COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 08 FEVRIER 2011
N°2011/ 100
Rôle N° 10/01561
LE GRAND PORT MARITIME DE [Localité 5]
C/
[W] [X]
Syndicat CFDT MARITIME MEDITERRANEE
Grosse délivrée le :
à :
-Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE
-Me Myrtho BRUSCHI, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 18 Janvier 2010, enregistré au répertoire général sous le n° 08/1423.
APPELANT
LE GRAND PORT MARITIME DE [Localité 5], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
Monsieur [W] [X], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Myrtho BRUSCHI, avocat au barreau de MARSEILLE
Syndicat CFDT MARITIME MEDITERRANEE, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Myrtho BRUSCHI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 Janvier 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Christian BAUJAULT, Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Christian BAULJAULT, Président
Monsieur Jean-Claude DJIKNAVORIAN, Conseiller
Monsieur Patrick ANDRE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Février 2011.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE
Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Février 2011
Signé par Monsieur Christian BAUJAULT, Président et Madame Florence ALLEMANN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [W] [X] a été embauché en qualité d'agent par l'Etablissement public LE GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE à compter du 13 juin 1983 et va obtenir la qualification d'agent de maîtrise chef d'équipe en mai 2004, mais officiellement en 2005.
Le 11 octobre 2005, il va subir une agression physique commise par l'un de ses collègues suivie quelques mois plus tard de menaces de mort par un autre, lesquels seront condamnés par jugement du tribunal correctionnel du 30 mai 2006 pour ces faits, précision faite que ceux-ci se sont déroulés dans un contexte dans lequel M. [X] n'avait pas suivi un mouvement de grève du personnel.
L'un des auteurs des faits a été déplacé de son lieu de travail, et l'employeur va également prendre la même décision pour M. [X] en l'affectant au service sécurité en journée d'avril 2006 à avril 2007, et en régime 3/8 par la suite, tout en maintenant son salaire, avec primes pendant un an, comme s'il exerçait un emploi de quart.
Le 19 mai 2008, M. [W] [X] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Marseille pour demander à l'encontre de son employeur le règlement des sommes dues au titre de rappels de salaires, et dommages intérêts, ainsi que sa réintégration sur le site de Lavera, sous astreinte.
Le Syndicat Maritime Méditerranée CFDT est intervenue volontairement à l'instance pour demander l'indemnisation du préjudice subi par la corporation professionnelle.
Par jugement en date du 18 janvier 2010, le Conseil de Prud'hommes de Marseille a :
- constaté que M. [X] avait été réintégré à un poste équivalent à [Localité 3] le 7 novembre 2008 au port autonome de [Localité 5] ou GPMM, à l'enseigne PAM,
- condamné l'employeur à lui payer à la somme de 30.000 euros à titre de dommages intérêts.
- déclaré irrecevable les demandes de la CFDT,
- débouté les partie de leurs demandes,
- dit que la moyenne des derniers mois de salaire était de 1.624,60 euros hors primes.
Par acte du 25 janvier 2010, l'Etablissement public LE GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE a interjeté appel.
Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, l'Etablissement public LE GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE demande l'infirmation du jugement sur les dommages intérêts alloués et la confirmation pour le surplus. Il s'oppose aux demandes des parties et réclame aux intimés la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Il fait valoir que le salarié a obtenu le poste souhaité, et considère que pas plus que la prétention au titre du harcèlement moral ou de la discrimination, la demande de rappels de salaires n'est pas fondée, et qu'il n'existe aucune atteinte à la vie privée de la part de l'employeur à propos du fonctionnement de la vidéo-surveillance alors qu'il s'agit d'un site sécurisé.
Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, M. [X] demande de constater qu'il a été réintégré à [Localité 3] le 7 novembre 2008 à un poste équivalent à celui qu'il occupait à Lavera et la condamnation de l'employeur à lui payer les sommes suivantes :
- rappel de salaires d'avril 2006 à mars 2007: 5.280 euros,
- rappel de salaires d'avril 2007 à octobre 2008: 22.956,90 euros,
- préjudice subi pour perte de promotion: 61.200 euros,
- dommages intérêts pour harcèlement moral et discrimination: 30.000 euros,
- dommages intérêts pour violation de la vie privée: 5.000 euros,
- frais irrépétibles: 3.000 euros.
Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués le syndicat Maritime Méditerranée CFDT demande la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts en indemnisation du préjudice subi ainsi que la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la réintégration du salarié
Constatation étant faite que M. [X] a pu réintégrer un poste équivalent sur le site de [Localité 3], en qualité de chef d'équipe, à la direction des opérations et des terminaux pétroliers-service exploitation pétrole, la demande initiale est sans objet.
Sur les rappels de salaire et primes diverses
Il doit être rappelé qu'aux termes de l'article 9 du Code de Procédure Civile il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Pour prétendre au rappel de salaires et primes diverses afférents à la période comprise entre avril 2006, correspondant à son transfert au service sécurité à [Localité 5], et octobre 2008 qui précédait sa réintégration le 7 novembre 2008 sur un poste équivalent au poste initial, M. [X] soutient que ce changement de service au cours de cette période a entraîné une perte de primes par rapport à ce qu'il percevait dans le cadre de l'emploi qu'il occupait sur le site de Lavera où il effectuait un régime de quart. Il produit un tableau récapitulatif faisant ressortir les jours de primes perdues au cours de cette période en tenant compte d'une part des jours correspondant au samedi, dimanche, et jours fériés, et d'autre part des diverses primes qu'il aurait été en droit de percevoir s'il avait été maintenu sur le site initial (prime 3/8, PMC, prime de 3/8 N, PST, prime technique, prime de panier de jour et de nuit).
Toutefois, au regard des explications produites par l'appelant, lequel produit un tableau comparatif des salaires et primes perçus de mai 2005 à avril 2006 (période antérieure au transfert), de mai 2006 à avril 2007 (période d'affectation au service sécurité en journée) et de mai 2007 à avril 2008 (période d'affectation en régime 3/8 au service sécurité), et qui fait ressortir une rémunération totale de 37.681,15 euros pour la première période, de 38.084,78 euros pour la seconde et de 37.320,14 euros pour la troisième, soit une très faible différence, qui ne peut être analysée comme une réelle perte de salaires en relation avec le transfert d'emploi, il ne peut être tiré des éléments chiffrés avancés par l'intimé la preuve d'une réelle perte de salaire résultant du seul transfert de lieu de travail, alors qu'il n'est pas contesté que ce dernier a d'abord continué à percevoir la même rémunération pendant les douze mois suivant ce transfert, avant de bénéficier des primes attachées au régime du quart au cours de l'année suivante qui a précédé son retour sur le site de [Localité 3] sur un emploi équivalent au poste initial.
En conséquence, M. [X] doit être débouté de ses demandes sur ce point.
Sur le préjudice pour perte de promotion
M. [X] explique qu'en raison de son ancienneté et de son grade dans le poste qu'il occupe, il était en droit de prétendre à une possibilité de promotion comme chef de groupe à compter du 1er juillet 2009, et que le transfert à [Localité 5] l'a privé de cette chance de promotion dont il évalue le préjudice à la somme de 300 euros par mois sur une durée de 17 ans jusqu'à sa retraite. Il réclame de ce fait la somme de 61.200 euros.
Toutefois, l'intimé n'apporte aucun élément probant sur la réalité de la perte de chance d'avoir pu bénéficier de cette promotion que ce soit à la date susvisée qu'à ce jour, étant précisé qu'il n'a que 49 ans et qu'il ne peut être exclu qu'une telle promotion puisse intervenir avant l'âge où l'intimé fera valoir ses droits à sa retraite.
La seule correspondance adressée le 22 décembre 2010 par le SPAM (syndicat portuaire CFE-CGC) à l'employeur par laquelle il est soutenu que M. [X] a fait l'objet d'une mesure discriminatoire en perdant la possibilité d'obtenir une promotion comme chef de groupe du fait des pratiques internes à l'entreprise en matière de promotion de chef d'équipe à chef de groupe, et des conséquences du transfert du salarié à [Localité 5] n'est pas suffisante pour établir cette perte de chance, eu égard aux circonstances particulières qui ont motivé le transfert du salarié à la suite de son agression sur le site de [Localité 3].
Par conséquent, la demande n'est pas fondée et le jugement doit être confirmé sur ce point.
Sur la violation de la vie privée le harcèlement moral
Aux termes de l'Article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Aux termes de l'article L. 1154.1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152. 1 à L. 1152. 3 et L. 1153. 1 à L. 1153. 4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile.
Pour établir des faits permettant de présumer un harcèlement moral à son encontre, M. [X] fait état de photographies le montrant en train de sortir du secrétariat du PC de sécurité à une heure où il pouvait selon lui s'y trouver, et explique que ces photos, qui étaient accessibles sur une boîte messagerie commune aux services, avaient été affichées sur un réfrigérateur du service avec un commentaire désobligeant. Il ajoute que l'employeur qui a été informé de ces faits le 5 février 2008 n'a pas réagi pour y mettre fin.
L'examen des clichés photographiques produits aux débats qui fait ressortir qu'il s'agit de prises photographiques d'écrans rattachés à un système de vidéo-surveillance le 31 janvier 2008 entre 20 heures 24 et 21 heures, dont il n'est pas contesté qu'il correspond à celui en place sur le site de travail de M. [X], ne saurait constituer un fait de nature à laisser présumer un harcèlement moral. En effet, la présence du système électronique de surveillance n'est pas incompatible avec les nécessités de sécurité attachées à l'activité de l'employeur. De plus, il n'est pas démontré que la diffusion de ces clichés sur une messagerie internet ou dans un local de l'entreprise soit imputable à l'appelante ou à une personne ayant agi sous ses ordres. S'il ressort que la direction a été informée de la diffusion de ces clichés le 2 février 2008 comme en témoigne les courriels produits, la présence des clichés sur un réfrigérateur n'est pas établie, et il n'est pas démontré qu'une nouvelle diffusion à des tiers autres que le représentant syndical intervenant pour défendre les droits du salarié qui en a été destinataire le 7 février 2008 soit intervenue ultérieurement, le représentant syndical en ayant prévenu l'employeur par courriel du 5 février 2008.
Il doit en être déduit que ces faits ne sont pas de nature à présumer un harcèlement moral de telle sorte que la demande du salarié n'est pas fondée.
Sur la discrimination
Au visa des articles L 1132-1 et L 1134-1 du code du travail, en matière discrimination, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant en supposer l'existence et il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de ces faits et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile.
Pour établir des faits laissant présumer une attitude discriminatoire à son encontre, M. [X] fait valoir sa mutation arbitraire à [Localité 5] sans son accord sur un poste qui lui faisait perdre l'intégralité de ses prérogatives de direction.
Or, outre les circonstances particulières rappelées ci-dessus qui ont conduit l'employeur à décider du transfert du salarié du site de Lavéra à [Localité 5], il n'est pas démontré que M. [X] se soit opposé à cette décision, et il ressort même de l'attestation en date du 27 décembre 2010 établie par [E] [R], chef de service portuaire de sûreté du GPMM, que M. [X] aurait manifesté auprès de l'adjoint de ce service sa volonté de revenir sur ce site de [Localité 5], de telle sorte que ces faits ne sont pas de nature à présumer un comportement discriminatoire de l'employeur.
En conséquence, la demande de M. [X] n'est pas fondée.
Sur la demande de dommages intérêts de la CFDT
Au visa de l'article 31 du code de procédure civile, le syndicat professionnel, quand bien même celui-ci ne serait pas représentatif dans l'entreprise, a qualité et intérêt à agir pour défendre l'intérêt collectif de la profession qu'il représente.
Toutefois, en l'espèce, au vu de ce qui précède, le Syndicat Maritime Méditerranée CFDT qui n'établit aucune faute imputable au GPMM est mal fondé dans sa demande d'indemnisation et doit être débouté.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
L'équité ne justifie pas au regard des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile de faire droit aux demandes des parties.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,
Déclare l'appel recevable.
Infirme le jugement du 18 janvier 2010 du Conseil de Prud'hommes de Marseille.
Statuant à nouveau,
Déboute M. [W] [X] de ses demandes.
Déclare l'intervention du Syndicat Maritime Méditerranée CFDT recevable.
Le déboute de sa demande d'indemnisation.
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Laisse les dépens à la charge de M. [W] [X].
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT