COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
8e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 01 DECEMBRE 2011
N° 2011/501
Rôle N° 09/15904
[U] [R]
C/
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE
Grosse délivrée
le :
à :JOURDAN
LATIL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 09 Juillet 2009 enregistré au répertoire général sous le n° 09/209.
APPELANT
Monsieur [U] [R]
né le [Date naissance 4] 1964 à [Localité 8], demeurant [Adresse 7]
représenté par la SCP J F JOURDAN - P G WATTECAMPS, avoués à la Cour, assisté de Me Jérôme ACHILLI, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE représentée par son représentant légal en exercice, dont le siège est sis [Adresse 5]
représentée par la SCP LATIL PENARROYA-LATIL ALLIGIER, avoués à la Cour, assistée de Me Philippe BRUZZO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 25 Octobre 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Jean-Noël ACQUAVIVA, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Louis BERGEZ, Président
Monsieur Jean-Noël ACQUAVIVA, Conseiller
Madame Marie-Claude CHIZAT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2011,
Rédigé par Monsieur Jean-Noël ACQUAVIVA, Conseiller,
Signé par Monsieur Jean-Louis BERGEZ, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES.
Suivant offre du 25 juin 2003, la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE (la banque) a consenti à Monsieur [U] [R] un prêt n° 016544018PR d'un montant de 28.000 euros, destiné à financer l'aménagement d'un bien immobilier, le déblocage des fonds devant s'effectuer par tranches successives, sur présentation de factures.
Par lettre recommandée du 8 juin 2007, la banque, faisant grief à Monsieur [R] de lui avoir présenté de faux documents, lui a notifié la rupture de l'ensemble des concours qu'elle lui avait accordés, se prévalant notamment de la déchéance du terme du prêt considéré comme des autres crédits consentis (prêts n° 525037012PR, C02XUNO19PR, 016544018PR, 114574014PR, 946545014PR, compte OPEN n°[XXXXXXXXXX06], ouverture de crédit sur compte n° [XXXXXXXXXX01] et n° [XXXXXXXXXX02]) et a exigé le remboursement, sous un délai de 10 jours de la somme totale de 203.595,10 euros.
Par acte d'huissier du 18 décembre 2008, la banque a fait assigner Monsieur [R] devant le Tribunal de Grande Instance d'AIX-en-PROVENCE en paiement de la somme de 21.983,49 euros au titre du prêt n° 016544018PR.
Par jugement réputé contradictoire du 9 juillet 2009, le tribunal a condamné Monsieur [R] au paiement d'une somme de 21.609,12 euros, majorée des intérêts au taux conventionnel de 7,09% l'an à compter du 8 juin 2007 et aux entiers dépens.
Par déclaration de son avoué du 28 août 2009, Monsieur [R] a relevé appel de cette décision, demandant à la Cour, par voie d'écritures signifiées le 23 septembre 2011 de l'infirmer, de condamner la banque au paiement d'une somme de 203.565,10 euros correspondant au 'montant de la déchéance du terme indûment prononcé' le 8 juin 2007, de dire que cette condamnation portera intérêts capitalisés à compter de cette date, d'ordonner à la banque de régulariser la situation de Monsieur [R] à l'endroit du FICP où il a été inscrit de manière non justifiée, de condamner la banque au paiement de la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts et d'une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour sa part, aux termes d'écritures signifiées le 11 juin 2011, la banque a conclu à la confirmation de la décision déférée et à l'allocation d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 septembre 2011.
MOTIFS DE LA DÉCISION.
Attendu que Monsieur [R] fait grief à la banque d'avoir de manière injustifiée prononcé la déchéance du terme des concours qu'elle lui avait accordés tandis que la banque fonde sa décision sur les dispositions du contrat de prêt qui l'autorisent selon elle à rendre le solde immédiatement exigible en cas de fourniture de documents inexacts par l'emprunteur, ceux-ci étant constitués, en l'espèce, par la remise de fausses factures destinées à obtenir le déblocage des fonds.
Attendu qu'il est constant que par lettre recommandée du 8 juin 2007, la banque a fait connaître à Monsieur [R] sa décision de prononcer la déchéance du terme de tous ses concours (prêts et ouvertures de crédit) et a mis en demeure celui-ci de rembourser sous dix jours la somme de 203.595,10 euros se décomposant ainsi :
- prêt n° 525037012PR de 12.000 euros 2.100,75 euros
- prêt n° C02XUNI019PR de 102.750 euros 98.958,52 euros
- prêt n° 016544018PR de 28.000 euros 20.738,36 euros
- prêt n° 114574014PR de 21.300 euros 7.737,46 euros
- prêt n° 946545014PR de 86.895,94 euros 68.105,07 euros
- compte OPEN n° [XXXXXXXXXX06] de 7.623 euros 2.808,79 euros
- ouverture de crédit de 1.372 euros sur compte n°[XXXXXXXXXX01] 1.150,16 euros
- ouverture de crédit de 2.000 euros sur compte n°[XXXXXXXXXX02] 1.995,99 euros
Que ce courrier est rédigé en ces termes :
'Nous avons constaté dans le cadre du déblocage de certains concours que nous vous avons accordés que vous avez fourni des factures de l'entreprise AZUR RENOVATION en date de juin et juillet 2003.
Cette entreprise a cessé son activité le 30 juin 2002.
Les factures que vous avez fournies constituent des faux en écritures en vue d'obtenir des crédits. Il s'agit d'une fraude caractérisée.
A ce titre nous avons déposé plainte contre X des chefs de faux, usage de faux et escroquerie.
Selon les clauses insérées dans tous nos actes de prêt sous seing privé ou authentiques, il est expressément prévu la déchéance du terme en cas de tels agissements'.
Attendu que la banque n'a versé aux débats que le seul acte de prêt n° 016544018PR d'un montant de 28.000 euros consenti suivant offre du 18 juillet 2003 acceptée le 29 mai 2003 lequel prévoit un déblocage des fonds par tranches, celui-ci intervenant au fur et à mesure de la justification des dépenses ;
que par suite, il n'est pas démontré, nonobstant les termes généraux du courrier de la banque qui fait référence au déblocage de 'certains concours', que pour d'autres prêts dont la date de souscription n'est pas, au demeurant, précisée, la remise des fonds était pareillement conditionnée à la remise préalable de factures attestant de l'état d'avancement des travaux.
Attendu que le contrat de prêt stipule en son article 3 "Exigibilité du prêt' figurant en pages 7 et 8 que 'le remboursement du prêt pourra être exigé immédiatement et en totalité... dans tous les cas où les justifications, renseignements et déclarations fournis par les emprunteurs seraient reconnus inexacts comme au cas où ceux-ci se seraient rendus coupables de toute mesure frauduleuse envers le prêteur' ;
qu'en l'espèce, il est constant que l'ensemble des factures incriminées ont été établies par 'AZUR RENOVATION M.[G] [M] [Adresse 3]' et portent pour certaines un numéro Siret 3975 2055 200027 et/ou un numéro d'inscription au registre des métiers M13018602151 ;
que s'il est de fait que Monsieur [G] [M] [L] a été immatriculé au registre du commerce et des sociétés de MARSEILLE le 1er août 1994 sous le numéro 397 520 552 pour l'exploitation du fonds de commerce de restauration rapide crée et exploité sous le nom commercial 'Le Garage' à [Adresse 9], c'est à tort que la banque affirme pour soutenir que les factures qui lui ont été présentées à compter du mois de juillet 2003 sont des faux confectionnés à seule fin d'obtenir le déblocage des fonds que l'entreprise de Monsieur [G] avait cessé son activité au 30 juin 2002 ;
qu'en effet, si pour étayer cette affirmation, la banque verse aux débats un certificat de radiation délivré le 15 janvier par la chambre des métiers et de l'artisanat des Bouches du Rhône
attestant que Monsieur [G] exerçant une activité de 'peintre, tapisserie, carrelage, moquette, électricité' sous le nom commercial 'Azur Rénovation' débutée le 4 décembre 2000 a déclaré avoir cessé toute activité et a été radié du répertoire le 1er juillet 2002, il résulte de l'extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés que Monsieur [G] immatriculé le 1er août 1994 y est resté inscrit jusqu'au 6 juillet 2009, date de sa radiation, consécutive à la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire ouverte à son encontre par jugement du 3 décembre 2008 ;
que par suite, ces éléments sont suffisants à démontrer que contrairement à ce que soutient la banque, Monsieur [G] bien qu'il n'ait pas fait enregistrer au registre du commerce et des sociétés son changement d'activité, a poursuivi en qualité de commerçant et non plus d'artisan, à compter du 1er juillet 2002, date de sa radiation du répertoire des métiers, une activité autorisée de 'peinture et vitrerie' en sorte que les factures qu'il a établies ne peuvent être tenues pour des faux.
Attendu que par suite, en se fondant sur un motif fallacieux, la banque qui, pour attester de sa bonne foi, ne s'explique pas au demeurant sur les suites réservées à sa plainte avec constitution de partie civile, a commis une faute engageant sa responsabilité en prononçant l'exigibilité anticipée de ses concours.
Attendu qu'en réparation de son préjudice, Monsieur [R] ne peut prétendre au remboursement des sommes réglées à la banque ensuite de la déchéance du terme étant observé qu'il ne sollicite pas le rétablissement des contrats et qu'au surplus, il ne justifie pas s'être acquitté intégralement de la somme de 203.595,10 euros rendue immédiatement exigible par la banque, le complet règlement de cette somme étant au demeurant contredit par le fait qu'il ne conteste pas demeurer redevable au titre du prêt n° 016544018PR, d'une somme de 21.609,12 euros correspondant au capital restant dû au 8 juin 2007 soit 20.196,12 euros majorée de l'indemnité contractuelle de 1.413,17 euros, le jugement déféré devant être confirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [R] au paiement de cette somme ;
qu'en revanche, c'est à juste titre qu'il fait valoir d'une part que la banque en se prévalant sans justification avérée d'une faute commise dans l'exécution d'un des contrats souscrits (prêt n° 016544018PR), en en étendant les conséquences à l'ensemble des autres engagements, en le privant ainsi fautivement des concours de trésorerie dont il bénéficiait et en le contraignant à mobiliser de manière anticipée des sommes importantes pour faire face à ces obligations rendues immédiatement exigibles, la banque lui a causé un préjudice économique certain d'autre part que la nature et la gravité des accusations fallacieuses portées à son encontre en ce qu'elles mettaient en cause son intégrité et son honorabilité ont été génératrices, par ailleurs, d'un préjudice moral;
qu'il convient d'allouer en réparation à Monsieur [U] [R] des dommages-intérêts dont le montant doit être fixé à la somme de 50.000 euros et d'ordonner la compensation des créances réciproques.
Attendu que l'appelant sollicite par ailleurs que la banque régularise sa situation à l'endroit du FICP où il a été inscrit de manière non justifiée.
Mais attendu que Monsieur [R] ne verse aux débats aucun élément de preuve de son inscription prétendue au fichier des incidents de paiements caractérisés que collecte la Banque de France en application de l'article L.313-6 du Code monétaire et financier ;
que par suite, sa demande ne peut qu'être rejetée étant observé au surplus que les informations relatives à l'incident de paiement relatif au contrat de prêt n° 016544018PR si elles ont été inscrites au fichier, seront radiées, à réception de la déclaration qu'il incombera à la banque de souscrire immédiatement, du paiement intégral des sommes dues à ce titre.
- Sur les dépens.
Attendu que la banque qui succombe à titre principal doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
- Sur la demande présentée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Attendu que pour n'en point supporter la charge inéquitable, Monsieur [R] recevra de la banque, en compensation des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR ;
STATUANT publiquement, contradictoirement ;
CONFIRME la décision déférée en ce qu'elle a condamné Monsieur [U] [R] à payer à la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE la somme de 21.609,12 euros, majorée des intérêts au taux conventionnel de 7,09% l'an à compter du 8 juin 2007.
LA REFORMANT pour le surplus,
ET STATUANT à nouveau,
DIT qu'en prononçant la déchéance du terme de l'ensemble de ses concours pour un motif fallacieux, la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE a commis une faute.
CONDAMNE la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE à payer à Monsieur [U] [R] une somme globale de 50.000 euros en réparation de son préjudice économique et de son préjudice moral.
CONSTATE que Monsieur [U] [R] ne sollicite pas le rétablissement des concours bancaires dont l'exigibilité anticipée a été prononcée.
DÉBOUTE Monsieur [U] [R] de sa demande en paiement de la somme de 203.595,10 euros qui lui a été réclamée par la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE ensuite de la déchéance du terme.
DIT que les créances réciproques de Monsieur [U] [R] et de la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE se compenseront à due concurrence de leurs quotités respectives.
DÉBOUTE Monsieur [U] [R] de sa demande tendant à voir condamner la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE à régulariser sa situation à l'endroit du FICP.
CONDAMNE la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE aux dépens d'appel et au paiement d'une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
DIT qu'il sera fait application au profit de la SCP d'avoués JOURDAN-WATTECAMPS des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT