COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 26 JANVIER 2012
N° 2012/77
Rôle N° 09/02106
[I] [U]
C/
POLE EMPLOI VENANT AUX DROIT DES ETABLISSEMENT UNEDIC
SOGETI FRANCE VENANT AUX DROITS DE SOGETI REGIONS
Grosse délivrée
le :
à :
Me Michel LAO, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Denis PELLETIER, avocat au barreau de PARIS
Me Frédéric ZUNZ, avocat au barreau de PARIS
Copie certifiée conforme délivrée le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 28 Janvier 2009, enregistré au répertoire général sous le n° 06/993.
APPELANT
Monsieur [I] [U], demeurant [Adresse 4]
comparant en personne, assisté de Me Michel LAO, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
POLE EMPLOI VENANT AUX DROIT DES ETABLISSEMENT UNEDIC, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Denis PELLETIER, avocat au barreau de PARIS
SOGETI FRANCE VENANT AUX DROITS DE SOGETI REGIONS, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Frédéric ZUNZ, avocat au barreau de PARIS
PARTIE(S) INTERVENANTE(S)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 01 Décembre 2011 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Michel VANNIER, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Madame Laure ROCHE, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2012..
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2012.
Signé par Monsieur Michel VANNIER, Président et Mme Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
L'Unedic, devenue Pôle emploi, a conçu et mis en oeuvre à partir de 1998 les programmes Aladin et Agora en vue de la refonte totale puis de la modernisation de l'informatique du régime d'assurance chômage.
A cet effet, elle a conclu d'abord des contrats d'assistance technique avec de grandes entreprises spécialisées en matière informatique, puis elle a mis en oeuvre un appel d'offres européen qui lui a permis de sélectionner des entreprises prestataires de service en mesure de procéder à la modernisation du système.
C'est dans ce contexte que monsieur [U], ingénieur d'études, a été amené à travailler au sein de l'Unedic du 1er septembre 1999 au 31 mars 2006, en exécution des contrats de prestation de services informatiques conclus par ses employeurs successifs, le dernier en date étant la société Sogeti Régions aux droits de laquelle vient la société Sogeti France (Sogeti) qui a notamment pour activité le conseil, l'étude, le développement, la mise en place et la commercialisation directement ou indirectement de tout produit ou système lié au traitement de l'information, le conseil et l'audit relatifs à la mise en oeuvre et à l'installation de logiciels d'ensemble et de matériels informatiques et plus généralement toutes prestations de services accessoires à ces activités.
Dès le 29 mars 2006, monsieur [U] saisissait le conseil de prud'hommes de Marseille d'une demande tendant à voir reconnaître l'existence d'un contrat de travail entre lui-même et l'Unedic depuis le mois de mars 2000.
Par lettre postée le 4 février 2009, il a interjeté appel du jugement rendu le 28 janvier 2009 qui a dit qu'il n'était pas lié à l'Unedic par un contrat de travail entre le 1er septembre 1999 et le 31 mars 2006 et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes ; il demande à la cour d'infirmer cette décision et :
- à titre principal :
* de dire et juger qu'il était effectivement lié à Pôle emploi par à un contrat de travail à compter du 1er septembre 1999,
* de 'constater' la résolution judiciaire de ce contrat de travail,
* de condamner solidairement Pôle emploi et la société Sogeti au paiement de la somme de 250.000,00 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'il subit du fait de la rupture, à celle de 4.400,00 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ainsi qu'à celle de 24.000,00 euros au titre de l'indemnité de préavis,
- en toute hypothèse, de condamner solidairement Pôle emploi et la société Sogeti au paiement des sommes de 24.000,00 euros de dommages-intérêts pour travail dissimulé, 50.000,00 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral distinct du fait de sa situation et 3.000,00 euros hors taxe en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pôle emploi, qui conclut à la confirmation du jugement déféré, demande à la cour de :
- constater le refus opposé par monsieur [U] à la proposition qui lui a été faite par l'Unedic devant le conseil de prud'hommes, qui en a pris acte, d'un contrat de travail en qualité d'analyste fonctionnel-chef de projet, emploi générique 'professionnel confirmé' pour un salaire brut mensuel de 2.874,90 euros,
- le débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- le condamner à lui payer la somme de 3.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Sogeti conclut également à la confirmation de la décision dont appel et elle demande à la cour de prendre acte de ce qu'elle consent à l'intégration de monsieur [U] au sein de Pôle emploi sous réserve qu'il démissionne de la société et renonce à son préavis et de le condamner à lui payer 1.500,00 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Pour un plus ample exposé des faits de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer à la décision déférée et aux écritures déposées oralement reprises à l'audience du 1er décembre 2011.
MOTIFS DE LA DECISION :
L'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont données à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ; ainsi, il y a contrat de travail lorsqu'une personne travaille contre rémunération pour le compte et sous la subordination juridique d'une autre personne.
En l'espèce, dans le cadre de la refonte complète de l'assurance chômage, l'Unedic a dû complètement renouvelé son système informatique afin d'accroître sa capacité d'adaptation en améliorant l'efficacité des procédures ainsi que la productivité et la qualité des services. Pour ce faire, elle a successivement mis en oeuvre à partir de l'année 1998 deux programmes pluriannuels de modernisation qui ont nécessité des moyens budgétaires qu'elle qualifie à juste titre de 'considérables' ; en effet, le programme Aladin, mis en oeuvre entre 1998 et 2003, qui a permis selon elle une évolution des applications et des technologies, a coûté plus de 349.108.249,00 euros et le programme Agora, mis en application de 2004 à 2007, qui a eu pour effet toujours selon elle d'accroître sa performance à travers son système d'information, a vu son budget porté à la somme de 1.256.700.000,00 euros.
C'est pourquoi elle a conclu plusieurs contrats de prestations de services informatiques et d'assistance à la maîtrise d'oeuvre avec diverses entreprises liées par contrat de travail avec monsieur [U], documents qui n'avaient pas à être contresignés par les salariés ultérieurement concernés ; les factures produites aux débats démontrent toutes que le prestataire de service était réglé de manière forfaitaire.
C'est dans ce contexte que l'appelant est intervenu d'abord à la direction de maîtrise d'oeuvre de l'Unedic du 1er septembre 1999 au 28 février 2000 puis à sa direction du service du 1er mars 2000 au 31 mars 2006.
A l'appui de sa demande de reconnaissance d'un contrat de travail avec l'Unedic, monsieur [U] verse au débat le rapport d'audit en date du 20 avril 2006 - donc postérieur à la saisine du conseil de prud'hommes - réalisé par Access Consulting pour le comte du comité d'entreprise d'Unedic Des dont les conclusions sont les suivantes :
'[...], l'ensemble des éléments de fait rapportés dans le cadre de la présente étude laissent d'ores et déjà à penser que de sérieux arguments plaident en faveur de la possible reconnaissance de l'existence d'une relation de subordination juridique existant entre M [U] et l'UNEDIC DES'.
Toutefois, il ne saurait être fait l'impasse sur les circonstances de commande de cet audit - à la demande du comité d'entreprise - et du dépôt de ce rapport - postérieur à la saisine du conseil de prud'hommes par monsieur [U] -, ni sur les précautions rédactionnelles du rapporteur - dont la cour ignore s'il s'agit ou non d'un spécialiste en informatique - puisqu'en effet le rapporteur rappelle en page 19 qu'il se fonde 'd'après les informations en [sa] possession', croit nécessaire d'employer le conditionnel en indiquant, sans entrer dans le détail du travail accompli, que 'le contrat de prestation de service aurait porté... sur le Projet Base Nationale Individus-DME' et mentionne dans le premier paragraphe de ses conclusions que 'seul le contrat CADRE entre la société prestataire et L'UNEDIC pour le compte de l'UNEDIC DSE a été remis le 14 avril 2006, sans les documents contractuels y étant associés [...] ne permettant pas la pleine analyse de la relation existant entre la société prestataire de service et l'UNEDIC'.
Or, il n'est pas sérieusement contestable que la conception, l'adaptation et la mise en oeuvre des importants programmes de refonte de l'assurance chômage requéraient des compétences spécifiques et sans cesse renouvelées ainsi qu'un personnel hautement qualifié en informatique dont l'Unedic ne disposait pas.
Sur ce point, Pôle emploi indique, sans que cela soit contesté, que les réelles missions de monsieur [U] étaient les suivantes :
- du 1er septembre 1999 au 28 février 2000 : participation au projet d'intranisation Aladin VI en oeuvrant à la mise au point d'outils informatiques dans le domaine 'demandeurs d'emploi' ;
- du 1er mars 2000 au 31 décembre 2000 : réalisation d'une prestation applicative pour le compte d'une structure devancière de la direction du service de l'Unedic en expliquant aux utilisateurs le fonctionnement et en traitant les difficultés et les anomalies au niveau régional et participation au déploiement du projet Aladin VI ;
- du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2001 : poursuite de sa prestation de déploiement et d'application pour le compte du 'support proximité' ;
- du 1er février 2002 au 31 décembre 2004 : participation pour le compte du 'support clients allocataires' à une prestation de déploiement et d'application ;
- du 1er janvier 2005 au 31 mars 2006 : mise en oeuvre d'une 'fonction d'expert' en matière de 'mandatement, titres, incidents de paiement, avances/acomptes, saisie-arrêt/pension alimentaire, comptabilité'.
Pour l'exécution de ces missions, il était indispensable que monsieur [U] travaille dans les locaux de l'Unedic et soit soumis aux mêmes temps de travail et aux mêmes horaires que les salariés de l'entreprise dans laquelle il intervenait puisque son activité ne pouvait s'exercer qu'en dirigeant, accompagnant et conseillant le personnel de l'Unedic dans la mise en oeuvre demandée et l'adaptation à ses besoins en matière informatique, ce qui explique également qu'il ait pu participer à certaines réunions de service internes à l'Unedic comme il le prétend ; en outre, sa fonction expertale ne pouvait être remplie que s'il avait lui-même une parfaite connaissance des missions de l'entreprise dans laquelle il intervenait ce qui lui imposait de devenir, comme il se qualifie lui-même dans ses conclusions, un 'spécialiste' du fonctionnement 'de l'unique matériel informatique de Pôle emploi' (page 14) voire un 'expert du régime d'assurance chômage' (page 16) ; enfin, qu'à la fin de son intervention, monsieur [U] ait pu exercer les mêmes fonctions que les salariés de l'Unedic qui effectuent un travail pérenne correspondant au coeur de métier de l'établissement démontre la réussite de la mission du prestataire de service qui à partir de ce moment devait donc mettre un terme à son intervention et retirer monsieur [U] de l'entreprise dans laquelle il intervenait.
Cependant, tous ces éléments même réunis sont insuffisants à caractériser un lien de subordination juridique et, notamment, à démontrer que monsieur [U] était soumis au pouvoir disciplinaire de l'Unedic.
En revanche, la subordination juridique de monsieur [U] à Sogeti est établie, outre par le paiement des salaires et la délivrance des bulletins de paie, notamment par les éléments suivants :
- la signature d'avenants réguliers à son contrat de travail, notamment celui du 25 janvier 2006, de peu antérieur à la saisine du Cph, qui définit sa nouvelle situation au regard des modalités ARTT, des indemnités repas sous forme de tickets restaurants et du remboursement de ses frais suivant les ordres de mission ;
- les multiples ordres de mission qui lui ont été donnés et qui portent sa signature aux 6 mars 2000, 27 février 2001, 12 avril 2001, 1er octobre 2001, 7 janvier 2002, 6 avril 2004, 7 septembre 2004, 10 janvier 2005, 30 juin 2005 et 10 janvier 2006, qui lui accordaient des jours de Rtt au titre des missions signées à l'année, prévoyaient le remboursement de ses frais de transport au titre de l'utilisation de son véhicule personnel, ordres de mission qui démontrent que ses employeurs restaient maîtres de ses affectations ;
- les rapports d'activité adressés mensuellement par monsieur [U] à Sogeti - les derniers en date étant 24 janvier et 27 février 2006 donc dans le tout dernier état de sa prestation au sein de l'Unedic - rapports accompagnés de ses notes et justificatifs de frais, ce qui permettait à Sogeti de veiller au temps de travail effectué par son salarié et de calculer la rémunération qu'il lui devait ;
- les entretiens de suivi et les entretiens annuels réalisés notamment par son chef d'agence de Transiciel et Sogeti Transiciel et il en est plus particulièrement justifié par celui de janvier 2003, un autre du 14 janvier 2004 - qui rappelle quelles sont ses missions au sein de l'Unedic et qu'il bénéficie pour les accomplir d'une 'autonomie complète', qui indique qu'il souhaite une 'augmentation coût de la vie (3,2 %) ou prime' et qui mentionne que sa préférence est de 'rester sur sa mission plutôt que de partir à la DPP sur [Localité 3]' - et un troisième du 9 décembre 2005 ; ainsi, jusqu'à la fin de sa mission à l'Unedic, monsieur [U] a rendu compte de son activité à Sogeti et lui à fait connaître quelles étaient ses souhaits au point de vue carrière et rémunération pour l'année à venir ;
- les demandes de congés, de récupération, les avis, autorisations d'absence et arrêts maladie adressés par le salarié à Sogeti, les 4 demandes produites par le salarié qui n'ont été avalisées que par le client et non par le chef d'agence Sogeti - toutes antérieures au 15 janvier 2003 - ne pouvant contrebalancer toutes celles produites par l'employeur et visées par lui, les dernières demandes de congés présentées à Sogeti par monsieur [U], datées des 17 janvier, 24 janvier et 3 février 2006 n'ayant d'ailleurs pas été soumises au visa de l'Unedic;
- les diverses demandes d'augmentation de salaire adressées par monsieur [U] à ses employeurs successifs, notamment à Satelia le 2 janvier 2001 et dont la réponse positive du 9 février 2001 lui accorde '100 Francs par jour travaillé correspondant à [ses] frais de repas et à [ses] frais de déplacement' ;
- les 'propositions d'évolution individuelle', notamment celui d'avril 2004 - modifiant son salaire par le 'passage du régime RTT Ariane (23 jours) au régime TRANSICIEL' et par une augmentation de 3 % - et ceux de décembre 2005 et janvier 2006, de peu antérieures à la saisine du Cph, lui accordant une prime exceptionnelle ;
- les notes adressées par l'employeur et notamment celles :
* du 24 octobre 2005 de Sogeti-Transiciel Régions l'informant des nouvelles règles en vigueur relatives à la durée du travail, aux modalités d'acquisition des jours d'ancienneté et aux absences pour événements personnels ;
* du 10 janvier 2006 de Sogeti relative au temps de travail et aux modalités de prise des congés 2006 ;
- l'attestation enfin de monsieur [T], qui ne saurait être écartée au seul motif qu'elle émane de son chef d'agence, qui précise qu'il a toujours suivi monsieur [U] sur ses missions, que le salarié s'est toujours adressé à lui pour discuter de ses augmentations de salaires, pour renégocier ses frais de déplacement 'et parfois aussi pour trouver des arrangements afin que nous, employeur, puissions aménager son temps de travail par rapport à ses contraintes médicales'.
Il résulte de ce qui précède que monsieur [U] n'a jamais été salarié de l'Unedic, qu'il n'a pas fait l'objet d'un prêt de main-d'oeuvre illicite ni n'a été victime de travail dissimulé.
L'intéressé, qui ne s'est jamais plaint de sa situation auprès de ses employeurs alors qu'il aurait pu le faire lors de ses entretiens annuels, ne peut pas justifier avoir subi un quelconque préjudice moral résultant du fait qu'il a travaillé pendant plusieurs années au sein de l'Unedic d'autant qu'il a refusé la proposition d'embauche que celle-ci lui a faite devant le conseil de prud'hommes au motif principal qu'il estimait insuffisante la rémunération qui lui était proposée.
Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Pôle emploi de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Pôle emploi de sa demande au titre de ses frais irrépétibles et statuant à nouveau de ce chef,
Condamne monsieur [U] à payer à Pôle emploi et à Sogeti France, à chacun, la somme de 1.000,00 euros au titre de leurs frais irrépétibles,
Condamne monsieur [U] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT