COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9ème Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 02 DECEMBRE 2010
N°2010/634
Rôle N° 08/11835
[F] [P]
C/
Société PRO TAMPONS
Grosse délivrée le :
à :
Me Isabelle SAMAMA-
SAMUEL, avocat au barreau de PARIS
Me Olivier TARI, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes de MARSEILLE en date du 17 Juin 2008, enregistré au répertoire général sous le n° 05/924.
APPELANT
Monsieur [F] [P], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Isabelle SAMAMA-SAMUEL, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
Société PRO TAMPONS, demeurant [Adresse 2]
comparant en personne, assistée de Me Olivier TARI, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE(S) INTERVENANTE(S)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 Octobre 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Michel VANNIER, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Madame Laure ROCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Décembre 2010.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé(e) par mise à disposition au greffe le 02 Décembre 2010
Signé par Monsieur Michel VANNIER, Président et Mme Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE
Par lettre recommandée postée le 26 juin 2008, M. [P] a relevé appel du jugement de départage rendu le 17 juin 2008 par le conseil de prud'hommes de Marseille le déboutant de ses demandes formées à l'encontre de la société Pro tampons France et le condamnant aux dépens de première instance.
Le salarié poursuit devant la cour la condamnation de l'employeur à lui verser, avec l'intérêt au taux légal à compter de la saisine du juge social, les sommes suivantes :
- 1 952,24 euros au titre du salaire dû durant sa mise à pied conservatoire, ainsi que 195,22 euros au titre des congés payés afférents,
- 7 650 euros au titre de son préavis, ainsi que 765 euros au titre des congés payés afférents,
- 956,25 euros au titre de son indemnité de licenciement,
- 4 500 euros pour congés payés,
- 25 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 10 000 euros pour licenciement vexatoire.
L'employeur conclut à la confirmation du jugement déféré mais en relève appel incident pour obtenir 15 000 euros à titre de dommages-intérêts ; il chiffre à 10 000 euros ses frais non répétibles.
.../...
Par arrêt préparatoire prononcé le 28 mai 2009 la cour a ordonné une vérification d'écritures qui s'est déroulée le 26 juin 2009 sous l'autorité du conseiller Bourgeois.
Le salarié a ainsi rédigé de façon manuscrite sous la dictée de ce magistrat les trois lettres litigieuses et un texte de [O] [C] extrait des Histoires naturelles.
Une faute significative tenait à l'emploi d'un tréma sur l'adjectif épanoui.
En cet état, par un second arrêt préparatoire prononcé le 10 septembre 2009, la cour ordonnait une consultation confiée à l'expert inscrit G. [K], avec mission de se faire remettre; contre décharges, les originaux en possession de l'employeur et les pièces originales de comparaison originales que le salarié souhaitera lui remettre, ainsi que les originaux recueillis par la cour et annexés au procès-verbal de vérification d'écritures établi le 26 juin 2009, le tout afin de donner son opinion de technicien sur l'identification du scripteur des lettres litigieuses.
Le consultant a pris possession des textes écrits le 26 juin 2009 par M. [P] contre décharge signée le 4 octobre 2009.
La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues par les conseil des parties à l'audience tenue le 4 octobre 2010.
.../...
MOTIFS DE L'ARRÊT
M. [P] a été au service de la société Pro tampons France, en qualité de 'responsable commercial sédentaire', du 3 mars 2003 au 4 février 2005 ; il a été licencié, pour faute lourde, par une lettre recommandée en date du 27 janvier 2005 dont une photocopie est annexée au présent arrêt.
Cette lettre reproche notamment au salarié [P] - ce qu'il conteste - d'avoir adressé au domicile de deux salariées trois lettres dénigrant son collègue de travail [U] et/ou à caractère pornographique
Un tel grief, s'il était fondé, serait de nature à justifier le licenciement disciplinaire car il perturbe très gravement la vie de l'entreprise.
Les écrits incriminés sont les suivants :
- Enveloppe postée le 24 mars 2003 à [Localité 3], lettre de 17 lignes contenue dans cette enveloppe, adressée à son domicile à la salariée S. [G] dont la teneur suit :
'L'autre jour je t'ai apercu avec tes linots dabs la rue.
Tu avais une très mauvaise mine. Sûrement les soucis qui commencent. Ce n'est pas fini.
Le motif c'est [U], t'en est tu rendu compte.
Il parlait de trop sur toi à n'importe qui. tout le monde savait qu'au lieu d'aider [T] dans la difficulté il ne pensait qu'à te niquer, il s'en est toujours venté derrière ton dos. Remarque avec ton tafamari il en était fou [Y] et [T] le savaient depuis longtemps et même des clients. fait très attention, soit attentive, et pense aux gamins avant tout. Voit le résultat de sa vie. Un échec total, un bide. Contrairement, à son ex-femme, elle est heureuse, épanouï, elle revit sans lui et quel soulagement.
Elle a toujours raconté qu'il était sale et pas propre.
S'est-il amélioré depuis. As tu des nouvelles de franck.
On pense très fort à toi et aux petits.
Qu'en pense tes parents.'.
- Enveloppe postée le 6 juin 2003 à [Localité 3], lettre de 9 lignes contenue dans cette enveloppe, adressée à son domicile à la salariée S. [G] dont la teneur suit :
'[X],
Attention à toi, car le très malin [U] se moque de vous trois.
Il raconte tous, il te salie depuis longtemps, réveille toi. C'est un ringard, un drôle de Gadjo, un profiteur'
Tu as de la merde dans les yeux, Bouge toi.
N'attend rien de lui à part des problemes qui vont lui arriver et qui te saliront encore plus.
Soit méfiante et très attentive.'.
L'exécution de la mission confié au consultant Giessner est contestée par le conseil du salarié au motif que ce technicien n'aurait pas identifié avec une précision suffisante les pièces de comparaison soumises à son examen.
Ce reproche est infondé puisque lors d'une réunion tenue le 16 février 2010, en présence des parties et de leurs conseils respectifs, le consultant a pris acte du fait que le courrier pornographique adressé à la salariée [S] ne pouvait être examiné en original car, à la suite de son décès, son conjoint était dans l'impossibilité de représenter l'original ; puis, de façon précise, en page 5 de son rapport, le technicien indique les documents originaux sur lesquels il a travaillé furent : les 2 enveloppes -reproduites en page 10 de son rapport- les 2 lettres susmentionnées adressées à la salariée [G], divers documents sociaux rédigés de la main du salarié [P], puis, les originaux pris sous la dictée du conseiller Bourgeois.
Le technicien commis est donc complet sur le détail de ses opérations et la nullité de ses opérations ne saurait être encourue.
Reste donc deux lettres que le consultant impute sans hésitation à l'écriture du salarié [P].
Ceci est déterminant car la comparaison des graphismes sur 8 points (aspects généraux, maîtrise, inclinaison, formes génériques, continuité, trait, ratio, ordonnance) sont tous démonstratifs.
Confronté à cette conclusion sans mélange le salarié fait plaider qu'il était dans l'impossibilité matérielle de connaître l'adresse personnelle de la salariée [G] comme étant nouveau au sein de l'entreprise.
M. [P] est entré au service de la société Pro tampons France 21 jours avant de poster la première lettre litigieuse à l'attention de sa collègue [G].
L'intéressé était à même en raison de son autorité hiérarchique sur Mme [G] de connaître rapidement son adresse personnelle ; la circonstance de temps est donc écartée.
La cour observe par ailleurs que si M. [P] conteste désormais avec fermeté être l'auteur de ces deux courriers, il n'en disait mot lorsqu'il a contesté son licenciement pour faute lourde par un courrier recommandé de 4 pages dactylographiées en date du 11 mars 2005.
Plus problématique, et ceci aurait été à même de jeter le doute sur le réel comportement de M. [P], est le fait que ce dernier aurait adressé une troisième lettre -celle-ci à caractère exclusivement pornographique- à Mme [S], à une date mentionnée comme étant le 30 janvier 2003, alors que cette salariée ne fut embauchée qu'en 2004.
Ni le technicien commis ni les parties ni la cour ne dispose à ce jour de l'original de ce courrier qui s'est perdu dans les papiers domestiques à la suite du récent décès de Mme [S].
Cet écrit ne sera donc pas imputé à M. [P].
Mais, sur la date de son envoi affirmée au 30 janvier 2003, cette date n'est pas attestée par le tampon de la Poste puisque l'enveloppe ne peut être représentée en justice.
Puis Mme [S] a précisé dans une attestation, régulière en la forme, qu'elle était stagiaire chez Pro tampons France en novembre et décembre 2003, de sorte qu'il n'y avait aucune impossibilité matérielle pour son supérieur de connaître son adresse personnelle et à lui adresser un courrier anonyme avant son embauche définitive en 2004.
Mme [S] ajoute qu'elle a reçu à son domicile 3 lettres anonymes à caractère hautement pornographique ('il faut être bourré pour pouvoir te baiser ; Moi je suis bien dans ma tête, car tous les mations je me fait enculer au réveil et j'adore faire des pipes au miel. Et c'est bon et j'adore cela. ') en novembre et décembre 2003, donc durant sa période de stage, ce qui permet un envoi par son supérieur [P] ; a contrario, nonobstant les conclusions du consultant, la cour aurait douté.
Le contenu des 2 lettres écrites par M. [P] à la salariée [G] caractérise une volonté de dénigrement du personnel de l'entreprise de nature à perturber très gravement son bon fonctionnement tant la violence exprimée à l'endroit de M. [U] y est exprimée en termes crus.
Puis, l'employeur verse aux débats les attestations, régulières en la forme, des salariés [S], et [U] à la lecture desquelles la cour se convainc de l'intention de nuire à l'entreprise du salarié [P] lorsqu'il monte les uns contre les autres, n'hésitant pas à décrire son employeur comme étant 'un homme, dont la vie conjugale était des plus dépravée [ajoutant] que M. [I] [son employeur] possédé des cassettes vidéo à caractère pornographique dans son bureau et qu'il faisait partie d'une secte.' -témoignage de Mme [G]- comme ' disant que la femme [de l'employeur] était une malade et qu'il fallait qu'elle se fasse soigner car elle était dépressive et qu'elle n'était pas capable de s'occuper de ses enfants ; Mr [I] faisait partie d'une secte et était obsédé sexuel. -témoignage de M. [U]-.
Dans le temps de l'instance d'appel le conseil de M. [P] a cru devoir affirmer que les témoins [S], [G] et [U] furent orientés par l'employeur [I].
Cette contestation, récurrente, est sans objet car il est certain que l'une ou l'autre des parties au contrat de travail sollicite en cas de conflit des témoignages pour asseoir ses prétentions ou pour s'en défendre ; s'insurger contre le fait que des témoins ont été sollicités pour les besoins de la cause est donc vain.
Mais, parce que M. [P] est opiniâtre, son adversaire, en tant que de besoin, a pris le soin de faire à nouveau attester les témoins [S], [G] et [U], lesquels déclarent qu'ils savaient que leurs témoignages devaient être produits en justice et qu'ils les maintenaient sans y ajouter ou y retrancher.
De ces éléments de fait la cour juge que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le salarié [P] a commis une faute lourde caractérisée par l'intention délibérée et répétée de nuire à son employeur en désorganisant son entreprise et en lui imputant, au vu et au su de son personnel, des travers sexuels qui étaient de nature à saper, de manière exceptionnelle, son autorité.
La cour, en conséquence, confirme le jugement.
Elle ajoute, considérant les motifs précédemment adoptés, que le licenciement du salarié ne peut en aucun cas être qualifié de vexatoire.
Sur les fins de l'appel incident, M. [P] a causé à son employeur un préjudice certain né de son application continuelle à le dénigrer en des termes inadmissibles.
La cour dispose des éléments suffisants d'appréciation pour arrêter sa juste réparation à 3 000 euros.
.../...
Le salarié supportera les entiers dépens, en ce compris le coût de la mesure d'instruction, et il versera à l'employeur 2 000 euros pour ses frais non répétibles de première instance et d'appel confondus.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile :
Confirme le jugement déféré ;
Condamne M. [P] à payer à la société Pro tampons France une indemnité de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Le condamne aux entiers dépens, en ce compris le coût de la mesure d'instruction, et le condamne à verser à l'employeur 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT