COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
11e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 20 JANVIER 2012
N° 2012/ 64
Rôle N° 11/02302
[L] [M] [S] [X] veuve [T]
C/
[O] [Y]
SAS SBDF
Grosse délivrée
le :
à :
SCP BOTTAI
SCP LATIL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE en date du 27 Janvier 2011 enregistré au répertoire général sous le n° 10/17757.
APPELANTE
Madame [L] [M] [S] [X] veuve [T]
née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 7] (83500), demeurant [Adresse 13]
représentée par la SCP BOTTAI GEREUX BOULAN, avoués à la Cour
Assistée de Me Samuel BENHAMOU, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
Madame [O] [Y]
née le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 5], demeurant [Adresse 6]
représentée par la SCP LATIL PENARROYA-LATIL ALLIGIER, avoués à la Cour
Assistée de Me Christophe BLANC, avocat au barreau de TOULON
INTERVENTION FORCEE
SAS SBDF prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège au [Adresse 4]
représentée par la SCP BOTTAI GEREUX BOULAN, avoués à la Cour
Assistée de Me Samuel BENHAMOU, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 23 Novembre 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Daniel ISOUARD, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Daniel ISOUARD, Président
Monsieur Jean-Claude DJIKNAVORIAN, Conseiller
Madame Zouaouia MAGHERBI, Vice président affecté à la cour par ordonnance spéciale du Premier Président
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Mireille LESFRITH.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Janvier 2012.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Janvier 2012,
Signé par Monsieur Daniel ISOUARD, Président et Madame Mireille LESFRITH, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 17 juin 1981, Madame [C] [Y] a donné en location à Monsieur [P] par bail emphytéotique pour une durée de 28 ans à compter du 1er janvier 1982 une propriété située à [Localité 7] (Var) à destination de l'exploitation d'une activité de camping-caravaning, village de chalets de vacances, terrains de sport et de jeux, piscine et attractions diverses. Ce bail a été cédé pour une partie de la propriété avec le consentement de la bailleresse à Monsieur [T] avec la même destination par acte du 11 août 1982 pour une période de 60 ans à compter du 1er juillet 1982 jusqu'au 30 juin 2042 moyennant un loyer annuel de
17 774,12 francs (2 709,65 €).
Le 15 juin 2004, Madame [O] [Y] qui vient aux droits de Madame [C] [Y] décédée, a formé une demande en révision du loyer. Par jugement du 14 avril 2009, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Draguignan, après expertise, a fixé le loyer révisé à la somme de 90 000 euros à compter 15 juin 2004 avec intérêts au taux légal depuis le 28 mars 2006 et condamné Madame [X] veuve de Monsieur [T], à payer à Madame [Y] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le 16 juin 2009, Madame [X] a interjeté appel de cette décision.
Tout d'abord, elle soulève la nullité du jugement attaqué prononcé à son encontre alors que cette décision ne l'indique pas comme partie.
Ensuite elle décline la recevabilité de la demande en révision de Madame [Y] qui n'établit pas avoir formé une telle demande dans le délai de trois ans depuis la dernière révision.
Enfin, après avoir souhaité la nullité du rapport d'expertise en raison de ses incohérences et sa partialité, elle soutient que la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné en elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative n'est pas rapportée.
Elle sollicite la condamnation de Madame [Y] à lui verser la somme de
7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Madame [Y] qui, le 23 mars 2011, a assigné en intervention forcée la société SBDF, locataire-gérante du fonds de commerce exploitée dans les lieux loués, conclut à la confirmation du jugement attaqué mais en y rajoutant cette société et à la condamnation solidaire de la société SBDF et de Madame [X] au paiement des loyers annuels à compter du
15 juin 2004 pour la somme de 90 000 euros avec intérêts au taux légal depuis le 28 mars 2006 outre la somme de 3 000 euros sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle prétend que la conclusion du contrat de location-gérance n'est destinée qu'à organiser l'insolvabilité de Madame [X] et que cela justifie l'appel en cause de la société SBDF. Elle soutient que l'omission de Madame [X] dans la partie du jugement destiné à la qualité des parties ne provient que d'une erreur matérielle et s'avère sans conséquence sur le bien fondé de la décision.
Elle allègue de la valeur locative du bien loué et de l'évolution favorable des facteurs locaux de commercialité.
La société SBDF soulève l'irrecevabilité de son appel en cause en absence d'évolution du litige et souhaite la condamnation de Madame [Y] à lui payer la somme de 5 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
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MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur l'appel en cause de la société SBDF :
Il ressort de l'article 555 du Code de procédure civile que les personnes qui n'étaient pas parties en première instance, peuvent être appelées devant la cour d'appel quand l'évolution du litige implique leur mise en cause.
L'évolution du litige se caractérise par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige.
Si la mise en location-gérance par Madame [X] de son fonds de commerce au profit de la société SBDF n'a été connue par Madame [Y] qu'après la mise en délibéré du jugement, cette société n'ayant été constituée que 8 février 2010, par contre ce contrat n'exerce aucune influence sur la révision du loyer et son montant.
Or seul ce montant du loyer révisé entre dans la compétence du juge des loyers commerciaux et dès lors la mise en location-gérance ne constitue pas une évolution du litige.
Ainsi la société SBDF doit être mise hors de cause.
L'équité conduit à rejeter sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile envers Madame [Y].
Sur la nullité du jugement :
À l'origine l'instance a été introduite contre Monsieur [T] qui était le preneur. Celui-ci est décédé le [Date décès 2] 2007 en cours des opérations d'expertise ordonnée par le premier juge et par jugement du 29 avril 2008, le jugement du 29 mars 2007 désignant un expert et l'ordonnance du 29 mai 2007 changeant cet expert ont été déclarés communs à Madame [X], veuve de Monsieur [T].
Après l'achèvement des opérations d'expertise et avant le jugement sur le fond, Madame [X] a déposé un mémoire relatif au loyer révisé, intervenant par-là nécessairement à la procédure.
Ainsi elle était partie en première instance.
Il est exact que le jugement attaqué dans sa partie destinée aux parties au procès (le chapeau) ne la mentionne pas et indique comme défendeur 'Monsieur [Z] [T], décédé' et que l'intervention de Madame [X] n'est pas notée à cette partie de la décision même si dans l'exposé des faits par le juge, la déclaration commune de l'expertise y figure.
Mais il s'agit d'une simple erreur matérielle sans incidence sur la valeur du jugement.
En effet si l'article 454 du Code de procédure civile prévoit que le jugement contient l'indication des parties, l'article 548 du même code ne sanctionne pas par la nullité l'omission de cette prescription.
Dès lors la demande en nullité du jugement doit être rejetée.
Sur le fond :
Selon l'article L. 145-3 du Code de commerce les dispositions relatives au statut des baux commerciaux ne sont pas applicables aux baux emphytéotiques, sauf en ce qui concerne la révision du loyer.
L'article L.145-33 prévoit que le montant du loyer des baux à renouveler ou révisés doit correspondre à la valeur locative laquelle, à défaut d'accord est déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans le voisinage.
L'article 145-38 énonce : 'La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans du jour où le nouveau prix sera applicable. Par dérogation à l'article L. 145-33, et à moins que soit rapportée la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l'indice du coût de la construction intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer. En aucun cas, il n'est tenu compte, pour le calcul de la valeur locative, des investissements du preneur ni des plus ou moins-values résultant de sa gestion pendant la durée du bail en cours'.
1 °) sur la recevabilité de la demande :
Madame [X] allègue de l'irrecevabilité de la demande en révision du loyer de Madame [Y] au motif qu'elle ne démonterait pas que le délai de trois ans depuis la dernière fixation n'était pas expiré.
La demande en révision doit être formée plus de trois ans après le jour où le dernier loyer était applicable. Passé ce délai de trois ans, elle peut être faite à tout moment et non pas après la survenance de la prochaine échéance triennale.
Madame [X] qui invoque l'irrecevabilité de la demande, se doit d'établir que celle-ci est intervenue avant l'expiration du délai de trois ans et que l'actuel loyer avait été fixé soit de manière judiciaire soit de manière amiable depuis trois ans au plus.
Elle ne rapporte pas cette preuve et aucun élément n'établit que le loyer a été révisé depuis la cession du bail le 11 août 1982.
Ainsi la demande en révision du loyer de Madame [Y] s'avère recevable.
2°) sur l'annulation du rapport d'expertise :
Madame [X] requiert l'annulation du rapport d'expertise au motif que l'expert
serait sorti de sa mission en interrogeant les locataires de bungalows sur les conditions de la sous-location saisonnière au surplus en langue anglaise ce qui n'entrait pas dans la mission et ne respectait pas le principe du contradictoire.
Mais d'une part rien ne limitait dans la mission de l'expert de recherche de la valeur locative de s'intéresser au mode d'exploitation du fonds de commerce ; d'autre part il ne tire aucune conséquence des données ainsi recueillies dans les conclusions de son rapport, la valeur locative n'étant pas calculée selon le montant des sous-locations.
En conséquence, il ne convient pas d'annuler le rapport d'expertise.
Sur le loyer révisé :
D'après l'article R. 145-6 du Code de commerce 'Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire'.
Madame [X] exploite dans les lieux loués un village de vacances par lequel elle donne en location soit à l'année soit de manière saisonnière des emplacements où sont installés des bungalows dont les occupants sont soit des personnes d'origine locale soit de régions plus lointaines ; certains de ces occupants sous louent de manière saisonnière le bungalow implanté sur le terrain loué.
L'activité exercée correspond à l'hébergement de loisir. Sa clientèle est tant locale que nationale et qu'internationale.
La période à prendre en considération pour examiner l'évolution des facteurs locaux de commercialité est celle du 1er juillet 1982, date d'effet de cession partielle du bail avec fixation d'un nouveau loyer au 15 juin 2004, date de la demande de révision.
Son attrait commercial correspond à la presqu'île de [Localité 11] au centre duquel elle se trouve.
L'expert a noté durant cette période l'amélioration des transports avec notamment depuis 2001, date de la mise en vigueur du TGV en grande vitesse entre [Localité 10] et [Localité 8] une diminution notable du temps de trajet ; il relève le développement de l'aérodrome de [Localité 11] situé à 13 kilomètres et l'agrandissement en deux fois deux voies de la route D 25 reliant l'échangeur autoroutier du [Localité 9] à [Localité 12].
Il a aussi constaté l'augmentation de la population sur la zone de commercialité de 1 % à 2,6 % par an selon les communes et de 38 % pour [Localité 7] entre 1982 et 2005, le développement des services avec un nouvel hôpital, de nouveaux établissements scolaires, une extension d'un hypermarché.
Il a relevé également le développement de l'offre des loisirs sur le territoire de la presqu'île de [Localité 11], avec les tournois de polo, un terrain de golf, la course de côte de [Localité 7], des courses mondiales de VTT, un grand rassemblement Porche, la Giraglia Rolex Cup qui accueille plus de 200 monocoques, un rassemblement de motos Harley Davidson, des salons d'antiquaires, de décoration extérieure, de jardinage, de rendez-vous gastronomiques, etc.
Il a indiqué l'accroissement de la réputation de [Localité 11] et de sa presqu'île au niveau international et le dépôt du nom '[Localité 11]' comme marque auprès de l'Institut national de la propriété industrielle.
Cela établit une modification favorable des facteurs locaux de commercialité pour une activité liée à l'exploitation d'un parc de loisirs.
Pour contester cet accroissement, Madame [X] indique d'une part qu'elle ne concerne pas sa clientèle et que depuis le début de la location le nombre de bungalows (un peu plus d'une centaine) n'a pas changé et ne peut croître, étant limité par la surface aménageable du terrain loué.
Mais si certains loisirs apparaissent concerner une clientèle à haut niveau financier qui n'est pas celle du fonds exploité, ils créent une animation et un attrait qui déborde des seuls participants à ces loisirs et retentit sur la commercialité de la zone concernée.
D'autre part comme l'a exactement indiqué le premier juge, la modification des facteurs locaux de commercialité dans le golfe de [Localité 11] est de nature à générer pour le preneur une augmentation de la clientèle et des ressources en provenant, même pour un nombre d'emplacements donné, dans la mesure où cette modification agit à la fois sur le taux d'occupation des emplacements et sur le montant des redevances perçues par le locataire.
Ainsi il existe une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant une incidence sur l'activité exercée.
Pour déterminer la valeur locative, l'expert s'est fondé sur les loyers des terrains de camping qui apparaît constituer la référence la plus adéquate car elle concerne une activité d'hébergement de loisirs proche de celle exploitée par Madame [X] et ne prend pas en compte les modifications des caractéristiques du bien loué depuis le début de la location.
Il a examiné le loyer de 14 terrains de camping, a éliminé ceux dont le prix était soit le plus haut soit le plus bas ou ressortait d'accord de convenance pour ne retenir que les 7 qui apparaissaient les plus pertinents et aboutissaient, après leur actualisation au 1er trimestre 2004, à la somme de 1,48 euros le mètre carré. Il a ensuite pondéré ce chiffre en raison de la spécificité du terrain donné en location pour aboutir à un loyer de 1,42 euros le mètre carré soit pour les 68 011 mètres carrés loués et exploitables un loyer annuel de 96 576 euros pour l'année 2004.
Ce prix a été retenu sans prendre en compte l'évolution des caractéristiques du local et celles éventuelles des lieux ainsi que des obligations respectives des parties qui n'ont pas changé.
Il montre une évolution de plus de 10 % de la valeur locative puisque par application du seul jeu de l'indice du coût de la construction le loyer dû par Madame [X] était de 4 999,54 euros.
Cette évolution est due à une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, aucune observation sur celle des prix couramment pratiqués dans le voisinage n'étant formée.
Madame [X] se plaint également que l'expert est écarté la méthode du chiffre d'affaires pour déterminer le loyer. Mais comme l'a indiqué justement le premier juge, le chiffre d'affaires réalisé ne constitue pas un critère retenu par l'article L. 145-33 du Code de commerce pour fixer la valeur locative, étant rappelé que le bailleur n'est pas l'associé du preneur.
Ainsi c'est très exactement que le premier juge a fixé à la somme de 90 000 euros le loyer annuel du loyer révisé au 15 juin 2004.
Le juge des loyers commerciaux ayant seulement pouvoir de fixer le loyer renouvelé ou révisé, la demande en condamnation au paiement de ce loyer par Madame [Y] s'avère irrecevable.
La confirmation de la décision déférée s'impose.
Succombant à son recours, Madame [X] doit être condamnée à payer à Madame [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
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PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
Déclare irrecevable l'appel en intervention forcée de la société SBDF ;
Rejette la demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile de la société SBDF contre Madame [Y] ;
Rejette la demande en nullité du jugement du 14 avril 2009 du juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Draguignan ;
Confirme ce jugement ;
Condamne Madame [X] à payer à Madame [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne Madame [X] aux dépens d'appel et autorise la SCP BOTTAI - GÉREUX - BOULAN, avoués associés, à recouvrer directement ceux d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT