COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 09 FEVRIER 2011
N°2010/
Rôle N° 09/07704
[V] [M]
C/
SARL COMPAGNIE IMMOBILIERE PERRISSEL ET ASSOCIES
Grosse délivrée le :
à :
Me Claude VAUDANO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Me Jean-Paul GUEYDON, avocat au barreau de MARSEILLE
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 24 Mars 2009, enregistré au répertoire général sous le n° 08/102.
APPELANTE
Madame [V] [M], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Claude VAUDANO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SARL COMPAGNIE IMMOBILIERE PERRISSEL ET ASSOCIES, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Jean-Paul GUEYDON, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 08 Décembre 2010, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Françoise GAUDIN, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Alain BLANC, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Brigitte BERTI, Conseiller
Madame Françoise GAUDIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Février 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé(e) par mise à disposition au greffe le 09 Février 2011
Signé par Madame Françoise GAUDIN, Conseiller et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame [V] [M] a été embauchée par la SARL COMPAGNIE IMMOBILIERE PERRISSEL ET ASSOCIES, dite CIPA, selon contrat de travail à durée indéterminée compter du 22 mars 2005, en qualité de Négociatrice Immobilier statut VRP, niveau V, coefficient 315.
L'article 6 du contrat prévoyait un salaire mensuel conventionnel fixe de 1.332,45 euros et un salaire variable comme indiqué à l'article 7 calculé sur toutes les affaires réalisées par son intermédiaire.
Une clause d'objectifs lui enjoignait de réaliser par trimestre un chiffre d'affaires minimum hors taxes égal à 28.000 euros et de conclure au minimum 8 mandats par mois;
Madame [M] s'est trouvée en arrêt de travail à compter du 18 octobre 2007.
Madame [M] est convoquée par lettres des 18 octobre et 6 novembre 2007 à un entretien préalable au licenciement qui interviendra le 4 décembre 2007 .
Elle est licenciée pour faute grave par lettre recommandée AR en date du 7 décembre 2007.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, Madame [M] a saisi le Conseil des Prud'hommes d'AIX EN PROVENCE, de diverses demandes en paiement de sommes consécutivement à la rupture abusive , lequel, par jugement en date du 24 mars 2009, a :
requalifié le licenciement de Madame [M] pour faute grave en licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
dit qu'au vu d'éléments produits le salaire mensuel moyen s'élève à 1.314 euros;
Condamné la société SARL CIPA à payer à Madame [V] [M] les sommes suivantes :
Indemnité de licenciement : 243,60 euros,
Indemnité de préavis :3.943 euros,
congés payés y afférents : 394,30 euros,
prime d'intéressement 2007: 413,90 euros,
article 700 du Code de procédure civile : 1.000 euros,
- débouté les parties de leurs autres demandes.
Madame [M] a interjeté appel dudit jugement le 20 avril 2009.
Elle a contesté les griefs visés dans la lettre de licenciement et fait valoir que l'employeur ne rapporte pas la preuve des fautes commises par sa salariée, ce qui rend le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Madame [M] demande à la Cour de réformer le jugement déféré et de condamner la SARL CIPA au paiement des sommes suivantes:
. 48.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement de l'article L1235-3 du Code du travail,
. 7.308 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
. 730,80 euros à titre de congés payés y afférents,
. 243,60 euros à titre d'indemnité de licenciement,
. 14. 616 euros, à tout le moins 3.654 euros à titre d'indemnité prévue à l'article 13 du contrat de travail,
.413,90 euros au titre de la prime d'intéressement 2007,
. 12.236,67 euros à titre d'indemnité de clientèle, sur le fondement de l'article L.7313-14, L 7313-15 et L.7313-17 du Code du travail,
. 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
. 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Madame [M] sollicite en outre la condamnation de l'employeur à enlever son image sur le site internet de l'agence sous astreinte de 200 euros par jour de retard et la délivrance des documents de rupture et bulletins de salaire rectifiés en conséquence.
L'employeur, la SARL CIPA, fait valoir par son Conseil que les griefs formulés dans la lettre de licenciement sont établis et de nature à caractériser une faute grave et conclut à la réformation du jugement entrepris.
La société demande à la Cour de dire et juger le licenciement justifié par la faute grave commise par Madame [M] et de la débouter de toutes ses demandes liées à une rupture illégitime.
Elle sollicite la condamnation de la salariée au paiement d'une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
.
MOTIFS
Sur le bien fondé du licenciement :
Attendu que la faute grave visée par les articles L 1234-1 et L 1234-5 nouveaux du Code du Travail résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant de son contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Attendu que la charge de la preuve de cette faute incombe à l'employeur.
Attendu que la lettre de licenciement est libellée en ces termes :
« Sur les motifs liés à la faute grave:
à diverses reprises, malgré votre contrat de travail ( art.2,5ème paragraphe) et les directives explicites qui étaient rappelées, verbalement et par lettre recommandé avec accusé de réception, vous avez refusé de rendre votre rapport quotidien d'activité auprès de votre responsable d'agence.
Vous arrivez sur votre lieu de travail et en partez à l'heure qui vous convient, sans rendre compte de votre activité et sans tenir vos rendez-vous sur l'agenda commun;
vous dénigrez l'organisation et la gestion de l'agence telle que pratiquée par votre responsable d'agence, lui-même en accord avec la politique générale de notre entreprise; manifestement les propos que vous tenez à l'égard de votre responsable d'agence rendent impossible la poursuite d'une quelconque collaboration;
Sur les motifs liés à l'activité professionnelle:
au 11 octobre 2007, le chiffre d'affaires que vous avez traité s'élève à la somme de 5.016,72 euros ce qui est notoirement insuffisant, et notamment sans commune mesure avec les objectifs contractuels d'un montant de 28.000 euros trimestriels
Sur les motifs liés à l'adaptation au poste:
malgré la formation et les directives reçues en décembre 2006, vous avez depuis refusé d'utiliser le logiciel informatique pour les transactions immobilières de même que vous refusez d'utiliser la messagerie;
Sur les motifs liés à votre état de santé:
votre état de santé rend difficile la poursuite de votre tâche, d'autant plus que vous ne respectez pas les consignes médicales. .. »
Qu'il est reproché au salarié un non respect des consignes de travail, à savoir la non remise de rapports d'activité, des résultats insuffisants au niveau des ventes et locations, un laxisme dans ses horaires de travail, refusant tout contrôle et une non adaptation à l'outil informatique, caractérisant une incapacité de la salariée à réaliser les tâches lui incombant.
Qu'il s'agit donc de faits relevant de l'insuffisance professionnelle et non de faits fautifs.
Que l'insuffisance professionnelle à elle seule ne présente pas un caractère fautif, de telle sorte qu'elle ne peut être invoquée pour justifier un licenciement disciplinaire.
Que seuls le dénigrement allégué à l'encontre de l'employeur et du chef d'agence sont de nature à caractériser une faute .
Que cependant, les propos querellés figurant dans le courrier de Madame [M] en date du 4 octobre 2007 adressé au siège de la société et à son gérant, ne sauraient s'analyser en un dénigrement de l'entreprise, la salariée dénonçant les conditions de travail de l'agence d'[Localité 2] ( doublement du personnel pour même superficie de locaux, comportement de harcèlement du chef d'agence envers ses subordonnés et désagréable avec la clientèle).
Que l'employeur se devait de diligenter une enquête sur lesdits faits dénoncés dans le cadre de la prévention du harcèlement moral au travail.
Qu'en outre, l'employeur ne justifie pas du caractère fautif de la non atteinte des objectifs contractuels par Madame [M] ( 11.827,euros H.T), alors que la médiocrité des résultats de la salariée s'explique par une conjoncture étrangère à son activité professionnelle ( secteur de l'immobilier morose) et que les performances de Madame [M] ne sont guère plus médiocres que celles de ses collègues travaillant dans les mêmes conditions.
Qu'il s'avère que les objectifs fixés en 2005 et non réactualisés en 2007 n'étaient pas réalisables au regard de la conjoncture dans l'immobilier.
Que la seule demande de remise de rapport journalier émanant de l'employeur est en date du 11 octobre 2007, soit quelques jours avant l'engagement de la procédure de licenciement et la salariée soutient qu'elle rendait compte de son activité de manière informelle comme les autres salariés de l'Agence, ce qui n'est pas démenti par un quelconque document émanant de l'employeur et qu'elle n'avait pas reçu de formation en informatique pour utiliser l'ordinateur de l'agence.
Que la salariée prétend à cet effet qu'elle était en arrêt maladie au mois de décembre 2006, ce dont elle justifie, lorsque' a eu lieu la formation informatique dans l'agence et l'employeur ne rapporte pas la preuve des formations dont aurait bénéficié la salariée
Qu'aucun des éléments invoqués ne présentait en définitive de caractère fautif , alors que l'employeur s'est placé sur le terrain disciplinaire, en prononçant un licenciement pour faute grave.
Qu'il s'ensuit que ledit licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et que le jugement déféré doit être réformé de ce chef .
Attendu qu'ayant plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise occupant habituellement plus de dix salariés et compte tenu du fait qu'elle n'a pas retrouvé de travail depuis, comme d'un salaire mensuel moyen de 1.314 euros, il y a lieu d'allouer à Madame [M] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Qu'en l'absence de faute grave et sur les indemnités de rupture dues à Madame [M] , le jugement a parfaitement tenu compte des données de l'espèce, observation étant d'ailleurs faite que la société appelante ne formule dans ses conclusions aucune critique à ces titres.
Que les sommes ainsi allouées seront donc confirmées.
Sur la prime d'intéressement
Attendu qu'un accord d'intéressement a été conclu dans l'entreprise applicable à partir de l'exercice 2005 sur la base des résultats 2004.
Qu'il prévoit un intéressement pour les salariés ayant au moins trois mois d'ancienneté et à partir d'un seuil de déclenchement démontrant la rentabilité de l'entreprise à partir du rapport Résultat d'exploitation/Fonds propres.
Que cependant, il résulte de la lecture du bilan clos au 31 décembre 2007 que le seuil de rentabilité n'a pas été atteint, le résultat d'exploitation étant négatif ( 104 153);
Que dès lors, c'est à tort que le premier juge a alloué à la salariée une prime d'intéressement à hauteur de 413,90 euros.
Qu'il y a lieu à réformation de ce chef.
Sur l'indemnité de non concurrence
Que selon l'article 13 du contrat de travail, en cas de cessation du contrat de travail pour quelque cause que ce soit, le négociateur s'interdit d'exercer des activités similaires, soit directement, soit indirectement, pendant une durée de six mois, dans un rayon de deux kilomètres autour du lieu des établissements de l'employeur.
Qu'il y était prévu en contrepartie, que le négociateur percevrait chaque mois et pendant toute la durée de cette interdiction, dans la mesure où elle serait respectée, une indemnité spéciale forfaitaire égale à 25% de la moyenne mensuelle du salaire des trois derniers mois de présence dans l'entreprise.
Que l'employeur qui avait la possibilité de renoncer à l'application de ladite clause ou de réduire la durée de ladite interdiction, n'en a rien fait et il est admis que Madame [M] l'a respectée, peu importe qu'elle était en arrêt maladie pendant ladite période.
Qu'elle a donc droit à ladite indemnité laquelle doit être chiffrée à la somme de 1.971 euros, compte tenu du salaire mensuel moyen susvisé.
Sur l'indemnité de clientèle
Que la salariée réclame l'indemnité de clientèle prévue par l'article L.7313-13 du Code du travail prévue en cas de rupture du contrat des VRP, sauf faute grave « pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui, compte tenu des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet ainsi que des diminutions qui pourraient être constatées dans la clientèle préexistante et provenant du fait de l'employé ».
Que cependant, la salariée ne démontre pas avoir apporté une clientèle à l'exception de locations pour lesquelles elle percevait une commission sur les loyers encaissés et de plus a choisi de réclamer l'indemnité légale de rupture, laquelle n''est pas cumulable avec l'indemnité de clientèle ;
Que ce chef de demande sera écarté.
Sur le clip vidéo de la SARL CIPA
Attendu que la salariée justifie que l'employeur reproduit depuis le licenciement de Madame [M] son image sur le serveur internet de l'Agence, sans son autorisation.
Que dès lors, il y a lieu d'enjoindre à la société intimée de procéder à l'enlèvement de ladite image de Madame [M] sur le serveur internet de l'Agence ETOILE et ce, sous astreinte de 20 euros par jour de retard dans les conditions fixées au dispositif.
Que cependant, Madame [M] ne justifie aucun préjudice né de l'utilisation de son image et sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
Que les documents légaux devront être rectifiés en conséquence du présent arrêt .
Qu'aucune résistance abusive ne justifie l'allocation de dommages et intérêts au profit de l'appelante mais il apparaît équitable de lui allouer une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour couvrir ses frais irrépétibles de l'instance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Réforme le jugement déféré,
Statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension du litige,
Dit et juge le licenciement de Madame [M] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la SARL SARL COMPAGNIE IMMOBILIERE PERRISSEL ET ASSOCIES à payer à Madame [V] [M] les sommes suivantes:
. 20.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 3.943 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
. 394,30 euros à titre de congés payés y afférents,
. 243,60 euros à titre d'indemnité de licenciement,
. 1.971 euros à titre d'indemnité de non-concurrence (article 13 du contrat de travail),
. 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ordonne à la société SARL COMPAGNIE IMMOBILIERE PERRISSEL ET ASSOCIES
de procéder à l'enlèvement de l'image de l'appelante sur son site internet, sous astreinte de 20 euros par jour de retard, passé le délai de quinze jours suivant la notification du présent arrêt.
Dit que la Cour se réserve la faculté de liquider ladite astreinte.
Enjoint à la société intimée de délivrer à l'appelante les documents légaux de rupture et les bulletins de salaire rectifiés en conséquence du présent arrêt.
Rejette toute autre demande ou plus ample.
Condamne la société intimée aux entiers dépens de l'instance.
Le GreffierPour le Président empêché
Madame Françoise GAUDIN, Conseiller
En ayant délibéré