COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 12 JANVIER 2012
N° 2012/63
Rôle N° 10/04153
[P] [J] [D]
C/
SNC LYONDELL CHIMIE
Grosse délivrée
le :
à :
Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Me Serge MIMRAN VALENSI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 16 Mai 2007, enregistré au répertoire général sous le n° 06/411.
APPELANTE
Madame [P] [J] [D], demeurant [Adresse 2]
comparant en personne, assistée de Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SNC LYONDELL CHIMIE, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Serge MIMRAN VALENSI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Caroline SEGURA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 23 Novembre 2011 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre
Madame Brigitte BERTI, Conseiller
Madame Françoise GAUDIN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Janvier 2012..
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Janvier 2012.
Signé par Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame [P] [J] [D] a été embauchée à compter du 1er mars 1988 par la société ARCO CHIMIE France, aux droits de laquelle se trouve désormais la société LYONDELL CHIMIE France, suivant contrat à durée indéterminée, en qualité de comptable groupe 5, coefficient 225 de la convention collective nationale des industries chimiques.
Le 4 janvier 1990, le contrat de travail faisait l'objet d'un avenant au terme duquel Madame [J] [D] exerçait les fonctions de chef de groupe comptabilité fournisseurs, classée 250.
A compter du 15 février 1992, elle devenait comptable senior.
A compter du 15 avril 1998, elle a été transférée au service maintenance au poste de contrôleur des coûts projet sans modification de situation.
Elle était promue au statut cadre et au coefficient 400 le 17 avril 2002.
Dans le cadre d'un projet de nouvelle organisation, elle déménageait de bureau et son supérieur hiérarchique lui proposait le 27 février 2004 un poste de coordinateur documentation que la salariée refusait .
Par lettre du 5 avril 2005, Madame [J] [D] prenait acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.
Par courrier du 9 mai suivant, l'employeur la mettait en demeure de reprendre son travail.
En l'absence de réponse de la salariée, ladite société la licenciait pour faute grave, à savoir absence injustifiée à son poste de travail , par lettre du 27 juin 2005.
Considérant que la rupture du contrat de travail était imputable à son employeur, le 23 août 2005, Madame [J] [D] a saisi le Conseil des Prud'hommes de Martigues en paiement d'indemnités liées à la rupture abusive et pour harcèlement moral ;
Par jugement en date du 16 mai 2007, le Conseil des prud'hommes de Martigues a :
. dit que la lettre de rupture de Madame [J] [D] du 5 avril 2005 doit s'analyser en une démission,
. débouté en conséquence Madame [J] [D] de l'ensemble de ses demandes,
. débouté la SNC LYONDELL CHIMIE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. condamné Madame [J] [D] aux entiers dépens.
Madame [J] [D] a interjeté appel de cette décision le 29 mai 2007.
Un arrêt de radiation de l'affaire est intervenu le 4 juin 2009.
Actuellement, Madame [J] [D] demande l'infirmation du jugement entrepris, sous les moyens identiques à ceux développés devant le premier juge, reprend les mêmes demandes à savoir, dire et juger que la prise d'acte de rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société LYONDELL à lui payer les sommes suivantes :
13.307,10 € à titre d'indemnité conventionnelle de préavis,
1.330,61 € à titre de congés payés sur préavis,
116.109,20 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
159.685,20 € à titre de dommages et intérêts pour rupture imputable aux torts exclusifs de l'employeur et harcèlement moral,
2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
et à lui délivrer les documents de rupture rectifiés, sous astreinte.
La société LYONDELL CHIMIE demande à la cour de confirmer le jugement déféré, de débouter Madame [J] [D] de ses demandes et de la condamner au paiement d'une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la rupture du contrat de travail :
Attendu que Madame [J] [D] a écrit selon LRAR à son employeur, le 5 avril 2005 un courrier libellé en ces termes :
« Monsieur,
Par un courrier en date du 24 mai 2004, je vous avais dénoncé les éléments suivants :
tentative de modification unilatérale de mon contrat de travail,
de modification de ma qualification professionnelle,
de modification de la durée de mon travail,
surcharge de travail,
ordres et contre ordres,
propos vexatoires en public,
accusations devant d'autres membres du personnel d'être à l'origine de rumeurs,
imputation de fautes professionnelles chimériques.
Ces dégradations répétées à mes conditions d'emploi m'avaient conduite à être arrêtée pour la première fois par mon médecin traitant.
Je vous avais demandé officiellement à cette date, de cesser ces détériorations qui s'analysent en un harcèlement moral.
En vain.
Vous avez pourtant validé les accusations en ne prenant même pas la peine de répondre à ce courrier, tout en sachant que votre indifférence serait une nouvelle atteinte à mon endroit.
Pire encore, à la réception de ce courrier, Monsieur [W] a agité ma lettre en m'adressant des commentaires moqueurs et dégradants devant tout le personnel qui était regroupé du fait de l'incident qui avait conduit au confinement dans la cafétéria.
D'ailleurs, certains membres du personnel ont été choqués et sont allés se plaindre au CHSCT.
Dans le même ordre d'esprit, il m'a été demandé de noter heure par heure les tâches que j'effectuais ainsi que celles de mon collègue de travail, alors que j'ai 35 ans d'ancienneté.
On m'a également changé de bureau et d'environnement, ce qui a eu pour conséquence de rendre un peu plus difficiles mes conditions de travail.
Enfin, depuis une dizaine d'années, ma rémunération n'a pas été augmentée de façon individuelle et ce contrairement à d'autres salariés.
Toutes ces détériorations répétées ont eu des conséquences importantes sur ma santé mentale et physique qu se traduisent comme suit :
. suivi hebdomadaire par un psychiatre pendant 8 mois pour dépression,
. 1mois et ¿ d'arrêt de travail en 2004,
. bruxisme (usure anormale des dents provoquée par le stress),
. ulcère à l'estomac,
.état d'anxiété permanent,
. insomnies,
. arrêt de travail actuel et reprise de consultations chez le psychiatre.
Je constate que je ne suis apparemment pas la seule dans ce cas et que le climat délétère que je dénonce n'est pas ressenti que par moi-même, puisqu'un questionnaire circule actuellement au sein de la société LYONDELL du fait de l'augmentation des plaintes pour souffrance morale, indiquée dans le rapport annuel 2003 du médecin du travail.
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'après m'être investie durant ces longues années sans compter mes heures, je suis contrainte de considérer que vous avez rompu mon contrat de travail à vos torts exclusifs.. »
Qu'en l'espèce, la salariée a reproché des manquements à son employeur l'empêchant de poursuivre normalement l'exécution de son contrat de travail.
Attendu que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission ;
Que le juge saisi de la légitimité d'une telle prise d'acte de rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, doit examiner l'ensemble des griefs formulés par le salarié, fussent-ils développés postérieurement à ladite prise d'acte ;
sur la tentative de modification du contrat de travail
Attendu que Madame [J] [D] allègue une tentative de modification unilatérale de son contrat de travail qu'elle a dénoncée par courrier du 24 mai 2004, resté sans réponse de l'employeur.
Qu'il résulte des documents versés au dossier que dans le cadre d'une nouvelle organisation de la société présentée aux instances représentatives du personnel dès le début de l'année 2004 qu'il a été proposé à une très grande partie du personnel, dont Madame [J] [D], des modifications de postes.
Qu'une telle proposition a été faite à la salariée dans le cadre d'une réunion informelle avec Monsieur [W], responsable du département et supérieur hiérarchique direct de Madame [J] [D], réunion qui a eu lieu le 24 février 2004.
Que Monsieur [W] a formalisé la teneur dudit entretien par courrier adressé à Madame [J] [D] le 1er mars suivant, prenant en compte le refus de cette dernière d'une évolution de carrière et son souhait de continuer à travailler dans son poste actuel, tout en réduisant son temps de travail à partir de janvier 2005, ayant des projets professionnels dans son milieu familial, ces derniers points ayant été expressément reniés par la salariée dans un courrier en réponse du 18 mars 2004, mais confirmés par l'employeur le 21 avril et résultant des attestations versées aux débats ( [N], [S]).
Que cependant, aucune modification de poste n'a été imposée à la salariée, qui a été maintenue à temps complet dans ses fonctions de contrôleur des coûts de projets avec maintien de son salaire, comme le prouvent ses bulletins de salaire et les attestations versées aux débats.
Que l'employeur ayant renoncé à la modification projetée n'a commis aucune faute et lorsque la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail, un an plus tard, elle était maintenue dans ses fonctions antérieures.
Que son changement de bureau s'est fait dans le cadre d'un déménagement collectif ayant touché une trentaine de salariés dans le cadre de la nouvelle organisation susvisée et non dans un but vexatoire à l'encontre de Madame [J] [D].
Qu'il a été motivé par le souci de la direction de regrouper les personnes du groupe « projets » dans un même bâtiment (cf attestation [K]) et dès lors, il n'y a aucun manquement de l'employeur, ni harcèlement moral de sa part en découlant.
sur les moqueries, propos vexatoires et dénigrements en public de Monsieur [W]
Attendu que la salariée allègue des faits datant de mai 2004, à savoir que Monsieur [W], à réception du courrier susvisé du 24 mai 2004, l'aurait montré devant le personnel réuni lors d'un incident technique dans la salle de la cafétéria, en disant « je ne connais pas par avance le contenu de cette lettre mais je te remercie par avance pour les timbres ».
Que l'employeur fait état de ce que ledit courrier avait un affranchissement original, constitué de timbres à dessins non courants tels une poule, un âne, une vache, un lapin.. à l'origine de la plaisanterie du destinataire.
Que la salariée en revanche, n'établit pas la réalité des « propos vexatoires » qui auraient été tenus à son égard à cette occasion, même si le comportement du manager était spécieux en l'occurrence.
Que cependant, ce grief s'apparentant à de la moquerie ne saurait être suffisamment grave, s'agissant en outre d'un incident isolé, pour justifier la rupture de la relation contractuelle aux torts de l'employeur.
sur le harcèlement moral
Attendu que selon l'article L 122-49 du code du travail issu de la loi du 17 janvier 2002 devenu l'article L 1152-1 , le harcèlement se caractérise par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Attendu que le salarié qui s'estime victime de harcèlement moral doit désormais établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement, selon l'article L 1154-1 du code du travail ;
Qu'en l'espèce, la salariée invoque des agissements de l'employeur ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail, à savoir :
. demande de compte rendus d'activité,
. changement de bureau,
. absence d'augmentation individuelle de salaire,
. souffrance au travail,
. dégradation de son état de santé.
Que le premier grief n'est pas établi, en l'absence de tout document justifiant d'une quelconque demande vexatoire en ce sens.
Qu'il a été explicité ci-dessus que le changement de bureau ne concernait pas uniquement la salariée.
Que l'employeur a justifié des augmentations régulières de salaire de l'intéressée, dont le dernier salaire était de 4.003,05 € avec un coefficient 400, statut cadre, soit une augmentation de 50% en 10 ans d'ancienneté, la salariée ayant un salaire de 2.792,87 € en 1995.
Que la salariée fait valoir qu'elle travaillait dans un contexte professionnel délétère, ayant été accusée d'avoir fait circuler une rumeur concernant son supérieur hiérarchique.
Que la seule attestation à cet égard émanant du délégué syndical de l'entreprise ne saurait suffire à établir que Madame [J] [D] avait été victime d'une cabale comme étant
l'auteur de rumeurs.
Que Madame [J] [D] verse aux débats le questionnaire CHSCT LYONDELL pour enquête souffrance morale qu'elle a elle-même rempli en avril 2005 et deux certificats médicaux faisant état de symptômes liés au stress.
Que ces éléments dénués de garanties suffisantes d'objectivité ne peuvent être pris en considération pour établir l'existence de harcèlement moral, pas plus que le rapport technique du médecin du travail pour l'année 2003, aux termes duquel 4 salariés (sur 370) se seraient plaints de stress mental anormal.
Que les problèmes médicaux de Madame [J] [D] , s'il révèlent son stress au travail, ne sauraient induire l'existence de faits de harcèlement à son égard, le harcèlement n'étant en soi ni le stress, ni la pression, ni le conflit personnel ou non avec un autre salarié.
Qu'en conséquence, la salariée n'établit pas la réalité d'agissements isolés ou pris dans leur ensemble laissant présumer l'existence d'un harcèlement de l'employeur .
Que dès lors, en l'absence de faits suffisamment graves pour justifier la rupture aux torts de l'employeur, il convient de dire et juger que prise d'acte de la salariée doit avoir les effets d'une démission, abstraction faite des motifs relatifs au licenciement auquel l'employeur a procédé après ladite prise d'acte et qui , de ce fait, doit être considéré comme non avenu.
Que le jugement sera confirmé sur les effets de la prise d'acte et ses conséquences.
Que Madame [J] [D] sera déboutée de toutes ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail.
Que compte tenu de leur situation respective , aucune considération d'équité ne commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Déboute Madame [J] [D] de toutes ses demandes.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile .
Condamne Madame [J] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,