COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 17 NOVEMBRE 2011
D.D-P
N° 2011/692
Rôle N° 10/06294
[S] [F]
S.C.P. ROPION L. - ROPION J.L.
[O] [U]
C/
[Y] [R]
S.A.R.L. COFIM AGENCE IMMOGROUP
[T] [L]
Grosse délivrée
le :
à :
SCP ERMENEUX-CHAMPLY - LEVAIQUE
SCP TOLLINCHI VIGNERON TOLLINCHI
SCP COHEN GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 11 Février 2010 enregistré au répertoire général sous le n° 08/6101.
APPELANTS
Monsieur [S] [F]
né en à , demeurant [Adresse 8]
S.C.P. ROPION L. - ROPION J.L. pris en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 7]
Maître [O] [U]
né en à , demeurant [Adresse 7]
représentés par la SCP COHEN GUEDJ, avoués à la Cour, assistés de Me Jean-Michel GARRY, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Christelle OUILLON, avocat au barreau de TOULON
INTIMES
Monsieur [Y] [R]
né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 16],
demeurant [Adresse 11]
représenté par la SCP TOLLINCHI VIGNERON TOLLINCHI, avoués à la Cour, assisté de Me Laurent COUTELIER, avocat au barreau de TOULON
S.A.R.L. COFIM AGENCE IMMOGROUP prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant [Adresse 9]
Non comparante
Monsieur [T] [L]
né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 12],
demeurant [Adresse 8]
représenté par la SCP ERMENEUX-CHAMPLY - LEVAIQUE, avoués à la Cour, assisté de Me Laurence DE SANTI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur François GROSJEAN, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Novembre 2011.
ARRÊT
Par défaut,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Novembre 2011,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 13 avril 2001, par acte authentique rédigé par Me [O] [U], notaire associé de la SCP de notaires le vie [U], les époux [R] ont fait donation entre vifs en avancement hoirie à leur fils [Y] [R] du bien immobilier désigné comme suit :
« Sur la commune de [Localité 15] (Var)
les biens et droits immobiliers consistants en :
une propriété sise au lieu dit [Adresse 1], sur laquelle est édifiée une construction à usage de studio d'habitation d'environ 50 m² avec deux fenêtres et une porte d'entrée.
Ledit immeuble est cadastré :
le tout cadastré section AL numéro [Cadastre 5] pour 1 a 09 ca, numéro [Cadastre 6] pour 43 ca, numéro [Cadastre 10] pour 1 a 54 ca et numéro [Cadastre 4] pour 2 a 61ca, soit 1 contenance totale de 5 a 67 ca.
Ledit bien immobilier d'une valeur d'après les parties de 500'000 F ».
À l'origine ce studio était en réalité un garage dans lequel les parents de M. [R] avaient réalisé des aménagements en 1998 afin de le rendre habitable. Ils ont fait une déclaration rectificative auprès du service des impôts le 6 octobre 1998.
Le 16 novembre 2004, agissant à la demande de Me [F] chargé de la vente, Me [U] établissait un acte rectificatif concernant cet acte de donation du 13 avril 2001, sans appeler les parties.
Le 6 décembre 2004 un compromis de vente était rédigé par la société Cofim entre M. [Y] [R] et M. [T] [L] moyennant un prix de vente de 230'000 €
dont 15'000 € de biens mobiliers. Il était fait mention à l'acte de la parcelle cadastrée section AL numéro [Cadastre 4] pour 2a 61ca.
Le 7 décembre 2004 l'acte rectificatif de la donation était publiée au bureau des hypothèques.
Le 5 mars 2005 Me [F], notaire associé de la SCP [F] établissait l'acte de vente entre M. [Y] [R] et M. [T] [L].
L'acte authentique désignait le bien vendu comme :
« une propriété bâtie et non bâtie comprenant :
' une construction à l'usage de studios d'habitation composée de :
entrée, salon avec petite mezzanine, chambre, salle de bains avec WC, véranda,
' et le terrain sur lequel elle est édifiée et attenant en nature de jardin.
Figurant au cadastre, savoir : section AL numéro [Cadastre 5],[Adresse 8](1 a 09 ca), AL numéro [Cadastre 6], [Adresse 13] (43ca), AL numéro [Cadastre 10], [Adresse 8] (1 a 54 ca) ».
Statuant sur l'assignation par l'acquéreur des vendeur et notaires, par jugement en date du 11 février 2010 le tribunal de grande instance de Toulon a :
' dit que M. [Y] [R] est responsable du préjudice subi par M. [T] [L] et l'a condamné à lui verser, en réparation de son préjudice la somme de 159'250,81 €,
' dit que les intérêts courront à compter de la décision et qui sera fait application de l'article 1154 du Code civil,
' déclaré Me [S] [F], Me [O] [U] et la SCP Louis et Jean-Louis Ropion solidairement entre eux, et la SARL Cofim agence IMMOGROUP responsables in solidum du préjudice subi par M. [T] [L] ;
' condamné in solidum Me [S] [F], Me [O] [U] et la SCP Louis et Jean-Louis Ropion solidairement entre eux, et la SARL Cofim agence IMMOGROUP à indemniser M. [T] [L] à hauteur de 40'000 € pour chacun des notaires et 30'000 € pour l'agence immobilière, les a condamnés à verser à M. [L] la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-- et ordonné l'exécution provisoire à hauteur de la moitié des sommes allouées.
Par acte remis au greffe le 31 mars 2010 Me [S] [F], la SCP Louis et Jean-Louis Ropion, et Me [O] [U] ont relevé appel de cette décision.
Par conclusions déposées le 21 avril 2011 ils demandent à la cour, au visa de l'article 1382 du code civil :
à titre principal
'd'infirmer le jugement entrepris,
' de mettre hors de cause Me [F], de constater l'absence de toute faute de Me [U] et de la SCP Ropion dont il est membre,
à titre subsidiaire
' de réduire les prétentions de M. [L] a plus justes proportions,
et en toute hypothèse,
- de condamner tout succombant à leur payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Dans ses écritures déposées le 28 octobre 2010 M. [Y] [R] demande à la cour , au visa des articles 1110, 1116 et 1382 du Code civil :
' d'infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau,
' de débouter M. [L] de toutes ses demandes,
' de débouter les notaires de toutes leurs demandes dirigées contre lui,
à titre subsidiaire
' de condamner solidairement les notaires à le relever et garantir tant en principal et intérêt, frais et accessoires de toutes les condamnations qui seraient prises à son encontre,
' de condamner tout succombant à lui payer la somme de 5'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens avec distraction.
Par conclusions déposées le 31 janvier 2011 M. [T] [L] demande à la cour :
' de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant de son préjudice qui s'élève à 247'303,24 €,
' de lui donner acte de ce qu'il renonce à ses demandes à l'encontre de la SARL Cofim sauf à ce qu'une autre partie procède à la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de la représenter,
' de condamner solidairement M. [R], Me [F] et [U], et la SCP Ropion à lui payer au titre de son préjudice la somme de 247'303,24 € majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance du 24 octobre 2008 avec capitalisation annuelle, et la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance comprenant les frais d'expertise et d'appel, ces derniers avec distraction.
La SARL Cofim, autre intimée, assignée par exploit converti en procès-verbal de recherches infructueuses le 26 avril 2010 n'a pas constitué avoué.
L'ordonnance de clôture est datée du 6 octobre 2011.
La cour renvoie aux écritures précitées pour l'exposé exhaustif des moyens des parties.
MOTIFS,
Sur la faute
Attendu que les appelants soutiennent qu'il y a lieu de mettre hors de cause Me [F] ;que lors de la régularisation de l'acte authentique en l'étude, toutes les parties étaient présentes ; qu'elles ont régularisé en toute connaissance de cause l'acte qui leur a été lu, et notamment le chapitre concernant la désignation du bien ; qu'elles ont donc pris connaissance de la situation de la parcelle AL n° [Cadastre 4], de sorte que ni M. [R] ni M. [L] ne pouvait ignorer que la vente portait exclusivement sur trois parcelles et non sur quatre parcelles ; qu'on ne saurait reprocher à Me [F] d'avoir évité à M. [R] de vendre un bien qui ne lui appartenait pas ; qu'il a donc assuré l'efficacité et la sécurité juridique de son acte de vente ;
qu'en page 21 de l'acte de vente, il est expressément fait mention de l'attestation rectificative de Me [U], rédigé à la demande de Me [F], en date du 16 novembre 2004 qui dit que la parcelle AL [Cadastre 4] n'a jamais été la propriété des [R], les droits de Mme [R] sur ladite parcelle se limitant à une servitude ; que Me [U] et la SCP Ropion sont étrangers à l'acte de vente générateur du prétendu préjudice allégué ;
Mais attendu qu'il résulte des documents produits que des parcelles objets de la vente entre les parties, ont été modifiées de manière officielle, par publication, entre la date de la signature du compromis et celle de l'acte authentique, sans que l'agent immobilier ou les notaires ayant demandé, pour l'un, ou effectué, pour l'autre, la rectification, aient avisé l'une d'elles ;
Attendu que la disparition de la parcelle AL numéro [Cadastre 4] a pourtant entraîné une diminution importante du terrain vendu qui est passé d'une superficie de 567 m² sur le compromis de vente, à 306 m² sur l'acte de vente, sans diminution corrélative du prix ;
Attendu que M. [R] reproche exactement à l'étude notariale de Me [O] [U] d'avoir effectué le 16 novembre 2004 des modifications et déposé des actes rectificatifs à l'acte de donation en date du 13 avril 2000 emportant donation auprès de la conservation des hypothèques , sans l' en aviser, alors que Me [U] ne peut qu'admettre qu'il savait que M. [R] était en train de vendre et qu'il ne pouvait donc ignorer les conséquences pouvant en découler ; que si le notaire avait informé le vendeur de la suppression de l'une des parcelles dans l'acte de donation, celui-ci ne l'aurait pas fait apparaître dans le compromis du 6 décembre 2004, pour la faire disparaître ensuite dans l'acte de vente du 10 mars 2005 ;
Attendu que c'est Me [F] qui par lettre du 4 octobre 2004 a sollicité et obtenu de Me [U] cette rectification ; qu'il ne résulte d'aucune pièce que celui-ci ait davantage attiré l'attention des parties sur les conséquences de la disparition entre-temps de la parcelle litigieuse ; que les mentions peu explicites figurant à l'acte de vente de Me [F] du 10 mars 2005 sont insuffisantes à cet égard ;
Attendu qu'à cette erreur sur la consistance du bien vendu, s'ajoute la transformation sans autorisation administrative d'un garage en habitation ;
Attendu que s'agissant d'un bien immobilier donné par ses parents, le tribunal relève à juste titre que M. [R] ne pouvait ignorer l'absence de permis de construire pour la transformation d'un garage en habitation et l'absence de régularisation au vu des prescriptions d'urbanisme ;
Attendu que l'expert souligne qu'une demande d'agrandissement de ce qui a toujours été présenté à l'acquéreur comme étant une villa, dans le cadre d'une déclaration de travaux ou d'une demande de permis de construire serait vouée à l'échec car le bien est actuellement considéré comme un garage par le service d'urbanisme de la commune et donc sans droit résiduels à construire, la déclaration fiscale , seule démarche effectuée par les consorts [R] n'ayant pas pour effet de modifier la nature du bien au regard des régles d'urbanisme d'une commune ;
Attendu que l'absence d'information de M. [L] sur ce point est imputable en premier lieu au vendeur, constituant de sa part une réticence dolosive dissimulant à son cocontractant un élément qui, s'il avait connu, l'aurait empêché de contracter ou à un prix moindre ;
Attendu que le jugement a retenu le manquement de M. [R] à son obligation prè- contractuelle d'information, doit donc être approuvé ;
Attendu que la responsabilité Me [F] est également engagée sur ce point, puisqu'il lui appartenait de vérifier la situation de l'immeuble vendu au regard des exigences administratives et de la délivrance de certificats de conformité ;
Attendu en conséquence que le jugement qui a retenu la responsabilité solidaire tant de M. [R] que de Me [U], membre de la SCP Ropion et de Me [F] qui n'ont pas éclairé les parties sur la portée des actes dressés par eux, et sur la valeur des garanties qui peuvent y être attachées, doit être confirmé ;
Sur le préjudice de M. [L]
Attendu que les appelant soutiennent qu'il existe une discordance flagrante affectant le rapport de l'expert désigné en référé, M. [M], sur la base duquel le premier juge a statué, entre la valeur vénale réelle du bien immobilier litigieux et celle qu'il a retenue, soit 74'880 € seulement; que M. [L] a fait une acquisition parfaitement conforme au prix payé et au marché
de l'époque ; que la somme que l'acquéreur réclame à titre de dommages et intérêts reviendrait à lui allouer le remboursement du prix d'un bien qu'il conserve par ailleurs ; que la responsabilité de Me [F] ne saurait être engagée pour avoir indiqué à l'acquéreur que l'achat portait sur une villa habitable, au lieu d'un garage, ce qu'elle n'est plus ; que cette villa habitable ne peut être démolie au regard de la prescription définitivement acquise ; qu' en application de l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme, 'lorsqu'une construction est achevée depuis plus de 10 ans, le refus du permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l'irrégularité de la construction initiale, au regard du droit de l'urbanisme' ; que la prescription décennale est donc bel et bien acquise ; qu'elle a couru à compter de l'achèvement des travaux incriminés il y a bien longtemps ; que par conséquent le lien de causalité n'est pas rapporté entre l'impossibilité d'agrandir retenue par l'expert et la suppression de la parcelle AL n° [Cadastre 4] de l'acte de vente ; qu'en ce qui concerne la volonté déclarée d'agrandir le bien, l'expert pense que 'cette volonté ne pouvait être ultérieure et que l'observation du marché local ne montrait pas d'acquéreurs prêts à acquérir un garage sur 300 m² de terrain environ pour un prix correspondant à celui d'une petite villa, sans avoir de projet d'agrandissement' ; que ces affirmations sont subjectives ;que la volonté déclarée ultérieurement d'agrandir le bien constitue un argument inopérant à l'encontre notamment du notaire, ce dernier n'étant pas tenu de vérifier la possibilité de réaliser sur l'immeuble vendu un projet d'agrandissement de construction qui n'est pas mentionné à l'acte et dont il n'a pas été avisé ;
Mais attendu que M. [L] répond que la prescription en droit de l'urbanisme ne sera acquise qu'en avril 2014, compte tenu des derniers travaux de raccordement de la villa au réseau des eaux de [Localité 14] qui ont été réalisés le 22 avril 2004 seulement ;
Attendu que le bien objet de la vente aurait pu prétendre à l'obtention de droits à bâtir de 20 % de la surface de terrain disponible ; qu'une demande d'agrandissement de cette villa dans le cadre d'une déclaration de travaux ou d'une demande de permis de se construire ne peut qu'être refusée au motif que ce bien est actuellement considéré comme un garage par les services de l'urbanisme de la commune ; que M. [L] pouvait ainsi prétendre voir son bâti agrandi à hauteur de 20 % de la surface de terrain dont il se croyait propriétaire, soit pour 113,40 m² ; qu'au regard de la surface consignée dans l'acte authentique final, ses droits à bâtir auraient été de 61, 20 m² ; et qu'en réalité les services de la mairie ont répondu à l'expert que le bien étant considéré comme un garage il ne disposait en aucun cas de droits à bâtir résiduels ;
Attendu que contrairement à ce que soutiennent les appelants et le vendeur, le préjudice ne porte pas seulement sur la différence de surface du bien acquis, mais sur sa nature même ;
qu'en ce qui concerne le calcul du montant du préjudice qui en découle pour l'acquéreur, le jugement déféré a répondu en rejetant la demande plus ample de M. [L] par des motifs développés pertinents qui méritent adoption ;
Attendu en définitive qu'il y a lieu de confirmer entièrement le jugement déféré ;
Attendu que les appelants succombant encore devront supporter la charge de dépens d'appel, et verser en équité la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'intimé , ne pouvant eux-mêmes prétendre au bénéfice de ce texte ;
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt de défaut par suite de la défaillance de la S.A.R.L. COFIM agence immogroup , prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
y ajoutant
Condamne in solidum Me [S] [F], Me [O] [U] et la SCP de notaires [U] à payer à M. [T] [L] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
Autorise la SCP d'avoués et Ermeneux-Champly-Leveque à les recouvrer directement en application de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT