COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 13 JUILLET 2011
FG
N° 2011/ 464
Rôle N° 10/19247
Société civile 5F CINQEFFE
C/
Société VILLANDRY
[Y] [B]
Grosse délivrée
le :
à :la SCP DE SAINT FERREOL - TOUBOUL
la SCP BLANC-CHERFILS
la SCP COHEN-GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 28 Septembre 2010 enregistré au répertoire général sous le n° 08/07462.
APPELANTE
LA SOCIETE 5F CINQEFFE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège sis [Adresse 3]
Représentée par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour
Ayant pour avocat Me MOEYAERT - LE GLAUNEC avocat au barreau de DRAGUIGNAN.
INTIMES
L'EURL VILLANDRY, prise en la personne de son dirigeant en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 5]
Représentée par la SCP BLANC CHERFILS, avoués à la Cour,
Assistée de Me François AUBERT, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Maître [Y] [B],
Notaire,
demeurant [Adresse 1]
Représenté par la SCP COHEN GUEDJ, avoués à la Cour,
Assisté de Me François LOUSTAUNAU, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 26 Mai 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur François GROSJEAN, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Monsieur Michel NAGET, Conseiller
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Juillet 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Juillet 2011,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Sylvie AUDOUBERT , greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,
Par acte sous seing privé daté du 8 février 2008, l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limité, EURL VILLANDRY, dont le siège est à [Localité 2] (Var), représentée par son gérant, M.[G] [O], venderesse, a signé avec la société civile immobilière SCI 5 F CINQEFFE, dont le siège est à [Localité 6] (Var), représentée par son gérant, M.[W] [R], acquéreur, une promesse synallagmatique de vente d'un local commercial sis à [Localité 2], ensemble immobilier [Adresse 5], lot 416, d'une surface de 35 m², moyennant le prix de 120.000 €.
L'acquéreur a versé un dépôt de garantie de 10.000 € entre les mains du notaire chargé de la réitération authentique, M°[Y] [B], notaire au [Localité 4] (Var).
Il était prévu une condition suspensive de l'obtention d'un prêt et une condition suspensive particulière d'autorisation de levée d'inaliénabilité des murs et du fonds de commerce par le tribunal de commerce de Saint Tropez.
Le 24 juillet 2008 M°[B] dressera un procès verbal de difficultés, constatant que la SCI Cinqeffe ne voulait pas signer l'acte de vente.
Le 4 septembre 2008, l'Eurl Villandry a fait assigner la société civile 5F Cinqeffe devant le tribunal de grande instance de Draguignan aux fins de la voir condamner à lui payer l'indemnité de 18.000 € prévue au contrat.
Le 27 novembre 2008, la société civile 5F Cinqeffe a fait appeler M°[B] à l'instance.
Par jugement en date du 28 septembre 2010, le tribunal de grande instance de Draguignan a
- dit que la société Cinqeffe est responsable du fait que la vente prévue par le compromis du 8 février 2008 ne soit pas intervenue,
- condamné la société Cinqeffe à payer à la société Villandry la somme de 18.000 € avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,
- condamné la société Cinqeffe à payer à la société Villandry la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné la société Cinqeffe aux entiers dépens, avec distraction au profit de M°François AUBERT et de la SCP LOUSTAUNAU FORNO, avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration de la SCP de SAINT-FERREOL et TOUBOUL, avoués, en date du 27 octobre 2010, la société civile 5F Cinqeffe a relevé appel de ce jugement.
Par ses conclusions, déposées et notifiées le 18 janvier 2011, la société civile 5F Cinqeffe demande à la cour d'appel, au visa des articles 1134 et suivants du code civil, de :
- réformer le jugement,
- constater la 'résiliation' de la vente au 29 mai 2008,
- dire que c'est du fait de l'Eurl Villandry que la vente s'est trouvée résiliée,
- condamner l'Eurl Villandry à payer à la société Cinqeffe la somme de 18.000 € à titre d'indemnité contractuelle, soit 15% du prix de vente,
- condamner l'Eurl Villandry à payer à la société Cinqeffe la somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- à titre subsidiaire, prononcer la résolution judiciaire de la vente entre la SCI Cinqeffe et l'Eurl Villandry,
- dire que c'est du fait de l'Eurl Villandry que la vente s'est trouvée résolue,
- condamner l'Eurl Villandry à payer à la société Cinqeffe la somme de 18.000 € à titre d'indemnité contractuelle, soit 15% du prix de vente,
- condamner l'Eurl Villandry à payer à la société Cinqeffe une somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- à titre infiniment subsidiaire, dire que la somme de 10.000 € versée à titre de dépôt de garantie par la SCI Cinqeffe doit s'imputer sur les condamnations éventuellement mises à la charge de la SCI Cinqeffe,
- condamner l'Eurl Villandry au paiement d'une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'Eurl Villandry aux entiers dépens, d'appel distraits au profit de la SCP de SAINT FERREOL et TOUBOUL, avoués.
La société Cinqeffe rappelle que la promesse synallagmatique de vente stipulait que l'acte authentique devait être établi au plus tard le 20 mars 2008 et que le 19 mai 2008 elle a adressé une mise en demeure. Elle se réfère aux termes de l'acte selon lesquels la vente serait résolue de plein droit 10 jours après mise en demeure restée infructueuse. Elle fait remarquer qu'elle a versé une somme de 20.000 € à la société Agetech, vis la société Cinqeffe, pour la faire partir des lieux alors qu'elle n'avait pas de bail et estime qu'il s'agit d'une escroquerie.
Par ses conclusions, déposées et notifiées le 29 décembre 2010, l'Eurl Villandry demande à la cour d'appel de :
- confirmer le jugement et y ajoutant,
- condamner la société civile Cinqeffe au paiement d'une somme mensuelle de 1.000 € à titre d'indemnité d'immobilisation à compter du 5 juillet 2008,
- condamner la société civile Cinqeffe au paiement d'une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société civile Cinqeffe aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP BLANC et CHERFILS, avoués.
L'Eurl Villandry expose qu'elle exploite un fonds de commerce de photographe dans le local, qu'elle a fait l'objet d'une procédure collective, a bénéficié d'un plan de redressement, a mis le fonds en location gérance, et souhaité vendre les murs, d'où la promesse synallagmatique de vente. Elle fait observer que les conditions suspensives ont été levées et que la SCI Cinqeffe a refusé d'honorer son engagement.
Par ses conclusions, déposées et notifiées le 28 avril 2011, M°[Y] [B], notaire, demande à la cour d'appel de lui donner acte de ce qu'elle s'en remet à justice et défèrera à toute décision pour montant des sommes séquestrées soit 9.968,23 €, de condamner tout succombant à lui payer une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP COHEN GUEDJ, avoués.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 12 mai 2011.
MOTIFS,
-Analyse de la convention entre les parties :
La promesse synallagmatique de vente porte sur un local commercial constituant le lot 416 de l'immeuble [Adresse 5].
Ce local appartient à l'Eurl Villandry. Cette société a fait l'objet d'une procédure collective avec jugement de redressement judiciaire du 28 octobre 1997, puis plan de redressement le 22 septembre 1998. Le tribunal de commerce a autorisé la vente des murs.
La promesse synallagmatique de vente précisait : 'le bien est actuellement occupé par le vendeur qui s'engage à le libérer pour le jour de la signature de l'acte authentique'.
Le local était présenté dans cette promesse comme occupé par la société Villandry et celle-ci s'engageait à le laisser libre de toute occupation.
Cette situation était curieuse puisqu'elle sous-entendait que la société Villandry qui exploitait un commerce de photographe en ce local n'aurait plus ce local pour l'exercer.
En réalité, il n'est pas nié par les parties qu'une société Agetech, dont la gérante était la propre fille de M.[O], gérant de la société Villandry, occupait ce local. Cette situation était dissimulée au mandataire de justice et au notaire.
Dans son audition le 7 décembre 2010 devant les services de gendarmerie, M.[G] [O], gérant de la société Villandry déclare : ' en février 2008, je décide de vendre les murs et le fonds de commerce. La valeur des murs et la valeur locative estimées sont respectivement 148.000 à 155.000 euros et 1000 à 1100 euros....Deux personnes sont intéressées M.[I] me propose 140.000 euros et M.[R] 150.000 euros. Je décide de vendre à M.[R]. On trouve un arrangement à savoir, 120.000 euros pour les murs et 30.000 euros d'indemnité d'éviction à verser à Agetech'
Compte tenu du contrôle du commissaire à l'exécution du plan, il avait été convenu que ce paiement d'une somme de 30.000 € n'était pas dans le prix, mais était une indemnité d'éviction même si, officiellement les locaux n'étaient loués.
La société Cinqeffe versera 20.000 € sur les 30.000 € et un litige demeurera sur les 10.000 € restants.
Dans le projet d'acte authentique à la rubrique 'propriété-jouissance' mentionnait pourtant :
'l'acquéreur sera propriétaire du bien vendu à compter de ce jour. Il en aura la jouissance à compter de ce jour, par la prise de possession réelle, ledit bien étant entièrement libre de location ou occupation'.
En réalité le local était encore occupé et les parties étaient en litige sur les 10.000 € à verser à cette société Agetech.
Il est clair que cette promesse synallagmatique de vente n'était pas sincère et ne reflétait pas la réalité de l'opération.
-Le litige :
Il n'est pas contesté que toutes les conditions suspensives prévues dans la promesse synallagmatique de vente ont été levées.
La société Cinqeffe estime que la promesse synallagmatique de vente était 'résiliée' ou résolue du fait de ce que la date prévue pour la réitération authentique était dépassée.
La notion de résiliation n'est pas adaptée à un acte à réalisation instantanée.
D'après les termes de cet acte, la survenance et le dépassement de la date limite prévue pour la signature de l'acte authentique ne rend pas caduque la promesse synallagmatique de vente.
A compter de cette date, les conditions suspensives étant levées, chaque partie peut contraindre l'autre à signer.
L'acte comprend également la clause suivante relative à la défaillance des parties selon laquelle une fois la date prévue pour la réitération authentique survenue, si toutes les conditions suspensives sont levées, ce qui était le cas, chaque partie peut, soit contraindre l'autre à signer, soit se prévaloir de la résolution de la vente 10 jours après mise en demeure.
Dans tous les cas, la partie à l'origine du refus doit à l'autre une indemnité forfaitaire prévue à titre de clause pénale.
Par lettre recommandée datée du 19 mai 2008, avec avis de réception du 20 mai 2008, la société Cinqeffe a mis en demeure l'Eurl Villandry.
Par une deuxième lettre recommandée, datée du 25 juin 2008, avec avis de réception du 27 juin 2008, la société Cinqeffe a mis une deuxième fois en demeure l'Eurl Villandry d'agir, faute de quoi, dans les dix jours, elle considérerait la vente résolue et n'achèterait plus.
En réponse à ces courriers l'Eurl Villandry a écrit le 26 juin 2008 :' ce retard vous incombe en totalité...je vous rappelle ..que notre société n'est en rien à l'origine de cette défaillance ..'.
Le 2 juillet 2008, M°[B], notaire, a adressé un projet d'actes aux parties.
Le 15 juillet 2008, M°[B], notaire, a fait sommer par huissier de justice la société Cinqeffe de se présenter en son étude le 24 juillet 2008 pour signature de l'acte authentique.
Le 24 juillet 2008, les deux sociétés parties étaient comparantes devant M°[B], représentées par leur gérant respectif.
Le représentant de la société Cinqeffe a refusé de signer la vente aux motifs que le chèque d'acompte n'avait été encaissé dans les délais, que l'Eurl Villandry était restée sans réponse à sa mise en demeure du 19 juin, que la surface du local était inférieure à celle prétendue, qu'il y avait un problème annexe à la vente, qu'il proposait d'acheter le bien à un prix plus bas.
Le notaire établissait un procès verbal de difficultés.
Le problème dit annexe mentionné dans l'acte au titre de la réponse du gérant de la société Cinqeffe tenait précisément à ce que le local était occupé par une société Agetech, dont la gérante n'était autre que la fille de M.[O], gérant de l'Eurl Villandry, et que la société Cinqeffe s'était engagée à verser une indemnité d'éviction à cette société, de 30.000 €, et avait déjà versé 10.000 €.
-La demande de résolution :
Dans les dix jours de la réception de la première mise en demeure le 20 mai 2008, puis de la deuxième mise en demeure le 27 juin 2008, la société Villandry s'est contentée de dire qu'elle n'était pas à l'origine du retard.
Les vraies raisons du litige n'étaient pas écrites, eu égard à l'occupation des lieux et à la question des 10.000 € restant à payer.
En conséquence, la promesse synallagmatique de vente doit être considérée comme résolue de plein droit, faute de signature de l'acte dans les dix jours, ni de la première ni de la deuxième mis en demeure.
En tout état de cause, une fraude entachait cette opération. La promesse synallagmatique de vente ne correspondait à la réalité de celle-ci.
Il convient d'en prononcer la résolution.
-La demande au titre de la clause pénale :
La promesse synallagmatique de vente contenait une clause pénale avec indemnité forfaitaire de 15%.
Par application de l'article 1152 alinéa 2 du code civil, et eu égard aux circonstances de l'espèce, celle-ci devra être modérée à 3.000 €.
-Les autres points :
La somme versée par la société Cinqeffe séquestrée entre les mains du notaire devra être restituée à la société Cinqeffe.
Il ne sera pas dit que la procédure aura été abusive.
L'Eurl Villandry indemnisera la société Cinqeffe de ses frais irrépétibles et supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 septembre 2010 par le tribunal de grande instance de Draguignan,
Statuant à nouveau,
Dit que la promesse synallagmatique de vente du 8 février 2008 est résolue de plein droit du fait de l'Eurl Villandry,
Condamne l'Eurl Villandry à payer à la société Cinqeffe la somme de 3.000 € au titre de la clause pénale,
Condamne l'Eurl Villandry à payer à la société Cinqeffe la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société Cinqeffe de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Dit que la somme versée par la société Cinqeffe et séquestrée en l'office notarial de M°[Y] [B], notaire, doit être restituée à la société Cinqeffe,
Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de l'Eurl Villandry, avec distraction au profit de la SCP de SAINT FERREOL et TOUBOUL, avoués, et de la SCP Hervé COHEN Laurent COHEN & Paul GUEDJ, avoués.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT