COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE 14e Chambre
ARRÊT AU FOND DU 14 AVRIL 2009
N° 2009
Rôle N° 07 / 10724
Claude X...
C /
Société SAINT LOUIS SUCRE CPCAM DES BOUCHES DU RHONE
DRASS Fiva FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
Grosse délivrée à : Me Eric BAGNOLI, avocat au barreau de MARSEILLE
CPCAM DES BOUCHES DU RHÔNE
Fiva
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOUCHES DU RHONE en date du 10 Mai 2007, enregistré au répertoire général sous le n° 20500419.
APPELANT
Monsieur Claude X..., demeurant...
représenté par Me Eric BAGNOLI, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Félicie JASSEN, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉES
Société SAINT LOUIS SUCRE, demeurant 25 avenue Freanklin Roosevelt-75008 PARIS
représentée par Me Benoît CHAROT, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Laura FERRY, avocat au barreau de PARIS
CPCAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant 8 rue Jules Moulet-Service Contentieux-13281 MARSEILLE CEDEX 06
représenté par Mme Martine MAUREL en vertu d'un pouvoir général
PARTIE (S) INTERVENANTE (S)
DRASS, demeurant 23-25 Rue Borde-13285 MARSEILLE CEDEX 08
non comparant
Fiva FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE, demeurant 36 avenue du Général de Gaulle-Tour Galliéni II-93175 BAGNOLET CEDEX
représenté par M. Michael CROS (Autre) en vertu d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Mars 2009 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Daniel DUCHEMIN, Président Madame Martine MATHIEU-GALLI, Conseiller Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Avril 2009, prorogé au 14 avril 2009.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Avril 2009
Signé par Monsieur Daniel DUCHEMIN, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Procédure et prétentions des parties
Par jugement en date du 10 mai 2007 le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches du Rhône a débouté Claude X... de ses demandes relatives à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la société SAINT LOUIS SUCRE, dans l'atteinte de la maladie professionnelle dont il a été victime.
Claude X... a relevé appel de cette décision. Le FIVA est intervenu en cause d'appel.
Au fond, pour solliciter l'infirmation de la décision, l'appelant fait valoir que pendant toute sa carrière, ayant été exposé aux poussières d'amiante sur les postes de travail qu'il occupait, il en est résulté l'apparition en 2002 de plaques pleurales justifiant sa demande, laquelle s'appuie sur la violation de l'obligation générale de sécurité qui impose à l'employeur d'avoir conscience du risque pour les salariés du fait de l'exposition aux poussières d'amiante et donc de prendre les mesures adéquates.
Il limite ses demandes à la reconnaissance de la faute et à la décision de majoration de rente, outre l'allocation de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le FIVA intervient au débat en application de l'article 53 VI de la loi du 23 décembre 2000, dès lors qu'il a indemnisé Claude X.... Il soutient à ce titre être compétent pour solliciter, au nom de Claude X..., la majoration de rente ou de l'indemnité forfaitaire.
Sur le fond il reprend l'argumentaire de Claude X... en ce qui concerne la recherche de la faute inexcusable.
Concernant les sommes en cause, il souligne que la majoration du capital est entièrement absorbée par l'indemnisation patrimoniale qu'il a versée, et demande à ce que la majoration de capital fixée au maximum lui soit attribuée laquellepar ailleurs doit suivre l'évolution du taux de l'IPP. Il demande en outre le versement de la somme de 14 000 euros au titre de l'indemnisation des préjudices personnels outre 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
La société SAINT LOUIS SUCRE rappelant que par décision de la Commission de Recours Amiable, la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle lui est inopposable, précise qu'aucune somme ne saurait être mise à sa charge au titre des conséquence d'une éventuelle reconnaissance de la faute inexcusable. Elle soulève l'irrecevabilité de l'appel de Claude X..., subrogé par le FIVA du fait de l'indemnisation intervenue.
Sur le fond la société entend faire dire qu'elle n'a commis aucune faute à l'encontre de Claude X... et sollicite la confirmation du jugement en se fondant sur l'absence de preuve d'une exposition au risque de manière habituelle et en absence de présomption alors même qu'elle ne pouvait avoir conscience d'un danger encourru par les salariés en tant qu'employeur simple utilisateur de l'amiante et en l'état des connaissances de l'époque considérée.
A titre subsidiaire, elle demande l'organisation d'une mesure d'expertise propre à déterminer la réalité et le niveau des préjudices subis.
La Caisse Primaire Centrale d'Assurance Maladie des Bouches du Rhône s'en remet sur le mérite de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable et rappelle qu'en raison de l'inopposabilité de sa décision de prise en charge, elle ne dispose d'aucune action récursoire.
La DRASS régulièrement avisée ne comparaît pas.
SUR CE
Sur la procédure
Attendu que par décision en date du 23 avril 2008, la Cour d'Appel d'Aix en Provence a fixé le montant des sommes à allouer par le FIVA au titre de la demande que Claude X... présentée le 27 juin 2007,
Qu'en conséquence et par application de l'article 53 VI de la loi du 23 décembre 2000 cet organisme est subrogé dans les droits de Claude X...,
Que l'intervention du FIVA doit être déclarée recevable étant précisé cet organisme peut présenter lui même une demande au titre de la majoration de rente, laquelle constitue une prestation de sécurité sociale ;
Attendu que l'intervention subrogatoire rend irrecevable toute action juridictionnelle future tendant à la réparation du même préjudice,
Que bien qu'irrecevable à présenter une demande de réparation, Claude X... peut toutefois maintenir sa demande en ce qu'elle vient au soutien de l'action du FIVA tendant à faire reconnaître la faute inexcusable,
Attendu enfin, que la Caisse admet la validité de l'inopposabilité de la prise en charge de la maladie professionnelle de Claude X... à l'encontre de la société SAINT LOUIS SUCRE,
Que cette inopposabilité a pour conséquence nécessaire d'interdire toute action récursoire de la Caisse à son encontre ;
Sur le fond
Attendu que les éléments constants relatifs au faits en cause sont les suivants :
- Claude X... né le 13 septembre 1933 a été employé par la société SAINT LOUIS SUCRE du 18 juillet 1951 au 30 juin 1990 en qualité successivement d'électricien, jusqu'au 30 août 1954 (service militaire 1954-1957) puis d'employé au Bureau d'études de 1957 à 1974 puisjusqu'à sa fin sa carrière en qualité d'agent de maitrise.- Il a rempli une déclaration de maladie professionnelle le 26 juillet 2003 en visant la maladie inscrite au tableau n 30 caractérisée par des plaques pleurales isolées mises en évidence par une première constatation médicale en date du février 2002, confirmée par un certificat médical du 16 juin 2003.- La maladie a été reconnue et prise en charge à titre professionnel le 06 novembre 2003 avec l'attribution d'un taux d'IPP de 5 % ;
Attendu que l'employeur est tenu en vertu du contrat de travail le liant à son salarié d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses salariés du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise,
Que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver,
Sur le risque amiante
Attendu que les parties apparaissent ne pas discuter que la période à examiner au titre de l'exposition au risque amiante est constituée de 1951 à fin 1990,
Que la société SAINT LOUIS SUCRE a indiqué, bien que l'enquête de la Caisse lui soit inopposable, que la présence d'amiante restait limitée compte tenu de la nature de l'activité industrielle, ces indications ne contredisant pas les constatations du 13 avril 2004 effectuées par le Docteur A... médecin du travail, établissant que l'amiante a existé dans l'entreprise, notamment pour l'isolation des tyuauteries et de la chaudière ;
Attendu que pour mettre en cause la responsabilité de l'employeur, Claude X... produit deux attestations (Y... et B...), faisant état d'activités en milieu contaminé sans protection individuelle ou collective,
Que celles-ci établissent la présence d'amiante, sans cependant circonstancier le risque en termes de corrélation tant avec l'activité de Claude X..., qu'à propos des périodes et de durée d'exposition, en fonction de la qualification des employés,
Qu'en effet, il convient de retenir, que Claude X... a tout d'abord exercé des activités d'électricien à l'atelier électrique de 1951 à 1954, sans qu'il soit démontré que pendant ces trois années il ait été exposé au risque autrement que de manière occasionnelle, dès lors que selon l'attestation Y... précise "... il fallait parfois retirer l'amiante pour effectuer des réparations ",
Qu'il a ensuite été affecté au Bureau d'Etudes jusqu'à la fin de sa carrière et que sur cette période il n'apporte aucun élément caractérisant une exposition habituelle au risque,
Qu'il résulte seulement de ces attestations la mise en évidence du contact avec l'amiante sans cependant caractériser une exposition au risque autre qu'occasionnelle,
Que le fait que la Caisse ait pu prendre en charge la maladie professionnelle relève de sa seule responsabilité, mais ne saurait impliquer une automaticité entre la prise en charge de la maladie et la faute inexcusable,
Sur la conscience du danger
Attendu au surplus qu'il doit être considéré :
- Tout d'abord, qu'il ne peut être présumé, que compte tenu de l'importance de l'entreprise, de son activité dans un milieu où l'amiante est présente, elle ait dû, ou aurait dû, avoir conscience des dangers de l'amiante avant 1977, l'affirmation en cause devant être confortée par des éléments objectifs internes (CHSCT, Médecine du travail, etc.) ou externes (notes, rapports, etc.) démontrant la réalité d'une information,
- Par ailleurs, que la Cour ne peut déduire à partir des seules considérations générales tirées de l'énoncé des divers rapports scientifiques classiquement cités dans ce type de procédure, alors même que le débat scientifique n'est pas clos, ou du rappel de diverses réglementations antérieures à 1977, la preuve exigible de la nécessaire conscience du danger pour cette entreprise, cette conscience devant être caractérisée par des éléments objectifs, et implique la démonstration de manquements, principe déjà admis en droit interne et confirmé par la Cour de Justice des Communautés Européennes (Arrêt C-127 / 05 du 14 juin 2007), Qu'ainsi compte de leur spécificité, l'ensemble ou partie de ces divers rapports scientifiques a pu échapper à des entreprises simples utilisatrices non soumises au décrets de 1950 et 1951,
- Ensuite, que la société SAINT LOUIS SUCRE ne produisant pas et ne fabriquant pas d'amiante, sa spécialisation industrielle ne la conduisait à utiliser l'amiante que de manière accessoire, en l'occurrence au niveau de la chaufferie, à une certaine époque, d'ailleurs non déterminée, Que jusqu'en 1977, dans le cadre général d'une exposition continue et permanente au risque, la réglementation en vigueur ne présentait aucune restriction particulière d'emploi de l'amiante pour les travaux effectués par Claude X... qui d'une manière générale n'étaient pas rattachés aux activités visées au tableau n° 30 résultant des décrets de 1945 et de 1951, Que pour la période postérieure à cette date de référence, aucun élément utile n'est rapporté permettant de considérer que Claude X... ait été exposé au risque,
- Enfin, que le fait que l'Etat n'ait pas pris une réglementation contraignante avant le premier décret de 1977, demeure étranger au débat en ce que l'absence d'infraction aux règles pouvant être retenue à l'époque antérieure ne constitue pas, par elle même, une cause exonératoire de l'obligation générale de sécurité en ce qu'une entreprise pouvait avoir une connaissance ou une conscience du risque amiante indépendamment de l'absence de réglementation applicable aux entreprises uniquement utilisatrices de l'amiante ;
Attendu enfin qu'il importe de relever que le cadre de la recherche contentieuse de la faute inexcusable de l'employeur est nécessairement indépendant par nature de celui de la réparation telle que mise en place au titre du FIVA,
Que le choix du contentieux général par le salarié, emporte ainsi un ensemble de conséquences et en particulier la rigueur d'une démonstration répondant à l'application commune de dispositions générales relatives à la responsabilité encourrue au titre de la faute inexcusable et dont l'effet, en dehors de la reconnaissance de celle-ci sera d'attribuer une indemnisation dont le caractère est seulement complémentaire ;
Attendu en conséquence, qu'en l'absence de démonstration reposant tant sur des éléments concernant la conscience que la société SAINT LOUIS SUCRE a dû ou aurait dû avoir du danger existant en relation avec une exposition à l'amiante, que celle d'une exposition habituelle de Claude X..., il convient de confirmer la décision et de dire que la faute inexcusable reprochée à la société SAINT LOUIS SUCRE n'est pas établie ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant en audience publique par arrêt contradictoire en matière de sécurité sociale,
Déclare recevable l'appel de Claude X..., constate que son action vient au soutien de l'intervention recevable du FIVA,
Vu l'article 53VI de la loi du 23 décembre 2000,
Déclare irrecevable toute demande présentée par Claude X... ;
Confirme le jugement en ses dispositions ayant rejeté la demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société SAINT LOUIS SUCRE dans la survenance de la maladie de Claude X...
Rejette toute autre demande.