COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
8e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 24 FEVRIER 2011
N° 2011/ 147
Rôle N° 10/05123
[O] [F]
[N] [E]
C/
[D] [V]
LE PROCUREUR GENERAL
Grosse délivrée
le :
à :
SCP TOUBOUL
SCP MAYNARD
SCP TOLLINCHI
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 08 Mars 2010 enregistré au répertoire général sous le n° 2008/674.
APPELANTS
Monsieur [O] [F]
né le [Date naissance 3] 1938 à [Localité 6], demeurant [Adresse 10]
représenté par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour, assisté par Me Michel IZARD, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Monsieur [N] [E]
né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 8] (78000), demeurant [Adresse 7]
représenté par la SCP MAYNARD - SIMONI, avoués à la Cour,
assisté par Me Jean-Philippe FOURMEAUX, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMES
Maître [D] [V],
es qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SA LES FORGES DE SAINT ELOI
né le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 9], demeurant [Adresse 4]
représenté par la SCP TOLLINCHI PERRET-VIGNERON BARADAT-BUJOLI-TOLLINCHI, avoués à la Cour,
assistée par Me Bernard HAWADIER, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL,
demeurant [Adresse 5]
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 19 Janvier 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Guy SCHMITT, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Guy SCHMITT, Président
Madame Catherine DURAND, Conseiller
Madame Catherine ELLEOUET - GIUDICELLI, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame France-Noëlle MASSON.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Février 2011.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé(e) par mise à disposition au greffe le 24 Février 2011,
Signé par Monsieur Guy SCHMITT, Président et Madame France-Noëlle MASSON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement frappé d'appel rendu le 8 mars 2010 par le tribunal de commerce de Fréjus ;
Vu les conclusions déposées le 27 décembre 2010 par [O] [F], appelant ;
Vu les conclusions déposées le 14 janvier 2011par [N] [E], appelant ;
Vu les conclusions déposées le 12 janvier 2011 par maître [V], liquidateur à la liquidation judiciaire de la société LES FORGES DE SAINT ÉLOI, intimée ;
Attendu que par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile il est renvoyé aux conclusions visées ci-dessus pour l'exposé des prétentions et moyens des parties;
Attendue qu'après avoir ouvert le 12 décembre 2005 une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société LES FORGES DE SAINT ÉLOI, le tribunal de commerce de Fréjus a prononcé la liquidation judiciaire de cette débitrice le 27 février 2006 et fixé la date de cessation des paiements au 14 novembre 2005 ; qu'à la demande de maître [V], liquidateur désigné, le même tribunal, par le jugement attaqué, a condamné [O] [F] et [N] [E], dirigeants de droit successifs, à supporter l'insuffisance d'actif de cette société à concurrence de 400'000 € pour le premier et 340'000 € pour le second;
SUR CE,
Sur les exceptions et les fins de non-recevoir.
Attendu que le liquidateur a assigné dans un premier temps les dirigeants appelants sur le fondement de l'article L. 624 ' 3 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 (article L. 624 ' 3 ancien) à comparaître devant le tribunal de commerce en chambre du conseil puis, dans un second temps, au visa de l'article L. 651 ' 2 du même code issu de cette loi (article L. 651 ' 2 nouveau), en invoquant les mêmes faits et sans faire référence aux assignations précédentes, à comparaître en audience publique; que le greffe du tribunal a convoqué ces dirigeants, sur les premières assignations à comparaître en chambre du conseil par application des dispositions de l'article L. 624 ' 3 ancien et de l'article 164 du décret du 27 décembre 1985, et, sur les secondes assignations, plus d'un mois avant l'audience, à comparaître en audience publique au visa de l'article L. 651 ' 2 nouveau ainsi que de l'article R. 651 ' 2 du même code issu du décret du 28 décembre 2005 ; que par le jugement attaqué le tribunal de commerce n'a statué que sur les secondes assignations et convocations, refusant de joindre la procédure distincte ouverte sur les premières assignations qui a été évoquée le même jour et mise en délibéré, la décision n'ayant pas encore été rendue à la date des débats devant la cour;
Attendu que, la procédure collective ayant été ouverte antérieurement au 1er janvier 2006, date d'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005, seules étaient applicables au fond les dispositions de l'article L. 624 '3 ancien par application de l'article 191 de cette loi ; que sont applicables cependant sur le plan procédural, conformément aux dispositions transitoires du décret du 28 décembre 2005, les articles R. 651' 1 et suivants issus de ce décret qui exigent une convocation un mois avant l'audience et n'imposent plus l'audition en chambre du conseil ; que, hormis le visa erroné de l'article L. 651'2 nouveau, la substance des secondes convocations est conforme à la réglementation applicable ; que les secondes assignations le sont tout autant abstraction faite du visa , par erreur dans le dispositif, de l'article L. 651'2 nouveau, alors que dans les motifs il est mentionné sans ambiguïté que reste applicable l'article L. 624 ' 3 ancien;
Attendu que les erreurs affectant, d'une part le visa du dispositif de l'assignation, d'autre part les convocations effectuées par le greffe quant à l'application de l'article L. 651'2 nouveau, sont de pure forme et ne causent aucun grief aux dirigeants appelants auxquels l'applicabilité de l'article L. 624 ' 3 ancien a été expressément rappelée dans le corps des assignations et dans les conclusions ultérieures ; qu'en toute hypothèse le tribunal avait le pouvoir de restituer à la demande son exact fondement; qu'il n'y a lieu en conséquence à annulation de ces chefs, ni des assignations ni des convocations ; que, ces dernières se suffisant à elles-mêmes, il est indifférent que la décision en délibéré sur les assignations revendiquant l'application des textes de fond et de procédure anciens n'ait pas encore été rendue ;
Attendu qu'il est soutenu sans preuve aucune que devant le tribunal de commerce il n'a été plaidé que sur la recevabilité de la demande fondée sur l'article L. 651 ' 2 nouveau et qu'il a été statué au fond au mépris des articles 5,16, 432,433,436 et 447 du code de procédure civile ; que ce moyen sera en conséquence écarté;
Attendu que les assignations ont été délivrées par maître [V] se prévalant de la qualité de mandataire liquidateur de la société LES FORGES DE SAINT ÉLOI ; qu'il est soutenu à tort que, seule existant légalement les qualités soit de mandataire soit de liquidateur, la demanderesse était dépourvue de la qualité en laquelle elle a agi alors que, exerçant auprès des tribunaux la fonction de mandataire judiciaire, et désignée comme liquidateur dans la procédure collective en cause, elle n'a à l'évidence agi que comme liquidateur, aucune ambiguïté ayant empêché son identification n'affectant à cet égard l'acte introductif d'instance et aucune nullité n'étant encourue de ce chef;
Attendu que le tribunal de commerce a statué à l'issue d'une audience du 8 février 2010; que les convocations à comparaître en audience publique ont été délivrées par ministère d'huissier à [O] [F] le 10 novembre 2008 et à [N] [E] le 28 décembre 2009 à la demande du greffier en chef alors qu'il est constant que le titulaire du greffe est une société de greffiers ; qu'à tort les appelants soutiennent que ces convocations sont nulles en ce qu'elles mentionnent qu'elles sont délivrées par le greffier en chef et non par la société de greffiers, alors que cette société, dont l'identité et les coordonnées apparaissent dans les actes, exerce les fonctions de greffier seules à prendre en considération;
Attendu que le tribunal de commerce n'a pas usé de la faculté, offerte par l'article L. 651'4 du code de commerce dans sa rédaction de la loi du 26 juillet 2005, de charger le juge commissaire d'obtenir des informations sur la situation patrimoniale des dirigeants en cause, ces derniers se plaignant en conséquence à tort de ce que le rapport de ce juge n'a pas été mis à leur disposition dans les conditions de l'article R. 651 ' 5 du même code; qu'en réalité, dans l'exercice de sa prérogative générale de surveillance du déroulement des procédures, le juge-commissaire, qui n'était pas tenu de convoquer préalablement les dirigeants et d'entendre l'expert-comptable et le commissaire aux comptes, a établi le 17 novembre 2008 un rapport dans lequel il a émis un simple avis en faisant siennes les constatations et conclusions du liquidateur, les dirigeants ayant été invités le même jour par le greffe à en prendre connaissance, et le visa erroné, dans cette invitation, de l'article R. 651 ' 5 du code de commerce, n'étant de nature ni à leur causer grief ni à entraîner la nullité de la procédure ;
Attendu que [O] [F] a cédé ses parts de la société LES FORGES DE SAINT ÉLOI à [N] [E] le 30 juin 2000 et, à cette occasion, accordé une garantie d'actif et de passif par un acte distinct du même jour dans lequel il a affirmé que toutes les provisions relevant d'une bonne gestion comptable et financière avaient été constatées, que la société était convenablement assurée et qu'elle n'avait pas d'autre endettement à long terme que celui apparaissant aux bilans annexés ; que, s'estimant trompé, [N] [E] a assigné [O] [F] devant le tribunal de grande instance de Nanterre lequel, par jugement du 5 décembre 2008, a rejeté sa demande en considérant qu'il n'était pas justifié d'une réticence dolosive à révéler des faits préjudiciables au cessionnaire des parts; que, le liquidateur n'étant pas partie à cette procédure, cette décision, qui au surplus ne statue pas sur l'application des textes du code de commerce relatifs à la responsabilité des dirigeants, n'est revêtue d'aucune autorité susceptible d'être invoquée dans la présente procédure ;
Attendu que, assigné par la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE en paiement d'une créance cautionnée, [N] [E] a réclamé des dommages-intérêts à cette banque en considérant qu'elle était responsable de la déconfiture de la société LES FORGES DE SAINT ÉLOI ; qu'en présence du liquidateur le tribunal saisi a rejeté cette demande ; qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir en appel, alors que les conclusions versées aux débats démontrent que le liquidateur ne réclame plus rien à cette banque et qu'il n'est pas nécessaire, pour que l'action en comblement de passif aboutisse, que le montant de l'insuffisance d'actif soit définitivement établi ;
Sur le fond
Attendu que la société LES FORGES DE SAINT ÉLOI a construit l'ouvrage d'assise d'un aquarium à requins en 1987 dont des ruptures survenues en 1991 et 1994 lui ont été imputées par un expert ; qu'elle a été mise hors de cause par un jugement du 3 décembre 1996 et un arrêt du 17 mars 1998, ce dernier ayant cependant été cassé le 9 février 2000; qu'elle a en définitive été condamnée le 21 juin 2005 par la cour d'appel de Nîmes, cour de renvoi, à payer les sommes de 855'458, 213'425,62 et 42'685,72 €uros à la SCI DELHON, propriétaire des aquariums, la garantie de son assureur ayant été limitée à 76'224,51 € dès lors que l'assurance souscrite excluait la garantie des dommages immatériels ; que le liquidateur reproche pour l'essentiel aux dirigeants de ne pas avoir provisionné la dette en cause avant le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes et de ne pas s'être souciés de l'étendue des garanties conférées par le contrat d'assurance;
Attendu que l'insuffisance de l'assurance ne peut en toute hypothèse être reprochée qu'à [O] [F] dès lors que le sinistre est survenu avant la cession des parts et la prise de fonction de [N] [E] et qu'ultérieurement, l'aléa ayant déjà été réalisé, toute modification de l'étendue de la garantie aurait été sans influence sur la prise en charge de ce sinistre par l'assureur; que l'abstention reprochée à cet égard à [N] [E] est en conséquence sans relation de cause à effet avec l'insuffisance d'actif invoquée;
Attendu que postérieurement aux sinistres et avant l'intervention de l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, [O] [F] a reçu à plusieurs reprises des apaisements de son avocat d'alors quant aux garanties d'assurance et à l'étendue probable des obligations de la société LES FORGES DE SAINT ÉLOI relativement à ce sinistre, évaluée à un maximum de 2 millions de francs avec possibilité de recours contre des co-condamnés; que, la couverture d'assurance ayant dû être acquise avant la survenance des sinistres et même avant la réalisation du risque coïncidant avec l'achèvement du chantier, ces apaisements sont sans incidence sur la faute reprochée à [O] [F] et ses conséquences; que, une entreprise de construction ne pouvant ignorer que sa responsabilité s'étend aux dommages immatériels, ni faire l'économie de la vérification de ses contrats d'assurance à cet égard, l'omission de ces dommages dans celui souscrit relève d'une recherche d'économie coupable décidée sciemment à des fins de minoration des primes au détriment de la société et des tiers lésés et est constitutive d'une faute de gestion qui a engendré directement la dette à l'égard de la SCI DELHON non couverte par l'assureur ;
Attendu qu'il résulte des documents comptables produits que la créance de la SCI DELHON n'a à aucun moment été provisionnée et n'a en définitive été enregistrée à titre de perte que dans les comptes de l'année 2005 ; que l'absence de provision, même compte tenu des apaisements donnés par l'avocat de la société LES FORGES DE SAINT ÉLOI, contrevient à l'obligation de prudence comptable à tout le moins depuis le dépôt du rapport d'expertise incriminant les erreurs de conception et d'exécution à l'origine des sinistres commises par cette société, et de manière plus évidente encore depuis le dépôt du rapport chiffrant le préjudice en exécution de l'arrêt du 17 mars 1998 ; qu'elle est imputable aux deux dirigeants successifs qui, l'un et l'autre, ont été en mesure d'apprécier l'opportunité de la provision; que n'est cependant rapportée aucune preuve d'un quelconque lien de causalité entre tout ou partie de l'insuffisance d'actif et cette faute qui, avant la consécration de la créance de la SCI DELHON, a été sans incidence sur la bonne marche et la survie de l'entreprise ;
Attendu que les pièces comptables révèlent que [N] [E] a poursuivi l'activité à partir de l'année 2003 malgré des pertes d'exploitation qui sont allées croissant et des pertes nettes toutes équivalentes à plus de 13 % du chiffre d'affaires à partir de 2003 ; que, s'ajoutant à l'hypothèque résultant du litige en cours avec la SCI DELHON, et alors qu'il n'est justifié d'aucune mesure de redressement, se trouve ainsi caractérisée la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire reprochable à l'intéressé ; que celle-ci n'a cependant pu générer au maximum que la part du passif hors SCI DELHON de 695 630,05 € ;
Attendu qu'il résulte des bilans versés aux débats qu'en 2003 la société LES FORGES DE SAINT ÉLOI devait faire face à des dettes fiscales et sociales, fournisseurs et bancaires à moins d'un an de 303'224 € pour un actif réalisable, créances incluses, de 271'961 €, en 2004 à des dettes de même nature de 412'050 € pour un actif de 115'978 €uros, et en 2005 à des dettes de 733 955 € pour un actif de 181'112 €uros ; que, la cessation des paiements ayant été acquise depuis la fin de l'année 2003, et en considération de la gravité des fautes commises, il est justifié de mettre une contribution à l'insuffisance d'actif de 200'000 € à la charge de [N] [E] et de 500'000 € à la charge de [O] [F], ces sommes laissant en toute hypothèse, par rapport à l'insuffisance totale telle que rapportée par le liquidateur, subsister une marge supérieure aux contestations relatives au passif et à la responsabilité de la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare les appels réguliers et recevables en la forme.
Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions et fins de non recevoir invoquées par les appelants.
Le réforme au fond et, statuant à nouveau,
Condamne [O] [F] à payer à maître [V], liquidateur à la liquidation judiciaire de la société LES FORGES DE SAINT ÉLOI, à titre de contribution à l'insuffisance d'actif, une somme de 500'000 €.
Condamne [N] [E] à payer au même liquidateur au même titre une somme de 200'000 €.
Fait masse des dépens de première instance et d'appel et les partage à raison d'un tiers à la charge de [N] [E] et de deux tiers à la charge de [O] [F].
Condamne [O] [F] et [N] [E] in solidum à payer à maître [V] es qualités une somme de 5'000 € au titre des frais irrépétibles des deux instances.
Accorde à l'avoué de maître [V] le bénéfice de distraction de l'article 699 du code de procédure civile.
La Greffière Le Président