COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 04 MAI 2011
N° 2011/
Rôle N° 10/01355 Jonction avec 11/03598
[V] [T]
[K] [J]
C/
S.A.S [P] INTERNATIONAL
Grosse délivrée
le :
à :
Me François MARCHIANI, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Laurent JAMMET, avocat au barreau de PARIS
Décision déférée à la Cour :
Arrêt de la Cour de Cassation en date du 09 décembre 2009 , enregistré au répertoire général sous le n° 06/610.
APPELANTS
Monsieur [V] [T], demeurant [Adresse 3]
comparant en personne, assisté de Me François MARCHIANI, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [K] [J], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me François MARCHIANI, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
S.A.S [P] INTERNATIONAL, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Laurent JAMMET, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 23 Mars 2011 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Alain BLANC, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Brigitte BERTI, Conseiller
Madame Françoise GAUDIN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Mai 2011..
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Mai 2011.
Signé par Monsieur Alain BLANC, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame [J] [K] a été embauché par la SAS [P] INTERNATIONAL à compter du 1er juillet 1991 en qualité d'aide déclarant douane et exerçait en dernier lieu les fonctions de chef d'exploitation.
Monsieur [T] [V] a été engagé le 11 janvier 1974 en qualité de chauffeur par la société LE NORMAND, aux droits de laquelle est venue la société [P] INTERNATIONAL, et exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable de magasin.
Ils ont été licenciés le 7 février 2006 pour faute grave .
Les mêmes fautes leur étaient reprochées, à savoir, des graves manquements à leur obligation de loyauté à l'égard de la société et à leur devoir d'alerte de la Direction.
Contestant le bien-fondé de leur licenciement, Madame [J] et Monsieur [T] ont saisi le Conseil des Prud'hommes de [Localité 5], lequel, par jugements en date des 7 février et 13 avril 2007, a condamné la Société [P] INTERNATIONAL au paiement des sommes suivantes :
. à Madame [J] :
indemnité de préavis : 5.960 euros,
congés payés y afférents : 596 euros,
rappel de salaire pendant la mise à pied : 1.696 euros,
indemnité de licenciement : 4.172 euros,
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 42.000 euros,
intérêts légaux à compter de la saisine,
indemnité au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile : 1.000 euros,
débouté les parties de leurs autres demandes.
. à Monsieur [T] :
indemnité de préavis : 4.432,22 euros,
congés payés y afférents : 493,22 euros,
rappel de salaire pendant la mise à pied : 1.351,99 euros,
indemnité de licenciement : 15.783,04 euros,
intérêts légaux à compter de la saisine,
indemnité au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile : 1.500 euros,
débouté les parties de leurs autres demandes.
Sur appel de la Société [P] INTERNATIONAL et des salariés, par arrêts rendus le 30 septembre 2008, la Cour d'appel d'AIX EN PROVENCE a dit et jugé que les faits reprochés n'étaient pas constitutifs d'une faute grave et a confirmé les jugements déférés en ce qu'ils ont alloué aux salariés les sommes susvisées à titre de rappels de salaire pour mise à pied conservatoire, d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité de licenciement.
Sur pourvois formés par Madame [J] et Monsieur [T], par arrêt unique du 9 décembre 2009, la Cour de Cassation cassait et annulait , en toutes leurs dispositions sauf celles relatives à la condamnation de l'employeur à payer aux salariés des sommes à titre de rappels de salaire pour mise à pied conservatoire, d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité de licenciement, les arrêts rendus le 30 septembre 2008, entre les parties par la Cour d'Appel d'AIX EN PROVENCE et sur les points restant en litige, renvoyait la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts devant la Cour d'appel de ce siège, autrement composée, aux motifs que :
Sur le moyen unique commun aux pourvois, pris en sa deuxième branche :
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
Attendu que pour dire que l'employeur rapporte la preuve qu'il a eu connaissance des faits reprochés aux salariés moins de deux mois avant la mise en 'uvre de la procédure de licenciement, l'arrêt retient que « M. [L], nouveau directeur de l'agence de [Localité 4] atteste avoir quelques semaines après le départ de M. [C] constaté une perte de clients et d'envois de colis ».
Qu'en statuant ainsi alors que M. [L] atteste avoir constaté les faits reprochés aux salariés « après le départ de M. [C] fin octobre 2005 « et non quelques semaines après cette date, la Cour d'appel a dénaturé ce document clair et précis ;
PAR CES MOTIFS ;
CASSE ET ANNULE..
Actuellement, les salariés exposent dans leurs dernières conclusions que :
. les faits qui leur sont reprochés sont prescrits au regard de l'article L.1332-4 du Code du Travail,
. les faits litigieux ont été commis plus de deux mois avant la mise en 'uvre de la procédure de licenciement et l'employeur en a eu connaissance, selon les termes de l'attestation de M. [L], nouveau Directeur, après le départ de M. [C] fin octobre 2005.
. leur licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
. leur préjudice est important compte tenu de leur ancienneté et de leur période de chômage.
Ils sollicitent donc à titre principal la condamnation de la société [P] INTERNATIONAL à leur payer les sommes suivantes :
. à Madame [J] :
150.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
. à Monsieur [T] :
130.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La Société [P] INTERNATIONAL demande à la Cour de dire et juger que les licenciements reposent sur une cause réelle et sérieuse et à titre subsidiaire que les appelants ne rapportent pas la preuve d'un préjudice à hauteur de leurs demandes.
Elle sollicite la condamnation de chaque salarié au paiement d'une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
MOTIFS
Attendu que, pour une bonne administration de la justice, il y a lieu d'ordonner la jonction des instances enrôlées sous les numéros 10/1355 & 11/3598
Sur le bien fondé du licenciement :
Que seul reste en litige le bien fondé du licenciement pour faute notifié à Madame [J] et à Monsieur [T], pour des manquements à leur obligation de loyauté à l'égard de la société et à leur devoir d'alerte de la Direction, sachant que la Cour de Cassation a confirmé en tout état de cause l'absence de faute grave .
Attendu qu' aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales en vertu de l'article L 1332-4 du Code du travail.
Attendu que la lettre de licenciement en date du 7 février 2006 énonce comme motif du licenciement:
« (..° Vous avez agi sciemment à l'encontre de l'entreprise en participant volontairement , et donc par complicité avec votre responsable d'exploitation, à des actes de détournement de clientèle auprès d'une société concurrente (créée par votre ancien responsable) en utilisant les moyens de l'entreprise (dossiers, transporteur, magasin, télécommunications..) à l'insu de votre nouvelle direction d'agence, alors que votre ancien responsable était encore salarié de notre entreprise et présent dans les locaux de travail..' ».
Qu'il est constant et clairement mentionné dans ladite lettre que les faits reprochés aux salariés ont été commis avant le départ de l'ancien Directeur, M. [C], lequel a quitté la société [P] le 6 octobre 2005.
Que dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus deux mois avant l'engagement des poursuites ou la convocation à l'entretien préalable, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites ou la mise en 'uvre de la procédure de licenciement.
Que Monsieur [L], nouveau Directeur d'agence, a attesté le 18 août 2008 « Après le départ de M. [C] fin octobre 2005, j'ai pu constater une dépréciation du Chiffre d'affaire de l'agence de [Localité 4] due à une perte de clientèle et notamment le Client National.. » précisant « il m'était impossible pendant la présence de M. [C] et ses relations étroites avec M. [T] et MME [J] d'avoir accès aux résultats de ces dossiers ».
Qu'en conséquence, il en résulte que l'employeur a eu connaissance des faits de détournement de clientèle commis par son ancien Directeur d'agence avec la complicité des salariés , Madame [J] et Monsieur [T], dès la fin du mois d'octobre 2005.
Que l'employeur n'a pas engagé des poursuites pénales suite à ces faits, et n'a convoqué lesdits salariés à un entretien préalable en vue de leur licenciement que le 24 janvier 2006, soit postérieurement au délai de prescription de deux mois.
Que l'employeur ne peut utilement invoquer une analyse postérieure et plus complète des résultats de l'agence de nature à retarder la connaissance des faits et par voie de conséquence, le point de départ de la prescription.
Qu'il s'ensuit que les licenciements disciplinaires de Madame [J] et de Monsieur [T] fondés sur des faits prescrits sont dépourvus de cause réelle et sérieuse ;
Qu'il convient donc de confirmer les jugements déférés sur la condamnation de l'employeur à payer aux salariés des sommes à titre de rappels de salaire pour mise à pied conservatoire, d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité de licenciement, de les réformer pour le surplus, de dire et juger qu'étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse, les licenciements prononcés par lettres du 7 février 2006.
Sur l'indemnisation de la rupture du contrat de travail
Attendu que Madame [J], âgée de 39 ans, avait au moment de la rupture du contrat de travail 15 ans d'ancienneté et percevait un salaire moyen de 2.828 euros par mois ;
Qu'elle a retrouvé du travail en avril 2006 moyennant un salaire de 2.000 euros mensuels.
Qu'il y lieu de fixer l'indemnité qui lui est due sur le fondement de l'article L 1235-3 du Code du Travail à la somme de 50.000 euros, toutes causes de préjudice confondues.
Attendu que Monsieur [T] [V], âgé de 51 ans, avait au moment de la rupture du contrat de travail 32 ans d'ancienneté et percevait un salaire moyen de 2.253,42 euros par mois ;
Qu'il a perçu des allocations d'assurance chômage pendant deux ans et a retrouvé un emploi le 1er septembre 2008, moins bien rémunéré.
Qu'il y lieu de fixer l'indemnité qui lui est due sur le fondement de l'article L 1235-3 du Code du Travail à la somme de 80.000 euros, toutes causes de préjudice confondues.
Sur les demandes annexes :
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de chacun des salariés la totalité des frais non compris dans les dépens qu'il ont du exposer pour la présente procédure.
Qu'il convient de leur allouer à chacun d'eux la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Vu l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 9 décembre 2009,
Dans les limites de sa saisine, sur les points restant en litige,
Ordonne la jonction des instances enrôlées sous les numéros 10/1355 & 11/3598
Réforme les jugements déférés, sauf en ce qu'ils ont condamné l'employeur à payer aux salariés des sommes à titre de rappels de salaire pour mise à pied conservatoire, d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité de licenciement.
Statuant à nouveau ,
Dit et juge les licenciements de Madame [J] et de Monsieur [T] dénués de cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS [P] INTERNATIONAL à leur payer les sommes suivantes :
. à Madame [J] [K] :
50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
. à Monsieur [T] [V] :
80.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Y ajoutant,
Rejette toute autre demande ;
Condamne la SAS [P] INTERNATIONAL aux entiers dépens.
Le GreffierLe Président