP BLANC AMSELLEM-MIMRAN CHERFILS, avoués à la Cour,
plaidant par Me Willi SCHWANDER, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE
INTIMES
S. C. P. DOUHAIRE Z..., prise en la personne de Me Z... désigné en qualité d'administrateur judiciaire de la SARL MEDITERRARNEAN FRUIT JUICES, demeurant ...-13286 MARSEILLE CEDEX 6
représentée par la SCP LIBERAS-BUVAT-MICHOTEY, avoués à la Cour, plaidant par Me Gilles SADOUN, avocat au barreau de MARSEILLE
Maître Jean-Pierre Y..., pris en sa qualité de mandataire judiciaire de la SARL MEDITERRANEAN FRUIT JUICES et de la SARL ESTALIE, puis pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL MEDITERRANEAN FRUIT JUICES, intervenant volontaire
né le 03 Mai 1958 à POITIERS (86), demeurant...
représenté par la SCP LIBERAS-BUVAT-MICHOTEY, avoués à la Cour, Me plaidant par Gilles SADOUN, avocat au barreau de MARSEILLE
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COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Juin 2008 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Jean-Louis BERGEZ, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Louis BERGEZ, Président
Madame Marie-Claude CHIZAT, Conseiller
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2008.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2008,
Rédigé par Monsieur Jean-Louis BERGEZ, Président,
Signé par Monsieur Jean-Louis BERGEZ, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCEDURE
La SARL Méditerranéan Fruit Juices (MFJ) a été constituée en octobre 2001 entre trois associés, dont M. Nicolas B..., pour acquérir en vue de son exploitation un fonds de commerce de négoce de jus de fruits. L'inscription au registre du commerce fait mention de l'objet social suivant : « achat et vente de jus de fruits import export stockage ».
En mars 2005, M. Nicolas B... a constitué avec 5 autres associés la SARL Estalie dont M. Jean B... a été nommé gérant. Cette société avait pour objet, selon les mentions portées au registre du commerce, l'exercice de l'activité suivante : « l'achat la vente l'import l'export plus généralement la commercialisation sous toutes ses formes de tous produits ».
En octobre 2005, les associés de Estalie ont fait apport de leurs parts à MFJ, laquelle est ainsi devenue unique titulaire du capital social de Estalie. En rémunération, ils ont reçu des parts de MFJ, par voie d'augmentation de son capital.
Lors de cette opération, M. Nicolas B... était gérant de MFJ dont il détenait seul, à la suite de diverses cessions de parts, le capital social.
MFJ a été mise en redressement judiciaire le 2 mai 2007 avec la SCP Douhaire – Z... pour administrateur judiciaire et M. Jean Pierre Y... pour mandataire judiciaire.
Par acte du 28 novembre 2007, l'administrateur judiciaire a assigné les sociétés MFJ et Estalie, sur le fondement des articles L 621-2 et L 631-7 du Code de commerce, aux fins d'extension à la seconde société de la procédure collective ouverte à l'égard de la première.
Par jugement du 21 janvier 2008, le tribunal de commerce de Marseille a accueilli la demande.
Les sociétés MFJ et Estalie sont appelantes de cette décision.
Le délégataire du premier président, statuant par ordonnance du 15 février 2008, a arrêté l'exécution provisoire du jugement d'extension, au motif que l'absence de rapport préalable du juge-commissaire constitue un moyen d'appel sérieux.
La liquidation judiciaire de MFJ a été prononcée le 10 mars 2008, M. Y... étant nommé liquidateur.
***
Vu les conclusions déposées le 13 mars 2008 par les sociétés MFJ et Estalie ;
Vu les conclusions déposées le 28 mars 2008 par la SCP Douhaire-Z... et par M. Y... en leurs qualités respectives d'administrateur judiciaire et de liquidateur judiciaire de la société MFJ ;
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande en nullité du jugement
Aux termes de l'article R 662-12 du Code de commerce, le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, y compris l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ou en obligation aux dettes sociales, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L 653-8.
En l'espèce, il ne résulte ni du jugement, ni d'aucune autre pièce, que cette formalité, de caractère substantiel, a été respectée.
Par suite, il convient d'annuler le jugement.
La cour est tenue de statuer au fond, dès lors que l'appel a un effet dévolutif, que les parties ont conclu au fond et que les dispositions relatives au rapport du juge-commissaire ne sont pas applicables en appel.
Sur la qualité à agir de l'administrateur judiciaire
Organe de la procédure collective, l'administrateur judiciaire dispose du pouvoir propre d'agir, en présence de la société débitrice, sur le fondement des articles L 621-2 et L 631-7 du Code de commerce, aux fins d'extension de la procédure collective à une autre personne, dès lors que cette action tend à établir la situation active et passive de l'entreprise en réunissant des patrimoines qui ont été confondus.
Ainsi, l'action a été valablement introduite par l'administrateur judiciaire.
La mission de ce dernier ayant pris fin par l'effet de la liquidation judiciaire, l'action est régulièrement poursuivie par le liquidateur judiciaire.
Il convient de mettre hors de cause la SCP Douhaire – Z... ès qualités.
Sur le fond
Il résulte des pièces versées aux débats qu'au cours de l'année 2006, l'activité de la société MFJ a été exercée, en tout ou partie, par sa filiale, la société Estalie.
C'est ainsi, notamment, qu'en octobre 2006 les contrats d'assurance souscrits par MFJ ont été transférés au nom de la société Estalie qui a réglé les primes en retard dues par MFJ.
En outre, des documents commerciaux ont été établis sous les deux dénominations de « Estalie » et de « MFJ », dans des conditions qui laissaient penser qu'il s'agissait d'une seule entreprise (cf. plaquette de présentation commerciale et lettre adressée par M. Nicolas B... à M. Jean Pierre Y...).
En contrepartie de « l'exploitation de l'activité de la société MFJ par la société Estalie » (conclusions des appelantes page 10), MFJ a facturé des « commissions sur vente » à Estalie.
Ces commissions n'ont pas donné lieu à des mouvements de fonds ; elles ont été compensées avec le règlement par Estalie de certaines dettes de MFJ ; les opérations de compensation ont été enregistrées au sein de la comptabilité de MFJ dans le compte de caractère générique 467 000 intitulé « autres dettes ».
MFJ n'ayant plus de compte bancaires depuis la fin de l'année 2005, toutes les opérations financières la concernant ont été effectuées par l'intermédiaire des comptes bancaires de Estalie.
MFJ et Estalie reconnaissent (page 10 de leurs conclusions) le transfert de l'activité accompagné du transfert des contrats en cours, l'identité des sièges social, l'absence d'actif corporel au jour de l'ouverture de la procédure collective de MFJ et l'absence de compte bancaire au nom de MFJ. Elles soutiennent que MFJ a donné, selon une convention restée verbale, son fonds en location-gérance à Estalie moyennant le versement de commissions.
Mais l'allégation d'une convention de location-gérance est contredite par les éléments suivants :
- la réalité même des commissions allouées à MFJ n'est pas établie, dès lors qu'elles n'ont donné lieu qu'à de simples écritures comptables, non suivies de transferts de fonds et qu'aucune explication n'est donnée quant à leur mode de calcul, ni d'ailleurs quant à la date d'effet de la location-gérance prétendue ;
- la convention de location-gérance n'a pas donné lieu à une publication et les tiers n'en ont pas été informés, les sociétés Estalie et MFJ se présentant dans les documents commerciaux comme une seule entreprise ;
- les comptes produits aux débats révèlent que la société MFJ a effectué des achats et des ventes pour des montants importants au cours des années 2006 et 2007 (en 2006 des ventes de 188 848 euros pour des achats de 152 550 euros et un chiffre d'affaires de 951 068 euros ; en 2007 des ventes de 181 250 euros pour des achats de 105 427 euros et un chiffre d'affaires de 834 366 euros). Il en résulte que MFJ a poursuivi une activité de négoce à une époque où elle était censée, selon la thèse des appelantes, avoir perdu la jouissance de son fonds de commerce.
Il apparaît ainsi que Estalie s'est approprié le fonds commercial de MFJ en contrepartie du règlement de certains créanciers de la société dépossédée, ces réglements étant compensés par des écritures comptables portant l'intitulé « commissions ».
La confusion des patrimoines des sociétés MFJ et Estalie est caractérisée par l'appropriation du fonds commercial de la première par la seconde, par l'utilisation de documents commerciaux laissant croire aux tiers que les deux sociétés ne constituaient qu'une seule entreprise et par l'existence de relations financières anormales puisque toutes les opérations financières de MFJ, notamment celles afférentes à son activité de négoce, ont été réalisées par l'intermédiaire des comptes bancaires de Estalie.
***
Il suit des motifs qui précèdent que la liquidation judiciaire prononcée à l'égard de la société MFJ doit être étendue à la société Estalie.
La société Estalie, qui succombe, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Statuant publiquement, contradictoirement,
Annule la décision attaquée,
Statuant au fond en vertu de l'effet dévolutif de l'appel,
Met hors de cause la SCP Douahire-Z... ès qualités,
Dit que l'action a été valablement introduite par l'administrateur judiciaire de la société Méditerranéan Fruit Juices,
Etend à la SARL Estalie la liquidation judiciaire prononcée à l'égard de la SARL Méditerranéan Fruit Juices,
Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce de Marseille pour les formalités de publicité et la suite de la procédure,
Condamne la société Estalie aux dépens de première instance et d'appel,
Vu l'article 699 du nouveau Code de procédure civile,
Autorise la SCP d'avoués Liberas-Buvat-Michotey à recouvrer les dépens d'appel directement contre la société Estalie, si elle en a fait l'avance sans avoir reçu provision.
Le Greffier Le Président